AU SENS DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1
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"
L'atteinte au bien est la soustraction arbitraire d'un bien sans
indemnisation adéquate"
Frédéric Fabre docteur en droit.
Article 1 du Protocole 1 de la CEDH
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes"
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La SUISSE et MONACO ont signé mais n'ont pas ratifié le Protocole n°1. Les deux États ne peuvent donc pas être condamnés.
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SUPPRESSION OU CONFISCATION DU TITRE DE PROPRIÉTÉ
Grand Rabbinat de Communauté Juive d'Izmir c. Turquie du 21 mars 2023 requête n° 1574/12
Art 34 Locus standi Art 35 § 3 a) Ratione personae Grand rabbinat considéré comme requérant Représentant ses fidèles et constituant une institution cultuelle régie par des dispositions datant de lépoque ottomane Ayant acquis en son nom et utilisé librement des biens immobiliers Capacité à ester en justice et à acquérir des biens immobiliers jamais remise en cause par les autorités administratives ou les tribunaux nationaux
Art 1 P1 Respect des biens Refus imprévisible des tribunaux nationaux dinscrire au nom du requérant au registre foncier un terrain où est édifiée une ancienne synagogue lui appartenant en application de dispositions non pertinentes Inscription du terrain au nom du Trésor public Art 1 P1 applicable Intérêt patrimonial constituant un bien Requérant ayant exercé une possession non équivoque, ininterrompue et incontestée sur la synagogue depuis environ quatre siècles Terrain et bâtiment caractérisés par des particularités et un usage spécifiques liés à la vie religieuse de la communauté juive
40. Le Gouvernement estime que le requérant na pas qualité pour agir devant la Cour, au motif quau moment de lintroduction de la présente requête, lintéressé était dépourvu de personnalité juridique et quil ne pouvait être qualifié dorganisation non gouvernementale au sens de larticle 34 de la Convention. Sappuyant sur la loi provisoire du 1912 et sur la loi no 2762, il allègue que le requérant na accompli aucune démarche pour acquérir la personnalité juridique et quil ne pouvait par conséquent être titulaire de droits et dobligations ou acquérir la propriété dun bien avant la reconnaissance, en 2011, de son statut de fondation. La présente requête serait dès lors irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec larticle 34 de la Convention.
41. Sappuyant sur lordonnance du Grand rabbinat du 19 mars 1865 et sur le jugement adopté le 14 avril 1950, puis confirmé par la Cour de cassation le 23 septembre 1957, le requérant conteste cette thèse.
42. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, une personne morale qui se prétend victime dune violation par lune des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles peut se porter requérante devant elle, pour peu quelle ait la qualité d« organisation non-gouvernementale » au sens de larticle 34 de la Convention (Granitul S.A. c. Roumanie, no 22022/03, § 25, 22 mars 2011, avec les références citées). Sagissant des institutions religieuses auxquelles le droit interne ne reconnaît pas la personnalité juridique, la Cour a déjà jugé quune Église ou lorgane ecclésial dune Église peut, comme tel, exercer au nom de ses fidèles les droits garantis par larticle 9 de la Convention (Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 101, CEDH 2001-XII). En particulier, dans laffaire Église catholique de La Canée c. Grèce (arrêt du 16 décembre 1997, §§ 38-42, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII), la Cour a jugé que lincapacité de léglise requérante à ester en justice, faute pour celle-ci davoir acquis ipso facto la personnalité juridique en droit grec, lui avait imposé une véritable restriction qui lavait empêchée de faire trancher par les tribunaux tout litige relatif à ses droits de propriété et qui avait dès lors porté atteinte à la substance même de son « droit à un tribunal » au sens de larticle 6 § 1 de la Convention.
43. En lespèce, la Cour observe demblée que la procédure litigieuse concernait le Grand rabbinat dIzmir et non le grand rabbin de cette ville en sa capacité personnelle. Indépendamment de la question de savoir si le Grand rabbinat dIzmir disposait ou non de la personnalité juridique, il est constant que celui-ci représentait ses fidèles et constituait ainsi une institution cultuelle dont le statut juridique était régi par des dispositions datant de lépoque ottomane.
44. Par ailleurs, même si le requérant ne jouissait pas du statut de fondation appartenant aux communautés religieuses non-musulmanes au sens de la loi no 2762, il ressort du dossier que sa capacité à ester en justice et à acquérir des biens immobiliers na jamais été remise en cause sur le plan interne par les autorités administratives ou les tribunaux (comparer avec Bektashi Community et autres c. lex-République yougoslave de Macédoine, nos 48044/10 et 2 autres, § 49, 12 avril 2018). En particulier, les tribunaux de grande instance et du cadastre ayant connu de la procédure diligentée par le requérant ne se sont nullement penchés sur la question de la personnalité juridique du requérant, qui a agi pour défendre ses intérêts sans que son locus standi ne fût remis en cause.
45. De surcroît, il nest pas contesté que le requérant a acquis en son nom et utilise librement des biens immobiliers. En effet, il ressort du jugement du 14 avril 1950, auquel le requérant a renvoyé ci-dessus, que le tribunal de grande instance dIzmir a ordonné linscription, au nom de lintéressé, dun autre bien immobilier sis à Izmir. Pour se prononcer ainsi, cette juridiction avait rejeté la thèse du Trésor public selon laquelle le Grand rabbinat dIzmir ne jouissait pas de la personnalité juridique, considérant au contraire que celui-ci avait lacquise par leffet de lordonnance du Grand rabbinat édictée le 19 mars 1865 (23 Sevval 1281 paragraphe 7 ci-dessus).
46. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Grand rabbinat dIzmir peut être considéré comme requérant au sens de larticle 34 de la Convention. En conséquence, elle rejette lexception ratione personae soulevée par le Gouvernement.
SUR LE FOND
a) Sur lexistence dun « bien »
63. La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si le requérant était ou non titulaire dun bien susceptible dêtre protégé par larticle 1 du Protocole no 1. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se trouve le requérant est de nature à relever du champ dapplication de larticle 1 du Protocole no 1.
64. Sagissant de la portée autonome de la notion de « bien », la Cour renvoie à sa jurisprudence constante (Iatridis c. Grèce [GC], nº 31107/96, § 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], nº 33202/96, § 100, CEDH 2000-I). À cet égard, le fait pour les lois internes dun État de ne pas reconnaître un intérêt particulier comme « droit », voire comme « droit de propriété », ne soppose pas à ce que lintérêt en question puisse néanmoins, dans certaines circonstances, passer pour un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (Brosset-Triboulet c. France [GC], no 34078/02, § 71, CEDH 2010). En lespèce, la Cour doit rechercher si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole nº 1 (Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 51, CEDH 2013 (extraits)). Pour ce faire, il y a lieu de tenir compte des éléments de droit et de fait suivants.
65. En lespèce, la Cour observe demblée que le bien en question se composait dun bâtiment édifié en 1605 pour servir de synagogue, et dun terrain dune superficie initiale de 794 m2 qui fut par la suite divisé en deux parcelles (paragraphe 8 ci-dessus). Il ressort du cadastrage réalisé en 1930 sur lensemble de ce bien que le bâtiment en question a dabord servi de synagogue, puis de logement au Grand rabbin dIzmir. En somme, selon le cadastrage et les documents mentionnés au paragraphe 8 ci-dessus, le requérant possédait sans acte lensemble de ce bien. Il ressort également du rapport dexpertise établi le 24 avril 2002 que le Grand rabbinat dIzmir utilisait le bâtiment en question comme bâtiment administratif en 2002 (paragraphe 11 ci-dessus), cest-à-dire après lengagement, par le requérant, dune action tendant à faire inscrire le bien en question à son nom (paragraphe 10 ci-dessus). Par conséquent, après le cadastrage réalisé en 1930, et jusquen 2000, année où le requérant a engagé une procédure devant le tribunal cadastral, le statut de ce bien na pas changé. Il ressort en effet des éléments du dossier que pendant toute cette période, personne pas même le Trésor public na engagé de procédure judiciaire afin de se voir reconnaître la qualité de propriétaire de ce bien. En outre, il nest pas allégué que ce bien appartenait au domaine public. Par conséquent, il peut passer pour établi que, depuis la construction de la synagogue en 1605, cest-à-dire pendant environ quatre siècles, le requérant a exercé une possession non équivoque, ininterrompue et incontestée sur le bien litigieux. En outre, le bien en question se caractérisait par des particularités et un usage spécifiques liés à la vie religieuse de la communauté juive dIzmir.
66. Au vu de ce qui précède, la Cour ne doute pas que le requérant était titulaire dun intérêt patrimonial constituant un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Cette disposition est donc applicable. Il convient en conséquence de rejeter lexception dincompatibilité ratione materiae de ce grief avec la Convention.
b) Sur lexistence dune ingérence
67. La Cour constate que la première procédure engagée par le requérant a permis à celui-ci de faire inscrire à son nom le bâtiment ici en cause (une ancienne synagogue), mais non de se voir attribuer la propriété du terrain sur lequel ce bâtiment est édifié. Or le cadastrage réalisé en 1930 sur lensemble de ce bien démontrait que le requérant en possédait lintégralité, sans toutefois disposer dun acte. La procédure ultérieure engagée par le requérant sest soldée par la reconnaissance dun droit subjectif un « muhdesat » au profit de celui-ci sur le bien en question, mais non de sa qualité de propriétaire de celui-ci. Au vu de ce qui précède, la Cour relève que linscription au nom du Trésor public consécutive à larrêt de la Cour de cassation du terrain sur lequel était édifié le bâtiment (une ancienne synagogue) appartenant au requérant peut sassimiler à une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de ses biens (voir, mutatis mutandis, Trgo c. Croatie, no 35298/04, § 54, 11 juin 2009). La Cour doit donc rechercher si lingérence dénoncée se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1.
c) Sur la justification de lingérence
68. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi ». De plus, la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est une notion inhérente à lensemble des articles de la Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012, avec les références citées).
69. Toutefois, lexistence dune base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au principe de légalité. Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir des garanties contre larbitraire. À cet égard, il faut rappeler que la notion de « loi », au sens de larticle 1 du Protocole no 1, a la même signification que celle qui lui est attribuée par dautres dispositions de la Convention. Il sensuit quen plus dêtre conformes au droit interne de lÉtat contractant, en ce compris la Constitution, les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (ibidem, §§ 96-97, avec les références citées, voir aussi, N.M. et autres c. France (fond), no 66328/14, § 59, 3 février 2022, avec les références citées).
70. La Cour rappelle par ailleurs que larticle 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens. Il ne fait aucun de doute que les États contractants doivent jouir dune ample latitude pour réglementer lacquisition de biens immobiliers et fonciers par des personnes morales. Il sagit en effet de leur laisser la possibilité de mettre en uvre, conformément à lintérêt général, les mesures nécessaires pour protéger lordre public et les intérêts de la collectivité tout en permettant à ces personnes morales de réaliser leurs buts et objectifs déclarés (Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi c. Turquie, no 34478/97, § 52, 9 janvier 2007, avec les références citées).
71. En
lespèce, la Cour observe demblée que la procédure
litigieuse portait sur un bien immobilier non enregistré
composé dun bâtiment édifié et utilisé par le
requérant et du terrain sur lequel ce bâtiment avait été
construit. Lintéressé a engagé une action tendant à
contester les conclusions du second cadastrage et à se voir
attribuer la propriété de lensemble de ce bien. à cet
effet, il sest fondé, entre autres, sur les conclusions du
cadastrage initial réalisé en 1930. Toutefois, par un jugement
du 21 mars 2008, le tribunal du cadastre a rejeté la demande du
requérant pour deux motifs. En premier lieu, il sest
fondé principalement sur labsence dapprobation du
Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres (paragraphes 18
et 22 ci-dessus). En second lieu, il a constaté quil nexistait
pas délément de preuve décisif commandant linscription
des parcelles litigieuses au nom du requérant. Pour sa part, la
Cour de cassation sest également fondée sur la loi
provisoire de 1912 (paragraphe 23
ci-dessus), en sus des motifs retenus par le tribunal de
première instance. La Cour examinera ces motifs séparément.
72. Sagissant en premier lieu de labsence dapprobation du Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres, la Cour observe que dans les observations quil lui a soumises, le Gouvernement na pas évoqué ces motifs ni précisé quelle était la base légale exigeant de telles autorisations pour la reconnaissance dun titre de propriété sur le bien ici en cause. Au vu des éléments du dossier, la Cour constate que le tribunal du cadastre a appliqué les dispositions de la loi no 2762 sur les fondations. Or nayant pas fait usage de la possibilité offerte par la loi no 2762 de déposer une déclaration précisant son patrimoine et dobtenir ainsi le statut de fondation (paragraphe 6 ci-dessus), le requérant navait pas le statut de fondation créée par des minorités non-musulmanes au moment où il a fait la demande objet de cette procédure. Dans ces conditions, la Cour ne voit pas comment cette loi, qui régit entre autres le régime dacquisition des biens immobiliers par les fondations, aurait pu trouver application en lespèce.
73. Il est vrai que le tribunal du cadastre a également considéré quil nexistait aucun élément de preuve décisif qui aurait commandé linscription des biens immobiliers litigieux au nom de lintéressé. Toutefois, cette considération formulée par le tribunal ne se fondait sur aucun élément de fait et ne tenait pas compte de la réalité de la situation décrite ci-dessus relative au statut du bien litigieux (paragraphe 65 ci-dessus). En effet, il nest pas contesté quune synagogue a été édifiée en 1605 sur le terrain litigieux et quelle a été utilisée par le requérant pendant des siècles. Même si laffectation de cet édifice a ultérieurement changé, il ressort notamment du rapport dexpertise établi le 24 avril 2002 que le bâtiment en question était toujours utilisé comme bâtiment administratif par le Grand rabbinat dIzmir en 2002 (paragraphe 11 ci-dessus), cest-à-dire après lengagement par le requérant dune action tendant à faire inscrire le bien en question à son nom (paragraphe 10 ci-dessus). Force est donc de constater que le requérant a exercé sur le bien litigieux une possession non équivoque, ininterrompue et paisible pendant environ quatre siècles à compter de la construction de la synagogue. Par ailleurs, rien ne donne à penser en lespèce que la possession du terrain litigieux était dissociable de celle du bâtiment en question.
74. Certes, il ressort de linspection sur place effectuée par le tribunal de grande instance dIzmir en 2006 (paragraphe 17 ci-dessus) que le Grand rabbinat dIzmir avait déclaré avoir cessé dutiliser ce bâtiment, précisant cependant quil continuait à payer les taxes foncières y afférentes. La Cour observe que le Gouvernement a mis laccent sur ce prétendu abandon pour justifier le jugement rendu par le tribunal du cadastre. Toutefois, dans son jugement, ce dernier na accordé aucun poids à cet élément de fait qui, au demeurant, concernait le bâtiment sur lequel ce même tribunal avait reconnu au requérant un droit subjectif, cest-à-dire un « muhdesat ».
75. Pour la Cour, la reconnaissance dun droit subjectif un « muhdesat » au profit du requérant sur le bâtiment en question constitue un élément de poids aux fins de lappréciation des faits. Toutefois, comme le Gouvernement la expliqué (paragraphe 61 ci-dessus), en droit turc, ce droit néquivaut pas à un droit de propriété. En outre, il nest pas allégué que le bâtiment a été édifié sur un terrain qui aurait appartenu ab initio à une tierce personne ou au Trésor public, et il est manifeste que cet édifice a été construit sur un terrain non enregistré. En effet, le droit de propriété du Trésor public qui na jamais revendiqué un tel droit na été reconnu quà lissue de la procédure litigieuse.
76. Enfin, la Cour de cassation sest aussi fondée sur la loi provisoire du 1912 pour justifier la non-inscription du bien litigieux au nom du requérant. La Cour observe que, comme le Gouvernement la souligné, le requérant na pas usé de la possibilité qui lui était offerte par les lois de 1912 et de 1935. Cependant, elle ne voit pas comment ce défaut de dépôt dune demande en 1912 ou en 1935 pourrait avoir constitué un obstacle à lobtention dun titre de propriété sur le bien en question. En effet, il ressort du dossier de laffaire que labsence de demande au sens de la loi provisoire du 1912 ou de déclaration dite « de 1936 » na jamais constitué un obstacle à lacquisition, par le requérant, de la propriété dautres biens immobiliers. Dans un premier temps, en sa qualité de Grand rabbinat dIzmir, le requérant a pu obtenir linscription au registre foncier des biens immobiliers qui étaient en sa possession (voir le jugement adopté le 14 avril 1950, puis confirmé par la Cour de cassation le 23 septembre 1957, paragraphe 7 ci-dessus). Par la suite, lorsquil a acquis en 2011 le statut de fondation, il a été reconnu propriétaire des biens qui étaient inscrits au registre foncier sous la dénomination de « synagogue » ou de « lieu de culte de la communauté juive Karatas dIzmir » ou encore « au nom de la communauté juive ».
77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est convaincue que labsence dapprobation du Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres a été le motif principal du rejet de la demande du requérant tendant à faire inscrire les parcelles litigieuses à son nom. Or, ces conditions étaient applicables à lacquisition de biens immobiliers par les fondations appartenant aux minorités non-musulmanes créées en vertu de la loi no 2762. Au moment de lintroduction de sa demande, le requérant ne relevait pas de cette catégorie. Par conséquent, on ne saurait considérer que la non-inscription des titres de propriété ici en cause, due à lapplication de dispositions qui nétaient manifestement pas pertinentes pour trancher laffaire du requérant, était prévisible. En effet, lintéressé ne pouvait raisonnablement prévoir que sa demande, fondée sur les conclusions du cadastre effectué en 1930, serait rejetée, alors quil possédait le bien en question sans titre depuis plusieurs années, et même depuis plusieurs siècles (voir, mutatis mutandis, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi, précité, § 57 ; Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03 et 3 autres, § 54, 3 mars 2009).
78. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence litigieuse nétait pas compatible avec le principe de légalité et quelle a donc enfreint le droit du requérant au respect de ses biens.
79. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
KRIVTSOVA c. RUSSIE du 12 juillet 2022 Requête no 35802/16
Art 1 P1 Privation de propriété Annulation du titre de propriété sur une parcelle de terrain sans versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien Autorité publique ayant outrepassé ses compétences quincombe la responsabilité de laliénation de la parcelle litigieuse
CEDH
60. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Bidzhiyeva, précité, § 61, Gavrilova et autres c. Russie, no 2625/17, § 69, 16 mars 2021, et les références qui y sont citées). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que la décision de justice portant radiation du droit de propriété de la requérante sur la parcelle de terrain sanalyse en une « privation de propriété ».
61. La Cour doit rechercher si lingérence se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour être compatible avec cette disposition, une ingérence doit remplir trois conditions : elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
62. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir des garanties contre larbitraire (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 95-96, 25 octobre 2012). La Cour dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué ; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à sassurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste (voir, parmi beaucoup dautres, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 52, 20 mars 2018).
63. La Cour note que les parties sont en désaccord sur la question de la légalité de lingérence. Le Gouvernement est davis que la mesure était conforme à la loi en vigueur, tandis que la requérante soutient que les conclusions des juridictions internes étaient entachées darbitraire. La requérante estime en effet que les juridictions internes auraient dû déclarer prescrite laction de son adversaire (paragraphe 53 ci-dessus).
64. Concernant lallégation de la prescription, la Cour ne peut suivre la requérante en effectuant une analyse aussi poussée du droit national. Constatant que lingérence est fondée sur larticle 302 du code civil et les articles 1 et 35 du code foncier, elle ne décèle aucun élément qui lui permette de conclure que la décision de justice litigieuse ordonnant lannulation du titre de propriété de la requérante était entachée darbitraire ou manifestement déraisonnable. Elle considère donc que lingérence a été opérée « dans les conditions prévues par la loi » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
65. Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si la mesure poursuivait « un but dutilité publique ». Le Gouvernement soutient que son objectif était la préservation de lhéritage culturel du pays (paragraphe 44 ci-dessus). La requérante allègue quaucune valeur historique nest attachée à la parcelle supportant le bâtiment, dont seul le sous-sol présente une telle valeur (paragraphe 55 ci-dessus).
66. La Cour est attentive à lanalyse opérée par la justice nationale qui a expliqué que le principe sous-tendant sa décision était celui de lunité du bâtiment et du terrain le supportant. Le tribunal du district Centralny de Volgograd a précisé que ce principe visait à assurer aux propriétaires de biens immobiliers les meilleures conditions de jouissance de leur droit (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour ne voit pas de raison de sécarter de cette analyse et estime donc que la mesure litigieuse a été opérée « pour cause dutilité publique ».
67. En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure, la Cour rappelle quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par une mesure privant une personne de sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V). Analysant la question de lannulation de titres de propriété délivrés par les autorités ou de contrats de vente conclus avec celles-ci, la Cour a pris en compte, en tant que critères essentiels, la question de la responsabilité des parties dans lirrégularité sanctionnée par lannulation du titre. Elle a dit quaucune erreur commise par une autorité publique ne devait être réparée au détriment de la personne concernée (Çataltepe, précité, § 70, Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 40, 13 décembre 2007, et Gladysheva, précité, § 80). Sans le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de larticle 1 (Gladysheva, précité, § 67).
68. En lespèce, la Cour observe que les juridictions internes nont relevé aucune faute dans le chef de la requérante, ni nont imputé à celle-ci la responsabilité de la privatisation entachée dirrégularité du bien litigieux.
69. En revanche, il ressort des décisions rendues par les juridictions russes que cest à lautorité publique qui a agi en outrepassant ses compétences quincombe la responsabilité de laliénation de la parcelle litigieuse (paragraphes 10, 13-15 ci-dessus). Cette erreur ne doit donc pas être réparée au détriment de la requérante. La Cour ne perd pas de vue que lintéressée a acquitté le prix du terrain au profit du Trésor public, quelle quait été sa branche (régionale ou fédérale) (voir, a contrario, Anna Popova c. Russie (no 59391/12, §§ 17 et 35, 4 octobre 2016, et Gladysheva, précité, §§ 24 et 72, dans lesquels les acquéreurs de bonne foi ont acquitté le prix des biens, aliénés à linsu de leur propriétaire, une autorité publique, au profit de tiers non autorisés par le propriétaire). Dans cette situation, priver la requérante de la parcelle sans versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien constitue une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de larticle 1 du Protocole no 1 (Gladysheva, précité, § 67).
70. Ainsi, le « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et celui de lindividu na pas été ménagé. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Gavrilova et autres c. Russie du 16 mars 2021 requête no 2625/17
Article 1 du Protocole 1 : Annulation rétroactive des titres de propriété portant sur des terrains classés « ressources forestières » : ingérence injustifiée
Laffaire concerne lannulation en justice des titres de propriété que détenaient les requérants sur des parcelles de terrain quils avaient achetées après une chaîne de transactions, et la réintégration de ces parcelles dans le patrimoine de lÉtat au motif quil sagissait de « ressources forestières ». La Cour juge en particulier que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs et omissions des autorités, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a donc été rompu.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur des parcelles de terrain achetées et réintégration de celles-ci dans le patrimoine municipal Absence de faute des requérants ayant subi les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions sur la revendication Absence dindemnisation Juste équilibre rompu au détriment des requérants
FAITS
Les requérants sont cinq ressortissants russes, nés entre 1944 et 1985. Ils résident en Russie. Laffaire concerne lannulation en justice des titres de propriété que détenaient les requérants sur des parcelles de terrain quils avaient achetées après une chaîne de transactions, et la réintégration de ces parcelles dans le patrimoine de lÉtat au motif quil sagissait de « ressources forestières ». Le terrain était situé dans le parc résidentiel de loisirs Lesnoïé, ouvert dans le district de Gatchina (région de Leningrad). En septembre 2014, lagence fédérale de gestion du patrimoine de lÉtat (« agence fédérale ») introduisit une action en revendication contre les requérants et cinq autres acheteurs des parcelles issues du terrain litigieux. Le tribunal de Gatchina rejeta laction en estimant que lÉtat avait perdu, depuis 1991, la propriété et la possession du terrain et que cétait aux autorités publiques de veiller à la préservation du patrimoine de lÉtat, et que les requérants acquéreurs de bonne foi ne devaient pas être pénalisés pour la négligence des autorités. Toutefois, la cour régionale de Leningrad, statuant en appel, fit droit à la demande de lagence fédérale en avril 2016. Elle estima en particulier que le terrain relevait des ressources forestières, quil était la propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé à moins que sa catégorie ne fût changée selon les modalités légales, ce qui navait pas été fait en lespèce. Les pourvois en cassation des requérants furent rejetés par deux décisions rendues en juillet 2016.
Article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété)
La Cour constate que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ». Elle note ensuite que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et la préservation de la forêt en tant que composante de lenvironnement appelant une politique daménagement du territoire appropriée. Elle rappelle à cet égard que la protection de lenvironnement est devenue une valeur dont la défense suscite dans lopinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve. En lespèce, en ce qui concerne le comportement des autorités, la Cour relève que celles-ci ont dune part fait preuve dinertie : elles ont omis denregistrer le droit de propriété de lÉtat sur le terrain et la catégorisation de celui-ci en tant que terrain relevant des ressources forestières, elles sont restées inactives pendant près de 24 ans (depuis 1991) alors quelles savaient que lÉtat avait perdu la possession et la propriété du terrain, et elles ont permis labandon et la destruction progressive de la forêt dont celui-ci était couvert. Dautre part, elles ont validé la catégorisation et laffectation du terrain ainsi que les transactions portant sur celui-ci et sur les parcelles issues de sa division. En agissant de la sorte, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence. En outre, en statuant sur laction en revendication engagée par lÉtat, la juridiction dappel qui a admis la bonne foi des requérants na pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés : elle sest bornée à constater que le terrain litigieux avait toujours été propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé. La Cour considère que la juridiction na tenu aucun compte de la bonne foi des acquéreurs, contrairement aux exigences conventionnelles et aux indications des Cours suprême et constitutionnelle Par ailleurs, alors que le tribunal de Gatchina avait indiqué que le but dutilité publique aurait pu être atteint par lapplication de mesures moins drastiques, par exemple au moyen du rachat par lÉtat des parcelles des requérants ou de lattribution aux intéressés dautres parcelles équivalentes, la juridiction dappel na pas envisagé ces possibilités. De surcroît, la cour régionale a conclu que la prescription ne devait pas être utilisée comme un moyen de légitimer des agissements illicites commis au détriment du propriétaire lÉtat et que lagence fédérale navait eu connaissance de la violation des droits de lÉtat quaprès en avoir été informée par le parquet, alors que, selon les constatations faites par le tribunal, non contredites par la cour régionale, plus de 20 ans sétaient écoulés depuis la première transaction avec le terrain. Non seulement cette approche va à lencontre de la pratique de la Cour supérieure de commerce, mais encore elle prive deffet réel les règles de prescription établies par la loi en faisant dépendre la prescription des résultats des vérifications faites par le parquet, lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation dun bien immobilier. Cela donne un avantage disproportionné aux autorités publiques, rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier. En ce qui concerne le comportement des requérants, la Cour observe quil na jamais été allégué quils eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles. Elle ne décèle aucun élément permettant de penser que ce soit le cas. Elle note aussi que les forêts situées sur le territoire des municipalités ne constituaient pas des ressources forestières selon lancien code forestier, et pouvaient se trouver sur des terrains ne relevant pas des ressources forestières selon le nouveau code forestier, de sorte quelles pouvaient être privatisées. Il en résulte que les requérants, étant de bonne foi, se fiant aux autorités et disposant de moyens réduits pour déceler les irrégularités affectant les acquisitions des parcelles, pouvaient légitimement croire quen achetant des parcelles dont certaines au moins étaient boisées, situées sur le territoire de la municipalité, ils agissaient conformément à la loi et quils étaient juridiquement en sécurité. Or, ni la bonne foi des requérants, ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans la procédure interne. Par conséquent, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a donc été rompu et il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention.
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
69. En lespèce, le droit de propriété des requérants sur les parcelles a été annulé quelques années après les achats de ces parcelles. La Cour observe demblée il sagit dun contentieux opposant les requérants - particuliers - à lÉtat (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
70. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être opérée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
71. Selon le Gouvernement, lingérence a été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Les requérants nont pas présenté de contre-arguments sur ce point. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
72. En lespèce, les juridictions russes ont établi que le terrain litigieux relevait des ressources forestières et quil ne pouvait pas être privatisé à moins dêtre converti en une autre catégorie de terrain conformément à la procédure spéciale de conversion, et quelles ont finalement considéré que laction en revendication nétait pas prescrite et était bien fondée. En labsence de moyens présentés par les requérants sur ce point, la Cour ne saurait se prononcer de manière péremptoire sur le point de savoir si la revendication peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, elle nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 75 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
73. La Cour note ensuite quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et la préservation de la forêt en tant que composante de lenvironnement appelant une politique daménagement du territoire appropriée. Elle rappelle à cet égard que la protection de lenvironnement est devenue une valeur dont la défense suscite dans lopinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu (voir Depalle c. France [GC], no 34044/02, CEDH 2010, § 81 et les références qui y sont citées, et, mutatis mutandis, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, § 135, 12 juin 2018)
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
74. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées), et cela indépendamment des préoccupations environnementales. Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres, précité, §§ 138-139, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités dans la présente affaire
75. La Cour observe tout dabord que les autorités nont jamais fait enregistrer de droit de propriété de lÉtat sur le terrain litigieux ce dont elles avaient légalement la possibilité et nont pas fait inscrire ce terrain au cadastre en tant que ressource forestière. Elle estime que, fondamentalement, ce sont ces omissions qui ont rendu possible le transfert du terrain à la collectivité locale, sa privatisation, sa division et la vente des parcelles ainsi créées (voir également, dans le même ordre didées, les considérations exposées dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle, au paragraphe 57 ci-dessus).
76. Elle note également que lautorité chargée de lenregistrement et le service du cadastre nont émis aucune objection quant au terrain puis aux parcelles en cause. Or lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin, et lautorité chargée de lenregistrement était compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 42-43 et 48-49 ci-dessus). De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes, si les documents ne satisfaisaient pas aux exigences légales ou si le terrain et les parcelles, présentées comme urbains, nétaient pas en conformité avec les dispositions légales applicables notamment en matière de gestion forestière (paragraphes 46-47 ci-dessus).
77. Compte tenu des omissions indiquées au paragraphe 75 ci-dessus et du fait que les autorités citées au paragraphe 76 ci-dessus ne pouvaient pas se rendre sur place pour déterminer si le terrain relevait des ressources forestières, si cétait une forêt ne relevant pas des ressources forestières ou encore sil sagissait dune autre catégorie de terrain, la Cour ne saurait sans spéculer se prononcer sur lobligation ou même sur la simple possibilité pour ces autorités de déceler des irrégularités et dempêcher les transactions portant sur le terrain et les parcelles (voir, mutatis mutandis, Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 101, 16 octobre 2018, et Kvyatkovksiy c. Russie (déc.), no 6390/18, § 31, 18 octobre 2018).
78. En revanche, elle considère, comme le tribunal de Gatchina, que lÉtat, en tant que propriétaire du terrain litigieux, disposait dautres organes qui pouvaient, dune part, détecter les irrégularités susceptibles den affecter le devenir (paragraphes 23, 24 et 27 ci-dessus) et, dautre part, agir le cas échéant avant lexpiration du délai de prescription (voir, dans le même ordre didées, larrêt de la Cour supérieure de commerce, au paragraphe 60 ci-dessus). Elle ne peut que souscrire à la conclusion du tribunal de Gatchina selon laquelle le service forestier, le comité créé pour les besoins de la réforme foncière et le comité de gestion du patrimoine de lÉtat, devenu en 2004 lagence fédérale, ne pouvaient pas ignorer que lÉtat avait perdu depuis 1991 la propriété et la possession du terrain en question et que celui-ci avait été divisé et revendu (paragraphes 26-27 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que lÉtat ne peut à bon droit se prévaloir de son organisation interne ou dune distinction entre les différentes autorités publiques (Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 76, CEDH 2007-V (extraits)).
79. En résumé, les autorités ont dun côté fait preuve dinertie elles ont omis denregistrer le droit de propriété de lÉtat sur le terrain et la catégorisation de celui-ci en tant que terrain relevant des ressources forestières, elles sont restées inactives pendant près de vingt-quatre ans alors quelles savaient que lÉtat avait perdu la possession et la propriété du terrain, et elles ont permis labandon et la destruction progressive de la forêt dont celui-ci était couvert (voir, a contrario, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 33, 17 décembre 2019, affaire où les autorités ont réagi rapidement). Dun autre côté, elles ont validé la catégorisation et laffectation du terrain ainsi que les transactions portant sur celui-ci et sur les parcelles issues de sa division. En agissant de la sorte, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence.
80. En outre, en statuant sur laction en revendication engagée par lÉtat, la juridiction dappel qui a admis la bonne foi des requérants (sur ce point, voir les paragraphes 83-85 ci-dessous) na pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés : elle sest bornée à constater que le terrain litigieux avait toujours été propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé. La Cour considère que la juridiction na tenu aucun compte de la bonne foi des acquéreurs, contrairement aux exigences conventionnelles et aux indications des Cours suprême et constitutionnelle (paragraphes 52-57 ci-dessus).
81. Par ailleurs, alors que le tribunal de Gatchina avait indiqué que le but dutilité publique aurait pu être atteint par lapplication de mesures moins drastiques, par exemple au moyen du rachat par lÉtat des parcelles des requérants ou de lattribution aux intéressés dautres parcelles équivalentes (paragraphe 28 ci-dessus), la juridiction dappel na pas envisagé ces possibilités.
82. La Cour note de surcroît que la cour régionale a conclu que la prescription ne devait pas être utilisée comme un moyen de légitimer des agissements illicites commis au détriment du propriétaire lÉtat et que lagence fédérale navait eu connaissance de la violation des droits de lÉtat quaprès en avoir été informée par le parquet (paragraphe 30 ci-dessus), alors que, selon les constatations faites par le tribunal (paragraphe 27 ci-dessus), non contredites par la cour régionale, plus de vingt ans sétaient écoulés depuis la première transaction avec le terrain. Non seulement cette approche va à lencontre de larrêt de la Cour supérieure de commerce (paragraphe 60 ci-dessus), mais encore elle prive deffet réel les règles de prescription établies par la loi en faisant dépendre la prescription des résultats des vérifications faites par le parquet, lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation dun bien immobilier. Cela donne un avantage disproportionné aux autorités publiques (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009), rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement des requérants dans la présente affaire
83. La Cour observe quil na jamais été allégué que les requérants eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles. Pour sa part, elle ne décèle aucun élément permettant de penser que ce soit le cas (voir, a contrario, Maltsev et autres, précité, § 34), eu égard en particulier au droit interne et à la présomption de bonne foi applicable en la matière (paragraphes 50-54 ci-dessus).
84. Par ailleurs, les forêts situées sur le territoire des municipalités ne constituaient pas des ressources forestières selon lancien code forestier, et pouvaient se trouver sur des terrains ne relevant pas des ressources forestières selon le nouveau code forestier (paragraphes 39 et 41 ci-dessus), de sorte quelles pouvaient être privatisées.
85. De lavis de la Cour, il résulte de ce qui précède que les requérants, étant de bonne foi, se fiant aux autorités et disposant de moyens réduits pour déceler les irrégularités affectant les acquisitions des parcelles (paragraphe 57 ci-dessus), pouvaient légitimement croire quen achetant des parcelles dont certaines au moins étaient boisées, situées sur le territoire de la municipalité Siverski, ils agissaient conformément à la loi et quils étaient juridiquement en sécurité.
86. Or, ni la bonne foi des requérants, ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans la procédure interne (Zhidov et autres, précité, § 110).
87. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Partant, le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Il sensuit quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Semenov c. Russie du 16 mars 2021 requête n° 17254/15
Article 1 du Protocole 1 : Lannulation du droit de propriété du requérant sur une parcelle de terrain au profit de la municipalité : violation du droit au respect de la propriété.
Laffaire concerne lannulation du droit de propriété que le requérant avait sur une parcelle de terrain destinée au maraîchage quil avait achetée à une personne physique, et la réintégration de cette parcelle dans le patrimoine municipal dOmsk à la demande du procureur. La Cour considère que les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts publics et privés concurrents. Elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et en ont déduit que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle en cause dans le patrimoine municipal. La Cour observe également que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant. En prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités. Une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur une parcelle de terrain achetée à une personne physique et réintégration de celle-ci dans le patrimoine municipal Absence dimpératif public absolu et peut-être de nécessité Charge exorbitante supportée par le requérant Juste équilibre rompu au détriment du requérant
FAITS
Le requérant, M. Andrey Mikhaylovich Semenov, est un ressortissant russe, né en 1974 et résidant à Omsk. M. Semenov était propriétaire à Omsk dune parcelle de terrain (n° 23 au cadastre) en zone résidentielle sur laquelle était édifiée sa maison. Le 6 décembre 2007, Mme G. demanda à ladministration municipale dOmsk lattribution dune parcelle de terrain pour maraîchage. Le 25 décembre 2008, la direction municipale lui attribua une parcelle, en zone résidentielle, attenante à celle de M. Semenov. En mai 2009, elle fut enregistrée au cadastre sous le n° 24, en tant que parcelle destinée au maraîchage. En septembre 2009, la direction municipale octroya la propriété de la parcelle n° 24 à Mme G., puis établit lacte de vente au mois de décembre 2009.
Le 12 mars 2010, M. Semenov acheta la parcelle n° 24 à Mme G., et fit inscrire son droit de propriété au registre unifié et installa sur la parcelle un garage, une serre, un poulailler et une aire de jeux. Le 12 février 2014, le procureur de la ville dOmsk assigna en justice M. Semenov et la direction municipale, demandant lannulation du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 et sa réintégration dans le patrimoine municipal dOmsk. Le 30 avril 2014, le tribunal rendit son jugement. Il indiqua que dans la zone résidentielle dOmsk, les parcelles étaient à usage principal de construction et ne pouvaient être exclusivement utilisées pour le maraîchage. Le tribunal estima quen affectant la parcelle à un usage de maraîchage et en laliénant, la direction municipale avait outrepassé ses pouvoirs. Le tribunal jugea que le contrat de vente passé entre la direction municipale et Mme G. avait été conclu en violation de la procédure applicable. En conséquence, le tribunal annula le contrat de vente passé entre la direction municipale et Mme G. ainsi que celui conclu entre Mme G. et M. Semenov, ordonna la radiation de la mention du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 et la réintégration de celle-ci dans le patrimoine municipal dOmsk. M. Semenov contesta ce jugement devant la cour régionale dOmsk qui rejeta son appel. Ses pourvois en cassation, puis devant la Cour suprême essuyèrent des refus. Après lintroduction de la requête devant la Cour, la mention du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 fut rayée du registre unifié. M. Semenov demanda à la direction municipale deffectuer un redécoupage des terrains (????????????????? ??????) aux fins daugmenter la superficie de sa propre parcelle n° 23. Par un jugement rendu le 18 février 2016, le tribunal ordonna à la direction municipale de procéder au redécoupage demandé. En application de ce jugement, deux parcelles nouvellement issues de ce redécoupage furent inscrites au cadastre sous de nouveaux numéros. En août 2016, la direction municipale et M. Semenov conclurent un acte par lequel M. Semenov devint propriétaire dune des nouvelles parcelles à destination de construction dun bâtiment à usage individuel avec terrain attenant, pouvant être utilisé pour le jardinage. Le jugement du 30 avril 2014 ne fut pas exécuté dans la partie relative à la réintégration de la parcelle n° 24 dans le patrimoine municipal.
Article 1 du Protocole n° 1
La Cour estime que lannulation du droit de propriété du requérant sanalyse en une « privation de propriété » et note quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. En même temps, le principe de « bonne gouvernance » exige que les autorités agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente, dans tous les cas où, corrigeant leurs propres erreurs, elles se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens. En ce qui concerne le comportement des autorités dans la présente affaire, la Cour relève que les autorités fédérales ont inscrit la parcelle litigieuse (n° 24) au cadastre en tant que destinée au maraîchage, et quelles ont enregistré le droit de propriété de Mme G., puis du requérant sur cette parcelle sans déceler dirrégularités. Par ailleurs, lenregistrement du droit de propriété immobilière est un acte juridique valant reconnaissance de ce droit par lEtat, et lautorité chargée de lenregistrement avait le pouvoir de rejeter la demande denregistrement au cas où elle naurait pas été certaine du pouvoir de disposition du cédant. Au moment de lenregistrement du droit de propriété de Mme G., cette autorité aurait pu détecter lexcès de pouvoir commis par la direction municipale en réalisant une expertise des documents présentés par Mme G. En ce qui concerne les autorités locales, la Cour observe en outre que la direction de la gestion du patrimoine municipal a adopté plusieurs actes qui validaient la vente de la parcelle à Mme G. aux fins de maraîchage. Elle estime donc que les autorités nont pas agi en temps utile et avec cohérence. La Cour considère que les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts publics et privés concurrents. Elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et à en déduire que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle en cause dans le patrimoine municipal. Enfin, la Cour observe que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant. Ainsi, en prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités. Une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier. En ce qui concerne le comportement du requérant, la Cour note que selon le code de lurbanisme, les activités dhorticulture sont possibles dans les zones résidentielles et tient la différence assez subtile entre les activités de maraîchage et dhorticulture. Aussi, compte tenu de la permission légale et du comportement des autorités, en labsence de tout autre motif permettant dincliner vers la mauvaise foi ou la négligence du requérant, la Cour estime que lintéressé a pu légitimement croire quen achetant la parcelle, il agissait conformément à la loi et quil était juridiquement en sécurité. La Cour note quaprès lannulation du droit de propriété du requérant sur la parcelle litigieuse, à lissue de la procédure de redécoupage des terrains, lintéressé a pu racheter une partie de cette parcelle et a conservé la possession sans droit ni titre de lautre partie, à présent propriété municipale, enregistrée sous un autre numéro cadastral. Ces faits, ainsi que le manquement de la ville dOmsk à demander lexécution forcée du jugement du 30 juin 2014 dans le délai légal de trois ans ont compromis la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal. Il en découle, premièrement, que la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal ne constituait pas un impératif public absolu ni peut-être même une nécessité, et deuxièmement, que le requérant a dû supporter des conséquences négatives réelles en raison de lingérence portée dans le droit au respect de ses biens. La Cour conclut que les autorités internes nont pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété du requérant auquel elles ont fait supporter une charge exorbitante. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
53. Le droit de propriété du requérant sur la parcelle a été annulé un peu plus de quatre ans après lachat de cette parcelle. La Cour observe il sagit dun contentieux opposant le requérant particulier à la collectivité publique (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation du droit de propriété du requérant sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
54. La Cour rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être opérée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
55. Le requérant soutient que lingérence litigieuse nétait pas légale, pour deux raisons. Premièrement, il affirme que contrairement à ce quont conclu les tribunaux russes, la ville dOmsk avait bien exprimé sa volonté de disposer de la parcelle no 24, et que dès lors, il était juridiquement impossible de réintégrer cette parcelle dans le patrimoine municipal en vertu de larticle 302 du code civil. Deuxièmement, il estime que laction engagée par le procureur aurait dû être rejetée pour cause de prescription.
56. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
57. En lespèce, eu égard en particulier à lapplication de larticle 302 du code civil et des règles de la prescription par les tribunaux, elle demeure dubitative quant au point de savoir si la mesure litigieuse peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, la Cour nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 60 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
58. La Cour note ensuite quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et le respect des règles durbanisme.
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
59. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées). Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, §§ 138-139, 12 juin 2018, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités dans la présente affaire
60. La Cour relève que les autorités fédérales ont inscrit la parcelle litigieuse au cadastre en tant que parcelle destinée au maraîchage, et ont enregistré le droit de propriété de Mme G. puis du requérant sur celle-ci sans déceler dirrégularités.
61. Or le service du cadastre était compétent pour rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes et si les documents présentés ne satisfaisaient pas aux exigences légales ou si la parcelle créée nétait pas en conformité avec les dispositions légales applicables notamment en matière durbanisme (paragraphes 34-35 ci-dessus).
62. Par ailleurs, lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin, et lautorité chargée de lenregistrement avait le pouvoir de rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 30-33 ci-dessus). Certes, il peut être admis que lorsquelle a traité la demande denregistrement du droit de propriété du requérant, lautorité chargée de lenregistrement, nayant à sa disposition que le contrat de vente, ne pouvait pas vérifier si la direction municipale avait agi en excès de pouvoir (voir, mutatis mutandis, Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 101, 16 octobre 2018, et Kvyatkovksiy c. Russie (déc.), no 6390/18, § 31, 18 octobre 2018). En revanche, avant cela, au moment de lenregistrement du droit de propriété de Mme G., cette autorité aurait pu détecter lexcès de pouvoir commis par la direction municipale, en réalisant une « expertise juridique » des documents que Mme G. avait présentés. Or, la présence dun tel excès de pouvoir constituait un obstacle à lenregistrement du droit de propriété de la venderesse du requérant, en amont à lachat de la parcelle par lui.
63. Quant aux autorités locales, la Cour observe que la direction de la gestion du patrimoine municipal une entité de la municipalité a adopté plusieurs actes qui validaient la vente de la parcelle à Mme G. aux fins de maraîchage : le plan parcellaire, trois décisions municipales et le contrat de vente (paragraphes 6, 7 et 9 ci-dessus). Elle considère que ces actes témoignaient de la volonté de la ville dêtre dépossédée de cette parcelle, au sens de larticle 302 du code civil. Elle estime que la ville dOmsk, en tant que collectivité publique, ne pouvait pas se prévaloir des particularités de son organisation institutionnelle pour exciper dune absence de volonté de disposer du bien, et que, par conséquent, les questions tenant à la répartition des compétences entre les différentes entités municipales et régionales étaient sans incidence sur cette volonté apparente (voir, mutatis mutandis, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 76, CEDH 2007-V (extraits).
64. La Cour considère ainsi quen agissant de la sorte, les autorités fédérales et locales ont, dun côté, manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence, et, dun autre côté, ont validé laffectation de la parcelle au maraîchage et la licéité des transactions dont celle-ci a fait lobjet et ont exprimé la volonté de disposer de ce bien.
65. En outre, en appliquant larticle 302 du code civil à laction en revendication engagée par le procureur, les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés, contrairement aux exigences conventionnelles : elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et à en déduire que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle dans le patrimoine municipal (sur labsence de telles raisons, voir paragraphe 71 ci-dessous).
66. Enfin, la Cour observe que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant, après que lintéressé eut déjà exploité celle-ci et y eut installé certains ouvrages. Or il appartient à ce représentant de lÉtat dapprécier lopportunité de mener ces vérifications et dengager les poursuites lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire décennies. Ainsi, de lavis de la Cour, en prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009). Plus généralement, de lavis de la Cour, une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement du requérant dans la présente affaire
67. La Cour note que la juridiction dappel a considéré que le requérant aurait dû savoir que la zone entourant sa maison était une zone résidentielle où les parcelles ne pouvaient pas être exploitées pour des activités de maraîchage. Elle note en même temps que, selon larticle 35 du code de lurbanisme, les activités dhorticulture sont possibles dans les zones résidentielles (paragraphe 29 ci-dessus). Elle est davis que la différence entre les activités de maraîchage et les activités dhorticulture est plutôt subtile.
68. Aussi, compte tenu de la permission légale précitée et du comportement des autorités (paragraphes 60-64 ci-dessus), et en labsence de tout autre motif permettant de penser que le requérant a été de mauvaise foi ou négligent (voir, en particulier, le droit applicable en la matière, paragraphes 38-41 ci-dessus), la Cour estime que lintéressé a pu légitimement croire quen achetant la parcelle, il agissait conformément à la loi et était juridiquement en sécurité. Elle note par ailleurs que le juge unique de la cour régionale dOmsk a confirmé la bonne foi de lintéressé (paragraphe 19 ci-dessus).
69. Enfin, pour ce qui est de largument du Gouvernement consistant à dire que le requérant na pas saisi lopportunité de demander à Mme G. le remboursement du prix quil lui avait payé, la Cour constate que cétaient les autorités qui étaient à lorigine de lingérence, et non Mme G., dont la bonne foi na jamais été remise en question. En outre, elle nexclut pas que, à la date du prononcé du jugement annulant son droit de propriété, le requérant fût déjà forclos à exercer une action en indemnisation contre sa venderesse. Dans ces conditions, elle estime quil serait excessif dexiger de lui quil engage une nouvelle procédure marquée par une totale incertitude quant à une chance raisonnable de succès et dont le Gouvernement na pas démontré leffectivité pratique, et que, par ailleurs, faire porter le fardeau par un autre particulier de bonne foi naiderait pas à restaurer léquilibre voulu (Gladysheva, précité, § 81, et Zhidov et autres, précité, §§ 111-113, avec les références citées).
4) Les faits survenus après lannulation du droit de propriété du requérant
70. Après lannulation du droit de propriété du requérant sur la parcelle litigieuse, à lissue de la procédure de redécoupage des terrains, lintéressé a pu racheter une partie de cette parcelle moyennant un prix de plus de 3 600 EUR, et il a conservé la possession, sans droit ni titre, de lautre partie de la parcelle, qui est à présent une propriété municipale, enregistrée sous un autre numéro cadastral. Ces faits, combinés avec le manquement de la ville dOmsk à demander lexécution forcée du jugement du 30 juin 2014 dans le délai légal de trois ans (paragraphe 45 ci-dessus), ont compromis la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal.
71. La Cour estime que deux conclusions, contraires à ce que soutient le Gouvernement (paragraphe 52 ci-dessus), découlent de ce qui précède. Dune part, la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal ne constituait pas un impératif public absolu, et nétait peut-être pas nécessaire du tout. Dautre part, le requérant a dû supporter des conséquences négatives réelles en raison de lingérence portée dans son droit au respect de ses biens.
72. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités internes nont pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété du requérant, et quelles ont fait supporter à lintéressé une charge exorbitante.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Seregin et autres c. Russie du 16 mars 2021 requêtes n o 31686/16, n° 45709/16, n° 50002/16, n° 3706/18, n° 24206/18
Art 1 du Protocole 1 : Annulation de titres de propriété privée sur des terrains au profit des municipalités : violation des droits à la protection de la propriété des requérants
Laffaire concerne lannulation par les tribunaux, au profit de municipalités, des titres de propriété des requérants au motif que les transferts initiaux de propriété les privatisations avaient été illicites. La Cour observe que le système légal et administratif russe denregistrement de la propriété foncière, tel quil était en vigueur dans les années 1990-2000, comportait des lacunes. Il ne permettait pas de retracer lhistorique dune parcelle de terrain donnée, de déterminer lidentité des précédents propriétaires, et parfois même, en labsence darpentage, den établir lemplacement et les limites. Ce système favorisait les fraudes dans le domaine foncier. Par ailleurs, lautorité chargée de lenregistrement réalisait une « expertise juridique » des documents présentés, et se trouvait compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant. De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes ou si les documents ou les parcelles créées ne satisfaisaient pas aux exigences légales. Par ailleurs, que les administrations municipales chargées du contrôle municipal foncier disposaient des instruments juridiques et des moyens factuels pour se rendre compte, en temps utile, quelles perdaient la propriété et la possession des parcelles litigieuses et pouvaient alors empêcher les reventes des parcelles. La Cour conclut que les requérants, nayant commis aucune faute, ont dû subir les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers. Ils nont reçu aucune indemnisation pour la privation de leurs biens et le juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur des parcelles de terrain acquises auprès de tiers et réintégration de celles-ci dans le patrimoine municipal Absence de faute des requérants ayant subi les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers, et de lapplication rigide des dispositions sur la revendication Absence dindemnisation Juste équilibre rompu au détriment des requérants
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
89. En lespèce, le droit de propriété des requérants sur les parcelles a été annulé quelques années après les acquisitions de ces parcelles. La Cour observe demblée il sagit dun contentieux opposant les requérants particuliers aux collectivités publiques (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
90. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être mise en uvre « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
91. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
92. En lespèce, eu égard en particulier à lapplication de larticle 302 du code civil et des règles de la prescription par les tribunaux, elle demeure dubitative quant au point de savoir si la mesure litigieuse peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, la Cour nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 95 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
93. La Cour estime ensuite que la mesure en question répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités municipales.
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
94. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées). Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, §§ 138-139, 12 juin 2018, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités agissant dans le cadre du système légal et administratif interne
95. Avant de se pencher sur le comportement des autorités internes, la Cour examinera le système légal et administratif russe en vigueur dans les années 1990-2000.
96. Ce système, qui est au cur de la présente affaire, était le suivant. À partir des années 1990, les personnes physiques eurent la possibilité de devenir propriétaires de terrains. Or, jusquen 1997, il nexistait pas en Russie de registre unifié recensant les titres de propriété foncière. De plus, même après 1997, lenregistrement des droits de propriété nés avant 1998 nétait pas une obligation mais une simple possibilité ouverte aux titulaires de ces droits. Lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin. Cependant, dans le cas du droit de propriété portant sur des parcelles octroyées à des fins de construction individuelle ou dagriculture vivrière, lenregistrement était réalisé selon une procédure simplifiée : pour lobtenir, il suffisait de présenter lacte délivré par lautorité locale. Labsence darpentage ne faisait obstacle ni à linscription dune parcelle au cadastre dÉtat ni à lenregistrement du droit de propriété sur cette parcelle. Enfin, le procédé de « délimitation de la propriété foncière » na été introduit quen 2001, et il nest toujours pas obligatoire actuellement (paragraphes 50-58 ci-dessus). Rien nempêchait, dès lors, les administrations locales de disposer de terrains sans les avoir fait délimiter au préalable.
97. La Cour considère que ce système comportait des lacunes en ce quil entravait la possibilité de retracer lhistorique dune parcelle de terrain donnée, de déterminer qui en avaient été les précédents propriétaires, et parfois même, en labsence darpentage, den établir lemplacement et les limites (Karpov c. Russie [comité], no 53099/10, §§ 59-60, 30 juin 2020). Elle estime que ces lacunes facilitaient les fraudes en matière foncière (voir également, dans le même ordre didées, les considérations exposées dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle, au paragraphe 69 ci-dessus).
98. Se tournant vers la présente affaire, elle observe quil ny a pas eu de « délimitation de la propriété foncière » et quaucun droit de propriété municipal, régional ou fédéral na été enregistré sur les parcelles litigieuses. Par ailleurs, ces parcelles nont été arpentées et inscrites au cadastre dÉtat quentre 2007 et 2010, à linitiative de personnes physiques les premiers acquéreurs des terres.
99. La Cour note également que lautorité chargée de lenregistrement et le service du cadastre nont émis aucune objection quant aux parcelles litigieuses. Or la première de ces autorités réalisait une « expertise juridique » des documents présentés, et était compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 52 et 56 ci-dessus). De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes ou si les documents ou les parcelles créées ne satisfaisaient pas aux exigences légales (paragraphes 59-61 ci-dessus).
100. Certes, il nest pas toujours aisé didentifier le caractère faux dun document présenté comme étant authentique, même lors dun contrôle documentaire. La Cour estime donc concevable que personne en lespèce ni les deux autorités susmentionnées, ni les notaires dans les requêtes nos 31686/16 et 45709/16, ni les autorités municipales nait décelé de falsification des documents justificatifs du droit de propriété sur les parcelles, dautant plus que dans la requête no 3706/18 un maire, un clerc de notaire et un fonctionnaire étaient impliqués dans les délits (paragraphes 36-37 ci-dessus).
101. En revanche, la Cour constate que les administrations municipales étaient chargées du contrôle municipal foncier (paragraphe 75 ci-dessus), de sorte quelles disposaient des instruments juridiques et des moyens factuels pour se rendre compte bien avant les vérifications du procureur ou louverture des enquêtes pénales quelles avaient perdu la propriété et la possession des parcelles litigieuses et pour empêcher les reventes des parcelles. Ce constat simpose plus particulièrement dans les affaires faisant lobjet des requêtes nos 31686/16 et 45709/16, dans lesquelles ladministration avait participé aux opérations darpentage des parcelles, et dans laffaire objet de la requête no 50002/16, dans laquelle ladministration avait modifié laffectation du terrain.
102. Par ailleurs, il est surprenant que, même après louverture des enquêtes pénales dans les affaires faisant lobjet des requêtes nos 3706/18 et 24206/18, les autorités naient rien fait par exemple, imposer des saisies provisoires sur les parcelles visées par ces procédures pénales ou interdire les transactions portant sur ces parcelles pour empêcher les requérants dacquérir de telles parcelles (voir, mutatis mutandis, Alentseva c. Russie, no 31788/06, § 75, 17 novembre 2016).
103. De lavis de la Cour, en agissant dans ce cadre juridique lacunaire (paragraphe 97 ci-dessus) et en commettant les omissions relevées ci-dessus, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence.
104. En outre, en appliquant larticle 302 du code civil aux actions en revendication engagées par les autorités, les juridictions internes qui ont pour la plupart admis la bonne foi des requérants (sur ce point, voir les paragraphes 108-110 ci-dessous) nont pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés, contrairement aux exigences conventionnelles et aux préconisations de la Cour constitutionnelle (paragraphe 67 ci-dessus) : elles se sont bornées à constater que les transferts de propriété initiaux avaient été illicites et à en déduire automatiquement que les municipalités avaient été dépossédées des terrains contre leur volonté.
105. En particulier, les juridictions nont envisagé ni la possibilité de protéger le droit de propriété des requérants en labsence de raisons impératives dintérêt public de réintégrer les parcelles dans les patrimoines municipaux, ni la possibilité pour ladministration dindemniser les défendeurs et, le cas échéant, de se retourner contre les personnes condamnées pénalement, en présence de telles raisons impératives (voir aussi, pour un raisonnement similaire, Pchelintseva et autres, précité § 99). Dès lors, la Cour rejette largument du Gouvernement selon lequel certains des requérants nont pas formé daction récursoire contre leurs cocontractants (paragraphe 88 ci-dessus).
106. Dans le même ordre didées, elle relève que, dans laffaire de M. Afentyev (requête no 3706/18), les tribunaux nont pas mis en balance lintérêt du requérant et de sa famille à vivre dans la maison construite sur la parcelle litigieuse avec lintérêt de la municipalité à faire réintégrer cette parcelle dans le patrimoine municipal.
107. Enfin, en ce qui concerne les règles de prescription applicables aux actions en revendication, selon lesquelles les personnes morales ne peuvent pas être relevées de la prescription extinctive (paragraphe 73 ci-dessus), la Cour observe que les juridictions internes ont pris pour point de départ du délai de prescription tantôt la date des vérifications faites par le procureur tantôt celle de différents actes adoptés dans le cadre des enquêtes pénales relatives aux fraudes foncières. Or il appartient au procureur dapprécier lopportunité deffectuer ces vérifications et dengager des poursuites, et une enquête pénale peut durer plusieurs années et senliser sans jamais aboutir à un jugement de condamnation. Cette approche des juridictions internes ne prend pas en compte les intérêts légitimes des acquéreurs de bonne foi et donne un avantage disproportionné aux autorités publiques (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009) car elle leur permet dengager une action en revendication plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation foncière, au détriment des personnes physiques acquéreurs de bonne foi (en ce concerne lappréciation de la bonne foi des requérants, voir infra). Plus généralement, elle contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement des requérants
108. Dans les procédures qui ont donné lieu aux requêtes nos 31686/16, 45709/16, 50002/16 et 3706/18, il na jamais été allégué que les requérants eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles en question. En revanche, dans celle qui a donné lieu à la requête no 24206/18, la cour régionale de Krasnodar a jugé que la requérante navait pas démontré sa bonne foi. De lavis de la Cour, il est difficile de souscrire à cette conclusion. En effet, la cour régionale na mentionné aucune action ou omission concrètes qui fût de nature à révéler une mauvaise foi ou une négligence de la part de la requérante, de nature à renverser la présomption de bonne foi (paragraphes 63, 65 et 66 ci-dessus).
109. La Cour ne décèle, eu égard au droit interne applicable en la matière et, en particulier, à la présomption de la bonne foi dans les relations juridiques (paragraphes 63-66 ci-dessus), aucun élément de nature à démontrer une négligence ou une mauvaise foi des requérants lors de lachat des parcelles, ni aucune irrégularité qui leur serait imputable. Elle estime que les intéressés ont agi de bonne foi et que, disposant de moyens limités pour détecter déventuelles irrégularités susceptibles dentacher lacquisition des parcelles (paragraphe 69 ci-dessus), ils se sont légitimement fiés aux autorités, qui nont alors pas démenti par leur comportement le sentiment quils avaient dagir en conformité avec la loi et dêtre juridiquement en sécurité.
110. La Cour observe enfin quil na jamais été allégué que les requérants eussent tenté de bénéficier dun effet daubaine dû aux lacunes du système interne (paragraphe 97 ci-dessus). Or ce sont eux qui ont dû finalement supporter les conséquences de ces lacunes (comparer avec Ion Constantin c. Roumanie, no 38515/03, § 42, 27 mai 2010), des agissements frauduleux de tiers et des négligences et omissions des autorités (voir aussi, mutatis mutandis, Pchelintseva et autres, précité, § 98, et Alentseva, précité, § 77) ; et ni leur bonne foi ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans les procédures internes (Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 110, 16 octobre 2018, avec les références qui y sont citées).
111. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers, et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication. En même temps, ils nont reçu aucune indemnisation pour la privation de leurs biens. Partant, le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Il sensuit quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Kaynar et autres c. Turquie du 7 mai 2019 requêtes nos 21104/06, 51103/06 et 18809/07
Violation article 1 du Protocole 1 : Violation du droit de propriété, faute dindemnisation : dorénavant, un recours devant la commission dindemnisation permet dobtenir un dédommagement
La Cour juge en particulier que la modification législative a privé les requérants de la possibilité dobtenir le titre de propriété des terrains, alors quils pouvaient légitimement croire quils avaient satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire. Elle juge aussi que les requérants, qui nont reçu aucune indemnité pour latteinte à leurs biens, ont dû supporter une charge individuelle exorbitante. La Cour juge aussi que le droit national permet dorénavant deffacer les conséquences dune telle violation. En effet, un recours devant la commission dindemnisation, dont les compétences ont été élargies en mars 2019 par lordonnance présidentielle n o 809, permettra aux requérants dobtenir une indemnisation. Estimant que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention, la Cour décide donc de rayer du rôle la partie de laffaire relative à la question de larticle 41 de la Convention.
Violation de larticle 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable).
La Cour juge que la durée des procédures (environ 10 ans), dans le cadre des requêtes introduites par deux requérantes, ne répond pas à lexigence du délai raisonnable. Elle accorde à ces requérantes une satisfaction équitable pour le dommage moral subi.
LES FAITS
En 1993 et 1995, les requérants achetèrent des terrains situés sur lîle de Gökçeada. Ces terrains étaient classés « sites naturels » et ne faisaient lobjet daucun titre de propriété. En 1996, lors de la réalisation des travaux cadastraux, ces terrains furent enregistrés au nom du Trésor public. La même année, les requérants saisirent le tribunal cadastral de Gökçeada en vue dobtenir linscription des terrains à leur nom au registre foncier en application des règles relatives à la prescription acquisitive. En 1999, le tribunal fit droit à leur demande, considérant que les conditions de la prescription acquisitive étaient réunies. Ce jugement fut infirmé par la Cour de cassation, qui estima que les juges de fond navaient pas dûment recherché si les terrains litigieux étaient des pâturages, lesquels ne pouvaient pas faire lobjet dune prescription acquisitive dans un tel cas. En 2004, alors que la procédure devant le tribunal cadastral était en cours, la loi relative à la protection du patrimoine culturel et naturel fut modifiée. Ainsi, les terrains classés « sites naturels » ne pouvaient plus sacquérir par le jeu de la prescription acquisitive. En conséquence, le tribunal débouta les requérants et ordonna linscription des terrains litigieux au nom du Trésor public.
LA CEDH
a) Sur lexistence dun bien
32. La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si les requérants étaient ou non titulaires dun bien susceptible dêtre protégé par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se sont trouvés les requérants est de nature à relever du champ dapplication de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
33. Sagissant de la portée autonome de la notion de « bien », la Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie (Iatridis c. Grèce [GC], nº 31107/96, § 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], nº 33202/96, § 100, CEDH-2000-I). Il importe donc dexaminer, dans chaque affaire soumise à son examen, si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole nº 1 à la Convention. Dans cette optique, la Cour estime quil y a lieu de tenir compte des éléments de droit et de fait suivants.
34. Elle rappelle que, en droit turc, linscription dun bien immeuble au registre foncier est en principe le seul acte juridique constitutif du droit de propriété (Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03 et 3 autres, § 42, 3 mars 2009, et Ipseftel c. Turquie, no 18638/05, § 50, 26 mai 2015). À cet égard, elle note quil nest pas contesté que les requérants ne disposaient pas dun titre de propriété inscrit au registre foncier. Elle observe cependant que, avant la modification législative, les requérants avaient obtenu un jugement de première instance en leur faveur (comparer avec Smokovitis et autres c. Grèce, no 46356/99, § 32, 11 avril 2002). En effet, elle note que, dans son jugement du 7 octobre 1999, le tribunal cadastral de Gökçeada, qui a tranché la cause en première instance, a conclu que les conditions dacquisition de la propriété par prescription acquisitive étaient réunies. Elle note aussi que, pour établir que les requérants avaient réellement exercé une possession continue sur les terrains en cause, le tribunal a tenu compte dun certain nombre déléments, comme les rapports des expertises agricoles, les déclarations des témoins et des experts locaux et techniques ainsi que des documents présentés par les parties ou recueillis doffice, dont les plans cadastraux et les registres des impôts et du cadastre relatifs aux biens en question (paragraphe 11 ci-dessus).
35. Quant à la Cour de cassation, la Cour constate que celle-ci, dans son arrêt rendu le 12 octobre 2001, a infirmé le jugement du 7 octobre 1999 au motif que les juges du fond navaient pas dûment recherché si les terrains litigieux étaient des pâturages, lesquels ne pouvaient pas faire lobjet dune acquisition par prescription acquisitive. Elle observe que la Cour de cassation a aussi relevé que, selon les déclarations des témoins et des experts locaux, les requérants nutilisaient plus le terrain depuis plusieurs années et quelle a estimé quil y avait lieu de rechercher si les intéressés avaient abandonné la possession et, dans laffirmative, depuis combien de temps (paragraphe 12 ci-dessus).
36. La Cour constate que, lors de la procédure qui sest déroulée après linfirmation du jugement de première instance par la Cour de cassation, le tribunal a complété le dossier, conformément à la demande de la Cour de cassation. Il a ainsi établi avec certitude que les terrains litigieux nétaient pas des pâturages (paragraphe 15 ci-dessus). Quant à la question de savoir si les terrains en question avaient réellement été utilisés par les requérants sans interruption, il ressort du dossier que le tribunal avait établi dans son premier jugement que, même si les terrains en question nétaient pas cultivés depuis un certain temps, cela était dû au fait que du bétail y était élevé (paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, lors de la seconde phase de la procédure, les experts et les témoins ont confirmé la possession continue des biens en question par les requérants et aucun élément de fait donnant à penser que ceux-ci avaient abandonné ces biens na été identifié (paragraphe 13 ci-dessus).
37. Par conséquent, de lavis de la Cour, avant lintervention de la loi litigieuse, les requérants pouvaient prétendre avoir satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire relativement aux biens immeubles queux-mêmes ou leurs vendeurs possédaient depuis très longtemps. Ils avaient donc au moins une « espérance légitime » de voir se concrétiser leur créance, cest-à-dire dobtenir la reconnaissance effective dun droit de propriété. La Cour estime que leurs prétentions à être déclarés propriétaires des terrains en question avaient une base suffisante en droit national pour être qualifiées de « valeurs patrimoniales » et donc de « biens » protégés par larticle 1 du Protocole no 1 (voir, notamment, Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre 1996, § 75, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, Ipseftel, précité, §§ 56-57, et, mutatis mutandis, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 52, CEDH 2004-IX, Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 70, CEDH 2005-IX, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi, précité, § 50, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 143-144, 20 mars 2018).
b) Sur la nature de lingérence
38. Pour la Cour, le cas despèce présente des similitudes avec laffaire Ipseftel précitée, qui concernait limpossibilité pour la requérante dobtenir le titre de propriété dun bien immobilier, alors que son donateur avait satisfait à lexigence de possession paisible et ininterrompue à titre de propriétaire pendant plus de vingt ans. Dans cette affaire, elle rappelle avoir considéré que les décisions judiciaires portant rejet des revendications de propriété de la requérante constituaient une « privation de propriété » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Ipseftel, précité, § 62).
39. Par ailleurs, elle indique que, dans laffaire Maurice précitée, où il était question dune loi ayant supprimé avec effet rétroactif une partie substantielle des créances en réparation dont les requérants pouvaient légitiment espérer bénéficier, elle a considéré que ladite loi avait entraîné une ingérence dans lexercice des droits de créance en réparation que lon pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqualors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens. Elle a ainsi conclu que cette ingérence sanalysait en une « privation de propriété » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Maurice, précité, §§ 79-80).
40. En lespèce, la Cour estime opportun de suivre sa jurisprudence précitée. À cet égard, elle observe que, le 14 juillet 2004, larticle 11 de la loi no 2863 a été modifié de manière à étendre sa portée aux sites naturels. Elle estime que cette modification législative a privé les requérants de la possibilité dobtenir le titre de propriété des biens en question, alors que, comme il a été expliqué ci-dessus (paragraphe 37), les intéressés pouvaient légitimement croire quils avaient satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire relativement aux biens immeubles queux-mêmes ou leurs vendeurs possédaient depuis très longtemps. La Cour considère donc que la loi litigieuse a entraîné une ingérence dans lexercice des droits de propriété que lon pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqualors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens.
41. Dans ces conditions, force est de conclure que les décisions judiciaires portant rejet des revendications de propriété des requérants constituent une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Ipseftel, précité, § 62, Maurice, précité, § 80 ; voir aussi, mutatis mutandis, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 34, série A no 332, et Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A. c. Italie, no 6154/11, § 63, 23 septembre 2014).
c) Sur la justification et la proportionnalité de lingérence
42. Larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer lusage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est inhérente à lensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III, et Iatridis, précité, § 58).
43. La Cour relève que lingérence est constituée par la législation entrée en vigueur en 2004 et par son application en lespèce. Elle est donc convaincue que lingérence a satisfait à la condition de légalité énoncée dans la disposition précitée.
44. La Cour rappelle également que les autorités nationales disposent dune certaine marge dappréciation pour déterminer ce qui est « dutilité publique » car, dans le système de la Convention, il leur appartient de se prononcer les premières tant sur lexistence de problèmes dintérêt public justifiant des privations de propriété que sur les mesures à prendre pour les résoudre (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 37). En lespèce, elle observe que, dans son jugement du 9 juin 2005, le tribunal a considéré que, par dérogation au principe de non-rétroactivité qui interdit normalement lapplication dune loi nouvelle à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, il convenait dappliquer cette nouvelle modification législative à la procédure en question au motif quil sagissait dune question dordre public (paragraphe 15 ci-dessus).
45. À cet égard, aux yeux de la Cour, une simple référence à lordre public dans le jugement du tribunal de première instance ne suffit pas à justifier une telle application rétroactive dune loi. Certes, la Cour dit être disposée à admettre que la modification législative a pour objectif de protéger lenvironnement (voir, mutatis mutandis, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 79, CEDH 2007-V (extraits), et Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A., précité, § 67). Elle considère quil sagirait certainement là dun motif légitime, conforme à lintérêt général. Cependant, elle se doit de noter que, le 22 mai 2007, cest-à-dire après un délai de moins de trois ans, ladite loi a été à nouveau modifiée de manière à exclure tous les terrains classés en sites naturels dont relèvent les biens litigieux de son champ dapplication (voir, mutatis mutandis, Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08 et 2 autres, § 63, 7 juin 2011). Dorénavant, de même quau moment de lintroduction de linstance en lespèce, les terrains se trouvant dans les sites naturels peuvent sacquérir par voie dusucapion (paragraphe 21 ci-dessus). Par conséquent, pour la Cour, compte tenu de labsence de toute information de quelque nature que ce soit sur la portée de lapplication rétroactive de la modification législative en question, il est difficile de conclure quil existait une corrélation pratique entre la rétroactivité de la loi en cause, restée en vigueur moins de trois ans, et la protection de lenvironnement en général.
46. En outre, la Cour rappelle quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par lÉtat, y compris les mesures privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 38, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V). Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le « juste équilibre » voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités dindemnisation prévues par la législation interne. Même si larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne garantit pas dans tous les cas le droit à une réparation intégrale (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V), sans le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive (Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A., précité, § 71).
47. La Cour observe que, comme il est déjà établi que lingérence litigieuse satisfaisait à la condition de légalité, une réparation non intégrale ne rendrait pas illégitime en soi la mainmise de lÉtat sur les biens des requérants. Cependant, comme dans laffaire Ipseftel précitée (§ 67), elle constate que les requérants nont reçu aucune indemnité pour latteinte à leurs biens. Elle note que le Gouvernement na invoqué aucune circonstance exceptionnelle pour justifier labsence totale dindemnisation.
48. La Cour estime donc que, même à supposer que lingérence litigieuse ait pour finalité de protéger lenvironnement, une telle ingérence dans les droits des requérants nest pas conciliable avec le juste équilibre à préserver entre les intérêts en jeu (voir, mutatis mutandis, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 43) et il ny a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés. Elle en conclut que, nonobstant la marge dappréciation dont lÉtat dispose en la matière, les requérants ont dû supporter une charge individuelle exorbitante, ce qui a emporté violation de leurs droits protégés par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
ARTICLE 6-1
56. La Cour note que la période à considérer a commencé le 10 juin 1996 avec la saisine du tribunal et quelle sest terminée le 6 juin 2006, date à laquelle la Cour de cassation a rejeté la demande de rectification darrêt. La procédure a donc duré environ dix ans.
57. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée dune procédure doit sapprécier suivant les circonstances de la cause et à laide des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier eu égard à la complexité de laffaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes ainsi quà lenjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup dautres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 209, 27 juin 2017).
58. À la lumière de sa jurisprudence en la matière et compte tenu notamment de la durée qui sétait écoulée après linfirmation du jugement de première instance par la Cour de cassation, elle considère que la durée totale de la procédure litigieuse ne répond pas à lexigence du « délai raisonnable ».
59. Partant, elle conclut quil y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention.
ÇATALTEPE c. TURQUIE du 19 février 2019 requête n° 51292/07
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : Lors d'un remembrement, le requérant perd une partie de ses biens. La Cour relève que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités, et que lintéressé ne sest pas vu verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain équivalent. Partant, elle estime que le juste équilibre a été rompu et que le requérant a supporté une charge spéciale et exorbitante par le fait davoir été privé de son droit de propriété sans contrepartie.
Article 1 du Protocole 1
43. Le requérant allègue que lannulation, sans contrepartie, de son titre de propriété, ainsi que les limitations apportées à son droit de propriété concernant lensemble de ses parts ont enfreint son droit au respect de ses biens
49. Le requérant indique quil sest retrouvé indivisaire de la parcelle litigieuse avec trois autres personnes, inconnues de lui, à la suite dun remembrement urbain réalisé par les autorités. Il indique ensuite quil a acheté les parts de ces personnes sur ce bien lors dune vente aux enchères réalisée en application dune décision de justice définitive portant dissolution de lindivision, et que linscription de son droit de propriété au registre foncier reposait donc sur une décision de justice définitive.
50. Le requérant ajoute que le Trésor public est intervenu dans la procédure relative à la dissolution de lindivision et quil a eu la possibilité de défendre ses intérêts. Il dit que le tribunal dinstance ayant décidé la dissolution de lindivision, en loccurrence le 10e tribunal dinstance dAnkara, na pas jugé utile daccéder à la demande de sursis à statuer présentée par le Trésor public. Le requérant reproche à ce dernier davoir attendu près de quatre ans avant dintroduire une action en annulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi. Il estime que le Trésor public aurait dû engager une action en indemnisation contre Kazim Tiftikçi au lieu dintroduire une action en annulation de son titre de propriété.
51. Le requérant soutient quil nétait pas question dune inscription irrégulière de son droit de propriété au registre foncier, et il argue que la Cour de cassation est allée au-delà de sa pratique et quelle a jugé quil devait payer pour des erreurs commises par le Trésor public et les juges du fond. Il dit que, à supposer que linscription eût été irrégulière, pour décider lannulation de son titre de propriété, il aurait fallu établir sa mauvaise foi ce qui daprès lui na pas été le cas. Le requérant affirme quil sest retrouvé in fine privé de sa propriété, sans aucune contrepartie.
CEDH
56. Larticle 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général et dassurer le paiement des amendes. Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers datteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II, et plus récemment, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 289, 28 juin 2018).
57. La Cour note que le requérant a acheté les parts litigieuses lors dune vente aux enchères ordonnée par une décision de justice, et réalisée dune manière strictement encadrée par les autorités. Ensuite, lintéressé a fait inscrire son droit de propriété au registre foncier. Bien que ce titre de propriété ait été annulé par la suite, la Cour considère que le requérant disposait dun « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (voir, en ce sens, Ahmet Nuri Tan et autres c. Turquie, no 18949/05, § 23, 31 mai 2011, et Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 69, 6 décembre 2011).
58. La Cour estime que lannulation de linscription au registre foncier du droit de propriété du requérant a bien constitué une ingérence dans le droit de lintéressé au respect de ses biens, et sanalyse en une « privation » de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. En ce qui concerne la légalité de cette ingérence, ladite ingérence ayant résulté dune décision judiciaire, la Cour est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne a été interprété et appliqué par les juridictions internes a produit des effets conformes aux principes de la Convention. Pour déterminer si lingérence contestée cadrait avec le principe de légalité, elle doit se situer essentiellement par rapport à la motivation donnée à cet égard par les juridictions nationales pour conclure que linscription foncière était irrégulière et que le requérant était de mauvaise foi, en gardant à lesprit que cest aux juridictions nationales que linterprétation de la législation interne incombe au premier chef (voir, par exemple, Wittek c. Allemagne, no 37290/97, § 49, CEDH 2002-X).
59. En lespèce, la Cour ne peut que constater linsuffisance de la motivation de larrêt de la Cour de cassation du 1er février 2005, de sorte que cet arrêt ne permet guère didentifier ni la disposition de loi ayant servi de fondement à la haute juridiction ni la jurisprudence appliquée au cas du requérant. Sans faire aucune mention à un texte de loi ou à une jurisprudence, et après un exposé lapidaire des procédures, la Cour de cassation a conclu à la hâte à lirrégularité de linscription foncière et à la mauvaise foi du requérant, sans aucune explication (paragraphe 31 ci-dessus).
60. La Cour éprouve des difficultés à suivre la Cour de cassation dans son raisonnement. Elle estime nécessaire de rappeler ici le contexte de la présente affaire. En 1995, le requérant et deux autres indivisaires ont introduit une action en dissolution de lindivision, étant donné que le quatrième et dernier indivisaire, Tiftikçi Dede, demeurait introuvable. Dans le cadre de la procédure ainsi engagée, un dénommé Kazim Tiftikçi sest manifesté, affirmant quil était lhéritier de Tiftikçi Dede. Lintéressé a produit un certificat dhéritier que le tribunal dinstance de Beypazari lui avait délivré à la suite de la rectification de son registre détat civil par une autre décision de justice. La qualité dhéritier de Kazim Tiftikçi a ainsi été reconnue par les juridictions nationales. Le 27 janvier 2000, le 10e tribunal dinstance, sappuyant aussi sur ce certificat héritier, a prononcé la dissolution de lindivision et la mise en vente du terrain par voie dadjudication. Le tribunal na pas jugé utile dattendre lissue de laction en annulation du certificat dhéritier introduite par le Trésor public, écartant ainsi la demande expresse de sursis à statuer formulée par ce dernier. La procédure dadjudication a été menée par le service de lexécution forcée, conformément à la décision de justice. Le requérant a acheté les parts litigieuses par le biais de la vente aux enchères réalisée sous le contrôle des autorités, et il a fait inscrire son droit de propriété dans le registre foncier.
61. La Cour note que lexamen des éléments du dossier ne révèle aucune irrégularité imputable au requérant. Rien ne permet de penser que celui-ci ait été, dans une quelconque mesure, à lorigine de lannulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi ou de son titre de propriété. À cet égard, lon ne saurait reprocher au requérant, comme le fait le Gouvernement, de nêtre pas intervenu dans la procédure introduite par le Trésor public devant le 11e tribunal dinstance aux fins de lannulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi, aux côtés de ce dernier. La Cour ne voit pas en quoi une telle intervention à supposer quelle eût été acceptée aurait permis de changer lissue de cette procédure. Elle note du reste que le requérant na pas été assigné en intervention forcée dans cette procédure.
62. Dès le début de la procédure en dissolution de lindivision, le requérant a demandé la désignation dun agent de la trésorerie principale comme tuteur, pour la défense des intérêts du propriétaire indivis absent (paragraphe 8 ci-dessus). Lors de la dernière audience, en date du 27 janvier 2000, il a demandé le blocage de largent de la vente sur un compte bancaire, dans léventualité de la désignation du Trésor public comme héritier (paragraphe 12 ci-dessus). Pour la Cour, lon ne saurait déduire la mauvaise foi du requérant du seul fait que celui-ci était représenté par la même avocate que Kazim Tiftikçi.
63. La Cour considère au contraire que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités. Elle note ici que le 10e tribunal dinstance dAnkara, alors quil était parfaitement au courant de laction en annulation du certificat dhéritier introduite par le Trésor public, et malgré la demande expresse de sursis à statuer formulée par ce dernier, na pas jugé nécessaire dattendre lissue de laction en question. Ce tribunal a prononcé la dissolution de lindivision et la vente aux enchères du bien, alors quil lui était parfaitement loisible dattendre lissue de laction introduite par le Trésor public.
64. La Cour note également que le 3e tribunal de grande instance a décidé dinscrire une mesure conservatoire au registre foncier concernant lensemble des parts du requérant, tant sur celles que ce dernier avait achetées à lindivisaire Tiftikçi Dede que sur celles quil détenait à lorigine, alors même que seules les parts achetées étaient objet de laffaire. De même, le 30 juin 2005, ce même tribunal a annulé le titre de propriété du requérant dans son intégralité.
65. Quant au Trésor public, la Cour constate que celui-ci, bien quinformé de la procédure en dissolution de lindivision dès le début, a attendu plusieurs années avant de demander à être désigné comme héritier. Elle note également quil nest pas intervenu dans la procédure introduite par Kazim Tiftikçi devant le tribunal dinstance de Beypazari, alors quune telle intervention lui aurait permis de contester à temps la qualité dhéritier de celui-ci. Par ailleurs, comme le requérant le fait remarquer, le Trésor public aurait aussi pu demander lapplication dune saisie conservatoire sur largent de la vente.
66. Pour la Cour, lapproche de la Cour de cassation dans la présente affaire dénote une volonté de protéger lintérêt du Trésor public au détriment de celui du requérant, cette haute juridiction ayant essayé de faire supporter à ce dernier lentière responsabilité de faits imputables exclusivement aux autorités.
67. La Cour note en outre que la présente affaire diffère sensiblement des affaires citées par le Gouvernement quant à la matière concernée. Dans les affaires en question, des héritiers avaient fait inscrire des terrains à leur nom au registre foncier en tant que propriétaires de première main grâce à des certificats dhéritiers frauduleux, en ce sens quils avaient sciemment tenu à lécart dautres héritiers, puis ils avaient vendu ces biens à dautres personnes qui étaient en mesure davoir connaissance de cette irrégularité. Les affaires citées par le Gouvernement ne sauraient donc être pertinentes dans lexamen de la présente affaire.
68. Aussi la Cour considère-t-elle que de sérieux doutes surgissent quant à la prévisibilité pour le requérant de lannulation de son titre de propriété. Toutefois, elle juge quil ne simpose pas ici de trancher cette question, lingérence litigieuse nétant de toute façon pas proportionnée, pour les raisons exposées ci-après.
69. Sagissant donc de la proportionnalité de lingérence, la Cour rappelle à cet égard quune mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par une mesure privant une personne de sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V).
70. La Cour rappelle aussi avoir déjà examiné dans dautres affaires la question de lannulation par les tribunaux internes, après plusieurs années, de titres de propriété délivrés par les autorités ou de contrats de vente conclus avec celles-ci. Elle a toujours pris en compte, en tant que critères essentiels dans lexamen de la proportionnalité de la privation, la question de la responsabilité des parties dans lirrégularité sanctionnée par lannulation du titre et le caractère essentiel ou au contraire plutôt mineur de cette irrégularité (voir, entre autres, Ion Constantin c. Roumanie, no 38515/03, § 43, 27 mai 2010, et les références qui y figurent).
71. La Cour rappelle également le principe selon lequel les erreurs commises par les autorités publiques doivent profiter à la personne concernée, spécialement quand aucun autre intérêt privé nest en jeu. En dautres termes, le risque de toute erreur de la part dune autorité publique doit être supporté par lÉtat et aucune erreur ne doit être réparée au détriment de la personne concernée (Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 40, 13 décembre 2007, et Gladysheva, précité, § 80).
72. Or, en lespèce, la Cour relève que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités, et que lintéressé ne sest pas vu verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain équivalent. Partant, elle estime que le juste équilibre a été rompu et que le requérant a supporté une charge spéciale et exorbitante par le fait davoir été privé de son droit de propriété sans contrepartie. Pour la Cour, cette charge a été aggravée par limpossibilité pour le requérant de disposer librement, pendant plusieurs années, des parts quil détenait à lorigine.
73. Partant, la Cour rejette les exceptions du Gouvernement et conclut à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
BASA c. TURQUIE du 15 janvier 2019 requêtes n° 18740/05 et 19507/05
Non violation de l'article 1 du Protocole 1 : Le Trésors Public a déclaré que des surfaces lui appartenait alors que les requérants considèrent qu'elles sont leur propriété. La Cour de Cassation a rendu une décision arbitraire, en faveur du Trésor public. Si la propriété est contestée, ce n'est pas un bien au sens de la Convention. La CEDH n'a pas compétence pour examiner l'interprétation des juridictions internes. Une différences de surface est dans la marge d'appréciation des Etats.
1. Les principes généraux
80. La Cour rappelle quun requérant ne peut alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, c), CEDH 2004-IX, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 142, 20 mars 2018). La notion de « biens » a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des valeurs patrimoniales et donc des « biens » aux fins de cette disposition (Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 171, CEDH 2012). Si larticle 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens (Kopecký, précité, § 35, a)), la notion de « biens » peut recouvrir tant des biens actuels que des créances suffisamment établies pour être considérées comme des valeurs patrimoniales (Kopecký, précité, § 42, et Radomilja et autres, précité, § 142).
81. La Cour rappelle ensuite quun titre de propriété régulièrement enregistré peut constituer, en vertu du droit interne applicable, la preuve de lexistence dun droit de propriété sur le bien en cause (voir, en ce qui concerne le droit turc, Riemer et autres c. Turquie, no 18257/04, § 36, 10 mars 2009, Dogancan c. Turquie (déc.), no 17934/10, § 22, 15 octobre 2013, et Dönmez et autres c. Turquie (déc.), no 19258/07, § 71, 30 janvier 2018).
82. Lorsque lintérêt patrimonial concerné est de lordre de la créance, il ne peut être considéré comme une valeur patrimoniale protégée par larticle 1 du Protocole no 1 que lorsquil a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsquil est confirmé par une jurisprudence constante des tribunaux internes, cest-à-dire lorsque la créance est suffisamment établie pour être exigible (Kopecký, précité, §§ 49 et 52, Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano, précité, § 173, et Radomilja et autres, précité, § 142). À cet égard, des créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » de les voir se concrétiser, cest-à-dire dobtenir la jouissance effective dun droit de propriété, peuvent constituer des valeurs patrimoniales (voir, entre autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII, et Kopecký, précité, § 35, c)). Toutefois, une espérance légitime na pas dexistence indépendante : elle doit être rattachée à un intérêt patrimonial pour lequel il existe une base juridique suffisante en droit national (Kopecký, précité, §§ 45-53, et Radomilja et autres, précité, § 143). En outre, un requérant ne peut en principe passer pour jouir dune créance suffisamment certaine sanalysant en une valeur patrimoniale aux fins de larticle 1 du Protocole no 1 lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (voir, par exemple, Kopecký, précité, § 50, et Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano c. Italie, précité, § 173 ; comparer Radomilja et autres, précité, § 149).
2. Application en lespèce des principes généraux
83. La Cour observe que les revendications de propriété des requérants reposaient principalement sur leur titre de propriété datant de 1887.
84. Un tel titre immatriculé au registre foncier constitue en droit turc la preuve incontestable dun droit de propriété.
85. Toutefois, si les limites décrites sur celui-ci couvraient un ensemble denviron 51 291 m², la superficie mentionnée nétait que de 5 décarres (environ 5 000 m²).
86. La question qui se pose dès lors est de déterminer lentendue du terrain que le titre couvrait.
87. Or, la Cour observe que cette question, liée à la valeur des titres immatriculés, relève du droit national, lequel, en loccurrence larticle 20 de la loi sur le cadastre, régit ce type de contradiction en indiquant les situations dans lesquelles cest la superficie mentionnée sur le titre qui doit être retenue et celles dans lesquelles cest la superficie découlant des limites qui doit prévaloir.
88. Interprétant et appliquant le droit turc, les juridictions nationales ont estimés que le titre des requérants ne concernait quun bien de 5 décarres, étant donné que les limites décrites dans ledit titre nétaient pas stables et ne pouvaient dès lors être retenues pour fixer la superficie du bien.
89. Il y avait certes eu une controverse en droit interne sur la question de savoir si cétaient les limites ou bien la superficie indiquées par le titre qui devaient prévaloir. Si le TGI a initialement tranché la question en faveur des requérants, son jugement a été cassé et les juridictions ont finalement estimé que le titre des requérants correspondait à un bien de 5 décarres. Or, on ne peut conclure à lexistence dune « espérance légitime » lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (Kopecký, précité, § 50).
90. Par ailleurs, la Cour rappelle quelle na pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans linterprétation de la loi nationale ; cest au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, quil incombe dinterpréter la législation interne (Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).
91. Elle ne relève rien darbitraire ou de manifestement déraisonnable dans lappréciation de la Cour de cassation. À cet égard, elle ne perd pas de vue que les experts avaient pu identifier le cours de la rivière, et donc les limites du bien, en 1927, cest-à-dire avant les inondations de 1946. Elle relève toutefois, comme linvite dailleurs à la faire le Gouvernement, que le titre avait été établi en 1887 et que rien ne permettait de déterminer le cours du fleuve à cette époque et donc didentifier les limites du terrain. Dès lors, lapproche consistant à privilégier la superficie, qui avait été mentionnée au moment de létablissement du titre, est loin dêtre déraisonnable.
92. En ce qui concerne le jugement du tribunal dinstance de 1947 qui considère que la superficie du bien des requérants étaient de 51 291 m², la Cour de cassation a estimé que celui-ci ne liait pas le Trésor. La Cour observe que ce jugement du tribunal a été rendu dans le cadre dune action en partage à laquelle le Trésor na pas participé et que les requérants ne fournissent aucun argument permettant daffirmer que ledit jugement était opposable au Trésor.
93. Il en va de même des autres jugements présentés par les intéressés.
94. Quant à la circonstance que les requérants aient perçu une indemnité pour lexpropriation dune partie du terrain litigieux, la Cour estime que celle-ci ne pouvait avoir pour conséquence de modifier la superficie couverte par le titre, ni de contraindre les juridictions nationales à fixer la superficie du bien dune manière autre que celle qui était prévue par la loi. Elle pouvait tout au plus signifier quau moment de lexpropriation les requérants avaient été reconnus propriétaires ou possesseurs des parcelles expropriées.
95. La Cour relève quoutre le titre, les requérants fondent également leur revendications de propriété sur la prescription acquisitive. À cet égard, les intéressés semblent sêtre appuyés sur larticle 639 de lACC (actuellement larticle 713 du NCC), en vertu duquel toute personne ayant exercé une possession continue et paisible à titre de propriétaire pendant vingt ans sur un bien immeuble pour lequel aucune mention ne figure au registre foncier, peut demander linscription au registre foncier de ce bien comme étant sa propriété (paragraphe 53 ci-dessus). De ce point de vue, la « possession » pour laquelle les requérants demandent la protection de larticle 1 du Protocole no 1 était de la nature dune créance plutôt que dun bien actuel (voir, mutatis mutandis, Majcan c. Croatie (déc.), no 45366/14, § 26, 18 septembre 2018).
96. Les tribunaux ont conclu que, même si les requérants pouvaient faire valoir quils exerçaient une possession de longue date sur le bien litigieux, le droit turc excluait la possibilité dacquérir par prescription les terrains constituant le lit dune rivière (paragraphe 37 ci-dessus).
97. Là encore, la Cour rappelle quelle dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, sauf si les décisions de ces derniers sont entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste.
98. Or, la Cour naperçoit rien darbitraire ou de manifestement déraisonnable dans lappréciation des juridictions nationales. Rien ne lui permet donc de sécarter des conclusions desdites juridictions qui ont rejeté les arguments des intéressés et jugé que ces derniers ne pouvaient se prévaloir de la prescription acquisitive.
99. La Cour rappelle que dans plusieurs affaires où les prétentions des requérants se fondaient également sur les règles de la prescription acquisitive, elle a estimé quen labsence de base légale suffisante en droit interne, aucune espérance légitime de pouvoir continuer à jouir du « bien » et den devenir propriétaire navait pu juridiquement naître dans le chef des requérants (Sarisoy et autres c. Turquie, no 21303/07, §§ 26 à 36, 14 octobre 2014). Elle naperçoit aucune raison pour parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire.
100. Compte tenu de lensemble de ces éléments, la Cour estime que le « bien » des requérants, au sens de la Convention, nétait pas de 51 291 m² comme ils le soutiennent, mais de 5 décarres, surface indiquée sur leur titre.
101. Les requérants ne pouvant se prévaloir dun « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1, pour la partie des terrains litigieux excédant les 5 décarres mentionnées sur leur titre, les garanties de cette disposition ne trouvent pas à sappliquer dans ce contexte.
102. Il est vrai que les requérants nont pas obtenu la totalité de cette surface mais seulement 2 555 m² en raison de la déduction dune surface que les intéressés avaient cédée aux autorités pour la construction dune route (voir paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, ces derniers nont jamais fait grief de cette déduction opérée par les juridictions nationales au titre de la construction dune route.
103. Il sensuit que le grief tiré du droit au respect des biens est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de larticle 35 § 3, et doit être rejeté en application de larticle 35 § 4.
Tkachenko c. Russie du 20 mars 2018, requête n° 28046/05
Article 1 du Protocole 1 : Les requérants ont été privés de leur droit de propriété en méconnaissance de la procédure dexpropriation prévue par la loi russe
Laffaire concerne une procédure dexpropriation portant sur la maison des requérants, laquelle était sise sur un terrain appartenant à la municipalité. La municipalité décida de louer ledit terrain à un entrepreneur privé en vue de la construction dun immeuble multi-habitation. Ce dernier assigna les requérants en justice, demandant quil soit mis fin à leur droit de propriété. Cette demande fut accueillie par les juridictions internes. La Cour juge en particulier que lingérence dans le droit de propriété des requérants na pas été opérée selon les conditions prévues par la loi russe. Dune part, la procédure prévue par le code civil concernant lexpropriation et destinée à fournir aux propriétaires expropriés certaines garanties na pas été respectée. Dautre part, le tribunal sest référé à larticle 239 du code civil pour accueillir la demande en justice de lentrepreneur privé de mettre fin au droit de propriété des requérants alors que cet article ne permettait quà une autorité publique de former une telle demande.
CEDH
a) Sur lexistence et la nature de lingérence
48. En lespèce, nul ne conteste que la partie de la maison dont les requérants étaient copropriétaires sanalyse en un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
50. La Cour doit rechercher si lingérence se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour être compatible avec cette disposition, une ingérence doit remplir trois conditions: elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause dutilité publique » et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du propriétaire et les intérêts de la communauté.
b) Sur le respect du principe de légalité
51. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est une notion inhérente à lensemble des articles de la Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en découle que la nécessité dexaminer la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les références qui y sont citées). Lexpression « dans les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire (Vistin et Perepjolkins, précité, § 95).
52. La Cour a déjà eu loccasion de dire quune ingérence effectuée en violation des dispositions internes ne satisfaisait pas au critère de la « légalité » (voir, par exemple, East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, §§ 179-181 et 195, 23 janvier 2014). Cependant, toute irrégularité procédurale nest pas de nature à rendre lingérence incompatible avec lexigence de « légalité » (Ukraine-Tioumen c. Ukraine, no 22603/02, § 52, 22 novembre 2007). La Cour rappelle à cet égard quelle dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué ; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à sassurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste (voir, parmi beaucoup dautres, Kushoglu c. Bulgarie, no 48191/99, § 50, 10 mai 2007).
53. En lespèce, les requérants étaient copropriétaires dune moitié de la maison. Comme la Cour la déjà constaté au paragraphe 49 ci-dessus, ils en ont été privés dans le contexte de la reconstruction dune partie de la ville selon le plan général durbanisme. La Cour considère que, dans ces circonstances, lingérence ne peut sanalyser quen une expropriation pour les besoins de la municipalité, au sens des articles 11 et 83 § 3 du code foncier et de larticle 239 du code civil (paragraphes 20-21 ci-dessus).
54. La Cour relève que les dispositions du code civil relatives à lexpropriation prévoyaient une procédure en plusieurs étapes : 1) lautorité publique compétente prend la décision dexpropriation et en informe le propriétaire de limmeuble au moins un an avant la mise en uvre du rachat ; 2) lautorité publique fait enregistrer la décision dexpropriation au registre unifié des droits immobiliers et en informe le propriétaire ; 3) lautorité publique prépare une convention de rachat du bien auprès du propriétaire ; 4) en cas de désaccord du propriétaire sur le principe de lexpropriation ou sur les termes de la convention de rachat, lautorité publique peut former une action en justice dans un délai de deux ans à compter de la notification au propriétaire de la décision dexpropriation. Dans le cadre du contentieux de lexpropriation, la charge de preuve de la nécessité de mettre fin au droit de propriété sur limmeuble concerné incombe à lautorité publique.
55. La Cour considère que la procédure précitée était destinée à fournir aux propriétaires expropriés certaines garanties. Elle constate cependant que, dans la présente affaire, cette procédure na pas été respectée et que les requérants nont pas pu bénéficier de ces garanties légales. Par ailleurs, elle note que la cour régionale na pas répondu au moyen des requérants tiré de lapplication obligatoire de la procédure dexpropriation (paragraphes 15-16 ci-dessus). En outre, le Gouvernement sest borné à soutenir quaucune disposition légale nobligeait les autorités publiques à procéder elles-mêmes au paiement de lindemnité de rachat ou de reloger les habitants, et que, si la procédure dexpropriation avait été respectée, les requérants nauraient pas obtenu une meilleure indemnisation (paragraphes 42 et 44 ci-dessus), mais il na fourni aucune explication quant au non-respect par les autorités de la procédure-même dexpropriation.
56. De lavis de la Cour, il ne sagissait pas de simples irrégularités procédurales (comparer, par exemple, dans un contexte similaire concernant une expropriation, avec Volchkova et Mironov, précité) mais dune privation de propriété en méconnaissance totale de la procédure applicable.
57. Enfin, la Cour relève que, pour accueillir la demande en justice de lentrepreneur privé de mettre fin au droit de propriété des requérants, le tribunal sest référé à larticle 239 du code civil. Or cet article ne permettait de former une telle demande quà une autorité publique, à lexclusion de toute autre personne.
Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que lingérence na pas été opérée selon les conditions prévues par la loi, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences de cette disposition (voir, par exemple, Minasyan et Semerjyan c. Arménie, no 27651/05, § 76, 23 juin 2009).
58. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
KOSMAS ET AUTRES c. GRÈCE du 29 juin 2017 requête 20086/13
Article 1 du Protocole 1 : La qualité de victime ne concerne pas la saisie des terrains litigieux mais aussi les conséquences pour l'exploitation commerciale de la taverne MAMA MIA. Les victimes n'ont pas visé l'article 1 du Protocole 1 mais ils l'ont bien soulevé en substance. La Taverne est connue dans le monde entier grâce au film MAMA MIA et à la chanson éponyme du dit film chantée par le groupe ABBA. La famille du requérant est propriétaire des terrains depuis 1916. L'un des requérants a construit la taverne de ses mains et a apporté tous les moyens pour l'exploitation commerciale. Un monastère revendique les terrains achetés le 26 septembre 1824. Il présente son titre de propriété et gagne devant les tribunaux internes. L'État grec doit indemniser les requérants pour une somme ridiculement basse de 75 000 euros.
1.
Sur la qualité de victime 46.
En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la
requête irrecevable à légard des deuxième, troisième,
quatrième et cinquième requérants pour défaut de qualité de
victime : selon le Gouvernement, ces requérants nont pas
participé à la procédure devant les juridictions nationales,
et ils ninvoquent pas et ne démontrent pas lexistence
dun droit de propriété sur le terrain litigieux. Plus
particulièrement, en ce qui concerne la deuxième requérante,
le Gouvernement estime que lexécution forcée des
décisions internes contre son époux ne signifie pas quelle-même
se trouve lésée dans ses droits de nature patrimoniale. Il
ajoute que, à supposer même que lobtention et lusage
de la licence de son restaurant puissent être considérés comme
un « bien » ce quil conteste , il nest
pas démontré que le monastère ait refusé de consentir à la
continuation de lexploitation du restaurant par la
requérante. 47.
Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants
soutiennent quils sont eux aussi victimes de la privation
de propriété du terrain du premier requérant. Pour démontrer
limpossibilité dans laquelle ils se sont trouvés pour
agir, ils renvoient à leurs arguments concernant lobjection
du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours
internes. 48.
La Cour rappelle que, pour pouvoir introduire une requête en
vertu de larticle 34 de la Convention, une personne
physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de
particuliers doit pouvoir se prétendre victime dune
violation des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se
prétendre victime dune telle violation, un individu doit,
en principe, avoir subi directement les effets de la mesure
litigieuse (Tanase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010, et Aksu c. Turquie
[GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 50, CEDH 2012). Lexistence
dune victime personnellement touchée par la violation
alléguée dun droit garanti par la Convention est une
condition de la mise en uvre du mécanisme de protection de
la Convention, même si ce critère ne doit pas sappliquer
de manière rigide et inflexible (Bitenc c. Slovénie (déc.), no
32963/02, 18 mars 2008). La Cour
interprète le concept de victime de façon autonome,
indépendamment des notions internes telles que celles dintérêt
à agir ou de qualité pour agir (Aksu, précité, § 52). 49.
En lespèce, la Cour note que la procédure en
revendication de la propriété du terrain litigieux a été
introduite par le monastère contre le premier requérant, qui
arguait de son propre droit de propriété sur ce terrain, et quelle
a pris fin par larrêt de la Cour de cassation qui a donné
gain de cause au monastère de manière définitive et par la
mise en uvre de léviction des requérants. Or cette
situation a affecté non seulement le premier requérant, mais
aussi les membres de sa famille dont les activités commerciales
étaient liées à la propriété du terrain. La licence de
fonctionnement de la taverne avait été transférée en 2002 (à
la suite du départ à la retraite du premier requérant) à la
deuxième requérante, qui lexploitait avec les quatrième
et cinquième requérants. Les deuxième et troisième
requérantes possédaient en outre deux bateaux qui servaient à
transporter les touristes de la ville de Skopelos à la plage et
à la taverne. Un système de dessalement de leau de mer
fonctionnait sur le terrain litigieux et permettait, entre autres,
larrosage de 350 oliviers dont la deuxième requérante
extrayait de lhuile pour les besoins de son restaurant (paragraphe
8 ci-dessus). Or, cette activité commerciale a fait lobjet
dun examen de la part des juridictions internes dans le
cadre du moyen du premier requérant relatif à labus de
droit du monastère : le tribunal de première instance a relevé
que les frais engagés pour exploiter commercialement le terrain
étaient compensés par les profits de lentreprise (paragraphe
17 ci-dessus). 50.
Eu égard à ce qui précède ainsi quà la nécessité dappliquer
de manière flexible les critères déterminant la qualité de
victime, la Cour admet que lépouse et les enfants du
premier requérant, bien que nétant pas directement
impliqués dans la procédure devant les juridictions internes,
peuvent, au regard de larticle 34 de la Convention, passer
pour être victimes des faits quils dénoncent. Dès lors,
elle rejette lexception préliminaire du Gouvernement
concernant la qualité de victime de ces requérants. 2.
Sur lépuisement des voies de recours internes 51.
En deuxième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des
voies de recours internes. 52.
En ce qui concerne le premier requérant, il indique quà
aucun stade de la procédure celui-ci ne sest référé,
même en substance, au droit protégé par larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention. Plus particulièrement, lintéressé
naurait pas allégué que linterdiction dacquérir
par usucapion des biens de lÉtat et des monastères ainsi
que limprescribilité des droits de propriété de lÉtat
et des monastères sur leurs biens étaient contraires à la
disposition susmentionnée. Le Gouvernement estime que la simple
allégation du premier requérant devant les tribunaux selon
laquelle il était devenu propriétaire du terrain litigieux par
usucapion nétait pas suffisante aux fins de lépuisement
des voies de recours internes. 53.
Quant à lépouse et aux enfants du premier requérant, le
Gouvernement indique quà aucun moment au cours de la
procédure, y compris celle devant la Cour de cassation, ces
requérants nont fait usage du droit dintervenir dans
la procédure (intervention accessoire article 80 du code
de procédure civile) en faveur du premier requérant et nont
fait valoir un intérêt légitime à voir infirmer le jugement
de première instance. Daprès le Gouvernement, ces quatre
requérants nont dailleurs procédé à aucune autre
démarche judiciaire ou extrajudiciaire pour faire valoir leurs
droits. 54.
Le premier requérant soutient que non seulement il a épuisé
les voies de recours internes en ce qui le concernait, mais quil
a aussi attiré lattention de la Cour de cassation sur les
conséquences néfastes de laliénation de sa propriété
pour sa famille. 55.
Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants
indiquent quils ne pouvaient pas former opposition contre
la procédure dexécution forcée du jugement du tribunal
de première instance qui ordonnait leur éviction de la
propriété litigieuse, au motif quils ne disposaient pas dun
droit de propriété sur le terrain litigieux, mais seulement dun
droit de créance envers le premier requérant. Quant à la
procédure dintervention accessoire, ils indiquent quelle
ne leur donnait pas la possibilité de faire valoir leurs propres
droits et leur propre dommage, selon eux distincts de ceux du
premier requérant. Ils soutiennent que le Gouvernement ne
fournit dailleurs aucun précédent jurisprudentiel
susceptible de démontrer que lintervention de tiers, ayant
des intérêts dune nature différente de ceux de la
personne se revendiquant propriétaire dun terrain, dans
une procédure de contestation de droits de propriété aurait pu
influencer lissue de la procédure quant à ces droits.
Enfin, ils estiment quune action en dommages-intérêts
fondée sur larticle 105 de la loi daccompagnement du
code civil naurait pas prospéré dès lors que, selon eux,
elle présupposait lexistence dune illégalité
commise par lÉtat. 56.
La Cour rappelle que, conformément à larticle 35 § 1 de
la Convention, elle ne peut examiner une question que lorsque
tous les recours internes ont été épuisés. La finalité de
cette disposition est de ménager aux États contractants loccasion
de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux
avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Ainsi,
le grief dont on saisit la Cour doit dabord avoir été
soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais
prescrits par le droit interne, devant les juridictions
nationales appropriées. Toutefois, selon la règle de lépuisement
des voies de recours internes, un requérant doit se prévaloir
des recours normalement disponibles et suffisants dans lordre
juridique interne pour lui permettre dobtenir réparation
des violations quil allègue. Ces recours doivent exister
à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en
théorie, sans quoi leur manquent leffectivité et laccessibilité
voulues. Rien nimpose duser de recours qui ne sont ni
adéquats ni effectifs (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009). 57.
En ce qui concerne le premier requérant, la Cour note que la
procédure litigieuse portait sur la revendication par le
monastère de la propriété du terrain du premier requérant. Il
est vrai que lenjeu principal de la procédure devant les
juridictions internes était la question de savoir si le terrain
litigieux que le premier requérant prétendait posséder en
vertu de titres de propriété et même par leffet de lusucapion
devait ou non être transmis au monastère auteur de laction
en revendication. Il nen reste pas moins, cependant, que le
litige portait aussi sur la possession du terrain par le biais du
grief relatif à labus de droit commis par le monastère.
En effet, tout comme devant le tribunal de première instance et
la cour dappel, dans son pourvoi en cassation, le premier
requérant soulevait divers moyens, dont notamment labus de
droit que le monastère aurait commis en introduisant son action
: à cet égard, en se prévalant de la jurisprudence de la Cour
de cassation, le premier requérant soulignait que, pendant une
longue période antérieure à lintroduction de laction,
il avait accompli sur le terrain litigieux des actes de
possession (??µ??), comprenant du travail personnel et des
dépenses (investissements, constructions, etc.), et que le
monastère, qui, daprès le requérant, sétait rendu
compte ou aurait dû se rendre compte de ces actes, navait
pas réagi et navait pas contesté ceux-ci, de sorte quil
aurait suscité auprès des tiers la conviction quil nexercerait
jamais ses droits. Cette attitude du monastère avait diminué la
force du droit dont celui-ci pourrait se prévaloir. La longue
inaction du monastère devait être appréciée en combinaison
avec les actes de possession du requérant, ce qui donnait à labus
de droit une nature particulièrement caractérisée, car la
modification de la situation entrainerait pour le requérant un
dommage différent et multiple, supérieur à la simple perte du
bien. Or, si la Cour de cassation avait accueilli largument
relatif à labus de droit, le requérant, même sans être
reconnu propriétaire, naurait pas été évincé du
terrain et y serait maintenu en sa qualité de possesseur. 58.
Sans sappuyer en termes exprès sur larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention, le premier requérant a invoqué
à la fois latteinte à son droit de propriété que celle
à sa possession du terrain au sens des dispositions du droit
interne applicable. Ce faisant, il a, à lévidence,
présenté des arguments qui revenaient à dénoncer, en
substance, une atteinte à tous les aspects pertinents du droit
garanti par cet article. Il a ainsi donné à la Cour de
cassation loccasion déviter ou de redresser les
violations alléguées, conformément à la finalité de larticle
35 de la Convention. Il convient donc de rejeter lexception
de non-épuisement soulevée par le Gouvernement. 59.
Quant aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième
requérants, la Cour note que selon le droit grec, il leur était
loisible de demander aux juridictions internes, sur le fondement
de larticle 80 du code de procédure civile, de pouvoir
intervenir dans la procédure à nimporte quel stade de
celle-ci. Certes, les juridictions internes étaient appelées à
déterminer laquelle des deux parties, du premier requérant ou
du monastère, qui invoquaient chacun des droits de propriété
sur le terrain litigieux, était le véritable propriétaire de
celui-ci. Toutefois, de lavis de la Cour, les autres
requérants, bien quils ne pouvaient pas faire valoir des
droits de propriété sur le terrain litigieux, ils étaient
exploitants du restaurant sis sur le terrain et des bateaux de
transports de touristes. Leur intervention en vertu de larticle
80 du code de procédure civile aurait permis aux deuxième,
troisième, quatrième et cinquième requérants dappuyer
les prétentions du premier requérant et donc dinfluencer
lissue du litige qui était déterminant pour eux. En même
temps, une telle intervention aurait donné aux juridictions
internes loccasion de prendre en considération lenjeu
du litige dans sa totalité et de décider en conséquence. Par
ailleurs, lintervention en question aurait conduit les
requérants à démontrer leur intérêt pour agir et les
juridictions compétentes à se prononcer à cet égard. Il sensuit
que les quatre requérants en question ont failli à leur
obligation dépuiser les voies de recours internes. Partant,
la Cour accueille lexception du Gouvernement pour autant quelle
concerne les deuxième, troisième, quatrième et cinquième
requérants. 3.
Conclusion 60.
Constatant que la requête nest pas manifestement mal
fondée au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et
quelle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif dirrecevabilité,
la Cour la déclare recevable à légard du premier
requérant. SUR
LE FOND 79.
La Cour note quil nest pas contesté en lespèce
que lingérence litigieuse était « prévue par la loi »,
comme lexige larticle 1 du Protocole no 1 : par larticle
21 du décret du 22 avril/16 mai 1926 relatif à léviction
administrative des terrains appartenant à la défense aérienne
et à linterdiction de prise de mesures provisoires contre
lÉtat et la défense aérienne, le législateur a étendu
aux biens des monastères la protection quil accordait à
ceux de lÉtat, afin de les protéger de ceux qui
tenteraient de se les approprier en invoquant lusucapion.
Par ailleurs, larticle 4 de la loi no 1539/1938 prévoit limprescriptibilité
des droits de lÉtat sur des biens du domaine public. En
outre, les monastères du Mont Athos, dont La Grande Laure fait
partie, bénéficient dun statut particulier en vertu de larticle
105 de la Constitution et dune protection particulière en
ce qui concerne leurs biens, larticle 181 de la Charte
statutaire du Mont Athos prévoyant que leurs biens immeubles
sont totalement inaliénables en tant que biens de droit divin. 80.
Lingérence poursuivait aussi un but légitime, à savoir
protéger de lempiétement par des tiers la propriété
immobilière des monastères. La Cour est consciente du souci du
législateur daccorder une protection particulière aux
biens des monastères. Elle note que les monastères créés
pendant la période byzantine ont acquis des biens par donations
impériales ou privées et que, au fil des siècles, leurs titres
de propriété ayant été détruits, perdus ou volés, lusucapion
est venue remplacer les titres non conservés (paragraphe 36 ci-dessus).
Le recours à cette notion dusucapion a été nécessaire
afin de protéger leurs terres de lempiétement par des
tiers ou par linvocation par des tiers de lusucapion
et des revendications fréquentes en justice par des personnes
privées concernant des terrains possédés de bonne foi par les
monastères. La jurisprudence des tribunaux grecs a dailleurs
toujours admis que, jusquà lintroduction du code
civil (soit jusquau 23 février 1946), les biens des
monastères et de lÉglise étaient insusceptibles dêtre
acquis par usucapion par des tiers (paragraphe 36 ci-dessus). 81.
Il incombe toutefois à la Cour dexaminer, à la lumière
de la norme générale de cet article, si un juste équilibre a
été maintenu entre les exigences de lintérêt général
et les droits des individus concernés. La Cour rappelle à cet
égard que le souci dassurer un « juste équilibre »
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu se reflète dans la structure de
larticle 1 du Protocole no 1 tout entier et quil se
traduit par la nécessité dun rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir,
entre autres, Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 108-109, 25
octobre 2012, et Ruspoli Morenes c. Espagne, no 28979/07, § 36, 28 juin 2011).
La vérification de lexistence dun tel équilibre
exige un examen global des différents intérêts en cause. 82.
En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît
à lEtat une large marge dappréciation tant pour
choisir les modalités de mise en uvre que pour juger si
leurs conséquences se trouvent légitimées, dans lintérêt
général, par le souci datteindre lobjectif de la
loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III).
Elle ne saurait renoncer pour autant à son pouvoir de contrôle,
en vertu duquel il lui appartient de vérifier que léquilibre
voulu a été préservé de manière compatible avec le droit du
requérant au respect de ses biens (Jahn et autres c. Allemagne [GC],
nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 93, CEDH 2005-VI). 83.
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le « juste
équilibre » voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur
le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de
prendre en considération les modalités dindemnisation
prévues par la législation interne. Sans le versement dune
somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une
privation de propriété constitue normalement une atteinte
excessive. Un défaut total dindemnisation ne saurait se
justifier sur le terrain de larticle 1 du Protocole no 1
que dans des circonstances exceptionnelles (Les saints
monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, § 71, série A no 301-A,
et Ex-roi de Grèce et autres, précité, § 89). Cependant, larticle
1 du Protocole no 1 ne garantit pas dans tous les cas le droit à
une réparation intégrale (James et autres c. Royaume-Uni, 21
février 1986, § 54, série A no 98, et Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V). 84.
En lespèce, la Cour note que, pour donner gain de cause au
monastère, les juridictions nationales, et notamment la cour dappel,
se sont fondées, dune part, sur les actes de possession
accomplis par le monastère sur ces terrains de 1882 à 1915 (les
moines faisaient paître leurs moutons sur le terrain litigieux,
défrichaient celui-ci et dissuadaient les tiers de se lapproprier
paragraphe 28 ci-dessus), puis sur linaliénabilité
de ses droits de propriété à partir de 1915, et, dautre
part, sur limpossibilité pour le requérant de prouver que
lui-même et ses prédécesseurs sétaient livrés à des
actes de possession de bonne foi pendant une période continue de
quarante ans avant 1915 puis jusquà la saisine du tribunal
de première instance par le monastère en 2004. En outre, dans
son arrêt no 749/2010, la cour dappel a relevé que le
monastère possédait de bonne foi le terrain litigieux depuis
1824, car il lavait acheté à la vraie propriétaire par
un acte de transfert de propriété certifié par la chancellerie
de Skopelos. 85.
De son côté, le premier requérant se prévalait de sa qualité
de propriétaire du terrain litigieux en se fondant sur des
titres de propriété légalement établis au fil de plusieurs
dizaines dannées. Il présentait des actes de propriété
du terrain établis au nom de ses prédécesseurs et datant de
1883, 1902 et 1909 (paragraphe 22 ci-dessus), ainsi quau
nom des membres de sa famille qui se succédaient de 1916 à 1933.
Il produisit, en outre, un acte du 19 septembre 1916 selon lequel
son grand-père avait acquis la propriété du terrain, un
testament de 1933 selon lequel ce grand-père avait transmis la
propriété du terrain à son père, un acte dacceptation
de succession (no 3357) de son père établi le 2 novembre 1960
devant notaire, et un acte dacceptation de succession no 18052/29-12-1982, établi devant
notaire lors de la transmission de la propriété par son père
et transcrit au service du registre foncier de Skopelos (paragraphe
11 ci-dessus). 86.
Sestimant ainsi propriétaire légal et de bonne foi du
terrain litigieux, le premier requérant et sa famille avaient
créé et exploité une entreprise de restauration sur ce terrain
et développé autour de cette exploitation dautres
activités liées au tourisme. La Cour attache aussi de limportance
au fait que plusieurs autorités publiques de lîle de
Skopelos ont consenti à accorder au premier requérant
différents permis comme sil était le propriétaire du
terrain : ainsi, en 1986, le commissariat de police lui a
délivré une licence lui permettant dexploiter un bar-restaurant
et, en 1994, le service de lurbanisme de lîle lui a
accordé un permis de construire un bâtiment dune
superficie de 135 m² pour lexploitation dun
restaurant (paragraphe 21 ci-dessus). À cela sajoute le
fait que le requérant devait payer des taxes foncières à lEtat
(paragraphe 63 ci-dessus). Certes, en 1986 et en 1994, ces
autorités ne pouvaient pas savoir quen 2004 une action en
revendication de la propriété serait intentée par le
monastère et quelle aurait une issue favorable. Toutefois,
la Cour estime que des actes administratifs légaux établis par
des autorités étatiques telles que les autorités de police et
le service de lurbanisme ne peuvent que conforter le
sentiment des destinataires de ces actes que le système dacquisition
et de transmission des biens est stable et fiable et quils
possèdent de bon droit le bien objet de ces actes. En tout état
de cause, le premier requérant a soulevé devant toutes les
juridictions qui ont examiné laffaire le moyen tiré de labus
de droit du monastère afin de conserver la possession du bien
litigieux. 87.
Au fait que les juridictions grecques nont pas pris en
considération les titres de propriété soumis devant elles par
le premier requérant se rajoute celui quelles nont
pas pris en compte la perte de loutil de travail du
requérant entraînée par leur décision, et dont celui-ci et sa
famille tiraient leurs moyens de subsistance depuis 1986 (voir, mutatis
mutandis, Lallement c. France, no 46044/99, §§ 20-24, 11 avril
2002, et Di Marco c. Italie, no 32521/05, § 65, 26 avril 2011),
et ce sans aucune indemnité. En effet, le tribunal de première
instance de Volos a considéré que les frais engagés par le
premier requérant pour exploiter commercialement le terrain
litigieux avaient été compensés par les profits de son
entreprise et que celui-ci avait bénéficié de ces avantages
pendant une longue période sans verser de loyer au monastère en
contrepartie de lusage du terrain (paragraphe 17 ci-dessus).
Les juridictions internes ont ainsi rejeté le moyen tiré de labus
de droit du monastère. Or, si ce moyen avait été accueilli, le
premier requérant aurait au moins conservé la possession du
terrain. 88.
A la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la
spécificité des circonstances de lespèce, la Cour estime
que le requérant a subi une « charge spéciale et exorbitante
», qui ne peut être justifiée par lexistence dun
intérêt général légitime poursuivi par les autorités. Il y
a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. 89.
Eu égard à cette conclusion, la Cour estime quaucune
question distincte ne se pose au regard de larticle 14 de
la Convention. Il nest donc pas nécessaire dexaminer
ce grief. MAMATAS
ET AUTRES c. GRÈCE du 21 juillet 2016 requête
63066/14 et 64297/14 et 66106/14 NON VIOLATION
DE L'ARTICLE 1 du PROTOCOLE 1 : l'échange de titres du
trésor au porteur à la place de leur paiement est conforme à l'intérêt
général supérieur au droit de propriété des 6320
particuliers requérants, pour la Grèce qui connaît la pire
crise économique de son histoire. 84.
Comme elle la précisé à plusieurs reprises, la Cour
rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à
certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre
autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général. Il ne sagit pas pour autant de règles
dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième
ont trait à des exemples particuliers datteintes au droit
de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à
la lumière du principe consacré par la première (Scordino c.
Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 78, CEDH 2006-V). 85.
La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence, un
requérant ne peut se plaindre dune violation de larticle
1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil
incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette
disposition. La notion de « bien » évoquée à la première
partie de larticle 1 du Protocole no 1 a une portée
autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens
corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications
formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts
constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette
disposition. Dans chaque affaire, il importe dexaminer si
les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le
requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé
par larticle 1 du Protocole no 1 (Anheuser-Busch Inc. c.
Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I). 86.
Larticle 1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens
actuels. Un revenu futur ne peut ainsi être considéré comme un
« bien » que sil a déjà été gagné ou sil fait
lobjet dune créance certaine. En outre, lespoir
de voir reconnaître un droit de propriété que lon est
dans limpossibilité dexercer effectivement ne peut
non plus être considéré comme un « bien », et il en va de
même dune créance conditionnelle séteignant du
fait de la non-réalisation de la condition (ibid. § 64). 87.
Cependant, dans certaines circonstances, l« espérance
légitime » dobtenir une valeur patrimoniale peut
également bénéficier de la protection de larticle 1 du
Protocole no 1. Ainsi, lorsque lintérêt patrimonial est
de lordre de la créance, lon peut considérer que lintéressé
dispose dune espérance légitime si un tel intérêt
présente une base suffisante en droit interne, par exemple
lorsquil est confirmé par une jurisprudence bien établie
des tribunaux. Toutefois, on ne saurait conclure à lexistence
dune « espérance légitime » lorsquil y a
controverse sur la façon dont le droit interne doit être
interprété et appliqué et que les arguments développés par
le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les
juridictions nationales (ibid. § 65). 88.
La Cour rappelle en outre quelle a déjà construit une
jurisprudence relative à la marge dappréciation des
États dans le contexte de la crise économique qui sévit en
Europe depuis 2008 et plus particulièrement en relation avec des
mesures daustérité prises par voie législative ou autre
et visant des couches entières de la population (Valkov et
autres c. Bulgarie, no 2033/04, 25 octobre 2011, Frimu
et 4 autres requêtes c. Roumanie (déc.), nos
45312/11, 45581/11, 45583/11, 45587/11 et 45588/11, § 40, 7 février 2012,
Panfile c. Roumanie (déc.), no 13902/11, 20 mars 2012, Koufaki
et ADEDY c. Grèce (déc.), nos 57665/12 et 57657/12, 7 mai 2013, N.K.M. c.
Hongrie, no 66529/11, 14 mai 2013, da
Conceição Mateus et Santos Januário c. Portugal (déc.), nos 62235/12 et 57725/12, 8 octobre 2013, Savickas
c. Lituanie (déc.), no 66365/09, 15 octobre 2013, et da
Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, 1er septembre 2015).
Dans ce contexte, la Cour rappelle aussi que les Etats parties à
la Convention jouissent dune marge dappréciation
assez ample lorsquil sagit de déterminer leur
politique sociale. Ladoption des lois pour établir léquilibre
entre les dépenses et les recettes de lEtat impliquant dordinaire
un examen de questions politiques, économiques et sociales, la
Cour considère que les autorités nationales se trouvent en
principe mieux placées quun tribunal international pour
choisir les moyens les plus appropriés pour parvenir à cette
fin et elle respecte leurs choix, sauf sils se révèlent
manifestement dépourvus de base raisonnable (voir, notamment,
Koufaki et Adedy (déc.), précitée, § 31, et Da Silva Carvalho
Rico (déc.), précitée, § 37). 89.
La Cour a aussi jugé que, dans des situations qui concernent un
dispositif législatif ayant de lourdes conséquences et prêtant
à controverse, dispositif dont limpact économique sur lensemble
du pays est considérable, les autorités nationales devaient
bénéficier dun large pouvoir discrétionnaire non
seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect
des droits patrimoniaux ou à réglementer les rapports de
propriété dans le pays, mais également pour prendre le temps
nécessaire à leur mise en uvre (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V). a)
Sur lexistence dun « bien » et dune
ingérence dans le droit de propriété 90.
La Cour note que, à linstar des titres qui font lobjet
de transactions sur le marché des capitaux, les obligations sont
négociables en bourse, se transfèrent dun porteur à lautre,
et que leur valeur peut fluctuer en fonction de divers facteurs.
Toutefois, à leur arrivée à maturité, elles doivent, en
principe, être remboursées à leur valeur nominale. 91.
Les porteurs dobligations de lÉtat grec, dont les
requérants, avaient, en application de larticle 8 de la
loi no 2198/1994 et à léchéance de leurs titres, une
créance pécuniaire envers lÉtat dun montant
équivalent à la valeur nominale de leurs obligations. Les
requérants pouvaient donc prétendre voir leurs titres de
créance remboursés conformément à la loi précitée et ils
avaient donc un « bien », au sens de la première phrase de larticle
1 du Protocole no 1, devant bénéficier des garanties de cette
disposition. 92.
Or ladoption de la loi no 4050/2012 a modifié les
conditions précitées par le jeu des clauses daction
collective que ce texte incluait. Ces clauses prévoyaient la
possibilité, au moyen dun accord conclu entre, dune
part, lÉtat et, dautre part, les porteurs dobligations
décidant collectivement par une majorité renforcée, de
modifier ces conditions régissant les obligations, une telle
modification simposant aussi aux porteurs minoritaires. Les
requérants, qui nont pas consenti à la modification
proposée, se sont vu imposer les nouvelles conditions contenues
dans la loi no 4050/2012, et notamment une diminution de 53,5 %
de la valeur nominale de leurs obligations. 93.
Dans ces conditions, la Cour partage largument principal
des requérants selon lequel les modalités en fonction
desquelles léchange a eu lieu démontrent clairement le
caractère involontaire de leur participation au processus de la
décote. Elle estime que, si largument en question nest
pas suffisant en tant que tel pour conduire à un constat de
violation de larticle 1 du Protocole no 1, la participation
forcée des requérants à ce processus sanalyse en une
ingérence dans leur droit au respect de leurs biens. Elle
souligne dailleurs à cet égard que tous les cas de figure
envisagés à larticle 1 du Protocole no 1 constituent des
ingérences involontaires dans le droit de propriété. 94.
La Cour estime par ailleurs que, contrairement à ce quaffirment
les requérants, la modification des titres sélectionnés, telle
quorganisée par la loi no 4050/2012 et les actes
ministériels litigieux, ne peut être considérée comme une «
privation de propriété » au sens de larticle 1 du
Protocole no 1. En effet, en acquérant des obligations, les
requérants ont fait un investissement dont la valeur aurait pu
fluctuer en fonction des aléas des marchés et de la situation
économique de lEtat émetteur. La Cour rappelle à cet
égard que dans les affaires Thivet c. France ((déc.), no 57071/00, 24 octobre 2000), Bäck
c. Finlande (no 37598/97, 20 juillet 2004), Lobanov
c. Russie (no 15578/03, 2 décembre 2010) et Andreyeva
c. Russie (no 73659/10, 10 avril 2012) qui
impliquaient aussi des baisses drastiques des créances des
requérants, la Cour a appliqué la première phrase du premier
paragraphe de larticle 1. Elle estime que la même approche
doit être suivie en lespèce. En dautres termes, la
modification des titres sélectionnés sanalyse en une
ingérence qui relève de la première phrase de cet article.
Cette qualification naffecte pas les garanties accordées
aux requérants par cette disposition, quelle que soit la norme
applicable, étant donné que la deuxième et la troisième
normes contenues dans cet article sinterprètent à la
lumière du principe consacré par la première qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa (voir, parmi beaucoup
dautres, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II) 95.
Reste à savoir si cette ingérence était justifiée en lespèce. b)
Sur la justification de lingérence dans le droit de
propriété 96.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige,
avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale et poursuive un but légitime « dutilité publique
». Une telle ingérence doit aussi être proportionnée au but
légitime poursuivi, cest-à-dire ménager un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu. Un tel équilibre nest pas
respecté si la personne concernée a dû subir une charge
individuelle excessive (Vistins et Perepjolkins, précité, § 94). i.
« Prévue par la loi » 97.
La Cour rappelle que lexistence dune base légale en
droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au
principe de légalité. Il faut, en plus, que cette base légale
présente une certaine qualité, celle dêtre compatible
avec la prééminence du droit et doffrir des garanties
contre larbitraire. À cet égard, il faut rappeler que la
notion de « loi », au sens de larticle 1 du Protocole no
1, a la même signification que celle qui lui est attribuée par
dautres dispositions de la Convention (voir, par exemple, pacek,
s.r.o. c. République tchèque, no 26449/95, § 54, 9 novembre 1999). 98.
Il sensuit que, en plus dêtre conformes au droit
interne de lÉtat contractant, qui comprend la Constitution
(Ex-roi de Grèce et autres (fond) précité, §§ 79 et 82, et Jahn
et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 81, CEDH 2005-VI),
les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de
propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et
prévisibles dans leur application (Guiso-Gallisay c. Italie, no
58858/00, §§ 82-83, 8
décembre 2005). Quant à la portée de la notion de «
prévisibilité », elle dépend dans une large mesure du contenu
du texte dont il sagit, du domaine que celui-ci couvre
ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (voir,
mutatis mutandis, Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, no 75909/01, § 109, 20 janvier
2009). En particulier, une norme est « prévisible » lorsquelle
offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de
la puissance publique (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 65, 30 mai 2000).
De même, la loi applicable doit offrir des garanties
procédurales minimales, en rapport avec limportance du
droit en jeu (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c.
Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 88, 14 septembre
2010). 99.
En lespèce, la Cour ne doute pas que lingérence
litigieuse était « prévue par la loi », comme la dailleurs
relevé le Conseil dEtat dans son arrêt no 1507/2014 (paragraphe
34 ci-dessus). Léchange des obligations des requérants
contre de nouveaux titres était fondé sur la loi no 4050/2012,
les deux actes du Conseil des Ministres des 24 février et 9 mars
2012, la décision du ministre adjoint de lÉconomie du 9
mars 2012 et la décision du gouverneur de la Banque de Grèce de
la même date. Ces textes étaient accessibles aux requérants,
lesquels en avaient forcément pris connaissance puisquils
devaient donner ou refuser leur consentement quant au processus déchange
que ces textes mettaient en place. 100.
De lavis de la Cour, les conséquences dun refus
éventuel des requérants étaient aussi prévisibles. À cet
égard, la Cour distingue la présente affaire de larrêt Vistins
et Perepjolkins (précité), invoqué par les requérants pour
mettre en cause la compatibilité de la loi litigieuse avec les
principes de lÉtat de droit. Il est vrai que, dans cet
arrêt, la Cour sest dite « dubitative » quant au point
de savoir si lingérence litigieuse pouvait passer pour
avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi
». Il nen reste pas moins que, dans cette affaire, la loi
visait individuellement et nommément les requérants et leur
propriété (Vistins et Perepjolkins, précité, § 54). Or une
législation ad hominem peut effectivement soulever des doutes
quant à sa compatibilité avec les principes de lÉtat de
droit. En lespèce, cependant, la loi no 4050/2012 sappliquait
uniformément et de manière générale à des milliers de
porteurs dobligations. De plus, la mise en uvre des
dispositions de la loi no 4050/2012 était conditionnée à laccord
dune majorité qualifiée de tous les acteurs impliqués. ii.
« Pour cause dutilité publique » 101.
La Cour note que la crise financière internationale qui a
commencé en 2008 a eu de graves répercussions sur léconomie
grecque. Le 27 avril 2009, le Conseil de lUnion européenne
constatait déjà que la Grèce se trouvait dans une situation de
déficit extrême : alors que, pour faire partie de lunion
monétaire, un pays doit avoir un ratio dette publique/PIB
inférieur à 60 %, pour la Grèce ce ratio atteignait 100 %. En
2010, le coût de lemprunt sur les marchés financiers
internationaux a été augmenté à un niveau prohibitif, ce qui
a eu pour résultat dexclure la Grèce de ces marchés et a
entraîné limpossibilité pour elle de financer ses
propres créances échues. Les besoins en emprunt pour sacquitter
de ses obligations ont été pris en charge par un mécanisme de
stabilité auquel participaient les États membres de la zone
euro et le FMI. 102.
La crise financière en Grèce sest encore aggravée au
cours des années qui ont suivi. En 2011, daprès la
Commission européenne, les données macroéconomiques du pays
démontraient que la dette augmenterait à 186 % jusquen
2013 et quelle demeurerait supérieure à 150 % en 2020. Le
deuxième semestre de 2011, les partenaires de la Grèce ont
conditionné la poursuite du financement de la dette à la
participation du secteur privé à leffort de
restructuration de léconomie du pays au moyen de la
réduction de ses obligations et de la prolongation de leur
échéance dans le temps. Selon les partenaires, une telle
démarche produirait une diminution immédiate et substantielle
de la dette publique grecque et assurerait sa viabilité. Le
Sommet des États de la zone euro du 26 octobre 2011 a posé
comme condition de la viabilité de la dette la diminution de 50
% de la dette du secteur privé (paragraphe 11 ci-dessus). 103.
La Cour estime que, pendant la période de grave crise politique,
économique et sociale que la Grèce a récemment traversée et
quelle traverse toujours, les autorités auraient dû satteler
à la solution de telles questions. Elle admet en conséquence
que lÉtat défendeur pouvait légitimement prendre des
mesures en vue datteindre ces buts, à savoir le maintien
de la stabilité économique et la restructuration de la dette,
dans lintérêt général de la communauté. 104.
Selon les informations fournies par le Gouvernement, lopération
déchange a abouti à la diminution de la dette grecque denviron
107 milliards dEUR. À la fin de 2012, un pourcentage de 85
% de la dette est passé des personnes privées aux États
membres de la zone euro. En 2013, le coût du service de la dette
a baissé considérablement : alors que les intérêts prévus
initialement pour 2012 devaient sélever à 17,5 milliards
dEUR, à la suite de léchange, une somme de 12,2
milliards a dû être versée alors que, en 2013, les intérêts
nont pas dépassé 6 milliards. 105.
Lingérence incriminée poursuivait donc un but dutilité
publique. iii.
Proportionnalité de lingérence 106.
Il reste à déterminer si lingérence litigieuse était
proportionnée au but poursuivi. 107.
La Cour note que, par leffet du jeu des clauses daction
collective prévues par la loi no 4050/2012, les requérants ont
vu leurs titres annulés et remplacés par des nouveaux titres,
ce qui a eu pour conséquence une baisse du montant que ceux-ci
pouvaient espérer percevoir à la date à laquelle les anciens
titres arriveraient à maturité. 108.
La Cour estime nécessaire de distinguer la présente affaire des
affaires Malysh et autres c. Russie (no 30280/03, 11 février 2010) et Lobanov
précité, dans lesquelles elle a conclu à la violation de larticle
1 du Protocole no 1. La première concernait lomission de lÉtat
défendeur détablir, en application dune loi, une
procédure de rachat des titres des requérants, ce qui a eu pour
effet de laisser les intéressés dans un état dinsécurité
pendant plusieurs années. La deuxième portait aussi sur lomission
des autorités de légiférer au sujet de la procédure de
paiement au titre de lemprunt obligataire dÉtat de
1982, qui avait été garanti et reconnu comme faisant partie de
la dette de lÉtat. Il est clair que dans ces affaires il nétait
pas question, comme en lespèce, de modification des termes
des titres pour lesquels lÉtat, en sa qualité de
débiteur, était en situation dinsolvabilité imminente. 109.
La Cour estime aussi nécessaire de distinguer la présente
affaire dautres affaires dans lesquelles elle a constaté
quune indemnisation représentant un pourcentage très
réduit, de lordre de 2 % par exemple (Broniowski,
précité, § 186), de la valeur de ce à quoi le requérant
pouvait prétendre entraînait une charge disproportionnée et
excessive qui ne pouvait être justifiée par un intérêt
général légitime poursuivi par les autorités. De même, elle
a constaté une violation de larticle 1 du Protocole no 1
à légard dune requérante qui sétait vu
imposer une charge excessive en raison de la taxation à 98 % dune
partie de lindemnité de licenciement quelle avait
reçue (N.K.M. c. Hongrie, précité). 110.
En lespèce, il nappartient pas à la Cour destimer
de manière abstraite ce que les requérants auraient dû
percevoir en échange de leurs anciens titres dans les
circonstances de la cause. La Cour note, comme la dailleurs
relevé le Conseil dÉtat dans son arrêt no 1116/2014 (paragraphe
38 ci-dessus), que léchange des titres des requérants a
entraîné à leurs dépens une perte de capital de 53,5 %, voire
plus élevée si lon tient compte de la modification de la
date de leur arrivée à maturité. Or une telle perte, si elle
paraît à première vue substantielle, nest pas
conséquente au point quelle puisse être assimilée à une
extinction ou à une rétribution insignifiante par voie
législative des créances des requérants à lencontre de
lÉtat. 111.
La Cour estime aussi utile de rappeler quelle a rejeté
comme manifestement mal fondé le grief dune requérante daprès
lequel, en raison du plafonnement de lindemnisation prévue
par une loi pour ses titres demprunt russe, la somme quelle
devait percevoir ne correspondait quà une faible fraction
de la valeur nominale de ses titres (Thivet (déc.), précitée). 112.
De lavis de la Cour, le point de référence pour
apprécier le degré de la perte subie par les requérants ne
saurait être le montant que ceux-ci espéraient percevoir au
moment de larrivée à maturité de leurs obligations. Si
la valeur nominale dune obligation reflète la mesure de la
créance de son détenteur à la date de larrivée à
maturité, elle ne représente pas la véritable valeur marchande
à la date à laquelle lÉtat a adopté la réglementation
litigieuse, en loccurrence le 23 février 2012, date à
laquelle la loi no 4050/2012 a été adoptée. Cette valeur avait
sans doute déjà été affectée par la solvabilité en baisse
de lÉtat qui avait déjà commencé au milieu de 2010 et sétait
poursuivie jusquà la fin de 2011. Cette baisse de la
valeur marchande des titres des requérants laisse présager que,
le 20 août 2015, lÉtat naurait pas été en mesure
dhonorer ses obligations découlant des clauses
conventionnelles incluses dans les anciens titres, cest-à-dire
avant ladoption de la loi no 4050/2012 (voir aussi
paragraphe 82 ci-dessus). 113.
Tenant compte de la nature des mesures litigieuses, le fait que
les requérants ne figuraient pas parmi ceux qui avaient consenti
à la réalisation de lopération déchange, mais quils
avaient au contraire subi celle-ci par leffet des clauses daction
collective, naffecte pas en tant que tel lappréciation
de la proportionnalité de lingérence. 114.
Dabord, la Cour considère que, si les porteurs dobligations
non consentants, comme les requérants, craignaient une baisse de
la valeur de leurs créances dès lactivation des clauses daction
collective, ils auraient pu exercer leurs droits de porteurs et
écouler leurs titres sur le marché jusquau dernier délai
de linvitation qui leur avait été faite de déclarer sils
acceptaient ou non léchange. 115.
Certes, à la date de lémission des anciens titres
détenus par les requérants, ni ces titres ni le droit grec ne
prévoyaient la possibilité de la mise en uvre de telles
clauses. La Cour ne méconnaît pas le fait que les obligations
qui font sans cesse lobjet de transactions sur les marchés
tant nationaux quinternationaux peuvent être disséminées
entre les mains dun très grand nombre des porteurs.
Toutefois, les clauses daction collective sont courantes
dans la pratique des marchés internationaux de capitaux et elles
ont été incluses, en application de larticle 12 § 3 de
la convention instituant le Mécanisme européen de stabilité,
dans tous les titres de dette publique des États membres de la
zone euro dune durée supérieure dun an (paragraphe
18 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour admet que, sil avait
fallu rechercher parmi tous ces porteurs un consensus en vue du
projet de restructuration de la dette grecque ou limiter lopération
seulement à ceux qui y avaient consenti, cela aurait contribué
à coup sûr à léchec de ce projet. 116.
La Cour relève en outre que lune des conditions posées
par les investisseurs institutionnels internationaux pour
réduire leurs créances consistait en lexistence et lactivation
de clauses de ce type. Le défaut de ces clauses aurait
entraîné lapplication dun pourcentage de réduction
plus grand à légard des créances de ceux qui auraient
été prêts à accepter une décote et aurait contribué à
dissuader un grand nombre des porteurs des titres de faire partie
du processus. Il apparaît ainsi que les clauses daction
collective et la restructuration de la dette publique obtenue
grâce à elles constituaient une mesure appropriée et
nécessaire à la réduction de la dette publique grecque et à
la prévention de la cessation des paiements de lÉtat
défendeur. 117.
De plus, la Cour considère quun investissement en
obligations ne peut être exempt de risques. En effet, entre lémission
dun tel titre et son arrivée à maturité, il sécoule
en principe un laps de temps assez long pendant lequel se
produisent des événements imprévisibles pouvant avoir pour
effet de réduire considérablement la solvabilité de leur
émetteur, même si celui-ci est un État, et donc dentraîner
une perte patrimoniale subséquente pour le créancier. 118.
La Cour estime opportun de souligner à cet égard certains des
motifs par lesquels le Tribunal de lUnion européenne a
rejeté un recours introduit contre la BCE par deux cents
particuliers de nationalité italienne qui détenaient des
obligations de lÉtat grec. Le tribunal a souligné que, au
regard de la situation économique de la République hellénique
et des incertitudes la concernant à lépoque, les
investisseurs concernés ne pouvaient prétendre avoir agi en
tant quopérateurs économiques prudents et avisés,
susceptibles de se prévaloir de lexistence dattentes
légitimes. Au contraire, lesdits investisseurs étaient censés
connaître la situation économique hautement instable
déterminant la fluctuation de la valeur des titres de créance
grecs acquis par eux ainsi que le risque non négligeable dune
cessation de paiement. De telles transactions seffectuaient
sur des marchés particulièrement volatils, souvent soumis à
des aléas et à des risques non contrôlables sagissant de
la baisse ou de laugmentation de la valeur de tels titres,
ce qui pouvait inciter à spéculer pour obtenir des rendements
élevés dans un laps de temps très court. Dès lors, à
supposer même que tous les requérants ne fussent pas engagés
dans des transactions de nature spéculative, ils devaient être
conscients desdits aléas et risques quant à une éventuelle
perte considérable de la valeur des titres acquis. Cela est dautant
plus vrai que, même avant le début de sa crise financière en
2009, lÉtat grec émetteur faisait déjà face à un
endettement et à un déficit élevés (paragraphe 54 ci-dessus). 119.
La Cour estime donc que la Grèce, en prenant les mesures
litigieuses, na pas rompu le juste équilibre entre lintérêt
général et la protection des droits de propriété des
requérants et quelle na pas fait subir aux
intéressés une charge spéciale excessive. 120.
Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que, compte
tenu de la large marge dappréciation dont les États
contractants jouissent en ce domaine, les mesures en cause ne
sauraient être considérées comme disproportionnées à leur
but légitime. Partant, elle estime quil ny a pas eu
en lespèce violation de larticle 1 du Protocole no 1. DÜRRÜ MAZHAR ÇEVIK ET ASUMAN MÜNIRE ÇEVIK
DAGDELEN c. TURQUIE du
14 avril 2015 requête n 2705/05 Violation
article 1 du Protocole 1 : La suppression du titre de propriété
sur un terrain est une atteinte au bien au sens de l'article 1 du
Protocole 1. CEDH 31. Sur
le fond, la Cour relève que les requérants se plaignent de linscription
de leurs terrains au nom du Trésor public en labsence de
toute indemnisation en leur faveur. 32. Le
Gouvernement récuse les griefs présentés. Selon lui, il ny
a eu aucune ingérence, dans la mesure où les requérants ne
possédaient pas de titre de propriété pour les terrains en
question, du fait que leurs limites navaient pas été
désignées par les autorités cadastrales. À
supposer quil y ait bien eu une ingérence, le Gouvernement
fait valoir que lenregistrement au nom du Trésor public a
eu lieu par la voie dune décision judiciaire, que cette
décision relevait de lintérêt public et quelle
était destinée à assurer la protection de lenvironnement. 33. La
Cour observe quen 1958, lascendante des requérants,
Z.B.C, avait acquis deux titres de propriété sur deux terrains
situés dans la région de Dikili à Izmir, et dont les limites navaient
pas été précisées par les autorités du cadastre. Après les
travaux de cadastre effectués dans la région de Dikili en 1981,
le tribunal du cadastre a ordonné linscription dune
partie des terrains au nom du Trésor public au motif que ceux-ci
faisaient partie dun marais et contenaient des sources deaux
chaudes et il a ordonné linscription du reste des terrains
au nom des requérants. 34. La
Cour relève que les terrains litigieux avaient été inscrits en
1958 au registre foncier au nom de Z.B.C. Bien que le
Gouvernement conteste les effets juridiques de cette inscription
sur le droit de propriété des requérants, la validité de
cette dernière na pas été contestée par les parties.
Dès lors, la Cour conclut que les requérants avaient un « bien »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1. 35. La
Cour a déjà examiné des cas similaires concernant lannulation
de titres de propriété à raison du fait que les terrains
litigieux ne pouvaient faire lobjet dune propriété
privée et a conclu à la violation de larticle 1 du
Protocole no 1 (voir parmi dautres, N.A. et autres c.
Turquie, no 37451/97, §§ 38-43, CEDH 2005-X).
En effet, elle a dit que, sans le versement dune somme
raisonnable en rapport avec la valeur du bien, une privation de
propriété constitue normalement une atteinte excessive, et quune
absence totale dindemnisation ne saurait se justifier sur
le terrain de larticle 1 du Protocole no 1 que dans des
circonstances exceptionnelles (voir, mutatis mutandis, Jahn et
autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 111, CEDH 2005-VI,
et Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, § 71,
série A no 301-A). 36. Dans
la présente affaire, même si les raisons pour lesquelles les
terrains ont été récupérés par lÉtat sont
différentes, du fait quil sagissait de sources deaux
chaudes et dun marais, une partie importante des biens des
requérants a, par une décision judiciaire, été inscrite au
nom de lÉtat dans le registre foncier sans quil y
ait lieu à indemnisation, au motif que les terrains en cause ne
pouvaient faire lobjet dune propriété privée. À
cet égard, la Cour constate effectivement que les requérants nont
reçu aucune indemnisation à la suite du transfert dune
partie de leur bien au Trésor public. Or, lexamen du
dossier ne révèle aucune circonstance exceptionnelle de nature
à justifier une absence totale dindemnisation (N.A. et
autres, précité, §§ 41-42). 37. À
la lumière de ce qui précède, la Cour considère que sa
jurisprudence sapplique également à la présente affaire
(voir, par exemple, I.R.S. et autres c.Turquie, no 26338/95, 20 juillet 2004, et N.A.
et autres, précité). La Cour constate quen lespèce
le Gouvernement na fourni aucun fait ni argument
convaincant pouvant mener à une conclusion différente. 38. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. SILAHYÜREKLI
c. TURQUIE du 26 novembre 2013 requête n°16150/06 LE
CLASSEMENT D'UN TERRAIN EN SITE ARCHEOLOGIQUE ET NATUREL SUPPRIME
LE TITRE DE PROPRIETE CEDH 33. La
Cour note dabord que le requérant ne se plaint pas du
classement du terrain litigieux en site archéologique et naturel
ainsi que des restrictions pouvant en résulter pour son droit de
propriété, mais uniquement de lannulation de son titre de
propriété. A cet égard, la Cour estime que le requérant
disposait dun droit protégé par larticle 1 du
Protocole no 1 dans la mesure où il était titulaire, jusquà
son annulation, dun titre de propriété parfaitement
valide. La Cour considère que lannulation du titre de
propriété du requérant constitue une ingérence dans son droit
au respect de ses biens, laquelle sanalyse en une «
privation » de propriété au sens de la seconde phrase du
premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Brumarescu
c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII). 34. Elle
observe que le terrain litigieux est classé en site naturel et
archéologique. Cependant, au cours de la procédure devant le
tribunal de grande instance de Kale, il a en outre été
constaté quune partie de ce terrain faisait partie du
domaine public littoral et le titre de propriété correspondant
à cette partie a été annulé pour cette raison. Le domaine
public littoral étant soumis à un régime juridique différent,
la Cour estime nécessaire de lexaminer séparément du
reste du terrain. a) La
partie du terrain classée en site naturel et archéologique 35. Larticle
1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, quune
ingérence de lautorité publique dans la jouissance du
droit au respect des biens soit légale. La prééminence du
droit, lun des principes fondamentaux dune société
démocratique, est inhérente à lensemble des articles de
la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II).
Le principe de légalité présuppose lexistence de normes
de droit interne suffisamment accessibles, précises et
prévisibles (Hentrich c. France, 22 septembre 1994, §
42, série A no 296-A, Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8
juillet 1986, § 110, série A no 102, et Fener Rum Erkek Lisesi
Vakfi c. Turquie, no 34478/97, § 50, 9 janvier 2007). 36. La
Cour observe que le tribunal de grande instance de Kale a annulé
le titre de propriété du requérant après avoir conclu que le
jugement rendu le 7 octobre 1942 par le tribunal dinstance
de Kas nétait pas juridiquement valide. Pour cela, le
tribunal de grande instance a relevé, dune part, que laction
avait alors été introduite sans quaucune partie à la
procédure ne fût désignée ni invitée par la suite à
participer à la procédure ; et, dautre part, que le
jugement en question navait pas fait lobjet dun
pourvoi en cassation. Le tribunal en a conclu que le titre de
propriété relatif à ce terrain reposait sur une décision de
justice rendue au terme dune procédure ne remplissant pas
les conditions de validité posées par la loi. Il a estimé quune
telle décision et linscription consécutive au registre
foncier ne liaient pas le Trésor. 37. La
Cour note que dans son jugement du 7 octobre 1942 le tribunal dinstance
de Kas jugea que S.K. avait acquis par voie de prescription, en
application de larticle 639 de lancien code civil, la
propriété du terrain litigieux. Or selon cette disposition, laction
en prescription acquisitive devait être introduite contre le
Trésor et ladministration concernée. Cest le non-respect
de cette dernière exigence procédurale qui a conduit le
tribunal de grande instance de Kale à conclure à linvalidité
du jugement de 1942. Le Gouvernement allègue aussi la
méconnaissance des normes de fond, alors que la décision
relative à lannulation du titre de propriété nen
fait pas mention. 38. La
Cour note que le requérant avait acheté ce bien en 2002 et lavait
alors fait inscrire à son nom sur le registre foncier. Selon ses
explications, non contestées par le Gouvernement, il était le
dixième propriétaire de ce terrain. Entre le propriétaire
initial et le requérant, le bien est donc devenu successivement
la propriété de différentes personnes. Il ne ressort
aucunement du dossier que les propriétaires successifs de ce
terrain se sont vu contester leur titre de propriété. 39. Pour
la Cour, il ne fait aucun doute quau moment de son
acquisition en 2002, le requérant avait la certitude que cette
transaction était conforme au droit turc. En effet, la
régularité de linscription au registre foncier et la
validité du titre de propriété ne prêtaient pas à
controverse au regard du droit interne. Le requérant pouvait
légitimement se croire en situation de « sécurité
juridique » quant à la validité de son titre de
propriété, jusquà son annulation par le tribunal de
grande instance de Kale. Le registre foncier ne contenait aucune
indication quant à linvalidité du jugement de 1942 ni
aucune autre mention permettant de douter de la validité du
droit de propriété relatif à ce terrain. Quant au classement
du terrain en site naturel et archéologique, qui en revanche
était connu du requérant, il ne constituait pas un empêchement
à lacquisition du terrain par voie dachat. La Cour
note en outre que la bonne foi du requérant quant à lacquisition
du bien en question na été contestée ni au niveau
national ni devant elle. 40. Par
conséquent, on ne saurait considérer que lannulation du
titre de propriété du requérant à la suite de linvalidation
du jugement du 7 octobre 1942, plus de soixante ans après,
était prévisible. En effet, le requérant ne pouvait
raisonnablement prévoir que son titre de propriété serait
annulé par le biais dune remise en cause du jugement ayant
servi de fondement à la constitution du titre de propriété
initial. 41. La
Cour note en outre que lingérence dans le droit de
propriété du requérant ne peut reposer sur la loi no 2863 et
la loi no 3402 comme le prétend le Gouvernement. 42. Sagissant
dabord de la loi no 2863 (loi relative à la protection du
patrimoine culturel et naturel) qui était en vigueur lorsque le
requérant acheta le bien, la Cour observe que larticle 11
de cette loi ninterdit que lacquisition de la
propriété des lieux classés en patrimoine culturel et naturel
par la voie de la prescription acquisitive. Or cette interdiction
nest pas pertinente dans le chef du requérant, puisquil
est devenu propriétaire de ce terrain en lachetant. La
Cour relève également que cette même loi donne à lEtat
la possibilité dexproprier les lieux classés au titre de
la protection du patrimoine culturel et naturel et appartenant à
des personnes privées. Dans le cas du requérant, les pouvoirs
publics nont pas utilisé cette voie. 43. Quant
à la loi no 3402 (loi sur le cadastre), la Cour note que le
Gouvernement évoque des travaux de cadastre réalisés en 1999
sans apporter plus de précisions sur ce point ou produire des
documents relatifs à ces travaux. En tout état de cause, il
ressort des observations du Gouvernement que ces travaux ont
alors confirmé le titre de propriété existant et ne remettait
aucunement en question la validité du jugement du 7 octobre
1942. 44. Enfin,
la Cour note que la présente affaire diffère sensiblement de la
matière des décisions citées par le Gouvernement. Dans les
affaires en question, les terrains des requérants avaient été
frappés dune interdiction de construire, mesure qui sanalyse
en une réglementation de lusage des biens, tandis que dans
la présente affaire, le titre de propriété du requérant a
purement et simplement été annulé, ce qui sanalyse en
une privation du droit de propriété. Aussi, les affaires
citées par le Gouvernement ne sauraient être pertinentes dans lexamen
de la présente affaire. 45. A
la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc méconnu le droit du requérant
au respect de ses biens. 46. Il
y a eu donc violation de larticle 1 du Protocole no 1 sur
ce point.
b) La
partie du terrain faisant partie du domaine public littoral 47. Ici
la Cour estime que lingérence dans le droit du requérant
au respect de ses biens avait une base légale larticle
43 de la Constitution et poursuivait un but légitime qui
était dans lintérêt général : protéger le littoral et
permettre le libre accès au rivage (N.A. et autres c. Turquie,
no 37451/97, § 40, CEDH 2005-X). 48. La
Cour rappelle quune mesure dingérence dans le droit
au respect des biens doit en outre ménager un « juste
équilibre » entre les exigences de lintérêt général
de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu. En particulier, il doit exister
un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé par une mesure privant une personne de
sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V).
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation interne. A cet égard, la Cour rappelle quelle
a déjà examiné un grief identique à celui du requérant et
conclu à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 (N.A.
et autres, précité, §§ 41-43). En effet, elle a dit que, sans
le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la
valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive, et quune absence totale
dindemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de larticle
1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles. 49. La
Cour constate quen lespèce le Gouvernement na
fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une
conclusion différente dans le cas présent. Le requérant na
reçu aucune indemnisation à la suite de lannulation de
son titre de propriété. Or lexamen du dossier ne révèle
aucune circonstance exceptionnelle pour justifier labsence
totale dindemnisation. 50. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. ION
CONSTANTIN C. ROUMANIE du 27 MAI 2010 Requête n° 38513/03 Un droit de
propriété obtenu légalement est annulé par les tribunaux onze
ans après. 9. Après
la reconstitution de son droit de propriété sur le terrain, le
père du requérant, puis le requérant lui-même, après lacte
de donation, pouvaient légitimement espérer bénéficier
paisiblement du droit de propriété. Ce nest que onze ans
plus tard, période pendant laquelle le requérant et son père
ont exploité ensemble le terrain, que les autorités locales ont
entamé des démarches pour éclaircir la situation juridique du
terrain. 40. La Cour
estime en outre quil revenait aux autorités locales et
départementales compétentes pour assurer la reconstitution
effective du droit de propriété du requérant de porter à la
connaissance de celui-ci, par une décision formelle, les raisons
de la modification de lemplacement de son terrain et de
faire les démarches nécessaires pour sassurer que son
droit de propriété valable, reconnu en vertu de la loi no
18/1991, soit concret et effectif (mutatis mutandis, Ioachimescu
et Ion c. Roumanie, no 18013/03, § 31,
12 octobre 2006 et Grosu c. Roumanie, no 2611/02,
§ 52, 28 juin 2007). 41. La Cour
note à cet égard que larticle II de la loi no
169/1997 prévoyait que les modifications apportées à la loi no
18/1991 ne pouvaient pas porter atteinte aux droits de
propriété déjà reconstitués dans le respect des dispositions
de cette dernière loi. Seule la nullité absolue des actes
délivrés à des personnes physiques pour non-respect des
dispositions de la loi no 18/1991
pouvait être invoquée pour modifier les situations juridiques
créées. Dès lors, la constatation de nullité absolue
constituait le préalable à ladoption de tout nouvel acte
juridique en vertu de la nouvelle loi, afin dassurer une
cohérence dans lapplication des dispositions légales. Or
en lespèce, et à la différence de laffaire Ioan précitée,
les juridictions nationales ont annulé tant lacte
administratif dattribution dans le domaine de la commune de
Oarja du terrain de 194 hectare, dont faisait partie le terrain
litigieux de 1,30 hectares, que le titre individuel de
propriété sur ce dernier terrain, émis en faveur du père du
requérant. Toutefois, le titre de propriété de D.I. a été
délivré avant que la nullité absolue du titre du requérant
soit prononcée, donc en violation des dispositions légales
susmentionnées. 42. La Cour
peut accepter que lannulation de la décision dans sa
partie concernant le terrain de 194 ha était nécessaire pour
assurer la reconstitution du droit de propriété des habitants
de Bradu, sans quoi ces derniers auraient également pu se
plaindre dune violation de leur droit de propriété, dans
la mesure où ils avaient le droit de se voir délivrer des
titres de propriété (a contrario Gashi précité, § 40).
Cependant, la Cour rappelle avoir jugé que latténuation
de certaines atteintes ne doit pas créer de nouveaux torts
disproportionnés (voir, mutatis mutandis, Pincová et Pinc, no 36548/97,
CEDH 2002-VIII, § 58, et Raicu c. Roumanie, no
28104/03, § 25, 19 octobre 2006) et que les erreurs
des autorités administratives ne doivent pas être supportées
exclusivement par les particuliers en cause. Il ne revient pas au
bénéficiaire dun titre administratif de propriété, qui
a eu la possession dun terrain pendant onze ans, et dont le
titre a été annulé après quinze ans, comme dans le cas despèce,
de supporter les conséquences du système administratif mis en
place, lequel a abouti en lespèce à la coexistence, au
moins jusquau moment de lannulation du titre du
requérant, de deux titres administratifs sur le même terrain,
portant ainsi atteinte au principe de la sécurité des rapports
juridiques. 43. La Cour
rappelle avoir déjà examiné dans dautres affaires la
question de lannulation par les tribunaux internes, après
plusieurs années, de titres de propriété ou de contrats de
vente délivrés ou conclus avec les autorités. Quil sagisse
de lapplication de la législation spécifique relative à
la réparation des injustices commises par un ancien régime ou
de lattribution ou de la vente dun bien par les
autorités en vertu de dispositions légales dautre nature,
la Cour a toujours pris en compte, comme un critère essentiel
dans lexamen de la proportionnalité de la privation, la
question de la responsabilité des parties dans lirrégularité
sanctionnée par lannulation du titre et le caractère
essentiel ou au contraire plutôt mineur de cette irrégularité
(voir, entre autres et mutatis mutandis, Velikovi et autres c. Bulgarie,
nos 43278/98, 45437/99, 48014/99, 48380/99,
51362/99, 53367/99, 60036/00, 73465/01 et 194/02, § 186, 15 mars
2007 ; Gashi c. Croatie, no 32457/05,
§§ 33-40, 13 décembre 2007, Ichim c. Roumanie, no 164/02,
§ 38, 10 mars 2009, Toscuta et autres c. Roumanie, no 36900/03,
§ 38, 25 novembre 2008, et Ciovica c. Roumanie,
no 3076/02, § 92, 31 mars 2009). 44. En lespèce,
la Cour ne décèle pas des éléments conduisant à conclure que
le comportement du requérant serait dans une quelconque mesure
à lorigine de lannulation de son titre de
propriété (voir, a contrario, laffaire Elena et Mihai
Toma c. Roumanie, no 16563/03, décision
dirrecevabilité du 12 janvier 2010). 45. La Cour
considère dès lors que lannulation du titre de
propriété du requérant a été exclusivement justifiée par
des faits imputables aux autorités et sans quil se soit vu
verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain
équivalent (voir Toscuta et autres c. Roumanie, no
36900/03, § 38, 25 novembre 2008). 46. Ces
éléments suffisent à la Cour pour rejeter lexception dincompatibilité
ratione materiae soulevée par le Gouvernement et conclure que lÉtat
a manqué à son obligation dassurer au requérant la
jouissance effective de son droit de propriété garanti par larticle
1 du Protocole no1. COUR
DE CASSATION FRANÇAISE LE CLASSEMENT D'UN
CHEMIN N'EST PAS UN TITRE DE PROPRIETE, LE JUGE JUDICIAIRE N'A
PAS POUVOIR D'ENJOINDRE L'ADMINISTRATION Cour de
Cassation chambre civile 3, du 16 mai 2019 pourvoi n° 17-26.210
cassation partielle sans renvoi Mais attendu quayant
retenu à bon droit que la délibération du conseil municipal
classant un chemin dans la voirie communale ne constitue pas un
titre de propriété et que, en cas de revendication, il
appartient à la commune de fonder son droit de propriété sur
un titre ou sur la prescription acquisitive, la cour dappel,
qui nétait pas tenue de procéder à une recherche que ses
constations rendaient inopérante, a légalement justifié sa
décision en retenant, sans en dénier le caractère exécutoire,
que ni les délibérations successives du conseil municipal ayant
notamment classé le chemin dans la catégorie des voies
communales le 15 mars 1962, approuvé le tableau de classement de
ces voies le 29 août 1964 ou approuvé la carte communale le 24
juillet 2003, ni le plan de réorganisation foncière homologuant
le plan des voies communales, devenu définitif à la suite de larrêté
préfectoral du 2 juin 1999, ni larrêté dalignement
individuel du 20 mai 1999 ne constituaient des titres de
propriété ; Mais sur le moyen relevé doffice, après
avis donné aux parties en application de larticle 1015 du
code de procédure civile Vu larticle 13 de la loi des 16-24 août 1790
et le décret du 16 fructidor an III ; Attendu que, pour condamner, sous astreinte, la
commune de Gorrevod à procéder au déclassement du chemin, larrêt
retient quil constitue un chemin dexploitation qui,
en labsence de titre en attribuant la propriété exclusive
aux consorts X..., est présumé appartenir aux propriétaires
riverains, chacun en droit soi, et est affecté à un usage
commun ; Quen statuant ainsi, alors que, en labsence
de voie de fait, il nappartient pas au juge judiciaire denjoindre
à ladministration de déclasser un bien ayant fait par
erreur lobjet dune décision de classement dans la
voirie communale, et quun tel classement, bien quillégal,
nest constitutif dune voie de fait que sil
procède dun acte manifestement insusceptible de se
rattacher à lun des pouvoirs de ladministration, la
cour dappel a violé les textes susvisés ; Cliquez
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lien bleu pour accéder : - A L'EXPROPRIATION
D'UN BIEN DANS UN BUT D'INTERÊT GENERAL - EN MATIÈRE
DE DÉLAI TROP LONG ENTRE LA DATE DE L'EXPROPRIATION
ET LE DÉBUT DES TRAVAUX PUBLICS - AUX
REQUÉRANTS QUI NE PEUVENT BÉNÉFICIER D'UN
EFFET D'AUBAINE - QUAND LE BUT D'INTERÊT
GÉNÉRAL EST ABANDONNÉ - la jurisprudence
française. EXPROPRIATION DANS L'INTERÊT GENERAL ARSIMIKOV
ET ARSEMIKOV c. RUSSIE du 9 juin 2020 requête n° 41890/12 Art
1 P1 Privation de propriété Démolition de
la maison du requérant, déclarée en péril, par les autorités
et dans le cadre de la reconstruction de la ville Non-respect
de la procédure obligatoire dexpropriation pour cause dutilité
publique Prévention des risques liés à loccupation
dimmeubles dangereux Octroi dun bail social à
titre dindemnisation Appartement inhabitable et
contrat de bail annulé sans autre réparation 57. Le
premier requérant estime que les autorités ont commis à son
égard des infractions pénales. Il se plaint davoir été de
facto exproprié arbitrairement de sa maison, et considère que lappartement
dont il était devenu locataire ne constitue pas une
indemnisation valable de son préjudice. 58. Renvoyant
aux conclusions des juridictions internes, le Gouvernement
soutient pour sa part que le premier requérant na pas
démontré de manière incontestable que les autorités
tchétchènes aient joué un rôle dans la destruction de sa
maison. Il argue que ces autorités nont jamais pris de
mesures dexpropriation à légard de lintéressé,
et que ce sont des personnes privées inconnues qui ont démoli
la maison. 59. La
Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention, une ingérence doit remplir
trois conditions : elle doit être effectuée « dans
les conditions prévues par la loi », « pour cause dutilité
publique » et dans le respect dun juste équilibre
entre les droits du propriétaire et les intérêts de la
communauté (Tkachenko, précité, § 50). a) Sur
la légalité et le but dutilité publique de lingérence 60. La
Cour observe ce qui suit. Par un acte du 4 juin 2010, la
commission pluridisciplinaire a déclaré la maison du premier
requérant en péril et à démolir. Le 1er avril 2011, la
commission du logement de la mairie de Grozny a décidé de louer
un appartement à lintéressé dans le cadre dun
contrat de bail social, quil a signé le même jour. Puis,
le 29 mars 2012, les juridictions nationales ont annulé le
contrat au motif que lappartement était inhabitable. Par
ailleurs, les autorités internes ont reconnu que la maison du
requérant avait été démolie non seulement pour cause de
péril, mais aussi dans le cadre de la reconstruction de la ville
(paragraphes 19, 22 et 23 ci-dessus). Partant, la Cour ne peut
accepter la thèse du Gouvernement consistant à dire que les
autorités tchétchènes nont joué aucun rôle dans la
démolition du bâtiment. 61. Il
apparaît que si les autorités ont procédé à la démolition
pour les besoins de la reconstruction de la ville, elles nont
pas respecté la procédure obligatoire dexpropriation pour
cause dutilité publique (paragraphe 37 ci-dessus).
Cependant, il a aussi été avancé que la maison avait été
démolie pour cause de péril. 62. Bien
que les parties naient pas émis dobservations à ce
sujet, la Cour note que le droit russe prévoit la procédure et
les modalités dadoption des déclarations de péril
rendant nécessaire la démolition dun bâtiment, ainsi que
les droits des propriétaires en pareil cas. Il ressort en
particulier des dispositions internes que, lorsquun
bâtiment déclaré en péril doit être démoli, les autorités
doivent dabord le racheter ou, avec laccord du
propriétaire, attribuer à celui-ci un autre logement (paragraphes
35-36 ci-dessus). La Cour considère que, quelle queût
été la procédure légale dans cette situation, dès lors que
le premier requérant na contesté ni lacte du 4 juin
2010, qui avait été dressé plus dun an avant lingérence
alléguée, ni la décision du 1er avril 2011 et quil a
signé le contrat de bail social, il a renoncé à son droit au
rachat de son bien par les autorités et il a accepté le bail
social à titre dindemnisation. 63. La
Cour considère donc que la démolition de la maison du premier
requérant avait pour base légale les dispositions relatives aux
habitats en péril et poursuivait au moins un but dutilité
publique, à savoir la prévention des risques liés à loccupation
dimmeubles dangereux (voir, pour une situation similaire, Saliy
c. Russie (déc.) [comité], no 3068/06, 26 septembre 2017). b) Sur
la proportionnalité de lingérence 64. La
Cour rappelle que, afin dapprécier si la mesure litigieuse
respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait
pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a
lieu de prendre en considération les modalités dindemnisation
prévues par la législation interne (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 55, CEDH 2001-I). 65. En
lespèce, elle estime que, en principe, un bail social
aurait pu représenter une indemnisation adéquate pour la
démolition de la maison en cause, dautant que les
locataires de logements sociaux peuvent en obtenir gratuitement
la propriété (paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, lappartement
qui a été fourni au premier requérant était inhabitable :
il nétait raccordé ni au gaz ni à lélectricité
ni au tout-à-légout, et il navait ni portes
intérieures ni planchers. Qui plus est, après que le contrat de
bail social a été annulé, les autorités nont rien fait
pour offrir au premier requérant une autre réparation. En
conséquence, près de neuf ans après la démolition de sa
maison, lintéressé na toujours pas obtenu dindemnisation. 66. Dans ces
conditions, la Cour considère que lingérence dont se
plaint le premier requérant a fait peser sur lui une charge
disproportionnée et excessive, et quelle a ainsi rompu le
« juste équilibre » à ménager entre la protection
du droit au respect des biens et les exigences de lintérêt
général. Partant, elle rejette lexception tirée de ce
que le requérant naurait pas subi de préjudice important
puisquil avait bénéficié dun bail social, et elle
conclut quil y a eu violation de larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention. Svitlana
Ilchenko c. Ukraine du 4 juillet 2019 requête n° 47166/09 Violation de l'article
1 du Protocole 1 : La démolition dun garage sans octroi dune
indemnité calculée selon une procédure en bonne et due forme a
emporté violation des droits de la requérante. Laffaire
concerne la démolition du garage de la requérante visant à
libérer un terrain en vue de la construction de logements
commerciaux. La Cour juge en particulier que la requérante, qui
possédait le garage et utilisait le terrain sousjacent depuis
les années 1980, a en fin de compte été traitée comme un
squatter par la justice et quil na été tenu aucun
compte du caractère spécifique de sa situation. La requérante
a simplement été invitée à négocier une possible indemnité
allouée à titre gracieux et les autorités nont pas
engagé de procédure en bonne et due forme pour calculer une
réparation équitable fondée sur la valeur marchande du bien FAITS Mme Ilchenko
était propriétaire dun garage, enregistré à son nom en
février 1995, qui se trouvait dans la cour de son immeuble dhabitation.
Elle utilisait le garage, ainsi que le terrain sur lequel il
était bâti, depuis les années 1980. En 2002, les autorités
locales commencèrent à élaborer un projet de construction de
logements commerciaux englobant le terrain sur lequel était sis
le garage, lequel devait par conséquent être démoli. Elles
invitèrent Mme Ilchenko à négocier une indemnisation sur une
base informelle, mais celle-ci ne donna pas suite à ces offres.
Une procédure judiciaire souvrit en juillet 2003. Le
tribunal de première instance trancha en faveur de Mme Ilchenko
en février 2004, mais ce jugement fut annulé en appel et des
huissiers firent démolir le garage en août 2005. En février
2006, la Cour suprême annula ces deux jugements et renvoya laffaire
aux juridictions inférieures en leur demandant déclaircir
la question du statut du terrain sur lequel le garage avait été
sis. En mai 2007, le tribunal de première instance qui
réexamina laffaire conclut que Mme Ilchenko avait disposé
dun permis temporaire pour la construction dun garage
et que le terrain ne lui avait jamais été cédé. Se fondant
sur une disposition du code foncier régissant loccupation
non autorisée de terrains, il ordonna à Mme Ilchenko dévacuer
les lieux. La Cour suprême confirma ces conclusions en 2009. LE DROIT :
VIOLATION DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1 La Cour note que
le droit de Mme Ilchenko sur le garage est demeuré incontesté
pendant vingt ans, jusquà ce que les autorités ne
commencent à élaborer le projet dimmeuble résidentiel.
Qui plus est, labsence dautorisation pour le garage
ne résultait apparemment pas dun manquement à la
législation qui aurait été commis à lépoque où le
garage avait été construit mais sexpliquait plutôt par
le passage de la législation de lère soviétique, qui ne
reconnaissait ni la propriété foncière privée ni les baux
classiques, au système actuel. La Cour doit alors
rechercher si lingérence des autorités dans lexercice
par Mme Ilchenko de ses droits patrimoniaux était proportionnée
ou servait une cause dutilité publique. Elle prend note
des arguments de Mme Ilchenko, qui avançait que le projet visait
la construction dappartements de luxe destinés à être
commercialisés, que la zone du centre de Kiev concernée
présentait déjà une forte densité de population, et que ce
projet navait fait quintensifier les pressions sur linfrastructure
locale. Le Gouvernement na
pas répondu à ces arguments. La Cour dit que ce projet
immobilier ne servait pas un intérêt général si impérieux quil
justifiât que Mme Ilchenko fût privée de son bien sans être
indemnisée. Dailleurs, ayant été qualifiée de squatter
par la justice, celle-ci ne pouvait prétendre à une réparation
et aurait pu être contrainte à rembourser les frais de
démolition à la ville. Les tribunaux nont tenu aucun
compte des spécificités de sa situation. Il est vrai que Mme
Ilchenko na pas donné suite à une proposition de
négociation, mais, compte tenu de la manière dont les
juridictions internes ont interprété sa situation, elle naurait
dans le cas contraire perçu quune indemnité versée à
titre gracieux au lieu de recevoir une réparation entourée de
garanties juridiques et fondée sur un droit. Son défaut de
coopération à la négociation de lindemnité ne sanalyse
donc pas en un renoncement à ses droits. En réalité, il nexistait
pas pour ce type de négociations de cadre juridique qui lui eût
permis dobtenir les informations nécessaires pour prendre
une décision éclairée. Le Gouvernement est resté silencieux
sur le montant qui lui aurait été proposé ou sur le mode de
calcul qui aurait été retenu, faute dune procédure
établie à cet effet. Dans les circonstances de lespèce,
seule une indemnité définie dans le cadre dune procédure
aboutissant à une appréciation globale des conséquences de lexpropriation
et à lattribution dune somme correspondant à la
valeur marchande du bien pouvait satisfaire aux exigences de la
Convention. Mme Ilchenko ne sétant
pas vu offrir une telle réparation entourée des garanties
adéquates, elle a donc subi une violation de ses droits au
regard de larticle 1 du Protocole n° 1. MAUPAS
et autres c. FRANCE du 19 septembre 2006 requête 13844/02 17. L'expropriation d'une partie du
bien des requérants constitue manifestement une privation de
propriété, au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article
1 du Protocole no 1. 18. La Cour doit en premier lieu
déterminer si cette privation de propriété reposait sur une « cause
d'utilité publique » au sens de cette disposition. Elle
rappelle à cet égard qu'elle reconnaît aux Etats contractants
et aux autorités qui en constituent l'émanation, une grande
marge d'appréciation pour juger si, dans telles ou telles
circonstances, une question de cette nature se pose et justifie
des privations de propriété (voir, pour exemples, les arrêts James
et autres c. Royaume-Uni, du 26 juin 1985, série A no
98-A, § 46, et Motais de Narbonne c. France, no 48161/99,
du 2 juillet 2002, § 18) ; elle respecte la
manière dont ils conçoivent les impératifs d'« utilité
publique » au sens de l'article 1 du Protocole no
1 sauf si leur jugement se révèle manifestement dépourvu de
base raisonnable (arrêt James et autres précité, mêmes
références). Elle ne saurait donc se substituer aux autorités
internes pour évaluer l' « utilité publique »
de l'aménagement dont la réalisation fonde l'expropriation des
requérants, et il lui suffit en l'espèce de relever que la « cause
d'utilité publique » se trouvait en l'occurrence dans la
réalisation d'un ouvrage destiné à l'usage de la collectivité. 19. Toute ingérence dans le droit au
respect des biens doit aussi ménager un « juste équilibre »
entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et
les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété ;
l'équilibre à ménager entre les exigences de l'intérêt
général et les impératifs des droits fondamentaux est rompu si
la personne concernée a eu à subir « une charge
disproportionnée » (voir, parmi beaucoup d'autres, les
arrêts Saints monastères c. Grèce, du 9 décembre 1994,
Série A no 301-A, §§ 70-71, et Motais
de Narbonne, précité, § 19). La Cour a en conséquence jugé
que l'individu exproprié doit en principe obtenir une
indemnisation « raisonnablement en rapport avec la valeur
du bien » dont il a été privé, même si « des
objectifs légitimes « d'utilité publique » (...)
peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine
valeur marchande » (ibidem) ; il en résulte que,
sous cet angle, l'équilibre susmentionné est en règle
générale atteint lorsque l'indemnité versée à l'exproprié
est raisonnablement en rapport avec la valeur « vénale »
du bien, telle que déterminée au moment où la privation de
propriété est réalisée (arrêt Motais de Narbonne précité,
mêmes références). Par ailleurs, notamment, nonobstant le silence de
l'article 1 du Protocole no 1 en
matière d'exigences procédurales, les procédures applicables
en l'espèce doivent offrir à la personne concernée une
occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux
droits garantis par cette disposition ; pour s'assurer du
respect de cette condition, il y a lieu de considérer les
procédures applicables d'un point de vue général (voir, par
exemple, les arrêts AGOSI c. Royaume-Uni, du 24 octobre 1986,
série A no 108, § 55, Hentrich c.
France, du 22 septembre 1994, série A no
296-A, § 49, et Jokela c. Finlande, du 21 mai 2002, no
28856/95, CEDH 2002-IV, § 45). 20. Sur ce second point, la
Cour relève en l'espèce que, comme tout riverain, les
requérants pouvaient, en droit, saisir le juge administratif d'une
recours en excès de pouvoir contre le décret portant
déclaration d'utilité publique du 17 mars 1995 (lequel avait
fait l'objet de mesures de publicité) et obtenir ainsi un
contrôle juridictionnel effectif de la « cause d'utilité
publique » fondant l'expropriation dont ils ont fait l'objet. Il est vrai que le tracé initial de l'infrastructure
litigieuse, tel que présenté lors de l'enquête publique et
retranscrit sur le plan annexé au décret du 17 mars 1995
déclarant l'utilité publique du projet, épargnait la
propriété des requérants. Le tracé a été modifié par
la suite, après la clôture de l'enquête publique ; il
passe désormais sur la propriété des requérants. Ils n'ont eu
connaissance de cette modification qu'à la fin de l'année 1997,
après expiration du délai de recours contre le décret d'utilité
publique, à l'occasion de l'enquête parcellaire organisée dans
le contexte de la procédure d'expropriation. 21. Il apparaît ainsi que les
requérants n'avaient initialement pas de motif lié à la
privation de leur propriété d'user de cette procédure puisque
le tracé soumis à enquête publique et annexé à ce décret
épargnait leur propriété, et qu'ils n'ont su que celle-ci
était finalement concernée par l'opération qu'après la
clôture du délai de recours contre ledit décret. Ainsi, in
concreto, ils se sont trouvés privés de l'opportunité de
bénéficier de cette voie procédurale pour obtenir un contrôle
juridictionnel du fondement de l'expropriation dont ils ont fait
l'objet. Néanmoins, comme le souligne le Gouvernement,
les requérants avaient également la possibilité, dans le cadre
de leur recours contre l'arrêté de cessibilité, de soulever
par voie d'exception l'illégalité du décret du 17 mars 1995
portant déclaration d'utilité publique et d'obtenir ainsi un
contrôle juridictionnel de l'acte fondant l'expropriation
litigieuse ; par cette voie, ils auraient pu parvenir à l'annulation
de cet arrêté sur le fondement de l'illégalité dudit décret,
ce qui aurait fait obstacle au transfert de propriété. En sus,
ils eurent, dans les circonstances de leur cause, l'opportunité
de contester la légalité de ce décret dans le cadre d'un
recours en annulation du décret du 15 mars 2000 prorogeant les
effets du premier. Or il apparaît que, contrairement aux
allégations des intéressés, le juge administratif ainsi saisi
ne les a pas déboutés pour tardiveté mais au fond, retenant
notamment que le déplacement de l'échangeur et de l'axe de la
voie litigieux par rapport au projet soumis à l'enquête
publique ne constituait pas une modification substantielle
affectant l'économie générale du projet et rendant nécessaire
une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique (paragraphes
10 et 11 ci-dessus). 22. La Cour constate ensuite que le
montant final de l'indemnité d'expropriation allouée au
requérant a été fixé par les juridictions judiciaires (paragraphe
9 ci-dessus), et que rien ne permet de considérer qu'il n'est
pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien dont ils
ont été privés. 23. La Cour conclut en conséquence
que l'expropriation dont il est question n'a pas rompu le juste
équilibre devant être maintenu entre les exigences de l'intérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux des requérants, et qu'il n'y a pas eu
violation de l'article 1 du Protocole no
1. 24. Enfin, la Cour estime qu'aucune
question distincte ne se pose en l'espèce sur le terrain de l'article
6 § 1 de la Convention et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner l'affaire
sous l'angle de cette disposition. LE DÉLAI TROP LONG
ENTRE L'EXPROPRIATION ET LES TRAVAUX DU PROJET SONT UNE VIOLATION POULIMENOS
ET AUTRES c. GRÈCE du 20 juillet 2017 Requête n° 41230/12 L'article 1 du
Protocole 1 de la Conv EDH n'a pas été respecté. Le délai
entre la date de la première audience et la date de la décision
est trop long. Le prix du m2 est passé de 420 euros à 1300
euros : En retenant comme date critique pour la détermination de
la valeur du bien exproprié, et donc pour la fixation de lindemnité
définitive, la date de la première audience tenue au cours de
la procédure devant le tribunal de première instance
relativement à létablissement de lindemnité
susmentionnée, soit le 9 novembre 1999, la cour dappel a
fait abstraction de tout écart qui pouvait exister entre la
valeur de la créance des requérants à cette date et celle à
la date à laquelle elle a statué, soit le 18 janvier 2012. 43.
En lespèce, la Cour note, dans la mesure où les
requérants se plaignent de la dépréciation de leur indemnité
dexpropriation, que la situation litigieuse relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole n° 1 à la Convention, qui énonce de manière
générale le principe du respect des biens (Almeida Garrett,
Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos29813/96 et30229/96, §§ 43 et 48, CEDH
2000-I, et Zacharakis, précité, § 29). Dès lors, la Cour doit
rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu
(voir, parmi dautres, Nastou c. Grèce (no 2), no16163/02,
§ 31, 15 juillet 2005). 44.
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier. En
particulier, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos
Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, §
38, série A no 332). 45.
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation interne. À cet égard, la Cour a déjà dit
que, sans le versement dune somme raisonnablement en
rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété
constitue normalement une atteinte excessive au droit au respect
des biens (Malama c. Grèce, no43622/98, § 48, CEDH 2001-II). En
particulier, le caractère adéquat dun dédommagement se
trouverait diminué si son paiement faisait abstraction déléments
susceptibles den réduire la valeur, tel lécoulement
dun laps de temps que lon ne saurait qualifier de
raisonnable (Angelov c. Bulgarie, no44076/98, § 39, 22 avril
2004, et Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres,
précité, § 54). Dans pareil cas, la Cour recherche
principalement si ladministration a procédé à la
réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation
en raison du laps du temps écoulé (voir, parmi dautres, Akkus
c. Turquie, 9 juillet 1997, §§ 29-31, Recueil des arrêts et
décisions 1997-IV, et Zacharakis, précité, § 31). 46.
En loccurrence, la Cour note demblée que, daprès
larticle 17 § 2 de la Constitution, si laudience
pour la fixation de lindemnité définitive a lieu plus dun
an après laudience sur la fixation de lindemnité
provisoire, il convient de prendre en compte la valeur à la date
de laudience pour la fixation de lindemnité
définitive. Elle en déduit que le but de cette disposition est
de faire en sorte que la date critique pour la fixation de lindemnité
soit la date la plus proche de celle de son versement aux ayants
droit, afin que la compensation soit « intégrale » comme lexige
ce même article. La Cour note aussi que, par son arrêt no 14/2011,
la Cour de cassation, statuant en formation plénière, et
interprétant la disposition susmentionnée, a considéré que laudience
quil fallait prendre en compte pour calculer lindemnité
était celle à laquelle laffaire avait été appelée
devant le tribunal, même si, à cette audience, le tribunal navait
pas examiné le fond de laffaire en raison de lajournement
de celle-ci, de la prescription par lui dune expertise ou
pour toute autre cause. 47.
En lespèce, la Cour est attentive aux arguments du
Gouvernement relatifs aux considérations de sécurité juridique
et de nécessité pour les autorités étatiques de prévoir
suffisamment à lavance leurs obligations financières pour
lindemnisation des propriétaires expropriés dont les
biens ont vu leur valeur être multipliée pendant des périodes
durbanisation galopante. Toutefois, de lavis de la
Cour, lutilisation de la possibilité de réactualisation
de lindemnité par les tribunaux en cas de non-respect des
exigences de larticle 17 § 2 de la Constitution est
avantageuse pour les deux parties concernées par lexpropriation
: dune part, pour lautorité à lorigine de lexpropriation,
car elle permet de réduire les cas de levée doffice des
expropriations en cas de non-versement de lindemnité (pareille
levée étant susceptible de perturber la programmation de lexécution
des travaux) ; dautre part, pour le propriétaire
exproprié, car elle permet à ce dernier de percevoir une
compensation « intégrale » au sens de larticle 17 § 2
précité et, le cas échéant, dobtenir en remplacement de
sa propriété un bien dune même valeur. 48.
La Cour note que, en lespèce, le tribunal de première
instance a calculé le montant de lindemnité provisoire dexpropriation
à la date de laudience devant lui, soit le 27 mars 1998. Laudience
pour la fixation de lindemnité définitive a eu lieu
devant ce même tribunal le 9 novembre 1999. Toutefois, à cette
dernière date, ledit tribunal na pas procédé à la
fixation de cette indemnité : il a en effet ordonné une
expertise aux fins de la détermination de la valeur du bien au
27 mars 1998. Puis, par un jugement du 24 janvier 2005, le
tribunal a fixé lindemnité en question en tenant compte
de la valeur du terrain au 27 mars 1998. Par la suite, le 29
décembre 2006, la cour dappel a rejeté lappel des
requérants, et, le 28 avril 2009, la Cour de cassation a
débouté ceux-ci de leur pourvoi. Enfin, par un arrêt du 18
janvier 2012, statuant à la suite de la réintroduction de leur
appel par les requérants, qui se fondaient sur une augmentation
substantielle de la valeur du terrain objet du litige pour
demander une réactualisation de lindemnité allouée, la
cour dappel a fixé un nouveau montant en tenant compte de
la valeur que ledit terrain avait au 9 novembre 1999, soit à la
date de la première audience relative à la fixation de lindemnité
définitive devant le tribunal de première instance. 49.
La Cour constate ainsi que la procédure relative à la
détermination de lindemnité à accorder aux requérants a
débuté le 30 novembre 1997, avec la saisine du tribunal de
première instance en vue de la fixation de lindemnité
provisoire, et quelle a pris fin le 18 janvier 2012, avec larrêt
de la cour dappel statuant sur le montant de lindemnité
définitive. Il convient en outre de noter que lexpropriation
litigieuse, aux fins de lélargissement dune rue,
avait été déclarée dès 1959 et quune procédure
judiciaire, engagée par le père des requérants, avait déjà
eu lieu devant le Conseil dÉtat en 1979 (paragraphe 5 ci-dessus).
Certes, les procédures engagées par les requérants ont
contribué à retarder la date du versement de lindemnité
définitive dexpropriation, mais les intéressés nont
fait quutiliser toutes les possibilités que leur offrait
le droit national pour réactualiser le montant de celle-ci. 50.
La Cour observe ensuite que le 31 août 1998, lindemnité
provisoire a été fixée à 264 EUR le mètre carré après
prise en compte de la valeur du bien au 27 mars 1998. Par la
suite, le 24 janvier 2005, lindemnité définitive a été
fixée à 320 EUR le mètre carré sur la base de la valeur du
bien à cette même date. Enfin, le 18 janvier 2012, à lissue
de la dernière procédure menée devant les juridictions
internes procédure au cours de laquelle les requérants
évaluaient le montant de lindemnité définitive à 1 300
EUR le mètre carré, celle-ci a été recalculée à 420 EUR le
mètre carré après prise en considération de la valeur du bien
au 9 novembre 1999, date de la première audience tenue devant le
tribunal de première instance, lors de laquelle celui-ci avait
ordonné une expertise. 51.
La Cour estime quil ne lui appartient pas de sexprimer
sur le montant exact de lindemnité définitive que les
requérants devaient percevoir en fonction des fluctuations des
prix du marché, de linflation ou de toute autre
éventuelle cause. 52.
Toutefois, en retenant comme date critique pour la détermination
de la valeur du bien exproprié, et donc pour la fixation de lindemnité
définitive, la date de la première audience tenue au cours de
la procédure devant le tribunal de première instance
relativement à létablissement de lindemnité
susmentionnée, soit le 9 novembre 1999, la cour dappel a
fait abstraction de tout écart qui pouvait exister entre la
valeur de la créance des requérants à cette date et celle à
la date à laquelle elle a statué, soit le 18 janvier 2012. 53.
Aussi la Cour considère-t-elle que les requérants ont dû
supporter une charge disproportionnée et excessive qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit
de propriété et les exigences de lintérêt général (voir,
mutatis mutandis, Zacharakis, précité, § 33, et Yetis et
autres c. Turquie, no40349/05, § 56, 6 juillet 2010). Partant,
la Cour rejette lobjection du Gouvernement tirée de lirrecevabilité
ratione personae de la requête et constate quil y a eu
violation de larticle 1 du Protocole n° 1 à la Convention. ODESCALCHI
ET LANTE DELLA ROVERE c. ITALIE du 7 juillet 2015, requête 38754/07 Violation
article 1 du Protocole 1 de la Convention : les requérants n'ont
pas eu le droit de construire depuis 1975 car leurs terrains
devaient être expropriés mais ils n'ont jamais été
expropriés. Non respect du droit d'usage du bien. 53. La
Cour note que la requête porte sur les mesures relevant de lurbanisme
qui visent le terrain de requérants. Les parties saccordent
pour dire quen raison de ces mesures, il y a eu ingérence
dans le droit des requérants au respect de leurs biens. 54. Il
reste à examiner si ladite ingérence a enfreint ou non larticle
1 du Protocole no 1. À cet égard, la Cour relève que les
effets dénoncés par les requérants découlent tous de la
diminution de la disponibilité du bien en cause. Ils résultent
des limitations apportées au droit de propriété ainsi que des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble.
Pourtant, bien quil ait perdu de sa substance, le droit en
cause na pas entièrement disparu. Les effets des mesures
en question ne sont pas tels quon puisse les assimiler à
une privation de propriété. La Cour note à ce sujet que les
requérants nont perdu ni laccès au terrain ni la
maîtrise de celui-ci et quen principe, la possibilité de
vendre le terrain, même rendue plus malaisée, a subsisté. Elle
estime dès lors quil ny a pas eu dexpropriation
de fait et que la seconde phrase du premier alinéa ne trouve
donc pas à sappliquer en lespèce (Scordino c.
Italie (no 2), précité, § 70 ; Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 56, CEDH 2001-IX ; Matos
e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre 1996,
§ 89, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 55. La
Cour est davis que les mesures litigieuses ne relèvent pas
non plus de la réglementation de lusage des biens, au sens
du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. En effet,
sil est vrai quil sagit dinterdictions de
construire réglementant lusage des biens (Sporrong et
Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 64, série A no
52), il nen demeure pas moins que les mêmes mesures
visaient au final lexpropriation du terrain. 56. Dès
lors, la Cour estime que la situation dénoncée par les
requérants relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1 (Maioli, précité, § 54 ; Sporrong et
Lönnroth, précité, § 65 ; Elia Srl, précité, § 57 ; Scordino (no
2), précité, § 73). 57. La
Cour juge naturel que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les États
contractants jouissent dune grande marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique Elle tient pour établi
que lingérence dans le droit des requérants au respect de
leurs biens répondait aux exigences de lintérêt
général. Elle ne saurait se soustraire pour autant à son
devoir de contrôle. La Cour doit donc rechercher si un juste
équilibre a été préservé entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69 ; et Phocas c. France, 23 avril 1996,
§ 53, Recueil 1996-II, p. 542). 58. À
ce propos, la Cour constate que le terrain des requérants a
été soumis à une interdiction de construire en vue de son
expropriation en vertu du plan général durbanisme entré
en vigueur en 1975. En 1980, le permis dexproprier ayant
expiré, le terrain a été soumis au régime des « zones
blanches » et aux limitations au droit de bâtir prévus
par la loi no 10 de 1977. En juin 2011, le commissaire ad acta a
pris la décision de renouveler le permis dexproprier mais
cette décision nest pas entrée en vigueur, de sorte que
le terrain tombe sous le coup des « mesures de sauvegarde »
(paragraphe 23 ci-dessus) de ladite décision en attendant
que celle-ci soit approuvée, le cas échéant. 59. Indépendamment
du fait que les limitations visant le terrain découlent dun
acte administratif ou de lapplication dune loi, il en
résulte que le terrain litigieux a été frappé dinterdiction
de construire de manière continue (Terazzi S.r.l., précité, §
83 ; Elia S.r.l., précité, § 76 ; Rossitto c. Italie,
no 7977/03, § 38, 26 mai 2009). Lingérence
litigieuse qui en découle dure depuis plus de quarante ans, si lon
prend comme point de départ la date dentrée en vigueur du
plan général durbanisme de 1975, et depuis presque
quarante-quatre ans si lon part de la décision de la
municipalité en vue de son adoption (paragraphe 8 ci-dessus). 60. La
Cour estime que, pendant toute la période concernée, les
requérants sont restés dans une incertitude totale quant au
sort de leur propriété : ladministration na
pas exproprié pendant la période de validité du permis dexproprier.
Une fois celui-ci expiré en 1980, le terrain pouvait être
frappé dun nouveau permis dexproprier à tout moment. Le
droit interne permet aux intéressés de se plaindre de linaction
de ladministration lorsque, comme en lespèce, des
années sécoulent sans quune décision ne soit prise
quant au sort dun terrain. Cette possibilité ne semble pas
avoir remédié à lincertitude affectant le terrain des
intéressés, et la Cour rappelle dailleurs que Cour
constitutionnelle (paragraphe 27 ci-dessus) avait affirmé
que « le recours permettant dattaquer linaction
de ladministration devant le tribunal administratif était
inopérant et de ce fait peu efficace. » 61. Ensuite,
la Cour estime que lexistence dinterdictions de
construire pendant toute la période concernée a entravé la
pleine jouissance du droit de propriété des requérants et a
accentué les répercussions dommageables sur la situation de
ceux-ci en affaiblissant considérablement, entre autres, les
chances de vendre le terrain. 62. En
outre, la Cour constate que les requérants nont pas reçu
dindemnisation. À cet égard, elle estime utile de
rappeler quaux termes de la jurisprudence des cours
nationales (paragraphes 31, 32 ci-dessus), seule la période
faisant suite au renouvellement dun permis dexproprier,
une fois celui-ci entré en vigueur, est en principe indemnisable
au sens de larticle 39 du Répertoire. Il
sensuit que lexception de non-épuisement des voies
de recours internes jointe au fond doit être rejetée car,
contrairement à la situation factuelle de Tiralongo et Carbe
où le permis dexproprier avait été effectivement
renouvelé à plusieurs reprises, aucune possibilité dindemnisation
ne subsiste en lespèce, notamment pour les raisons
suivantes : a) la
période allant de 1975 à 1980, pendant laquelle le permis dexproprier
prévu par le plan général durbanisme a été en vigueur,
est considérée comme une période de franchise non indemnisable ; b) la
période précédant lentrée en vigueur dudit plan durbanisme,
et allant de 1971 à 1975, concernée par les mesures de
sauvegarde, nest pas non plus indemnisable non plus ; c) la
période allant de 1980 à 2011, pendant laquelle le terrain a
été soumis au régime des « zones blanches » nest
pas non plus indemnisable ; d) la
période à partir de juin 2011 nest pas indemnisable non
plus car le permis dexproprier décidé par le commissaire ad
acta nest pas entré en vigueur. 63. Les
circonstances de la cause, notamment lincertitude et linexistence
de tout recours interne effectif susceptible de remédier à la
situation litigieuse, combinées avec lentrave à la pleine
jouissance du droit de propriété et labsence dindemnisation,
amènent la Cour à considérer que les requérants ont eu à
supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le
juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect des biens. 64. En
conclusion, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole
no1. MACHARD
c. FRANCE du 25 AVRIL 2006 Requête no
42928/02 OPÉRATION
FONCIÈRE TROP LONGUE QUI LESENT LE REQUÉRANT "14. La
Cour constate que la procédure sest déroulée quelque peu
confusément, ceci du fait de plusieurs décisions irrégulières
successives des commissions départementale et nationale daménagement
foncier quant à linclusion de certaines parcelles des
requérants dans le périmètre de remembrement lesquelles
décisions furent censurées par le juge administratif et
du fait quen limitant la motivation de leurs décisions dannulation
à certains aspects du litige, les juridictions administratives
saisies ont pu parfois laisser planer un doute quant à la
légalité de linclusion de telle ou telle parcelle. Il est
clair cependant que la procédure est aujourdhui purgée de
toute difficulté dexécution, en raison de la modification
du périmètre de remembrement par un arrêté préfectoral du 10
août 1999, validée ensuite par les juridictions administratives. Ainsi, sil est compréhensible que les
requérants tirent de ces circonstances le sentiment que les
décisions rendues en leur faveur nont pas été
exécutées, les faits montrent le contraire ; aucune
question dexécution ne se pose donc en lespèce, de
sorte quil ny a pas eu violation de larticle 6
§ 1 de la Convention dun tel chef. 15. Il nen reste pas moins que
le litige relatif à linclusion de certaines parcelles des
requérants dans le périmètre de remembrement a duré une
trentaine dannées sans que cette durée puisse être
imputée à ces derniers et alors que, comme le concède le
Gouvernement, laffaire ne présentait aucune complexité
particulière. Durant cette très longue période, les
requérants sont restés dans lincertitude quant au sort
des biens litigieux, leur droit de propriété sur ceux-ci
étant en quelque sorte en sursis. Par ailleurs, linclusion
dun fonds dans le périmètre dune opération de
remembrement implique, de fait sinon en droit, des limitations à
la faculté den user ; la Cour relève ainsi
même si les parties napportent aucune précision quant aux
mesures éventuellement prises en lespèce sur ce fondement
quaux termes de larticle L. 121-19 du code
rural (dans sa version applicable à lépoque des faits de
la cause), notamment, le préfet pouvait interdire tous travaux
jusquà la fin des opérations. Il en va de même de la
faculté den disposer, tout projet de mutation de
propriété entre vifs étant soumis à un régime dautorisation
préalable (article L. 121-20 du code rural) ; il est
en outre peu douteux quun propriétaire qui désire vendre
un bien inclus dans le périmètre dun remembrement
ou même simplement susceptible de lêtre aurait du
mal à trouver acquéreur. Selon la Cour, ce type dingérence dans lexercice
du droit au respect des biens des requérants relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (voir, par exemple,
larrêt Erkner et Hofauer c. Autriche du 23 avril 1987,
série A no 117 B, § 74) : il y a
lieu de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre
les exigences de lintérêt général de la communauté
indéniable en lespèce, sagissant dun
remembrement rural (voir, par exemple, larrêt Piron
précité, § 40) et les impératifs de la sauvegarde des
droits fondamentaux de lindividu (voir, notamment, larrêt
Erkner et Hofauer précité, § 75). La Cour a déjà eu loccasion
de juger à cet égard que la durée dune procédure
relative à un remembrement « entre en ligne de compte,
avec dautres éléments, pour déterminer si le transfert [de
propriété] litigieux se concilie avec la garantie du droit de
propriété » (ibidem, § 76) ; voir aussi, parmi dautres,
larrêt Piron précité, § 44). Cet élément est en lespèce
déterminant : vu la durée particulièrement longue de la
procédure de remembrement considérable à léchelle
individuelle et, en corollaire, de lingérence dans
lexercice du droit des requérants au respect de leurs
biens, la Cour considère que ces derniers se sont vu imposer une
charge spéciale et exorbitante et quen conséquence, il y
a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. 16. Enfin, eu égard aux motifs pour
lesquels elle a constaté une violation de larticle 1 du
Protocole no 1, la Cour estime quaucune
question distincte ne se pose sous langle du « délai
raisonnable » de larticle 6 § 1 de la Convention, à
supposer un tel grief recevable au regard du délai de six mois
de larticle 35 § 1 de la Convention." Motais
de Narbone contre France du 02/07/2002 requête 48161/99 En l'espèce,
la Cour a sanctionné le délai de 19 ans entre l'expropriation
et la réalisation des travaux cause de l'utilité publique. Durant ce
délai, le terrain a augmenté de valeur et les propriétaires
ont été privé de cette plus-value. La Cour a
interrogé le gouvernement pour savoir quelle justification il
donnait à la réserve foncière et les causes d'un délai de 19
ans entre l'expropriation et les constructions de logements
sociaux. Le Gouvernement
avait répondu que les terrains manquaient de réseaux d'assainissement
dont la mise en uvre relevait des autorités locales. La Cour
constate alors qu'il s'agit d'un état de fait entièrement
imputable aux autorités publiques et qui n'équivaut pas à une
cause d'intérêt public au sens de l'article 1 du Protocole n°
1. UNE ATTEINTE A
LA PROPRIETE PREVUE PAR LA LOI "§18: La
Cour relève qu'il n'est contesté ni que l'expropriation en
question était légale au regard du droit français, ni qu'elle
s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde
phase du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole n° 1"
BUT LEGITIME DE
LA LOI: "La Cour
constate que le terrain litigieux a été "exproprié"
en vue de la constitution de réserves foncières destinées à l'habitat
très social". Il n'est pas
douteux qu'un tel but - qui tient de l'organisation foncière et
de sa mise en oeuvre d'une politique sociale - est "légitime
en principe" et relève de l'intérêt public () Par ailleurs,
vu la marge d'appréciation dont jouissent en ce domaine les
Etats contractants et les autorités qui en constituent l'émanation,
pour juger si, dans telles ou telles circonstances, un problème
d'intérêt public se pose et justifie des privations de
propriété, la Cour tient pour établie l'existence d'un besoin
en habitats sociaux dans la zone où se situe le terrain
litigieux" Les Etats ont
donc une grande latitude ET UNE MARGE DE MANOEUVRE pour
déterminer s'il y a ou non un but d'intérêt général. L'EQUILIBRE
ENTRE INTERET GENERAL ET DROIT INDIVIDUEL: "§19:
Le problème n'est pas tranché pour autant. En effet, il ne
suffit pas qu'une mesure privative de propriété poursuive, en l'espèce
comme en principe, un objectif légitime "d'utilité
publique": il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre le dit but et les moyens employés. L'équilibre
à ménager entre les exigences de l'intérêt général et les
impératifs des droits fondamentaux est ainsi rompu si la
personne concernée a eu à subir "une charge
disproportionnée". La Cour a en
conséquence jugé que l'individu exproprié doit en principe
obtenir une indemnisation "raisonnablement en rapport avec
la valeur du bien" dont il a été privé, même si
des objectifs légitimes "d'utilité publique" ()
peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine
"valeur marchande". Il en résulte
que l'équilibre susmentionné en rapport avec la "valeur
vénale" du bien, telle que déterminée au moment où la
privation de propriété est réalisée. Cela n'exclut cependant
pas que, dans certaines circonstances, cet équilibre soit rompu
nonobstant le versement d'une somme de cette nature" En l'espèce,
la Cour constate qu'une durée de 19 ans entre l'expropriation et
la réalisation de logements sociaux est une durée longue durant
laquelle le terrain a augmenté de valeur: "Dans l'affaire
Akkus contre Turquie du 9 juillet 1997 qui mettait en cause le
retard de l'administration à payer une indemnité
complémentaire d'expropriation, réduisant celle-ci en raison de
l'inflation, la Cour a ainsi jugé que "le caractère
adéquat d'un dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci
faisant abstraction des éléments susceptibles d'en réduire la
valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps que l'on ne saurait
qualifier de raisonnable. Selon la Cour,
il peut également en aller de la sorte lorsqu'un laps de temps
notable s'écoule entre la prise d'une décision portant
expropriation d'un bien et la réalisation concrète du projet d'utilité
publique fondant la privation de propriété. Dans un tel cas,
l'expropriation peut avoir pour effet de priver l'individu
concerné d'une plus-value générée par le bien en cause; si
cette privation spécifique ne repose pas elle-même sur une
raison légitime tenant de l'utilité publique, l'individu
concerné ne peut subir une charge additionnelle, incompatible
avec les exigences de l'article 1 du Protocole n°1. §20: En l'espèce,
les requérants ne prétendent pas que l'indemnité d'expropriation
perçue par l'ancienne propriétaire du bien litigieux était
sans rapport avec la valeur vénale de celui-ci, telle qu'elle
pouvait être évaluée au moment de l'expropriation. Ils exposent en
revanche que dix neuf ans se sont écoulés depuis lors sans que
le terrain en question ait fait l'objet d'un aménagement en vue
de a réalisation d'équipements à vocation sociale
conformément au but d'utilité publique poursuivi, et que la
valeur marchande de ce terrain a notablement augmenté durant
cette période; ils en déduisent qu'ils se trouvent indûment
privés d'une partie de la valeur dudit bien. Les requérants
peuvent donc soutenir que la "cause" fondant "l'utilité
publique" de l'expropriation dont il est question n'a pas ,
après un longs laps de temps, été justifiée par une
réalisation. Selon la Cour,
le maintien en réserve d'un bien exproprié, même durant une
longue période, ne constitue pas nécessairement un manquement
à l'article 1 du Protocole n°1. Un problème se
pose en revanche clairement sous l'angle de cette disposition
lorsque, comme en l'espèce, le maintien du bien en réserve
durant une longue période en repose pas lui-même sur des
raisons tenant de l'utilité publique et où, durant cette
période, ledit bien engendre une plus-value appréciable dont
les anciens propriétaires se voient privés. L'article 1 du
Protocole n°1 oblige en effet les Etats à prémunir les
individus contre le risque d'un usage de la technique des
réserves foncières autorisant ce qui pourrait être perçu
comme une forme de spéculation foncière à leur détriment. En l'espèce,
la Cour ne décèle aucun élément dont il pourrait être
déduit que la non réalisation de l'opération d'urbanisation
prévue et, conséquemment, le maintien du terrain en réserve
foncière, reposent sur une quelconque raison tenant à l'utilité
publique. §23: Bref,
dans les circonstances particulières de leur cause, les
requérants sont fondés à soutenir qu'ils ont été indûment
privés d'une plus value engendrée par le bien exproprié et ont,
en conséquence, subi une charge excessive du fait de l'expropriation
litigieuse. Partant, il y a
violation de l'article 1 du Protocole n° 1" Piron
contre France du 14/11/2000 requête 2064 Hudoc 36436/97 la Cour,
constate qu'un remembrement agricole est une ingérence prévue
par la loi qui poursuit un but légitime: "Il sert l'intérêt
des propriétaires concernés comme la collectivité dans son
ensemble en accroissant la rentabilité des exploitations dans
son ensemble et en rationalisant la culture" Puis, la Cour
sanctionne le long délai de l'opération dans l'examen de la
proportionnalité des moyens avec le but poursuivi: "§43: Le
rétablissement en nature s'étant avéré impossible,
essentiellement en raison du temps passé, la Cour est d'avis que,
dans le cadre de la marge d'appréciation dont disposent en la
matière les Etats membres, il était loisible aux autorités de
décider de procéder à une indemnisation. Toutefois,
ainsi qu'elle l'a affirmé dans l'arrêt Guillemin contre France:
" l'indemnisation du préjudice subi par l'intéressé ne
peut constituer une réparation adéquate que lorsqu'elle prend
aussi en considération le dommage tenant à la durée de la
privation. Elle doit en outre avoir lieu dans un délai
raisonnable. §46: Ainsi qu'elle
l'a relevé mutatis mutandis dans l'arrêt Guillemin contre
France précité, la Cour estime que la somme qui pourra être
octroyée au terme de la procédure ne compense pas l'absence de
dédommagement et ne saurait être déterminante eu égard à la
durée de l'ensemble des recours déjà engagés par la
requérante. §47:Dès lors,
en tenant compte de l'ensemble de ces éléments, la Cour arrive
à la conclusion qu'il y a violation de l'article 1 du Protocole
n°1 à la Convention" Phocas
contre France du 23/04/1991 Hudoc 567 requête 17869/91 la Cour n'avait
pas sanctionné le fait que le requérant avait été privé de l'usage
de son immeuble durant 27 ans pour un prétendu projet de
carrefour qui n'a jamais été réalisé. La cour a
reproché au requérant de ne pas avoir saisi le juge de l'expropriation
et par conséquent, de ne pas avoir épuisé les voies de recours
internes. LES REQUÉRANTS NE PEUVENT BÉNÉFICIER
D'UN EFFET D'AUBAINE ALFA
GLASS ANONYMI EMBORIKI ETAIRIA YALOPINAKON c. GRÈCE du 28
janvier 2021 requête n° 74515/13 Article 1 du
Protocole 1 pour atteinte à la procédure unique Art 1 P1
Respect des biens Présomption davantage apporté au
restant (non exproprié) du terrain par les travaux à réaliser
sur la partie expropriée Avantage légalement censé
justifier une réduction de lindemnité dexpropriation
Refus des juridictions civiles compétentes pour fixer lindemnité
dexaminer une contestation de la présomption, au motif de
lexistence dune procédure administrative spécifique,
non exercée en lespèce Question présentant
pourtant un caractère connexe à lexpropriation
Atteinte au principe de la « procédure unique » consacré par
la jurisprudence européenne et nationale FAITS 2. La
requérante est une société anonyme qui a son siège social à
Athènes. Elle est représentée par Me I. Choromidis,
avocat. 4. Par
une décision du 65 mai 2006, le Secrétaire général de la
Région de lAttique procéda à lexpropriation dune
zone de 33 619 m² en vue de lextension dune
route. La zone incluait des parties de trois terrains appartenant
à la requérante sous les numéros de cadastre 11, 13.1 et 13.2.
Conformément aux dispositions de la loi no 653/1977, les parties
non expropriées des terrains litigieux furent considérées
comme étant avantagées par la réalisation des travaux de sorte
que des parties des 511,46 m², 1 404,74 m² et 484,82
m² des terrains expropriés respectivement ne furent pas lobjet
dune indemnisation car elles seraient « auto-indemnisées ». 5. Lors
de la procédure de la fixation du montant provisoire de lindemnité
dexpropriation devant le tribunal de première instance dAthènes,
la requérante soutint que les parties non-expropriées de ses
terrains nétaient pas avantagées par la réalisation des
travaux et quil ny avait pas lieu à « auto-indemnisation »
de certaines parties des terrains expropriés. 6. Toutefois,
en fixant le montant provisoire de lindemnité dexpropriation
(jugement no 884/2008), le tribunal de première instance ninclut
pas lindemnité correspondant aux parties « auto-indemnisées »
des terrains. Le tribunal souligna que la présomption que le
propriétaire dun terrain exproprié tirait un avantage de
la réalisation des travaux par rapport aux parties non-expropriées
de celui-ci nétait pas irréfragable et sagissait
là dune question qui devait être examinée par la cour dappel
qui devait se prononcer sur la fixation du montant définitif de
lindemnité dexpropriation, conformément à la
procédure spéciale de larticle 33 de la loi no 2971/2001. 7. Le
19 avril 2009, la requérante demanda à la cour dappel dAthènes
de fixer le montant définitif de lindemnité dexpropriation
et de reconnaître quelle ne tirait pas un avantage de la
réalisation des travaux quant aux parties non-expropriées de
ses terrains. 8. Par
son arrêt no 5317/2010, la cour dappel dAthènes
fixa le montant définitif de lindemnité et rejeta comme
irrecevable la demande susmentionnée de la requérante. 9. La
cour dappel releva que lexpropriation litigieuse
était soumise aux dispositions de larticle 33 de la loi no
2971/2001. Par conséquent, pour que la demande de la requérante
soit recevable, celle-ci aurait dû respecter la procédure
prévue par larticle 33 §§ 1, 2, 3, 4 et 6 de la loi, en
introduisant une requête à lorganisme chargé des travaux
dans un délai de deux mois à compter de la publication du
jugement fixant le montant provisoire de lindemnité dexpropriation.
Or, la requérante navait pas introduit une telle requête.
Une demande introduite par la requérante auprès du Secrétaire
général de la Région de lAttique le 14 janvier 2008 ne
saurait être assimilée à la requête exigée par larticle
33 §§ 2 et 3 car elle ne contenait aucune prétention relative
à la présomption selon laquelle le propriétaire dun
terrain exproprié tirait un avantage de la construction dune
route. 10. La
requérante se pourvut en cassation contre cet arrêt. Elle
invoquait larticle 1 du Protocole no 1 et se prévalait de
la jurisprudence de la Cour et de celle de la Cour de cassation (arrêts
no 10 et 11/2004, 851/2004, 1014/2004, 152/2007 et 1060/2008).
Elle soutenait que la procédure relative à la fixation de lindemnité
dexpropriation devait avoir pour objet lindemnité
dans sa globalité et inclure toute question y afférente. Par
conséquent, dans le cadre de la fixation du montant définitif
de cette indemnité, il était possible dintroduire une
demande tendant à faire admettre que le propriétaire dont le
bien acquiert une façade sur une route ne tirait pas un avantage
de lexpropriation et ne devait pas être obligé à « auto-indemnisation ». 11. Par
un arrêt no 1275/2013, du 17 juin 2013, la Cour de cassation
rejeta le pourvoi. Elle considéra que la cour dappel avait
correctement appliqué les dispositions de larticle 33 de
la loi no 2971/2001 qui prévoyait une procédure spéciale pour
contester la présomption selon laquelle le propriétaire dun
bien exproprié tirait un avantage de la réalisation de travaux. 12. Le
25 juillet 2012, le tribunal de première instance dAthènes
reconnut la requérante comme ayant-droit de lindemnité
fixée provisoirement puis définitivement par le jugement no 884/2008
et larrêt no 5317/2010 suite à lexpropriation
de ses propriétés. Dans le cadre de cette procédure, le
tribunal exclut toute possibilité dexistence des droits de
propriété de lÉtat sur les terrains de la requérante (jugement
no 533/2012). CEDH 32. La
requérante soutient que les juridictions de fond, qui ont fixé
lindemnité dexpropriation provisoire et définitive
et ont refusé dexaminer sa demande tendant à réfuter la
présomption de lavantage tiré par le propriétaire de la
réalisation des travaux, ont méconnu la jurisprudence de la
Cour et de la Cour de cassation. 33. Le
Gouvernement souligne que dans le cadre de la procédure relative
à la fixation de lindemnité définitive dexpropriation,
la cour dappel, se conformant à la jurisprudence de la
Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus) a examiné, dans
une procédure unique, toutes les demandes de la requérante
relatives à la fixation de lindemnité définitive,
de lindemnité spéciale prévue à larticle 13 § 4
de la loi no 2882/2001 et enfin à celle tendant à réfuter la
présomption en question (article 33 de la loi no 2971/2001). 34. Le
Gouvernement rajoute que la Cour de cassation a rejeté le moyen
de cassation de la requérante, qui alléguait que la cour dappel
avait rejeté sa demande pour défaut de compétence, comme
étant fondé sur une prémisse erronée. Le Gouvernement
précise que la cour dappel a effectivement examiné la
demande de la requérante mais elle la déclaré
irrecevable au motif que la requérante navait pas
respecté lobligation procédurale posée par larticle
33 : lintroduction préalable de la demande à lorganisme
chargé de la réalisation de louvrage pour lequel lexpropriation
a eu lieu. Or, lobligation faite à lintéressé de
respecter une certaine procédure administrative afin de réfuter
la présomption dun avantage tiré par un propriétaire
exproprié, avant de saisir les juridictions, est une question
distincte de celle du respect de la procédure unique devant les
juridictions aux fins de la fixation de lindemnité dexpropriation. 35. Enfin,
le Gouvernement affirme que dans le cadre de la procédure devant
la cour dappel, la requérante avait aussi demandé le
versement dune indemnité spéciale (article 13 § 4 de la
loi no 2882/2001) et, dans ce cas, elle avait respecté à cet
égard lobligation du dépôt préalable de sa demande à lautorité
compétente. 36. La
Cour rappelle que dans larrêt précité, elle a
considéré que lorsque les biens dun individu font lobjet
dune expropriation, il doit exister une procédure qui
assure une appréciation globale des conséquences de lexpropriation,
incluant loctroi dune indemnité en relation avec la
valeur du bien exproprié, la détermination des titulaires du
droit à indemnité et toute autre question afférente à lexpropriation,
y compris les frais de procédure./p> 37. La
Cour a aussi souligné, dans larrêt Bibi c. Grèce (no 15643/10, 13 novembre 2014), que la procédure
appelée à assurer, au sens de larrêt Azas, lappréciation
globale des conséquences de lexpropriation ne saurait se
limiter à la reconnaissance des titulaires du droit à
indemnité, à la détermination de lindemnité spéciale,
à lappréciation de lexistence dun avantage
tiré par le propriétaire et à la fixation des frais de justice.
Elle doit aussi englober dautres questions, comme, par
exemple, celles relevant de la réévaluation éventuelle de lindemnité. 38. Par
la suite, dans larrêt Koutsokostas c. Grèce (no 64732/12, 13 juin 2019), la Cour a estimé que le
refus dexaminer laction en recouvrement des
requérants introduite devant la juridiction qui allait se
prononcer sur le montant de lindemnité dexpropriation
définitive et la sollicitation faite aux requérants de saisir
à nouveau les juridictions civiles avaient porté atteinte aux
principes de léconomie et de la célérité de la
procédure ainsi quau principe de la procédure unique
consacré par larrêt Azas précité. 39. Enfin,
dans larrêt Moustakidis c. Grèce (no 58999/13, 3 octobre 2019), la Cour a considéré
que certaines demandes du requérant (tendant à ce quil
soit examiné la question du prétendu avantage tiré par lui du
fait de la réalisation des travaux et quune indemnité
soit fixée pour la partie ayant été considéré auto-indemnisée,
à ce quil soit reconnu quen raison de lexpropriation
et de la nature de louvrage, la propriété non expropriée
avait été dévalorisée et devait alors être indemnisée, et
à ce quil se voit accorder certaines sommes pour frais de
transfert de son entreprise et pour perte des chances due à linterruption
du fonctionnement de lentreprise) constituaient des
questions connexes relatives à lexpropriation et auraient
dû faire lobjet dun examen par les juridictions
civiles lors de la fixation de lindemnité dexpropriation. 40. En
lespèce, la Cour considère que la question de savoir si
le propriétaire dun terrain exproprié tire un avantage de
la réalisation des travaux, ce qui justifierait, selon les
termes de la loi no 653/1977, quune partie de ce terrain ne
soit pas indemnisée, constitue à nen pas douter une
question connexe relative à lexpropriation. 41. La
Cour note que cette question est effectivement examinée par les
juridictions civiles, notamment au stade de la fixation de lindemnité
dexpropriation définitive par la cour dappel.
Toutefois, en lespèce, la cour dappel a refusé de
procéder à lexamen de cette question car la requérante navait
pas fait usage de la procédure administrative préalable prévue
par larticle 33 de la loi no 2971/2001. Or, la Cour note
que cette procédure qui se déroule devant des organes
administratifs comporte plusieurs étapes qui sétalent sur
plusieurs mois et que la loi ne prévoit aucune garantie quant au
respect des délais quelle pose pour la réalisation de
chaque étape. Cette procédure contribue alors à rallonger la
procédure se déroulant devant les juridictions civiles et
constitue un écart par rapport à la procédure unique devant
les juridictions civiles pour lexamen de toutes les
questions relatives à la fixation de lindemnité dexpropriation. 42. À
cet égard, la Cour note aussi que selon la jurisprudence
constante de la Cour de cassation, dans le cas où la demande
tendant à réfuter la présomption selon laquelle le
propriétaire tire avantage de la réalisation des travaux était
examinée en même temps que la fixation de lindemnité il
nétait pas nécessaire davoir recours à la
procédure de la loi no 2971/2001 (paragraphes 16-18 ci-dessus). 43. Par
conséquent, en refusant dexaminer la question de la
présomption précitée, faute pour la requérante davoir
fait usage de la procédure prévue à larticle 33 de la
loi no 2971/2001, les autorités de lÉtat défendeur ont
porté atteinte au principe de la procédure unique en la
matière, consacré par la jurisprudence susmentionnée de la
Cour ainsi que par celle de la Cour de cassation. 44. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. Perepjolkins
c. Lettonie du 8 mars 2011 requête 71243/01 Les droits danciens
propriétaires de terrains expropriés pour agrandir le port de
Riga nont pas été violés. La valeur des terrain est due
uniquement au port et par conséquent à l'expropriation qui est
un effet d'aubaine. Les requérants
Janis Vistin et Genadijs Perepjolkins, sont deux
ressortissants lettons. Par des contrats de donation entre vifs
signés en 1994, ils devinrent propriétaires de terrains de
plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés situés sur lîle
de Kundzinsala. Cette île fait partie de Riga et est
essentiellement constituée dinfrastructures portuaires.
Les terrains avaient été illégalement expropriés par lUnion
soviétique après 1940 et les personnes qui les ont offerts à
MM. Vistin et Perepjolkins (en contrepartie de services
rendus) avaient recouvré le droit de propriété y relatif dans
le cadre de la « dénationalisation » au début des années
1990. La valeur purement indicative des terrains mentionnée sur
les contrats de donation - pour le calcul de limpôt
foncier - était de 500 ou 1000 lati lettons (LVL) par terrain (environ
705 et 1410 euros (EUR)). En juillet 1994,
MM. Vistin et Perepjolkins furent enregistrés au livre
foncier comme propriétaires des terrains. Hormis une taxe
notariale de 0,25 LVL, ils ne durent acquitter aucun impôt suite
aux donations décrites ci-dessus. Le 15 août
1995, le conseil des ministres adopta un règlement relatif à la
fixation des limites du port de Riga, qui inclut les terrains de
MM. Vistin et Perepjolkins dans le périmètre du port.
Cette inclusion fut confirmée par la loi du 6 novembre 1996 sur
le Port autonome de commerce de Riga. Cette loi greva également
tous les terrains privés situés dans les limites du port dune
servitude, en contrepartie dune compensation. En janvier 1996,
le Centre dévaluation immobilière du Service foncier de lEtat,
saisi par MM. Vistin et Perepjolkins, évalua en janvier
1996 la valeur (« valeur cadastrale ») du terrain de M.
Vistin à 564 410 LVL (environ 900 000 EUR) et de ceux de M.
Perepjolkins à plus de 3,12 millions LVL au total (environ 5,01
millions EUR). En 1997, la direction du port saisit à son tour
le Centre dévaluation et lui demanda de calculer le
montant des indemnités qui seraient dues en cas dexpropriation
de ces terrains. Cette évaluation fut réalisée en vertu de la
décision du Conseil suprême sur les modalités de lentrée
en vigueur de la loi générale de 1923 sur lexpropriation,
qui plafonne les indemnités dexpropriation de terrains
tels que ceux concernés par cette affaire à hauteur de leur
valeur cadastrale au 22 juillet 1940, multipliée par un
coefficient de conversion. Le 12 juin 1997, les indemnités dexpropriation
le cas échéant dues à MM. Vistin et Perepjolkins furent
ainsi évaluées respectivement à 548,26 LVL (environ 850 EUR)
et 8 616,87 LVL (environ 13 500 EUR). Par un
règlement du 5 août 1997, le conseil des ministres ordonna lexpropriation
des terrains en cause au profit de lEtat. Par une loi
spéciale du 30 octobre 1997, le Parlement confirma lexpropriation
et ordonna le paiement à MM. Vistin et Perepjolkins dindemnités
égales aux montants indiqués par le Centre dévaluation (environ
850 et 13 500 EUR). Ces montants furent versés sur des comptes
ouverts au nom de chacun des requérants à la Banque
hypothécaire et foncière de Lettonie. MM. Vistin et
Perepjolkins ne retirèrent toutefois pas ces sommes. Fin 1998, le
juge des livres fonciers de Riga ordonna lenregistrement du
droit de propriété des terrains expropriés au nom de lEtat.
MM.
Vistin et Perepjolkins intentèrent des actions en justice
visant à obtenir des arriérés de loyers pour lusage de
leurs terrains par le Port autonome de Riga depuis 1994. Au terme
de ces procédures en 1999, ils se virent accorder respectivement,
au total, léquivalent denviron 85 000 EUR et 593 150
EUR. En janvier 1999,
MM. Vistin et Perepjolkins assignèrent le ministère des
Transports, demandant que lenregistrement cadastral du
droit de propriété de lEtat soit annulé et à être à
nouveau inscrits en tant que propriétaires des terrains dans les
livres fonciers. Ils soutenaient que la procédure dexpropriation
prévue par la loi générale sur lexpropriation,
prévoyant notamment la négociation du montant des indemnités
et la possibilité dun recours judiciaire en cas de litige
sur ce montant, navait pas été respectée. Le 29 mars
2000, la cour régionale de Riga les débouta de leur demande, au
motif que lexpropriation de leurs terrains navait pas
été fondée sur la loi générale sur lexpropriation mais
sur la loi spéciale du 30 octobre 1997. Le 28 septembre 2000, la
chambre des affaires civiles confirma cette décision en appel,
de même que, le 20 décembre 2000, le sénat de la Cour suprême,
saisi dun recours en cassation. Courant 1999,
des procédures de redressement fiscal au titre de limpôt
foncier relatif aux terrains en cause dans cette affaire furent
ouvertes contre MM. Vistin et Perepjolkins, mais ils ne
durent payer aucune somme à ce titre au final. Depuis 2000, lEtat
loue les terrains en cause à une société privée de transport.
Article
1 du Protocole n°1 La Cour doit sassurer
que lexpropriation remplissait trois conditions
fondamentales. Premièrement,
lexpropriation doit avoir été réalisée « dans les
conditions prévues par la loi ». Comme les juridictions
lettones lont constaté, la procédure normale dexpropriation
en Lettonie à lépoque des faits était fixée dans la loi
générale de 1923, mais le cas de MM. Vistin et
Perepjolkins a été réglé par la loi spéciale de 1997, qui
prévoyait une procédure dérogatoire dexpropriation.
Certes, avant ladoption de la loi spéciale, MM.
Vistin et Perepjolkins pouvaient sattendre à ce quune
expropriation éventuelle se déroule selon les conditions
prévues par la loi de 1923, mais cela ne suffit pas en soi à
contester la légalité des dispositions spéciales adoptées
dans leur cas. De plus, la Cour accepte la thèse de la Lettonie
selon laquelle lexpropriation des terrains dans cette
affaire sinscrivait dans le processus de dénationalisation
après le retour de la Lettonie à lindépendance (le
Législateur lui-même ayant précisé cela). Or, précisément
dans ce domaine, il est possible quune loi particulière
établisse des règles spéciales pour une ou plusieurs personnes
sans nécessairement porter atteinte à lexigence de
légalité : le Législateur doit en effet disposer dune
marge de manoeuvre particulièrement large notamment pour
corriger, pour des motifs déquité et de justice sociale,
des lacunes ou injustices créées lors de la dénationalisation.
La Cour ne voit rien de déraisonnable ou manifestement contraire
aux objectifs fondamentaux de larticle 1 du Protocole no 1
dans la loi spéciale du 30 octobre 1997, et lexpropriation
des terrains de MM. Vistin et Genaijs Perepjolkins a donc
été effectuée « dans les conditions prévues par la loi ». Deuxièmement,
lexpropriation doit avoir été menée « pour cause dutilité
publique ». La Cour admet également que tel était le cas, dans
la mesure où la mesure imposée à MM. Vistin et Genaijs
Perepjolkins tendait à loptimisation de la gestion des
infrastructures du port autonome de Riga, question qui relève de
la politique des transports et, plus généralement, de la
politique économique du pays. Troisièmement
et dernièrement, un « juste équilibre » doit avoir été
ménagé entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu ce qui touche ici à la
question du montant de lindemnité dexpropriation. La
Cour précise à cet égard quelle ne peut pas se
substituer aux juridictions lettones pour déterminer sur quelle
base elles avaient à fixer le montant de lindemnisation.
Certes, elle constate une extrême disproportion entre la valeur
cadastrale actuelle des terrains en cause et celle prise
en compte pour déterminer le montant de lexpropriation
des terrains en 1940, la première étant environ 350 fois
supérieure à la seconde. Toutefois, il est évident que cette
augmentation très forte de la valeur des terrains a résulté du
développement des infrastructures portuaires qui sy
trouvent et du changement total de limportance stratégique
de ces terrains au cours de plusieurs décennies, facteurs
objectifs auxquels ni MM. Vistin et Perepjolkins ni les
anciens propriétaires nont contribué. La Cour relève
ensuite que MM. Vistin et Perepjolkins avaient acquis les
terrains en question gratuitement et ne les ont possédés que
trois ans, sans rien y investir ni sans payer dimpôts y
relatifs. Les autorités lettones étaient donc fondées à ne
pas rembourser à MM. Vistin et Perepjolkins la pleine
valeur marchande des biens expropriés. La Cour note encore que
MM. Vistin et Perepjolkins ont perçu environ 85 000 EUR et
593 150 EUR au titre darriérés de baux sur leurs terrains.
Même si ces sommes leur ont été payées sur un fondement
juridique totalement distinct de lexpropriation, il nen
demeure pas moins quils ont profité dun « effet daubaine
» et, si lon observe la situation dans son ensemble, les
montants payés au titre de lindemnisation (environ 850 EUR
et 13 500 EUR) ne paraissent pas disproportionnés. La Cour
relève encore que MM. Vistin et Perepjolkins ont
bénéficié de garanties procédurales adéquates et que le cas
présent est comparable à celui de 23 terrains occupés par laéroport
de Riga et expropriés de la même façon auparavant. La Cour en
conclut, par six voix contre une, à labsence de violation
de larticle 1 du Protocole n°1. L'ABANDON DU PROJET D'INTERÊT GÉNÉRAL KANAGINIS
c. GRÈCE du 27 octobre 2016 requête 27662/09 Violation
de l'article 1 du Protocole 1 : Les biens sont expropriés pour
cause d'intérêt général abandonné. L'État revend les biens
à un prix bien supérieur que celui auquel, il a exproprié.
Les requérants ne peuvent pas suivre. La violation est
constatée. a)
Applicabilité de larticle 1 du Protocole no 1 37.
Lapplicabilité de larticle 1 du Protocole no 1 nest
pas contestée en lespèce. La Cour rappelle cependant que
la notion de « biens » évoquée à la première partie de larticle
1 du Protocole no1 a une portée autonome qui ne se limite pas à
la propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains
autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi
passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens »
aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe dexaminer
si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu
le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé
par larticle 1 du Protocole no1 (voir, parmi dautres,
Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2000-V et
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I). 38.
La Cour note, dune part, que larticle 12 de la loi no
2882/2001 prévoyait la révocation dune expropriation
déjà accomplie moyennant la restitution par le propriétaire de
lindemnité qui lui avait été versée, mais réajustée (paragraphe
15 ci-dessus). Dautre part, elle relève que par son arrêt
no 2319/2004, le Conseil dEtat a annulé le refus de ladministration
de révoquer lexpropriation, jugeant que le but de celle-ci
avait été abandonné (paragraphe 7 ci-dessus). 39.
La Cour se déclare convaincue que les éléments susmentionnés
montrent que le requérant avait un intérêt patrimonial qui
était reconnu en droit grec et qui relevait de la protection de
larticle 1 du Protocole no 1. b)
Observation de larticle 1 du Protocole no 1 i.
Principes généraux 40.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à
certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général. Les deuxième et
troisième normes, qui ont trait à des exemples particuliers datteintes
au droit de propriété, doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi dautres,
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I). 41.
Tant une atteinte au respect des biens quune abstention dagir
doivent ménager un juste équilibre entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (voir, parmi dautres,
Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 31, 15 juillet 2005).
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier. En
particulier, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure appliquée par lEtat, y compris les mesures
privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera
S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no
332). Dans chaque affaire impliquant la violation alléguée de
cette disposition, la Cour doit vérifier si, en raison de laction
ou de linaction de lEtat, la personne concernée a
dû supporter une charge disproportionnée et excessive (Broniowski,
précité, § 150). 42.
Pour apprécier la conformité de la conduite de lEtat à larticle
1 du Protocole no 1, la Cour doit se livrer à un examen global
des divers intérêts en jeu, en gardant à lesprit que la
Convention a pour but de sauvegarder des droits qui sont «
concrets et effectifs ». Elle doit aller au-delà des apparences
et rechercher la réalité de la situation litigieuse. Cette
appréciation peut porter non seulement sur les modalités dindemnisation
applicables si la situation sapparente à une
privation de propriété mais également sur la conduite
des parties, y compris les moyens employés par lEtat et
leur mise en uvre. À cet égard, il faut souligner que lincertitude
quelle soit législative, administrative, ou tenant
aux pratiques appliquées par les autorités est un
facteur quil faut prendre en compte pour apprécier la
conduite de lEtat. En effet, lorsquune question dintérêt
général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir
en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande
cohérence (Vasilescu c. Roumanie, arrêt du 22 mai 1998, Recueil
des arrêts et décisions 1998-III, § 51 ; Beyeler, précité,
§§ 110 in fine, 114 et 120 in fine ; Broniowski, précité, §
151). 43.
La Cour estime utile de relever aussi quelle jouit dune
compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson
et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 47, série A no 171-A)
et quelle na pas pour tâche de se substituer aux
juridictions internes. Cest au premier chef aux autorités
nationales, notamment aux cours et tribunaux, quil incombe
dinterpréter la législation interne (Waite et Kennedy c.
Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Néanmoins,
le rôle de la Cour est de rechercher si les résultats auxquels
sont parvenues les juridictions nationales sont compatibles avec
les droits garantis par la Convention et ses Protocoles. La Cour
relève que, nonobstant le silence de larticle 1 du
Protocole no 1 en matière dexigences procédurales, une
procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens
doit aussi offrir à la personne concernée une occasion
adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux
droits garantis par cette disposition. Pour sassurer du
respect de cette condition, il y a lieu de considérer les
procédures applicables dun point de vue général (voir Capital
Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005-XII
(extraits) ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011). ii.
Application des principes en lespèce 44.
À titre liminaire, la Cour estime opportun de rappeler le
libellé précis du grief du requérant devant elle : celui-ci se
plaint quen raison de la manière dont larticle 12 de
la loi no 2882/2001 régissait la détermination de lindemnité
à payer pour le rachat dun terrain déjà exproprié, la
somme quil doit rembourser afin de récupérer son bien nest
pas raisonnablement en rapport avec celle quil avait
perçue à titre dindemnité dexpropriation. Le
requérant estime que lÉtat fait ainsi peser sur lui une
charge disproportionnée et excessive qui ne peut être
justifiée par aucune cause générale dutilité publique. 45.
Au vu des spécificités de la présente affaire, la Cour estime
que la situation litigieuse ne constitue ni une expropriation ni
une réglementation de lusage des biens, mais relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 qui énonce, de manière générale, le principe
du respect des biens (voir en ce sens, Almeida Garrett,
Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, §§ 43 et 48, CEDH
2000-I). 46.
En loccurrence, lingérence dans le droit du
requérant au respect de ses biens réside dans son
impossibilité de se voir retourner le terrain exproprié suite
à la révocation de lexpropriation par larrêt no
2319/2004 du Conseil dÉtat pour non accomplissement de son
but en raison du prix prétendument exorbitant quil devait
payer à lÉtat. Il nest contesté ni que lingérence
était prévue par la loi, à savoir larticle 12 de la loi
no 2882/2001, ni quelle poursuivait un but légitime, à
savoir sassurer que le rachat du terrain en cause par le
requérant ne se ferait pas au détriment des intérêts
financiers de lÉtat. Il appartient ainsi à la Cour de
vérifier, dans le cas despèce, que léquilibre
voulu a été préservé de manière compatible avec le droit du
requérant au respect de ses biens (voir Saliba c. Malte, no 4251/02, § 45, 8 novembre 2005,
et Housing Association of War Disabled et Victims of War of
Attica et autres c. Grèce, no 35859/02, § 37, 13 juillet 2006). 47.
La Cour rappelle que le requérant avait obtenu, en vertu de larrêt
no 2319/2004 du Conseil dÉtat, la révocation de lexpropriation
du terrain dont il avait été le propriétaire et quil
avait au moins lespérance légitime de récupérer son
bien. Sur ce point, la Cour convient avec le Gouvernement que
cette récupération naurait pas dû seffectuer au
détriment de lintérêt public. Ainsi, étant donné le
fait que le requérant sétait vu allouer une indemnité
complète lors de lexpropriation de son terrain, il nest
pas déraisonnable que lÉtat ait procédé environ trente
ans environ plus tard, sur la base de la législation pertinente,
à un réajustement du montant perçu par le premier. 48.
Se penchant sur la formule de réajustement prévue par larticle
12 de la loi no 2882/2001, la Cour note que ladite disposition ne
prévoit quune équation qui consiste à multiplier lindemnité
dexpropriation perçue par lintéressé avec le
rapport entre lindice annuel moyen des prix à la
consommation de lannée de fixation de lindemnité
pour la récupération du bien et celui de la date dencaissement
de lindemnité dexpropriation par son titulaire. En dautres
termes, le système mis en uvre à lépoque des faits
par la législation pertinente reposait sur lévolution des
prix à la consommation pendant la période où le terrain
concerné était exproprié ; il permettait lactualisation
du montant correspondant à lindemnité dexpropriation
sur la base du pouvoir dachat de la même somme à la date
où lintéressé avait demandé la récupération du
terrain. 49.
La Cour convient avec le Gouvernement que lindice annuel
moyen des prix à la consommation constitue un critère simple et
objectif pour le réajustement de la somme à payer à lÉtat
en vue de la récupération du terrain litigieux. Il sert ainsi
à lactualisation de la somme reçue par lintéressé
à titre dindemnité dexpropriation à laune dun
indice économique qui permet destimer entre deux périodes
données la variation moyenne des prix de produits et donc lévolution
de la valeur de la monnaie. 50.
La Cour note cependant, comme lindique le requérant, que
le critère de lindice annuel moyen des prix à la
consommation est de caractère abstrait, se focalise sur la
situation économique générale du pays et ne permet pas de
tirer de conclusions pertinentes sur lévolution du marché
immobilier de celui-ci pendant une période donnée et, dautant
plus, sur lévolution de la valeur dun bien
immobilier particulier. Etant lunique outil à employer
pour le réajustement de la somme à payer, ledit critère se
caractérise par une certaine rigidité qui peut compromettre sa
pertinence lors de son application dans des cas concrets. 51.
À cet égard, la Cour rappelle que dans une affaire issue dune
requête individuelle, il lui faut se borner à lexamen du
cas concret dont on la saisie. Sa tâche ne consiste point
à contrôler in abstracto la loi applicable en lespèce au
regard de la Convention, mais à rechercher si la manière dont
elle a été appliquée au requérant ou la touchée a
enfreint la Convention (Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24
mars 1988, série A no 130, § 54). Pour revenir au cas despèce,
lapplication du critère précité na pas permis à lautorité
compétente de prendre en compte dautres éléments qui
étaient pertinents, ou même nécessaires, pour un juste calcul
de la somme à rembourser à lÉtat. Ainsi, à titre dexemple,
lautorité compétente na pas pu tenir compte de la
valeur vénale du terrain à lépoque des faits ainsi que
de la valeur de terrains limitrophes ou dautres terrains
sis au même quartier qui avaient été expropriés à lépoque.
La Cour a dailleurs affirmé que lindemnité dexpropriation
pour un terrain constructible doit correspondre à la valeur
marchande de celui-ci (voir, mutatis mutandis, Guiso-Gallisay c.
Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 105, 22 décembre
2009). 52.
En outre, la Cour estime quil ne lui appartient pas de
fixer à quel moment dans le temps ladministration aurait
dû se placer pour fixer le montant réajusté de lindemnité
dexpropriation. Toutefois, pour apprécier la
proportionnalité entre ce montant et la valeur réelle du bien
du requérant, la Cour ne peut pas ignorer lévolution du
marché immobilier en Grèce, telle quelle ressort du
dossier, et la durée de la procédure de révocation de lexpropriation
litigieuse. En effet, si la procédure relative à la fixation de
la somme à payer par le requérant pour récupérer son bien a
pris fin le 5 février 2009 (avec la mise au net de larrêt
no 2492/2008 du Conseil dEtat), la Cour note que le
requérant a pour la première fois demandé cette révocation en
1992 et que le Conseil dEtat sest prononcé sur celle-ci
en 2004, jugeant que le but de lexpropriation avait été
abandonné. 53.
Il nappartient pas non plus à la Cour de dire quel est le
montant exact que le requérant devait verser à lEtat au
titre de lindemnité réajustée. Toutefois, compte tenu
des considérations ci-dessus, la Cour estime quil existe
une grande différence entre le montant réclamé par lEtat
(paragraphes 8 et 10 ci-dessus) et la valeur réelle du terrain
telle quelle ressort des éléments du dossier (voir
notamment le paragraphe 13 ci-dessus). Cette différence ne
saurait passer pour raisonnable en lespèce. 54.
Par ailleurs, selon la nouvelle formulation de larticle 12
de ladite loi (paragraphe 16 ci-dessus), le Comité administratif
ou lexpert indépendant prennent en compte plusieurs
éléments pertinents pour évaluer le prix du bien immobilier,
tels que la valeur des terrains adjacents ou similaires ainsi que
le possible revenu résultant de lexploitation du terrain.
De plus, en cas de désaccord sur le montant de lindemnité
due entre lÉtat et lintéressé, les juridictions
compétentes tranchent le différend sans être obligées par la
loi dappliquer un critère tel que lindice annuel
moyen des prix à la consommation. 55.
En outre, la Cour estime important de relever quen loccurrence
les deux décisions administratives nos 1087631/6632/?0010 et
1064217/4182/?0010, par lesquelles lautorité compétente a
fixé lindemnité à payer pour la récupération du
terrain litigieux, sont toujours valides. Comme il est confirmé
par le Gouvernement, cest à la discrétion totale de ladministration
de recalculer lindemnité à payer au cas où le requérant
reviendrait devant elle avec une nouvelle demande de ce type. Or,
la valeur actuelle du terrain en cause selon lestimation de
lautorité fiscale compétente est aujourdhui de 254
853,03 euros, à savoir bien inférieure à celle fixée par la
décision no 1064217/4182/?0010 (paragraphe 10 ci-dessus). Il est
donc évident que le requérant se trouve devant une situation dimpasse
qui rend de fait impossible la récupération de sa propriété. 56.
Au demeurant, force est de constater que devant le Conseil dÉtat
le requérant a soulevé des arguments précis tirés de larticle
17 de la Constitution et de larticle 1 du Protocole no 1.
Or la haute juridiction administrative sest bornée à
rappeler sa jurisprudence sur la nature administrative de la
révocation dune expropriation accomplie et de considérer,
sans autre explication, quune atteinte au droit au respect
des biens nétait pas établie. La Cour considère alors
que le requérant na pas eu une occasion adéquate de
contester effectivement devant les autorités judiciaires les
mesures portant atteinte à son droit garanti par larticle
1 du Protocole no 1 (paragraphe 43 ci-dessus). 57.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, dans le cas despèce,
le critère tel quappliqué au requérant à lépoque
des faits en vertu de larticle 12 de la loi no 2882/2001,
ainsi que le raisonnement du Conseil dÉtat dans son arrêt
no 2492/2008 ont rompu le juste équilibre devant régner entre
les exigences de lintérêt public et les impératifs de la
sauvegarde du droit de lintéressé au respect de ses biens. 58.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. EXPROPRIATION
EN FRANCE : Le Rapport au Président de
la République relatif à l'ordonnance n° 2014-1345
du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du code de l'expropriation
pour cause d'utilité publique, explique que la procédure est
simplifiée. LA COUR
CONSTATE QUE LES ARTICLES L12-1 et L12-2 DU CODE DE L'EXPROPRIATION
EST CONFORME A LA CONSTITUTION cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 26 mai 2011 N° de pourvoi:
10-25923 rejet Attendu que les
époux X..., les époux Y..., Mme Z..., M. A... et M. B...
soutiennent que les dispositions des articles L. 12-1 et L. 12-2
du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique sont
incompatibles avec les articles 16 et 17 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 UNE PERSONNE
EXPROPRIEE DE SON HABITATION A DROIT AU RELOGEMENT cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 27 février 2013 pourvoi N°
12-11995 cassation Vu les articles
L. 14-1 et R. 14-10 du code de l'expropriation pour cause d'utilité
publique, ensemble l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ; LE CUMUL DES
PROCEDURES D'EXPROPRIATION ET D'INDEMNISATION EST POSSIBLE Cour de
Cassation chambre commerciale arrêt du 7 septembre 2011 requête
n° 10-10597 REJET Mais attendu qu'ayant
relevé que, compte tenu de la présence sur le même site de
logements frappés d'insalubrité irrémédiable et de bâtiments
salubres ou commerciaux, la procédure d'expropriation s'était
déroulée selon le droit commun et exactement retenu que rien n'interdisait
l'application simultanée des textes de droit commun et de la loi
du 10 juillet 1970 dès lors que les conditions requises pour l'application
de cette loi aux logements insalubres étaient réunies, la cour
d'appel a déduit à bon droit, de ces seuls motifs, que l'indemnité
relative à l'expropriation de ces logements insalubres devait
être fixée conformément aux dispositions de l'article 18 de
cette loi. LES DÉLAIS
BREFS DE LA PROCÉDURE D'EXPROPRIATION SONT PROPORTIONNES A L'ARTICLE
1 DU PROTOCOLE 1 Cour de
Cassation chambre civile 3, arrêt du 5 mars 2014 requête n° 12-28578
12-28579 12-28580 12-28581 12-28582 12-28583 12-28584 12-28585 12-28586
Rejet Attendu que les
expropriés font grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 22 juin 2012),
de dire que l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour
cause d'utilité publique est conforme à l'article 6, § 1er de
la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et de prononcer la déchéance de leur
appel, alors, selon le moyen, que si l'article R. 13-49 du code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que l'appelant
doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser « son
mémoire et les documents qu'il entend produire » au greffe de
la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel, cette
déchéance de son appel ne saurait s'appliquer dans les cas où
la partie expropriée appelante, tout en ayant déposé ou
adressé son mémoire à l'intérieur du dit délai, a, cependant,
produit ses pièces et documents à l'extérieur de celui-ci,
sauf à porter une atteinte disproportionnée à son droit à un
procès équitable et à son droit à un recours effectif, ainsi
qu'à son droit de propriété ; que, dès lors, en ayant retenu
la licéité d'une telle mesure pour sanctionner le seul dépôt
tardif des pièces produites par les parties expropriées
appelantes, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble
l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de son
Protocole additionnel n° 1 ; LE BIEN
EXPROPRIÉ NON UTILISÉ DOIT ÊTRE RETROCÉDÉ Cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 18 avril 2019 pourvois n°
18-11.414 cassation partielle Attendu, selon larrêt attaqué (Aix-en-Provence,
28 septembre 2017), que M. Y... et M. Z..,
propriétaires dune parcelle de terre située dans un
emplacement réservé par le plan doccupation des sols, ont
mis en demeure la commune de Saint-Tropez (la commune) de lacquérir
en application de la procédure de délaissement alors prévue
par larticle L. 123-9 du code de lurbanisme ; quaucun
accord nétant intervenu sur le prix de cession, un
jugement du juge de lexpropriation du 20 septembre 1982 a
ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et
un arrêt du 8 novembre 1983 a fixé le prix dacquisition ;
que, le 22 décembre 2008, le terrain a été revendu et, le 18
octobre 2011, a fait lobjet dun permis de construire ;
que Mme X..., venant aux droits de MM. Y... et Z..., a
assigné la commune en paiement de dommages-intérêts ; Sur le moyen unique, pris en ses deux
premières branches : Attendu que Mme X... fait grief à larrêt
de rejeter sa demande sur le fondement du droit de rétrocession, Mais attendu quen vertu de larticle L.
123-9 du code de lurbanisme, dans sa rédaction applicable
à la cause, le propriétaire dun fonds grevé dun
emplacement réservé dispose du droit de délaissement qui
consiste à enjoindre à la collectivité publique dacquérir
le bien faisant lobjet de la réserve ; Attendu que larticle L. 12-6 du code de lexpropriation
pour cause dutilité publique, alors applicable, permet à
lexproprié de demander la rétrocession du bien si celui-ci
na pas reçu dans les cinq ans la destination prévue par lacte
déclaratif dutilité publique ; Attendu quil est jugé que lexercice du
droit de délaissement, constituant une réquisition dachat
à linitiative du propriétaire du bien, ne permet pas au
cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le
fondement de larticle L. 12-6 du code de lexpropriation
pour cause dutilité publique, même lorsque le juge de lexpropriation
a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix
et ordonné le transfert de propriété au profit de la
collectivité publique (3e Civ., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-13.670,
Bull. 2014, III, n° 44) ; Attendu que, en matière dexpropriation, si le
droit de rétrocession est applicable en cas de cession amiable
postérieure à une déclaration dutilité publique, il ne
lest pas en cas de cession antérieure à celle-ci lorsque
les cédants nont pas demandé au juge de lexpropriation
de leur en donner acte en application des dispositions de larticle
L. 12-2, devenu L. 222-2, du code de lexpropriation pour
cause dutilité publique, une telle cession ne pouvant
avoir les mêmes effets quune ordonnance dexpropriation
(3e Civ., 24 septembre 2008, pourvoi n° 07-13.972, Bull.
2008, III, n° 138) ; Que, toutefois, le droit de rétrocession est
également applicable en cas de cession amiable précédée dune
déclaration dutilité publique prise en application de larticle
1042 du code général des impôts, dans sa rédaction
antérieure à celle issue de la loi n° 82-1126 du 29
décembre 1982 (3e Civ., 17 juin 2009, pourvoi n° 07-21.589,
Bull. 2009, III, n° 146) ; Attendu quayant, par motifs propres et
adoptés, relevé que les décisions ayant ordonné le transfert
de propriété au profit de la commune et fixé le prix dacquisition
ne faisaient pas état dune déclaration dutilité
publique et retenu quil nétait pas établi quun
arrêté dutilité publique de lacquisition ait été
pris par lautorité administrative, la cour dappel,
qui nétait pas tenue de répondre à des conclusions que
ses constatations rendaient inopérantes, a exactement retenu,
abstraction faite dun motif erroné mais surabondant
relatif aux effets de la déclaration dutilité publique
prise en application de larticle 1042 précité, que Mme X...
ne pouvait pas prétendre à la rétrocession du terrain, ni à
une indemnité compensatrice, sur le fondement de larticle
L. 12-6 du code de lexpropriation pour cause dutilité
publique, alors applicable ; Doù il suit que le moyen nest pas
fondé ; Mais sur le moyen unique, pris en sa
troisième branche, qui est recevable comme étant de pur droit : Vu larticle 1er du premier protocole
additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de lhomme
et des libertés fondamentales ; Attendu, selon ce texte, que toute personne physique
ou morale a droit au respect de ses biens ; Attendu que Mme X... est fondée à se
prévaloir du droit garanti par ce texte, dès lors que la
parcelle ayant fait lobjet du droit de délaissement
constitue un bien protégé au sens de celui-ci ; Que la mesure contestée, en ce quelle prive
de toute indemnisation consécutive à labsence de droit de
rétrocession le propriétaire ayant exercé son droit de
délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc
inconstructible, puis revendu après avoir été déclaré
constructible, constitue une ingérence dans lexercice de
ce droit ; Que cette ingérence a une base claire et accessible
en droit interne dès lors quelle est fondée sur les
textes et la jurisprudence précités ; Quelle est justifiée par le but légitime
visant à permettre à la personne publique de disposer, sans
contrainte de délai, dans lintérêt général, dun
bien dont son propriétaire a exigé quelle lacquière ; Que, cependant, il convient de sassurer,
concrètement, quune telle ingérence ménage un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général et
les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en
particulier, quelle est proportionnée au but légitime
poursuivi ; Quà cet égard, il y a lieu de relever quun
auteur de Mme X... avait, sur le fondement du droit de
délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21
euros), cédé à la commune son bien, qui faisait alors lobjet
dune réserve destinée à limplantation despaces
verts, et que la commune, sans maintenir laffectation du
bien à la mission dintérêt général ayant justifié sa
mise en réserve, a modifié les règles durbanisme avant
de revendre le terrain, quelle a rendu constructible, à
une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 euros Quil en résulte que, en dépit du délai de
plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure
contestée porte une atteinte excessive au droit au respect des
biens de Mme X... au regard du but légitime poursuivi ; Que, dès lors, en rejetant la demande en paiement
de dommages-intérêts formée par Mme X..., la cour dappel
a violé le texte susvisé ; Cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 17 décembre 2014 pourvois
n° 13-18990 Rejet Attendu, selon
l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2013), que la parcelle bâtie
BJ 150, expropriée au profit de la commune de Drancy n'ayant pas
reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité
publique, la société civile immobilière Jacpat (la SCI) a
assigné la commune afin de voir reconnaître son droit à
rétrocession ; que les bâtiments ayant été détruits par l'expropriant,
la SCI a sollicité des dommages-intérêts en réparation,
notamment, du préjudice résultant de l'impossibilité de
procéder à cette rétrocession Attendu que la
société Jacpat fait grief à l'arrêt de dire que la
rétrocession est possible et que le prix sera fixé à l'amiable
ou à défaut par le juge de l'expropriation Mais attendu
que la cour d'appel a exactement retenu, abstraction faite de
motifs surabondants relatifs à l'état du bien à la date de l'ordonnance
d'expropriation, que la démolition de l'immeuble construit sur
la parcelle ne rendait pas impossible la rétrocession RTE NANTI D'UNE
DUP, PEUT PÉNÉTRER SUR LES TERRAINS PRIVÉS, POUR INSTALLER DES
PYLÔNES ÉLECTRIQUES COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 11 mars 2015 Pourvoi n° 13-24133
REJET Attendu, selon
l'arrêt attaqué, statuant en matière de référé (Caen, 4
juin 2013), que M. X... et Mme Y... et la société de l'Avenir
ont assigné la société Réseau de transport d'électricité (la
société RTE) pour voir dire qu'en pénétrant sur leur
propriété, sans leur accord et sans autorisation d'occupation
temporaire, pour y effectuer des travaux d'implantation de deux
pylônes d'une ligne électrique aérienne, la société RTE
avait commis une voie de fait et lui enjoindre de cesser les
travaux et d"évacuer les lieux Mais attendu qu'il
n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant,
par exception au principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, la compétence des juridictions
de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la
réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a
procédé à l'exécution forcée, dans des conditions
irrégulières, d'une décision, même régulière, portant
atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction
d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les
mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction
d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible
d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité
administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un
ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède
pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un
pouvoir dont dispose l'administration ; EXPROPRIATION
PARTIELLE D'UN BIEN, LE DOCUMENT D'ARPENTAGE EST OBLIGATOIRE COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 13 juin 2019 Pourvoi n° 17-27.868
rejet Attendu que Mme A... X... sest pourvue en
cassation contre lordonnance du juge de lexpropriation
du département du Gard du 3 août 2017 ayant ordonné le
transfert de propriété, au profit du conseil départemental du
Gard, dune partie dune parcelle dont elle est
propriétaire en indivision avec M. B... X... ; Mais attendu, dune part, quil
résulte du dossier de la procédure que le dépôt du dossier
des enquêtes préalable à la déclaration dutilité
publique et parcellaire à la mairie a été notifié à Mme X...
par lettre recommandée avec demande davis de réception
envoyée à ladresse mentionnée dans létat
parcellaire et délivrée le 18 février 2017, sans quil
soit établi que lautorité expropriante ait eu
connaissance à cette date dune autre adresse, et que les
enquêtes publiques se sont déroulées du 6 au 24 mars 2017
inclus ; Attendu, dautre part, que les annexes
jointes à lordonnance et établies après un document darpentage
délimitent avec précision la fraction expropriée de la
parcelle dans sa superficie et indiquent les désignations
cadastrales de cette parcelle, ainsi que sa nature, sa contenance
et sa situation ; Doù il suit que le moyen nest pas
fondé ; COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 13 juin 2019 Pourvoi n° 18-14.225
cassation sans renvoi Vu les articles
R. 221-4, R. 132-2, R. 132-3 du code de lexpropriation pour
cause dutilité publique, ensemble larticle 7 du
décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité
foncière; Attendu que lordonnance
prononçant lexpropriation désigne chaque immeuble ou
fraction dimmeuble exproprié et précise lidentité
des expropriés, conformément aux dispositions de larticle
R. 132-2 renvoyant aux prescriptions de larticle 7 du
décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité
foncière ; Que larticle
7, alinéa 2, du décret du 4 janvier 1955 prévoit que, lorsquil
y a division de la propriété du sol entraînant changement de
limite, lacte doit désigner limmeuble tel quil
existait avant la division et chacun des nouveaux immeubles
résultant de cette division ; Que le dernier
alinéa de cet article dispose que, dans la plupart des cas, la
désignation est faite conformément à un extrait cadastral et,
en cas de changement de limite, daprès les documents darpentage
établis spécialement en vue de la conservation du cadastre ; Que larticle
25 du décret du 30 avril 1955 relatif à la conservation du
cadastre précise que tout changement de limite de propriété
doit être constaté par un document darpentage qui est
soumis au service du cadastre, préalablement à la rédaction de
lacte réalisant le changement de limite, pour
vérification et numérotage des nouveaux îlots de propriété ; Attendu quil
résulte de ces textes quen cas dexpropriation
partielle impliquant de modifier les limites des terrains
concernés, un document darpentage doit être
préalablement réalisé afin que les parcelles concernées
soient désignées conformément à leur numérotation issue de
ce document ; Attendu que,
pour transférer, au profit de la commune de Millau, des
parcelles appartenant à Mmes B... C..., A... C..., D... C...
et F... Z..., à M. G... Z... et à M. et Mme Y...,
lordonnance attaquée (juge de lexpropriation du
département de lAveyron, 28 décembre 2017) désigne les
biens expropriés en annexant un état parcellaire ; Quen
statuant ainsi, en labsence de document darpentage
désignant les parcelles issues de la division opérée par lexpropriation
partielle, le juge de lexpropriation a violé les textes
susvisés ; Doù il
suit que lordonnance est entachée dun vice de forme
qui doit en faire prononcer lannulation ; Et vu larticle
627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties
en application de larticle 1015 du même code ; L'EXPROPRIATION INDIRECTE D'UN BIEN DAKHKILGOV
c. RUSSIE du 8 décembre 2020 Requête no 34376/16 Art 1 P1
Privation de propriété Expropriation arbitraire et
illégale dune partie du terrain du requérant lors de linstallation
sur celui-ci dun stade sportif attenant à une école
publique Requérant propriétaire légitime et incontesté
au moment de lingérence Expropriation de facto de
son bien sans contrôle juridictionnel préalable, dans le cadre
dune procédure légalement prévue, de lutilité
publique de la privation de sa propriété et en labsence
de toute indemnisation Autorités nationales ayant tiré
bénéfice de leurs comportement illégal CEDH a) Sur
lexistence dun « bien » et sur la nature
de lingérence 42. Il
nest pas contesté que le terrain dimplantation du
dépôt pétrolier, mesurant 10 614 m2, était un « bien »
du requérant, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à
la Convention. Il nest pas non plus contesté que loccupation
de ce terrain par linstallation dun stade
sportif attenant à lécole sur une partie de celui-ci
a constitué une ingérence dans le droit du requérant au
respect de ses biens. La Cour note que le requérant est resté
formellement propriétaire du terrain occupé. Or, ce terrain non
arpenté nexiste plus que sur papier, et il est inclus dans
deux autres parcelles appartenant aux autorités (paragraphe 28
ci-dessus), avec comme résultat limpossibilité de faire
tout usage de ce terrain pour lintéressé. Dans ces
circonstances, la Cour estime que lingérence ayant
engendré des conséquences graves à telle enseigne quelle
va au-delà de la « réglementation de lusage des
biens », au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1, engendrant dès lors une « privation
des biens », au sens de la seconde phrase du premier
alinéa dudit article (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos
et autres c. Grèce, 24 juin 1993, §§ 44-45, série A no 260-B). 43. La
Cour doit rechercher à présent si lingérence se justifie
sous langle de cette disposition. Pour être compatible
avec celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions :
elle doit être effectuée « dans les conditions prévues
par la loi », « pour cause dutilité publique »
et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b) Sur
le respect du principe de légalité 44. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no
71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). Lexpression « dans
les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence
et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles
et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986,
§ 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire
(Vistin et Perepjolkins, précité, § 95). 45. En
lespèce, la Cour relève que lemprise dune
partie du terrain dimplantation de lancien dépôt
pétrolier pour étendre le territoire de lécole et linstallation
du stade sportif a été prévue par les actes adoptés par les
autorités républicaines et locales en 2006 (paragraphes 5-7 ci-dessus).
Or, près de trois ans après ladoption de ces actes, les
autorités républicaines, locales et fédérales ont adopté dautres
actes concernant ce terrain, allant dans le sens opposé. En
effet, en 2009, ladministration du district a approuvé le
plan du terrain en confirmant que celui-ci avait été octroyé
à M. K - prédécesseur du requérant. Elle lui a
également conféré un droit dusage permanent sur ce
terrain, puis le ministère républicain du Patrimoine a vendu le
terrain à M. K. Lautorité en charge de lenregistrement
des droits réels a procédé à son tour à lenregistrement
du droit de propriété de M. K. puis du requérant sur le
terrain, en confirmant par cela la licéité de ces transactions
(paragraphe 32 ci-dessus et la référence y citée). 46. Les
tentatives des différentes autorités tendant à annuler les
ventes du terrain ont échoué. À cet égard, la Cour trouve
sans pertinence largument du Gouvernement selon lequel lintéressé
savait au moment de lacquisition du terrain que celui-ci
était destiné à lextension de lécole en vertu des
actes adoptés en 2006 (paragraphe 39 ci-dessus). En effet, une
telle connaissance de la part du requérant ou lignorance
de celui-ci auraient dû faire lobjet dune
appréciation par les tribunaux dans le cadre de laction en
annulation de la vente. Or les demandes en justice introduites
par les autorités tendant à lannulation des ventes nont
pas fait lobjet dexamen, et aucune appréciation de
la bonne foi du requérant na eu lieu. De lavis de la
Cour, le Gouvernement ne peut pas valablement avancer de thèses
non débattues devant les juridictions internes (voir, pour une
situation similaire, OOO KD-Konsalting c. Russie, no 54184/11, § 47, 29 mai 2018). 47. Il
résulte de ce qui précède que, au moment de lingérence,
le requérant restait propriétaire légitime et incontesté du
terrain. 48. Dans
ce contexte, pour pouvoir occuper ce terrain, les autorités nont
pas, comme elles en avaient la possibilité en droit russe,
engagé une procédure dexpropriation comportant plusieurs
étapes et garanties contre larbitraire, dont la
notification écrite de la décision dexpropriation, la
rédaction dune convention de rachat, en cas de désaccord
du propriétaire, un droit pour lautorité publique
compétente dintenter une action en expropriation (paragraphe
30 ci-dessus ; voir, pour un résumé de la portée des
dispositions pertinentes, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 54, 20 mars 2018) et,
surtout, le paiement dune indemnité. 49. En
revanche, en lespèce, le requérant a été exproprié de
facto de son bien sans contrôle juridictionnel préalable, dans
le cadre dune procédure légalement prévue, de lutilité
publique de la privation de sa propriété et sans avoir
bénéficié dune quelconque indemnité. Puis, lorsquil
a demandé le démontage du stade occupant son terrain contre sa
volonté, les juridictions se sont bornées à constater que les
actes relatifs à lextension du territoire de lécole
avaient été adoptés antérieurement à lacquisition du
terrain par lintéressé et que la construction du stade
respectait les règles durbanisme et de sécurité. 50. Dans
ces circonstances, la Cour conclut que lingérence,
opérée en méconnaissance complète par les autorités de la
procédure légalement prévue pour opérer une dexpropriation
et en labsence de toute indemnisation, a permis aux
autorités de tirer bénéfice de leur comportement illégal (Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 94, 22 décembre 2009). Cette
expropriation de fait a été arbitraire et donc « illégale »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences
de cette disposition (voir aussi Abiyev et Palko c. Russie, no 77681/14, §§ 66-67, 24 mars 2020). Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. ELIF
KIZIL c. TURQUIE du 24 mars 2020 requête n° 4601/06 Art
1 P1 Respect des biens Inscription dun
terrain au nom du Trésor public sans information individuelle du
propriétaire Usage du bien par le propriétaire et prise
de connaissance de la situation plus de vingt ans après
Applicabilité examinée au vu du comportement des autorités
Rejet du recours en annulation par application du délai
de la prescription extinctive en dépit de labsence de
notification individuelle à lintéressé Poids
disproportionné accordé à la sécurité juridique des
transactions immobilières. FAITS 8. À
lissue des travaux de cadastrage réalisés en 1974, le
terrain de la requérante fut enregistré comme propriété du
Trésor avec les références cadastrales « îlot 823
parcelle 6 ». Le procès-verbal indique que le terrain
avait appartenu à un certain R.B., le père dO.B., quil
avait été vendu à une personne dont le nom navait pu
être identifié malgré les recherches effectuées notamment sur
les registres fonciers, et quil convenait denregistrer
le bien au nom du Trésor afin déviter que lacquéreur
non encore identifié subisse un préjudice, et ce en vertu de larticle
22 H de la loi no 2613 relative au cadastre et à lenregistrement
des titres fonciers (voir paragraphes 39 et 40 ci-dessous). 9. Lensemble
des procès-verbaux relatifs à la zone de cadastrage fit lobjet
dun affichage public pendant deux mois. 10. Aucune
notification ou démarche, autre que cet affichage, ne fut
entreprise pour informer la requérante. 11. Cette
dernière aurait pris connaissance de lenregistrement de
son bien comme propriété du Trésor le 16 juillet 2002 lorsque
des fonctionnaires de cette administration lui auraient oralement
exposé la situation lors dune visite. 12. Le
17 juillet 2002, la requérante signa une demande de rachat à ladministration
du terrain litigieux. Le document dactylographié présente, en
guise de signature, le prénom et le nom de la requérante en
lettres majuscules qui semblent avoir été tracées avec
difficulté. 13. Le
24 juillet 2002, la requérante adressa à la direction
générale du cadastre un courrier où elle reprochait à ladministration
de sêtre emparé de son bien à la faveur dune
opération de cadastrage malgré lexistence dun titre
de propriété immatriculé et de ne lavoir informé à
aucun moment ni de ladite opération ni de ses conséquences.
Elle affirmait faire usage du terrain depuis son achat en 1973.
La lettre présente une empreinte digitale apposée en lieu et
place de signature. 14. Par
la suite, la requérante saisit les services dinspection de
la direction générale du cadastre et des registres fonciers. 15. Le
25 juillet suivant, ladministration notifia à lépoux
de lintéressée une injonction de payer une indemnité doccupation
illégale dun bien public pour les années 2001 et 2002, en
loccurrence le terrain en cause. CEDH a)
Les principes généraux 86. La
Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de
propriété, contient trois normes distinctes (voir, notamment, James
et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A
no 98) : la première, qui sexprime dans la première
phrase du premier alinéa et revêt un caractère général,
énonce le principe du respect de la propriété ; la
deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise
la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ;
quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle
reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de
réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général. Les deuxième et troisième normes, qui ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété, doivent sinterpréter à la lumière du
principe consacré par la première (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V, et Bruncrona c.
Finlande, no 41673/98, §§ 65-69, 16 novembre 2004). 87. Pour
se concilier avec la règle générale énoncée à la première
phrase du premier alinéa de larticle 1, une atteinte au
droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre
» entre les exigences de lintérêt général de la
collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux
de lindividu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I). 88. Larticle
1 du Protocole no 1 tend pour lessentiel à prémunir lindividu
contre toute atteinte de lEtat au respect de ses biens. Or,
en vertu de larticle 1 de la Convention, chaque État
contractant « reconna[ît] à toute personne relevant de [sa]
juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...)
Convention ». Cette obligation générale de garantir lexercice
effectif des droits définis par cet instrument peut impliquer
des obligations positives. En ce qui concerne larticle 1 du
Protocole no 1, de telles obligations positives peuvent
entraîner pour lÉtat certaines mesures nécessaires pour
protéger le droit de propriété (Sovtransavto Holding c. Ukraine,
no 48553/99, § 96, CEDH 2002-VII, et Broniowski c.
Pologne, précité, § 143). 89. Nonobstant le
silence de cette disposition en matière dexigences
procédurales, les procédures applicables à une espèce doivent
aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate dexposer
sa cause aux autorités compétentes afin de contester
effectivement les mesures portant atteinte au droit au respect
des biens (Zehentner c. Autriche, no 20082/02, § 73, 16 juillet 2009, Société
Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce, no 44769/07, § 36, 5 novembre 2009, et Gereksar et
autres c. Turquie, nos 34764/05 et 3 autres, § 51, 1er février 2011). b)
Le cas despèce 90. La
Cour observe que le grief de la requérante concerne la perte de
son bien et limpossibilité dans laquelle elle sest
trouvée de contester judiciairement cette mesure en raison du
délai de la prescription extinctive de dix ans. Elle estime que
les questions ainsi soulevées relèvent de la première norme
mentionnée plus haut. 91. Demblée,
elle considère quelle nest pas appelée à
déterminer de manière générale et abstraite si le délai de
prescription décennale prévue à larticle 12 de la
loi relative au cadastre est compatible ou non avec la Convention,
mais uniquement à dire si, dans les circonstances particulières
de lespèce, lapplication de ce délai a porté
atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens. 92. Elle
note en premier lieu que ce délai est explicitement prévu par larticle
12 de la loi no 3402 (voir paragraphe 43 ci-dessus). Quoiquen
dise la requérante, cest sur cette loi, qui était en
vigueur à lépoque où lintéressée a initié son
action, que repose lingérence litigieuse. La décision des
autorités judiciaires de rejeter le recours en raison de la
prescription disposait donc dune base légale. Sur ce point,
la Cour estime utile de préciser que la question de savoir si ce
nest pas lentrée en vigueur de cette nouvelle
législation qui, en supprimant toute possibilité pour la
requérante dagir en justice, a constitué une ingérence,
peut en lespèce demeurer indécise étant donné que le
grief na pas été explicitement formulé en ces termes. 93. La
Cour observe que la mise en place dun délai au-delà
duquel les droits antérieurs au cadastrage séteignent et
les conclusions cadastrales 94. Il
convient dès lors de vérifier si le but poursuivi était
proportionné à latteinte portée au droit de propriété
de la requérante. Cette vérification revient à mettre en
balance les divers intérêts en jeu. 95. Si
la sécurité juridique visée par la règle de prescription
présente en soi un but légitime important, lintérêt de
mettre ladministration à labri dun recours de
la requérante demeure en lespèce limité aux yeux de la
Cour. 96. Sagissant
des intérêts de la requérante, la Cour observe que cette
dernière, qui avait régulièrement acquis le bien au registre
foncier en 1973, cest-à-dire moins dun an avant les
travaux de cadastrage, sest finalement trouvée privée de
son bien. 97. En
outre, elle na pu faire valoir ses droits en contestant
cette mesure devant les tribunaux, et ce en raison de la
prescription extinctive. Sur ce point, il convient de relever que
lintéressée ne sest vu notifier ni le début des
travaux de cadastrage ni les conclusions cadastrales. Elle
affirme navoir pris connaissance de linscription de
son bien comme propriété du Trésor quen 2002, date jusquà
laquelle elle aurait, selon elle et selon le TGI, continuer à
jouir paisiblement de son bien (voir paragraphes 74 et 24
ci-dessus). 98. À
cet égard, la Cour réitère que les procédures applicables
doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion
adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte à
son droit de propriété (voir paragraphe 89 ci-dessus). Elle
rappelle que dans laffaire Société Anonyme Thaleia Karydi
Axte, précitée, elle a conclu que la société requérante sétait
vu imposer une charge disproportionnée au motif que même si les
procédures mises en place en droit interne nétaient pas
critiquables en soi, lintéressée avait été privée de
son bien sans avoir aucune possibilité de réagir lors de la
procédure dexécution forcée visant son terrain. La Cour
a souligné que même si la requérante avait de sérieux
arguments à faire valoir devant les juridictions compétentes
afin dobtenir lannulation de la vente aux enchères,
son recours avait été déclaré irrecevable pour non-respect du
délai alors que la procédure dexécution forcée navait
pas été portée à sa connaissance. 99. En
lespèce, il convient dès lors de déterminer si la
requérante avait ou aurait dû avoir connaissance du cadastrage
et des conclusions cadastrales ignorant son titre de propriété
et ayant pour effet de le rendre caduc. 100. Sil
est vrai que le début des travaux de cadastrage est annoncé,
que lesdits travaux font lobjet dune publicité (voir
paragraphes 34 à 37 ci-dessus), et que ces mesures permettent dinformer
largement le public, celles-ci ne garantissent pas que la
requérante ait effectivement été informée. Il en va de même
de laffichage des conclusions cadastrales (voir paragraphe
38 ci-dessus). 101. Sur
ce point, la Cour estime utile de rappeler que la requérante
affirme, sans être contredite par le Gouvernement, quelle
résidait en Allemagne. Elle affirme en outre quelle ne
sait ni lire ni écrire ; ce que semble confirmer la
manière dont elle a signé les documents présents dans le
dossier (voir paragraphes 12 et 13 ci-dessus). 102. Par
ailleurs, sagissant plus spécifiquement de laffichage,
la Cour rappelle que, dans laffaire Rimer et autres c.
Turquie (no 18257/04, § 27, 10 mars 2009) où les
recours des requérants contre les conclusions cadastrales
avaient été rejetés pour non-respect du délai de dix ans
commençant à courir après laffichage et où le
Gouvernement soulevait une exception dirrecevabilité
tirée de la règle de lépuisement des voies de recours
internes, elle a indiqué quil navait pas été
démontré que les requérants avaient reçu une notification des
conclusions en question. 103. Elle
estime en outre que le Gouvernement na pu exposer aucun
élément permettant raisonnablement daffirmer que la
requérante avait connaissance des travaux de cadastrage et de
leur teneur ou quelle ne pouvait ignorer leur existence. De
plus, la Cour réitère que les autorités ne semblent avoir
entrepris aucune démarche pour identifier et informer la
requérante alors même que linscription du bien au nom du
Trésor en 1974 avait un but préventif. 104. Le
Gouvernement relève certes quun tiers, en loccurrence
un voisin, a fait usage du bien et quil a tenté den
faire lacquisition auprès du Trésor (voir paragraphes 29
à 32 ci-dessus). Il en déduit que la requérante aurait
abandonné le bien parce quelle aurait su quelle nen
était plus la propriétaire sur le registre. 105. La
Cour relève en premier lieu que les éléments du dossier ne
permettent pas de déterminer si M.Ç. avait utilisé le terrain
avec ou sans le consentement de la requérante (voir, notamment
paragraphe 84 ci-dessus). En outre, elle constate que le TGI a
établi que la requérante avait exercé sur le bien une
possession paisible et ininterrompu depuis 1973 (voir paragraphe
24 ci-dessus) et que cet élément factuel na pas été
remis en cause par la Cour de cassation. Elle naperçoit
pas de motifs sérieux lui permettant de se départir des
constations factuelles des juridictions internes sur ce point. 106. Par
ailleurs, la Cour estime que la fiabilité des informations
contenues dans les ordonnances de paiement dressées par ladministration
est toute relative. En effet, ces ordonnances sont incohérentes
quant à la période pendant laquelle M.Ç. aurait utilisé le
bien, étant donné quelles semblent non seulement se
contredire entre elles (voir paragraphe 31 ci-dessus) mais aussi
contredire les déclarations faites par lintéressé à ladministration
en vue dacquérir le bien et dans lesquelles il admet ne
pas remplir les conditions prévues par la loi no 4070 (voir
paragraphes 12 et 47 à 48 ci-dessus). De plus, il convient de
relever que deux ordonnances ont été établies pour lannée
2001, lune destinée à M.Ç. et lautre à lépoux
de la requérante (voir paragraphes 29 et 15 ci-dessus). La Cour
estime par conséquent quil serait déraisonnable de se
fonder sur ces documents administratifs pour sécarter des
conclusions factuelles des juridictions nationales. 107. En
tout état de cause, la circonstance que le terrain ait été
utilisé pendant un temps par lun des voisins, avec ou sans
le consentement de la requérante, et que lintéressé ait
cherché à sapproprier le bien, nest pas de nature
à démontrer que la requérante avait pris connaissance des
conclusions cadastrales de 1974 et de ses conséquences. 108. Il
en va de même en ce qui concerne la circonstance que la
requérante ait signé, le lendemain de la date à laquelle elle
affirme avoir été informée de la situation, une demande visant
le rachat de son bien à ladministration. Celle-ci ne
démontre en rien que la requérante aurait eu connaissance des
faits litigieux bien avant quune ordonnance de paiement ne
lui soit adressée. 109. Rien
ne permet donc daffirmer que la requérante avait ou aurait
dû avoir connaissance de linscription de son bien comme
propriété du Trésor avant den avoir été informé par
les agents de ladministration en 2002 ni que les autorités,
qui ont bénéficié de linscription au registre dans le
seul but déviter que le bien de la requérante ne soit
accaparé par des tiers, ont procédé à une démarche
quelconque dans le but de déterminer lidentité du
légitime propriétaire et linformer de la situation. 110. A
la lumière de lensemble de ces éléments, la Cour
considère que le juste équilibre voulu par la Convention a
été rompu au détriment de la requérante. 111. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. ABIYEV
ET PALKO c. RUSSIE du 24 mars 2020 Requête no 77681/14 Art
1 P1 Privation des biens Démolition des biens
immobiliers des requérants et la mainmise sur leur terrain pour
les besoins de la reconstruction dune ville
Expropriation de fait arbitraire en méconnaissance de la
procédure obligatoire et en labsence de toute
indemnisation FAITS 4. Les
requérants étaient propriétaires dun terrain et dun
ensemble immobilier comprenant trois bâtiments situés dans le
centre de la ville dArgun. Ils habitaient lun de ces
bâtiments. 5. En
décembre 2010, les autorités tchétchènes créèrent une
entité nommée « état-major chargé de la reconstruction
(???? ?? ?????????????) de la ville dArgun ». 6. Le 4 décembre
2010, létat-major susmentionné tint une réunion,
présidée par le premier vice-président du gouvernement
tchétchène, qui rassemblait les fonctionnaires de la ville dArgun,
du gouvernement tchétchène et les représentants de
différentes entreprises. Lors de cette réunion, il fut décidé
quune entreprise dÉtat commencerait à démolir les
immeubles se trouvant dans le périmètre de la construction dun
nouveau quartier résidentiel, « Argun City 1 »,
et construirait des logements pour les personnes dont les
immeubles seraient démolis. La mairie de la ville dArgun
était chargée de trouver des terrains pour la construction de
ces nouveaux logements. 7. En
décembre 2010, les immeubles des requérants, qui se trouvaient
dans le périmètre du quartier à reconstruire, furent démolis
en quelques jours, puis leur terrain fut occupé. 8. Le
26 janvier 2011, le gouverneur de Tchétchénie adopta un décret
officialisant la création de l« état-major
opérationnel (??????????? ????) républicain pour la
reconstruction et le développement économique et social dArgun »
(« létat-major »). Celui-ci était dirigé par
le gouverneur de Tchétchénie et était constitué des
autorités dArgun et de la République tchétchène ainsi
que des représentants de différentes entreprises. 9. Selon
le décret précité, létat-major devait assurer la
planification, la coordination et le contrôle des mesures de
reconstruction et de développement de la ville, tandis que les
autorités publiques et les entreprises participant à ce projet
devaient aider à la réalisation de celui-ci, conformément aux
décisions prises par létat-major. 10. À
un moment non précisé dans le dossier, létat-major fut
dissous. CEDH a)
Sur lexistence et la nature de lingérence 56. En
lespèce, il nest pas contesté que trois bâtiments
et un terrain étaient les « biens » des requérants
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il nest pas non plus contesté que la démolition de ces
bâtiments et loccupation du terrain ont été effectuées
par les autorités publiques, au sens large du terme, pour les
besoins de la reconstruction de la ville dArgun. La Cour
considère quil sagissait de « privation des
biens » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de
larticle 1 du Protocole no 1. 57. Elle
doit rechercher à présent si lingérence se justifie sous
langle de cette disposition. Pour être compatible avec
celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions : elle
doit être effectuée « dans les conditions prévues par la
loi », « pour cause dutilité publique »
et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b)
Sur le respect du principe de légalité 58. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no
71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). Lexpression « dans
les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence
et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles
et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986,
§ 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire
(Vistin et Perepjolkins, précité, § 95). 59. La
Cour a déjà eu loccasion de dire quune ingérence
effectuée en violation des dispositions internes ne satisfaisait
pas au critère de la « légalité » (voir, par
exemple, East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, §§ 179-181 et 195, 23 janvier 2014, et Tkachenko,
précité, § 56). Cependant, toute irrégularité
procédurale nest pas de nature à rendre lingérence
incompatible avec lexigence de « légalité » (Ukraine-Tioumen
c. Ukraine, no 22603/02, § 52, 22 novembre 2007). La Cour
rappelle à cet égard quelle dispose dune
compétence limitée sagissant de vérifier si le droit
national a été correctement interprété et appliqué ;
elle ne peut dès lors mettre en cause lappréciation des
autorités internes quant à des erreurs de droit prétendues que
lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement
déraisonnables (voir, parmi beaucoup dautres, Naït-Liman
c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018). 60. Se
tournant vers les faits de lespèce, la Cour relève que, nayant
pas pu obtenir dindemnisation pour la privation de leurs
biens, les requérants ont intenté une action en réparation de
leur préjudice contre la République tchétchène. Leur action a
été rejetée essentiellement pour trois motifs : i) le
ministère des Finances et la mairie dArgun navaient
pas procédé à la démolition des immeubles et à loccupation
du terrain et nétaient pas les bons défendeurs ; ii)
les requérants navaient pas formulé de prétentions
relativement à violation de la procédure dexpropriation ;
iii) ils navaient pas allégué ni, surtout, démontré une
« illicéité » des actes ou omissions des autorités
ou fonctionnaires au sens de larticle 1069 du code civil. 61. Quant
au premier motif, la Cour note que les requérants nont
jamais allégué que lingérence en cause avait été
opérée par le ministère des Finances. Au contraire, ils
estimaient que le défendeur à linstance était la
République tchétchène, représentée par le ministère des
Finances conformément aux dispositions internes. Pourtant, les
juridictions civiles ont adopté une approche formaliste,
légitimant la conclusion que personne nétait responsable
de la privation des biens des requérants. 62. Quant
aux deuxième et troisième motifs, la Cour a déjà établi que
les requérants ont bien formulé les prétentions et moyens
concernant un irrespect par les autorités de la procédure dexpropriation
(paragraphe 48 ci-dessus), et cela contrairement aux
considérations des juges de cassation à cet égard (paragraphes
22-24 ci-dessus ; comparer aussi avec Adikanko et Basov-Grinev
c. Russie, nos 2872/09 et 20454/12, § 50, 13 mars 2018, dans le contexte de
larticle 6 § 1 de la Convention). 63. La
procédure dexpropriation comportait plusieurs étapes et
garanties contre larbitraire, dont la notification écrite
de la décision dexpropriation, la rédaction dune
convention de rachat, en cas de désaccord du propriétaire, un
droit pour lautorité publique compétente dintenter
une action en expropriation (paragraphe 31 ci-dessus ; voir,
pour un résumé de la portée des dispositions pertinentes, Tkachenko,
précité, § 54) et, surtout, le paiement dune
indemnité. Or, en lespèce, cette procédure obligatoire a
été méconnue, sans quune explication ne soit fournie et
sans que les requérants ne bénéficient dune indemnité (comparer
avec Tkachenko, précité, où la procédure dexpropriation
na pas été suivie mais les requérants ont été relogés,
et voir, a contrario, Sigunovy c. Russie (déc.) [comité],
no 18836/11, 12 février 2019, où les
requérantes ont obtenu un logement équivalent). 64. De
lavis de la Cour, cest bien lirrespect de cette
procédure obligatoire et labsence de toute indemnisation
qui constituait laspect d« illicéité »
de lingérence au sens des articles 16 et 1069 du code
civil. Constatant que les requérants ont soulevé cet aspect
devant les juridictions internes et considérant que laction
en réparation était une voie appropriée susceptible daboutir
à lallocation dune indemnisation, la Cour rejette lexception
dirrecevabilité implicite du Gouvernement (paragraphe 48
ci-dessus). 65. La
Cour note enfin que les autorités ont tout de même présenté
aux requérants quelques offres de relogement, mais que ces
offres ont été faites en dehors de tout cadre légal et
apparaissent plutôt comme des offres ex gratia, et que lon
ne peut pas dire que leur rejet par les requérants puisse sanalyser
en une renonciation à leur droit à une indemnisation (comparer
avec Volchkova et Mironov c. Russie, nos 45668/05 et 2292/06, § 125, 28 mars 2017). Elle
estime également que lallégation du Gouvernement selon
laquelle le requérant est devenu locataire dune parcelle
en 2014 na aucune pertinence pour la présente affaire. 66. Eu
égard à ce qui précède, la Cour conclut que lingérence,
opérée en méconnaissance complète par les autorités de la
procédure obligatoire dexpropriation et en labsence
de toute indemnisation, a permis aux autorités de tirer
bénéfice de leur comportement illégal (Guiso-Gallisay c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 94, 22 décembre 2009). 67. Cette
expropriation de fait a été arbitraire et donc « illégale »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences
de cette disposition. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. Mocanu
et autres c. République de Moldova du 26 juin 2018 requête n°
8141/07 Article 1 du
Protocole 1 : Expropriation de fait non protégé par les
juridictions. 25. Les
requérants soutiennent que la procédure légale dexpropriation
na pas été respectée en lespèce. Ils affirment
notamment ne pas avoir reçu un juste et préalable
dédommagement, ce qui serait contraire à la Constitution et aux
lois applicables en la matière. 26.
Le Gouvernement avance que les requérants ont été privés de
leurs biens dans les conditions prévues par la loi et pour une
cause dutilité publique. Il soutient notamment que la base
légale de lexpropriation litigieuse reposait sur larticle
46 § 2 de la Constitution ainsi que sur les dispositions de la
loi sur lexpropriation. De plus, il affirme quen lespèce
lÉtat a ménagé un juste équilibre entre les différents
intérêts en jeu et argue que les requérants, en refusant à
plusieurs reprises les offres de dédommagement, ont rendu
difficiles les négociations avec lexpropriant. 27.
La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention,
aux trois normes distinctes que cette disposition contient et aux
conditions quune mesure dexpropriation doit remplir (voir,
parmi beaucoup dautres, Vistin et Perepjolkins c.
Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 93-94, 25 octobre
2012). 28.
Dans la présente affaire, elle note que les parties saccordent
à dire quil y a eu privation de propriété au sens de la
deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1. 29.
Elle rappelle que cet article exige, avant tout et surtout, quune
ingérence de lautorité publique dans la jouissance du
droit au respect des biens soit légale (voir, parmi beaucoup dautres,
Vergu c. Roumanie, no 8209/06, § 45, 11 janvier 2011,
et Vistin et Perepjolkins, précité, §§ 95-97). Elle
redit en outre que la pratique de lexpropriation de fait
permet à ladministration doccuper un bien immobilier
et den transformer irréversiblement la destination, de
telle sorte quil soit finalement considéré comme acquis
au patrimoine public sans quil y ait eu le moindre acte
formel et déclaratoire du transfert de propriété (mutatis
mutandis Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, § 93, 17 mai 2005, et
Sarica et Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 43, 27 mai 2010).
Elle a déjà jugé que ce procédé permettant à ladministration
de passer outre les règles de lexpropriation formelle
expose les justiciables au risque dun résultat
imprévisible et arbitraire, quil nest pas apte à
assurer un degré suffisant de sécurité juridique et quil
ne saurait constituer une alternative à une expropriation en
bonne et due forme (voir, par exemple, Guiso-Gallisay c. Italie,
no 58858/00, §§ 87-89, 8
décembre 2005, et Halil Göçmen c. Turquie, no 24883/07, § 32, 12 novembre
2013). 30.
En lespèce, la Cour observe que les requérants ont perdu
la maîtrise de leurs terrains à partir du moment où lÉtat
a occupé puis transformé de manière définitive ces terrains.
Elle ne saurait accueillir largument du Gouvernement selon
lequel loccupation litigieuse a été effectuée dans les
conditions prévues par la loi. Force est pour elle de constater
que, dans la présente affaire, les différentes étapes dune
expropriation formelle, établies par la loi sur lexpropriation
(paragraphe 20 ci-dessus), nont pas été respectées. En
particulier, elle relève labsence en lespèce dune
déclaration dutilité publique, destinée à mettre en
mouvement la procédure dexpropriation en bonne et due
forme. Elle prête une attention particulière au fait que les
autorités moldaves ont elles-mêmes reconnu quune
expropriation régie par la loi sur lexpropriation navait
pas été mise en uvre en lespèce (paragraphe 10 ci-dessus)
(comparer avec Sharxhi et autres c. Albanie, no 10613/16, §§ 169-174, 11
janvier 2018). 31.
En parallèle, la Cour observe que, selon les dispositions du
droit interne (paragraphes 18-20 ci-dessus), il ne peut y avoir dexpropriation
sans un juste et préalable dédommagement et que, en cas de
désaccord entre lexproprié et lexpropriant quant
aux modalités dexpropriation ce qui était le cas
en lespèce , le transfert du droit de propriété ne
peut seffectuer quen vertu dune décision de
justice passée en force de chose jugée. Or, elle constate que,
dans la présente affaire, lÉtat sest approprié les
terrains des requérants sans leur verser au préalable des
indemnités à ce titre et sans éventuellement recourir à un
juge. 32.
La Cour note également que les juridictions moldaves ont
entériné la pratique de lexpropriation de fait en jugeant
que les requérants avaient été privés de leurs biens pour une
cause dutilité publique. 33.
Elle relève enfin que, pour ce qui est des deux premiers
requérants, lacte formel de transfert de propriété na
été conclu quau bout de trois ans doccupation par lÉtat
des terrains litigieux (paragraphe 17 ci-dessus). Quant au
troisième requérant, elle constate que le transfert de
propriété na pas encore été acté et que, à ce jour,
il na reçu aucune indemnisation ou terrain en échange.
Dès lors, elle estime que la situation des requérants ne
saurait être considérée comme « prévisible » et comme
répondant à lexigence de « sécurité juridique » (comparer
avec Burghelea c. Roumanie, no 26985/03, § 39, 27 janvier 2009,
Rolim Comercial, S.A. c. Portugal, no 16153/09, § 67, 16 avril 2013).
De plus, elle considère que la situation en cause a permis à ladministration
de tirer parti dune occupation illégale des terrains au
détriment des requérants. 34.
À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que lingérence
litigieuse nétait pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit des
requérants au respect de leurs biens. Une telle conclusion la
dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
individuels 35.
Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention. MESSANA
c. ITALIE du 9 février 2017 requête 26128/04 Violation de l'article
1 du Protocole 1, l'État Italien construit sur le terrain des
requérants sans les exproprier, ils ont eu une indemnité
ridicule devant les juridictions italiennes. Le gouvernement
propose une transaction devant ÉCHEC
DE LA NÉGOCIATION PAR LES REQUÉRANTS 21.
Après léchec des tentatives de règlement amiable, le 16
décembre 2015, le Gouvernement a informé la Cour quil a
formulé une déclaration unilatérale afin de résoudre la
question soulevée par la requête. Il a invité la Cour à rayer
celle-ci du rôle en application de larticle 37 de la
Convention en contrepartie du versement dune somme globale
(236 777 EUR), couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi
que les frais et dépens et de la reconnaissance de la violation
du droit au respect des biens au sens de larticle 1 du
Protocole no 1 et de larticle 6 § 1 de la Convention. 22.
Le 15 janvier 2016, les requérants ont déclaré quils nétaient
pas satisfaits des termes de la déclaration unilatérale compte
tenu du montant offert. 23.
La Cour a affirmé que, dans certaines circonstances, il peut
être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de larticle
37 § 1 c) de la Convention sur la base dune déclaration
unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant
souhaite que lexamen de laffaire se poursuive. Ce
seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui
permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre
une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des
droits de lhomme garantis par la Convention nexige
pas quelle poursuive lexamen de laffaire au
sens de larticle 37 § 1 in fine (voir, parmi dautres,
Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003-VI; Melnic
c. Moldova, no 6923/03, § 14, 14 novembre
2006). 24.
Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figure,
entre autres, si dans sa déclaration unilatérale le
Gouvernement défendeur formule lune ou lautre
concession en ce qui concerne les allégations de violations de
la Convention et, dans cette hypothèse, quelles sont lampleur
de ces concessions et les modalités du redressement quil
entend fournir au requérant. Quant à ce dernier point, dans les
cas où il est possible deffacer les conséquences dune
violation alléguée (par exemple dans certaines affaires de
propriété) et où le Gouvernement défendeur se déclare
disposé à le faire, le redressement envisagé a davantage de
chances dêtre tenu pour adéquat aux fins dune
radiation de la requête (voir Tahsin Acar, précité, § 76). 25.
Quant au point de savoir sil serait opportun de rayer la
présente requête sur la base de la déclaration unilatérale du
Gouvernement, la Cour relève que le montant du dédommagement
offert est insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle
dans des affaires similaires en matière dexpropriation
indirecte (voir Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction
équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009 ; Rivera
et di Bonaventura c. Italie, no 63869/00, 14 juin 2011 ; De
Caterina et autres c. Italie, no 65278/01, 28 juin 2011 ; Macrì
et autres c. Italie, no 14130/02, 12 juillet 2011). 26.
Dans ces conditions, la Cour considère que la déclaration
unilatérale litigieuse ne constitue pas une base suffisante pour
conclure que le respect des droits de lhomme garantis par
la Convention nexige pas la poursuite de lexamen de
la requête. 27.
En conclusion, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant
à la radiation de la requête du rôle en vertu de larticle
37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre lexamen
de laffaire sur la recevabilité et le fond. ARTICLE
1 DU PROTOCOLE 1 a)
Sur lexistence dune ingérence 35.
La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir,
parmi beaucoup dautres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23
septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no
31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare
Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004 V,
et Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012). 36.
La Cour constate que les parties saccordent pour dire quil
y a eu une « privation » de propriété au sens de la deuxième
phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. 37.
La Cour doit donc rechercher si la privation dénoncée se
justifie sous langle de cette disposition. b)
Sur le respect du principe de légalité 38.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige,
avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit
légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise
une privation de propriété que « dans les conditions prévues
par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit
de réglementer lusage des biens en mettant en vigueur des
« lois ». De plus, la prééminence du droit, lun des
principes fondamentaux dune société démocratique, est
inhérente à lensemble des articles de la Convention (Amuur
c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et
décisions 1996-III, Iatridis c. Grèce [GC], précité, § 58). 39.
La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière dexpropriation
indirecte (voir, parmi dautres, Belvedere Alberghiera S.r.l.
c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino
c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, et Velocci
c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour une
récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa
jurisprudence dans la matière, notamment en ce qui concerne la
question du respect du principe de légalité dans cette
typologie daffaires. 40.
Dans la présente affaire, la Cour relève quen appliquant
le principe de lexpropriation indirecte, les juridictions
internes ont considéré les requérants privés de leur bien à
compter de la date de la cessation de la période doccupation
légitime. Or, en labsence dun acte formel dexpropriation,
la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée
comme « prévisible », puisque ce nest que par la
décision judiciaire définitive que lon peut considérer
le principe de lexpropriation indirecte comme ayant
effectivement été appliqué et que lacquisition du
terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par
conséquent, les requérants nont eu la sécurité
juridique concernant la privation du terrain quau plus tôt
le 12 janvier 2004, date à laquelle le jugement de la cour dappel
de Palerme est devenu définitif. 41.
La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à ladministration
de tirer parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme. 42.
À la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit au respect
des biens des requérants. 43.
Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. ARTICLE
41 53.
La Cour rappelle que dans laffaire Guiso-Gallisay c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], précité, la Grande Chambre a
modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères dindemnisation
dans les affaires dexpropriation indirecte en établissant
que lindemnisation à octroyer doit correspondre à la
valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la
propriété, telle quétablie par lexpertise
ordonnée par la juridiction compétente au cours de la
procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme
éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit
être actualisé pour compenser les effets de linflation et
assorti dintérêts susceptibles de compenser, au moins en
partie, le long laps de temps qui sest écoulé depuis la
dépossession des terrains. Enfin, il y a lieu de dévaluer
la perte de chances éventuellement subie par les intéressés. 54.
En lespèce, daprès les juridictions nationales, les
requérants ont perdu la propriété de leur terrain le 18 juin
1986. Il ressort de larrêt de la cour dappel de
Palerme que la valeur du terrain à cette date était de 45,45
EUR le mètre carré, soit 167 710,50 EUR au total (paragraphe 13
ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime
raisonnable daccorder aux requérants, conjointement, 323
800 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre dimpôt
sur cette somme. 55.
Quant à la perte de chance subie à la suite de lexpropriation,
la Cour juge quil y a lieu de prendre en considération le
préjudice découlant de lindisponibilité du terrain
pendant la période allant du début de loccupation
légitime (16 juillet 1980) jusquau moment de la perte de
propriété (18 juin 1986). Du montant ainsi calculé sera
déduit la somme déjà obtenue par les requérantes au niveau
interne à titre dindemnité doccupation. La Cour
estime raisonnable daccorder aux requérants, conjointement,
2 500 EUR. Papamichalopoulos
et autres C. Grèce du 24 juin 1993, requête 14556/89 41. Loccupation des terrains litigieux par
le Fonds de la marine nationale a représenté une ingérence
manifeste dans la jouissance du droit des requérants au respect
de leurs biens. Elle ne relevait pas de la réglementation de lusage
de biens, au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (P1-1). Dautre part,
les intéressés nont pas subi dexpropriation
formelle: la loi no 109/1967 na
pas transféré la propriété desdits terrains au Fonds de la
marine nationale. 42. La Convention visant à protéger des droits
"concrets et effectifs", il importe de déterminer si
la situation incriminée néquivalait pas néanmoins à une
expropriation de fait, comme le prétendent les requérants (voir,
entre autres, larrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23
septembre 1982, série A no 52, p. 24,
par. 63). 45. La Cour
estime que la perte de toute disponibilité des terrains en cause,
combinée avec léchec des tentatives menées jusquici
pour remédier à la situation incriminée, a engendré des
conséquences assez graves pour que les intéressés aient subi
une expropriation de fait incompatible avec leur droit au respect
de leurs biens.) Satka
et autres contre Grèce du 27 mars 2003 Hudoc 4229 requête 55828/00 "§48:
Ainsi les requérants, puisque propriétaires de leurs terrains,
se trouvent depuis 1991 année de la restitution de ceux-ci par l'armée,
dans l'impossibilité d'exploiter leurs biens, car il est de
notoriété publique que ceux-ci passeront dans l'avenir sous le
contrôle de l'Etat. §49: Il en est
résulté que les requérants ont eu à supporter et supportent
encore une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste
équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt
général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect des
biens. §50 : Il y a
donc violation de l'article 1 du Protocole n°1" CHIRO
CONTRE ITALIE DU 11 OCTOBRE 2005 Requête N° 63630/00 L'expropriation
indirecte soit utiliser et transformer un bien immobilier au seul
profit de l'administration est interdit 70. Larticle
1 du Protocole no 1 exige, avant tout et
surtout, quune ingérence de lautorité publique dans
la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La
prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune
société démocratique, est inhérente à lensemble des
articles de la Convention (Iatridis précité, § 58). Le
principe de légalité signifie lexistence de normes de
droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles
(Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no
296-A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni,
arrêt du 8 juillet 1986, série A no
102, p. 47, § 110). 71. Dans larrêt Belvedere
Alberghiera srl et dans larrêt Carbonara et Ventura
précités, la Cour navait pas estimé utile de juger in
abstracto si le rôle quun principe jurisprudentiel, tel
que celui de lexpropriation indirecte, occupe dans un
système de droit continental est assimilable à celui occupé
par des dispositions législatives, ce qui compte étant
en tout état de cause que la base légale réponde aux
critères de prévisibilité, accessibilité et précision
énoncés plus haut. La Cour est toujours convaincue que lexistence
en tant que telle dune base légale ne suffit pas à
satisfaire au principe de légalité et estime utile de se
pencher sur la question de la qualité de la loi. 72. La Cour prend note de lévolution
jurisprudentielle qui a conduit à lélaboration du
principe de lexpropriation indirecte. Elle relève
également que ce principe a été transposé dans des textes de
loi, tels que la loi no 458 de 1988, la
loi no 662 de 1996 et, tout
dernièrement, dans le Répertoire des dispositions en matière dexpropriation.
Ceci étant, la Cour ne perd pas de vue les applications
contradictoires qui ont lieu dans lhistorique de la
jurisprudence. Ce point de vue a dailleurs été adopté
par le Conseil dEtat (paragraphe 43 ci-dessus) qui, dans
son arrêt no 2 de 2005 rendu en
séance plénière, a reconnu que lexpropriation indirecte
na jamais donné lieu à une réglementation stable,
complète et prévisible. 73. La Cour relève également des
contradictions entre la jurisprudence et les textes de loi
écrits susmentionnés. A titre dexemple, la Cour note que
sil est vrai que la jurisprudence a exclu, à compter de
1996-1997, que lexpropriation indirecte puisse sappliquer
lorsque la déclaration dutilité publique a été annulée,
il est également vrai que le Répertoire a tout dernièrement
prévu quen labsence de déclaration dutilité
publique, tout terrain peut être acquis au patrimoine public, si
le juge décide de ne pas ordonner la restitution du terrain
occupé et transformé par ladministration. 74. A vu de ces éléments, la Cour nexclut
pas que le risque dun résultat imprévisible ou arbitraire
pour les intéressés subsiste. 75. La Cour note ensuite que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet en général
à ladministration de passer outre les règles fixées en
matière dexpropriation, avec le risque dun résultat
imprévisible ou arbitraire pour les intéressés, quil sagisse
dune illégalité depuis le début ou dune
illégalité survenue par la suite. En effet, dans tous les cas,
lexpropriation indirecte tend à entériner une situation
de fait découlant des illégalités commises par ladministration,
à régler les conséquences pour le particulier et pour ladministration,
au bénéfice de celle-ci. Que ce soit en vertu dun
principe jurisprudentiel ou dun texte de loi comme larticle
43 du Répertoire, lexpropriation indirecte ne saurait donc
constituer une alternative à une expropriation en bonne et due
forme (voir, sur ce point également, lopinion du Conseil dEtat,
au paragraphe 43 ci-dessus). 76. A cet égard, la Cour note que lexpropriation
indirecte permet à ladministration doccuper un
terrain et de le transformer irréversiblement, de telle sorte quil
soit considéré comme acquis au patrimoine public, sans quen
parallèle un acte formel déclarant le transfert de propriété
ne soit adopté. En labsence dun acte formalisant lexpropriation
et intervenant au plus tard au moment où le propriétaire a
perdu toute disponibilité du bien, lélément qui
permettra de transférer au patrimoine public le bien occupé et
datteindre une sécurité juridique est le constat dillégalité
de la part du juge, valant déclaration de transfert de
propriété. Il incombe à lintéressé -qui continue dêtre
formellement propriétaire - de solliciter du juge compétent une
décision constatant, le cas échéant, lillégalité
assortie de la réalisation dun ouvrage dintérêt
public, conditions nécessaires pour quil soit déclaré
rétroactivement privé de son bien. 77. Au vu de ces éléments, la Cour
estime que le mécanisme de lexpropriation indirecte nest
pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique. 78. La Cour note ensuite que lexpropriation
indirecte permet en outre à ladministration doccuper
un terrain et de le transformer sans pour autant verser dindemnité
en même temps. Lindemnité doit être réclamée par lintéressé
et cela dans un délai de prescription de cinq ans, commençant
à compter de la date à laquelle le juge estime que la
transformation irréversible du terrain a eu lieu. Ceci peut
entraîner des conséquences néfastes pour lintéressé,
et rendre vain tout espoir de réparation (Carbonara et Ventura,
précité, § 71). 79. La Cour relève enfin que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet à ladministration
de tirer parti de son comportement illégal, et que le prix à
payer nest que de 10% plus élevé que dans le cas dune
expropriation en bonne et due forme. Selon la Cour, cette
situation nest pas de nature à favoriser la bonne
administration des procédures dexpropriation et à
prévenir des épisodes dillégalité. 80. En tout état de cause, la Cour
est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne
est interprété et appliqué produit des effets conformes aux
principes de la Convention. 81. Dans la présente affaire, la Cour
relève quen appliquant le principe de lexpropriation
indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les
requérants privés de leur bien à compter du moment où les
travaux de construction de la route ont irréversiblement
transformé les lieux, les conditions dillégalité de loccupation
et dintérêt public de louvrage construit étant
réunies. Or, en labsence dun acte formel dexpropriation,
la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée
comme « prévisible », puisque ce nest que par
la décision définitive le jugement du tribunal de Lucera
ayant acquis force de chose jugée que lon peut
considérer le principe de lexpropriation indirecte comme
ayant effectivement été appliqué et que lacquisition
du terrain au patrimoine public a été sanctionnée. Par
conséquent, les requérants nont eu la « sécurité
juridique » concernant la privation du terrain quà
partir de janvier 2003, date à laquelle le jugement du tribunal
de Lucera est devenu définitif. 82. La Cour observe ensuite que la
situation en cause a permis à ladministration de tirer
parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme, et, entre autres, sans quune indemnité soit
mise en parallèle à la disposition des intéressés. 83. Sagissant de lindemnité,
la Cour constate que lapplication rétroactive de la loi
budgétaire no 662 de 1996 au cas despèce
a eu pour effet de priver les requérants dune réparation
intégrale du préjudice subi. 84. A la
lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit au respect
des biens des requérants. 85. Dès lors,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. OZBEK
CONTRE TURQUIE DU 27 MAI 2010 REQUETE N° 25327/04 34. Sagissant
en lespèce de largument du Gouvernement relatif à lapplication
du droit national, en particulier la manière dont les
juridictions nationales doivent appliquer les articles 993 à 995
du code civil, la Cour réaffirme quil ne lui appartient
pas de se substituer aux juridictions internes. Cest au
premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et
aux tribunaux, quil incombe dinterpréter la
législation interne (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne,
19 février 1998, § 33, Recueil des arrêts et décisions
1998-I, et Yagtzilar et autres c. Grèce, n 41727/98, § 25,
CEDH 2001-XII). Dans la présente affaire, le rôle de la Cour se
limite donc à vérifier la compatibilité avec la Convention et
ses Protocoles de la demande du requérant visant à lobtention
dune indemnité à raison de loccupation de son
terrain par lÉtat. 35. La
Cour observe quil nest pas contesté par les parties
que le terrain appartenant au requérant a été occupé par larmée,
classé zone militaire et entouré de fils de fer barbelés, du
moins pour la période du 6 mars 1997 au 7 août 2001, date
à laquelle les barbelés ont été enlevés, même si, pour le
requérant, la date de fin doccupation de son terrain est
plus tardive et correspond à celle à laquelle il a été
informé par larmée du retrait des barbelés (paragraphe
18 ci-dessus). Se plaignant de loccupation illicite de son
terrain, le requérant a introduit une action en dommages et
intérêts devant la juridiction interne compétente. La Cour
estime que le requérant a souffert de la mainmise de larmée
sur son terrain et note quil na obtenu aucune
compensation de la part de lÉtat pour ce préjudice. 36. Ces
éléments suffisent à la Cour pour conclure que loccupation
illicite par larmée, même limitée dans le temps, du
terrain appartenant au requérant a porté atteinte au droit de lintéressé
au respect de ses biens. Ensuite, sagissant
de largument du Gouvernement selon lequel la situation du
requérant, installé à létranger, lempêchait de
mener une activité de culture sur son terrain classé terrain
agricole, la Cour estime que le fait de résider à létranger
nest pas en soi un obstacle à lexploitation agricole
par son propriétaire dun terrain situé en Turquie. Elle nest
dès lors pas convaincue par la pertinence de cet argument. 37. En
conséquence, elle conclut que labsence de toute
indemnisation en contrepartie de loccupation illicite du
terrain du requérant par larmée a rompu, en la défaveur
de celui-ci, le juste équilibre à ménager entre la protection
de la propriété et les exigences de lintérêt général. GIACOBBE
ET AUTRES c. ITALIE Requête no 16041/02
du 15 décembre 2005 La construction
sur un terrain sans l'exproprier n'est pas compatible avec la
convention 89. Larticle 1 du Protocole no
1 exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale. La prééminence du droit, lun des principes
fondamentaux dune société démocratique, est inhérente
à lensemble des articles de la Convention (Iatridis
précité, § 58). Le principe de légalité signifie lexistence
de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et
prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994,
série A no 296 - A, pp.
19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du
8 juillet 1986, série A no 102, p.
47, § 110). 90. Dans les arrêts Belvedere
Alberghiera srl et Carbonara et Ventura précités, la Cour navait
pas estimé utile de juger in abstracto si le rôle quun
principe jurisprudentiel, tel que celui de lexpropriation
indirecte, occupe dans un système de droit continental est
assimilable à celui occupé par des dispositions législatives,
ce qui compte étant en tout état de causeque la
base légale réponde aux critères de prévisibilité,
accessibilité et précision énoncés plus haut. La Cour est
toujours convaincue que lexistence en tant que telle dune
base légale ne suffit pas à satisfaire au principe de
légalité et estime utile de se pencher sur la question de la
qualité de la loi. 91. La Cour prend note de lévolution
jurisprudentielle qui a conduit à lélaboration du
principe de lexpropriation indirecte. Elle relève
également que ce principe a été transposé dans des textes de
loi, tels que la loi no 458 de 1988, la
loi no 662 de 1996 et, tout
dernièrement, dans le Répertoire des dispositions en matière dexpropriation.
Ceci étant, la Cour ne perd pas de vue les applications
contradictoires qui ont lieu dans lhistorique de la
jurisprudence. Ce point de vue a dailleurs été adopté
par le Conseil dEtat (paragraphe 53 ci-dessus) qui, dans
son arrêt no 2 de 2005 rendu en
séance plénière, a reconnu que le principe jurisprudentiel de
lexpropriation indirecte na jamais donné lieu à une
réglementation stable, complète et prévisible. 92. La Cour relève également des
contradictions entre la jurisprudence et les textes de loi
susmentionnés. A titre dexemple, elle note que sil
est vrai que la jurisprudence a exclu, à compter de 1996-1997,
que lexpropriation indirecte puisse sappliquer
lorsque la déclaration dutilité publique a été annulée,
il est également vrai que le Répertoire a tout dernièrement
prévu quen labsence de déclaration dutilité
publique, tout terrain peut être acquis au patrimoine public, si
le juge décide de ne pas ordonner la restitution du terrain
occupé et transformé par ladministration. 93. A vu de ces éléments, la Cour nexclut
pas que le risque dun résultat imprévisible ou arbitraire
pour les intéressés subsiste. 94. La Cour note ensuite que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet en général
à ladministration de passer outre les règles fixées en
matière dexpropriation, avec le risque dun résultat
imprévisible ou arbitraire pour les intéressés, quil sagisse
dune illégalité depuis le début ou dune
illégalité survenue par la suite. En effet, dans tous les cas,
lexpropriation indirecte vise à entériner une situation
de fait découlant des illégalités commises par ladministration,
à régler les conséquences pour le particulier et pour ladministration,
au bénéfice de celle-ci. Que ce soit en vertu dun
principe jurisprudentiel ou dun texte de loi comme larticle
43 du Répertoire, lexpropriation indirecte ne saurait donc
constituer une alternative à une expropriation en bonne et due
forme (voir, sur ce point également, la position du Conseil dEtat,
au paragraphe 53 ci-dessus). 95. A cet égard, la Cour note que lexpropriation
indirecte permet à ladministration doccuper un
terrain et de le transformer irréversiblement, de telle sorte quil
soit considéré comme acquis au patrimoine public, sans quen
parallèle un acte formel déclarant le transfert de propriété
ne soit adopté. En labsence dun acte formalisant lexpropriation
et intervenant au plus tard au moment où le propriétaire a
perdu toute maîtrise du bien, lélément qui permettra de
transférer au patrimoine public le bien occupé et datteindre
une sécurité juridique est le constat dillégalité de la
part du juge, valant déclaration de transfert de propriété. Il
incombe à lintéressé -qui continue dêtre
formellement propriétaire - de solliciter du juge compétent une
décision constatant, le cas échéant, lillégalité
assortie de la réalisation dun ouvrage dintérêt
public, conditions nécessaires pour quil soit déclaré
rétroactivement privé de son bien. 96. Au vu de ces éléments, la Cour
estime que le mécanisme de lexpropriation indirecte nest
pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique. 97. La Cour note ensuite que lexpropriation
indirecte permet en outre à ladministration doccuper
un terrain et de le transformer sans pour autant verser dindemnité
en même temps. Lindemnité doit être réclamée par lintéressé
et cela dans un délai de prescription de cinq ans, commençant
à compter de la date à laquelle le juge estime que la
transformation irréversible du terrain a eu lieu. Ceci peut
entraîner des conséquences néfastes pour lintéressé,
et rendre vain tout espoir de réparation (Carbonara et Ventura,
précité, § 71). 98. La Cour relève enfin que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet à ladministration
de tirer parti de son comportement illégal, et que le prix à
payer nest que de 10% plus élevé que dans le cas dune
expropriation en bonne et due forme. Selon la Cour, cette
situation nest pas de nature à favoriser la bonne
administration des procédures dexpropriation et à
prévenir des épisodes dillégalité. 99. En tout état de cause, la Cour
est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne
est interprété et appliqué produit des effets conformes aux
principes de la Convention. 100. Dans la présente affaire, la
Cour relève quen appliquant le principe de lexpropriation
indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les
requérants privés de leur bien à compter du moment où loccupation
avait cessé dêtre autorisée, les conditions dillégalité
de loccupation et dintérêt public de louvrage
construit étant réunies. Or, en labsence dun acte
formel dexpropriation, la Cour estime que cette situation
ne saurait être considérée comme « prévisible »,
puisque ce nest que par la décision définitive larrêt
de la cour dappel ayant acquis force de chose jugée
que lon peut considérer le principe de lexpropriation
indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que lacquisition
du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par
conséquent, les requérants nont eu la « sécurité
juridique » concernant la privation du terrain que le 20 octobre 2001,
date à laquelle larrêt de la cour dappel de Catane
est devenu définitif. 101. La Cour observe ensuite que la
situation en cause a permis à ladministration de tirer
parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme, et, entre autres, sans quune indemnité soit
mise en parallèle à la disposition des intéressés. 102. Sagissant de lindemnité,
la Cour constate que lapplication rétroactive du délai de
prescription de cinq ans au cas despèce a eu pour effet de
priver les requérants de toute réparation du préjudice subi. 103. A la lumière de ces
considérations, la Cour estime que lingérence litigieuse
nest pas compatible avec le principe de légalité et quelle
a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants. 104. Dès lors, il y a eu violation de
larticle 1 du Protocole no 1. POTOMSKA
ET POTOMSKI C. POLOGNE 29 MARS 2011 requête 33949/05 L'interdiction de construire pour préserver un
ancien cimetière sans exproprier ou sans proposer un terrain de
remplacement est une charge excessive pour une famille. Les faits Les requérants,
Zygmunt Potomski et son épouse Zofia Potomska, sont deux
ressortissants polonais nés en 1937 et 1939 respectivement et
résidant à Darlowo (Pologne). En novembre
1974, à Rusko, le couple acheta à lEtat un terrain
classé dans la catégorie des terres agricoles. Ils souhaitaient
y construire une maison et un atelier. En mai 1987, linspecteur
régional des monuments historiques de Koszalin décida dinscrire
le terrain sur le registre des monuments historiques, au motif quil
avait accueilli un cimetière juif à partir du début du 19e
siècle et était lun des rares vestiges de la culture
juive dans la région. En conséquence, et conformément à la
loi de 1962 sur la protection du patrimoine culturel, le couple
était soumis à lobligation de préserver le terrain et à
linterdiction dy faire de quelconques travaux ou den
aménager fût-ce une partie, sauf obtention préalable dun
permis à cet effet. En 1992, 2001
et 2003, linspecteur régional forma des demandes dexpropriation
du terrain. Les deux premières démarches échouèrent. Après
la dernière demande, le maire de la localité déclara quil
ne disposait pas des fonds nécessaires pour indemniser le couple
et que dès lors il ne pouvait pas engager de procédure dexpropriation.
Pareille procédure ne pouvait être entamée que si linspecteur
lui-même parvenait à obtenir les ressources permettant de
couvrir lindemnité dexpropriation. Entre-temps, en
1995, les requérants avaient demandé quon leur attribuât
un autre terrain, mais en vain. En 2002, ils firent à nouveau
savoir quils étaient prêts à accepter un règlement du
litige passant par un échange de terrains. En 2003, les
autorités leur firent deux offres distinctes, mais le couple
refusa les terrains proposés constitués de champs et de
marécages au motif quils ne correspondaient pas à
la valeur du terrain possédé. Plus récemment,
en octobre 2005, le couple apprit que, les autorités ayant
refusé daccorder les fonds nécessaires au rachat de leur
terrain, il nétait pas possible à ce stade de résoudre
le litige. Article 1 du
Protocole no1 Le gouvernement
polonais admet quil y a eu ingérence dans les droits de
propriété des requérants, et les parties saccordent à
dire que cette ingérence était prévue par la loi, plus
précisément la loi de 1962 sur la protection du patrimoine
culturel, et poursuivait le but légitime consistant à protéger
le patrimoine culturel polonais. La Cour estime
que la mesure la mieux adaptée pour faire contrepoids à cette
ingérence aurait consisté à exproprier et indemniser les
requérants ou à leur proposer un terrain convenable en lieu et
place du leur. Or, toutes les
démarches entreprises pour obtenir lexpropriation ont
échoué, labsence de fonds ayant figuré parmi les motifs
invoqués. La Cour rappelle que labsence de fonds ne
saurait justifier le manquement des autorités à remédier à la
situation. De plus, le couple requérant navait aucun moyen
dobliger les autorités à racheter leur terrain, le droit
interne ne prévoyant aucune procédure qui leur eût permis de
porter leur cause devant un organe judiciaire. La seule
possibilité qui soffrait à eux consistait à demander le
déclenchement dune procédure dexpropriation et à
compter sur le pouvoir discrétionnaire des autorités. Par ailleurs,
il nexistait aucun mécanisme procédural permettant de
régler un litige portant comme dans la cause des
requérants sur les qualités du terrain proposé en
échange. Lon ne saurait reprocher aux requérants davoir
refusé les deux offres qui leur ont été faites, car celles-ci
ne garantissaient pas une protection suffisante de leurs
intérêts. Du reste, le droit interne ne les obligeait pas à
accepter un autre terrain, même à supposer que celui-ci
correspondît à la valeur du terrain original. En outre, la
Cour observe que létat dincertitude dans lequel sest
trouvé le couple, qui ne pouvait ni aménager son terrain ni se
faire exproprier, a duré pendant un laps de temps considérable.
Dès lors, elle estime que le juste équilibre entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la protection de la propriété a été rompu, et
que le couple requérant a dû supporter une charge excessive, au
mépris de larticle 1 du Protocole no 1. Article 41 (satisfaction
équitable) La Cour dit que
la question de lapplication de larticle 41 ne se
trouve pas en état et réserve sa décision sur ce point. BRANISTE
c. ROUMANIE requête du 5 novembre 2013 n° 19099/04 Les
terrains nationalisés en Roumanie sont rendue mais la
construction de deux coopérative empêchent les requérants d'en
prendre possession d'une partie. 6. Par
un arrêt définitif du 17 juin 2002, le tribunal départemental
de Mure? condamna les autorités départementales à octroyer au
requérant et à ses frères et surs un titre de
propriété sur un terrain de 8 700 m2 situé dans la
ville de Sighisoara et qui avait appartenu, avant sa
nationalisation, à leurs aïeuls. Le 2 octobre 2003, le
titre de propriété fut délivré. 7. Le
requérant et les autres propriétaires furent empêchés de
prendre possession de leur bien en raison de lexistence,
sur une partie du terrain, de plusieurs constructions appartenant
à deux sociétés coopératives : Prestarea Sighisoara (« la
société P. ») et Sinco Sighisoara (« la société S. »).
Ces constructions avaient été érigées avant loctroi du
titre de propriété sur la base dun droit dusage
gratuit au profit des sociétés coopératives. 33. Le
requérant considère quil aurait dû jouir de tous les
attributs du droit de propriété reconnus par le titre de
propriété. 34. Le
Gouvernement soutient que le requérant était responsable de la
situation créée au motif quil aurait revendiqué auprès
des autorités locales la restitution du terrain ayant appartenu
à ses aïeuls, sur lemplacement dorigine, tout en
sachant quune partie de ce terrain était occupée par les
bâtiments de deux sociétés coopératives. 35. En
tout état de cause, il estime que lingérence dans lexercice
par le requérant de son droit de propriété était légale et
quelle préservait un juste équilibre entre les exigences
de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lintéressé. 36. La
Cour constate que le droit de propriété sur le terrain
litigieux, tel que reconnu par le titre de propriété du 2
octobre 2003, était absolu et exclusif, et quil ne pouvait
faire lobjet daucun démembrement ou condition (voir,
mutatis mutandis, Moculescu, précité, § 28). Cependant,
le requérant a été privé de la possibilité de jouir de son
bien ou den recueillir les fruits, en application de la loi
no 109/1996 qui avait établi un droit de superficie gratuit en
faveur des sociétés coopératives. 37. Il
y a donc eu ingérence dans lexercice par le requérant de
son droit au respect de ses biens. 38. La
Cour ne doute pas que la reconnaissance en faveur des sociétés
coopératives du droit de superficie avait une base légale en
droit interne, à savoir la loi no 109/1996 et quelle
poursuivait un but dintérêt général, à savoir, le
maintien des activités économiques et des services fournis par
ces sociétés. 39. Cela
étant, la Cour se doit de rechercher, à la lumière du
principe général du respect de la propriété consacré par la
première phrase du premier alinéa de larticle 1
précité, si les autorités roumaines ont ménagé un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général
de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu (voir, mutatis mutandis, parmi
beaucoup dautres, Sporrong et Lönnroth c. Suède,
arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26,
§ 69). 40. A
cet égard, la Cour constate que la législation interne excluait
complètement toute possibilité de mise en balance des
intérêts de la communauté et ceux des propriétaires dont les
terrains étaient occupés par des locaux appartenant à des
sociétés coopératives (voir, mutatis mutandis, Moculescu,
précité, § 34). 41. La
pleine jouissance du droit de propriété du requérant sur son terrain
ayant été entravée pendant loccupation des locaux par
les sociétés coopératives, la Cour estime que la
situation ainsi créée a rompu le juste équilibre devant
régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les
exigences de lintérêt général (voir, mutatis
mutandis, Moculescu, précité, § 35). 42. Par
ailleurs, la Cour estime quil ne saurait être reproché au
requérant davoir réclamé la restitution sur le même
emplacement du terrain ayant appartenu à ses aïeuls, comme laffirme
le Gouvernement, dès lors que sa demande était fondée sur les
dispositions de la loi no 18/1991 et que les juridictions
internes lont bel et bien accueillie. 43. Par
conséquent, la Cour conclut que le requérant a supporté, avant
lentrée en vigueur de la loi no 1/2005, une charge
spéciale et excessive que seule aurait pu rendre légitime la
possibilité de réclamer une réparation. 44. Dès
lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. HÜSEYIN KAPLAN C TURQUIE du 1er octobre
2013 Requête 24508/09 L'édification
dun établissement denseignement technique et
professionnel sur le terrain du requérant sans l'exproprier est
une violation de la Convention. 34. Le
requérant soutient que la situation dénoncée a emporté
violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il allègue subir une ingérence dans lexercice de son
droit au respect de ses biens depuis 1982, date à laquelle ladministration
aurait décidé daffecter son terrain à un service public.
Pendant toute cette période, son terrain doté du statut
de terrain constructible en 1991 aurait été frappé dune
restriction dusage consistant en une interdiction de
construire ou de planter des arbres, jusquà ce que ladministration
procédât, à une date indéterminée, à son expropriation. Le
requérant se plaint de cette situation dincertitude. Il
reproche aux autorités leur inertie et déplore labsence dindemnisation
pour le sacrifice qui lui serait imposé. Il soutient quil
a perdu de la sorte la pleine jouissance du terrain et que la
situation litigieuse a en outre éliminé toute possibilité
concrète de trouver un acheteur et donc de vendre le terrain.
Compte tenu de la situation dénoncée, il estime quil y a
eu une atteinte disproportionnée à son droit au respect de ses
biens. 35. Le
Gouvernement se borne à réitérer ses exceptions préliminaires
et ne se prononce pas sur le fond de laffaire. 36. Aux
yeux de la Cour, il y a eu ingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens. La Cour note en
effet que, depuis 1982, le terrain du requérant a été affecté
à un service public et que le registre foncier a été annoté
en conséquence. Elle relève quil ressort des éléments
du dossier que ledit terrain, qui avait initialement le statut de
prairie, a acquis le statut de terrain constructible en 1991 (paragraphes
8 et 9 ci-dessus) et quil a été affecté dans le plan durbanisme
à lédification dun établissement denseignement
technique et professionnel. Or plus de vingt ans se sont
écoulés et ladministration na pas même démarré
la construction de lécole ni exproprié le requérant de
son terrain. La Cour estime que la situation décrite a eu
incontestablement pour effet de créer une restriction de la
disponibilité du bien en cause. Reste à savoir si cette
ingérence a enfreint ou non les dispositions de larticle 1
du Protocole no 1. 37. La
Cour observe quil ny a pas eu de privation formelle
de propriété puisque le droit de propriété du requérant est
resté juridiquement intact. Cependant, elle rappelle que, en labsence
dun transfert de propriété, elle doit aussi regarder au-delà
des apparences et analyser la réalité de la situation
litigieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre
1982, § 63, série A no 52, et Van Droogenbroeck c.
Belgique, 24 juin 1982, § 38, série A no 50 ; voir
également, mutatis mutandis, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979,
§ 25, série A no 32). 38. A
cet égard, elle relève que les effets de la situation
litigieuse dénoncés par le requérant découlent tous des
limitations apportées au droit de propriété et des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble ;
ils résultent donc tous de la restriction exercée sur la
faculté de lintéressé de disposer de son bien. Cela
étant, la Cour note que, bien quil ait perdu de sa
substance, le droit en cause na pas disparu. Les effets des
mesures en question ne sont pas tels quon puisse les
assimiler à une privation de propriété. Le requérant na
perdu ni laccès à son terrain ni la maîtrise de celui-ci
et, en principe, la possibilité de vendre son bien, bien que
rendue plus malaisée, a subsisté. Dans ces conditions, la Cour
estime que la seconde phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention ne trouve pas à sappliquer
en lespèce (Scordino c. Italie (no 2), no 36815/97, § 71, 15 juillet 2004,
et Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre
1996, § 85, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 39. En
revanche, elle considère que la situation dénoncée par le
requérant relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1 (Sporrong et Lönnroth, précité, § 65 ; Erkner
et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série A no
117 ; Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117 ;
Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX ;
Scordino (no 2), précité, § 73 ; Köktepe c. Turquie,
no 35785/03, § 85, 22 juillet
2008 ; Hakan Ari c. Turquie, no 13331/07, § 37, 11 janvier 2011,
et Ziya Çevik c. Turquie, no 19145/08, § 36, 21 juin 2011). 40. La
Cour doit donc rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux du requérant (Sporrong et Lönnroth, précité, §
69, et Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). 41. Elle
constate que le terrain nétait plus libre de toute
contrainte depuis son affectation, en 1982, à un service public.
Elle note également quavec le développement urbain il a
perdu son caractère initial de prairie et quil a acquis la
qualité de terrain constructible en 1991 (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). 42. Or
ce terrain, destiné à être exproprié, a été soumis à une
interdiction de construire en vertu dun plan durbanisme
layant affecté à lédification dune école.
Cette interdiction a été maintenue de manière continue (paragraphe
24 ci-dessus). 43. La
Cour rappelle avoir jugé que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les Etats
contractants jouissaient dune large marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69). Dans les circonstances de la cause, elle tient
pour établi que lingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens répondait aux
exigences de lintérêt général. Néanmoins, elle ne
saurait renoncer pour autant à exercer son pouvoir de contrôle. 44. Elle
observe que, durant toute la période concernée, le requérant
est resté dans une incertitude complète quant au sort de sa
propriété. A la date du 20 mars 2013, lintéressé nétait
toujours pas exproprié de son bien. 45. La
Cour estime que cet état des choses a entravé la pleine
jouissance du droit de propriété du requérant, lequel ne peut
ni construire sur un terrain doté du statut de terrain
constructible ni même y planter des arbres. Cette situation a,
de plus, eu des répercussions dommageables en ce quelle a,
entre autres, considérablement affaibli les chances de lintéressé
de vendre son terrain. 46. Enfin,
la Cour constate que le requérant na vu sa perte
compensée par aucune indemnisation. 47. A
la lumière de ces considérations, elle estime que le requérant
a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect de ses biens (Hakan Ari, précité,
§ 47 ; Ziya Çevik, précité, § 47 ; Sporrong
et Lönnroth, précité, §§ 73 et 74 ; Erkner et Hofauer,
précité, §§ 78 et 79 ; Elia, précité, § 83 ;
Rossitto c. Italie, no 7977/03, § 45, 26 mai 2009 ;
Skibinscy c. Pologne, no 52589/99, § 98, 14 novembre
2006 ; Skrzynski c. Pologne, no 38672/02, § 92, 6 septembre
2007 ; Rosinski c. Pologne, no 17373/02, § 89, 17 juillet 2007 ;
Buczkiewicz c. Pologne, no 10446/03, § 77, 26 février
2008, et Pietrzak c. Pologne, no 38185/02, § 115, 8 janvier 2008). 48.
Dès lors, la Cour conclut quil y a eu violation de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention. HALIL
GÖÇMEN c. TURQUIE du 12 novembre 2013 requête n° 24883/07 Le requérant
vit à Thiers en France. Les autorités turques n'arrivant pas à
le joindre pour entamer une procédure d'expulsion en faveur du
rectorat, ont décidé d'occuper son terrain de fait sans l'indemniser.
La violation de la convention est constatée. 26. En ce qui
concerne la question de lexistence dune ingérence,
nul ne conteste que lexpropriation de
facto du
terrain de M. Göçmen constitue une privation de propriété. 27. A cet
égard, la Cour relève que les juridictions nationales ont
constaté que ladministration avait occupé le terrain du
requérant sans quait été mise en oeuvre une procédure dexpropriation
en bonne et due forme. En conséquence, elles ont décidé doctroyer
à lintéressé des dommages et intérêts pour
expropriation de fait en contrepartie de linscription du
bien en cause au nom de ladministration dans le registre
foncier. La Cour conclut que le jugement définitif du 17 mai
2007 rendu par le tribunal de grande instance de Kayseri a bien
eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la
deuxième phrase de larticle 1 du Protocole no 1 (Sarica et
Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 40, 27 mai 2010, Carbonara
et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 61, CEDH
2000-VI, et Brumarescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH
1999-VII). 28. Or pour
être compatible avec larticle 1 du Protocole no 1, une telle ingérence
doit être opérée « pour cause dutilité publique » et
« dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux de droit international » : elle doit ménager un «
juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et
Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série
A no 52). 29. En effet,
la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune
société démocratique, étant inhérente à lensemble de
la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no
31107/96, § 58, CEDH 1999-II), larticle 1 du Protocole no
1 exige, avant tout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale. 30. Dans ce
contexte, la Cour observe dabord que la pratique de lexpropriation
de fait permet à ladministration doccuper un bien
immobilier et den transformer irréversiblement la
destination, de telle sorte quil soit finalement
considéré comme acquis au patrimoine public sans quil y
ait eu le moindre acte formel pour déclarer le transfert de
propriété. En labsence dun tel acte, le seul
élément qui permette de légitimer le transfert du bien occupé
et de garantir rétroactivement une certaine sécurité juridique
est le jugement du tribunal saisi qui,a posteriori, ordonne le
transfert de propriété après avoir constaté lillégalité
de loccupation dénoncée et alloué aux demandeurs des
dommages et intérêts, dits « indemnité dexpropriation
de fait ». 31. Lexpropriation
de fait constitue ainsi une pratique permettant à ladministration
de sapproprier un bien sans avoir indemnisé au préalable
son propriétaire. Elle a pour effet de contraindre les
propriétaires qui jusqualors conservent
formellement leur titre sur le plan juridique à ester en
justice contre ladministration. En effet, les intéressés
se voient obligés dentamer une action en indemnisation et,
de ce fait, dengager des frais de procédure pour faire
valoir leurs droits, alors quen matière dexpropriation
formelle, la procédure est déclenchée par ladministration
expropriante, qui à défaut de règlement amiable doit en
principe supporter les frais de justice. 32. À laune
de ce qui précède, la Cour estime que ce procédé permettant
à ladministration de passer outre les règles de lexpropriation
formelle expose les justiciables au risque dun résultat
imprévisible et arbitraire. Il nest pas apte à assurer un
degré suffisant de sécurité juridique et ne saurait constituer
une alternative à une expropriation en bonne et due forme (Scordino
c. Italie (no 3), no 43662/98, § 89, 17 mai 2005 et Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 87, 8 décembre 2005). 33. Dans la
présente affaire, la Cour observe que ladministration sest
approprié le terrain du requérant au mépris des règles
régissant lexpropriation formelle et sans lui verser dindemnité.
Le fait que le rectorat de luniversité dErciyes ait
en réalité bien pris une décision dexpropriation mais nait
pas pu la notifier au requérant au motif quil habitait à
létranger ne change en rien ce constat. Dailleurs,
il ny a aucun document dans le dossier démontrant que le
rectorat a cherché à trouver ladresse de lintéressé.
Au lieu de suivre la procédure légale pour exproprier le
requérant de son bien en bonne et due forme, ladministration
a préféré délimiter le terrain et lentourer de
barbelés, prenant ainsi possession des lieux. 34. La Cour
note que les juridictions turques ont entériné la pratique de lexpropriation
de fait en jugeant que le requérant avait été privé de son
bien du fait de loccupation de son terrain par ladministration.
35. Or, en labsence
dun acte formel dexpropriation, la Cour estime que
cette situation ne pouvait être considérée comme «
prévisible » pour M. Göçmen puisque ce nest que depuis
que le jugement du tribunal de grande instance de Kayseri est
devenu définitif que lon peut conclure à lapplication
effective de la pratique de lexpropriation de fait et que
la méthode employée par ladministration pour rattacher le
terrain litigieux au domaine public a été sanctionnée.
Autrement dit, ce nest que le 17 mai 2007 date du
jugement définitif du tribunal de grande instance de Kayseri
que le requérant a bénéficié de la « sécurité
juridique » concernant la privation de son terrain. 36. De plus, à
lanalyse des éléments du dossier et notamment des
rapports dexpertise, la Cour observe quun laps de
temps notable sest écoulé depuis la prise de possession
du terrain litigieux par ladministration sans que le projet
dutilité publique fondant la privation de propriété ait
été réalisé. Or une telle situation, de nature à priver le
requérant exproprié de facto de son terrain dune plus-value
rapportée par le bien en cause, est également incompatible avec
les exigences de larticle 1 du Protocole no 1 (Motais de
Narbonne c. France, no 48161/99, § 19, 2 juillet 2002, Beneficio
Cappella Paolini c. Saint-Marin, no 40786/98, § 33, 13
octobre 2004, et Keçecioglu et autres c. Turquie,
no 37546/02, § 28, 8 avril
2008). Néanmoins, la Cour ne sattardera pas davantage sur
ce point dans la mesure où le requérant na pas intenté
de recours en droit interne sur cette question spécifique. 37. En ce qui
concerne la question de lindemnisation, la Cour rappelle
que sans le versement dune somme raisonnablement en rapport
avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive au sens de larticle 1 du
Protocole no
1 (James
et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, série A no 98, p. 36, § 54, Les
saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, série
A no 301, p. 35, § 71, Malama c. Grèce, no
43622/98, § 52, CEDH 2001-II, Platakou c. Grèce,
no 38460/97, CEDH 2001-I, Jokela c. Finlande,
no 28856/95, CEDH 2002-IV et Yiltas Yildiz Turistik
Tesisleri A.S. c. Turquie, no 30502/96, § 38, 24
avril 2003. 38. La Cour
observe que, dans la présente espèce, la qualification du
terrain litigieux (terrain à bâtir ou terrain agricole) et sa
valeur ont été lobjet dune controverse. Même si la
Cour na pas pour tâche de se substituer aux juridictions
nationales et dindiquer la manière dont les faits doivent
être établis, il lui revient toutefois de sassurer quils
ne lont pas été de manière inéquitable ou
déraisonnable (Gereksar et autres c. Turquie,
nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 55, 1er février
2011). 39. La Cour
relève que la juridiction de première instance, se fondant sur
le rapport dexpertise quelle avait demandé, avait
initialement fixé lindemnité pour expropriation de facto
à 18 000 livres turques (TRL) (soit environ 11 000 EUR (euros)
à lépoque des faits). Cette décision ayant été
censurée par la Cour de cassation, le tribunal de grande
instance de Kayseri, après avoir pris connaissance des
conclusions du nouveau rapport dexpertise, a estimé que le
montant de lindemnité à allouer au requérant était de
754,29 TRL (soit environ 420 EUR à lépoque des faits).
Cette différence notable dans la détermination de la valeur du
bien était due au fait que dans le premier rapport dexpertise,
le terrain avait été qualifié de constructible, et dans le
second, de terrain agricole. 40. La Cour
estime quavant de fixer la valeur du terrain à 1,50 TRL (0,86
EUR) le mètre carré, il revenait au tribunal de grande instance
dexposer les raisons pour lesquelles il écartait les
arguments du requérant. Lintéressé, qui avait notamment
démontré avoir payé de 1998 à 2003 la taxe foncière à lEtat
sur la base dune qualification de terrain à bâtir et non
de terrain agricole, pouvait raisonnablement sattendre à
ce quil soit procédé à une nouvelle expertise pour
écarter les contradictions des deux expertises initiales. 41. Dès lors,
la Cour considère que les faits nont pas été établis de
manière suffisamment motivée et quune explication de
nature à répondre aux attentes légitimes et aux arguments qui
étaient ceux du requérant na pas été fournie. 42. A la
lumière de ce qui précède, outre le défaut de légalité de lexpropriation
litigieuse, la Cour conclut que, dans les circonstances de lespèce,
lobligation doffrir des procédures judiciaires
présentant les garanties procédurales requises na pas
été suffisamment respectée. 43. Partant il
y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. SOCIEDAD
ANÓNIMA DEL UCIEZA c. ESPAGNE du 4 novembre 2014 requête 38963/08 Une
expropriation de fait contraire à l'Article 1 du Protocole 1. La
requérante allègue avoir été privée dune partie de sa
propriété, comprenant une église médiévale, sans cause dutilité
publique et en labsence de toute indemnisation, sur le
fondement dune loi préconstitutionnelle. Elle situe cette
privation dans la décision du responsable du livre foncier dAstudillo
dinscrire léglise médiévale en cause comme
appartenant à lÉvêché de Palencia au seul vu dun
certificat de propriété ad hoc établi le 16 décembre 1994 par
le secrétaire général dudit Évêché, faisant valoir que
pareille inscription crée une présomption iuris tantum de
propriété au profit de lÉvêché. Déboutée dans la
procédure judiciaire engagée par elle en réaction, la
requérante estime avoir été de ce fait définitivement déchue
du droit qui, selon elle, était antérieurement le sien. 70. Larticle
1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes. La
première, qui sexprime dans la première phrase du premier
alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du
respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde
phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la
soumet à certaines conditions ; quant à la troisième,
consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États
contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage
des biens conformément à lintérêt général. Il ne sagit
pas pour autant de règles dépourvues de rapports entre elles :
la deuxième et la troisième ont trait à des exemples
particuliers datteintes au droit de propriété ; dès
lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du
principe général consacré par la première (voir, parmi
beaucoup dautres, Bruncrona c. Finlande, no 41673/98, § 65, 16 novembre
2004), respecter le principe de légalité et viser un but
légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à celui-ci
(voir, par exemple, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 108-114, CEDH
2000-I). 71. La
notion d« utilité publique » de la seconde
phrase du premier alinéa est ample par nature. En particulier,
la décision dadopter des lois sur le droit de propriété
implique dordinaire lexamen de questions politiques,
économiques et sociales. Une privation de propriété opérée
dans le cadre dune politique légitime dordre
social, économique ou autre peut répondre à lutilité
publique même si la collectivité dans son ensemble ne se sert
ou ne profite pas elle-même du bien dont il sagit. 72. Les
autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que
le juge international pour déterminer ce qui est « dutilité
publique ». Estimant normal que le législateur
dispose dune grande latitude pour mener une politique
économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il
conçoit les impératifs de l« utilité publique »
sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de
fondement. Tant que le législateur ne dépasse pas les limites
de sa marge dappréciation, la Cour na pas à dire sil
a choisi la meilleure façon de traiter le problème ou sil
aurait dû exercer son pouvoir différemment (James et autres c.
Royaume-Uni, 21 février 1986, § 51, série A no 98). 73. Une
mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit
toutefois ménager un « juste équilibre » entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu.
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier, qui
doit se lire à la lumière du principe général consacré par
la première phrase. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété
ou réglementant lusage de celle-ci. 74. Nonobstant
le silence de larticle 1 du Protocole no 1 en matière dexigences
procédurales, afin dévaluer la proportionnalité de lingérence,
la Cour regarde le niveau de protection contre larbitraire
dispensé par la procédure en cause (Hentrich c. France, 22
septembre 1994, § 46, série A no 296-A). Lorsquil sagit
dune ingérence dans le droit du requérant au respect de
ses biens, les procédures applicables doivent aussi offrir à la
personne concernée une occasion adéquate dexposer sa
cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement
les mesures portant atteinte au droit en cause. Une telle
ingérence ne peut avoir de légitimité en labsence dun
débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes, qui permette de discuter des aspects dimportance
pour lissue de la cause. Pour sassurer du respect de
cette condition, il y a lieu de considérer les procédures
applicables dun point de vue général (voir, parmi dautres,
Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV, AGOSI
c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 55, série A no 108,
Hentrich v. France, précité, § 49 et Gáll c. Hongrie, no 49570/11, § 63, 25 juin 2013). 75. Afin
de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC],
no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII). 76. Sans
le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la
valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier
sur le terrain de larticle 1. Cependant, ce dernier ne
garantit pas dans tous les cas le droit à une compensation
intégrale, car des objectifs légitimes « dutilité
publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur
à la pleine valeur marchande (voir, parmi dautres, Papachelas
c. Grèce [GC], no 31423/96, § 48, CEDH 1999-II).
Une privation de propriété sans indemnisation peut, dans
certaines circonstances, être conforme à larticle 1 (Jahn
et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 117, CEDH 2005-VI). b) Application
en lespèce des principes susmentionnés i. Sur
lexistence dune ingérence dans le droit de
propriété de la requérante 77. La
requérante se plaint davoir été privée dun bien
quelle estimait lui appartenir, une église cistercienne
enclavée dans un terrain dont elle est la propriétaire, par leffet
de limmatriculation de ladite église au profit de lÉglise
catholique sur présentation par cette dernière du certificat
prévu par larticle 206 de la loi hypothécaire pour les
biens immeubles non-inscrits au livre foncier. Le
Gouvernement conteste ces affirmations et explique que, comme lont
reconnu les juridictions internes, léglise en cause na
jamais appartenu à la requérante ni à ceux qui lui ont vendu
sa propriété rurale, lÉglise catholique ayant toujours
été la seule propriétaire de léglise en cause. Il
souligne que le certificat de propriété délivré par lÉvêché
nétait pas un mode d « acquisition »
de la propriété, mais simplement une formalité pour linscription
au livre foncier des biens immeubles appartenant déjà à lÉglise. 78. La
Cour observe quavant le 22 décembre de 1994, date à
laquelle lÉvêché de Palencia fit procéder à linscription
litigieuse dans le livre foncier dAstudillo (paragraphe 8
ci-dessus), le terrain en cause, comportant, entre autres, léglise
cistercienne litigieuse, était déjà inscrit au livre foncier. En
effet, les inscriptions foncières antérieures à son
acquisition par la requérante indiquaient lexistence sur
la propriété en cause d « un bâtiment qui était
anciennement léglise du prieuré de Santa Cruz » (paragraphe
7 ci-dessus). Quant à linscription foncière de 1979 au
nom de la requérante, à la suite de lacquisition par
cette dernière de la propriété en cause par un acte
authentique de vente conclu avec les anciens propriétaires le 12
juillet 1978, elle mentionnait que dans la propriété étaient
enclavées « une église, une maison, (...) » (paragraphe
6 ci-dessus). Aux
yeux de la Cour, léglise en cause était donc
expressément inscrite au livre foncier. Les juridictions
espagnoles et, en particulier, lAudiencia provincial de
Palencia, ont admis lexistence de cette inscription
foncière, bien que cette dernière lait qualifiée d« équivoque »
concernant la description de la propriété et les bâtisses y
enclavés (paragraphe 12 ci-dessus). 79. La
Cour note que selon la législation espagnole, celui qui inscrit
son bien au livre foncier est réputé titulaire dun droit
réel sur ledit bien. Selon larticle 38 de la loi
hypothécaire du 8 février 1946, il est en effet présumé que
les droits réels inscrits au livre foncier existent et
appartiennent à leur titulaire. Lorsquun titre est inscrit
au livre foncier, aucun autre titre incompatible ne peut être
inscrit (paragraphe 22 ci-dessus). Au
vu de ce qui précède, la Cour considère que linscription
dun bien au livre foncier confère dimportants
avantages dordre substantiel et procédural à son
propriétaire, le livre foncier se présentant comme un
instrument de publicité de la propriété foncière destiné à
garantir la propriété des biens, ainsi que la circulation et le
commerce desdits biens. 80. Or
malgré son inscription au livre foncier en 1979, la Cour relève
que le titre dont se prévalait la requérante a été réduit à
néant par les juridictions internes. Elle observe à cet égard
que, selon ce quexpose le Gouvernement (paragraphe 51 ci-dessus),
la loi ouvre aux tiers dont les droits auraient été méconnus
une action contre le propriétaire dun bien inscrit à la
suite dune mutation de propriété dans un délai de deux
ans à compter dune telle inscription. LÉvêché de
Palencia, qui navait pas exercé une telle action en temps
utile, est toutefois parvenu à faire immatriculer seize ans plus
tard le même bien immeuble que celui déjà inscrit au nom de la
requérante, par un moyen qui était réservé par la loi aux
seuls cas dabsence dinscription préalable du bien en
cause. 81. Dès
lors, cette nouvelle inscription, à linitiative du
secrétaire général de lÉvêché de Palencia, de léglise
cistercienne en cause comme bien appartenant audit Évêché, a
privé la requérante des droits quelle tirait de linscription
préalable de limmeuble à son nom. Elle a donc constitué
une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses
biens. 82. Il
reste à examiner si ladite ingérence était compatible avec larticle 1
du Protocole no 1. ii. Sur
la justification de lingérence a) Sur
la règle applicable 83. La
requérante se dit victime dune expropriation, du fait de limmatriculation
par lÉglise catholique de léglise enclavée dans le
terrain dont elle est propriétaire, et qui selon elle était
inscrite à son nom au livre foncier. Au demeurant, elle rappelle
que larticle 1 du Protocole no 1 est aussi applicable à lexpropriation
de fait et aux cas dingérence dans lusage dun
bien même sans transfert formel de propriété. Le
Gouvernement conteste ces thèses. 84. La
Cour estime que la question dans la présente affaire est
essentiellement celle de linscription de léglise
litigieuse au livre foncier : si léglise était
déjà mentionnée au livre foncier comme enclavée dans le
terrain appartenant à la requérante sans que ladite inscription
ait été attaquée en temps utile, il y aurait lieu de
considérer que limmatriculation ultérieure de ladite
église au nom de lÉvêché de Palencia a privé le titre
de propriété de la requérante de tout effet utile. 85. En
labsence dun transfert indiscuté de propriété, la
Cour doit regarder au-delà des apparences et analyser la
réalité de la situation litigieuse (voir, mutatis mutandis,
Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 25, série A no 32). À cet
égard, la présente situation ne sapparente pas à une
expropriation de fait ni à une mesure de réglementation de lusage
des biens, au sens du deuxième alinéa de larticle 1
du Protocole no 1. 86. La
Cour estime dès lors quil convient dapprécier la
situation dénoncée par la requérante comme relevant de la
première phrase de larticle 1 du Protocole no 1 (Sporrong
et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 65, série A no 52,
Erkner et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série
A no 117, Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117
et Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX). ß) Sur
le respect de la norme énoncée à la première phrase du
premier alinéa 87. Aux
fins de la première phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1, la Cour doit rechercher si un juste
équilibre a été maintenu entre les exigences de lintérêt
général de la communauté, en lespèce la sécurité dans
le commerce des biens immeubles par leur inscription au livre
foncier, et les impératifs de la sauvegarde du droit fondamental
de la requérante (Sporrong et Lönnroth, précité, § 69 ;
Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). Pour
apprécier la proportionnalité de lingérence, la Cour a
égard aussi au degré de protection offert contre larbitraire
par la procédure mise en uvre (Hentrich, précité, § 44). 88. Eu
égard à la marge dappréciation accordée aux États en
la matière, la Cour tient pour établi que lingérence
dans le droit de la requérante au respect de ses biens
répondait aux exigences de lintérêt général. Pour
autant, la Cour ne saurait renoncer à son pouvoir de contrôle.
Il lui appartient en effet de vérifier que léquilibre
voulu a été préservé dune manière compatible avec le
droit de la requérante au respect de ses biens, au sens de la
première phrase de larticle 1. 89. La
Cour relève dune part que le droit espagnol prévoit quaucun
autre titre nest opposable à un titre inscrit au livre
foncier, et que les droits réels inscrits au livre foncier sont
présumés exister et appartenir à leur titulaire (paragraphe 22
ci-dessus). Elle observe dautre part que, selon le droit
espagnol, limmatriculation des propriétés non inscrites
au livre foncier ne peut être effectuée que par le biais de lun
des moyens établis par larticle 199 de la loi
hypothécaire, à savoir : a) au terme dune procédure
de reconnaissance de propriété, ou b) au vu dun titre
public dacquisition, complété par un acte de notoriété
lorsque le titre acquisitif du vendeur ou de celui qui le
transmet nest pas attesté de manière irréfutable, ou
encore c) au vu du certificat auquel se réfère larticle
206, qui dans le cas de lÉglise catholique est délivré
par lévêque diocésain (paragraphe 22 ci-dessus). 90. La
Cour considère quaucune justification à limmatriculation
du bien en cause, autre que celle prévue par larticle 206
de la loi hypothécaire, na été donnée par lÉvêché
de Palencia. Or il est à noter les dispositions dudit article ne
jouent quen cas dabsence dinscription foncière
préalable. Dans la mesure où dans la présente affaire il
existait une inscription foncière préalable portant sur le
même bien et datant de 1979, limmatriculation au nom de lÉvêché
de Palencia en 1994 a impliqué la perte des droits qui
découlaient pour la requérante de linscription de 1979. 91. Limmatriculation
foncière demandée par lÉvêché de Palencia sest
faite sans tenir compte de linscription qui figurait au nom
de la requérante au livre foncier dAstudillo. Il ressort
des faits de lespèce que labsence dinscription
foncière préalable de léglise cistercienne en question,
condition requise pour lapplication de larticle 199
de la loi hypothécaire au livre foncier, prêtait pour le moins
à discussion. La Cour estime que même si, comme la
confirmé lAudiencia provincial dans son arrêt du 5 février
2001 (paragraphe 12 ci-dessus), les termes de linscription
antérieure de léglise en cause étaient équivoques, son
inscription au nom de lÉvêché aurait dû être refusée
par le responsable du livre foncier, qui, comme le prévoit larticle
306 du règlement hypothécaire, naurait pas dû permettre
la coexistence de deux inscriptions apparemment contradictoires
portant sur le même bien (paragraphe 23 ci-dessus). 92. Le
responsable du livre foncier a néanmoins procédé à limmatriculation
demandée par lÉvêché de Palencia, qui emportait des
effets préjudiciables pour la requérante, sans donner à cette
dernière la possibilité de formuler des objections tirées de linscription
foncière préalable de léglise en cause, qui auraient
rendu inapplicables les articles 199 et 206 de la loi
hypothécaire. Ainsi, cest en labsence de toute
possibilité de faire valoir ses motifs dopposition que la
requérante a été privée des droits qui découlaient pour elle
de linscription au livre foncier quelle avait obtenue
en 1979. 93. Par
la suite, la requérante a engagé une procédure civile à lencontre
de lÉvêché de Palencia afin de faire déclarer la
nullité de limmatriculation de léglise et de ses
dépendances faite par lÉvêché en 1994 (paragraphe 10 ci-dessus).
Cette procédure na pas abouti. Les juridictions internes
ont estimé que, pour des raisons historiques, léglise en
question ne figurait pas parmi les biens acquis par les
propriétaires successifs du terrain en cause et ses dépendances
depuis leur première acquisition par le sieur M. en 1841 (paragraphe
12 ci-dessus). Le juge de première instance no 5 de Palencia
avait par ailleurs retenu dans son jugement du 28 mars 2000 que léglise
en cause ne pouvait pas non plus avoir été acquise par la
requérante par la voie de lusucapion, en considérant :
1o que la prescription acquisitive ne pouvait en la matière
avoir lieu quen faveur de personnes morales
ecclésiastiques ; 2o que la requérante navait en
tout état de cause pas exercé sur léglise une possession
durant le temps requis par la loi, le diocèse sétant
comporté en tant que propriétaire jusquau conflit sur la
propriété de ladite église ; 3o quau demeurant,
le fait que les employés de la requérante disposaient de la
clé de léglise nétait pas un élément
déterminant en termes de possession, la détention de cette clé
nayant eu selon lui dautre objet que de permettre de
montrer léglise aux visiteurs. 94. La
Cour observe que les arguments retenus reposaient sur des
considérations historiques ainsi que sur linterprétation
de certaines institutions du droit civil telles que lusucapion
ou la possession. Elle relève toutefois quaucune
discussion sur les dispositions de la loi ou du règlement
hypothécaires applicables en lespèce na eu lieu au
sein des juridictions internes ayant examiné laffaire de
la requérante. Or, il convient dobserver quaux
termes de larticle 38 de la loi hypothécaire, il est
présumé que les droits réels inscrits au livre foncier
existent et appartiennent à leur titulaire enregistré. La Cour
sétonne que les motifs adoptés par les juridictions dinstance
et dappel en lespèce naient aucunement abordé
certaines questions clés telles que celle de la légalité de linscription
au nom de lÉvêché de Palencia dun bien déjà
inscrit au livre foncier et de lapplicabilité des articles
199 et 206 de la loi hypothécaire aux faits de la cause. 95. Au
vu de ce qui précède, la Cour estime que linscription de
léglise au nom de lÉvêché de Palencia par le
responsable du livre foncier dAstudillo au seul vu du
certificat émis par lévêché lui-même est intervenue de
manière arbitraire et guère prévisible, et na pas offert
à la requérante les garanties procédurales élémentaires pour
la défense de ses intérêts. En particulier, tel quappliqué
dans la présente affaire, larticle 206 de la loi
hypothécaire ne satisfaisait pas suffisamment aux exigences de
précision et de prévisibilité quimplique la notion de
loi au sens de la Convention. 96.
Dès lors quelle revient à priver de tout effet utile un
droit réel inscrit au livre foncier, limmatriculation dun
bien déjà évoqué dans une inscription antérieure ne saurait
avoir de légitimité en labsence dun débat
contradictoire et respectueux du principe de légalité des
armes. Un tel débat au stade même de limmatriculation
aurait dû permettre de discuter la question de lorigine de
la propriété et celle de la validité des transactions
successives sur un pied dégalité. Ce sont là autant déléments
qui ont manqué dans la présente affaire (voir Hentrich,
précité, § 42). En lespèce, la requérante sest
trouvée dans limpossibilité de se défendre contre leffet
de la mesure dimmatriculation litigieuse, ce qui la rend en
soi disproportionnée. 97. À
cela sajoute le fait que les juridictions du fond ont
interprété la loi interne comme autorisant lÉvêché de
Palencia à faire usage de son droit dimmatriculation sur
la base de considérations historiques dordre général. 98. Or,
par leffet dune telle interprétation, les droits qui
découlaient pour la requérante de linscription de léglise
litigieuse à son nom dans le livre foncier se sont vus amputés
de tout effet utile, alors quà aucun moment il na
été question de mauvaise foi ou de fraude de sa part ; et
ce, au terme dune procédure expéditive dans laquelle le
seul titre présenté au responsable du livre foncier afin de
procéder à limmatriculation de léglise au nom de lÉvêché
de Palencia consistait en un certificat de propriété délivré ex
novo par le secrétaire général de ce même Évêché, alors
même que celui-ci se référait à un bien sis à lintérieur
dun terrain appartenant à la requérante. 99. La
Cour estime pour le moins surprenant quun certificat
délivré par le secrétaire général de lÉvêché puisse
avoir la même valeur que les certificats délivrés par de
fonctionnaires publics investis de prérogatives de puissance
publique, et se demande par ailleurs pourquoi larticle 206
de la loi hypothécaire se réfère aux seuls évêques
diocésains de lÉglise catholique, à lexclusion des
représentants dautres confessions. Elle note également quil
ny a aucune limitation dans le temps à limmatriculation
ainsi prévue et quelle peut donc se faire, comme cela a
été le cas en lespèce, de manière intempestive, sans
condition de publicité préalable et en méconnaissance du
principe de la sécurité juridique. 100. La
Cour constate enfin que léglise litigieuse ayant été
considérée par les juridictions internes comme appartenant
depuis toujours à lÉvêché de Palencia vu son caractère
déglise paroissiale, il na pas été possible pour
la requérante en lespèce dobtenir une indemnisation
quelconque. 101. Prenant
en compte lensemble de ces éléments ainsi que le fait que
la requérante sest vue privée de son droit daccès
à linstance de cassation pour lexamen de ces
questions (paragraphes 24 et suiv., et en particulier voir le
paragraphe 40 ci-dessus), la Cour retient que la requérante a
été victime de lexercice du droit dimmatriculation
reconnu par la législation interne à lÉglise catholique
sans justification apparente et sans que lÉvêché de
Palencia eut contesté, dans les délais légaux (paragraphe 51
ci-dessus), son droit de propriété à lépoque de linscription
du bien au livre foncier. Dès lors, la requérante a « supporté
une charge spéciale et exorbitante », que seule aurait pu
rendre légitime la possibilité de contester utilement, et en
tenant compte des dispositions applicables du droit hypothécaire,
la mesure prise à son égard. Les circonstances de la cause,
notamment lexceptionnalité de la mesure en question,
doublée de linexistence dun titre de propriété
dans le chef de la partie adverse, de labsence dun
débat contradictoire et de linégalité des armes,
combinées avec lentrave à la pleine jouissance du droit
de propriété et labsence dindemnisation, amènent
la Cour à considérer que la requérante a eu à supporter une
charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre
devant régner entre, dune part, les exigences de lintérêt
général et, dautre part, la sauvegarde du droit au
respect des biens (Sporrong et Lönnroth, précité, §§ 73-74,
arrêt Erkner et Hofauer, précité, §§ 78-79, Poiss précité,
§§ 68,69 ; Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres
c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, § 54, CEDH 2000-I, Elia
srl, précité, § 83). 102. En
conclusion, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole
no1. COUR
DE CASSATION FRANÇAISE LES TERRAINS AU
BORD DE MER A 50 PAS EN MARTINIQUE SONT A L'ÉTAT cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 4 mai 2011 N° de pourvoi:
09-70161 rejet Attendu selon l'arrêt
attaqué (Fort-de-France, 15 mai 2009) rendu sur renvoi après
cassation (3e chambre civile, 16 novembre 2005, pourvoi n° 04-12.
917), que les consorts X... ont saisi la commission
départementale de vérification des titres pour obtenir la
validation de leur droit de propriété sur une parcelle
cadastrée V 444, située au Robert (Martinique), Pointe Royale Mais attendu
que le refus, dans le cadre de la procédure juridictionnelle
mise en place par l'article 89-2 du code du domaine de l'Etat,
devenu l'article L. 5112-3 du code général de la propriété
des personnes publiques, de la validation d'un titre portant sur
une parcelle de la zone domaniale des cinquante pas
géométriques au motif que ce titre émane d'une personne
privée et n'établit pas que l'Etat ait entendu soustraire le
bien de son domaine public, ne caractérise pas une privation du
bien au sens de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, mais relève d'une réglementation,
justifiée par l'intérêt général, de l'usage des biens du
domaine public maritime de l'Etat, n'entraîne pas une
discrimination illicite et ne traduit pas une ingérence
prohibée dans la vie privée et familiale L'ABATTAGE
D'UN TROUPEAU POUR SANTE PUBLIQUE S.A.
BIO DARDENNES c. BELGIQUE du 12 novembre 2019 requête n°
44457/11 Non violation
de l'article 1 du Protocole 1 : Un troupeau abattu pour cause de
brucellose n'a pas été indemnisé car la requérante n'a pas
respecté les règlements. La requérante
a été indemnisée pour 89 bêtes pour cause de faute de l'administration
mais pas pour les 264 têtes de bovin restantes. La Cour constate,
entre autres, que la société requérante sest vu refuser
loctroi dune indemnité en raison des multiples
manquements quelle avait commis aux obligations sanitaires
lui incombant, ce qui était prévu par le droit interne. Elle
précise aussi que les autorités nationales disposent dune
certaine marge dappréciation lorsquil sagit de
protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur
leur territoire et déterminer les sanctions du non-respect des
obligations sanitaires, selon les risques engendrés par ce non-respect
et les caractéristiques des maladies animales que ces
obligations visent à éradiquer. Ainsi, eu égard à limportance
pour les États de lutter contre les maladies animales et compte
tenu de la marge dappréciation dont ils bénéficient en
la matière, la Cour juge que la société requérante na
pas subi une charge spéciale ou exorbitante du fait du refus dindemnisation
pour labattage de ses bovins. La CEDH motive
: "53. Elle a
tenté, en vain, de démontrer devant les juridictions internes
que les autorités avaient commis un certain nombre de fautes qui
étaient à lorigine du dommage quelle a subi. Sa
demande a été dûment examinée par les juridictions nationales
lesquelles ont estimé, après avoir entendu contradictoirement
les arguments des parties et examiné tous les éléments du
dossier, que sa demande à légard de lAFSCA nétait
pas fondée. Ce faisant, les juridictions internes ont
vérifié que les conditions justifiant une atteinte au droit de
propriété tel quinterprété par la Cour étaient
remplies dans les circonstances de lespèce, en particulier
que les mesures dabattage étaient prévues par la loi, quelles
poursuivaient un but légitime et quelles étaient
proportionnées au but poursuivi (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).
La Cour ne décèle dans le raisonnement des juridictions
nationales aucun élément permettant de conclure que leurs
décisions étaient arbitraires ou manifestement déraisonnables. 54. Par ailleurs,
la Cour note et tient compte, dans lexamen de la
proportionnalité des mesures litigieuses, du fait que la
requérante a obtenu une compensation financière pour 89 des
bovins abattus pour des fautes commises par la DGZ (paragraphes
25 et 28 ci-dessus). 55. Le fait que dautres
législations similaires sanctionnent le non-respect dobligations
sanitaires quelles édictent en réduisant le droit à lindemnisation
plutôt quen lexcluant nest pas en lespèce
de nature à rompre le juste équilibre à ménager entre la
protection de la propriété et les exigences de lintérêt
général. Les autorités nationales disposent dune
certaine marge dappréciation lorsquil sagit de
protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur
leur territoire (Chagnon et Fournier, précité, §57) pour
déterminer les sanctions du non-respect des obligations
sanitaires, selon les risques engendrés par ce non-respect et
les caractéristiques des maladies animales que ces obligations
visent à éradiquer." CEDH Recevabilité 36. La
Cour constate que la requérante a introduit un recours
indemnitaire en vertu des articles 1382 et 1383 du code civil quelle
a mené à bien devant les juridictions internes jusque devant la
Cour de cassation en invoquant une violation de larticle 1
du Protocole no 1 à la Convention. Le recours avait pour but dobtenir
une indemnisation pour labattage de 253 bovins en
démontrant que lAFSCA et la DGZ avaient commis des fautes
sans lesquelles la requérante naurait pas subi de dommage.
La requérante a ainsi donné la possibilité aux juridictions
internes de remédier à la violation alléguée. Il ne saurait
lui être reproché, comme le fait le Gouvernement, de ne pas
avoir également fait usage du recours prévu à larticle
11 des lois sur le Conseil dÉtat. En effet, à supposer
même que ce recours aurait permis à la requérante dobtenir
une réparation pour le dommage subi, lorsquune voie de
recours a été utilisée, lusage dune autre voie
dont le but est pratiquement le même nest pas exigé (voir,
parmi dautres, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009, et Uzan et autres c.
Turquie, no 19620/05 et 3 autres, § 174, 5 mars 2019). 37. Par
ailleurs, constatant que la requête nest pas manifestement
mal fondée au sens de larticle 35 § 3 a)
de la Convention et quelle ne se heurte à aucun autre
motif dirrecevabilité, la Cour la déclare recevable. Appréciation
de la Cour a)
Principes généraux applicables 44. La
Cour rappelle que non seulement une ingérence dans le droit de
propriété doit viser, dans les faits comme en principe, un «
but légitime » conforme à « lintérêt général »,
mais il doit aussi exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure appliquée par lÉtat, y compris les mesures
destinées à réglementer lusage des biens dun
individu. Cest ce quexprime la notion du « juste
équilibre » qui doit être ménagé entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth
c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52, et Hutten-Czapska
c. Pologne [GC], no 35014/97, § 167, CEDH 2006-VIII). En contrôlant
le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à lÉtat
une marge dappréciation tant pour choisir les modalités
de mise en uvre que pour juger si leurs conséquences se
trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le
souci datteindre lobjectif de la loi en cause (voir,
notamment, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94 et 2 autres, § 75, CEDH 1999-III, et G.I.E.M.
S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 293, 28 juin 2018). b)
Application au cas despèce 45. La
Cour relève demblée que la requérante a obtenu une
indemnisation sous forme de dommages et intérêts pour les
fautes commises par la DGZ pour 27 bovins abattus et quelle
a en outre conclu un règlement amiable avec cette association
pour 62 bovins supplémentaires (paragraphes 24 et 28 ci-dessus). Lors
de la mise à jour du dossier en février 2018, la requérante a
néanmoins précisé quelle souhaitait maintenir lensemble
de sa requête dans la mesure où elle considère que les griefs
invoqués à lencontre de lÉtat belge nont pas
été affectés par les indemnités partielles quelle a
reçues, lessentiel de son préjudice nayant pas
été indemnisé. 46. La
Cour prend note du souhait de la requérante de maintenir lensemble
de sa requête et constate que le Gouvernement na soulevé
aucune exception à cet égard. Cela étant, rien nempêche
la Cour de prendre, le cas échéant, ces éléments en compte
dans lexamen de la proportionnalité des mesures
contestées (voir, par exemple, Pinnacle Meat Processors Company
et 8 autres c. Royaume-Uni, no 33298/96, décision de la Commission du 21 octobre
1998, non publiée). 47. Aucune
contestation ne sélève quant au fait que les mesures dabattage
litigieuses constituent une atteinte à la propriété de la
requérante au regard de larticle 1 du Protocole no 1. 48. La
Cour a déjà considéré quune mesure dabattage
préventif dovins afin de prévenir le déclenchement dune
épizootie de fièvre aphteuse sur le territoire national sanalysait
en une réglementation de lusage des biens (Chagnon et
Fournier c. France, nos 44174/06 et 44190/06, § 36, 15 juillet 2010). Il ny a
pas lieu de décider autrement en lespèce dès lors que,
comme la relevé le Gouvernement, les bovins abattus sont
restés la propriété de la requérante, qui pouvait les vendre
et en percevoir la valeur bouchère. Lingérence relève
donc du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. 49. Ceci
étant dit, cette règle doit en tout cas sinterpréter à
la lumière du principe général du respect de la propriété
énoncé dans le premier paragraphe du premier alinéa de larticle
précité (G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, § 289, et Lekic
c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 92, 11 décembre 2018). 50. La
requérante ne conteste pas la légalité des mesures dabattage
et du refus dindemnisation qui étaient prévus par larrêté
royal du 6 décembre 1978, ni le but légitime dintérêt
public quils poursuivaient. Les parties sont toutefois en
désaccord sur la question de savoir si ces mesures étaient
proportionnées au but poursuivi. 51. La
requérante soutient quen application de la jurisprudence
de la Cour, seules des circonstances exceptionnelles peuvent
justifier un défaut total dindemnisation (Jahn et autres c.
Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, § 94, CEDH 2005-VI, et
Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 95, CEDH 2006-V). La jurisprudence sur
laquelle se fonde la requérante a trait à une privation de
propriété relevant de la deuxième phrase du premier alinéa de
larticle 1 du Protocole no 1. Or ce critère nest pas
applicable lorsquest en cause une mesure de réglementation
de lusage des biens. Dans ce cas-là, labsence dindemnisation
est lun des facteurs à prendre en compte pour établir si
un juste équilibre a été respecté mais elle ne saurait, à
elle seule, être constitutive dune violation de larticle
1 du Protocole no 1 (Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 91, CEDH 2010, et Malfatto et Mieille
c. France, no 40886/06 et 51946/07, § 64, 6 octobre 2016). La Cour va dès
lors sattacher à vérifier si labattage des bovins
sans indemnisation a, dans les circonstances de lespèce,
ménagé un juste équilibre entre lintérêt général et
les droits fondamentaux de la requérante, ou si celui-ci a fait
peser sur elle une charge spéciale ou exorbitante. 52. La
Cour note que larrêté royal du 6 décembre 1978
prévoit en principe une indemnisation partielle pour labattage
de bovins atteints de la brucellose. La requérante sest vu
refuser loctroi de cette indemnité en raison des multiples
manquements quelle a commis aux obligations lui incombant.
Le refus dindemnisation dans ce cas est expressément
prévu par larticle 23 § 3 dudit arrêté royal, et la
requérante na pas fait valoir quelle ignorait ses
obligations réglementaires ni quelle navait pas
commis les manquements qui lui ont été reprochés. 53. Elle
a tenté, en vain, de démontrer devant les juridictions internes
que les autorités avaient commis un certain nombre de fautes qui
étaient à lorigine du dommage quelle a subi. Sa
demande a été dûment examinée par les juridictions nationales
lesquelles ont estimé, après avoir entendu contradictoirement
les arguments des parties et examiné tous les éléments du
dossier, que sa demande à légard de lAFSCA nétait
pas fondée. Ce faisant, les juridictions internes ont
vérifié que les conditions justifiant une atteinte au droit de
propriété tel quinterprété par la Cour étaient
remplies dans les circonstances de lespèce, en particulier
que les mesures dabattage étaient prévues par la loi, quelles
poursuivaient un but légitime et quelles étaient
proportionnées au but poursuivi (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).
La Cour ne décèle dans le raisonnement des juridictions
nationales aucun élément permettant de conclure que leurs
décisions étaient arbitraires ou manifestement déraisonnables. 54. Par
ailleurs, la Cour note et tient compte, dans lexamen de la
proportionnalité des mesures litigieuses, du fait que la
requérante a obtenu une compensation financière pour 89 des
bovins abattus pour des fautes commises par la DGZ (paragraphes
25 et 28 ci-dessus). 55. Le
fait que dautres législations similaires sanctionnent le
non-respect dobligations sanitaires quelles édictent
en réduisant le droit à lindemnisation plutôt quen
lexcluant nest pas en lespèce de nature à
rompre le juste équilibre à ménager entre la protection de la
propriété et les exigences de lintérêt général. Les
autorités nationales disposent dune certaine marge dappréciation
lorsquil sagit de protéger la santé publique et la
sécurité alimentaire sur leur territoire (Chagnon et Fournier,
précité, § 57) pour déterminer les sanctions du non-respect
des obligations sanitaires, selon les risques engendrés par ce
non-respect et les caractéristiques des maladies animales que
ces obligations visent à éradiquer. 56. De
lavis de la Cour, déterminer si les bovins constituaient
« loutil de travail » de la requérante tel quinterprété
par la Cour (voir, à cet égard, Lallement c. France, no 46044/99, 11 avril 2002) ne modifie pas en lespèce
la conclusion à laquelle elle aboutit. Comme la fait
remarquer le Gouvernement, la requérante pouvait poursuivre son
activité en accueillant de nouveaux bovins dès la levée des
mesures sanitaires le 20 juin 2000 (paragraphe 16 ci-dessus). La
requérante na pas fait valoir que cela lui avait été
impossible ou exagérément difficile. 57. Ces
éléments suffisent à la Cour pour conclure que, eu égard à limportance
pour les États de lutter contre les maladies animales et compte
tenu de la marge dappréciation dont bénéficient les
États en la matière, la requérante na pas eu à subir
une charge spéciale ou exorbitante du fait du refus dindemnisation
pour labattage de ses bovins. 58. Partant,
il ny a pas eu violation de larticle 1 du Protocole no1. N.M.
et autres c. France du 3 février 2022 requête no 66328/14 Art 1 du
Protocole 1 Indemnisation des frais liés à la prise en
charge du handicap de lenfant non décelé lors du
diagnostic prénatal : lapplication rétroactive de la loi
est contraire à la Convention Art 1 P1
Privation de propriété Absence dindemnisation des
charges résultant du handicap dun enfant né comme tel en
raison dune faute lors du diagnostic prénatal, par
application rétroactive de la loi Dispositions légales
pertinentes ne pouvant être appliquées à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi, quelle
que soit la date dintroduction de linstance
Absence de jurisprudence constante et stabilisée des
juridictions internes Atteinte rétroactive aux biens non
prévue par la loi Dans son arrêt de
chambre, rendu ce jour dans laffaire N.M. et autres c.
France (requête n o 66328/14), la Cour européenne des droits de
lhomme dit, à lunanimité, quil y a eu :
Violation de larticle 1 du Protocole n° 1 (protection de
la propriété) de la Convention européenne des droits de lhomme.
Laffaire concerne le rejet, par le juge administratif, des
conclusions des parents demandant lindemnisation des
charges particulières résultant du handicap de leur enfant. Ce
handicap navait pas été décelé lors de létablissement
du diagnostic prénatal. Des dispositions législatives
issues de la loi du 4 mars 2002, et codifiées à larticle
L. 114-5 du code de laction sociale et des familles (CASF)
excluant de telles charges du préjudice indemnisable par
le juge, entrées en vigueur après la naissance de lenfant
mais avant la demande des parents de réparation du préjudice,
ont été appliquées au litige. Ce litige sinscrit dans la
suite des affaires Maurice et Draon c. France (Draon c. France [GC],
n° 1513/03, et Maurice c. France [GC], n° 11810/03). La Cour a
dabord considéré que les requérants pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur
préjudice correspondant aux frais de prise en charge de leur
enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir la
naissance de cet enfant et quils étaient donc titulaires dun
« bien » au sens de larticle 1 du Protocole n° 1. Elle a
ensuite relevé quen vertu de la décision n° 2010-2 QPC
du Conseil constitutionnel, lensemble des dispositions
transitoires qui avaient prévu lapplication rétroactive
de larticle L. 114-5 du CASF avait été abrogé. Alors que
labrogation de la totalité du dispositif transitoire
laissait en principe place à lapplication des règles de
droit commun relatives à lapplication de la loi dans le
temps, la Cour a constaté la divergence entre linterprétation
retenue par le Conseil dÉtat et celle retenue par la Cour
de cassation quant à la possibilité dappliquer larticle
L. 114-5 du CASF à des faits nés antérieurement à lentrée
en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le 7 mars 2002. Alors que
dans son arrêt du 15 décembre 2011, la Cour de cassation avait
exclu lapplication de larticle L. 114-5 du CASF à
des faits nés antérieurement au 7 mars 2002, quelle que soit la
date dintroduction de laction indemnitaire, le
Conseil dEtat avait réglé le litige dans le droit fil de
sa décision du 13 mai 2011 qui avait, pour sa part, maintenu une
certaine portée rétroactive à cette disposition. La Cour en a
déduit quelle nétait pas en mesure de considérer
que la légalité de lingérence résultant de lapplication,
par le Conseil dÉtat de larticle L. 114-5 du CASF
dans sa décision du 31 mars 2014, pouvait trouver un fondement
dans une jurisprudence constante et stabilisée des juridictions
internes. Pour la Cour, latteinte rétroactive ainsi
portée aux biens des requérants ne saurait donc être regardée
comme ayant été « prévue par la loi » au sens de larticle
1 du Protocole n° 1. FAITS Les requérants
Mme N.M., M. M et leur fils A., sont des ressortissants français,
nés en 1972, 1971 et en 2001 et résident à Sainte-Anne de
Guadeloupe. En mai 2001, au cours de sa grossesse, Mme N.M.
demanda au Centre hospitalier de S. détablir un diagnostic
prénatal approfondi. Aucune anomalie ne fut décelée. Le 30
décembre 2001, naquit A., un garçon atteint dun ensemble
de malformations désignées sous le terme de « syndrome de
VATERL » se traduisant par une imperforation anale, des
anomalies touchant les reins, une vertèbre et lun de ses
membres supérieurs, ainsi quune asymétrie faciale. Le 16
septembre 2002, les deux parents, estimant quune erreur de
diagnostic prénatal avait été commise, sollicitèrent et
obtinrent la désignation dun expert qui rendit un rapport
concluant à une erreur lors de linterprétation des
échographies effectuées par la requérante pendant sa grossesse.
À la suite de ce rapport, les requérants engagèrent la
responsabilité pour faute du Centre hospitalier devant le
tribunal administratif dAmiens et demandèrent réparation
de plusieurs chefs de préjudice. Deux actions indemnitaires,
portant sur les préjudices des parents ainsi que les dépenses
liées au handicap, posaient notamment la question de lapplication
dans le temps des dispositions du I de larticle 1er de la
loi du 4 mars 2002, codifiées à larticle L. 114-5 du code
de laction sociale et des familles (CASF). Par un jugement
rendu le 30 décembre 2008, le tribunal administratif dAmiens
écarta lapplication au litige des dispositions précitées,
lesquelles étaient restrictives des droits de créance dont
pouvaient se prévaloir les parents. Relevant la faute commise
lors du suivi de la grossesse, le tribunal retint la
responsabilité du centre hospitalier et le condamna à réparer
les préjudices subis tant par les parents que par leur enfant.
Il fixa à 100 % le taux de la perte de chance subie par les deux
premiers requérants déviter la naissance de lenfant.
Le 9 mars 2009, le Centre hospitalier releva appel de ce jugement
et les requérants introduisirent un appel incident le 13 juillet
2009. Le 11 juin 2010, le Conseil Constitutionnel rendit la
décision QPC n° 2010-2 abrogeant le 2 du paragraphe II de larticle
2 de la loi du 11 février 2005. Par un arrêt rendu le 16
novembre 2010 statuant sur les appels, la cour administrative dappel
de Douai écarta, à son tour, lapplication des
dispositions de larticle L. 114-5 du CASF en se fondant sur
la décision QPC n° 2010-2 du Conseil constitutionnel et labrogation
de ces dispositions avec prise deffet le 12 juin 2010. La
cour administrative confirma que la faute commise par le Centre
hospitalier de S. était à lorigine directe du préjudice
subi par les deux premiers requérants. Deux pourvois en
cassation furent présentés par le Centre hospitalier de S. et
par les requérants. Faisant suite à sa décision du 13 mai 2011
(Assemblée du contentieux, Lazare), le Conseil dEtat, par
une décision du 31 mars 2014, considéra que larticle L.
114-5 du CASF était applicable au litige, les requérants nayant
engagé une instance en réparation que postérieurement au 7
mars 2002, date dentrée en vigueur de la loi dont sont
issues les dispositions de cet article, et annula larrêt
de la cour administrative dappel pour erreur de droit. Le
Conseil dÉtat estima que, faute davoir engagé une
instance avant le 7 mars 2002, date dentrée en vigueur des
nouvelles dispositions, les requérants nétaient pas
titulaires, à cette date, dun droit de créance
indemnitaire qui aurait été luimême constitutif dun bien
au sens de larticle 1 du Protocole n° 1 à la Convention.
Statuant ensuite sur la responsabilité du centre hospitalier, le
Conseil dÉtat exclut toute indemnisation des préjudices
propres à lenfant. Il retint en revanche lexistence
dun lien de causalité directe et certaine entre les
préjudices des parents et la faute commise par le centre
hospitalier dans la réalisation de léchographie qui, les
ayant empêchés de déceler laffection grave et incurable
de lenfant à naître, les avait privés de la possibilité
de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les
conditions légales. Après avoir relevé que « les dispositions
de larticle L. 114-5 du CASF interdisent dinclure
dans le préjudice indemnisable des parents les charges
particulières résultant du handicap de leur enfant, non
détecté pendant la grossesse », il en déduisit que « les
conclusions de M. et Mme M. tendant à ce que les frais liés au
handicap de leur fils soient mis à la charge du [Centre
hospitalier de S.] ne sauraient [...] être accueillies ». Sagissant
des autres chefs de préjudice, lindemnité à verser fut
portée à 80 000 EUR (40 000 EUR chacun) en réparation du
préjudice moral propre aux parents et de leurs troubles dans
leurs conditions dexistence. ARTICLE 1 DU
PROTOCOLE 1 Les deux premiers
requérants contestent lapplication par le Conseil dÉtat,
dans son arrêt du 31 mars 2014, des 1 er et 3 e alinéa de larticle
L. 114-5 du CASF. Ils soutiennent que lapplication de ces
dispositions qui a conduit à exclure par principe lindemnisation
des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils a
porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens en
violation de larticle 1 du Protocole n° 1. La Cour relève
que ni le centre hospitalier, ni le Gouvernement ne contestent
que lerreur de diagnostic commise lors des échographies
prénatales ait été constitutive dune faute ayant causé
un dommage. Le seul point en litige est la date du fait
générateur de la créance. La Cour estime que, compte tenu des
principes de droit commun français et de la jurisprudence
constante en matière de responsabilité selon lesquels la
créance en réparation prend naissance dès la survenance du
dommage qui en constitue le fait générateur, les requérants
pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de
leur préjudice correspondant aux frais de prise en charge de
leur enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir
la naissance de cet enfant. Il sensuit que les requérants
détenaient une créance quils pouvaient légitimement
espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de
la responsabilité pour faute, sagissant dun dommage
survenu antérieurement à lintervention de la loi
litigieuse. Ils étaient donc titulaires dun « bien » au
sens de la première phrase de larticle 1 du Protocole n°
1. En lespèce,
la Cour relève quil nest pas contesté que lapplication
au litige porté par les requérants des dispositions de larticle
L. 114-5 du CASF qui ont exclu par principe lindemnisation
des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils
constitue une ingérence sanalysant en une privation de
propriété. La Cour doit donc rechercher si lingérence
dénoncée se justifie sous langle de larticle 1 du
Protocole n° 1. La Cour constate, en premier lieu, que, selon
les termes de la décision n° 2010-2 QPC du Conseil
constitutionnel, lensemble du dispositif transitoire ayant
prévu lapplication rétroactive de larticle L. 114-5
du CASF, est abrogé. La suppression de cette disposition de
droit transitoire laisse immédiatement place à lapplication
des règles de droit commun relatives à lapplication de la
loi dans le temps. Il sensuit que, compte tenu de labrogation
de la totalité du dispositif transitoire et en labsence dautre
disposition législative le prévoyant expressément, larticle
L. 114-5 du CASF ne saurait être appliqué à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi du 4 mars
2002, quelle que soit la date dintroduction de linstance.
La Cour relève, en second lieu, la divergence entre linterprétation
retenue par le Conseil dÉtat et linterprétation
retenue par la Cour de cassation. Dans son arrêt du 15 décembre
2011, la Cour de cassation excluait lapplication de larticle
L. 114-5 du CASF à des faits nés antérieurement au 7 mars 2002,
date dentrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, quelle
que soit la date dintroduction de laction
indemnitaire. La Cour de cassation a confirmé cette solution par
la suite. Dans ces conditions, la Cour nest pas en mesure
de considérer que la légalité de lingérence résultant
de lapplication, par la décision du Conseil dÉtat
du 31 mars 2014, de larticle L. 114-5 du CASF, pouvait
trouver un fondement dans une jurisprudence constante et
stabilisée des juridictions internes. La Cour en déduit que latteinte
rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être
regardée comme ayant été « prévue par la loi » au sens de larticle
1 du Protocole n° 1. Il y a eu violation de larticle 1 du
Protocole n° 1 de la Convention en ce qui concerne les deux
premiers requérants. CEDH RECEVABILITE 41. La Cour
rappelle que, selon sa jurisprudence (voir en particulier sur ce
point les arrêts précités Maurice c. France [GC], no 11810/03, CEDH 2005-IX et Draon c. France [GC],
no 1513/03, 6 octobre 2005), un requérant ne peut
alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que
dans la mesure où les décisions litigieuses se rapportent à
ses « biens » au sens de cette disposition. La notion
de « biens » peut recouvrir tant des « biens
actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans
certaines situations bien définies, des créances. Pour quune
créance puisse être considérée comme une « valeur
patrimoniale » relevant du champ de larticle 1 du
Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre
que celle-ci a une base suffisante en droit interne, résultant
par exemple dune jurisprudence bien établie des tribunaux.
Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion « despérance
légitime ». 42. Dans
toute une série daffaires, la Cour a jugé que les
requérants navaient pas « despérance
légitime » au motif que lon ne pouvait considérer
quils possédaient de manière suffisamment établie une
créance immédiatement exigible. Selon sa jurisprudence, lexistence
dune « contestation réelle » ou dune « prétention
défendable » ne constitue pas un critère permettant de
caractériser lexistence dune « espérance
légitime » protégée par larticle 1 du Protocole no
1. La Cour estime que lorsque lintérêt patrimonial
concerné est de lordre de la créance, il ne peut être
considéré comme possédant une « valeur patrimoniale »
que sil a une base suffisante en droit interne, par exemple
quand il est confirmé par une jurisprudence bien établie des
tribunaux (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX). 43. La
Cour se réfère à cet égard à laffaire Pressos Compania
Naviera S.A. et autres précitée qui concernait des créances en
réparation daccidents de navigation dont il était soutenu
quils avaient été causés par la négligence de pilotes
belges. En vertu du droit belge de la responsabilité et de la
jurisprudence des juridictions internes, la Cour a relevé que la
créance en réparation naissait dès la survenance du dommage,
la décision juridictionnelle ne faisant quen confirmer lexistence
et en déterminer le montant. Se fondant ainsi sur la manière
dont la créance serait traitée en droit interne au vu de la
jurisprudence constante des juridictions belges, la Cour a
considéré que les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance
légitime » de voir concrétiser leurs créances quant aux
accidents en cause. Mais l« espérance légitime »
ainsi identifiée nétait pas en elle-même constitutive dun
intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la manière
dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale »
serait traitée en droit interne, et spécialement à la
présomption selon laquelle la jurisprudence constante des
juridictions nationales continuerait de sappliquer à légard
des dommages déjà causés ». 44. Les
affaires précitées Maurice et Draon illustrent, dans des
hypothèses proches de celle en litige, la portée de la notion
« despérance légitime ». Dans ces deux
affaires, les parents denfants nés avec un handicap non
décelé au cours de la grossesse avaient introduit une action en
responsabilité devant les tribunaux internes avant lentrée
en vigueur de larticle 1er de la loi du 4 mars 2002. Se
fondant sur laffaire Pressos Compania Naviera S.A. et
autres précitée, la Cour a jugé quen tant quil
avait été fait application aux instances en cours des règles
fixées par larticle 1er de la loi du 4 mars 2002, il avait
été porté une atteinte injustifiée aux droits de créance
détenus par ceux qui avaient engagé ces instances sur les
auteurs des fautes ayant rendu possible la survenance des
dommages, et que, dès lors, avaient été méconnus les droits
que les requérants tiraient de larticle 1er du Protocole no
1 à la Convention. 45. Pour
ce faire, la Cour a vérifié, en se plaçant avant lintervention
de la loi litigieuse, si les conditions dengagement de la
responsabilité pour faute étaient réunies et a considéré que
les requérants disposaient dune créance sanalysant
en une « valeur patrimoniale ». Examinant ensuite la
manière dont cette créance aurait été traitée en droit
interne sans lintervention de la loi litigieuse, la Cour a
estimé que, compte tenu de larrêt Quarez et de la
jurisprudence constante établie depuis par les juridictions
administratives en la matière, les requérants pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur
préjudice, y compris les charges particulières découlant du
handicap de leur enfant tout au long de sa vie. 46. La
Cour en a déduit que lapplication rétroactive de la loi
du 4 mars 2002 avait fait perdre aux parents « une
valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de leurs
biens, à savoir une créance en réparation établie dont ils
pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant
conformément à la jurisprudence fixée par les plus hautes
juridictions nationales » (§ 82 de larrêt Draon et
§ 90 de larrêt Maurice). 47. Sagissant
du cas de lespèce, pour caractériser lexistence dun
bien au sens de larticle 1er du Protocole no 1 à la
Convention, il convient de tenir compte du droit interne en
vigueur lors de lingérence dont se plaignent les
requérants : il sagissait du régime prétorien de
responsabilité pour faute présenté ci-dessus. La Cour relève
que ni le centre hospitalier, ni le Gouvernement ne contestent
que lerreur de diagnostic commise lors des échographies
prénatales ait été constitutive dune faute ayant causé
un dommage. Le seul point en litige est la date du fait
générateur de la créance. Le Gouvernement, reprenant la
solution retenue par le Conseil dÉtat dans sa décision du
31 mars 2014, soutient que, faute davoir engagé une
instance avant le 7 mars 2002, les requérants nétaient
pas titulaires à cette date dun droit de créance
indemnitaire, lui-même constitutif dun « bien »
au sens de larticle 1er du Protocole no 1 à la Convention. 48. La
Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève que les
juridictions nationales ont établi sans ambiguïté, dans le
cadre des décisions rendues, et à tous les stades de ces
procédures, lexistence dune faute ainsi que dun
lien de causalité directe entre la faute commise et le
préjudice subi. Les juridictions ont en effet considéré quen
lespèce la faute du centre hospitalier a conduit les
requérants à croire que lenfant conçu nétait pas
atteint danomalie et que la grossesse pouvait être
normalement menée à son terme, alors que les requérants
avaient clairement manifesté leur volonté déviter le
risque dun accident génétique. La faute ainsi commise a
dissuadé la requérante de pratiquer tout examen complémentaire
quelle aurait pu faire dans la perspective dune
interruption de grossesse pour motif thérapeutique. Pour
effectuer ce constat, les juridictions se sont fondées dabord
sur la jurisprudence Quarez précitée, puis sur les
dispositions de la loi du 4 mars 2002, qui nont dailleurs
pas modifié les conditions détablissement du lien de
causalité entre la faute, même caractérisée, et le préjudice
des parents de lenfant né handicapé. 49. Les
conditions dengagement de la responsabilité du Centre
hospitalier étaient donc bien réunies, et les requérants
disposaient par conséquent dune créance correspondant au
droit à lindemnisation des frais liés à la prise en
charge dun enfant né handicapé après une erreur de
diagnostic prénatal sanalysant en une « valeur
patrimoniale ». Quant à la date à laquelle cette créance
aurait été constituée en droit interne sans lapplication
contestée des dispositions de larticle L. 114-5 du CASF,
les jurisprudences administratives et judiciaires sont, ainsi quil
a été rappelé ci-dessus, concordantes : le droit à
réparation dun dommage, quelle que soit sa nature, souvre
à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement
la cause, et ce indépendamment de la date dintroduction dune
demande en justice tendant à la réparation de ce dommage (voir
paragraphe 19 ci-dessus). La Cour estime que, compte tenu des
principes de droit commun français et de la jurisprudence
constante en matière de responsabilité selon lesquels la
créance en réparation prend naissance dès la survenance du
dommage qui en constitue le fait générateur (voir le paragraphe
19 ci-dessus), les requérants pouvaient légitimement espérer
pouvoir obtenir réparation de leur préjudice correspondant aux
frais de prise en charge de leur enfant handicapé dès la
survenance du dommage, à savoir la naissance de cet enfant. Sagissant
de la date du fait générateur de la créance en réparation,
qui est la question centrale relative à lexistence de lespérance
légitime contestée par le Gouvernement, cette affaire, comme
les affaires Maurice et Draon, se distingue donc de laffaire
Pellegrin c. France citée par le Gouvernement, relative au droit
successoral et dans laquelle il existait une controverse sur linterprétation
et lapplication du droit interne. 50. Il
sensuit que, de lavis de la Cour, les requérants
détenaient une créance quils pouvaient légitimement
espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de
la responsabilité pour faute, sagissant dun dommage
survenu antérieurement à lintervention de la loi
litigieuse. Ils étaient donc titulaires dun « bien » au
sens de la première phrase de larticle 1 du Protocole
no 1, lequel sapplique dès lors en lespèce. 51. Constatant
que ce grief nest pas manifestement mal fondé ni
irrecevable pour un autre motif visé à larticle 35
de la Convention, la Cour le déclare recevable. AU FOND a)
Sur lexistence dune ingérence dans le droit au
respect dun « bien » 56. Selon
la jurisprudence de la Cour, larticle 1 du Protocole no 1,
qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois
normes distinctes : la première, qui sexprime dans la
première phrase du premier alinéa et revêt un caractère
général, énonce le principe du respect de la propriété ;
la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa,
vise la privation de propriété et la subordonne à certaines
conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général. La deuxième et la
troisième, qui ont trait à des exemples particuliers datteinte
au droit de propriété, doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi dautres,
Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, pp. 21-22, §
33). 57. En
lespèce, la Cour relève quil nest pas
contesté que lapplication au litige porté par les
requérants des dispositions de larticle L. 114-5 du CASF
qui ont exclu par principe lindemnisation des frais liés
à la prise en charge du handicap de leur fils constitue une
ingérence sanalysant en une privation de propriété au
sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1
du Protocole no 1. Il lui faut donc rechercher si lingérence
dénoncée se justifie sous langle de cette disposition. b)
Sur la justification de lingérence 58. Les
parties divergent sur la question de savoir si lingérence
litigieuse a été « prévue par la loi », ainsi que
lexige larticle 1 du Protocole no 1. 59. La
Cour relève dabord que toute atteinte aux droits
protégés par larticle 1 du Protocole no 1 doit en effet
satisfaire lexigence de légalité (Vistin et
Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012, c. Lettonie [GC],
et Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 112). Toutefois, lexistence dune
base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle,
à satisfaire au principe de légalité. Il faut, en
plus, que cette base légale présente une certaine qualité,
celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir
des garanties contre larbitraire. Les normes juridiques sur
lesquelles se fonde une privation de propriété doivent ainsi
être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans
leur application (Lekic c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 95, 11 décembre 2018 ; Beyeler c. Italie
[GC], no 33202/96, § 109, CEDH 2000-I [GC] ; Hentrich c. France,
§ 42 ; Lithgow et autres c. Royaume-Uni, § 110 ; Aliic
et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie
et lex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 103, CEDH 2014 ; Centro Europa
7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 187 ; Hutten-Czapska c. Pologne [GC],
no 35014/97, § 163, CEDH 2006-VIII; Vistin et
Perepjolkins c. Lettonie [GC], §§ 96-97). Des divergences
dans la jurisprudence peuvent créer une insécurité juridique
qui est incompatible avec les exigences de létat de droit
(Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 153, 19 décembre 2018). 60. En
lespèce, la Cour constate, en premier lieu, que, selon les
termes de la décision no 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel,
le 2 du II de larticle 2 de la loi du 11 février 2005,
soit lensemble du dispositif transitoire ayant prévu lapplication
rétroactive de larticle L. 114-5 du CASF, est abrogé.
Ainsi que cela ressort du commentaire rédigé par les services
du secrétariat général du Conseil constitutionnel (voir
paragraphe 29), la suppression de cette disposition de droit
transitoire laisse immédiatement place à lapplication des
règles de droit commun relatives à lapplication de la loi
dans le temps. 61. Il
sensuit que, compte tenu de labrogation de la
totalité du dispositif transitoire et en labsence dautre
disposition législative le prévoyant expressément, larticle
L. 114-5 du CASF ne saurait être appliqué à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi du 4 mars
2002, quelle que soit la date dintroduction de linstance,
en vertu des règles de droit commun relatives à lapplication
des lois dans le temps (voir paragraphes 20 et suivants ci-dessus), 62. La
Cour relève, en second lieu, la divergence entre linterprétation
retenue, de manière prétorienne, par le Conseil dÉtat de
la volonté du législateur et de la portée de labrogation
prononcée par le Conseil constitutionnel (Ass. 13 mai
2011 précitée) et celle retenue par la Cour de cassation (Cass.
Civ., 15 décembre 2011 précitée). Dans ces conditions, elle nest
pas en mesure de considérer que la légalité de lingérence
résultant de lapplication, par la décision du Conseil dÉtat
du 31 mars 2014, de larticle L. 114-5 du CASF, pouvait
trouver un fondement dans une jurisprudence constante et
stabilisée des juridictions internes. La Cour en déduit que latteinte
rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être
regardée comme ayant été « prévue par la loi » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1. 63. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 de la
Convention en ce qui concerne les deux premiers requérants. Kamoy
Radyo Televizyon Yayincilik ve Organizasyon A.S. c. Turquie du 16
avril 2019 requête n°19965/06 Article 1 du
Protocole 1 : Lapplication rétroactive dune loi dans
le cadre dune affaire de protection de marque est contraire
à la Convention Laffaire
concerne une procédure en protection de marque dans le cadre de
laquelle la requérante avait été déboutée en raison de lapplication
rétroactive dune loi par les juridictions internes. La
Cour relève que la Cour constitutionnelle turque avait par la
suite annulé la loi sur laquelle les juridictions internes sétaient
fondées pour rejeter le grief de la requérante, la jugeant
contraire aux droits de propriété fondamentaux. En outre, la
Cour ne voit aucun motif dintérêt général permettant de
justifier latteinte aux droits de propriété du requérant.
Partant, elle conclut à une violation de la Convention. LES FAITS La requérante,
Kamoy Radyo Televizyon Yayincilik ve Organizasyon A.S., est une
société turque immatriculée à Ankara (Turquie). En 1999, une
société affiliée à la requérante lança un nouveau journal,
Özlenen Gazete Vatan, après en avoir enregistré le nom comme
marque déposée. Elle dut cependant en cesser la publication au
bout de deux mois, pour des raisons financières. Une autre
société, Bagimsiz Gazetecilik Yayincilik A.S., commença en
septembre 2002 à publier un journal intitulé Vatan. La
société affiliée à la requérante saisit alors le tribunal de
la propriété intellectuelle dIstanbul en vue de protéger
sa marque. Par la suite, la marque fut cédée à la requérante,
qui devint alors partie à la procédure. La juridiction de
première instance débouta la requérante en 2004, et la Cour de
cassation confirma cette décision en appel en 2005. Les
juridictions internes sappuyèrent en particulier sur larticle
31 2) de la loi turque relative à lInstitut des brevets.
Entrée en vigueur en novembre 2003 alors que la procédure
était en cours, cette loi disposait que les autorités ne
pouvaient pas se fonder sur le droit des marques, et plus
précisément sur le décret-loi n o 556 relatif à la protection
des marques, pour interdire la publication dun périodique.
Bagimsiz Gazetecilik engagea ensuite une procédure distincte et
parvint en 2006 à obtenir lannulation de la marque
déposée de la requérante et le droit dutiliser le nom en
question. ARTICLE 1 du
protocole 1 La requérante
estimait quelle avait été indûment privée de son droit
à la marque du fait de lapplication rétroactive, en sa
défaveur, de la loi. Le Gouvernement soutenait quil ny
avait pas eu atteinte aux droits de la requérante. Il alléguait
en particulier quun journal appelé Vatan avait déjà
existé par le passé et quil sagissait dun nom
connu. Il considérait donc que la requérante avait uniquement
joui dun droit conditionnel à légard de la marque.
Il affirmait également quau moment où Bagimsiz
Gazetecilik avait engagé sa propre action en annulation, cela
faisait cinq ans que la requérante navait pas utilisé le
nom en question. Concernant lapplication rétroactive de la
loi, le Gouvernement plaidait que les juridictions du pays
devaient appliquer la législation en vigueur au moment où elles
statuaient. La Cour considère que la requérante était
titulaire dun bien au sens de la Convention, puisquelle
pouvait se prévaloir dun droit reconnu par la loi et pas
seulement dune espérance légitime dobtenir un droit
de propriété. Lapplication de larticle 31 2) de la
loi turque relative à lInstitut des brevets a induit une
atteinte au bien de la requérante. Partant, la Cour a dû
chercher à déterminer si cette atteinte était justifiée, et
plus particulièrement si un intérêt public était en jeu. La
Cour naccorde aucun poids à largument du
Gouvernement consistant à dire que la requérante navait
pas utilisé la marque depuis cinq ans lorsque Bagimsiz
Gazetecilik avait engagé sa propre action en annulation de
marque. En fait, la requérante ne se plaignait pas de ce que sa
marque avait été annulée pour non-utilisation pendant cinq ans,
ce que le droit des brevets permettait, mais de ce que les
juridictions internes navaient pas protégé son droit à
la marque en question au cours de sa période de validité de
cinq ans. Cette période navait pas encore expiré lorsque
les juridictions internes ont appliqué larticle 31 2) de
la loi relative à lInstitut des brevets, qui était alors
en vigueur. De plus, la Cour de cassation sest uniquement
appuyée sur larticle 31 2), sans mentionner à aucun
moment la période de cinq ans en question. La Cour relève que
la Cour constitutionnelle a annulé cette disposition par la
suite, au motif quelle vidait de son sens le droit des
marques et violait des droits fondamentaux. Le Gouvernement na
fourni aucun argument permettant de considérer que la loi en
question poursuivait un but légitime. Il nest pas parvenu
non plus à apporter la preuve que lapplication
rétroactive de la loi dans le cadre de la procédure qui
opposait les deux sociétés était justifiée par un motif dintérêt
général. Pour ces motifs, le Gouvernement na pas
démontré que latteinte aux droits de propriété de la
requérante visait un but dutilité publique. Il y a donc
eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1 à la
Convention. LA LIMITATION DU DROIT D'USAGE
D'UN BIEN Marckx
contre Belgique du 13 juin 1979 Hudoc 119 requête 6833/74 "§63: En
reconnaissant le droit au respect de ses biens, l'article P1-1
garantit en substance le droit de propriété. Les mots "biens",
"propriété", "usage des biens" en anglais
"possessions" et "use of property", le
donnent nettement à penser; de leur côté, les travaux
préparatoires le confirment sans équivoque; les rédacteurs n'ont
cessé de parler de "droit de propriété" pour
désigner la matière des projets successifs d'où est sorti l'actuel
article (P1-1). Or le droit de disposer de ses biens constitue un
élément traditionnel fondamental du droit de propriété" Cliquez sur un
lien bleu pour accéder gratuitement à LA JURISPRUDENCE : - interdiction
de construire sur son terrain ou d'en faire usage - saisie
conservatoire d'un bien - limitation
de l'utilisation des biens culturels - échelonnement
de la dette d'État INTERDICTION DE
CONSTRUIRE SUR SON TERRAIN OU D'EN FAIRE USAGE Pialopoulos et autres c. Grèce du 7
septembre 2017 requête 40758/09 Article
1 du Protocole 1 et article 13 : le Conseil d'État et le préfet
annulent des expropriations pour cause de non paiement de l'indemnité.
Toutefois les requérants qui récupèrent les terrains ne
peuvent rien en faire. Les terrains sont gelés indéfiniment en
attendant une nouvelle expropriation. Les requérants ne peuvent
donc pas construire dessus. L'interdiction de fait, d'usage des
biens pendant une longue période n'est pas conforme à la
Convention. CEDH 46.
La Cour rappelle que larticle 13 de la Convention garantit
lexistence en droit interne dun recours permettant de
sy prévaloir des droits et libertés de la Convention tels
quils peuvent sy trouver consacrés. Cette
disposition a donc pour conséquence dexiger un recours
interne habilitant à examiner le contenu dun « grief
défendable » fondé sur la Convention et à offrir le
redressement approprié. La portée de lobligation que larticle
13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la
nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par larticle
13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudla c.
Pologne, [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI). 47.
L« effectivité » dun « recours » au sens de larticle
13 ne dépend pas de la certitude dune issue favorable pour
le requérant. De même, l« instance » dont parle cette
disposition na pas besoin dêtre une institution
judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties quelle
présente entrent en ligne de compte pour apprécier leffectivité
du recours sexerçant devant elle. En outre, lensemble
des recours offerts par le droit interne peut remplir les
exigences de larticle 13, même si aucun deux ny
répond en entier à lui seul (ibid.) 48.
En lespèce, la Cour note que les intéressés se sont vu
imposer trois expropriations successives depuis 1988. Si les
arrêts précités rendus par la Cour le 15 février 2001 et le
27 juin 2002 leur ont alloué une indemnité pour le préjudice
subi du fait de la première de ces mesures, et si la troisième
expropriation a été annulée par le Conseil dEtat le 10
juillet 1995, la deuxième est demeurée en vigueur du 21 mai
1990 au 17 janvier 2005, date à laquelle le préfet la
annulée pour défaut dindemnisation. 49.
Or les requérants nont pas été indemnisés pour cette
expropriation. Si celle-ci a fini par être annulée, il nen
reste pas moins que le bien des intéressés a été immobilisé
tant pendant la procédure devant le Conseil dEtat, qui
avait accordé un effet suspensif au recours de la municipalité,
que dans lattente dune décision de la municipalité
quant au sort à réserver à cette propriété. 50.
De lavis de la Cour, pareille pratique pourrait permettre
à ladministration grecque de parvenir à confisquer
arbitrairement les biens des requérants et ceux dautres
personnes. Celle-ci pourrait en pratique ordonner des
expropriations sans indemnisation dans le but de laisser senliser
une situation à son profit pendant plusieurs années quitte à
payer de temps en temps, en cas de condamnation par les tribunaux,
des indemnités pour perte de jouissance des biens expropriés. 51.
Dans ces conditions, la Cour estime que la présente requête
soulève des griefs défendables aux fins de larticle 13
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1 pour autant que
le grief tiré de ce dernier article concerne labsence dun
recours effectif pour faire constater la pratique précitée, et
que ceux-ci doivent être examinés. 52.
En premier lieu, la Cour constate que larticle 17 § 4 de
la Constitution énonce quune privation de propriété pour
cause dutilité publique dûment prouvée doit dans tous
les cas donner lieu au versement dune indemnité payable au
plus tard un an et demi après la date de publication de la
décision du tribunal fixant provisoirement le montant de lindemnité
et que, lorsque la demande porte sur la fixation de lindemnité
définitive, le versement doit en être effectué après la
publication de la décision du tribunal, faute de quoi lexpropriation
est caduque de plein droit. 53.
Toutefois, daprès la jurisprudence du Conseil dEtat
(paragraphe 25 ci-dessus) réaffirmée dans larrêt quelle
a rendu dans la présente affaire (paragraphe 16 ci-dessus), lannulation
dune expropriation pour défaut de paiement de lindemnité,
quelle soit prononcée par voie administrative comme
dans la présente affaire ou par voie judiciaire, ne
suffit pas à elle seule à libérer un terrain des charges le
rendant inconstructible. Dans larrêt quil a rendu le
28 janvier 2009, le Conseil dEtat a indiqué que la
question du statut juridique du bien litigieux nétait «
pas réglée sur le plan urbanistique » après lannulation
de lexpropriation et quil incombait à ladministration
de rechercher si le terrain devait faire lobjet dune
nouvelle expropriation, rester inconstructible ou être déclaré
constructible en tenant compte des caractéristiques de celui-ci,
des besoins de la collectivité en matière daménagement
du territoire et de la politique durbanisme applicable au
secteur dans lequel le terrain était situé. 54.
Or la Cour relève que cette situation correspond à celle qui se
présente en lespèce. Le Conseil dEtat a annulé la
décision du préfet portant annulation de lexpropriation
prononcée le 21 mai 1990 et a renvoyé laffaire à ladministration
pour que celle-ci règle le statut du terrain sur le plan
urbanistique. Ladministration a invité la municipalité de
Neo Psichiko à lui faire savoir si elle entendait procéder à
une nouvelle expropriation. 55.
La Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon
laquelle le terrain des requérants était constructible mais
réservé à la construction dimmeubles dhabitation
et non de centres commerciaux. En réalité, la question du
statut juridique du terrain était restée longtemps en suspens.
Elle nétait « pas réglée sur le plan urbanistique » (voir
larrêt du Conseil dEtat no 289/2009
paragraphe 16 ci-dessus) car était restée suspendue à une
nouvelle appréciation de ladministration, en la personne
non plus du préfet, mais du Président de la République, ce qui
supposait que le ministère de lEnvironnement mette en
uvre la procédure requise en vue de lédiction dun
décret présidentiel. 56.
De ce fait, les requérants se trouvaient pendant une longue
période dans une impasse juridique qui ne leur offrait aucune
possibilité de provoquer eux-mêmes la levée de la charge
grevant leur terrain. Dans ces circonstances, les autorités
auraient pu de facto faire indéfiniment obstacle à lusage
du terrain exproprié ou procéder à une nouvelle expropriation
sans pour autant verser lindemnité due aux intéressés (Valyrakis
c. Grèce, no 27939/08, § 53). 57.
La Cour souligne à cet égard que le grief des requérants tiré
de larticle 13 avait trait à limpossibilité
pratique dexploiter la propriété litigieuse suite à la
constatation de la levée de lexpropriation faute dindemnisation,
et non à limpossibilité dobtenir un dédommagement
pour privation de la jouissance de leur bien. 58.
Au vu de ce qui précède et eu égard aux circonstances de lespèce,
force est à la Cour de constater que lÉtat a manqué à
ses obligations découlant de larticle 13 de la Convention
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1. Partant,
il y a lieu de déclarer recevable ce grief et de conclure à la
violation de ces deux dispositions combinées. KUTLU ET AUTRES c. TURQUIE requête
51861/11 du 13 décembre 2016 Article
1 du protocole 1, les requérants ont subi la construction d'un
barrage. Leurs situés à coté n'ont pas été exproprié mais
ils n'y ont plus accès sauf en barque sans moteur. Ils ont une
interdiction absolue de construire ou d'exploiter. L'un des
requérants a demandé à être exproprié. Les autorités
judiciaires ont refusé sa demande sans motivation explicite pour
justifier leur refus. Le droit d'usage n'a pas été
respecté. 49.
La notion de « biens » évoquée dans la première partie de larticle
1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas
à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains
autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi
être considérés comme des « droits de propriété » et donc
des « biens » aux fins de cette disposition. En fait, il
importe dexaminer dans chaque cas si les circonstances de laffaire,
considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant
titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle
1 du Protocole no 1 (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II,
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I, Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2004-V,
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I). 50.
De plus, la notion de « biens » peut recouvrir tant des «
biens existants » que des valeurs patrimoniales, y compris des
créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre
avoir au moins une « espérance légitime » dobtenir la
jouissance effective dun droit patrimonial (voir, dans ce
sens, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35 c), CEDH 2004-IX,
et Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, § 74 c), CEDH 2005-V). 51.
En outre, lorsque lintérêt patrimonial concerné est de lordre
de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur
patrimoniale » que lorsquil a une base suffisante en droit
interne (Kopecký c. Slovaquie, précité, § 52 et Draon c.
France [GC], no 1513/03, § 68, 6 octobre 2005. 52.
Par ailleurs, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1, une ingérence de lautorité publique dans
la jouissance du droit au respect de biens doit être légale et
être dépourvue darbitraire. Elle doit également ménager
un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Perdigão c. Portugal
[GC], no 24768/06, § 63, 16 novembre
2010). a)
Quant aux terrains no 84/72 et no 84/76 53.
La Cour observe que lusage des terrains no 84/72 et no 84/76
est affecté de restrictions physiques et juridiques extrêmement
rigoureuses : laccès aux terrains nécessite lusage
dune embarcation non motorisée, aucune construction ny
est possible et lagriculture y est prohibée. 54.
Les requérants indiquent quils ont été indemnisés à
hauteur du préjudice quils auraient subi alors que, en
vertu du droit national, ils auraient dû, selon eux, être
expropriés et percevoir une indemnité équivalant à la valeur
totale des biens en cause. 55.
La question que la Cour est appelée à trancher en lespèce
nest pas celle de savoir si le montant de lindemnité
payée aux requérants suffisait à compenser le préjudice
découlant des restrictions imposées à lusage de leurs
biens, pas plus quelle nest de déterminer si larticle
1 du Protocole no 1 garantit dune manière générale le
droit dun requérant à être exproprié. La tâche de la
Cour est plutôt de déterminer si la législation nationale
instaurait au profit des requérants un droit de délaissement
avec une certitude suffisante pour pouvoir constituer un
intérêt patrimonial protégé par la Convention. 56.
La Cour observe que larticle 12, alinéa 9, de la loi no
2942 impose lexpropriation lorsque le terrain situé dans
le voisinage dun barrage nest « plus utilisable ».
Si le texte ne précise pas lui-même ce quil faut entendre
par ces termes, il renvoie cependant à un règlement. 57.
Ledit règlement énonce, quant à lui, de manière non
équivoque en son article 17 que les terrains situés dans la
zone de protection absolue entourant une réserve deau
potable « sont expropriés ». Compte tenu de lutilisation
du verbe « être » et non du verbe « pouvoir », ce texte naccorde
aucune marge dappréciation discrétionnaire à ladministration
qui ne dispose pas de la liberté de choisir entre lexpropriation
et le versement dune indemnité moindre. Au contraire, la
réglementation place les autorités sous légide dune
compétence liée en obligeant celles-ci à acquérir les biens
et accorde ainsi aux propriétaires des terrains situés dans la
zone de protection absolue un véritable droit de délaissement,
cest-à-dire un « droit à être exproprié ». 58.
Aux yeux de la Cour, ce droit au délaissement prévu par la
réglementation interne constitue un « intérêt patrimonial »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1. En dautres
termes, le droit à être exproprié et à obtenir le versement dindemnités
correspondant à la valeur des terrains constitue, un « bien »
aux fins de la disposition susmentionnée (comparer avec Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 122 à 125 et 129
à 133, CEDH 2004-V, qui concerne le refus dexécuter un
droit à une mesure compensatoire qualifié de droit à
être crédité reconnu par le droit national). 59.
En refusant dexproprier les terrains concernés et en
optant pour le versement dune indemnité en compensation du
préjudice lié aux restrictions imposées à lusage des
biens, les autorités ont porté atteinte à cet intérêt
patrimonial conféré par le droit interne et protégé par la
Convention. 60.
Une telle atteinte ne peut passer pour conforme aux exigences de
larticle 1 du Protocole no 1 étant donné non seulement quelle
ne repose sur aucune base légale mais encore quelle ne
bénéficie daucune justification sérieuse. En effet, les
autorités judiciaires ont insuffisamment motivé leur choix dordonner
le versement dune indemnité correspondant à la
dépréciation de la valeur du bien plutôt que de mettre en
uvre le droit de délaissement des requérants en
prononçant lexpropriation et en octroyant une indemnité
correspondant à la valeur des biens. À cet égard, force est de
constater que les tribunaux nationaux ne se sont pas prononcés
sur larticle 17 du règlement susmentionné. Le
Gouvernement na, lui non plus, avancé aucun motif sérieux
justifiant cette ingérence. 61.
Partant, il y a eu violation de cette disposition en ce qui
concerne les terrains immatriculés au registre foncier comme «
lot 84 parcelle 72 » et « lot 84 parcelle 76 ». b)
Quant au terrain no 81/44 62.
La Cour observe que le terrain no 81/44, qui est situé dans la
zone de protection rapprochée, fait lui aussi lobjet dun
certain nombre de restrictions visant à protéger la qualité de
leau du barrage. Ainsi, toute construction sur ce terrain
est prohibée. Par ailleurs, les activités agricoles ny
sont autorisées que sur agrément du ministère compétent et
sous réserve quaucun engrais artificiel ou autre produit
chimique ne soit utilisé. 63.
Les autorités ont versé aux intéressés des indemnités pour
compenser le préjudice découlant de ces restrictions. 64.
Les requérants mettent en cause, comme pour les deux autres
biens, la décision de les indemniser à hauteur du préjudice
plutôt que de les exproprier. 65.
La Cour relève que la situation de ce bien, qui se trouve dans
la zone de protection rapprochée, diffère de celle des deux
autres terrains. 66.
En effet, la réglementation nationale nétablissait pas, sagissant
de ce terrain, de « droit à être exproprié ». 67.
Larticle 12 de la loi no 2942 lie lobligation dexproprier
les biens situés dans le voisinage dun barrage à la
condition que ceux-ci ne soient « plus utilisables ». Or les
juridictions nationales nont jamais considéré que le bien
litigieux était devenu inutilisable au sens de cette disposition.
On ne saurait dès lors affirmer quen lespèce les
requérants tenaient de cet article un droit à être expropriés. 68.
Quant au règlement, il nénonce pas que les restrictions
affectant les biens situés dans une zone de protection
rapprochée rendent par principe ces biens inutilisables et ne
prévoit pas autrement dobligation dexproprier. 69.
Par conséquent, en labsence de « droit à être
exproprié » reconnu par le droit interne et susceptible de
constituer un intérêt patrimonial protégé par la Convention
et donc un « bien », le versement dune indemnité
correspondant au préjudice découlant des restrictions
réglementaires était de nature à établir un juste équilibre
entre les droits des requérants et ceux de la société. 70.
Cela étant, le versement dune indemnité ne peut maintenir
un tel équilibre que sil existe un rapport raisonnable de
proportionnalité entre son montant et le préjudice quil
vise à compenser. 71.
À cet égard, la Cour observe que lexpert mandaté par le
TGI avait estimé à 40 % la dépréciation de la valeur du
terrain causée par les restrictions affectant son usage. Or le
juge a fixé les indemnités à 25 % de la valeur du bien. 72.
Il est vrai que le rapport dexpertise ne liait pas le TGI,
qui pouvait allouer une indemnité inférieure à celle
déterminée par lexpert. Cependant pour faire cela dans le
respect de larticle 1 du Protocole no 1, il lui revenait dexposer
les raisons pour lesquelles il écartait les conclusions de lexpertise
et les motifs précis pour lesquels il convenait de diminuer le
pourcentage de la dépréciation. À cet égard, la Cour estime
quun simple énoncé des critères à prendre en compte ne
peut passer pour une motivation suffisante dès lors que le juge
na pas indiqué pourquoi et comment la prise en compte
desdits critères devait conduire à limiter la dépréciation à
25 %. 73.
Malgré la compétence limitée dont elle dispose pour connaître
des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les
juridictions nationales, la Cour estime que la manière dont le
montant des indemnités a été fixé ne lui permet pas daffirmer
que celui-ci est raisonnablement en rapport avec le préjudice
subi. 74.
Sur ce point, la Cour rappelle que les garanties procédurales de
larticle 1 du Protocole no 1 impliquent quune absence
dobligation pour les tribunaux dexposer de manière
suffisante les motifs sur lesquels ils fondent leurs décisions
rendrait théoriques et illusoires les droits garantis par la
Convention. Sans exiger une réponse détaillée à chaque
argument du plaignant, cette obligation présuppose, tout de
même, que la partie lésée puisse sattendre à un
traitement attentif et soigné de ses prétentions essentielles (Gereksar
et autres c. Turquie, nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 54, 1erfévrier
2011, et les références qui y figurent). 75.
Par conséquent, rien ne permet de conclure que le juste
équilibre devant régner entre lintérêt général et les
impératifs de sauvegarde des droits des requérants ait été
maintenu. 76.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention en ce qui concerne le terrain immatriculé au
registre foncier comme « lot 81 parcelle 44 ». MALFATTO
ET MIEILLE c. FRANCE du 6 octobre 2016, requêtes nos 40886/06 et
51946/07 Non violation
de l'article 1 du Protocole 1, la construction sur la bande de
100 mètres de la plage est interdite pour des causes d'intérêt
général évident après les tempêtes de type Xynthia. Cette
interdiction ne viole pas la Convention alors que le requérant a
eu bel de construire durant 15 ans. 58. La Cour
rappelle sa jurisprudence selon laquelle larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes (voir, notamment, James et
autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98) :
la première, qui sexprime dans la première phrase du
premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le
principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant
dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de
propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la
troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît
aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer
lusage des biens conformément à lintérêt
général. Les deuxième et troisième normes, qui ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété, doivent sinterpréter à la lumière du
principe consacré par la première (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V). 59.
La Cour relève que les terrains des requérants, classés comme
constructibles, avaient fait lobjet dune autorisation
de lotir, et quen vertu de ladoption de deux textes
successifs (la directive daménagement national du 25 août
1979 et la « loi littoral » du 3 janvier 1986), ils ont été
frappés dune interdiction absolue de construire en raison
de ce quils étaient situés dans la bande de cent mètres
du littoral. 60.
Le Gouvernement reconnaît quil sagit dune
ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs
biens. La Cour observe que ces derniers nont pas été
privés de leur propriété et que leurs droits réels sur leurs
biens restent intacts, même si leur valeur a été affectée.
Elle considère en conséquence que cette ingérence relève de
la réglementation de lusage des biens, au sens du
deuxième alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Sporrong
et Lönnroth, précité, § 64, Longobardi et autres c. Italie (déc.),
no 7670/03, 26 juin 2007, Depalle,
précité, § 80 et Antunes Rodrigues c. Portugal, no 18070/08, § 27, 26 avril 2011). 61.
Selon une jurisprudence bien établie, cet alinéa doit se lire
à la lumière du principe consacré par la première phrase de larticle
1. En conséquence, une mesure dingérence doit respecter
le principe de légalité et ménager un « juste équilibre »
entre les impératifs de lintérêt général et ceux de la
sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu. Cet
équilibre est rompu si la personne concernée a eu à subir une
charge spéciale et exorbitante (Depalle, précité, § 83 et Perdigão
c. Portugal [GC], no 24768/06, § 67, 16 novembre
2010). 62.
En lespèce, les requérants ne contestent pas la
légalité de lingérence. La Cour doit donc déterminer si
le « juste équilibre » a été respecté. 63.
Sagissant en premier lieu de la finalité de lingérence,
la Cour constate quelle relevait dune politique
générale daménagement du territoire et de protection de
lenvironnement et rappelle avoir dit en particulier que la
protection du rivage de la mer constitue un but légitime dans lintérêt
général (Depalle, précité, § 81). 64.
La Cour a par ailleurs souvent rappelé que les politiques daménagement
du territoire et de protection de lenvironnement, où lintérêt
général de la communauté occupe une place prééminente,
laissent à lÉtat une marge dappréciation plus
grande que lorsque sont en jeu des droits exclusivement civils.
Dans la mise en uvre de ces politiques, lÉtat peut
notamment être amené à intervenir dans le domaine public et
même à prévoir, dans certaines circonstances, labsence dindemnisation
dans plusieurs situations relevant de la réglementation de lusage
des biens (Antunes Rodrigues, précité, § 32 et la
jurisprudence citée). En effet, dans de telles situations, labsence
dindemnisation est lun des facteurs à prendre en
compte pour établir si un juste équilibre a été respecté,
mais elle ne saurait, à elle seule, être constitutive dune
violation de larticle 1 du Protocole no 1 (Depalle,
précité, § 91). 65.
La Cour observe que, tel quil a été interprété par le
Conseil dÉtat, larticle L. 160-5 du code de lurbanisme
permet au propriétaire dont le bien est frappé dune
servitude de prétendre à une indemnisation devant la
juridiction administrative « dans le cas exceptionnel où il
résulte de lensemble des conditions et circonstances dans
lesquelles la servitude a été instituée et mise en uvre,
ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une
charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec lobjectif
dintérêt général poursuivi » (paragraphe 37 ci-dessus). 66.
La Cour estime quil sagit là dun système qui
permet de mettre en balance les intérêts de lintéressé
et ceux de la communauté (Antunes Rodrigues, précité, § 35). 67.
En lespèce, les juridictions françaises ont estimé,
après avoir entendu contradictoirement les arguments des parties
et examiné tous les éléments pertinents, que le préjudice
subi par les requérants nouvrait pas droit à
indemnisation. La Cour ne décèle aucun élément permettant de
conclure que leurs décisions seraient entachées darbitraire
ou manifestement déraisonnables (Antunes Rodrigues, précité,
§ 36), compte tenu notamment de ce que la servitude dinconstructibilité
sapplique à la totalité du littoral français. 68.
La Cour relève en particulier que la cour administrative dappel
a estimé que M. Henri Malfatto nétablissait pas un lien
de causalité direct entre la servitude et son préjudice : elle
a noté que sil avait effectué, entre 1965 et 1972 des
travaux préparatoires et de viabilisation du lotissement, il navait
engagé, entre 1972 et 1989, date à laquelle il sétait vu
opposer un refus de permis de construire (soit pendant quinze ans),
aucune action tendant à la mise en uvre des droits quil
détenait de lautorisation de lotir dont il bénéficiait
depuis 1964. 69.
Dès lors, la Cour observe que M. Henri Malfatto sest
abstenu pendant de nombreuses années dexploiter son bien (mutatis
mutandis décision Longobardi et autres précitée et Sinan
Yildiz et autres c. Turquie, no 37959/04, 12 janvier 2010). Elle
relève dailleurs que, pendant cette période, le seul lot
qui a été vendu en 1972 à un tiers a pu être construit (paragraphe
12 ci-dessus). 70.
Sagissant des autres requérants, la Cour estime également
raisonnable la conclusion des juridictions internes qui ont
considéré quils navaient pas personnellement
supporté le coût des travaux et rappelé quune
autorisation de lotir nimpliquait pas automatiquement le
droit de construire. La Cour estime que la baisse de la valeur
des terrains en cause ne saurait suffire, en tant que telle et en
labsence dautres éléments, à mettre en cause ces
conclusions. 71.
Au vu de lensemble des considérations ci-dessus, la Cour
estime quil ny a pas eu rupture de léquilibre
entre les droits des requérants et lintérêt général de
la communauté. 72.
Dès lors, la Cour conclut quil ny a pas eu violation
de larticle 1 du Protocole no 1. MAHMUT
SEZER c. TURQUIE du 23 septembre 2014 Requête 43545/09 Violation de l'article
1 du protocole 1 : le requérant achète un terrain pour
construire. Classé en zone verte, il ne peut pas construire. Il
n'a donc pas usage de son bien. A. Sur
la recevabilité 17. Le
Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours
internes, reprochant au requérant de ne pas sêtre opposé
au plan local durbanisme litigieux et de ne pas en avoir
demandé lannulation. Il soutient que lintéressé
aurait également dû saisir les tribunaux administratifs dune
action en dommages et intérêts sur le fondement de larticle
13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. 18. Sagissant
en premier lieu de la procédure visant à lannulation dun
plan durbanisme déterminé, la Cour estime quelle ne
pouvait avoir une incidence sur la présente requête, étant
donné que le requérant se plaint des répercussions des
limitations ayant frappé son terrain en labsence dindemnisation
et non de lirrégularité du plan durbanisme en
question (Ziya Çevik c. Turquie, no 19145/08, § 27, 21 juin 2011, Hakan
Ari c. Turquie, no 13331/07, § 28, 11 janvier 2011,
Rossitto c. Italie, no 7977/03, § 19, 26 mai
2009, et Scordino c. Italie (no 2) (déc.), no 36815/97, 12 décembre 2002). 19. Sagissant
en deuxième lieu de laction en dommages et intérêts
devant les tribunaux administratifs, la Cour considère que le
requérant peut passer pour avoir épuisé les voies de recours
internes dans la mesure où il a saisi les juridictions
nationales dune demande tendant à faire annuler le refus
de ladministration à sa demande alternative de permis de
construire ou dexpropriation. À cet égard, la Cour
rappelle quelle applique la règle de lépuisement
des voies de recours internes en tenant dûment compte du
contexte et avec une certaine souplesse, sans formalisme excessif.
Elle réaffirme que, lorsquune voie de recours a été
utilisée, lusage dune autre voie dont le but est
pratiquement le même nest pas exigé (Kozacioglu c. Turquie
[GC], no 2334/03, §§ 39-43, CEDH 2009,
et Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29801/03, § 84, CEDH 2008).
Dès lors, elle estime, eu égard aux circonstances de la cause,
quil serait excessif de reprocher au requérant de navoir
pas introduit devant les tribunaux administratifs le recours
mentionné par le Gouvernement. Autrement dit, la Cour considère
que le requérant a fait tout ce que lon pouvait
raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de
recours internes (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 59, CEDH 2000-VII).
Au demeurant, elle observe que le Gouvernement na pas
démontré que la voie de recours visée par lui était
disponible et adéquate dans la pratique relative à la violation
incriminée. La Cour nest pas convaincue que le recours
fondé sur larticle 13 de la loi no 2577 sur la procédure
administrative était accessible et susceptible doffrir au
requérant le redressement de ses griefs et présentait des
perspectives raisonnables de succès. 20. Compte
tenu de ce qui précède, la Cour rejette les exceptions
préliminaires du Gouvernement. 21. Elle
constate par ailleurs que la requête nest pas
manifestement mal fondée au sens de larticle 35 § 3 de la
Convention. Elle relève en outre quelle ne se heurte à
aucun autre motif dirrecevabilité. Il convient donc de la
déclarer recevable. B. Sur
le fond 22. Le
requérant soutient que la situation dénoncée a emporté
violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il allègue subir une ingérence dans lexercice du droit au
respect de ses biens depuis 1982, date à laquelle ladministration
a décidé de classer son terrain d« espace vert ».
Pendant toute cette période, son terrain doté du statut de
terrain constructible aurait été frappé dune restriction
dusage consistant en une interdiction de construire, jusquà
ce que ladministration procédât, à une date
indéterminée, à son expropriation. Le requérant se plaint de
cette situation dincertitude. Il reproche aux autorités
leur inertie et soutient avoir perdu de la sorte la pleine
jouissance du terrain. Compte tenu de la situation dénoncée, il
estime quil y a eu une atteinte disproportionnée à son
droit au respect de ses biens. 23. Le
Gouvernement réitère ses exceptions préliminaires. Il ajoute
que la restriction dénoncée a été réalisée pour cause dutilité
publique et que celle-ci na pas imposée au requérant une
charge excessive. 24. La
Cour considère quil y a eu ingérence dans lexercice
par le requérant de son droit au respect de ses biens. 25. Elle
note en effet que, depuis 1982, le terrain de lintéressé
est classé « espace vert » dans le plan durbanisme
alors quil a le statut de terrain constructible sur le
registre foncier. 26. Cette
situation a eu pour conséquence non seulement que le terrain a
été frappé dune interdiction de construire mais aussi quil
y a eu une restriction de la disponibilité du bien en cause.
27. Ladministration na pas exproprié pour
autant le requérant de son terrain. 28. Reste
à savoir si cette ingérence a enfreint ou non les dispositions
de larticle 1 du Protocole no 1. 29. La
Cour observe quil ny a pas eu de privation formelle
de propriété puisque le droit de propriété du requérant est
resté juridiquement intact. Cependant, elle rappelle que, en labsence
dun transfert de propriété, elle doit aussi regarder au-delà
des apparences et analyser la réalité de la situation
litigieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982,
§ 63, série A no 52, et Van Droogenbroeck c. Belgique, 24
juin 1982, § 38, série A no 50). 30. À
cet égard, elle relève que les effets de la situation
litigieuse dénoncés par le requérant découlent tous des
limitations apportées au droit de propriété et des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble ;
ils résultent donc tous de la restriction exercée sur la
faculté de lintéressé de disposer de son bien. Cela
étant, la Cour note que, bien quil ait perdu de sa
substance, le droit en cause na pas disparu. Les effets des
mesures en question ne sont pas tels quon puisse les
assimiler à une privation de propriété. Le requérant na
perdu ni laccès à son terrain ni la maîtrise de celui-ci
et, en principe, la possibilité de vendre son bien, bien que
rendue plus malaisée, a subsisté. Dans ces conditions, la Cour
estime que la seconde phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention ne trouve pas à sappliquer
en lespèce (Scordino c. Italie (no 2), no 36815/97, § 71, 15 juillet 2004,
et Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre
1996, § 85, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 31. En
revanche, elle considère que la situation dénoncée par le
requérant relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1. (Sporrong et Lönnroth, précité, § 65, Erkner
et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série A no
117, Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117,
Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX, Scordino
(no 2), précité, § 73, Köktepe c. Turquie, no 35785/03, § 85, 22 juillet 2008,
Hakan Ari, précité, § 37, Ziya Çevik, précité, § 36, et Hüseyin
Kaplan c. Turquie, no 24508/09, § 39, 1 octobre 2013). 32. La
Cour doit donc rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux du requérant (Sporrong et Lönnroth, précité, §
69, et Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). 33. Sur
ce point, la Cour considère que dans la mesure où le terrain du
requérant était constructible sur le registre foncier, le
requérant était légitimement en droit dattendre lobtention
dun permis de construire. Or le terrain a par la suite
été soumis à une interdiction de construire en vue de son
expropriation, et ce en vertu du plan durbanisme ayant
affecté ce terrain à laménagement dun « espace
vert ». Cette interdiction a été maintenue de manière
continue. 34. La
Cour rappelle avoir jugé que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les États
contractants jouissaient dune large marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69). Dans les circonstances de la cause, elle tient
pour établi que lingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens répondait aux
exigences de lintérêt général. Néanmoins, elle ne
saurait renoncer pour autant à exercer son pouvoir de contrôle. 35. Elle
observe que, durant toute la période concernée, le requérant
est resté dans une incertitude complète quant au sort de sa
propriété. À la date du 25 mai 2011, lintéressé nétait
toujours pas exproprié de son bien. 36. La
Cour estime que cet état des choses a entravé la pleine
jouissance du droit de propriété du requérant, lequel ne peut
ni construire sur un terrain doté du statut de terrain
constructible. Cette situation a, de plus, eu des répercussions
dommageables en ce quelle a, entre autres,
considérablement affaibli les chances de lintéressé de
vendre son terrain. 37. Enfin,
la Cour constate que le requérant na vu sa perte
compensée par aucune indemnisation. À cet égard, comme il a
été précédemment souligné (voir paragraphe 19 ci-dessus), le
Gouvernement na fait parvenir à la Cour aucune décision
de justice démontrant que le droit interne eût été en mesure
de remédier à lincertitude attachée au sort du terrain
de lintéressé. Autrement dit, à la date dintroduction
de la requête devant la Cour, quand un plan durbanisme
était adopté et quil nétait pas exécuté, le
droit turc ne prévoyait aucun recours en indemnisation pour les
administrés lésés (voir dans le même sens, Ziya Çevik,
précité, § 42). 38. À
la lumière de ces considérations, elle estime que le requérant
a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect de ses biens (Hüseyin Kaplan,
précité, § 47, Hakan Ari, précité, § 46, Ziya Çevik,
précité, § 47, Sporrong et Lönnroth, précité, §§ 73 et 74,
Erkner et Hofauer, précité, §§ 78 et 79, Elia, précité, §
83, Rossitto, précité, § 45, Skibinscy c. Pologne, no 52589/99, § 98, 14 novembre
2006, Skrzynski c. Pologne, no 38672/02, § 92, 6
septembre 2007, Rosinski c. Pologne, no 17373/02, § 89, 17 juillet
2007, Buczkiewicz c. Pologne, no 10446/03, § 77, 26
février 2008, et Pietrzak c. Pologne, no 38185/02, § 115, 8 janvier 2008). 39. Dès
lors, la Cour conclut quil y a eu violation de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention. LA SAISIE CONSERVATOIRE
D'UN BIEN Uzan
et autres c. Turquie du 5 mars 2019 requêtes n° 19620/05, 41487/05,
17613/08 et 19316/08 Violation de larticle
1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) de la
Convention européenne des droits de lhomme (à la
majorité) dans le chef de Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan
et (à lunanimité) dans le chef de Ayla Uzan-Ashaboglu,
Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru. Mesures conservatoires
ordonnées sur les biens de trois proches des dirigeants dImarbank
et de deux de leurs employés : violation du droit de propriété. La Cour juge en
particulier que les autorités turques nont pas ménagé un
juste équilibre entre les impératifs de lintérêt
général et les exigences de la protection des droits des
requérants au respect de leurs biens. Dans son raisonnement, la
Cour relève entre autres que la durée de validité des
restrictions en cause a duré près de 10 ans pour une
requérante et plus de 12 ou 15 ans pour les autres requérants.
Elle constate aussi le caractère automatique, généralisé et
inflexible de ces mesures, ainsi que leur étendue (deux
requérants, mineurs à lépoque des faits, ont été
privés de la possibilité dacquérir toutes sortes de
biens ; les autres requérantes ont été empêchées de disposer
de leur salaire, de leur véhicule etc.). Elle relève enfin labsence
déléments portant sur limplication des requérants
sur une quelconque fraude. La Cour rappelle quune
ingérence dans les droits prévus par larticle 1 du
Protocole n o 1 ne peut avoir de légitimité en labsence dun
débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes. À cet égard,
elle constate que les requérants, qui nétaient pas
parties à la procédure pénale principale, nont pas
bénéficié de ces garanties procédurales. CEDH a)
Sur lexistence dun bien et sur la nature de lingérence 189.
En premier lieu, en ce qui concerne lexistence dun
bien, la Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à
la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne
à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans
le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général, en mettant en
vigueur les lois quils estiment nécessaires à cette fin.
Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de
rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi
beaucoup dautres, James et autres c. Royaume-Uni, 21
février 1986, § 37, série A no 98, et Sargsyan c. Azerbaïdjan
[GC], no 40167/06, § 217, CEDH 2015). 190. La
Cour rappelle également que la notion de « bien » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1 a une portée
autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens
corporels et qui est indépendante des qualifications formelles
du droit interne : certains autres droits et intérêts
constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
de propriété » et donc des « biens » aux fins
de cette disposition (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96,
§ 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96,
§ 100, CEDH 2000-I, Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11,
§ 211, CEDH 2015). 191.
La Cour réaffirme en outre que, bien que larticle 1 du
Protocole no 1 ne vaille que pour des « biens actuels » et ne
crée aucun droit den acquérir (Stummer c. Autriche [GC],
no 37452/02, § 82, CEDH 2011), dans certaines
circonstances des valeurs patrimoniales, y compris des créances,
en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins
une « espérance légitime » dobtenir la jouissance
effective dun droit de propriété, peuvent également
bénéficier de la protection de cette disposition (voir, parmi
beaucoup dautres, Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 50, CEDH 2013 (extraits), et
Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 142-143, 20 mars 2018). 192.
À ce sujet, elle redit quune espérance légitime doit
être plus concrète quun simple espoir et se fonder sur
une disposition juridique ou un acte juridique tel quune
décision judiciaire. Lespoir de voir renaître un droit
patrimonial éteint depuis longtemps ne peut être considéré
comme un « bien », pas plus quune créance conditionnelle
devenue caduque par la non-réalisation dune condition (Gratzinger
et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98,
§§ 69 et 73, CEDH 2002-VII).De plus, on ne peut conclure à lexistence
dune « espérance légitime » lorsquil y a
controverse sur la façon dont le droit interne doit être
interprété et appliqué et que les arguments développés par
le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les
juridictions nationales (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98,
§ 50, CEDH 2004-IX). En revanche, un intérêt
patrimonial reconnu par le droit interne même sil
est révocable dans certaines circonstances peut sanalyser
en un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (Beyeler, précité, § 105). 193.
En lespèce, pour ce qui est des requérantes Ayla
Uzan-Ashaboglu, Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru, compte tenu des
faits et décisions de justice exposés ci-dessus, la Cour
considère, à la différence du Gouvernement, qui sest
exprimé sur ce point de manière générale sans rentrer dans
les détails, que les salaires, les avoirs et les biens mobiliers
et immobiliers sur lesquels les tribunaux internes ont ordonné
des mesures conservatoires sanalysent en des « biens » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour
ce qui est des requérants Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan ,
à linstar des juridictions internes et du Gouvernement, la
Cour observe, dune part, que ces deux requérants, qui
étaient mineurs à lépoque des faits, navaient pas
de biens actuels au sens de larticle 1 du Protocole 1 à la
Convention et, dautre part, quils avaient lespérance
légitime den avoir pour le reste de leur vie. Eu égard au
constat des juridictions internes selon lequel ils jouissaient de
laptitude à avoir des droits et des obligations et quils
pourraient acquérir certains droits par le biais de lhéritage
et des donations (paragraphe 33 ci-dessus), repris par le
Gouvernement (paragraphe 185 ci-dessus), et eu égard au
caractère automatique, généralisé et inflexible des mesures
conservatoires et à leur durée incertaine, la Cour conclut que,
bien que mineurs, les requérants susmentionnés pouvaient
nourrir une « espérance légitime » relevant de la notion de
« bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1. 194.
En deuxième lieu, en ce qui concerne la nature de lingérence,
la Cour rappelle que la rétention des biens saisis par les
autorités judiciaires dans le cadre dune procédure
pénale doit être examinée sous langle du droit pour lÉtat
de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général, au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, CEDH 2007-VII, Borjonov c. Russie,
no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009, et Adamczyk c.
Pologne (déc.), no 28551/04, 7 novembre 2006). Elle constate quen
lespèce les mesures conservatoires prises contre les
requérants avaient en principe pour but non pas de priver ces
derniers de leurs biens, mais seulement de les empêcher
temporairement den user, dans lattente de lissue
de la procédure pénale ainsi que du recouvrement des sommes
réclamées par le FADE. La
Cour note également que selon Mme Ayla Uzan les autorités
compétentes auraient mis en vente aux enchères ses biens, mais
estime quune éventuelle privation de propriété dans ce
contexte ne change à rien à la nature de lingérence qui
doit toujours être examinée sous langle du droit pour lÉtat
de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général, au sens du second paragraphe de larticle 1 du
Protocole no 1 (Frizen c. Russie, no 58254/00, § 31, 24 mars 2005, Sud Fondi S.r.l. et
autres c. Italie, no 75909/01, § 129, 20 janvier 2009, et G.I.E.M. S.R.L.
et autres c. Italie (fond) [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 290, 28 juin 2018). 195.
La Cour doit à présent rechercher si lingérence se
justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1
à la Convention. À cet égard, il convient de redire que, pour
être compatible avec cette disposition, une ingérence doit
remplir trois conditions : elle doit « mettre en vigueur les
lois quils jugent nécessaires pour réglementer lusage
des biens », être conforme « à lintérêt général »
et respecter un juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b)
Sur le respect du principe de légalité 196.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94 et 95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). 197.
La Cour rappelle aussi que le principe de la légalité
présuppose également lexistence de normes de droit
interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans
leur application (Ex-Roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 79, CEDH CEDH 2000-XII, Beyeler,
précité, §§ 109 et 110, et Fener Rum Patrikligi c. Turquie, no
14340/05, § 70, 8 juillet 2008). Quant à la
portée de la notion de « prévisibilité », elle dépend dans
une large mesure du contenu du texte dont il sagit, du
domaine que celui-ci couvre ainsi que du nombre et de la qualité
de ses destinataires (voir, mutatis mutandis, Sud Fondi srl et
autres c. Italie, no 75909/01, § 109, 20 janvier 2009, et Yasar Holding
A.S., précité, § 92, 4 avril 2017). 198.
En lespèce, la Cour relève que les mesures conservatoires
ont été ordonnées et maintenues sur le fondement de larticle
2 provisoire de la loi no 4969 du 31 juillet 2003, de larticle
additionnel 1 de lancienne loi no 4389, telle que modifiée
par la loi no 5020 du 26 décembre 2003, et de larticle 135
de la loi no 5411 du 19 octobre 2005. Elle rappelle quil ne
lui appartient pas de se prononcer in abstracto sur la
compatibilité de ces dispositions avec la Convention, mais dapprécier
in concreto lincidence de lapplication de ces lois
sur le droit des requérants au respect de leurs biens, au sens
de larticle 1 du Protocole no 1.La Cour rappelle que le
pouvoir quelle a de contrôler le respect du droit interne
est limité. Cest au premier chef aux autorités nationales,
notamment aux tribunaux, quil incombe dinterpréter
et dappliquer le droit interne, même dans les domaines où
la Convention sen « approprie » les normes : par la force
des choses, lesdites autorités sont spécialement qualifiées
pour trancher les questions surgissant à cet égard (Zagrebacka
banka d.d. c. Croatie, no 39544/05, § 263, 12 décembre 2013). Cest dautant
plus vrai lorsque sont en cause, comme en lespèce, de
difficiles questions dinterprétation du droit national (Anheuser-Busch
Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007 I). Sauf si linterprétation
retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la tâche
de la Cour se limite à déterminer si ses effets sont
compatibles avec la Convention (ibidem, §§ 83 et 86). Cest
pour cette raison que la Cour a jugé que, en principe, un
requérant ne peut passer pour jouir dune créance
suffisamment certaine sanalysant en une « valeur
patrimoniale » aux fins de larticle 1 du Protocole no 1
lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit
interne doit être interprété et appliqué et que la question
du respect par lui des prescriptions légales appelle une
décision de justice (voir, par exemple, Kopecký, précité,
§§ 50 et 58, et Milainovic c. Croatie (déc.), no 26659/08, 1er juillet 2010, Radomilja et autres c.
Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, S., V. et A. c.
Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 148, 22 octobre 2018, et Molla
Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018). 199.
Dans la présente affaire, la Cour note que la loi no 4969 du 31
juillet 2003, qui, en son article 2 provisoire, a servi de
fondement à lordonnance de mesures conservatoires et les
autres lois applicables en lespèce, qui ont servi à
motiver le maintien de ces mesures, sont entrées en vigueur
après la date de transfert de la gestion et du contrôle de
Imarbank. Cela dit, une éventuelle application de larticle
additionnel 1 de lancienne loi no 4389, telle que modifiée
par la loi no 5020 du 26 décembre 2003, et de larticle 135
de la loi no 5411 du 19 octobre 2005 au cas des requérants naurait
pas constitué per se une violation de larticle 1 du
Protocole no 1, car cette dernière disposition ninterdit
pas, en tant que telle, lapplication rétroactive dune
loi en matière civile (voir, mutatis mutandis, M.A. et autres c.
Finlande (déc.), no 27793/95, 10 juin 2003, et Di Belmonte c. Italie (no
2) (déc.), no 72665/01, 3 juin 2004). 200.
En loccurrence, aux yeux de la Cour, se posent plutôt la
question de savoir si les lois qui ont servi de fondement aux
mesures conservatoires étaient suffisamment accessibles,
précises et prévisibles, et celle de savoir si les requérants,
qui ont tous bénéficié dune décision de non-lieu le 21
janvier 2004 soit quelques mois après le déclenchement
de laffaire et qui nont jamais été
condamnés par les juridictions internes dans le cadre de cette
affaire, pouvaient ou devaient sattendre à une application
automatique de ces mesures tout au long de la procédure. Il
convient ainsi de déterminer, à la lumière de larticle
135 de la loi no 5411 selon lequel les tribunaux internes
doivent désigner les responsables des pertes financières, qui
seront alors tenus de rembourser au FADE les sommes que ce
dernier a dû verser aux clients de la banque dans le cadre de lassurance
sur les dépôts dépargne , si et dans quelle mesure,
après ladoption de la décision de non-lieu (pour tous les
requérants) et celle des décisions dacquittement (pour
les requérantes Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru), les
requérants pouvaient être tenues responsables du préjudice
matériel subi par le FADE. La Cour est davis quune
réponse affirmative ne semble pas être évidente. 201.
En tout état de cause, la Cour note quil était loisible
aux tribunaux, en vertu des lois en question, de décider le
maintien des mesures conservatoires tant que toutes les sommes
réclamées par le FADE navaient pas été recouvrées, et
ce dans un contexte marqué par une incertitude quant à lissue
de la procédure pénale visant les responsables présumés des
pertes financières étant donné labsence de ces personnes.
Pour les raisons énoncées ci-après, elle ne juge pas
nécessaire dexaminer plus avant le point de savoir si un
pouvoir discrétionnaire aussi vaste réponde au critère de
légalité. c)
Sur le but légitime de lingérence 202.
La Cour note quil nest pas controversé entre les
parties que les mesures litigieuses répondaient à un intérêt
général, qui était dempêcher lusage de biens
susceptibles davoir été acquis avec des fonds provenant dactivités
criminelles. La question qui se pose est celle de savoir si, dans
les circonstances concrètes de laffaire, lapplication
des lois en question et la durée excessive et incertaine des
mesures conservatoires ont imposé aux requérants des charges
excessives. d)
Sur la proportionnalité de lingérence 203.
Quant à la proportionnalité des mesures en cause, la Cour
rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige pour toute
ingérence un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé (Jahn et autres c. Allemagne [GC],
nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 83-95, CEDH 2005-VI). Ce juste
équilibre est rompu si la personne concernée doit supporter une
charge excessive et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. Suède,
23 septembre 1982, §§ 69-74, série A no 52, Maggio et autres c.
Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 57, 31 mai 2011, et G.I.E.M. S.R.L. et
autres c. Italie (fond) [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 300, 28 juin 2018). 204.
En lespèce, la Cour dit tout dabord reconnaître limportance
et la complexité de laffaire Imarbank pour les autorités
financières, administratives et judiciaires turques, ainsi que
la nécessité de prendre des mesures afin de protéger les
droits dun large nombre dindividus affectés par la
situation, de minorer les pertes éventuelles et de prévenir
tout acte frauduleux, de recouvrer les fonds publics et de
trouver les responsables présumés des pertes financières.
Destinées à empêcher les transferts frauduleux de fonds
publics, les mesures conservatoires peuvent constituer une arme
efficace et nécessaire pour combattre des actes frauduleux dans
le milieu financier (voir, mutatis mutandis, Raimondo c. Italie,
22 février 1994, § 30, série A no 281-A, et Arcuri c. Italie (déc.),
no 52024/99, CEDH 2001-VII). Dans ce contexte, la Cour
constate que limposition des mesures provisoires par la 2e
chambre du tribunal de police de Sisli, le 14 août 2003, ne va
pas en soi à lencontre du principe de proportionnalité.
Elle constate en même temps que les mesures conservatoires et
les saisies des biens appartenant aux requérants, que ces
derniers soient parties ou non aux procédures, sont, par nature,
des mesures sévères et restrictives. Pareilles mesures et
saisies sont susceptibles daffecter les droits dun
propriétaire à un point tel que son activité principale, voire
ses conditions de vie, peuvent être compromises (voir, mutatis
mutandis, JGK Statyba Ltd et Guselnikovas c. Lituanie, no 3330/12, § 129, 5 novembre 2013, Markass Car Hire
Ltd c. Chypre, no 51591/99, § 39, 2 juillet 2002, et Vendittelli c.
Italie, 18 juillet 1994, § 35, série A no 293-A). 205.
La Cour admet que lordonnance de mesures provisoires, en
tant que telle, peut être justifiée par « lintérêt
général » si elle vise à prévenir les actes frauduleux afin
de garantir la satisfaction du créancier. Toutefois, compte tenu
du caractère restrictif des mesures préventives, il faut mettre
fin à ces dernières dès lors quelles se révèlent ne
plus être nécessaires (voir, mutatis mutandis, Raimondo,
précité, § 36, et Vendittelli, précité, § 40) : en effet,
plus les mesures provisoires restent en vigueur, plus limpact
sur la jouissance paisible du bien par le propriétaire est
important (JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 130). 206.
En loccurrence, la Cour constate que le problème de la
proportionnalité des mesures provisoires se pose plutôt à
partir de la date à laquelle les requérants ont bénéficié de
la décision de non-lieu du 21 janvier 2004. 207.
Elle estime quen lespèce la violation alléguée du
droit de propriété des requérants est étroitement liée,
entre autres, à la durée de la procédure et en est une
conséquence indirecte (voir, mutatis mutandis, Kunic c. Croatie,
no 22344/02, § 67, 11 janvier 2007, et JGK Statyba
Ltd et Guselnikovas, précité, § 131). Il y a lieu de souligner
que les mesures conservatoires litigieuses sont restées en
vigueur au moins près de dix ans dans le cas de chacun des
requérants. 208.
Plus précisément, dans le cas des requérants Jasmin Paris Uzan
et Renç Emre Uzan, la Cour remarque que les mesures
conservatoires ont été levées le 5 mai 2015. 209.
En ce qui concerne la requérante Ayla Uzan-Ashaboglu, la Cour
note que le Gouvernement et lintéressée saccordent
pour dire que les mesures prises à encontre de celle-ci sont
toujours en vigueur. 210.
Elle note que, pour la requérante Nimet Hülya Talu, ces mesures
ont été levées le 16 avril 2013, alors que celle-ci a été
acquittée 13 mars 2008, par la cour dassises, des chefs de
gestion dopérations bancaires frauduleuse et de
non-communication des documents et renseignements requis par les
autorités judiciaires. 211.
Enfin, sagissant de la requérante Bilge Dogru, il convient
dobserver que, alors que le Gouvernement a informé la Cour
de la levée, le 4 novembre 2013, des mesures conservatoires
imposées à ladite requérante, le représentant de cette
dernière a fourni des documents démontrant que les mesures
visant le patrimoine de sa cliente pourtant acquittée le
8 juillet 2008, par la cour dassises, des chefs de gestion
dopérations bancaires frauduleuse et de non-communication
des documents et renseignements requis par les autorités
judiciaires étaient maintenues, du moins partiellement. 212.
En évaluant la gravité de la charge imposée aux requérants,
la Cour juge également pertinents les éléments suivants.
La durée de la validité des restrictions en cause, qui se sont
poursuivies sur plus de douze ans pour les requérants Jasmin
Paris Uzan et Renç Emre Uzan, sur près de dix ans pour la
requérante Nimet Hülya Talu, et sur plus de quinze ans pour les
requérantes Bilge Dogru et Ayla Uzan-Ashaboglu (voir, par
exemple, les affaires Sporrong et Lönnroth, précité, § 72,
et JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 143, où les
restrictions à la pleine jouissance du droit de propriété ont
duré respectivement douze ans et plus de dix ans ; voir aussi Zelenchuk
et Tsytsyura c. Ukraine, nos 846/16 et 1075/16, § 144, 22 mai 2018).
Létendue des restrictions en question, en ce quelles
privent les requérants Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan de
la possibilité dacquérir toutes sortes de biens, et en ce
quelles empêchent la requérante Nimet Hülya Talu de
disposer de son salaire de professeur à luniversité et de
son véhicule, la requérante Bilge Dogru de ses économies et
également de sa voiture, et la requérante Ayla Uzan-Ashaboglu
de son domicile et aussi de son véhicule.
Le caractère automatique, généralisé et inflexible des
restrictions en cause, qui ne font pas lobjet dun
contrôle régulier individuel (comparer, mutatis mutandis, avec
Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 54, CEDH 1999-V, § 54, où la Cour a
conclu à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 en
partie car aucun tribunal nétait compétent pour statuer
sur les conséquences pouvant découler du retard dans lexécution
des ordonnances dexpulsion dans laffaire dun
propriétaire donné, Spadea et Scalabrino c. Italie, no 12868/87, §§ 37-40, 28 septembre 1995, et P.
Plaisier BV et autres c. Pays-Bas (déc.), nos 46184/16, 47789/16 et 19958/17, § 91, 14 novembre 2017, où une
évaluation individualisée de la gravité de la charge imposée
à la requérante par les juridictions nationales na pas
été exclue). À cet égard, il convient de constater que les
requérants de la présente espèce nont jamais été
condamnés par les juridictions internes dans le cadre de laffaire
pénale, et que les ordres de paiement émis à leur encontre ont
été annulés par les tribunaux compétents. Ces derniers ont
ainsi établi que les intéressés ne pouvaient être tenus pour
responsables du préjudice matériel subi par le FADE.
Labsence, dans le dossier, déléments qui
laisseraient à penser que les requérants pouvaient avoir été
impliqués dans une quelconque fraude. À cet égard, il importe
de relever que les intéressés ont tous bénéficié dune
décision de non-lieu le 21 janvier 2004, approuvée par la cour
dassises de Beyoglu le 10 mai 2004, et quils nétaient
pas visés par la procédure pénale principale. Pour autant, les
autorités internes nont envisagé de mesures alternatives
que très tardivement, voire jamais. Dans le cas des requérantes
Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru, il y a lieu de noter que
celles-ci ont bénéficié de décisions dacquittement, le
13 mars 2008 et le 8 juillet 2008 respectivement, mais quune
partie importante des mesures imposées sur leurs biens a
continué à être en vigueur et ce alors quaucune
autre procédure pénale dirigée contre les intéressées nétait
pendante , et que les arriérés de salaire sur dix ans de
la première de ces requérantes nont été versés quen
2013. De même, en ce qui concerne la requérante Ayla
Uzan-Ashaboglu, il ne ressort pas du dossier que cette dernière,
qui a pourtant bénéficié de décisions de justice rendues en
sa faveur, sest vu appliquer une quelconque mesure
alternative. Toujours
est-il quaucun élément du dossier nindique que le
recouvrement des créances publiques, dont le montant sélevait
à plus de 4 milliards EUR, méritait une meilleure protection
que les biens des requérants (voir, mutatis mutandis, JGK
Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 120, et Lachikhina c.
Russie, no 38783/07, § 63, 10 octobre 2017). 213.
Par ailleurs, la Cour constate que lattribution par la cour
dassises dIstanbul à certains des requérants d«
une qualité autre que celle de parties au procès » a empêché
et empêche toujours les intéressés de participer à la
procédure pénale principale, à laquelle est pourtant attaché
le sort de leurs droits. Or ni les juridictions internes, dans
leurs décisions, ni le Gouvernement, dans ses observations, nont
expliqué quel était le fondement de loctroi de cette
qualité auxdits requérants. 214.
En outre, la Cour estime quil convient de ne pas négliger
limportance des obligations procédurales au titre de larticle
1 du Protocole no 1. Ainsi, elle a maintes fois relevé que,
nonobstant le silence de larticle 1 du Protocole no 1 en
matière dexigences procédurales, une procédure
judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi
offrir à la personne concernée une occasion adéquate dexposer
sa cause aux autorités compétentes afin de contester
effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis
par cette disposition (Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96, CEDH 2002-VII, Capital Bank AD c.
Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005-XII (extraits),
Anheuser-Busch Inc., précité, § 83, J.A. Pye (Oxford) Ltd et
J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 57, CEDH 2007-III, Zafranas c. Grèce,
no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011, et Giavi c. Grèce,
no 25816/09, § 44, 3 octobre 2013 ; voir également,
mutatis mutandis, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 123, 20 juin 2002, et Grande Stevens et
autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 188, 4 mars 2014). Une
ingérence dans les droits prévus par larticle 1 du
Protocole no 1 ne peut ainsi avoir de légitimité en labsence
dun débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes, qui permette de discuter des aspects présentant de limportance
pour lissue de la cause. Pour sassurer du respect de
cette condition, il y a lieu de considérer les procédures
applicables dun point de vue général (voir, parmi dautres,
AGOSI c. Royaume-Uni, no 9118/80, § 55, 24 octobre 1986, Hentrich c.
France, § 49, 22 septembre 1994, série A no 296-A, Jokela c.
Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV, Gáll c. Hongrie, no
49570/11, § 63, 25 juin 2013, Sociedad Anónima
del Ucieza c. Espagne, no 38963/08, § 74, 4 novembre 2014, et G.I.E.M. S.R.L.
et autres, précité, § 302). 215.
Dans la présente affaire, la Cour estime que limposition
et le maintien automatique des mesures conservatoires sur les
biens des requérants en application des lois susmentionnées,
justifiés, dans le cas des uns, par le seul fait de lexistence
dun lien de parenté avec les dirigeants de la banque et,
dans le cas des autres, par le seul fait de lexercice, à
un moment donné, de responsabilités au sein de la banque
et ce en dépit du prononcé de décisions de non-lieu et dacquittement
pour tous les chefs daccusation , saccordent
mal avec ces principes puisquils ne permettent pas au juge
dévaluer quels sont les instruments les plus adaptés aux
circonstances spécifiques de lespèce ni, plus
généralement, deffectuer une mise en balance entre le but
légitime sous-jacent et les droits des intéressés touchés par
ladite sanction. De plus, les requérants nayant pas été
parties à la procédure pénale principale, ils nont
bénéficié daucune des garanties procédurales visées au
paragraphe précédent (voir, mutatis mutandis, G.I.E.M. S.R.L.
et autres, précité, § 303). 216.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les
autorités turques nont pas ménagé un « juste équilibre
» entre les impératifs de lintérêt général et les
exigences de la protection des droits des requérants au respect
de leurs biens. Partant, il y a eu violation de larticle 1
du Protocole no1 à la Convention. LIMITATION DE L'UTILISATION
D'UN BIEN CULTUREL Petar
Matas c. Croatie du 4 octobre 2016, requête no 40581/12 Violation de l'article
1 du Protocole 1 : Restrictions excessives de lusage dun
atelier de réparation automobile dans lattente dune
évaluation pour le patrimoine culturel Cette mesure de
contrôle, fondée sur larticle 10 de la loi sur le
patrimoine culturel, était prévue par la loi et poursuivait le
but légitime consistant à protéger et à faire connaître les
racines historiques, culturelles et artistiques dune
région et de ses habitants. La Cour juge
cependant que cette atteinte aux droits de propriété de M.
Matas pour des raisons liées au patrimoine culturel ne satisfait
pas aux exigences en matière de protection du droit de
propriété qui découlent de la Convention européenne. Elle
souligne notamment ses réserves quant à deux aspects de la
conduite des autorités dans la cause de M. Matas. En premier lieu,
alors que deux mesures de protection préventive ont été
appliquées au bâtiment de M. Matas sur une période de six ans,
les autorités ne semblent avoir procédé pendant cet intervalle
à aucun mesurage ni aucune évaluation ou étude destinés à
déterminer la valeur du bien pour le patrimoine culturel. La
Cour ne peut accepter la justification donnée à une si longue
application des mesures de prévention, à savoir limpossibilité
où les autorités se seraient trouvées dobtenir auprès
du tribunal municipal de Split un extrait du cadastre concernant
le bâtiment en question. En effet, les données cadastrales sont
des informations publiques faciles à obtenir par le biais dInternet
et par dautres moyens. En second lieu,
la procédure menée par les autorités nationales dans la cause
de M. Matas a été entachée de plusieurs omissions dordre
procédural. Lorsquelles ont ordonné les mesures de
protection préventive en mars 2003 et en janvier 2007, les
autorités locales nont pas informé M. Matas de la
nécessité de prendre ces mesures ; elles nont pas non
plus transmis leurs décisions à lintéressé. Elles nont
donc pas tenu compte de son avis sur la question et de limpact
que ces mesures auraient sur ses droits de propriété. En outre, en
dépit des arguments clairs de M. Matas quant à limpact
des restrictions litigieuses sur ses projets commerciaux liés à
latelier, le tribunal administratif na pas cherché
à savoir si lapplication prolongée des mesures de
protection préventive avait eu un effet disproportionné sur les
droits de propriété du requérant. De surcroît, les omissions
du tribunal administratif nont pas été réparées par la
Cour constitutionnelle. Dès lors, la Cour conclut quil y a
eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. DÉCISION
D'IRRECEVABILITE DU 3 JUIN 2013 Fürst
von Thurn und Taxis c. Allemagne requête no 26367/10 EN MATIÈRE DE
PATRIMOINE CULTUREL Le refus de
lever les restrictions à lusage de biens hérités ayant
une valeur historique et culturelle se justifie par des raisons dintérêt
général L'affaire
concerne la plainte introduite par le prince Albert von Thurn und
Taxis au sujet de certaines restrictions à lusage dune
bibliothèque et darchives présentant une grande valeur
historique et culturelle, biens dont il a hérité et qui ont
appartenu à un fonds fiduciaire familial jusquen 1939. La Cour conclut
notamment que la préservation dun élément important du
patrimoine culturel peut justifier un contrôle de la part dune
autorité de lEtat, que le requérant ne sest pas vu
refuser lautorisation deffectuer certaines
transactions particulières à propos de ces biens et quil
nest en conséquence pas établi quil a été
totalement privé de la possibilité duser de ses biens de
manière raisonnable ; elle dit aussi quil ne se trouve pas
dans une situation comparable à celle dun propriétaire de
biens nayant jamais appartenu à un fonds fiduciaire
familial. Article 1 du
Protocole no 1 Etant donné
que la plainte du requérant porte seulement sur le refus opposé
par les tribunaux allemands, à la suite de sa demande formulée
en 2002, de lever les mesures prises en 1943, et non ladoption
même de ces mesures, la compétence de la Cour pour connaître
de cet aspect de la requête nest pas exclue ratione
temporis. La Cour
considère que les dispositions pertinentes de la loi sur la
dissolution des fonds fiduciaires familiaux, même si elles sont
rédigées en termes généraux, constituent une base légale
suffisante pour les mesures restrictives en cause. De plus, le
requérant ne conteste pas que lingérence dans ses droits
visait un but légitime, à savoir la protection du patrimoine
culturel allemand. Sagissant
de léquilibre devant être ménagé entre les exigences de
lintérêt général et la protection des droits du
requérant, la Cour note que ce dernier a acquis par voie de
succession la propriété de la bibliothèque et des archives
alors que ces biens faisaient déjà lobjet de restrictions,
puisquelles ont été imposées en 1943. Au moment de cette
acquisition, il ne pouvait donc ignorer lexistence des
restrictions en cause. Au sujet de la
première mesure le placement des biens sous le contrôle
des directeurs de la bibliothèque et des archives du Land de
Bavière la Cour considère que la protection dun
élément important du patrimoine culturel peut justifier de le
placer sous le contrôle dune autorité compétente de lEtat.
De plus, le requérant na nullement avancé que cette
autorité exerçait son pouvoir de contrôle de manière
disproportionnée. La deuxième
mesure lobligation pour le propriétaire dalors
et ses héritiers dobtenir lautorisation de lautorité
de contrôle avant de modifier, déplacer ou céder la
bibliothèque ou les archives la Cour observe que le
requérant na pas déclaré quil avait sollicité lautorisation
deffectuer une certaine transaction portant sur ses biens
et quelle lui avait été refusée. Dès lors, il nest
pas établi quil a été entièrement privé de la
possibilité de faire usage de ses biens de manière raisonnable.
De plus, les tribunaux allemands ayant examiné au fond sa
demande de levée des mesures, le requérant a pu contester en
justice la nécessité des restrictions. Quant à la
troisième mesure, à savoir lobligation pour le
propriétaire de conserver la bibliothèque et les archives « en
bon ordre », la Cour reconnaît que les frais dentretien
de tels biens sont considérables. Elle estime cependant que ces
frais sont également nécessaires pour préserver la valeur des
biens du requérant. Vu ces
considérations et eu égard à lample marge dappréciation
reconnue à lEtat dans le domaine du contrôle de lusage
des biens, la Cour considère que la décision de ne pas lever
les mesures de restriction na pas fait peser sur le
requérant une charge disproportionnée et excessive. Il ny
a dès lors aucune apparence de violation de larticle 1 du
Protocole no 1. Il sensuit que ce grief est manifestement
mal fondé et doit être rejeté. Article 14
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1 La Cour na
pas compétence ratione temporis pour rechercher si les
décisions émises en 1943, soit avant lentrée en vigueur
de la Convention, ont entraîné une discrimination envers les
propriétaires antérieurs des biens détenus par le requérant.
Pour ce qui est de la décision de ne pas lever les mesures,
adoptée par les tribunaux allemands après que le requérant les
eut saisis en 2002, la Cour prend note de la conclusion de ces
juridictions selon laquelle les circonstances sociales et
historiques relatives à lacquisition de biens ayant
appartenu à des fonds fiduciaires familiaux ne sauraient se
comparer avec les conditions dacquisition dautres
biens « civils ». Dans ces conditions, la Cour considère que
le requérant, en sa qualité de propriétaire de biens
auparavant acquis dans des conditions privilégiées et ayant
appartenu à un fonds fiduciaire familial, se trouve dans une
situation qui nest pas comparable à celle des
propriétaires de biens nayant jamais appartenu à un tel
fonds. Il sensuit quil ny a aucune apparence de
violation de larticle 14 combiné avec larticle 1 du
Protocole no 1. Dès lors, ce grief est lui aussi manifestement
mal fondé et doit être rejeté. ÉCHELONNEMENT DE LA
DETTE DE L'ÉTAT Décision
d'Irrecevabilité du 4 septembre 2012 Dumitru et autre C.
Roumanie Requête 57265/08 L'ETAT SOUMIS A
UNE CRISE ECONOMIQUE PEUT ECHELONNER LE PAIEMENT DE SES DETTES
DUES A SES FONCTIONNAIRES. 38. La
Cour rappelle que lexécution dun jugement ou dun
arrêt de justice fait partie intégrante du « procès »
au sens de larticle 6 (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997,
§ 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II). Linexécution
par un État contractant dune décision de justice rendue
contre lui peut constituer une violation du droit du justiciable
à un tribunal consacré par larticle 6 § 1 de la
Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH
2002-III). Elle peut, en outre, porter atteinte au droit du
justiciable au respect de ses biens, lorsque le jugement en sa
faveur fait naître une créance certaine qui doit être
qualifiée de « bien » au sens de larticle 1 du
Protocole no 1 (Bourdov, précité, § 40). 39. Une
autorité de lÉtat ne saurait prétexter un manque de
ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une
décision de justice. Sil est vrai quun retard dans lexécution
dune décision de justice peut se justifier dans des
circonstances particulières, ce retard ne saurait être tel que
la substance même du droit protégé par larticle 6 § 1
de la Convention sen trouverait affectée (voir, entre
autres, Hornsby précité, § 40; Jasiuniene c. Lituanie,
no 41510/98, § 27, 6 mars 2003 ; Qufaj Co. Sh.p.k.
c. Albanie, no 54268/00, § 38, 18 novembre 2004, et Beshiri
et autres c. Albanie, no 7352/03, § 60, 22 août 2006). 40. En
même temps, pour juger du respect de lexigence dexécution
dans un délai raisonnable, la Cour prend en compte la
complexité de la procédure, le comportement des parties, ainsi
que lobjet de la décision à exécuter (Raïlian c. Russie,
no 22000/03, § 31, 15 février 2007). Afin
de répondre à la question de savoir si larticle 6 a été
respecté, la Cour doit prendre en compte le comportement de
toutes les autorités nationales concernées, y compris celle du
législateur national (voir, mutatis mutandis, Young, James et
Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, §§ 48-49, série A
no 44). 41. Appelée
à se prononcer sur le respect de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention, la Cour a considéré que le législateur
devait jouir, dans la mise en uvre de ses politiques,
notamment sociales et économiques, dune grande latitude
pour se prononcer tant sur lexistence dun problème dintérêt
public appelant une réglementation que sur le choix des
modalités dapplication de cette dernière. La Cour
respecte la manière dont il conçoit les impératifs de lintérêt
général, sauf si son jugement se révèle manifestement
dépourvu de base raisonnable (Mellacher et autres c. Autriche,
19 décembre 1989, § 45, série A no 169). 42. En
outre, elle a jugé incompatible avec les exigences de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention un aménagement du paiement
de dettes établies par voie judiciaire, dès lors que lacte
daménagement navait pas qualité de « loi »
au sens de la jurisprudence de la Cour (SARL Amat-G et
Mébaghichvili c. Géorgie, no 2507/03, § 61, CEDH 2005-VIII)
ou que le mécanisme daménagement, bien que répondant à
la notion de « loi », avait été appliqué dune
manière défectueuse (Suljagic c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02,
§§ 56-57, 3 novembre 2009). 43. En
lespèce, la Cour observe quil nest pas
reproché au gouvernement défendeur davoir refusé dexécuter
des décisions de justice reconnaissant aux requérants des
droits de nature patrimoniale. Les intéressés ne prétendent
pas non plus que les dispositions légales adoptées en la
matière visaient à laisser sans aucun effet ces décisions
judiciaires. 44. Les
requérants se plaignent essentiellement de léchelonnement,
décidé par voie législative, de lexécution des
créances qui leur sont dues en vertu de décisions de justice. La
Cour est appelée à examiner si cet échelonnement, tel quappliqué
aux requérants, est compatible avec la Convention. 45. Elle
constate quentre 2008 et 2011, lÉtat roumain a
adopté plusieurs actes normatifs suspendant de jure lexécution
forcée de créances dues aux fonctionnaires en vertu de
décisions judiciaires et introduisant un système dexécution
de ces créances consistant en des versements par tranches
annuelles. La
première ordonnance du 11 juin 2008 (déclarée
inconstitutionnelle le 12 mai 2009), fut suivie de lOGU no 71/2009
fixant le règlement de ces créances en trois tranches annuelles,
de 2010 à 2012. En
2010, lOGU no 45/2010 prescrivit que le paiement des
sommes dues se ferait toujours par trois tranches annuelles, mais
entre 2012 et 2014. Enfin,
en décembre 2011, la loi no 230/2011 étala ce règlement
sur cinq ans, de 2012 jusquen 2016, avec des annuités
progressives, allant de 5 % lors de la première année à
35 % la dernière année (paragraphes 24-27 ci-dessus). 46. Le
Gouvernement justifie ces mesures par le fait quen 2008 le
pays sest trouvé confronté à une situation de
déséquilibre budgétaire important, susceptible de mettre en
péril la santé financière du pays. Selon lui, ce
déséquilibre résultait, entre autres, dun très grand
nombre de décisions judiciaires octroyant à certaines
catégories de fonctionnaires, par voie dinterprétation
des dispositions légales destinées à dautres catégories,
des droits de caractère patrimonial. En outre, la dégradation
de la situation financière du pays a continué au-delà de lannée
2008, dans un contexte de crise financière très sévère
touchant de nombreux pays, de sorte que le Gouvernement a dû
adapter aux réalités économiques le mécanisme déchelonnement
mis en place. 47. La
Cour rappelle quelle a déjà jugé que des mesures prises
afin de sauvegarder léquilibre budgétaire entre les
dépenses et les recettes publiques pouvaient être considérées
comme poursuivant un but dutilité publique (Mihaies et
Sentes c. Roumanie (déc.), no 44232/11 et 44605/11, 6 décembre
2011, ulcs c. Lettonie (déc.), no 42923/10, § 24, 6 décembre 2011,
et Panfile c. Roumanie (déc.), no 13902/11, § 21, 20 mars 2012). 48. En
lespèce, elle note quà partir de 2009, la Roumanie
a dû faire face à une grave crise économique et financière.
Les autorités nationales se trouvant en principe mieux placées
que le juge international pour déterminer ce qui est d« utilité
publique », la Cour est prête à admettre que, comme le
soutient le Gouvernement, les mesures contestées visaient un but
dutilité publique. 49. Pour
déterminer si lesdites mesures étaient proportionnées au but
poursuivi établir léquilibre budgétaire tout en
évitant la dégradation de la situation sociale la Cour estime
quil y a lieu de rechercher si, en lespèce, le
traitement réservé aux requérants a permis le maintien dun
équilibre entre les intérêts en cause. 50. Elle
note que les requérants disposaient de droits fermes et
intangibles en vertu de décisions de justice définitives
prononcées entre février et avril 2008. La Cour constate que,
bien que le mécanisme déchelonnement mis en place ait
subi de modifications, les autorités de lÉtat lont
respecté, en faisant preuve de diligence dans lexécution
des décisions de justice susmentionnées. Ainsi,
conformément au droit en vigueur (paragraphe 24 ci-dessus), les
requérants ont reçu dès octobre 2008 une première tranche
représentant 30 % du montant total des créances dues. En
septembre 2010, une somme supplémentaire égale à 25 % de
la deuxième tranche de 34 % du montant total leur a été
versée, alors même quen vertu de lOGU no 45/2010
du 19 mai 2010, la deuxième tranche aurait dû être payée
en 2012. Comme
lexigeait la loi, le montant des sommes versées était à
chaque fois indexé sur lindice des prix à la date du
versement. A
ce jour, les requérants ont reçu plus dun tiers de la
somme totale octroyée par les tribunaux, le restant de cette
somme devant être versé, selon la législation en vigueur, de
manière échelonnée, jusquen 2016. Rien dans le dossier nindique
que le Gouvernement nait pas lintention de respecter
ce calendrier. 51. Compte
tenu de ce quune partie substantielle des créances dues
aux requérants leur a déjà été versée, la Cour ne saurait
considérer que la substance même du droit des requérants sest
trouvée affectée. En
tout état de cause, au vu de lensemble des éléments ci-dessus
et du contexte particulier de la présente affaire, la Cour
considère que laménagement du règlement des créances
dues aux requérants ne saurait être considéré comme
déraisonnable. 52. Partant,
la Cour estime que la requête est manifestement mal fondée et
quelle doit être rejetée, en application de larticle
35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Par
ces motifs, la Cour, à lunanimité, Déclare la requête
irrecevable. Le Décret n° 2015-1572 du
2 décembre 2015 est relatif à l'établissement d'une servitude
d'utilité publique en tréfonds. L'INTERDICTION
D'EXPORTER DES OEUVRES D'ART CONSEIL
CONSTITUTIONNEL : Décision n° 2014-426 QPC du 14 novembre 2014 Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 8 septembre 2014 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Alain L. Cette question était relative à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
2 de la loi du 23 juin 1941 relative à l'exportation des
uvres d'art. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL, Vu la
Constitution ; 1. Considérant
qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative
à l'exportation des uvres d'art : « L'État a le droit de
retenir, soit pour son compte, soit pour le compte d'un
département, d'une commune ou d'un établissement public, au
prix fixé par l'exportateur, les objets proposés à l'exportation.
LES SERVITUDES
SUR LES CHALETS D'ALPAGE Conseil
Constitutionnel Décision n° 2016-540 QPC du 10 mai 2016 Société
civile Groupement foncier rural Namin et Co [Servitude
administrative grevant l'usage des chalets d'alpage et des
bâtiments d'estive] Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil
d'État (décision n° 394839 du 10 février 2016), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée pour la
société civile Groupement foncier rural Namin et Co, par la
SELARL Redlink, avocat au barreau de Paris. Cette question est
relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme, enregistrée au secrétariat
général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-540 QPC. Au vu des
textes suivants : 1. La société
requérante a saisi le tribunal administratif d'un recours. Ce
recours tend, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir
de la décision du 6 mars 2015 par laquelle le maire de la
commune des Fourgs a rejeté sa demande tendant à l'abrogation
de l'arrêté du 5 mars 2004 instituant, sur la parcelle
cadastrée ZE 27 dont elle est propriétaire dans cette commune,
la servitude prévue au paragraphe I de l'article L. 145-3 du
code de l'urbanisme. Ce recours tend, d'autre part, à l'abrogation
de cet arrêté du 5 mars 2004. La question prioritaire de
constitutionnalité devant être considérée comme portant sur
les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle
a été posée, le Conseil constitutionnel est saisi du second
alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003
mentionnée ci-dessus. 2. Le second
alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003 dispose
: « Lorsque des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive,
existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et
réseaux, ou lorsqu'ils sont desservis par des voies qui ne sont
pas utilisables en période hivernale, l'autorité compétente
peut subordonner la réalisation des travaux faisant l'objet d'un
permis de construire ou d'une déclaration de travaux à l'institution
d'une servitude administrative, publiée au bureau des
hypothèques, interdisant l'utilisation du bâtiment en période
hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l'absence de
réseaux. Lorsque le terrain n'est pas desservi par une voie
carrossable, la servitude rappelle l'interdiction de circulation
des véhicules à moteur édictée par l'article L. 362-1 du code
de l'environnement ». 3. La société
requérante soutient qu'en permettant à l'autorité
administrative d'instituer une servitude interdisant l'usage des
chalets d'alpage et des bâtiments d'estive en période hivernale
sans prévoir une indemnisation du propriétaire, les
dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article
17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette servitude, qui ne serait ni justifiée par un motif d'intérêt
général ni proportionnée à l'objectif poursuivi et dont l'institution
ne serait entourée d'aucune garantie procédurale,
méconnaîtrait également les exigences de l'article 2 de la
Déclaration de 1789. Il en résulterait enfin une atteinte au
principe d'égalité devant les charges publiques et à la
liberté d'aller et de venir. - SUR L'ATTEINTE
AU DROIT DE PROPRIÉTÉ : 4. La
propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par
les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son
article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et
sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment,
et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En
l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet
article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration
de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées
à l'objectif poursuivi. 5. Les
dispositions contestées permettent à l'autorité administrative
de subordonner la délivrance d'un permis de construire ou l'absence
d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution d'une
servitude interdisant ou limitant l'usage, en période hivernale,
des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par
des voies et réseaux. 6. D'une part,
la servitude instituée en vertu des dispositions contestées n'entraîne
pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la
Déclaration de 1789 mais une limitation à l'exercice du droit
de propriété. 7. D'autre part,
en permettant d'instituer une telle servitude, le législateur a
voulu éviter que l'autorisation de réaliser des travaux sur des
chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive ait pour conséquence
de faire peser de nouvelles obligations de desserte de ces
bâtiments par les voies et réseaux. Il a également voulu
garantir la sécurité des personnes en période hivernale. Ainsi
le législateur a poursuivi un motif d'intérêt général. 8. Le champ d'application
des dispositions contestées est circonscrit aux seuls chalets d'alpage
et bâtiments d'estive conçus à usage saisonnier et qui, soit
ne sont pas desservis par des voies et réseaux, soit sont
desservis par des voies et réseaux non utilisables en période
hivernale. La servitude qu'elles prévoient ne peut être
instituée qu'à l'occasion de la réalisation de travaux
exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux.
Elle s'applique uniquement pendant la période hivernale et ne
peut excéder ce qui est nécessaire compte tenu de l'absence de
voie ou de réseau. 9. La décision
d'établissement de la servitude, qui est subordonnée à la
réalisation, par le propriétaire, de travaux exigeant un permis
de construire ou une déclaration de travaux, est placée sous le
contrôle du juge administratif. Le propriétaire du bien objet
de la servitude dispose de la faculté, au regard des changements
de circonstances, d'en demander l'abrogation à l'autorité
administrative à tout moment. 10. Il résulte
des motifs exposés aux paragraphes 7 à 9 que les dispositions
contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte
disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la
méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit
donc être écarté. - SUR LES
AUTRES GRIEFS : 11. Le seul
fait de permettre dans ces conditions l'institution d'une
servitude ne crée aucune rupture caractérisée de l'égalité
devant les charges publiques. Les dispositions contestées, qui
se bornent à apporter des restrictions à l'usage d'un chalet d'alpage
ou d'un bâtiment d'estive, ne portent aucune atteinte à la
liberté d'aller et de venir. 12. De l'ensemble
de ces motifs, il résulte que les dispositions du second alinéa
du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans
sa rédaction issue de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003
urbanisme et habitat, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL DÉCIDE : Jugé par le
Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 mai 2016 où
siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques
HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et
M. Michel PINAULT. RÈGLES DE CRÉDIT POUR
PROTÉGER LE CONSOMMATEUR Merkantil Car Zrt. c. Hongrie du 20 décembre
2018 requête n° 22853/15 et quatre autres Article
1 du Protocole 1 : La CEDH rejette les griefs tirés par des
banques hongroises dune loi de 2014 sur les clauses
abusives dans les prêts à la consommation Dans
cette affaire, les cinq sociétés requérantes, toutes membres
du groupe OTP Bank, soutenaient quune législation
présumant abusives certaines clauses types de contrats de prêt
avait violé leur droit à un procès équitable et au respect de
leurs biens. La Cour a joint les requêtes et les a déclarées
irrecevables pour défaut manifeste de fondement. Elle a jugé en
particulier que les stricts délais procéduraux et les autres
règles de forme appliqués dans les procédures au cours
desquelles les banques contestaient la présomption dabus
frappant certaines clauses types de contrats de prêt navaient
pas violé le droit à un procès équitable. Les sociétés
requérantes navaient pas été empêchées de plaider en
faveur de leurs clauses contractuelles et ce nest pas parce
que leurs arguments avaient été rejetés que la procédure
avait été inéquitable. La Cour a observé que la loi de 2014
sur luniformité avait introduit une réforme législative
visant à aider la Hongrie à résoudre un problème dendettement
des consommateurs, en particulier les prêts libellés en devises
étrangères, postérieurement à la crise financière de 2008.
La législation navait donc pas rompu léquilibre
entre la protection des droits des sociétés requérantes et lintérêt
général. LES
FAITS Les
requérantes, Merkantil Car Zrt, Merkantil Bank Zrt, OTP
Jelzálogbank Zrt, OTP Bank Nyrt et OTP Ingatlanlízing Zrt, sont
des sociétés financières basées à Budapest. Elles sont
membres du groupe OTP Bank. En Hongrie, plusieurs lois furent
adoptées après la crise financière de 2008 afin de faire face
au niveau dendettement élevé des consommateurs dans le
pays. En 2014, le Parlement adopta la loi sur luniformité
qui transposa dans la législation différentes décisions de la
Kúria (Cour suprême) concernant le crédit à la consommation.
Elle introduisit également une présomption selon laquelle les
clauses contractuelles types qui navaient pas été
négociées individuellement et qui permettaient une augmentation
unilatérale des taux dintérêt, des frais et des coûts
étaient présumées abusives à moins de respecter sept
principes auparavant établis par la Kúria. En vertu de la loi
sur luniformité, la présomption dabus pouvait être
renversée devant un tribunal. Les sociétés requérantes
engagèrent des actions à cette fin. Elles arguèrent dans le
même temps quen introduisant de nouvelles dispositions
rétroactives, la loi sur luniformité avait porté
atteinte à leurs droits. Les juridictions internes jugèrent que
lune au moins des clauses contractuelles ne respectait pas
les sept principes établis. Elles se référèrent à une
décision de la Cour constitutionnelle de novembre 2014 qui avait
approuvé la nouvelle législation. La Cour constitutionnelle
avait conclu que la loi avait précisé des exigences générales
déquité qui existaient déjà et ne pouvaient être
considérées comme de nouvelles dispositions rétroactives. Elle
confirma également les restrictions procédurales contenues dans
la loi, dont des délais plus courts, et se déclara favorable à
lobjectif que poursuivait la loi de rationaliser le
processus judiciaire, compte tenu du contentieux potentiellement
important concernant des prêts litigieux. Article
6 Joignant
les requêtes en raison de leur similarité, la Cour observe que
le grief des requérantes est double. Elles soutiennent,
premièrement, que les strictes règles de forme étaient
contraires au principe de légalité des armes et,
deuxièmement, que la présomption dabus était
irréfragable en pratique et a eu une incidence sur lissue
de procédures en cours entamées par des emprunteurs. La Cour
juge que les règles de forme sappliquaient à toutes les
parties, pas seulement aux sociétés requérantes. Elle na
aucun doute non plus quun traitement accéléré et
simplifié de ces litiges, du fait duquel les sociétés
requérantes ont par exemple dû présenter un seul exposé de
leurs prétentions pour toutes les clauses contractuelles types
quelles voulaient faire contrôler, poursuivait le but
légitime de la protection du consommateur et de la bonne
administration de la justice. Rien nindique que les
sociétés requérantes naient pas été en mesure de
respecter les délais, ce quelles étaient dailleurs
censées faire puisquelles avaient elles-mêmes entamé les
procédures. La Cour note que les arguments des sociétés
requérantes sur la seconde question sont similaires à ceux
avancés dans laffaire Bárdi et Vidovics c. Hongrie, quelle
avait jugée manifestement mal fondée en décembre 2007 et qui
concernait les conséquences de la loi sur luniformité sur
les variations de taux dans les prêts libellés en devises
étrangères. La Cour
observe que les sociétés requérantes nont pas
précisément indiqué quels litiges en cours étaient touchés
par la loi de 2014. En tout état de cause, la législation a
été mise en uvre dans le but non pas de faire en sorte
que lissue des procédures soit favorable à lÉtat
un motif de violation dans des affaires antérieures
, mais de protéger le consommateur et lintérêt
général. Il devait également être clair depuis un certain
temps aux yeux des sociétés requérantes que les clauses
contractuelles types en question pouvaient être considérées
comme abusives au regard de la directive de lUnion
européenne 1993 sur les clauses abusives, applicable en Hongrie
depuis 2004. La Cour rejette la thèse des sociétés
requérantes selon laquelle la présomption dabus était
irréfragable. Si cette présomption jouait certes en faveur du
consommateur, les sociétés ont eu la possibilité de présenter
leurs arguments et rien nindique que le critère de preuve
fût excessivement strict. Les juridictions internes nont
pas agi de manière arbitraire et le fait que les arguments des
sociétés requérantes ont été rejetés nemporte pas en
lui-même violation des principes du procès équitable ou de légalité
des armes. La Cour conclut que ni la législation ni ses
conséquences sur les droits et obligations à caractère civil
des sociétés requérantes ne font apparaître une violation de
la Convention. Le grief de violation de larticle 6 doit
donc être rejeté pour défaut manifeste de fondement. Article
1 du Protocole n° 1 La Cour
recherche si un juste équilibre a été ménagé entre lintérêt
général et la nécessité de protéger les droits des
sociétés, relevant que les États jouissent dune marge dappréciation
étendue lorsquil sagit de réglementer le secteur
bancaire et de réagir à une crise financière. Les sociétés
requérantes soutiennent que la loi de 2014 a rétroactivement
qualifié dabusives les clauses contractuelles et que le
groupe OTP Bank a dû rembourser 142 000 000 000 HUF à des
consommateurs. Selon elles, les mesures dénoncées nont
pas tenu compte des avantages offerts aux clients grâce aux
prêts libellés en devises étrangères ni quune autre loi
avait déjà offert une solution favorable au consommateur. Les
sociétés requérantes ajoutent que la législation a pour but daider
les consommateurs ayant contracté des prêts libellés en
devises étrangères dont le montant des mensualités a augmenté
en raison de la crise. Or, selon elles, cette augmentation est
due aux fluctuations des devises étrangères et non à une
hausse unilatérale des taux dintérêt et des frais. La
Cour constate que les juridictions internes ont conclu que la
législation de 2014 avait codifié la jurisprudence antérieure
appliquant les lois en vigueur et navait pas introduit de
nouvelles dispositions. Si les sept principes navaient
été énoncés pour la première fois quen 2012 dans une
décision de la Kúria, toute clause contractuelle créant un
déséquilibre majeur dans les droits et obligations des parties
était déjà considérée comme abusive au regard de la
directive européenne. Il revient aux juridictions internes dinterpréter
et dappliquer la législation interne : la Cour
constitutionnelle a expliqué que, si les lois antérieures
permettaient des modifications unilatérales dans les clauses
contractuelles types, elles naccordaient pas aux
établissements financiers un droit inconditionnel et ceux-ci
demeuraient tenus par les conditions déquité et de bonne
foi. La Cour estime que la disposition de la loi sur luniformité
relative à la prescription nest pas incompatible avec larticle
1 du Protocole n o 1. Pour ce qui est de la proportionnalité, la
Cour note que les sociétés requérantes ont eu la possibilité
de chercher à réfuter la présomption légale dabus. De
plus, les actions intentées par des consommateurs contre les
sociétés étaient déjà en cours lorsquest entrée en
vigueur la nouvelle loi, et leur issue aurait très
vraisemblablement été la même que sous lempire de la loi
sur luniformité, si ce nest au bout dun délai
beaucoup plus long. Hormis les clauses litigieuses, les contrats
de prêt continuaient par ailleurs à produire leurs effets et
les prétentions des sociétés requérantes fondées sur ces
contrats nétaient pas éteintes La Cour
juge que, compte tenu de la marge dappréciation des États,
la loi sur luniformité na pas rompu léquilibre
entre lintérêt général et la protection des droits des
sociétés requérantes. Le grief formulé sur le terrain de larticle
1 du Protocole n o 1 doit donc lui aussi être rejeté pour
défaut manifeste de fondement. LA SAISIE D'UN BIEN PAR
UN CRÉANCIER DOIT
ÊTRE PROPORTIONNÉE ET LÉGALE MAZZOLI
C. ITALIE du 16 juin 2015 requête 20485/06 Pas
de violation, le requérant n'a pas démontré qu'il est tondu et
qu'il risque de subir une vie financièrement indigne. 60. Le
requérant dénonce la compensation intégrale de sa créance
comme étant particulièrement insupportable en raison de ses
difficultés économiques, son âge et son état de santé
délicat et précaire. Il maintient que les décisions
contestées sont en contradiction avec une décision rendue par
le juge administratif dans une affaire similaire lopposant
à lAdministration. Il dénonce de ce chef un conflit de
jurisprudence. 61. Le
Gouvernement considère tout dabord quen cas darriérés
de salaire, la limite de la saisie à un cinquième du montant
global nest pas applicable. La raison de cette limite
repose sur la nécessité de laisser au saisi le minimum vital,
ce qui nest pas le cas dans la présente affaire. En
deuxième lieu, le Gouvernement observe quil ne sagit
pas dun cas de compensation, au sens propre, mais dune
simple vérification comptable dite compensation « a-technique »,
tel quélaborée par une jurisprudence bien établie. À
cet égard, lorsque les positions respectives de crédit et de
débit trouvent leur origine dans le même rapport, il est admis
de procéder à une simple opération comptable jusquà
compensation. 62. La
Cour observe que larticle 1 du Protocole no 1 garantit en
substance le droit de propriété. Toute atteinte à ce droit
doit être conforme au principe de légalité et poursuivre un
but légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à
celui-ci (pour un rappel des principes pertinents voir, par
exemple, Metalco Bt. c. Hongrie, no 34976/05, § 16, 63. Une
mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit
ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (voir, parmi dautres,
Sporrong et Lönnroth c. Suède, 64. En
lespèce, le requérant sest vu reconnaître, par un
jugement du TAR du Frioul du 23 mars 2001, une créance pour
arriérés de salaire. Par la suite, la compensation intégrale
entre cette créance et sa dette envers lAdministration
militaire a été validée par les juges administratifs, en
dernier larrêt du Conseil dÉtat du 17 avril 2009.
Il y a donc eu une ingérence au droit de lintéressé au
respect de ses biens au regard de larticle 1 du Protocole no
1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002-III). 65. Les
juges internes ont fondé leur décision de compensation
intégrale sur une jurisprudence bien établie de la Cour de
cassation qui a développé une interprétation consolidée de larticle
1241 du code civil selon laquelle il existe une distinction entre
la compensation technique (à laquelle sapplique la limite
de saisie du cinquième des salaires et pensions aux sens de larticle
1246, alinéa 1, no3 du code civil) et celle dite a-technique. 66. Cette
interprétation a été validée par larrêt de la Cour
Constitutionnelle no 259/2006. Dans cet arrêt, la Cour
Constitutionnelle a statué quen cas de compensation « a-technique »
la limite de saisie du cinquième na pas à sappliquer. Les
critères pour ce type de compensation a-technique sont réunis
lorsque les positions de crédit de chaque partie trouvent leur
titre dans le même rapport. Dans ce cas, il est légitime de
procéder à un simple calcul comptable où les positions actives
et passives de chaque partie sont définies et effacées jusquà
compensation réciproque. 67. En
particulier, dans son arrêt, la Cour Constitutionnelle a
affirmé que, lorsque le crédit de lemployeur trouve sa
source dans un délit commis par le salarié, dans le cadre de
son activité professionnelle, contre lemployeur lui-même,
il est pleinement justifié de ne pas appliquer la limite du
cinquième. 68. En
lespèce, la Cour relève que lingérence dans le
droit garanti par larticle 1 du Protocole no 1 constituée
par la compensation intégrale était prévue par la loi et
faisait lobjet dune jurisprudence bien établie. 69. Quant
à lexigence dun rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi,
la Cour a reconnu que les États contractants jouissent dune
grande marge dappréciation tant pour choisir les moyens de
recouvrement des créances que pour juger si leurs conséquences
se trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le
souci datteindre lobjectif de la loi en cause. En
pareil cas, la Cour se fiera au jugement des autorités
nationales quant à lintérêt général, à moins quil
soit manifestement dépourvu de base raisonnable (Benet Czech,
spol. s r.o. 70. La
Cour note que la compensation litigieuse ne touche que la
créance pour arriérés de salaire reconnue par jugement du TAR
de Frioul. Les autres revenus du requérant, en particulier sa
pension, sont saisis dans la limite légale du cinquième en
application des dispositions du code civil. 71. La
Cour observe, en outre, que lingérence litigieuse ne
supprime pas les moyens dont le requérant nécessite pour
subvenir à ses besoins et à ses exigences vitales. Il ne
ressort pas des documents soumis à la Cour que le requérant nest
pas en mesure de maintenir un niveau de vie suffisamment adéquat
et digne, indépendamment du remboursement de sa dette envers lAdministration
(voir Laduna c. Slovaquie, no 31827/02, § 85, CEDH 2011). 72. Eu
égard aux informations en sa possession, et considérant la
marge dappréciation accordée aux États contractants dans
des affaires similaires, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas disproportionnée par rapport au but
poursuivi. 73. Il
ny a donc pas eu violation de larticle 1 du Protocole
no 1. MELO
TADEU c. PORTUGAL du 23 octobre 2014 requête 27785/10 Le
refus par l'administration fiscale, de main levée des parts de
société était illégal puisque la requérante a été relaxée
au pénal de l'accusation de gérante de fait. 70. La
requérante estime que la saisie par ladministration
fiscale de sa part sociale dans la société B. sanalyse en
une ingérence incompatible avec larticle 1 du Protocole no 1. 71. Le
Gouvernement conteste largument de la requérante. Il fait
valoir que la mesure en cause a été ordonnée dans le cadre de
la procédure dexécution fiscale. Il observe en outre quil
sest avéré que la part sociale en question navait
aucune valeur marchande et quelle navait donc pu
être vendue, la société B. ayant par la suite demandé à
être placée en situation de liquidation judiciaire. 72. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 contient
trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase
du même alinéa, vise la privation de propriété ; quant
à la troisième, contenue dans le second alinéa, elle reconnait
aux États le pouvoir de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général ou pour assurer le
paiement des impôts ou dautres contributions. Il ne sagit
pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La
deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers
datteintes au droit de propriété ; dès lors, elles
doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré
par la première (voir, parmi dautres, Broniowski c.
Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V ;
Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995,
§ 55, série A no 306-B). 73. La
Cour rappelle aussi que la notion de « biens »
prévue par la première partie de larticle 1 du Protocole
no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la
propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne :
certains autres droits et intérêts constituant des actifs
peuvent aussi être considérés comme des « droits de
propriété » et donc des « biens » au sens de
cette disposition. Ce qui importe, cest de rechercher si
les circonstances dune affaire donnée, considérées dans
leur ensemble, peuvent passer pour avoir rendu le requérant
titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole
no 1 (Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 62, CEDH 2010 c.
France [GC], § 62 ; Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC],
no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I ;
Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 214, CEDH 2004-XII ;
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I ;
Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II). 74. La
Cour a déjà considéré que des actions ayant une valeur
économique peuvent être considérées comme des biens (Olczak c.
Pologne (déc.), no 30417/96, § 60, CEDH 2002-X ;
Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 91, CEDH 2002-VII).
Ceci sapplique également aux parts sociales dans les
sociétés à responsabilité limitée, comme dans le cas despèce. 75. En
lespèce, la Cour note quest en cause la saisie par ladministration
fiscale dune part sociale que la requérante détenait dans
la société B., laquelle présentait une valeur officielle de 3 750 000
PTE (soit 18 704 EUR). Même si la part sociale en
question navait plus de valeur patrimoniale au moment de la
saisie, comme laffirme le Gouvernement, il convient de
rappeler quune violation de la Convention peut intervenir
même en labsence de préjudice, cette dernière question nentrant
en jeu le cas échéant que sur le terrain de larticle
41 (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 52, CEDH 2000-VII ;
Jorge Nina Jorge et autres c. Portugal, no 52662/99, § 39, 19 février
2004 ; et Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003).
La Cour en déduit que la part sociale en cause constituait dans
le chef de la requérante un « bien » aux fins de larticle
1 du Protocole no 1. 76. La
Cour rappelle que la saisie en question a été ordonnée par ladministration
fiscale dans le but de garantir le paiement dune dette
fiscale de la société V. Lacte dénoncé résulte donc de
lexercice de prérogatives conférées dans le cadre du
recouvrement de créances fiscales et de lapplication des
règles relatives aux procédures dexécution forcée. Le
grief doit donc être examiné sur le terrain du second alinéa
de larticle 1 du Protocole no 1, à savoir du droit reconnu
aux États de mettre en place un cadre légal pour réglementer lusage
des biens dans lintérêt général ou pour assurer le
paiement des impôts ou dautres contributions ou des
amendes. 77. La
Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1, une atteinte au droit dune personne au
respect de ses biens doit dabord respecter le principe de
la légalité et ne pas revêtir un caractère arbitraire (Iatridis
c. Grèce [GC], précité, § 58). Elle doit également ménager
un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth
c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52). 78. Ce
« juste équilibre » doit exister même lorsquest
concerné le droit quont les États de « mettre en
vigueur les lois quils jugent nécessaires pour (...)
assurer le paiement des impôts ou dautres contributions ».
En effet, comme le second alinéa doit sinterpréter à la
lumière du principe général énoncé au début de larticle
1 du Protocole no 1, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ;
en dautres termes, il incombe à la Cour de rechercher si léquilibre
a été maintenu entre les exigences de lintérêt
général et lintérêt des individus concernés (Gasus
Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, précité, § 60). 79. En
lespèce, ordonnée le 8 mars 2000 (voir ci-dessus
paragraphe 16), la saisie de la part sociale de la
requérante dans la société B. était prévue par le code de
procédure fiscale (voir partie droit interne, ci-dessus au
paragraphe 40) et visait au recouvrement dune dette fiscale
de la société V.,
Mais attendu que les questions posées ne présentent pas un
caractère sérieux, d'une part, en ce que le juge de l'expropriation
ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété
qu'au vu d'un arrêté portant déclaration d'utilité publique
et d'un arrêté de cessibilité exécutoires et donc après qu'une
utilité publique ait été légalement constatée et, d'autre
part, en ce que le juge doit seulement constater à ce stade, par
une ordonnance susceptible d'un pourvoi en cassation, la
régularité formelle de la procédure administrative
contradictoire qui précède son intervention
D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil
constitutionnel
PAR CES MOTIFS :
DIT N'Y AVOIR LIEU A RENVOYER au Conseil constitutionnel les
questions prioritaires de constitutionnalité
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 novembre 2011),
que par un jugement du 28 mai 2009, la juridiction de l'expropriation
du département de la Gironde a fixé l'indemnité devant revenir
aux consorts X..., par suite de l'expropriation au profit de la
communauté urbaine de Bordeaux (la CUB), d'immeubles leur
appartenant, en la calculant sur une valeur libre de toute
occupation ; que par un arrêté du 9 février 2010, le
président de la CUB a consigné le montant de l'indemnisation à
la caisse des dépôts et consignations, les consorts X... ayant
refusé de fournir leurs coordonnées bancaires et que la CUB a
assigné les consorts X... en expulsion, en application de l'article
L. 15-1 du code de l'expropriation
Attendu que pour faire droit à cette demande, l'arrêt retient,
par motifs propres, que l'article R. 14-10 du code de l'expropriation
prévoit qu'il ne peut être offert un local de relogement à un
propriétaire exproprié que si cette offre a été acceptée par
le propriétaire avant la fixation des indemnités
d'expropriation, afin de permettre au juge de l'expropriation de
tenir compte de ce relogement lors de la fixation de l'indemnité
d'expropriation ; qu'en l'espèce le débat sur l'indemnité d'expropriation
est clos sans que nul n'ait évoqué le problème du relogement,
si bien que l'indemnité a été calculée sur la valeur d'un
immeuble libre d'occupation, que les appelants ne peuvent donc
prétendre à un droit au relogement et, par motifs adoptés, que
si les consorts X... avaient fait une demande de relogement dans
des documents non versés aux débats de l'audience du 12 mars
2009 du juge de l'expropriation, il y avait été renoncé lors
de cette audience, faute d'information du juge sur cette demande,
qu'il avait été produit divers documents révélant que les
consorts X... avaient bien présenté une demande de relogement
après cette audience, que cependant cette demande était tardive
car elle était intervenue après la renonciation implicite lors
de la fixation des indemnités d'expropriation et que du fait de
diligences tardives, la cour d'appel n'avait pas pu prendre en
compte la demande de relogement dans la fixation des indemnités,
les consorts X... ayant été déchus de leur appel en raison du
dépôt de leur mémoire plus de deux mois après leur
déclaration d'appel
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que les
consorts X... bénéficiaient d'un droit au relogement et sans
relever que la CUB, qui en avait l'obligation, leur avait fait
deux propositions de relogement portant sur des locaux
satisfaisant aux normes visées à l'article L. 314-2 du code de
l'urbanisme avant la fixation définitive des indemnités d'expropriation,
la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une renonciation
claire et non équivoque des expropriés à leur droit au
relogement, a violé les textes susvisés
Mais attendu que les dispositions de l'article R. 13-49 du code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique s'appliquant
indifféremment à l'expropriant ou à l'exproprié selon que l'un
ou l'autre relève appel principal de la décision et l'obligation
de déposer les pièces visées dans le mémoire d'appel en même
temps que celui-ci étant justifiée par la brièveté du délai
imparti à l'intimé et au commissaire du gouvernement pour
déposer, à peine d'irrecevabilité, leurs écritures et leurs
pièces, la cour d'appel a fait une exacte application de cet
article, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits
garantis par l'article l'article 6, § 1er de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1
Attendu qu'ayant relevé que le principe de la construction de la
ligne à très haute tension qui devait survoler les parcelles
non bâties appartenant à M. X... et Mme Y... et exploitées par
la société de l'Avenir avait fait l'objet d'une déclaration d'utilité
publique du 25 juin 2010 et qu'un arrêté préfectoral de mise
en servitude avait été pris le 27 mars 2012, la cour d'appel,
qui a retenu à bon droit que les articles L. 323-3, L. 323-4 et
L. 325-5 du code de l'énergie se bornaient à organiser le
réseau de transport et de distribution d'électricité et
prévoyaient une juste indemnisation en contrepartie de la
servitude, ce dont il résultait que l'action de l'autorité
administrative, en application de ces textes, dont il n'appartient
pas à la Cour de cassation d'apprécier la constitutionnalité
au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 et qui ne sont pas contraires à l'article
1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme, n'emportait pas extinction
du droit de propriété appartenant aux propriétaires des
parcelles concernées et ne procédait pas d'un acte
manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont
dispose l'administration, en a exactement déduit, répondant aux
conclusions, que la société RTE n'avait pas commis de voie de
fait et que les juridictions judiciaires étaient incompétentes
pour connaître du litige
qui établissent de nouveaux titres de propriété
deviennent inattaquables et privent deffets les anciens
titres vise à garantir la sécurité des transactions
immobilières ; ce qui constitue indéniablement un but dintérêt
général dune importance considérable.
La Cour relève que les autorités savaient que M. Matas avait
acheté le bâtiment en question pour en faire un usage
commercial, et quà lépoque de cet achat rien nindiquait
que des mesures seraient appliquées à des fins de protection du
patrimoine culturel. De plus, bien que les mesures de protection
préventive naient pas privé M. Matas de son atelier,
elles ont entraîné un certain nombre de restrictions
importantes à lusage de sa propriété, notamment à la
possibilité den faire un usage commercial si bon lui
semblait.Décision n°
2014-426 QPC du 14 novembre 2014 - M. Alain L. [Droit de retenir
des oeuvres d'art proposées à l'exportation]
La loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation des uvres d'art
jusqu'à son abrogation par la loi du 31 décembre 1992. Son
article 2 instaure, au profit de l'État, le droit de retenir des
objets présentant un intérêt historique ou artistique dont l'autorisation
d'exportation a été refusée en application de l'article 1er de
la même loi. Ce droit peut être exercé pendant une période de
six mois suivant la demande tendant à obtenir cette autorisation
d'exporter sans que le propriétaire ne manifeste aucune
intention de les aliéner.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la possibilité pour l'État
de refuser l'autorisation d'exportation, qui fait obstacle à
toute sortie de ces biens du territoire national, assure la
réalisation de l'objectif de maintien sur le territoire national
des objets présentant un intérêt historique ou artistique. Il
en a déduit que la privation de propriété permise par les
dispositions contestées n'est pas nécessaire pour atteindre un
tel objectif. Dès lors, le Conseil a jugé qu'en prévoyant l'acquisition
forcée de ces biens par une personne publique, alors que leur
sortie du territoire national a déjà été refusée, le
législateur a instauré une privation de propriété sans fixer
les critères établissant une nécessité publique. Les
dispositions contestées méconnaissent donc les exigences de l'article
17 de la Déclaration de 1789.
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 de la loi
du 23 juin 1941 prend effet à compter de la date de la
publication de la décision du Conseil. Elle peut être invoquée
dans toutes les instances introduites à la date de la
publication de la présente décision et non jugées
définitivement à cette date.
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2595 du 23 juin 1941 relative à l'exportation des
uvres d'art ;
Vu la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits
soumis à certaines restrictions de circulation et à la
complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et
de douane ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires
de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Lionel
Levain, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 30 septembre
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre,
enregistrées le 30 septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Levain, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 4 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
« Ce droit pourra s'exercer pendant une période de six mois »
;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions
contestées, qui permettent à l'État de retenir certaines
uvres d'art au profit de collections publiques, portent
atteinte au droit de propriété ; qu'il fait notamment valoir
que ces dispositions ne prévoient pas une juste et préalable
indemnisation du propriétaire de l'uvre ainsi expropriée
;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La propriété
étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé,
si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste
et préalable indemnité » ; qu'afin de se conformer à ces
exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser qu'une
personne ne soit privée de sa propriété qu'en vertu d'une
nécessité publique légalement constatée ;
4. Considérant que la loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation
des uvres auxquelles elle était applicable jusqu'à son
abrogation par la loi du 31 décembre 1992 susvisée ; qu'elle
avait pour objet d'interdire la sortie du territoire, sans
contrôle, des objets présentant un intérêt national d'histoire
ou d'art ; qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 23 juin 1941,
l'exportation de tels objets requiert la délivrance d'une
autorisation du secrétaire d'État à l'Éducation nationale et
à la Jeunesse, qui doit se prononcer dans le délai d'un mois à
compter de la déclaration fournie à la douane par le
propriétaire qui entend exporter ces objets ; que ce régime d'autorisation
est applicable aux objets d'ameublement antérieurs à 1830, aux
uvres des peintres, graveurs, dessinateurs, sculpteurs et
décorateurs antérieures au 1er janvier 1900 ainsi qu'aux objets
provenant des fouilles pratiquées en France ou en Algérie ;
5. Considérant que les dispositions contestées de l'article 2
de la loi du 23 juin 1941 instaurent, au profit de l'État, le
droit de « retenir » les objets dont l'autorisation d'exportation
a été refusée en application de l'article 1er ; que ce droit
peut être exercé pendant une période de six mois suivant la
demande tendant à obtenir cette autorisation d'exporter sans que
le propriétaire ne manifeste aucune intention de les aliéner ;
que, par suite, cette appropriation par une personne publique de
biens mobiliers entraîne une privation du droit de propriété
au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;
6. Considérant que la possibilité de refuser l'autorisation d'exportation
assure la réalisation de l'objectif d'intérêt général de
maintien sur le territoire national des objets présentant un
intérêt national d'histoire ou d'art ; que la privation de
propriété permise par les dispositions contestées alors en
vigueur n'est pas nécessaire pour atteindre un tel objectif ; qu'en
prévoyant l'acquisition forcée de ces biens par une personne
publique, alors que leur sortie du territoire national a déjà
été refusée, le législateur a instauré une privation de
propriété sans fixer les critères établissant une nécessité
publique ; que, par suite, les dispositions contestées ne
répondent pas à un motif de nécessité publique ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la
privation du droit de propriété permise par les dispositions
contestées méconnaît les exigences de l'article 17 de la
Déclaration de 1789 ; que, par suite, l'article 2 de la loi du
23 juin 1941 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article
62 de la Constitution : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est
abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette
décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions
et limites dans lesquelles les effets que la disposition a
produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si,
en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit
bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la
Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la
Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la
date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de
prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article
2 de la loi du 23 juin 1941 prend effet à compter de la date de
la publication de la présente décision ; qu'elle peut être
invoquée dans toutes les instances introduites à la date de la
publication de la présente décision et non jugées
définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions de l'article 2 de la loi du 23
juin 1941 relative à l'exportation des uvres d'art sont
contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article
1er prend effet à compter de la publication de la présente
décision dans les conditions fixées par son considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7
novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13
novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président,
M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET,
MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC,
Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Ces dispositions permettent à l'autorité administrative de
subordonner la délivrance d'un permis de construire ou l'absence
d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution d'une
servitude restreignant l'usage, en période hivernale, des
chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par des
voies et réseaux.
La société requérante soutenait notamment que ces dispositions
portent atteinte au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions
contestées ont pour objectif de ne pas créer de nouvelles
obligations de desserte des bâtiments en cause par les voies et
réseaux et de garantir la sécurité des personnes en période
hivernale.
Compte tenu du caractère circonscrit du champ d'application des
dispositions contestées et des conditions dans lesquelles la
servitude peut être instituée, le Conseil constitutionnel a
jugé que les dispositions contestées ne portent pas une
atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conforme
à la Constitution le second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de
la loi n°2003-590 du 2 juillet 2003.
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant
le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par
la SELARL Redlink, enregistrées les 7 et 22 mars 2016 ;
les observations présentées pour la commune des Fourgs, partie
en défense, par Me Gregory Mollion, avocat au barreau de
Grenoble, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association
nationale des élus de la montagne, enregistrées le 29 février
2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association
France nature environnement, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alexandre Le Mière, avocat au barreau de
Paris, pour la société requérante, Me Mollion, pour la partie
en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 19 avril 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL s'est fondé sur ce qui suit :
Article 1er.- Le second alinéa du paragraphe I de l'article L.
145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat est
conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de
la République française et notifiée dans les conditions
prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
1er février 2011, avec dautres références).
23 septembre 1982, § 69, série A no 52). Le souci dassurer
un tel équilibre se reflète dans la structure de larticle
1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde
phrase, qui doit se lire à la lumière du principe consacré par
la première. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure appliquée par lÉtat, y compris
les mesures privant une personne de sa propriété (voir, parmi dautres,
Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre
1995, § 38, série A no 332 ; Ex-roi de Grèce et autres c.
Grèce [GC], no 25701/94, § 89-90, CEDH 2000-XII ;
Sporrong et Lönnroth, précité, § 73).
c. République Tchèque, no 31555/05, §§ 30 et 35, 21
octobre 2010).