DROIT DE NE PAS PARTICIPER A SA PROPRE INCRIMINATION

ARTICLE 6 DE LA CEDH

"La parole est d'argent, le silence est d'or !"
Frédéric Fabre docteur en droit.

ARTICLE 6§1 EN SES TERMES COMPATIBLES

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, ( ) par un tribunal ( ) qui décidera du bien-fondé de toute accusation pénale dirigée contre elle"

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- LE DROIT DE NE PAS COMMUNIQUER LES DOCUMENTS S'INCRIMINANT

- LE DROIT DE GARDER LE SILENCE

- LA PROVOCATION POLICIÈRE A COMMETTRE L'INFRACTION

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DROIT DE NE PAS COMMUNIQUER LES DOCUMENTS

De Legé c. Pays-Bas du 4 octobre 2022 requête no 58342/15

Art 6§1 en matière de fiscalité : La divulgation forcée de documents relatifs à des comptes bancaires étrangers n'a pas constitué un manquement au droit de ne pas s'incriminer soi-même

Non violation de l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire concerne des amendes fiscales infligées au requérant, un ressortissant néerlandais, faisant suite à son manquement à son obligation légale de fournir toutes les informations pertinentes aux fins du prélèvement de l'impôt, y compris des documents relatifs à un compte bancaire qu'il détenait au Luxembourg. Ces documents ayant finalement été obtenus de sa part sous la menace d'une importante astreinte, le requérant a allégué la violation du principe de non auto-incrimination, le principe nemo tenetur. La Cour estime que l'utilisation des relevés bancaires et des résumés de portefeuilles concernant le compte bancaire à l'étranger du requérant, qui avaient été obtenus de ce dernier par une ordonnance judiciaire, ne relève pas de la protection du principe de non auto-incrimination. La Cour conclut donc qu'il ne peut être dit que, du fait de l'utilisation de ces documents, M. de Legé a été privé d'un procès équitable.

FAITS

Le requérant, Levinus Adrianus de Legé, est un ressortissant néerlandais né en 1934 et vivant à El Campello (Espagne). Lui et son épouse ont résidé aux Pays-Bas jusqu'en 2000, date à laquelle ils se sont installés en Espagne. Dans le cadre d'une enquête sur les résidents néerlandais détenant des comptes bancaires à l'étranger, M. de Legé et son épouse ont été invités en 2007 à déclarer tous les comptes bancaires à l'étranger passés et/ou présents qu'ils détenaient après 1994, et à présenter des copies de tous les relevés bancaires du ou des comptes concernés pour la période 1995-2000. Ils ont refusé d'obtempérer, invoquant leur droit à ne pas s'incriminer eux-mêmes au titre de l'article 6 de la Convention européenne. L'inspecteur des impôts les a alors informés que, faute d'avoir fourni les informations et les documents demandés, des redressements fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu et/ou de l'impôt sur le capital seraient établis sur la base de chiffres estimatifs. En novembre 2007, l'inspecteur des impôts a écrit à M. de Legé pour lui dire qu'il apparaissait qu'un ou plusieurs comptes bancaires à son nom et à celui de son épouse étaient ou avaient été détenus auprès de la banque X à Luxembourg, et qu'il disposait de données sur les soldes de ce(s) compte(s) à différentes dates entre 1994 et 1996. Il lui a fait part de son intention de majorer le revenu imposable de M. de Legé pour l'année 1995 sur la base d'une estimation des rendements des placements et des taux d'intérêt obtenus auprès de l'office national des statistiques, et d'augmenter son capital au 1 er janvier 1996 en fonction de l'augmentation moyenne des soldes des comptes détenus par un grand nombre de titulaires de comptes auprès de la X Bank à Luxembourg entre 1994 et 1996. Il établirait ensuite les redressements fiscaux correspondants au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations aux régimes nationaux de sécurité sociale pour l'année 1995 et au titre de l'impôt sur le capital pour l'année 1996 et infligerait des amendes fiscales définies par la loi à hauteur de 100 % de ces redressements fiscaux pour avoir agi volontairement en violation de la loi générale sur les impôts d'État. M. de Legé n'ayant pas répondu, ses impôts sur le revenu/cotisations de sécurité sociale de 1995 et son impôt sur le capital de 1996 ont été corrigés (respectivement 10 142 florins néerlandais (NLG) et 1 928 NLG) et comprenaient également des intérêts de retard (respectivement 4 035 NLG et 726 NLG). En conséquence, des amendes du même montant que les redressements ont également été infligées (10 142 NLG [environ 4 600 euros (EUR)] au titre de 1995 et 1 928 NLG (environ 875 EUR) au titre de 1996). Alors que les objections de M. de Legé contestant l'absence de valeur probante des documents invoqués par l'inspecteur des impôts et réfutant la conclusion selon laquelle il avait volontairement agi en violation de la loi générale sur les impôts d'État étaient pendantes, il a été cité à comparaître dans le cadre d'une procédure d'injonction sommaire et il lui a été ordonné de déclarer s'il avait détenu des comptes bancaires à l'étranger après le 31 décembre 1995 et, dans l'affirmative, de fournir des informations sur ces comptes ainsi que des copies de tous les relevés bancaires du ou des comptes concernés couvrant les années 1996 à 2000. Il disposait d'un délai de 14 jours pour se conformer à cette ordonnance ; à défaut, une astreinte de 5 000 euros par jour ou fraction de jour d'inexécution serait due, avec un maximum de 50 000 euros. M. de Legé n'a pas fait appel. Lui et son épouse ont déclaré avoir détenu ensemble un compte bancaire auprès de la banque X à Luxembourg après 1994 et ont présenté les relevés bancaires et les résumés de portefeuille correspondants. Par la suite, dans les décisions relatives aux contestations introduites par M. de Legé, l'impôt dû, les intérêts de retard et les amendes fiscales ont été adaptés en conséquence sur la base des chiffres réels. Des amendes révisées de 3 067 NLG (environ 1 400 euros) correspondant à 1995 et de 1 816 NLG (environ 825 euros) correspondant à 1996 ont été émises. En conséquence, M. de Legé a introduit un recours devant la chambre fiscale du tribunal régional de Breda, protestant contre la manière dont les informations qu'il avait fournies avaient été utilisées pour déterminer les amendes. Le tribunal régional a estimé que les autorités fiscales avaient utilisé les données de manière légale. Sa conclusion était fondée sur un arrêt de la Cour suprême qui s'était appuyé sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle le droit de ne pas s'incriminer soi-même ne s'étendait pas à l'utilisation, dans le cadre d'une procédure pénale, de matériel obtenu de l'accusé par l'exercice de pouvoirs obligatoires lorsque ce matériel avait une existence indépendante de la volonté de l'accusé. Elle a également estimé que les amendes étaient justifiées, appropriées et nécessaires. Néanmoins, comme l'exigence du « délai raisonnable » contenue dans l'article 6 § 1 de la Convention avait été violée, le tribunal régional a réduit les amendes fiscales de 5 % (à 2 913 NLG (environ 1 325 euros) et 1 725 NLG (environ 780 euros), respectivement). M. de Legé a introduit de nouveaux recours contre les jugements du tribunal régional auprès de la chambre fiscale de la Cour d'appel, en faisant valoir qu'ayant été contraint de présenter les documents bancaires, il avait fourni des preuves contre lui-même en violation du principe nemo tenetur. En décembre 2013, la Cour d'appel a estimé que les documents bancaires présentés par le requérant relevaient de la qualification de matériel existant indépendamment de la volonté de l'accusé et que le principe de nemo tenetur n'était donc pas violé. Elle a également estimé que ni les redressements fiscaux ni les amendes n'étaient trop élevés, l'inspecteur des impôts les ayant ajustés au vu des données fournies par M. de Legé. Néanmoins, en raison de la longueur de la procédure, la juridiction d'appel a encore réduit les amendes fiscales à 2 606 NLG (environ 1 180 euros) et à 1 543 NLG (environ 700 euros). M. de Legé a formé un pourvoi en cassation devant la chambre fiscale de la Cour suprême, invoquant à nouveau le droit de ne pas s'incriminer soi-même, sur la base de l'article 6 de la Convention. La Cour suprême a rejeté le pourvoi en considérant, entre autres, que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de soutenir l'argument de M. de Legé selon lequel le principe nemo tenetur s'étend à tous les documents dont la remise dépend de la volonté de l'accusé.

CEDH

La Cour relève que, bien que l'ordonnance rendue dans le cadre de la procédure d'injonction ne visait que la divulgation d'informations sur les comptes bancaires détenus à l'étranger après le 31 décembre 1995, M. de Legé avait fourni des informations sur les comptes à partir du 31 décembre 1994. L'inspecteur des impôts avait donc utilisé les relevés bancaires et les relevés de portefeuille relatifs à l'année 1995 pour évaluer le montant réel  et non un montant estimé  de l'impôt sur le revenu et des cotisations aux régimes nationaux de sécurité sociale dû au titre de l'année 1995 et pour procéder à une nouvelle liquidation de l'amende fiscale correspondante. Toutefois, M. de Legé n'ayant pas été obligé de fournir ces informations, il ne saurait être dit que l'amende fiscale infligée au titre de l'exercice 1995 était fondée sur des éléments de preuve qu'il avait fournis sous la contrainte. Par conséquent, la partie de sa plainte concernant cette amende particulière a été rejetée. Selon la jurisprudence de la Cour, pour qu'une question se pose sous l'angle du droit de ne pas s'incriminer soi-même, il faut qu'une certaine forme de contrainte ou de coercition soit exercée sur la personne concernée, qui doit faire l'objet d'une procédure pénale existante ou prévue. En outre, le droit de ne pas s'incriminer soi-même concerne principalement le respect de la volonté d'une personne accusée de garder le silence, même si, en principe, le droit de ne pas s'incriminer soit même peut également s'appliquer dans des situations de coercition pour fournir des documents. Néanmoins, en ce qui concerne l'utilisation de preuves documentaires obtenues sous la menace de sanctions dans le cadre de questions de droit financier, il peut être déduit de la jurisprudence de la Cour qu'une telle utilisation ne tombe pas sous le coup de la protection du droit à ne pas s'incriminer lorsque les autorités sont en mesure de démontrer que le but est d'obtenir des documents spécifiques préexistants - donc, des documents qui n'ont pas été créés spécifiquement pour la procédure pénale - qui sont pertinents pour l'enquête et dont les autorités connaissent l'existence, et pour autant que les informations ne soient pas obtenues par des méthodes contraires à l'article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). La Cour a donc procédé à l'examen de l'applicabilité du droit à ne pas s'incriminer soi-même dans cette affaire. La Cour observe que M. de Legé a été condamné par un juge à divulguer des documents relatifs à des comptes bancaires détenus par lui à l'étranger après le 31 décembre 1995, alors qu'une amende fiscale pour non-respect de ses obligations au titre de l'article 47 de la loi concernant l'impôt sur le capital pour 1996 avait déjà été émise  il y a donc eu contrainte et il a fait l'objet de poursuites pénales. Deuxièmement, la Cour ne doute pas que les relevés bancaires et les résumés de portefeuille étaient des documents préexistants et que les autorités avaient connaissance de leur existence puisqu'elles savaient que M. de Legé détenait à l'époque un compte bancaire au Luxembourg. D'ailleurs, l'ordre qui a été émis par la suite indiquait précisément les documents qu'il devait fournir. Enfin, l'imposition d'astreintes qu'il devait subir s'il ne se conformait pas à l'ordre ne peut être considérée comme un traitement inhumain ou dégradant. La Cour constate que l'utilisation des relevés bancaires et des relevés de portefeuille concernant le compte de M. de Legé au Luxembourg ne relève pas de la protection du droit à ne pas s'incriminer soi-même. La Cour conclut donc qu'il ne peut être dit que, du fait de leur utilisation, M. de Legé a été privé d'un procès équitable. En conséquence, la Cour conclut à la non-violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

 

CHAMBAZ c. SUISSE du 5 avril 2012 Requête 11663/04

Le droit de ne pas s’auto-incriminer et l’accès aux preuves détenues par l’accusation n’ont pas été respectés dans une affaire fiscale

35.  Le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, que la procédure devant le tribunal administratif du canton de Vaud, et achevée par l’arrêt du Tribunal fédéral du 2 octobre 2003, n’a pas été équitable. Il soutient qu’une amende lui a été infligée pour ne pas avoir produit des documents susceptibles de l’incriminer dans une procédure pénale et que l’égalité des armes n’a pas été respectée. L’article 6 § 1 est libellé ainsi en ses passages pertinents :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

A.  Sur la recevabilité

36.  Le Gouvernement soutient que l’article 6 de la Convention n’était pas applicable en l’espèce. Il relève que la procédure faisant objet de la présente requête était indépendante de l’enquête ouverte en 1999 (voir paragraphe 14 et suivants) et qu’elle avait uniquement pour but de déterminer les obligations fiscales du requérant. En particulier, le Gouvernement expose que l’enquête a été ouverte quatre ans après que les amendes pour refus de collaborer aient été infligées au requérant. Il allègue également que l’enquête portait sur les années 1995 à 2000 exclusivement.

37.  Le requérant rétorque que les amendes qui lui ont été infligées pour avoir refusé de collaborer constituaient une sanction pénale susceptible d’entraîner l’application de l’article 6 § 1 de la Convention à la procédure. Il observe, ensuite, qu’un fonctionnaire de l’administration fédérale des contributions, chargé de l’enquête contre lui, a été autorisé à prendre part à l’audience devant le tribunal administratif. De plus, le requérant soutient qu’il ressortirait de plusieurs documents versés au dossier que les faits faisant l’objet de l’enquête contre lui étaient liés avec la procédure pendante devant le tribunal administratif. A ce propos, le requérant se réfère à la note du 31 juillet 2002 (voir paragraphe 25 ci-dessus) et au contenu du rapport du 2 novembre 2004 (voir paragraphe 30 ci-dessus), aux termes desquels l’administration elle-même aurait reconnu les liens existant entre l’enquête pour soustraction d’impôt et la procédure à l’origine de la présente requête.

38.  La Cour observe au préalable que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable sous son volet civil à la présente procédure qui avait pour objet la détermination des obligations fiscales du requérant à l’égard de l’État (Ferrazzini c. Italie [GC], no 44759/98, § 29, CEDH 2001-VII). La question qui se pose toutefois consiste à savoir si la procédure litigieuse était de nature « pénale » et est à ce titre susceptible d’entraîner l’application des garanties prévues par le volet pénal de l’article 6 de la Convention (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 29, CEDH 2006-XIII).

39.  La Cour rappelle, à ce propos, qu’elle a déjà eu l’occasion de se pencher à plusieurs reprises sur la question de l’application de l’article 6 de la Convention à des procédures fiscales se déroulant devant les autorités suisses. Ainsi, dans l’affaire A.P., M.P. et T.P. c. Suisse elle a jugé qu’une procédure aboutissant à une amende pour l’infraction de soustraction d’impôt selon le droit fiscal suisse appelle en principe un examen sous l’angle de l’article 6 de la Convention (arrêt du 29 août 1997, §§ 40 ss, Recueil des arrêts et des décisions 1997-V).

40.  L’applicabilité de l’article 6 de la Convention ne se limite, par ailleurs, pas aux cas où une amende pour soustraction d’impôt a effectivement été prononcée au terme de celle-ci. Lorsque la procédure tend à la détermination des montants dus à titre d’impôt, sans complètement exclure qu’une amende soit prononcée, l’article 6 est également applicable, même si, en fin de compte, les autorités renoncent à infliger toute sanction financière au requérant (J.B. c. Suisse, no 31827/96, §§ 47-48, CEDH 2001-III). La question se pose donc de savoir si l’article 6 de la Convention s’applique à une procédure administrative comme celle qui est ici en cause.

41.  A cet égard, la Cour rappelle que la Convention doit être interprétée de manière à garantir le caractère concret et effectif des droits qui y sont garantis (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32). Elle irait à l’encontre de ce but, si elle s’estimait liée par les qualifications contenues dans l’ordre juridique interne, car cela aurait pour conséquence que l’application de l’article 6 de la Convention à certaines catégories de litiges serait subordonnée à la volonté souveraine des Etats membres (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 81, série A no 22).

42.  S’agissant de la situation particulière d’un requérant contre lequel plusieurs procédures distinctes sont menées en parallèle, la Cour ne saurait, ainsi, exclure l’applicabilité de l’article 6 de la Convention lorsque l’examen des griefs allégués par le requérant l’amène inévitablement à se pencher peu ou prou sur des actes, ou des fragments de procédure, auxquels l’article 6 n’est en principe pas applicable (Sträg Datatjänster AB c. Suède (déc.), no 50664/99, 21 juin 2005), notamment lorsque différents éléments se trouvent combinés dans une même procédure de telle manière qu’il est impossible de distinguer les phases de celle-ci portant sur une « accusation en matière pénale » de celles qui ont un autre objet (Jussila c. Finlande, précité, § 45).

43.  La Cour peut donc être amenée, dans certaines circonstances, à examiner globalement, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, un ensemble de procédures si celles-ci sont suffisamment liées entre elles pour des raisons tenant soit aux faits sur lesquelles elles portent, soit à la manière dont elles sont menées par les autorités nationales. L’article 6 de la Convention sera ainsi applicable lorsqu’une des procédures en cause porte sur une accusation en matière pénale et que les autres lui sont suffisamment liées.

44.  Se tournant vers les circonstances particulières du cas d’espèce, la Cour relève d’emblée qu’il ne fait aucun doute que la procédure d’enquête pour soustraction d’impôt porte sur une accusation de nature pénale. La question se pose de savoir si la procédure à l’origine de la présente requête, ayant pour objet les impôts dus par le requérant pour la période fiscale 1989-1990 (voir paragraphes 7 et 8 ci-dessus), tombe également sous l’empire de l’article 6 de la Convention.

45. La Cour observe, tout d’abord, que l’article 111 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct fait obligations aux différentes autorités de se fournir mutuellement des renseignements et qu’en vertu de l’article 195 § 1 de cette même loi pareille obligation existe également en ce qui concerne la procédure d’enquête pour soustraction d’impôt. Les deux procédures n’étaient donc pas conçues en droit interne pour être menées de manière indépendante.

46.Par ailleurs, pour ce qui est, ensuite, de l’organisation de l’enquête en matière fiscale, la Cour relève que le mandat de perquisition visant le requérant invitait les fonctionnaires chargés de l’enquête contre lui à saisir des documents concernant la période fiscale 1989-1990 (voir paragraphe 15 ci-dessus) et que l’administration fédérale des impôts a elle-même reconnu que l’enquête pour soustraction d’impôt avait porté sur des années pour lesquelles le requérant n’avait pas formellement été accusé de soustraction d’impôt (voir paragraphe 33 ci-dessus). L’administration cantonale des impôts a, de surcroît, invoqué les résultats de la procédure d’enquête en cours pour former des demandes nouvelles devant le tribunal administratif (voir paragraphe 23 ci-dessus) et un fonctionnaire chargé de l’enquête contre le requérant a assisté à une audience devant la juridiction (voir paragraphe 25 ci-dessus).

47.Concernant, finalement, les faits eux-mêmes faisant l’objet de l’enquête, la Cour note que les comptes bancaires détenus par le requérant auprès de la Banque S., et gérés par la société P. SA, ont été mentionnés tant dans la procédure ayant donné lieu à la présente requête (voir paragraphes 8 et 24 ci-dessus) que dans l’enquête pour soustraction d’impôts (voir paragraphes 21 et 31 ci-dessus). De surcroît, les relations entre le requérant et les sociétés de droit panaméen T.F et F.H. sont à l’origine des demandes nouvelles devant le tribunal administratif (voir paragraphe 23 ci-dessus), alors que le requérant a été interrogé à leur sujet au cours de l’enquête pour soustraction d’impôts (voir paragraphe 20 ci-dessus).

48.  A la lumière de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que l’enquête pour soustraction d’impôts dirigée contre le requérant s’inscrivait dans le prolongement de la procédure qui s’est déroulée devant le tribunal administratif. Elle estime, par conséquent, que les deux procédures étaient étroitement liées de sorte que le caractère manifestement pénal de l’enquête s’est étendu à la procédure ayant donné lieu à la présente requête. Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention est applicable dans le cas d’espèce sous son volet pénal. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

49. La Cour constate en outre que les griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.  Sur le fond

1.  Sur la violation alléguée du droit de ne pas être contraint de s’incriminer soi-même

50.  Le requérant considère que sa situation est identique à l’affaire Funke c. France (arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A). Il expose que, d’une part, en produisant les documents réclamés par la commission d’impôt, il aurait permis au fisc d’ouvrir sur le champ une procédure en soustraction d’impôt à son encontre. Il se plaint, par ailleurs, que le tribunal administratif et le Tribunal fédéral ont confirmé les amendes qui lui avaient été infligées alors qu’il faisait l’objet d’une enquête pour soustraction d’impôt pour les mêmes périodes fiscales et qu’en produisant les documents réclamés il s’exposait à ce qu’ils soient utilisés contre lui dans cette procédure à coloration pénale.

51.  Le Gouvernement affirme, en se référant à l’affaire Allen c. Royaume-Uni, que l’obligation de fournir des informations au cours d’une procédure en rappel d’impôt ne saurait violer l’interdiction de contribuer à sa propre incrimination en l’absence de procédure pénale prévisible (décision du 10 septembre 2002, no 76574/01, CEDH 2002-VIII). A ce propos, il réitère son point de vue selon lequel les deux procédures menées contre le requérant étaient distinctes et observe, à nouveau, que l’enquête pour soustraction d’impôt n’a débuté que quatre ans après la décision de la commission d’impôt ayant infligé les amendes litigieuses au requérant. Il relève que la situation du requérant se distingue de l’affaire Funke c. France précitée, dans la mesure où la condamnation du requérant n’était pas uniquement destinée à obtenir des informations en vue d’une procédure pénale ultérieure, mais concernait uniquement l’établissement de ses obligations fiscales.

52.  La Cour rappelle que même si l’article 6 de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6 § 1. En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé » (voir Funke précité ; John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 45, Recueil 1996-I ; Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI ; Serves c. France, 20 octobre 1997, § 46, Recueil 1997-VI ; J.B. c. Suisse, précité, § 64).

53.  En l’espèce, la Cour relève qu’en infligeant des amendes au requérant, les autorités ont fait pression sur lui pour qu’il leur soumette des documents qui auraient fourni des informations sur son revenu et sa fortune en vue de son imposition, plus particulièrement en ce qui concerne ses comptes auprès de la Banque S. (voir paragraphe 8 ci-dessus). S’il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur la nature de ces informations, elle constate que celles-ci sont également mentionnées dans le rapport établi à l’issue de l’enquête pour soustraction d’impôt (voir paragraphe 31 ci-dessus).

54.  La Cour observe, par ailleurs, que le requérant ne pouvait exclure que toute information relative à des revenus supplémentaires de sources non imposées l’exposait à être accusé d’avoir commis l’infraction de soustraction d’impôt (J.B. c. Suisse, précité, § 65) et était de nature à compromettre sa position dans l’enquête pour soustraction d’impôts.

55.  Le fait que celle-ci ait été ouverte quatre ans plus tard n’est, aux yeux de la Cour, pas déterminant, car au moment où le tribunal administratif a confirmé les décisions litigieuses, l’enquête était déjà ouverte depuis un peu moins de trois ans. Dès lors, les décisions des juridictions internes, confirmant les amendes infligées précédemment au requérant, ont eu pour résultat d’obliger le requérant à contribuer à sa propre incrimination.

56.  De surcroît, la Cour constate que l’article 183 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct a été modifié au 1er janvier 2008, de manière à donner aux personnes faisant l’objet d’une enquête fiscale des garanties suffisantes, dont la garantie que les informations fournies lors d’une procédure purement fiscale ne seront pas utilisées au cours de l’enquête pour soustraction d’impôts.

57.  Finalement, la Cour estime que la situation du requérant se distingue de celle d’un contribuable qui avoue spontanément avoir fraudé le fisc dans l’espoir d’être moins sévèrement puni. A la différence de l’affaire Allen c. Royaume-Uni invoquée, le requérant n’a, en effet, jamais reconnu avoir eu un comportement illégal et s’est prévalu à tous les stades de la procédure de son droit au silence.

58.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le droit de ne pas être contraint de s’incriminer soi-même, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, a été violé en l’espèce.

2.  Sur la violation alléguée du principe de l’égalité des armes

59.  Le requérant allègue qu’il n’a pas été en mesure d’avoir accès à l’ensemble des pièces du dossier le concernant. Se référant à l’affaire Dowsett c. Royaume-Uni (arrêt du 24 juin 2003, no 39482/98, CEDH 2003-VII), il soutient qu’il aurait dû être en mesure de consulter l’ensemble des pièces apportées par le délégué de l’administration fédérale des contributions à l’audience devant le tribunal administratif. Il affirme que les documents en question présentaient des liens évidents avec la procédure en cours et qu’il n’appartient pas à l’administration de choisir seule les documents qu’elle entend invoquer en justice.

60.  Le Gouvernement rétorque que le requérant a eu accès à l’ensemble des documents produits dans la procédure le concernant. Il estime que ce dernier aurait été en mesure de consulter l’ensemble des documents entre les mains de l’administration en obtenant le consentement écrit de tiers. Se référant à l’affaire Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas (arrêt du 27 octobre 1993, § 33, série A no 274), le Gouvernement soutient que le requérant n’aurait pas été placé dans une position de désavantage par rapport à son adversaire.

61.  La Cour rappelle que le droit à un procès pénal équitable implique que la défense puisse avoir accès à l’ensemble des preuves entre les mains de l’accusation, qu’elles soient en défaveur, ou en faveur, de l’accusé (McKeown c. Royaume-Uni, no 6684/05, § 43, 11 janvier 2011). Les seules restrictions admissibles au droit d’accès à l’ensemble des preuves disponibles sont celles qui s’avèrent strictement indispensables (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil 1997-III), soit la protection d’intérêts nationaux vitaux ou la sauvegarde des droits fondamentaux d’autrui (Dowsett c. Royaume-Uni, précité, § 42).

62.  Par ailleurs, la procédure doit prévoir des moyens adéquats pour compenser cette restriction et éviter que des abus ne soient commis (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 74-75, Recueil 1996-II). Ainsi, la Cour tient compte, par exemple, du fait que la question de l’opportunité d’une divulgation soit examinée par un magistrat indépendant et impartial ayant eu accès aux moyens de preuve litigieux et ayant, par voie de conséquence, été en mesure d’apprécier pleinement, et tout au long de la procédure, la pertinence pour la défense des informations non communiquées à celle-ci (Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, § 56, 16 février 2000 ; Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 49, CEDH 2000-II). Lorsque la communication d’informations tenues secrètes n’a pas été soumise au contrôle détaillé d’une juridiction au cours de la procédure de première instance, le manque d’équité de la procédure ne peut être réparé en degré d’appel que par une communication totale et complète des éléments litigieux (I.J.L. et autres. c. Royaume-Uni, nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 149, CEDH 2000-IX).

63.  S’agissant, plus particulièrement, d’une procédure devant les juridictions administratives dans une affaire fiscale à caractère pénal, la Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer qu’elle n’excluait pas que la notion de procès équitable puisse quand même comporter l’obligation, pour le fisc, de consentir à fournir au justiciable certaines pièces quand bien même celles-ci n’étaient pas spécifiquement invoquées par l’administration contre le requérant (Bendenoun c. France, 24 février 1994, § 52, série A no 284).

64.  Finalement la Cour observe, qu’elle n’a certes pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes auxquelles il incombe en premier chef d’apprécier l’utilité d’une offre de preuve et qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur le contenu ou la pertinence des documents en question (voir, parmi beaucoup d’autres, Asch c. Autriche, 26 avril 1991, § 25, série A no 203). Il n’en demeure pas moins que le refus d’administrer une preuve doit être dûment motivé (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 34, série A no 35-B).

65.  En l’espèce, la Cour constate que le tribunal administratif a refusé au requérant l’accès aux documents en raison de son « attitude adoptée [...] en procédure », plus particulièrement à cause du fait qu’il ne « fourni[ssai]t pas les explications les plus élémentaires qui pourraient conduire à douter de la version des faits adoptée dans la décision attaquée » (voir paragraphe 27 ci-dessus). En substance, cela revenait à reprocher au requérant de ne pas avoir remis aux autorités fiscales les documents pour lesquelles il faisait valoir son droit au silence. La Cour en déduit que les restrictions en question n’avaient pas pour but de protéger des intérêts vitaux nationaux, ou de veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux d’autrui au sens de l’arrêt Dowsett c. Royaume-Uni précité.

66.  Finalement, la Cour constate que le Tribunal fédéral a entériné l’approche suivie par le tribunal administratif, sans procéder à son propre examen de la question, et sans autoriser la communication intégrale des documents litigieux au requérant (voir paragraphe 29 ci-dessus). Les défauts ayant entaché la procédure de première instance n’ont ainsi pas pu être régularisés par le biais du recours au Tribunal fédéral.

67.  Au vu de ce qui précède, la Cour en déduit que le refus de communiquer au requérant l’intégralité du dossier détenu par l’administration n’était pas justifié par des motifs en adéquation avec les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour en matière d’égalité des armes. Le processus décisionnel n’a en outre pas été assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l’accusé. Celui-ci a donc été placé dans une situation de net désavantage (Bendenoun c. France, précité, § 52).

68.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le droit à l’égalité des armes, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.

Funke contre France du 25 février 1993 Hudoc 393 requête 10828/84

Le requérant est condamné car il a refusé de donner aux services des douanes ses documents:

"La Cour constate que les douanes provoquèrent la condamnation de Monsieur Funke pour obtenir certaines pièces, dont elle supposaient l'existence sans en avoir la certitude. Faute de pouvoir ou vouloir se les procurer par un autre moyen, elle tentèrent de contraindre le requérant à fournir lui-même la preuve d'infractions qu'il aurait commises. Les particularités du droit douanier ne sauraient justifier une telle atteinte du droit, tout "accusé" au sens autonome que l'article 6 attribue à ce terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination (-) Partant, il y a violation de l'article 6§1 de la Convention."

LE DROIT DE GARDER LE SILENCE

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- LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH.

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JURISPRUDENCE DE LA CEDH

SCHMID-LAFFER c. SUISSE du 16 juin 2015 Requête no 41269/08

Non violation de l'article 6 : Les propos de la requérante durant l'interrogatoire, ne sont qu'un élément de preuve de faible importance

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

33.  La requérante allègue qu’elle n’a pas été informée de son droit de garder le silence lors de l’interrogatoire du 1er août 2001 mais que les autorités auraient utilisé les déclarations faites lors de cet interrogatoire par la suite. Dans la mesure où les dépositions litigieuses étaient susceptibles de l’incriminer, elle s’estime lésée dans ses droits de défense. Dès lors, il y aurait eu violation du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.

34. Le Gouvernement rappelle que l’interrogatoire litigieux s’est déroulé conformément aux règles du droit interne. Par ailleurs, il est convaincu qu’il ne constituait qu’une pièce de mosaïque, de loin pas indispensable, pour arriver au constat de la culpabilité de la requérante. Selon le Gouvernement, la condamnation repose avant tout sur les dépositions de M.S., corroborées par les déclarations d’autres témoins.

35.  Le Gouvernement souligne également que la condamnation a été prononcée par le tribunal de district de Baden, puis confirmée, en appel, par le tribunal cantonal d’Argovie. Il rappelle également que les deux juridictions ont rendu leur jugement à la suite d’une audience publique à laquelle la requérante a participé, représentée par un avocat d’office. Par ailleurs, à la suite du premier arrêt du Tribunal fédéral, le tribunal cantonal d’Argovie, après avoir décidé, le 6 décembre 2006, d’organiser à nouveau les débats en présence de la requérante, a fait droit à une demande de la requérante de la dispenser de sa participation pour cause de maladie et a ordonné la procédure écrite. Lors de ce nouveau procès, la requérante était représentée par un avocat de son choix.

2.  Appréciation de la Cour

36.  La Cour rappelle d’abord que, si la Convention garantit dans son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne. Il lui faut examiner si la procédure, y compris le mode d’obtention des preuves, a été équitable dans son ensemble (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 162-163, CEDH 2010).

37.  La Cour rappelle ensuite que le droit de garder le silence et le droit de ne pas s’incriminer soi-même sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable (Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 68, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002‑IX, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 100, CEDH 2006‑IX). Le droit pour l’accusé de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne saurait raisonnablement se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques le mettant directement en cause (Saunders, précité, § 71). Il suffit que ses déclarations soient susceptibles d’affecter substantiellement la position de l’accusé (Chabelnik c. Ukraine, no 16404/03, § 57, 19 février 2009), les déclarations faites lorsque l’accusé n’est pas informé de son droit de garder le silence et de ne pas s’incriminer lui-même, devant être traitées avec précaution extrême (Loutsenko c. Ukraine, no 30663/04, § 51, 18 décembre 2008).

38.  La Cour rappelle également que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence ont notamment pour but de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et ainsi d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6. Pour rechercher si une procédure a anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le degré de la coercition, l’existence de garanties appropriées dans la procédure et l’utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009).

39.  Dans la partie sur la recevabilité du présent grief, la Cour a estimé que l’interrogatoire du 1er août 2001 était, en tant que tel, susceptible de porter atteinte à l’équité du procès pénal mené ultérieurement contre la requérante (paragraphe 31 ci-dessus). La Cour en déduit que, dans les circonstances de l’espèce, il appartenait à la police d’informer la requérante de ses droits de ne pas s’incriminer soi-même et de garder le silence lors de l’interrogatoire Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, § 52, 18 février 2010). Par contre, la Cour partage entièrement l’avis des autorités internes selon lequel cet interrogatoire ne constituait qu’un élément de preuve de faible importance (voir, a contrario, Aleksandr Zaichenko, précité, § 58). Elle estime que le Tribunal fédéral a étayé de manière détaillée et convaincante que la condamnation de la requérante s’était appuyée en particulier sur les dépositions de M.S., considérées comme crédibles par les instances internes. Les dites dépositions ont été corroborées par les dépositions de plusieurs autres personnes (paragraphe 21 ci-dessus). En d’autres mots, la condamnation n’a pas été prononcée sur la seule base des informations obtenues au cours de l’interrogatoire du 1er août 2001 (voir dans ce sens O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC], nos 15809/02 et 25624/02, § 60, CEDH 2007‑III). Par ailleurs, la requérante, dûment représentée par un avocat devant les tribunaux internes et devant la Cour, ne précise pas exactement quelles déclarations faites lors de l’interrogatoire du 1er août 2001 auraient ultérieurement été utilisées par les autorités suisses pour fonder sa condamnation. Il convient également de constater, à la lecture du procès-verbal dudit interrogatoire (paragraphe 10 ci-dessus), que la requérante ne s’était pas incriminée à cette occasion et qu’elle a été laissée en liberté.

40.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que le procès, vu dans son intégralité, n’était pas inéquitable. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

Corbet et autres c. France du 19 mars 2015 Requêtes nos 7494/11, 7493/11 et 7989/11

Non violation des articles 6§1 et 6§2 : L'enquête parlementaire sur la compagnie d'aviation AOM-Air Liberté, a été transmise au parquet pour poursuites mais leurs déclarations devant les parlementaires, n'ont pas été utilisées pour la condamnation. Ils ont droit de se taire aux questions gênantes.

30.  La Cour considère qu’il n’est pas nécessaire qu’elle examine l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement, cette partie de la requête étant irrecevable pour un autre motif.

31.  La Cour estime en effet qu’elle est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

32.  La Cour rappelle que, même si l’article 6 de la Convention ne le mentionne pas expressément, le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par ledit article. Leur raison d’être tient notamment à la protection de l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, ce qui évite les erreurs judiciaires et permet d’atteindre les buts de l’article 6. En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé. En ce sens, ce droit est étroitement lié au principe de la présomption d’innocence consacré à l’article 6 § 2 de la Convention (voir en particulier Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI).

33.  En l’espèce, la Cour constate tout d’abord que le refus de comparaître devant une commission parlementaire d’enquête, de prêter serment ou de répondre à ses questions (sauf à invoquer le secret professionnel), est passible d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 7 500 EUR (article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires), ce qui est constitutif d’une coercition (voir, mutatis mutandis, Saunders précité, § 70, et Brusco c. France, no 1466/07, § 52, 14 octobre 2011). L’utilisation dans la procédure pénale dirigée contre les requérants des déclarations qu’ils ont faites sous cette contrainte devant la commission parlementaire d’enquête pose donc une question quant au respect de leurs droits de se taire et de ne pas contribuer à leur propre incrimination. Plus largement, la Cour estime que l’impossibilité pour les personnes appelées à comparaitre devant une telle commission d’invoquer le respect de ces droits pour éviter de répondre à des questions qui pourraient les conduire à s’auto-incriminer est en soi problématique au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

34.  Certes, il apparaît, au vu du rapport de la commission d’enquête, que, comme le souligne le Gouvernement, le témoignage des requérants n’était pas auto-incriminant. Ce n’est cependant pas déterminant : ce qui compte, c’est l’utilisation faite au cours du procès pénal des dépositions recueillies sous la contrainte ; si elles ont été utilisées d’une manière tendant à incriminer l’intéressé, il y a violation de l’article 6 § 1 (Saunders, précité §§ 71-72). Cela étant, il faut aussi rappeler que dans l’arrêt Gäfgen (précité §§ 178 et 180), la Cour a jugé que l’utilisation dans un procès pénal de preuves matérielles découvertes grâce à des déclarations obtenues par des moyens contraires à l’article 3 de la Convention mais non constitutifs de torture n’affecte l’équité de la procédure que s’ils ont eu un impact sur le verdict de culpabilité ou la peine. Cela vaut a fortiori s’agissant d’éléments probants autres que l’aveu obtenu par des moyens de coercition non constitutifs de traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

35.  Ensuite, la Cour relève que les éléments recueillis par la commission parlementaire d’enquête ont été pris en compte dans le cadre de la procédure pénale dont les requérants ont fait l’objet. Le réquisitoire du procureur aux fins de renvoi des requérants devant le tribunal correctionnel fait d’ailleurs référence à l’enquête parlementaire, citant notamment expressément l’avant-propos du président de la commission. L’ordonnance de renvoi fait également référence à ce rapport.

36.  Ces références sont toutefois peu nombreuses au regard du volume de ces documents et des autres éléments de preuve examinés autrement recueillis, et les requérants ne fournissent aucun élément montrant que le procureur ou le juge d’instruction en auraient tiré des conclusions directes quant aux charges à retenir contre eux. Il apparaît au contraire que les déclarations des requérants lors de l’enquête parlementaire n’ont été utilisées que de manière secondaire, pour l’établissement du contexte factuel de l’affaire.

37.  À cela il faut ajouter que, pour rejeter ce grief, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris (paragraphe 21 ci-dessus) a retenu que le rapport de la commission parlementaire n’était pas le « support exclusif des poursuites », le réquisitoire introductif renvoyant non seulement à ce document, mais aussi à la procédure diligenté par la brigade financière et à des révélations de Tracfin. La chambre correctionnelle a de plus pris en compte le fait que les prévenus avaient toujours contesté avoir commis le moindre détournement. Elle a ajouté qu’il lui appartenait d’apprécier la force probante de telle ou telle déclaration au regard des circonstances dans lesquelles celle-ci était intervenue. Il faut d’ailleurs constater que les requérants, s’ils mettent en exergues des questions posées à M. Corbet à la fois devant la commission d’enquête parlementaire puis dans le cadre de sa garde à vue et relèvent que des actes de la procédure pénale font référence au rapport d’enquête parlementaire, n’indiquent pas quelles déclarations faites par eux devant la commission auraient été utilisées dans le cadre de la procédure pénale de manière à les incriminer, et ne prétendent que le juge du fond se serait directement basé sur des déclarations spécifiques pour conclure à leur culpabilité ou fixer leur peine.

38.  Les requérants n’ayant pas établi que l’utilisation, dans la procédure pénale dont ils étaient l’objet, des déclarations qu’ils avaient faites devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, a eu un impact sur le verdict de culpabilité ou les peines prononcées, cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Il convient donc de la déclarer irrecevable et de la rejeter en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Servès contre France du 20 octobre 1997 Hudoc 714 requête 20225/92

"Il incombe à la Cour de rechercher si Monsieur Servez qui n'était ni visé par le réquisitoire introductif du 13 mars 1990 ni inculpé lorsqu'il fut assigné à comparaître comme témoin devant le juge d'instruction, tombait néanmoins sous le coup d'une accusation au sens de l'article 6§1.

Cette notion revêt un caractère "autonome" elle doit s'entendre au sens de la Commission et non exclusivement de celui du droit interne. Elle peut ainsi se définir "comme la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale; idée qui correspond aussi à la notion de "répercussions importantes sur la situation" du suspect.

Le droit de tout accusé de se taire et le droit de celui-ci de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6 de la Convention. Leur raison d'être tient notamment à la protection de l'accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, ce qui évite les erreurs judiciaires et permet d'atteindre les buts de l'article 6.

En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de "l'accusé"

Le requérant a subi une amende pour avoir refuser de répondre au juge d'instruction. La Cour constate:

"Une coercition de nature à vider de sa substance le droit de celui-ci de ne pas contribuer à sa propre incrimination.    

Le requérant pouvait redouter que, par le biais de certains propos qu'il pouvait être amené à tenir devant le juge d'instruction, il témoigne contre lui-même.

Il eût  ainsi été admissible qu'il refuse de répondre à celles des questions du juge qui auraient été de nature à le pousser dans cette direction"

Or il a refusé d'emblé de répondre au juge d'instruction avant que cette éventualité ne se pose. Les amendes ont été prononcées avant que le risque apparaisse. Il n'y a donc pas violation de l'article 6§1 de la Convention.

Coeme et autres contre Belgique du 22 juin 2000 Hudoc 1974 requêtes 32492/96; 32547/96; 33209/96; 33210/96

"Le droit de ne pas témoigner contre soi-même, c'est à dire le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, est au coeur de la notion de procès équitable" 

En l'espèce, la Cour n'a pas constaté la violation de l'article  6§1 de la Convention sur ce point, car elle a considéré que les requérants avaient pu garder le silence.  

J.B contre Suisse du 03 mai 2001 Hudoc 2583 requête 31827/96

"Il faut tenir compte de trois critères pour décider si une personne est " accusé d'une infraction pénale" au sens de l'article 6 : d'abord la classification de l'infraction au regard du droit national, puis la nature de l'infraction et, enfin, la nature et le degré  de gravité de la sanction que risquait de subir l'intéressé."

La Cour a estimé en outre qu'une procédure aboutissant à une amende pour l'infraction de fraude fiscale appelait en principe un examen sous l'angle de l'article 6 de la Convention.

En l'espèce, la sanction ne tendait pas à la réparation pécuniaire d'un préjudice, mais avait un caractère essentiellement punitif et dissuasif. De plus, l'amende encourue n'était pas négligeable. Enfin, on ne saurait douter qu'elle était de nature "pénale".

La Cour est plutôt appelée à examiner si le fait d'avoir infligé une amende au requérant pour refus de fournir certains renseignements était ou non conforme aux exigences de la Convention. Il s'ensuit que la Cour ne statue pas en l'espèce sur le point de savoir si un Etat peut contraindre un contribuable à donner des informations à seule fin d'assurer une taxation correcte.

"Même si l'article 6 de la Convention ne les mentionne pas expressément, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l'article 6§1 de la Convention.

En particulier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de a volonté de "l'accusé".

En mettant celui-ci à l'abri d'une coercition abusive de la part des autorités, ces immunités concourent à éviter des erreurs judiciaires et à garantir le résultat voulu par l'article 6.

La Cour constate que le requérant ne pouvait exclure que tout revenu supplémentaire de sources non imposées que ces documents feraient ressortir, aurait constitué l'infraction de soustraction à l'impôt. Partant, il y a violation de l'article 6§1 de la Convention."

ARRET DE LA GRANDE CHAMBRE

GÄFGEN c. ALLEMAGNE Requête no 22978/05 du 1er juin 2010

En garde à vue, le requérant avait été molesté et menacé de torture s'il ne parlait pas sur l'enlèvement d'un enfant.

94.  Pour ce qui est de l’utilisation de preuves obtenues au mépris du droit de garder le silence et du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour rappelle que ce sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion d’un procès équitable tel que garanti par l’article 6. Ces normes sont inspirées notamment par le souci de mettre un accusé à l’abri d’une contrainte abusive de la part des autorités, afin d’éviter des erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6. Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose en particulier que l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, entre autres, Saunders c. Royaume-Uni, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2064, § 68, et Heaney et McGuinness c. Irlande, no 34720/97, § 40, CEDH 2000-XII).

95.  Pour déterminer si la procédure a été équitable dans son ensemble, il faut aussi rechercher si les droits de la défense ont été respectés. Il y a lieu de se demander en particulier si le requérant a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation. Il faut également prendre en compte la qualité des pièces à conviction et notamment vérifier si les circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude (voir, entre autres, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, §§ 35 et 37, CEDH 2000-V ; Allan c. Royaume-Uni, n48539/99, § 43, CEDH 2002-IX, et Heglas, précité, § 86).

96.  La Cour rappelle en outre qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46 ; Teixeira de Castro c. Portugal, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1462, § 34, et Heglas, précité, § 84).

97.  La Cour n’a donc pas pour tâche de se prononcer par principe sur la recevabilité de certaines sortes d’éléments de preuve – par exemple des preuves obtenues de manière illégale. Il faut examiner si la procédure, y compris le mode d’obtention des preuves, fut équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’ « illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, la nature de cette violation (voir, entre autres, Khan, précité, § 34 ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 76, CEDH 2001-IX, et Allan, précité, § 42).

98.  Pour ce qui est de la nature de la violation de la Convention constatée, la Cour rappelle que des considérations particulières valent pour l’utilisation dans une procédure pénale d’éléments de preuve obtenus grâce à une mesure jugée contraire à l’article 3. L’utilisation de pareils éléments, obtenus grâce à une violation de l’un des droits constituant le noyau dur de la Convention, suscite toujours de graves doutes quant à l’équité de la procédure (İçöz c. Turquie (déc.), no 54919/00, 9 janvier 2003 ; Jalloh, précité, §§ 99, 104 ; Göçmen c. Turquie, no 72000/01, § 73, 17 octobre 2006, et Harutyunyan c. Arménie, no 36549/03, § 63, CEDH 2007-...).

99.  En conséquence, la Cour a conclu à propos d’aveux en tant que tels que l’utilisation comme preuves dans la procédure pénale de déclarations obtenues par des actes de torture (Harutyunyan, précité, §§ 63, 66) ou d’autres mauvais traitements, au mépris de l’article 3 (Göçmen, précité, §§ 74-75), avait entaché d’inéquité l’ensemble de la procédure, que l’admission de ces éléments eût été ou non déterminante pour le verdict de culpabilité qui avait frappé le requérant. Quant à l’utilisation au procès de preuves matérielles que des mauvais traitements au mépris de l’article 3 avaient permis de recueillir, la Cour a estimé que des éléments matériels à charge rassemblés au moyen d’actes de violence, du moins si ces actes peuvent être qualifiés de torture, ne doivent jamais, quelle qu’en soit la valeur probante, être invoqués pour prouver la culpabilité de la personne qui en a été victime. Toute autre conclusion ne ferait que légitimer indirectement le type de conduite moralement répréhensible que les auteurs de l’article 3 de la Convention ont cherché à interdire ou, en d’autres termes, « à conférer une apparence de légalité à la brutalité » (Jalloh, précité, §§ 105-107).

b)  Application de ces principes en l’espèce

100.  Comme les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 concernant les droits de la défense et le principe prohibant l’auto-incrimination représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1, la Cour examinera les griefs sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi maints autres arrêts, Windisch c. Autriche, arrêt du 27 septembre 1990, série A no 186, p. 9, § 23, et Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 20, § 43).

101.  Pour rechercher si la procédure pénale dirigée contre le requérant peut passer pour avoir été équitable dans son ensemble, la Cour renvoie à son constat ci-dessus selon lequel les aveux que le requérant a faits au cours de l’enquête lorsqu’il fut interrogé par E. le 2 octobre 2002, lui ont été extorqués au moyen d’un traitement inhumain contraire à l’article 3 (paragraphe 70 ci-dessus). Toutefois, le premier jour du procès, le tribunal régional de Francfort-sur-le-Main, accueillant la demande du requérant en ce sens, décida que non seulement ces aveux-là mais aussi tous ceux faits postérieurement par le requérant et jusqu’alors seraient exclus du procès en application de l’article 136a § 3 du code de procédure pénale. Le tribunal a estimé que, compte tenu de l’effet persistant de l’emploi de méthodes d’interrogatoire prohibées, aucune des déclarations que le requérant avait formulées devant les autorités d’enquête ne pouvait être utilisée au procès parce que l’intéressé n’avait pas reçu « l’information qualifiée » qui lui aurait appris que ses déclarations antérieures ne pouvaient être invoquées dans le cadre de la procédure dirigée contre lui (paragraphes 24-26 ci-dessus).

102.  Dans ces conditions, la Cour estime que, à l’inverse de ce qui s’était passé dans les affaires Hulki Güneş c. Turquie, no 28490/95, § 91, CEDH 2003-VII, et Göçmen (arrêt précité, § 73), la législation et la pratique internes attachaient des conséquences à des aveux obtenus au moyen de mauvais traitements prohibés, ce qui a replacé le requérant dans le statu quo ante sur ce point et a donc servi à la fois à condamner des méthodes d’enquête contraires à l’article 3 et à les prévenir pour l’avenir.

103.  La Cour relève qu’en l’espèce les tribunaux internes, en rejetant dès le début du procès la demande du requérant en ce sens, ont refusé d’interdire l’utilisation des pièces à conviction dont les autorités d’enquête avaient eu connaissance grâce aux déclarations extorquées à l’intéressé (le « fruit de l’arbre empoisonné » – paragraphe 27 ci-dessus). Il ressort des motifs du jugement du tribunal régional que certains au moins de ces éléments, en particulier les traces de pneus laissées par la voiture du requérant près de l’étang où le corps de l’enfant avait été retrouvé et les résultats de l’autopsie quant à la cause du décès du jeune garçon, servirent à prouver la véracité des aveux que le requérant fit au procès (paragraphe 30 ci-dessus).

104.  En ce qui concerne la manière dont les autorités d’enquête ont recueilli ces preuves matérielles, la Cour observe qu’à ses dires, le requérant a été directement contraint de révéler lui-même ces preuves. Or, comme elle l’a constaté (paragraphe 68 ci-dessus), rien n’indique que les policiers présents lors du trajet pour se rendre à Birstein et en revenir aient directement menacé le requérant afin de l’amener à révéler des preuves matérielles. De toute façon, les autorités d’enquête disposaient d’éléments tels que la lettre de chantage et une note se rapportant à la planification de l’infraction pour avoir surveillé secrètement le requérant après qu’il se fut emparé de la rançon. La Cour a la conviction qu’elles n’ont pu rassembler les éléments litigieux que par suite indirecte – ou en tant que « fruit » – des déclarations que le requérant avait formulées en raison de l’effet persistant des méthodes d’interrogatoire employées au mépris de l’article 3. Cette affaire doit donc être distinguée de celle de Jalloh c. Allemagne (arrêt précité), qui concernait l’utilisation au procès du requérant de pièces à conviction obtenues au moyen de mauvais traitements jugés contraires à l’article 3 (à savoir l’administration d’un émétique afin de forcer l’intéressé à régurgiter la preuve (de la drogue) qu’il avait avalée).

105.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’utilisation au procès du requérant des pièces à conviction en question n’entre pas dans la catégorie des affaires où pareille utilisation a privé automatiquement le procès d’équité quelles que soient les circonstances. Elle conclut pourtant à l’existence d’une forte présomption que l’utilisation de preuves représentant le fruit d’aveux extorqués par des moyens contraires à l’article 3 prive, au même titre que l’utilisation des aveux extorqués en soi, de caractère équitable le procès dans son ensemble. Elle se doit donc d’apprécier l’équité de la procédure dirigée contre le requérant à la lumière de toutes les circonstances de la cause en prenant en considération en particulier celles établies au moyen de preuves non viciées, le poids accordé aux preuves querellées et au point de savoir si les droits de la défense du requérant ont été respectés, notamment si l’intéressé a eu la possibilité de contester la recevabilité et l’utilisation de ces preuves à son procès.

106.  Quant au poids que les tribunaux internes ont accordé aux éléments de preuve querellés ainsi qu’aux éléments non viciés, la Cour relève que dans son jugement le tribunal régional a tenu pour prouvé que le requérant avait commis l’infraction, en se fondant uniquement sur les nouveaux aveux complets qu’il avait faits au procès, et notamment dans sa déclaration finale, après avoir reçu une information qualifiée (paragraphe 30 ci-dessus). Elle observe à ce propos que le tribunal régional, ainsi que le confirma la Cour fédérale de justice, a expressément considéré les déclarations du requérant au procès comme la base essentielle, sinon unique, de ses constats quant à la planification de l’infraction, constats étayés par le témoignage de la sœur de J., le libellé de la lettre de chantage et la note sur l’organisation du crime qui avait été retrouvée dans l’appartement du requérant. La police ayant surveillé secrètement celui-ci une fois qu’il se fut emparé de la rançon, on ne peut dire que ce sont les premiers aveux extorqués au requérant qui ont permis de recueillir ces éléments supplémentaires. En outre, pour ce qui est de l’accomplissement de l’infraction, le tribunal régional a dit explicitement que ses constatations sur cette question reposaient exclusivement sur les aveux que le requérant avait faits à son procès. Le tribunal s’est servi d’autres éléments pour vérifier l’authenticité des aveux. Y figuraient certains éléments litigieux, à savoir les résultats de l’autopsie quant à la cause du décès de J. et les traces de pneus laissées par la voiture du requérant près de l’étang où avait été retrouvé le corps de l’enfant, mais aussi des pièces à conviction que la police aurait pu rassembler même sans les aveux qu’elle extorqua au requérant, à savoir l’argent de la rançon retrouvé dans l’appartement du requérant ou sur ses comptes bancaires. Dans ces conditions, la Cour considère que ce sont essentiellement les nouveaux aveux que le requérant fit à son procès qui ont fondé le jugement du tribunal régional, alors que tous les autre éléments, y compris les preuves matérielles litigieuses, ont revêtu un caractère accessoire et n’ont servi qu’à vérifier l’authenticité des aveux. Le requérant ayant livré des aveux complets et s’étant de la sorte incriminé, on peut même dire que les éléments de preuve accessoires n’ont pas été utilisés à son détriment. La Cour observe à ce propos que, d’après les éléments dont disposait le tribunal régional, même sans les aveux du requérant le dernier jour du procès, des preuves abondantes permettaient déjà de conclure que le requérant était coupable pour le moins d’enlèvement avec demande de rançon.

107.  Pour ce qui est des nouveaux aveux que le requérant fit à son procès, la Cour relève en outre que dans le cadre de la procédure devant elle, le requérant a affirmé les avoir livrés uniquement parce que les éléments de preuve litigieux auraient été, et avaient bien été, utilisés comme preuves à charge. Elle note cependant que dans l’instance devant les tribunaux internes, le requérant a toujours confirmé être passé aux aveux de son plein gré par remords et en guise d’excuse. Quoi qu’il en soit, compte tenu des motifs du tribunal régional insistant sur l’importance décisive que les aveux du requérant avaient revêtue pour ses constatations relatives à l’exécution de l’infraction (paragraphes 30-31 ci-dessus) et sans lesquels n’aurait peut-être pu être prouvée qu’une infraction moins grave, et du fait que le requérant a été assisté par un défenseur, la Cour n’a pas la conviction que l’intéressé n’eût pas pu garder le silence et qu’il n’ait plus disposé d’autre moyen de défense que d’avouer au procès. En réalité, il est passé aux aveux tout au début du procès et à la fin en des termes différents, de sorte que l’on peut dire qu’il a varié dans sa ligne de défense. Ses aveux ne peuvent donc être tenus pour le résultat de mesures qui auraient vidé de leur substance les droits de la défense à son procès.

108.  Quant aux possibilités qu’a eues le requérant de contester les éléments litigieux, la Cour remarque qu’il a combattu avec succès l’utilisation des propos qu’il avait tenus avant le procès. Le tribunal régional a exclu non seulement les déclarations extorquées en soi, mais aussi toutes les autres que l’intéressé aurait pu formuler à cause de l’effet persistant du traitement contraire à l’article 3. En outre, le requérant aurait pu s’opposer et s’est de fait opposé à l’utilisation des éléments de preuve matériels – et dignes de crédit – à son procès. Le tribunal régional, qui avait la latitude d’exclure ces preuves, les a déclarées recevables par une décision pleinement motivée pesant tous les intérêts en jeu. Dès lors, la Cour estime que les droits de la défense du requérant n’ont pas non plus été méconnus à cet égard.

109.  La Cour conclut que dans les circonstances particulières de la cause, dont la surveillance policière à laquelle le requérant fut soumis une fois qu’il se fut emparé de la rançon et les éléments de preuve non viciés, les éléments de preuve litigieux ne sont intervenus qu’accessoirement dans le verdict de culpabilité qui a frappé le requérant et que leur admission n’a pas compromis les droits de la défense. Leur utilisation n’a donc pas privé l’ensemble du procès du requérant de caractère équitable. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

NAVONE ET AUTRES c. MONACO du 24 octobre 2013

Requêtes n° 62880/11 62892/11 62899/11

Le droit de garder le silence lors d'une garde à vue doit être notifié.

69.  La Cour rappelle que si l’article 6 de la Convention a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. En particulier, l’article 6 – spécialement son paragraphe 3 – peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès (Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 36, série A no 275). Ainsi qu’il est établi dans la jurisprudence de la Cour, le droit énoncé au paragraphe 3 c) de l’article 6 constitue un élément parmi d’autres de la notion de procès équitable en matière pénale contenue au paragraphe 1 (ibidem, § 37).

70.  La Cour a maintes fois souligné l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même.

71.  S’agissant plus particulièrement du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et du droit de garder le silence lors d’un interrogatoire de police, la Cour rappelle qu’il s’agit de normes internationales généralement reconnues et qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray c. Royaume-Uni [GC], no 18731/91, § 45, Recueil 1996-I). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume‑Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002‑IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006‑IX, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007‑VIII, Brusco, précité, § 44, et Süzer c. Turquie, no 13885/05, § 75, 23 avril 2013).

72.  En l’espèce, la Cour constate d’emblée qu’il n’est pas contesté qu’à aucun moment, durant leur garde à vue, les requérants ne se sont vus notifier leur droit de garder le silence.

73.  Certes, le Gouvernement estime que le refus de MM. Navone et Lafleur d’être assisté par un avocat doit être interprété comme entraînant automatiquement un refus de bénéficier de toutes les autres garanties, notamment le droit au silence ; selon lui, l’officier de police judiciaire n’aurait dû informer les requérants de leur droit de se taire que dans l’hypothèse où ils auraient décidé de demander l’assistance d’un avocat. La Cour ne saurait partager cette analyse.

74.  En effet, elle rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence précitée qu’une personne gardée à vue bénéficie, d’une part, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence et, d’autre part, du droit à l’assistance d’un avocat pendant tous les interrogatoires. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, il s’agit de droits distincts : dès lors, une éventuelle renonciation à l’un d’eux n’entraîne pas renonciation à l’autre. Par ailleurs, la Cour souligne que ces droits n’en sont pas moins complémentaires, puisqu’elle a déjà jugé que la personne gardée à vue doit a fortiori bénéficier de l’assistance d’un avocat lorsqu’elle n’a pas été préalablement informée par les autorités de son droit de se taire (Brusco, précité, § 54). Elle rappelle en outre que l’importance de la notification du droit au silence est telle que, même dans l’hypothèse où une personne consent délibérément à faire des déclarations aux policiers après avoir été informée que ses propos pourront servir de preuve contre elle, ce qui n’a pas davantage été le cas en l’espèce, son choix ne saurait être considéré comme totalement éclairé dès lors qu’aucun droit à garder le silence ne lui a été expressément notifié et qu’elle pris sa décision sans être assistée par un conseil (Stojkovic c. France et Belgique, no 25303/08, § 54, 27 octobre 2011).

75.  La Cour prend note de la réforme du droit monégasque, lequel prévoit, désormais, que la personne gardée à vue est informée dès le début de sa garde à vue qu’elle a le droit de ne faire aucune déclaration, et ce qu’elle ait choisi de bénéficier d’un avocat ou non (paragraphes 40, 41 et 64 ci-dessus). Tel n’était cependant pas le cas à l’époque des faits.

76.  Partant, l’absence de notification à MM. Navone et Lafleur de leur droit de garder le silence pendant la garde à vue a emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANÇAISE

LE DROIT DE GARDER LE SILENCE DEVANT LES JURIDICTIONS PÉNALES

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 14 mai 2019, pourvoi n° 19-81408 Cassation

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Attendu qu’il se déduit de cette disposition que la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre l’ordonnance du juge d’instruction la renvoyant devant une cour d’assises, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; que la méconnaissance de l’obligation d’informer l’intéressé du droit de se taire lui fait nécessairement grief ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a relevé appel de l’ordonnance de mise en accusation rendue par le juge d’instruction ; qu’ayant comparu à l’audience de la chambre de l’instruction lors de laquelle son recours a été examiné, il n’a pas été informé, à l’ouverture des débats devant cette juridiction, des droits précités ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-85699 Cassation

Vu les articles 406, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-535 du 27 mai 2014, et 512 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en application du premier de ces textes, devant le tribunal correctionnel, le président ou l'un des assesseurs, par lui désigné, informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; que la méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire lui fait nécessairement grief ;

Que, selon le second, ces dispositions sont applicables devant la chambre des appels correctionnels ;

Attendu qu'il ne résulte pas de l'arrêt attaqué que Mme X..., qui a comparu à l'audience de la cour d'appel du 3 juillet 2014, en qualité de prévenue, ait été informée du droit de se taire au cours des débats ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef

LE DROIT DE GARDER LE SILENCE EN GARDE A VUE

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 16 décembre 2015, pourvoi n° 15-81160 Cassation

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout arrêt ou jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats que la cour a entendu, en qualité de témoin, M. Z..., gendarme, qui avait participé à l'enquête ; qu'à la suite de sa déposition et de ses réponses aux questions, l'avocat de l'accusé a demandé au président de lui donner acte de ce que le témoin avait rappelé des déclarations incriminantes faites par M. Y... lors de sa garde à vue, en décembre 2005, alors que ce dernier n'avait pas reçu notification du droit de se taire ; que le président a fait droit à cette demande ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de l'accusé, la feuille de motivation énonce que la cour d'assises a été convaincue par la lecture des premières déclarations de M. A..., de l'audition de M. B..., de celle de M. de Sousa, de celle de Mme C..., et par les premières déclarations de l'accusé ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs imprécis qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour et les jurés ne se sont fondés ni exclusivement ni essentiellement sur des déclarations incriminantes recueillies au cours de la garde à vue sans l'assistance d'un avocat et sans la notification du droit de se taire, la cour d'assises n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

Cour de Cassation, chambre criminelle, Arrêt du 5 mars 2013 pourvoi n°12-87087, cassation

Attendu que, conduit à la maison d'arrêt par deux officiers de police judiciaire, auxquels le juge d'instruction avait, le même jour, délivré une commission rogatoire aux fins de poursuivre les investigation, M. X... s'est, aux termes d'un procès-verbal dressé par ceux-ci et visant la délégation du magistrat instructeur, livré à des confidences auprès d'eux sur sa participation aux infractions et le déroulement des faits ;

Que, le 14 mai 2012, il a déposé une requête en annulation de ce procès-verbal et de tous les actes subséquents, motif pris de ce que les officiers de police judiciaire avaient procédé à son audition, postérieurement à sa mise en examen, et hors la présence de son avocat, en violation des articles 114 et 152, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour rejeter la requête, l'arrêt retient que les officiers de police judiciaire n'ont pas procédé à un interrogatoire de M. X..., mais ont seulement retranscrit ses confidences au cours du transfert vers la maison d'arrêt, dans un procès-verbal de renseignements relatant et transmettant au juge d'instruction les propos tenus devant eux ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le recueil, dans ces conditions, des propos par lesquels le mis en examen s'incriminait lui-même, avait pour effet d'éluder les droits de la défense et que les officiers de police judiciaire auraient dû se borner, constatant la volonté du mis en examen de s'exprimer plus amplement sur les faits, à en faire rapport au juge d'instruction, seul habilité à procéder à un interrogatoire dans les formes légales, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et principe susvisés

Cour de Cassation, chambre criminelle, Arrêt du 3 avril 2013 pourvoi n°11-87333, cassation

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans violer l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la notification du droit de se taire et de ne pas s'accuser, n'est reconnue qu'aux personnes placées en garde à vue ou faisant l' objet d'une mesure de rétention douanière

Un stratagème de mise en place de caméra pour placer deux prévenus dans deux cellules cote à cote dans le but de les écouter, n'est pas une preuve loyale car un prévenu est amené à s'incriminer lui-même

Cour de cassation assemblée plénière arrêt du 6 mars 2015 pourvoi n° 14-84339 CASSATION

Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles préliminaire et 63-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ;

Attendu que porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l'autorité publique ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation, présentée par M. X..., des procès-verbaux de placement et d'auditions en garde à vue, de l'ordonnance autorisant la captation et l'enregistrement des paroles prononcées dans les cellules de garde à vue, des pièces d'exécution de la commission rogatoire technique accompagnant celle-ci et de sa mise en examen, prise de la violation du droit de se taire, d'un détournement de procédure et de la déloyauté dans la recherche de la preuve, l'arrêt retient que plusieurs indices constituant des raisons plausibles de soupçonner que M. X... avait pu participer aux infractions poursuivies justifient son placement en garde à vue, conformément aux exigences de l'article 62-2, alinéa 1, du code de procédure pénale, que l'interception des conversations entre MM. Z... et X... a eu lieu dans les conditions et formes prévues par les articles 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale, lesquelles n'excluent pas la sonorisation des cellules de garde à vue contrairement à d'autres lieux visés par l'article 706-96, alinéa 3, du même code, que les intéressés, auxquels a été notifiée l'interdiction de communiquer entre eux, ont fait des déclarations spontanées, hors toute provocation des enquêteurs, et que le droit au silence ne s'applique qu'aux auditions et non aux périodes de repos ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'au cours d'une mesure de garde à vue, le placement, durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal d'enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s'incriminer soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable, la chambre de l'instruction a violé les textes et principes susvisés

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 8 janvier 2014 pourvoi n° 13-85246 CASSATION

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves ;

Attendu que porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l’autorité publique ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d’une information ouverte à la suite d’un vol à main armée, le juge d’instruction a, par ordonnance, prise sur le fondement des articles 706-92 à 706-102 du code de procédure pénale, autorisé la mise en place d’un dispositif de sonorisation dans les cellules de garde à vue d’un commissariat de police ; que MM. Y... et X..., identifiés comme ayant pu participer aux faits objet de la poursuite, ont été placés en garde à vue dans deux cellules contiguës et ont pu, ainsi, communiquer pendant leurs périodes de repos ; qu’au cours de ces périodes, ont été enregistrés des propos de M. X... par lesquels il s’incriminait lui-même ; que celui-ci , mis en examen et placé en détention provisoire, a déposé une requête en annulation de pièces de la procédure ;

Attendu que, pour écarter les moyens de nullité des procès-verbaux de placement et d’auditions en garde à vue, des pièces d’exécution de la commission rogatoire technique relative à la sonorisation des cellules de garde à vue et de la mise en examen, pris de la violation du droit de se taire, du droit au respect de la vie privée et de la déloyauté dans la recherche de la preuve, la chambre de l’instruction énonce que le mode de recueil de la preuve associant la garde à vue et la sonorisation des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal ou susceptible de porter atteinte aux droits de la défense, dès lors que les règles relatives à la garde à vue et les droits inhérents à cette mesure ont été respectés et que la sonorisation a été menée conformément aux restrictions et aux règles procédurales protectrices des droits fondamentaux posées expressément par la commission rogatoire du juge d’instruction et qu’il peut être discuté tout au long de la procédure ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de MM. Y... et X... dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux participait d’un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves, lequel a amené M. X... à s’incriminer lui-même au cours de sa garde à vue, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue.

PROVOCATION POLICIÈRE A COMMETTRE L'INFRACTION

VIRGIL DAN VASILE c. ROUMANIE du 15 mai 2018 requête n° 35517/11

Article 6 § 1 de la convention. Le requérant se plaint du caractère inéquitable de la procédure pénale dirigée contre lui. Il dénonce à cet égard sa condamnation par les tribunaux internes à la suite de ce qu’il considère comme une provocation policière menée par l’agent infiltré M., qui l’aurait poussé à lui vendre des stupéfiants. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention. En fait il vendait de la drogue à tout le monde, les policiers se sont juste présentés comme clients. Il ne s'agit donc pas d'une provocation policière au sens de l'article 6 § 1 de la Convention

CEDH

a) Les principes applicables

37. Les principes généraux relatifs aux garanties d’un procès équitable dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation afin de lutter contre le trafic de stupéfiants ou la corruption sont détaillés dans l’affaire Ramanauskas c. Lituanie ([GC], no 74420/01, §§ 49-61, CEDH 2008) et ont été récemment rappelés dans l’affaire Pătraşcu c. Roumanie (no 7600/09, §§ 27-41, 14 février 2017).

38. Plus particulièrement, la Convention n’empêche pas de s’appuyer au stade de l’enquête préliminaire, et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs anonymes. Toutefois, l’intervention d’agents infiltrés doit être clairement circonscrite et entourée de garanties (Ramanauskas, précité, §§ 53-54) : si elle peut agir en secret, la police ne peut pas provoquer la commission d’une infraction (Opriș c. Roumanie, no 15251/07, § 51, 23 juin 2015).

39. Pour distinguer entre la provocation policière et l’usage permissible de techniques spéciales d’investigation, la Cour se sert principalement de deux critères : un critère de fond et un critère procédural. Elle a expliqué la méthodologie qu’elle suit lors de l’application de ces critères dans l’affaire Matanović c. Croatie (no 2742/12, §§ 131-135, 4 avril 2017).

i. Le critère de fond

40. La Cour rappelle qu’il y a provocation policière lorsque les agents impliqués – membres des forces de l’ordre ou personnes intervenant à leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne qui fait l’objet d’une surveillance une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’elle n’aurait pas autrement perpétrée, pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et poursuivre la personne en question (voir Blaj c. Roumanie, no 36259/04, § 108, 8 avril 2014).

41. Pour se prononcer sur cette question, la Cour vérifie s’il existait des soupçons objectifs selon lesquels le requérant avait été mêlé à une quelconque activité criminelle ou avait une propension à se livrer à une telle activité, si les agents infiltrés s’étaient simplement « associés » aux actes criminels ou étaient à l’origine de ces actes, et s’ils avaient exercé des pressions sur le requérant pour qu’il commette l’infraction en cause (Bannikova c. Russie, no 18757/06, § 38-44, 4 novembre 2010, et Veselov et autres c. Russie, nos 23200/10 et 2 autres, §§ 91 in fine et 92, 2 octobre 2012). Elle rappelle en particulier que les agents infiltrés doivent éviter tout comportement pouvant être interprété comme une pression sur le requérant, comme prendre l’initiative de contacter le requérant, renouveler l’offre malgré un refus initial, inciter avec insistance, offrir un prix supérieur à celui du marché ou faire appel à la compassion du requérant en mentionnant les symptômes du sevrage (Veselov et autres, précité, § 92, avec les références citées).

42. En plus de ce qui précède, les éléments suivants peuvent, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, être considérés comme indicatifs d’une activité criminelle préexistante ou de l’intention de déployer une telle activité : la familiarité avérée du requérant avec les prix du marché des stupéfiants et la capacité d’en obtenir promptement (Shannon c. Royaume-Uni (déc.), no 67537/01, CEDH 2004-IV) et son gain pécuniaire de la transaction (voir, a contrario, Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 134, CEDH 2006‑XII (extraits)).

ii. Les garanties procédurales

43. Lorsque l’examen du critère de fond ne permet pas de mettre en évidence des éléments décisifs, la Cour procède à la seconde étape de son analyse et examine la procédure par laquelle les juridictions nationales ont tranché les arguments tirés de la provocation policière. L’examen de ce second critère est une étape nécessaire lorsque la Cour examine des griefs tirés de la provocation policière (Pătraşcu précité, § 36).

44. L’examen de la procédure dans le cadre de laquelle il a été statué sur l’allégation de provocation policière est nécessaire afin de vérifier, dans le cas d’espèce, si les droits de la défense ont été adéquatement protégés, notamment le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, §§ 46‑48, CEDH 2004‑X, Constantin et Stoian, précité, §§ 56-57, et Lagutin et autres c. Russie, nos 6228/09 et 4 autres, §§ 94-95, 24 avril 2014).

45. La preuve de l’absence de provocation incombe à la partie poursuivante pour autant que les allégations du requérant ne soient pas dépourvues de toute vraisemblance (Ramanauskas, précité, § 70, et Furcht c. Allemagne, no 54648/09, § 53, 23 octobre 2014). À défaut d’une telle preuve contraire, il appartient aux autorités judiciaires de procéder à un examen des faits de la cause et de prendre les mesures nécessaires à la manifestation de la vérité afin de déterminer s’il y a eu ou non provocation. Les juridictions nationales doivent notamment examiner les raisons pour lesquelles l’opération d’investigation spéciale avait été montée, l’étendue de la participation de la police à l’infraction ainsi que la nature de la provocation ou des pressions exercées sur le requérant (Ramanauskas, précité, § 71).

46. Enfin, en règle générale, la Cour exige que les agents infiltrés ainsi que toute personne qui peut témoigner sur la question de la provocation policière soient entendus par le tribunal et contre-interrogés par la défense ou qu’au moins des raisons détaillées soient données lorsque cela s’avère impossible (Lagutin et autres, précité, § 101).

iii. La méthodologie de la Cour

47. Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’une question préliminaire dans son analyse d’un grief tiré de la provocation est relative à l’existence d’un grief défendable selon lequel le requérant a été soumis à une provocation de la part des autorités de l’État. À cet égard, afin de procéder à un examen complémentaire, la Cour doit s’assurer que la situation qui lui est soumise relève en apparence de la « catégorie des affaires de provocation » (voir, pour des affaires dans lesquelles ce critère n’a pas été rempli, Trifontsov c. Russie (déc.), no 12025/02, §§ 32-35, 9 octobre 2012, et Lyubchenko c. Ukraine (déc.), no 34640/05, §§ 33-34, 31 mai 2016).

48. Si la Cour conclut que le grief du requérant doit être examiné dans la « catégorie des affaires de provocation », elle examinera dans un premier temps le critère de fond (voir, en ce sens, Matanović, précité, § 132).

49. S’agissant du critère de fond, lorsque la Cour estime avec un degré suffisant de certitude, sur la base des informations disponibles, que les autorités nationales ont enquêté sur les activités du requérant de manière essentiellement passive et qu’elles ne l’ont pas incité à commettre une infraction, elle conclut normalement que l’utilisation ultérieure dans le cadre de la procédure pénale menée à l’encontre du requérant des preuves obtenues par le biais des mesures de surveillance ne soulève aucune question sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, en ce sens, Scholer c. Allemagne, no 14212/10, § 90, 18 décembre 2014, et Rymanov c. Russie (déc.), no 18471/03, 13 décembre 2016).

50. Toutefois, si les conclusions de la Cour relatives au critère de fond ne sont pas concluantes en raison d’un manque d’informations dans le dossier, de l’absence de divulgation d’informations ou de contradictions dans l’interprétation des événements par les parties (Bannikova, précité, §§ 52 et 67, Edwards et Lewis, précité, § 46, et V. c. Finlande, no 40412/98, § 80, 24 avril 2007) ou si la Cour estime, sur la base du critère de fond, que le requérant a été soumis à la provocation, contrairement aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, elle doit procéder, dans un second temps, à l’examen des garanties procédurales.

c) L’application de ces principes en l’espèce

51. La Cour note d’emblée que les autorités nationales ont organisé la procédure de flagrance le 26 mars 2007, soit après seulement que le requérant avait déjà vendu des stupéfiants au collaborateur de la police, à une date non précisée en mars 2007, puis à l’agent l’infiltré, le 18 mars 2007 (paragraphes 7 et 9 ci-dessus). Elle considère que la procédure de flagrance n’a donc pas été un épisode ponctuel, puisqu’elle a été précédée de deux transactions opérées par le requérant. Elle note ensuite que le requérant a soutenu devant la Haute Cour qu’il n’y avait eu aucun soupçon objectif selon lequel il aurait été mêlé à une quelconque activité criminelle (paragraphe 26 ci-dessus), mais que la Haute Cour n’a pas exprimé des doutes quant aux raisons ayant justifié le recours à l’infiltration d’un agent de la police, au motif que les éléments au dossier prouvaient que le requérant était antérieurement connu comme ayant des préoccupations liées au trafic illicite de drogues (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour ne saurait remettre en question ce constat, d’autant plus que d’autres éléments de preuve, y compris en particulier les dépositions des coïnculpés et des témoins, supplémentaient les raisons justifiant l’opération policière (paragraphes 16 et 17 ci-dessus).

52. Elle observe ensuite que les parties ont des versions divergentes quant au déroulement des événements survenus le 25 mars 2007, la veille de la procédure de flagrance. Le requérant allègue que c’est M. qui l’a appelé dans le but de lui acheter des stupéfiants et qui lui a proposé un prix supérieur à celui du marché, alors que le Gouvernement indique que c’est le requérant qui a pris l’initiative d’appeler l’agent infiltré et qui a fixé le prix de la transaction (paragraphe 11 ci-dessus). Toutefois, la Cour note que, dans son réquisitoire, la DIICOT, se fondant entre autres sur les transcriptions des conversations téléphoniques du requérant, a retenu que, le 25 mars 2007, le requérant avait pris contact avec l’agent infiltré M. dans le but de lui vendre des stupéfiants (paragraphe 15 ci-dessus). En tout état de cause, elle relève que le requérant a indiqué dans ses motifs de recours que M. l’avait appelé à plusieurs reprises et qu’il avait insisté pour qu’il lui vende des stupéfiants (paragraphe 26 ci-dessus) et que la Haute Cour a rejeté cet argument, jugeant qu’il n’y avait pas d’élément de preuve attestant que l’agent infiltré avait provoqué d’une manière quelconque le comportement du requérant (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour note que la Haute Cour a également conclu, sur la base des éléments de preuve présents dans le dossier devant elle, que les préoccupations du requérant liées au trafic illicite de drogues étaient antérieurement connues par les autorités (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour en déduit qu’il y avait des éléments objectifs justifiant l’opération policière et n’a, dès lors, de raison de mettre en doute ces constats des juridictions nationales qui ont conclu à l’absence de provocation. En effet, les transcriptions des conversations téléphoniques que le requérant a eues avec l’agent infiltré le 26 mars 2007 montrent que l’agent avait répondu aux appels antérieurs du requérant et que ce dernier avait encouragé l’agent à venir plus vite au lieu de rencontre (paragraphe 12 ci‑dessus).

53. La Cour estime que d’autres éléments jettent de sérieux doutes sur les arguments du requérant tirés de la provocation policière. Ainsi, elle note qu’il ressort des constats des autorités nationales, non contestés par le requérant, que ce dernier a vendu, sur une période assez courte au mois de mars 2007, cent soixante-dix-sept comprimés contenant du méthylène‑dioxi-méthamphétamine (MDMA), une autre amphétamine et de la caféine. Elle observe que le requérant a vendu ces comprimés à trois reprises et qu’il se les est procurés avec une certaine facilité (voir, en ce sens, Scholer c. Allemagne, no 14212/10, §§ 86 et 89, 18 décembre 2014, et Mills c. Irlande (déc.) [Comité], no 50468/16, § 25, 10 octobre 2017). De plus, l’intéressé a pris plusieurs mesures de précaution lors des transactions : il a demandé à l’agent infiltré de changer les billets de banque, en lui indiquant qu’il craignait qu’ils ne soient marqués par la police, et il n’a jamais remis les stupéfiants directement à l’agent, mais s’est servi de P.R.A. comme intermédiaire et a choisi de déposer les comprimés dans une boîte aux lettres (paragraphes 9 et 12 ci‑dessus). De l’avis de la Cour, ces éléments peuvent être considérés comme indicatifs d’une activité criminelle préexistante que les autorités ont enquêtée de manière passive (voir, mutatis mutandis, Eurofinacom c. France, (déc.), no 58753/00, CEDH 2004/VII, et Volkov et Adamskiy c. Russie, nos 7614/09 et 30863/10, §§ 37-46, 26 mars 2015) ou de l’intention de déployer une telle activité (voir, mutatis mutandis, Shannon, décision précitée).

54. La Cour estime dès lors que le requérant ne saurait alléguer avoir été soumis à la provocation de la part des agents de l’État afin de commettre les actions pour lesquelles il a été ensuite poursuivi et condamné. Elle note d’ailleurs que l’intéressé a soutenu devant les autorités nationales qu’il avait été victime d’une provocation policière (paragraphes 22 et 26 ci-dessus) et que les tribunaux internes, à chaque degré de juridiction, ont répondu à ses arguments et les ont rejetés pour défaut de fondement (paragraphes 20, 24 et 28 ci‑dessus ; voir, a contrario, Opriş, précité, § 61). Au vu de l’ensemble des éléments versés par les parties au dossier et compte tenu du fait que le requérant s’est plaint devant elle dans des termes généraux, sans fournir plus de précisions (paragraphe 35 ci‑dessus), la Cour ne dispose pas d’éléments pour remettre en question les constats des tribunaux internes.

55. Eu égard à ces éléments, la Cour estime, sur la base des informations disponibles dans le dossier devant elle, pouvoir conclure avec un degré suffisant de certitude que les autorités des poursuites ont enquêté sur les activités du requérant de manière essentiellement passive et qu’elles ne l’ont pas provoqué à commettre des infractions qu’il n’aurait pas commis autrement. Les mesures de surveillance ne sont pas constitutives de provocation au sens de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 de la Convention. L’utilisation ultérieure, dans le cadre de la procédure pénale menée à l’encontre du requérant, des éléments obtenus par le biais des mesures de surveillance ne soulève pas de question sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (Matanović, précité, § 145).

56. Partant, la Cour dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la provocation policière.

OPRIȘ c. ROUMANIE du 23 juin 2015 requête 15251/07

Violation de l'article 6 : La provocation policière a été déterminante dans le trafic de drogue du requérant. Les tribunaux n'ont pas prêté attention à ce fait.

2.  Les principes généraux

50.  Les principes généraux relatifs aux garanties d’un procès équitable dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation afin de lutter contre le trafic de drogue ou la corruption sont détaillés dans les affaires Bannikova c. Russie (no 18757/06, §§ 33-65, 4 novembre 2010) et Lagutin et autres (précité, §§ 89-101).

51.  En particulier, la Cour a souligné qu’elle était consciente des difficultés de la lutte contre les infractions graves et de la nécessité pour les autorités de recourir parfois à des méthodes d’enquête plus élaborées. En principe, sa jurisprudence ne fait pas obstacle, au stade des investigations et dès lors que la nature de l’infraction le justifie, à ce que soient versés au dossier des éléments recueillis au moyen d’une opération policière d’infiltration (Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, série A no 238). Toutefois, l’intervention d’agents infiltrés doit être circonscrite : si elle peut agir en secret, la police ne peut pas provoquer la commission d’une infraction (Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV, et Vaniane c. Russie, no 53203/99, §§ 46-47, 15 décembre 2005).

52.  Par ailleurs, il y a provocation policière lorsque les agents impliqués – membres des forces de l’ordre ou personnes intervenant à leur demande – ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne qui fait l’objet d’une surveillance une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’elle n’aurait pas autrement perpétrée, pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et poursuivre la personne en question (Teixeira de Castro, précité, § 38 ; voir, a contrario, Eurofinacom c. France (déc.), no 58753/00, CEDH 2004-VII).

53.  En outre, quand les informations divulguées par les autorités de poursuite ne permettent pas à la Cour de constater si le requérant a été ou non victime d’une provocation policière, il est essentiel d’examiner la procédure dans le cadre de laquelle il a été statué sur l’allégation de provocation policière afin de vérifier, dans le cas d’espèce, si les droits de la défense ont été adéquatement protégés, notamment le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, §§ 46-48, CEDH 2004‑X, Constantin et Stoian, précité, §§ 56-57, et Lagutin et autres, précité, §§ 94-95).

54.  Enfin, la preuve de l’absence de provocation incombe à la partie poursuivante pour autant que les allégations du requérant ne soient pas dépourvues de toute vraisemblance (Ramanauskas, précité, § 70, et Furcht c. Allemagne, no 54648/09, § 53, 23 octobre 2014). À défaut d’une telle preuve contraire, il appartient aux autorités judiciaires de procéder à un examen des faits de la cause et de prendre les mesures nécessaires à la manifestation de la vérité afin de déterminer s’il y a eu ou non provocation. Les juridictions nationales doivent notamment examiner les raisons pour lesquelles l’opération d’investigation spéciale avait été montée, l’étendue de la participation de la police à l’infraction ainsi que la nature de la provocation ou des pressions exercées sur le requérant (Ramanauskas, précité, § 71).

3.  L’application de ces principes en l’espèce

55.  Faisant application de ces principes en l’espèce, la Cour procédera à un examen en deux étapes (Bannikova, précité, § 67). La première étape consistera à établir si les agents de l’État impliqués dans les activités d’enquête ont adopté une attitude purement passive ou, au contraire, s’ils ont dépassé les limites en agissant comme des « agents provocateurs ». Relativement à ce critère de fond, l’examen de la Cour dépendra en grande partie de la disponibilité des informations relatives aux activités d’investigation précédant l’enquête de flagrance et notamment à la nature des contacts que les agents de l’État ont eus avec le requérant avant la procédure de flagrance. En l’absence de ces informations, la Cour procédera à la seconde étape de son analyse et examinera la procédure par laquelle les juridictions nationales ont tranché les arguments tirés de la provocation policière.

56.  En l’espèce, s’agissant du critère de fond, la Cour note qu’il y a controverse entre les parties quant à l’éventuelle implication du requérant dans des activités liées à la drogue avant l’opération sous couverture de la police. En effet, le Gouvernement allègue qu’il y avait des indices sérieux montrant que le requérant se livrait à un trafic de drogue, ce que l’intéressé conteste (paragraphes 45 et 47 ci-dessus). Toutefois, le Gouvernement n’a pas indiqué quels étaient ces indices. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle doit rechercher s’il y avait des indices concrets et objectifs justifiant une opération d’investigation spéciale (voir, en ce sens, Sequeira c. Portugal (déc.), no 73557/01, CEDH 2003-VI, Shannon c. Royaume-Uni (déc.), no 67537/01, CEDH 2004-IV, et Malininas c. Lituanie, no 10071/04, § 36, 1er juillet 2008).

57.  En l’occurrence, la Cour observe que les indices auxquels le Gouvernement se réfère n’ont pas non plus été révélés pendant la procédure pénale menée à l’encontre du requérant : bien que le tribunal départemental ait fait une demande en ce sens, le parquet n’a pas fourni de précisions quant à la nature de ces indices, se limitant à affirmer que ceux-ci avaient été recueillis selon les méthodes spécifiques de travail de la police (paragraphe 24 ci-dessus). Il en résulte que les juridictions nationales n’ont jamais eu l’occasion de vérifier lesdits indices (Vaniane, précité, § 49, et Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 134, CEDH 2006‑XII (extraits)). En outre, le Gouvernement n’a pas allégué qu’il y avait des raisons impérieuses qui empêchaient la divulgation de ces indices lors de la procédure nationale ou de celle devant la Cour.

58.  Au demeurant, la Cour estime que plusieurs éléments dans le dossier confirment plutôt la version du requérant. Ainsi, l’agent infiltré a précisé dans son rapport, rendu le jour même de l’enquête de flagrance, que l’intéressé lui avait indiqué qu’il s’agissait de sa première tentative de se procurer de la drogue (paragraphe 7 ci-dessus). Lors de son audition devant le tribunal départemental, l’agent infiltré n’a pas non plus fourni un quelconque indice d’une activité liée à la drogue que le requérant aurait menée par le passé (paragraphe 25 ci‑dessus). Par ailleurs, la perquisition au domicile du requérant n’a révélé aucun indice de pareille activité (paragraphe 8 ci‑dessus ; voir, également, en ce sens Constantin et Stoian, précité, § 55).

59.  Ces éléments factuels attestent, à tout le moins, que le requérant n’avait pas été impliqué dans des activités liées à un trafic de drogue avant l’incident en l’espèce et que ses allégations tirées de la provocation policière n’étaient pas dépourvues de toute vraisemblance (Ramanauskas, précité, § 70, et voir, a contrario, Sequeira, précité).

60.  Toutefois, en l’absence d’éléments factuels indiquant que la police a dépassé les limites de ses activités après avoir pris contact avec le requérant et incité ce dernier à commettre une infraction, la Cour ne peut établir avec certitude que tel a été le cas (Lagutin et autres, précité, § 111, et voir, a contrario, Furcht, précité, §§ 57-58). Elle procédera donc à la deuxième étape de son examen (paragraphes 53 et 54 ci-dessus).

61.  À cet égard, la Cour note que le requérant a constamment soutenu devant les juridictions nationales qu’il avait été victime d’une provocation policière (paragraphes 15, 18, 22, 29 et 31 ci-dessus). Or, à l’exception du tribunal départemental, agissant comme juridiction de premier ressort lors de la deuxième phase de la procédure, les juridictions nationales n’ont aucunement répondu à ses arguments.

62.  Par ailleurs, la Cour relève que l’examen desdits arguments opéré par le tribunal départemental dans son jugement du 31 janvier 2006 est sujet à caution. En effet, le tribunal a rejeté ces arguments comme étant « puérils » au motif que le requérant avait eu un comportement antisocial par le passé (paragraphe 30 ci-dessus). La Cour ne saurait approuver ce raisonnement. Elle rappelle avoir déjà retenu qu’une condamnation pénale antérieure ne fournissait aucune indication sur l’existence d’une activité criminelle en cours (Constantin et Stoian, précité, § 55, et Bannikova, précité, § 41). Elle ne saurait donc tirer aucune conséquence des condamnations antérieures du requérant, d’autant plus que ces dernières n’avaient pas trait au trafic de drogue (paragraphe 26 ci-dessus).

63.  Qui plus est, la Cour note que le tribunal départemental s’est fondé, en grande partie, sur la déclaration faite par le requérant devant le parquet par laquelle il avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés : le tribunal a jugé que cette déclaration corroborait celles de l’agent infiltré et de plusieurs témoins (paragraphe 30 ci-dessus). La Cour note aussi que, dans ses observations, le Gouvernement a attaché du poids à cet argument (paragraphe 48 ci-dessus).

64.  Or la Cour rappelle que l’aveu de la commission d’une infraction perpétrée après provocation ne saurait faire disparaître ni la provocation elle-même ni les effets de celle‑ci (Ramanauskas, précité, § 72). L’argument du Gouvernement ne saurait donc être accueilli, faute d’un examen sérieux par le tribunal départemental des raisons qui ont conduit à l’opération sous couverture, de la portée de l’intervention de la police et de la nature de la provocation ou des pressions auxquelles a pu être soumis le requérant (Ramanauskas, précité, § 71).

65.  Par conséquent, en l’absence d’une décision motivée de manière détaillée et complète du tribunal départemental, l’argument du Gouvernement selon lequel la cour d’appel et la Haute Cour ont adhéré au raisonnement de la juridiction de premier ressort (paragraphe 48 ci-dessus) doit aussi être écarté (voir, mutatis mutandis, Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 33, 15 février 2007).

66.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

67.  Dès lors, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le restant du grief tiré du défaut d’audition de l’agent infiltré et de son collaborateur en présence du requérant (Bulfinsky c. Roumanie, no 28823/04, § 49, 1er juin 2010).

Volkov et Adamskiy c. Russie du 26 mars 2015 requêtes nos 7614/09 et 30863/10

Non violation de l'article 6-1 : Personnes condamnées pour distribution de logiciels piratés : ce n’est pas un guet-apens policier qui les a incitées à commettre l’infraction

Les requérants, Andrey Volkov et Aleksandr Adamskiy, sont des ressortissants russes nés respectivement en 1963 et 1988 et habitant à Moscou.

Les deux requérants, qui avaient fait de la publicité pour leurs services de réparation informatique sur Internet et dans un journal, respectivement, furent la cible d’opérations secrètes de la police sous la forme de d’achats tests de logiciels piratés.

Ils furent contactés par des policiers infiltrés, en décembre 2007 et décembre 2008, respectivement, qui leur demandèrent d’installer des logiciels sur leurs ordinateurs. Chacun des requérants installa ensuite un certain nombre de logiciels sans licence sur les ordinateurs des agents. Leurs conversations avec ces derniers, au cours desquelles ils indiquèrent que les programmes étaient sans licence, furent enregistrées.

Les deux requérants furent ultérieurement reconnus coupables de violation de droits d’auteur.

M. Volkov fut condamné à un an et trois mois d’emprisonnement avec sursis et M. Adamskiy à un an et six mois d’emprisonnement avec sursis. Leurs condamnations furent confirmées en appel en août 2008 et novembre 2009, respectivement. Au cours du procès en appel de M. Volkov en août 2008, l’avocat qui l’avait représenté en première instance n’était pas présent et M. Volkov ne fut pas représenté par un autre avocat.

Dans plusieurs affaires précédentes dirigées contre la Russie, la Cour a jugé que le droit russe n’offrait pas de garanties suffisantes dans le cadre des opérations d’infiltration policière. Cependant, les cas de MM. Volkov et Adamskiy se distinguent de ces affaires dans lesquelles la Cour a conclu à des violations de l’article 6 de la Convention au motif que la police avait incité les requérants à perpétrer des infractions. En particulier, la Cour estime que le comportement de MM. Volkov et Adamskiy a été le facteur déterminant de leur condamnation.

Les requérants furent tous deux joints par la police – qui avait reçu des renseignements les incriminant – aux numéros de téléphone publics qu’ils avaient indiqués dans leurs publicités pour leurs services de réparation informatique. La police leur demanda d’installer certains programmes informatiques mais les requérants n’ont jamais allégué devant les juridictions nationales qu’elle leur avait expressément demandé des logiciels sans licence ni qu’elle avait fait pression sur eux. De plus, les retranscriptions des conversations entre les policiers et les requérants montrent que ces derniers avaient, de leur propre initiative, apporté les logiciels sans licence aux fins de leur installation, sans incitation irrégulière. Le comportement des policiers n’a donc pas dépassé celui, ordinaire, d’un client dans le cadre d’une transaction commerciale régulière.

En conclusion, c’est le comportement délibéré des requérants – et non l’action de la police – qui a été le facteur déterminant dans la perpétration des infractions car MM. Volkov et Adamskiy ont choisi de leur plein gré d’agir illégalement en réaction à ce qui apparaissait être une demande régulière de la police. Le comportement de celle-ci n’était donc pas illégal ou arbitraire. Il s’ensuit que grief des requérants est manifestement mal fondé et donc irrecevable.

FURCHT C. ALLEMAGNE du 23 octobre 2014 requête 54648/09

Article 6-1 non respecté : Les juridictions allemandes n’auraient pas dû utiliser des éléments de preuve obtenus par provocation policière dans une procédure contre un suspect de trafic de stupéfiants.

La Cour doit déterminer, premièrement, si les poursuites pénales contre M. Furcht étaient inéquitables et, deuxièmement, si l’intéressé peut toujours se prétendre victime de la violation alléguée de la Convention aux fins de l’article 34 (requêtes individuelles), eu égard au fait que les tribunaux allemands ont déjà reconnu qu’il avait été incité par une autorité de l’État à commettre les infractions en question et qu’ils ont adouci sa peine.

Concernant la première question, la Cour parvient à la conclusion que l’opération d’infiltration dans la cause de M. Furcht est allée au-delà de la simple enquête passive sur une activité délictueuse. La mesure s’analyse en effet en une provocation policière telle que définie par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6. De plus, les éléments recueillis au moyen de la provocation policière ont été utilisés lors des poursuites dirigées contre le requérant.

Parvenant à la conclusion que M. Furcht a été incité à commettre les infractions en question, la Cour observe qu’il n’avait pas précédemment de casier judiciaire ; il n’y avait pas de raisons objectives de penser qu’il était impliqué dans le trafic de stupéfiants, et la police ne l’a vu que comme un intermédiaire permettant de contacter un autre suspect. Certes, par la suite, il a lui-même évoqué la possibilité de livrer des stupéfiants et a pu organiser rapidement des transactions. Cependant, le moment pertinent pour déterminer s’il existe des raisons objectives de penser qu’une personne est disposée à commettre une infraction pénale est le moment où cette personne est approchée par la police pour la première fois. De plus, il est révélateur que M. Furcht ait expliqué à l’un des policiers infiltrés qu’il ne souhaitait plus participer à une transaction portant sur des stupéfiants. Malgré cela, le policier l’a recontacté et convaincu d’organiser la vente. Par cette conduite, les autorités d’enquête ont manifestement abandonné toute attitude passive et ont poussé l’intéressé à commettre les infractions en cause.

Concernant la seconde question, la Cour observe qu’elle n’est pas tenue de statuer sur la question de savoir si, en concluant que M. Furcht a été incité par une autorité de l’État à commettre les infractions en cause, les juridictions allemandes ont admis en substance la violation de l’article 6. Ce qui est en jeu, c’est le point de savoir si les tribunaux allemands ont offert au requérant un redressement suffisant. Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 6 § 1 ne permet pas l’utilisation d’éléments de preuve recueillis au moyen d’une provocation policière. Pour qu’un procès soit équitable, il faut écarter tous les éléments obtenus de cette façon ou appliquer une procédure aboutissant à un effet similaire. Dans la cause de M. Furcht, les éléments recueillis par provocation policière ont été utilisés et sa condamnation repose sur ces éléments. Dès lors, la Cour n’est pas convaincue que même une atténuation considérable de sa peine puisse être assimilée à une procédure ayant un effet similaire ou à l’exclusion des éléments de preuve en question. Il s’ensuit que M. Furcht n’a pas obtenu un redressement suffisant et qu’il peut toujours se prétendre victime de la violation alléguée de la Convention. En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

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