JURIDICTION PARTIALE

ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION

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"Un État qui confie sa justice à des magistrats partiaux, n'apporte pas
la sécurité juridique indispensable pour bâtir la prospérité de son peuple"
Frédéric Fabre docteur en droit.

Article 6§1 en ses termes compatibles :

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ( ) par un tribunal indépendant et impartial ( ) qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle...."

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- L'APPARENCE DE PARTIALITÉ EST SUFFISANTE SI ELLE EST SUBJECTIVEMENT OU OBJECTIVEMENT JUSTIFIEE

- L'ANALYSE OBJECTIVE DE LA PARTIALITÉ D'UN TRIBUNAL

- L'ANALYSE SUBJECTIVE DE LA PARTIALITÉ D'UN JUGE : LA PREUVE APPARTIENT AU REQUÉRANT

- LES EXPERTS JUDICIAIRES PARTIALITE ET CONTESTATION

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MOTIVATIONS REMARQUABLES DE LA CEDH

KOLESNIKOVA c. RUSSIE du 2 mars 2021 Requête no 45202/14

Tribunal impartial • Rejet d’une demande de récusation non abusive de tous les juges d’un tribunal ayant décidé eux‑mêmes de la récusation dirigée contre eux • Instance de cassation n’ayant pas remédié aux déficiences litigieuses

55.Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève que la requérante a demandé la récusation de tous les juges de la cour du district en se fondant sur plusieurs motifs (paragraphe 17 ci‑dessus). Elle estime que les circonstances mises en avant par la requérante à l’appui de sa demande de récusation pouvaient faire naître des craintes chez l’intéressée quant à l’impartialité objective de la formation judiciaire de la cour du district. Elle constate que les motifs invoqués par la requérante ont été suffisamment circonstanciés et faisaient état d’éléments concrets et que, dès lors, la demande tendant à la récusation des juges n’était pas abusive (Pastörs c. Allemagne, no 55225/14, § 63, 3 octobre 2019). La Cour note par ailleurs que la cour du district n’a pas non plus considéré ladite demande comme abusive et qu’elle l’a examinée au fond (paragraphe 18 ci‑dessus). Cette demande ne pouvait pas non plus paralyser l’ensemble du système judiciaire puisque l’autorité saisie n’était pas une instance de dernier degré ou une juridiction de petite taille devant laquelle des standards excessivement stricts relatifs à la récusation des juges auraient pu entraver l’administration de la justice (A.K. c. Liechtenstein, précité, §§ 82‑83). En effet, la Cour note que l’article 35 § 1 du CPP comportait un mécanisme susceptible de permettre, le cas échéant, le transfert de l’examen de l’appel de la requérante à un tribunal d’un ressort territorial différent (paragraphe 27 ci‑dessus).

56.  La Cour note ensuite que, conformément à l’article 65 § 3 du CPP (paragraphe 32 ci‑dessus), la demande de récusation introduite par la requérante a été examinée par tous les membres de la formation judiciaire de la cour du district à laquelle l’appel de l’intéressée avait été attribué pour examen. Dans la mesure où la demande de récusation introduite par la requérante visait tous les juges de la cour du district, notamment quant à leurs relations avec le président de ladite cour, la Cour estime que les juges G., Ka., et S. ont examiné eux‑mêmes la demande de récusation les concernant. Elle constate ensuite que, dans leur décision du 18 avril 2013, les juges ont rejeté les arguments de la requérante d’une manière globale et sans les examiner individuellement, se limitant à indiquer qu’aucune des raisons invoquées par l’intéressée dans sa demande ne pouvait constituer un motif de récusation au sens de l’article 61 du CPP (paragraphe 18 ci‑dessus).

57.  Par conséquent, la Cour estime que la procédure d’examen de la demande de récusation introduite par la requérante n’était pas conciliable avec le principe nemo judex in causa sua (nul ne peut être à la fois juge et partie) et ne pouvait, dès lors, faire dissiper les doutes raisonnables et objectifs de l’intéressée sur l’impartialité de la formation judiciaire de la cour du district (voir, à titre de comparaison, A.K. c. Liechtenstein, précité, §§ 81‑85, A.K. c. Liechtenstein (no 2), précité, §§ 66‑67, et, mutatis mutandis, Revtyuk c. Russie, no 31796/10, § 26, 9 janvier 2018).

Grande Chambre MICALLEF c. MALTE arrêt du 15 octobre 2009 Requête no 17056/06

"98. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber, précité, § 26). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Doit donc se déporter tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII)."

L'APPARENCE DE PARTIALITÉ EST SUFFISANTE SI ELLE

ELLE EST SUBJECTIVEMENT OU OBJECTIVEMENT JUSTIFIÉE

Catană c. République de Moldova du 21 février 2023 requête no 43237/13

Art 6-1 : La composition du Conseil supérieur de la magistrature ne répondait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité de la Convention en l’espèce.

Art 6 § 1 (civil) • Exigences d’indépendance et d’impartialité non réunies dans les deux procédures disciplinaires conduites à l’encontre d’une magistrate • Juges non majoritaires dans les formations du collège disciplinaire qui se sont prononcées • Présence au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de membres d’office (dont le ministre de la Justice et le Procureur général) et de professeurs de droit sélectionnés sans suffisamment de garanties d’indépendance • Modification récente de la Constitution ayant changé la composition du CSM.

L’affaire concerne la carrière de magistrate de la requérante qui se vit infliger des sanctions disciplinaires (blâmes sévères). La Cour juge que les exigences d’indépendance et d’impartialité n’étaient pas réunies en l’espèce dans le chef du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ayant statué sur le cas de la requérante. Elle estime en particulier que la présence, même simplement passive, d’un membre du Gouvernement au sein d’un organe habilité à sanctionner disciplinairement des magistrats est, en soi, extrêmement problématique au regard des exigences de l’article 6 de la Convention et singulièrement de l’exigence d’indépendance de l’organe disciplinaire. Elle précise aussi que le manque de transparence sur le rôle du Procureur général dans la prise de décision par le CSM était source tout à fait légitime de préoccupation quant au risque de partialité de ce dernier. Elle considère, enfin, que le processus de sélection des professeurs de droit pour le poste de membre du CSM n’offrait pas suffisamment de garanties d’indépendance.

FAITS : C'est la façon de juger qui est concerné et non son comportement général, plus précisément deux décisions en faveur des droits de l'homme

La requérante, Angela Catană, est une ressortissante moldave née en 1963. Elle est magistrate de profession et réside à Chişinău. En 2011, Mme Catană fit l’objet de deux procédures disciplinaires au terme desquelles deux blâmes sévères furent prononcés à son encontre par le collège disciplinaire auprès du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Dans le cadre de la première procédure, le collège disciplinaire estima que Mme Catană avait abusivement appliqué les dispositions relatives à l’amnistie à une personne condamnée pour viol aggravé.

Quant à la deuxième procédure, le collège estima que Mme Catană avait outrepassé ses attributions de juge en annulant des ordonnances d’ouverture de poursuites pénales rendues par le parquet alors qu’elles n’étaient pas susceptibles de recours devant un juge.

Par la suite, le CSM confirma ces deux décisions et rejeta les recours de Mme Catană.

En 2012, Mme Catană introduisit deux recours devant la Cour suprême de justice, demandant l’annulation des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre. En juin et décembre de la même année, la Haute juridiction rejeta les recours formés par la requérante en application de la loi n° 947- XIII sur le CSM. Selon cette loi, entrée en vigueur en août 2012, les décisions du CSM étaient susceptibles de recours directement devant la Cour suprême de justice, mais « seulement dans leur partie relative à la procédure d’adoption des décisions ».

En l’espèce, la Cour suprême de justice estima que la procédure d’adoption des décisions contestées du CSM avait été respectée. Elle déclina ensuite sa compétence quant aux questions soulevées par la requérante dans ses deux actions. Elle considéra que le législateur avait restreint l’applicabilité de l’article 6 de la Convention dans les litiges impliquant les juges et que cette disposition n’était pas applicable en l’espèce. Elle rejeta donc les actions de la requérante comme mal fondées.

CEDH

61.  Lorsque l’article 6 § 1 de la Convention trouve, comme en l’espèce, à s’appliquer à des procédures disciplinaires, la Cour rappelle que la Convention requiert la mise en place, pour le moins, d’un des deux mécanismes suivants : soit les organes professionnels disciplinaires répondent eux-mêmes aux exigences de l’article 6 de la Convention, soit ils ne les remplissent pas mais la procédure devant eux est soumise à un contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article (Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 29, série A no 58, Fazia Ali c. Royaume-Uni, no 40378/10, § 75, 20 octobre 2015, et Eminağaoğlu c. Turquie, no 76521/12, §§ 94 et 103, 9 mars 2021, et les affaires qui y sont citées).

62.  Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté par les parties que la Cour suprême de justice n’avait pas la compétence pour examiner les questions de fait, la qualification juridique des actes reprochés à la requérante ni la proportionnalité des sanctions disciplinaires infligées. À ce titre, la Cour tient notamment compte des arguments du Gouvernement relatifs à son exception d’irrecevabilité ratione materiae (paragraphe 39 ci-dessus). Elle estime que la Cour suprême de justice ne disposait dès lors pas d’un contrôle de pleine juridiction, au sens de l’article 6 de la Convention, dans les deux procédures disciplinaires dirigées contre la requérante (voir, mutatis mutandis, Albert et Le Compte, précité, § 36, Oleksandr Volkov, précité, §§ 124-29, Denisov, précité, § 74-78, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 212-14 ; contrairement à la situation en cause dans Donev, précité, §§ 88-90). Elle est confortée dans ce constat par les conclusions de la Cour constitutionnelle moldave, opérées dans sa décision du 14 mai 2018 (paragraphe 29 ci-dessus).

63.  Dans ces conditions, il incombe à la Cour de rechercher si les deux instances disciplinaires, à savoir le collège disciplinaire et le CSM, répondaient, quant à eux, aux exigences de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Gubler c. France, no 69742/01, §§ 26 et 27, 27 juillet 2006).

64.  La Cour renvoie à cette fin à sa jurisprudence relative aux exigences d’indépendance et d’impartialité objective posées par l’article 6 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 144-50).

65.  En ce qui concerne, tout d’abord, l’impartialité objective, il convient de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 96, CEDH 2009, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 76, CEDH 2015).

66.  Pour établir, ensuite, si un tribunal peut passer pour « indépendant » au regard de l’article 6 de la Convention, la Cour prend en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (voir, parmi beaucoup d’autres, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 144).

67.  La Cour rappelle que les exigences d’indépendance et d’impartialité objective sont fortement liées (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII) et qu’elles entretiennent elles-mêmes un lien très étroit avec celle du « tribunal établi par la loi » au sens de l’article 6 de la Convention (Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, §§ 231-34 et 295).

68.  La Cour renvoie aux critères qu’elle a retenus pour évaluer l’indépendance et l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature ukrainien (Oleksandr Volkov, précité, §§ 109-15, et Denisov, précité, §§ 68‑69). Elle rappelle que, s’agissant des procédures disciplinaires dirigées contre des juges, elle a souligné la nécessité qu’un nombre important des membres de l’organe disciplinaire soient eux-mêmes juges, ce qui donne un gage certain d’impartialité (Oleksandr Volkov, précité, § 109, et Xhoxhaj c. Albanie, no 15227/19, § 299, 9 février 2021).

a)  Collège disciplinaire

69.  La Cour note que le seul reproche formulé par la requérante au sujet du collège disciplinaire tient au fait que celui-ci n’est pas composé majoritairement de juges (paragraphe 51 in fine ci-dessus).

70.  La Cour a déjà exprimé sa préoccupation lorsque des membres non‑juges constituaient une majorité capable de juger de l’issue de la procédure disciplinaire relative à un magistrat (Oleksandr Volkov, précité, §§ 109-11, et Grzęda, précité, § 305 in fine).

71.  En l’espèce, la Cour observe que, selon le droit interne (paragraphe 23 ci-dessus), le collège disciplinaire était composé de cinq membres juges élus par leurs pairs et cinq professeurs de droit nommés par le CSM ou le ministre de la Justice. Elle relève également que le collège disciplinaire devait examiner les affaires dont il était saisi en présence d’au moins deux tiers de ses membres et que, dans les deux procédures disciplinaires dirigées contre la requérante, ceux-ci étaient au nombre de neuf et sept respectivement (paragraphes 8 et 16 ci-dessus). En l’occurrence, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas étayé ses affirmations selon lesquelles les juges étaient majoritaires dans les formations du collège disciplinaire qui se sont prononcées dans ces deux procédures.

72.  Cela étant, eu égard aux conclusions opérées ci-dessous au sujet du CSM, qui constitue l’instance de recours contre les décisions prises par le collège disciplinaire, la Cour estime qu’il ne s’impose pas d’examiner plus en avant la question de savoir si le collège disciplinaire répondait aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 6 de la Convention.

b) Conseil supérieur de la magistrature

73.  La Cour note que cette partie du grief de la requérante porte sur le manque allégué d’indépendance et d’impartialité du CSM en raison de la présence, en son sein, des trois membres d’office, à savoir le ministre de la Justice, le Procureur général et le président de la Cour suprême de justice, ainsi que des professeurs de droit qui seraient élus sur la base de considérations politiques par le Parlement. La requérante dénonce également le rôle joué par le Procureur général dans les deux procédures disciplinaires la concernant.

74.  La Cour observe que, dans la première procédure disciplinaire dirigée contre la requérante, le CSM s’est prononcé avant la modification législative du 31 août 2012 et qu’il était composé des trois membres d’office précités, de cinq juges élus par leurs pairs et de quatre professeurs de droit (paragraphe 24 ci-dessus). Quant à la seconde procédure disciplinaire, le CSM s’est prononcé après cette date. Outre les trois membres d’office, il était composé de six juges élus par leurs pairs et de trois professeurs de droit (paragraphe 25 ci-dessus).

75.  Pour ce qui est, d’abord, de la qualité de membre de droit du ministre de la Justice, la Cour relève qu’il s’agit d’un membre du Gouvernement, soit du pouvoir exécutif. À ce sujet, elle rappelle l’importance que revêt la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 144, Xhoxhaj, précité, § 295, et Grzęda, précité, § 304). Elle considère que la présence, même simplement passive, d’un membre du Gouvernement au sein d’un organe habilité à sanctionner disciplinairement des magistrats est, en soi, extrêmement problématique au regard des exigences de l’article 6 de la Convention et singulièrement de l’exigence d’indépendance de l’organe disciplinaire (voir également en ce sens les préoccupations de la Commission de Venise et du Conseil consultatif de juges européens mentionnées respectivement aux paragraphes 33 et 36 ci-dessus).

76.  S’agissant, ensuite, du Procureur général, la Cour rappelle avoir déjà jugé, dans des affaires concernant l’Ukraine, que la présence du Procureur général au sein du CSM en tant que membre de droit était source de préoccupations eu égard au rôle du parquet dans la justice interne (Oleksandr Volkov, précité, § 114, et Denisov, précité, §§ 68 et 70). Elle note que, dans le système juridique moldave, tout comme dans celui de l’Ukraine, le Procureur général se trouve au sommet de la hiérarchie du parquet, qu’il supervise tous les procureurs et qu’il participe comme ces derniers à de nombreuses affaires dont les juges sont saisis. Dans ces conditions, la Cour considère que les conclusions énoncées dans ces affaires ukrainiennes quant à la présence du Procureur général dans le CSM sont pertinentes dans le cas d’espèce. Ainsi, la présence du Procureur général dans un organe intervenant dans la discipline des juges s’avère également problématique au regard des exigences d’impartialité et d’indépendance requises par l’article 6 de la Convention. Le risque est en effet que les juges n’officient pas de manière impartiale dans les affaires dont ils sont saisis par crainte d’être sanctionnés disciplinairement ou que le Procureur général n’agisse pas de manière impartiale envers les juges dont il désapprouve les décisions (Oleksandr Volkov, précité, § 114).

77.  Aux yeux de la Cour, la qualité de membre de droit du Procureur général au sein du CSM était d’autant plus problématique que les deux procédures disciplinaires à l’encontre de la requérante ont été engagées par le Procureur général (paragraphes 6 et 15 ci-dessus). Certes, le Gouvernement allègue que celui-ci s’était retiré des délibérations du CSM, comme l’exigeait la loi (paragraphe 57 ci-dessus). Cela étant, et comme le souligne la requérante, la Cour constate que rien dans le dossier ne permet de confirmer cette affirmation du Gouvernement. En effet, il apparait qu’aucun procès-verbal n’a été dressé à l’issue des délibérations du CSM. En outre, les deux décisions du CSM adoptées en l’espèce étaient signées seulement par le président du CSM, sans mention des membres ayant pris part aux délibérations (paragraphes 10 et 18 ci-dessus). La Cour rappelle que, en la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (« il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous ») (voir, parmi beaucoup d’autres, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 149, et Beg S.p.a. c. Italie, no 5312/11, § 132, 20 mai 2021). En l’espèce, elle estime que le manque de transparence sur le rôle du Procureur général dans la prise de décision par le CSM était source tout à fait légitime de préoccupation quant au risque de partialité de ce dernier (voir, pour les cas avérés de confusion entre les fonctions liées à l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre un juge et celles de prise de décision dans la même procédure, Oleksandr Volkov, précité, § 115, Kamenos, précité, §§ 107-08, et Denisov, précité, § 71 ; et contrairement à la situation en cause dans Xhoxhaj, précité, § 306).

78.  Le Gouvernement prétend encore, en se référant à la décision de la Cour constitutionnelle du 2 juillet 2013, que le fait que le ministre de la Justice et le Procureur général ne présentent pas les garanties nécessaires d’impartialité et indépendance, ne porte pas atteinte à l’impartialité et à l’indépendance du CSM en raison du caractère collégial du CSM (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour ne peut souscrire à cette thèse. Compte tenu du secret des délibérations, il est impossible de spéculer sur l’influence effective du ministre de la Justice et/ou du Procureur général sur les décisions du CSM adoptées dans les procédures de la requérante (voir Stoimenovikj et Miloshevikj c. Macédoine du Nord, no 59842/14, §§ 39 et 41, 25 mars 2021, et les affaires qui y sont citées).

79.  Enfin, pour ce qui est de la présence des professeurs de droit au sein du CSM, la Cour note que ceux-ci étaient élus par le Parlement par un vote à la majorité simple des députés, sur la proposition d’au moins vingt députés (paragraphe 24 ci-dessus).

80.  D’une part, elle rappelle que la notion même de « tribunal » implique que celui-ci se compose de juges, qu’ils soient professionnels ou non, sélectionnés sur le critère du mérite, car cela, entre autres, est crucial pour préserver la confiance du public dans la justice et sert de garantie supplémentaire à l’indépendance des juges (Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, §§ 220 et 222, et Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, nos 49868/19 et 57511/19, § 273, 8 novembre 2021). En l’espèce, elle remarque que le Gouvernement ne soutient pas, et il ne ressort pas davantage de la législation interne produite devant elle, que les candidats devaient remplir un quelconque critère prédéterminé de sélection, excepté le fait d’être titulaire d’un poste de professeur en droit. Il apparait dès lors que les députés, notamment ceux de la majorité, disposaient d’une large discrétion dans le choix des candidats (voir les standards élaborés par le Conseil consultatif de juges européens, cités au paragraphe 36 ci-dessus).

81.  D’autre part, la Cour n’est pas en mesure de conclure au vu des éléments dont elle dispose qu’il existait un processus clair et transparent de sélection des candidats présentés au vote du Parlement. À ce titre, elle tient également compte de la préoccupation du GRECO quant à l’absence d’une procédure équitable et transparente de sélection des membres non judiciaires du CSM (paragraphe 92 du rapport GRECO cité au paragraphe 35 ci-dessus).

82.  Dans ces conditions, la Cour juge que le processus de sélection des professeurs de droit n’offrait pas suffisamment de garanties d’indépendance.

83.  L’ensemble des éléments ci-dessus suffit à la Cour pour considérer que les exigences d’indépendance et d’impartialité n’étaient pas réunies en l’espèce dans le chef du CSM ayant statué sur le cas de la requérante (voir mutatis mutandis Oleksandr Volkov, précité, § 117, et Denisov, précité, § 72).

84.  La Cour prend toutefois note qu’à la suite de la récente modification de la Constitution (paragraphe 22 ci-dessus), la composition du CSM a été modifiée, en ce sens que les trois membres de droit, dont le ministre de la Justice et le Procureur général, n’en font plus partie et qu’il est précisé que les membres non-juges du CSM doivent être sélectionnés sur la base du critère du mérite, par un vote à la majorité qualifiée du Parlement et à l’issue d’une procédure transparente.

85.  À l’aune de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’atteinte portée à l’exigence d’un tribunal indépendant et impartial dans les deux procédures disciplinaires conduites à l’encontre de la requérante.

Alexandru Marian-Iancu c. Roumanie du 4 février 2020 requête n° 60858/15

Article 6-1 : Les accusations de partialité d’un juge roumain lors d’un procès pour délits financiers n’étaient pas justifiées

L’affaire concerne les allégations du requérant selon lesquelles un juge qui avait contribué à sa condamnation à l’issue de deux procès liés entre eux ne pouvait pas être tenu pour impartial. La Cour juge en particulier que, hormis les similitudes alléguées entre les deux procès dont le requérant a fait l’objet pour des délits financiers, il n’y avait pas de raisons objectives justifiant des doutes quant à l’impartialité de l’un des juges ayant siégé. En effet, celui-ci avait tenté de se déporter mais sa demande avait été rejetée au moyen d’une décision motivée.

FAITS

Le requérant, Alexandru-Marian Iancu, est un ressortissant roumain né en 1965. Il est actuellement détenu à la prison de Rahova (Roumanie), suite à deux condamnations prononcées contre lui en 2014 et en 2015 pour divers délits financiers. M. Iancu fit l’objet de deux procès portant sur des délits financiers qu’il aurait commis entre 2000 et 2003 en tant qu’administrateur ou directeur de plusieurs sociétés commerciales privées. Le dossier relatif à la première procédure fut joint à celui de la seconde, certains éléments de preuve ayant été communs aux deux affaires. À l’issue de chacun des deux procès, le requérant fut condamné par une formation de deux juges, l’un d’eux, le juge M.A.M., ayant siégé dans les deux formations. Au stade de l’appel dans le second procès, le juge M.A.M. tenta de se déporter afin d’écarter tout soupçon quant à un éventuel défaut d’impartialité de sa part. La demande de M.A.M. fut rejetée par une formation de deux juges qui conclurent que le simple fait qu’il eût participé à la première procédure ne suffisait pas à faire naître des soupçons raisonnables de partialité et qu’aucun élément ne prouvait que, dans le cadre de la première affaire, il eût exprimé un avis quant à la culpabilité des prévenus jugés dans le cadre du second procès. D’autres demandes de récusation pour partialité furent formées contre le juge M.A.M., mais également rejetées. Des plaintes relatives à un défaut d’impartialité du juge M.A.M. furent aussi examinées et écartées par la Haute Cour de cassation et de justice et par le Conseil supérieur de la magistrature. Ces deux organes conclurent en particulier que l’ensemble des décisions sur les demandes de récusation ainsi que le jugement définitif de 2015 ayant condamné M. Iancu étaient soigneusement motivés.

ARTICLE 6-1

La Cour rappelle que l’article 6 § 1 exige qu’un tribunal soit impartial, et qu’elle a établi une double démarche (objective/subjective) permettant de s’en assurer. Si la démarche subjective porte essentiellement sur les convictions personnelles ou la conduite d’un juge, l’appréciation objective consiste à se demander si certains faits vérifiables autorisent à suspecter son impartialité. Concernant l’appréciation subjective, la Cour n’est pas convaincue que le juge M.A.M. ait fait preuve d’un quelconque parti pris personnel contre M. Iancu lors du second procès. Elle considère qu’il n’y avait pas non plus de raisons objectives aux préoccupations de M. Iancu concernant l’impartialité du juge. Celui-ci avait tenté de se déporter, principalement à titre de mesure de précaution et non pas en raison d’un doute réel quant à un parti pris. De plus, sa demande de déport avait été rejetée par une décision parfaitement motivée. Bien qu’une autre juge ayant siégé dans le premier procès aux côtés du juge M.A.M. eût été écartée du deuxième procès, cette décision reposait sur plusieurs motifs, notamment sa conduite, dès lors qu’elle avait exprimé un avis sur la deuxième affaire au stade de l’appel. Par ailleurs, outre les similitudes alléguées entre les deux procès, le juge M.A.M. n’a pas eu une conduite qui était de nature à justifier objectivement les doutes de M. Iancu quant à son impartialité. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

Navalnyy et Ofitserov c. Russie du 23 février 2016 requête nos 46632/13 et 28671/14

Violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme. La condamnation d’un activiste de l’opposition pour détournement d’actifs était le résultat d’une application arbitraire du droit. Aucune garantie de procès équitable et aucune apparence, seul comptait de voir condamner des adversaires politiques.

L’affaire concernait un activiste de l’opposition et un homme d’affaires qui estimaient que le procès pénal à l’origine de leur condamnation pour détournement d’actifs était arbitraire et inéquitable et reposait sur une application non prévisible du droit pénal.

La Cour a jugé que la condamnation d’un coaccusé des requérants dans le cadre d’une procédure accélérée distincte les avait privés des garanties élémentaires d’un procès équitable. En particulier, la juridiction de jugement qui avait reconnu coupable un coaccusé avait libellé sa décision d’une manière qui ne pouvait que passer pour préjudiciable pour les requérants quant à leur implication alléguée dans les faits délictueux. De plus, les tribunaux russes avaient reconnu les requérants coupables de faits indissociables d’activités commerciales régulières. Autrement dit, le droit pénal avait été arbitrairement interprété à leur détriment. Enfin, les tribunaux russes n’ont pas examiné le grief défendable tiré par M. Navalnyy de ce que les poursuites dirigées contre lui auraient été motivées par ses activités politiques.

Article 6

Bien que chacun des griefs présentés par les requérants sur le terrain de l’article 6 soit susceptible de soulever une question distincte sous l’angle de la Convention, la Cour juge opportun en l’espèce sous l’angle de l’article 6 § 1. Elle observe, en particulier, que ces griefs reposent sur la même allégation en toile de fond selon laquelle la condamnation de X à l’issue d’une procédure accélérée distincte avait été essentielle pour contourner d’importantes garanties auxquelles ils auraient eu droit si les trois coaccusés avaient été jugés ensemble.

Les chefs d’inculpation retenus contre les requérants étaient fondés sur les mêmes faits que ceux retenus dans le procès de X. Il était donc incontestable que toute conclusion de fait ou de droit opérée au cours du procès de X aurait une incidence directe sur le procès des requérants. Dans ces conditions, il aurait été essentiel de mettre en place des garanties de manière à ce que les décisions dans le procès de X ne nuisent pas à l’équité du procès ultérieur des requérants.

Or, la Cour constate que les deux conditions indispensables pour garantir l’équité de la procédure lorsque des coaccusés sont jugés dans le cadre d’instances distinctes n’ont pas été satisfaites.

En particulier, au mépris de l’obligation qu’ont les tribunaux de se garder de tout propos susceptible de nuire à un procès en cours, la juridiction qui a condamné X a formulé son jugement d’une manière qui ne laissait subsister aucun doute quant à l’identité des requérants et à leur implication dans l’infraction dont X a été jugé coupable. Elle a exposé ses conclusions en des termes qui ne peuvent que passer pour préjudiciables.

Deuxièmement, au mépris de l’obligation qu’avaient les tribunaux de ne pas faire passer en force de chose jugée des faits admis dans une procédure à laquelle les requérants n’étaient pas parties, les circonstances exposées dans le jugement concernant X ont effectivement revêtu l’autorité de la chose jugée. Le gouvernement russe soutenait que, dans le procès des requérants, le tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des éléments du dossier et des témoins et de ne fonder son analyse que sur les pièces et témoignages présentés en jugement. Or, la Cour estime que le tribunal avait manifestement intérêt à ne pas s’écarter des constats antérieurs car toute conclusion contraire était susceptible de saper la validité des deux jugements rendus par la même instance. Le risque de prononcer des jugements contradictoires était un élément qui a dissuadé les juges de rechercher la vérité et a amoindri leur capacité à administrer la justice.

De même, la condamnation de X au moyen du plaider-coupable et d’une procédure accélérée a compromis sa capacité à témoigner dans le procès des requérants. Sa condamnation était fondée sur la version des faits récitée par l’accusation et l’accusé dans le processus de plaider-coupable et il n’était pas nécessaire de vérifier ou corroborer ce récit par d’autres éléments. Ultérieurement appelé à la barre, X a été contraint de répéter sa déposition en qualité d’accusé dans le cadre de son plaider-coupable. De plus, en autorisant la lecture à haute voix des déclarations antérieures de X au cours du procès des requérants avant que la défense ne puisse le contre-interroger en tant que témoin, le tribunal a pu donner l’impression objective qu’il a encouragé le témoin à s’en tenir à une version des faits particulière.

Pour ce qui est du grief d’application arbitraire de la loi, la Cour relève que, après l’abandon, pour absence de faits délictueux, des charges initialement retenues contre les requérants, à savoir tromperie et abus de confiance au détriment de X, l’accusation a décidé que c’était X qui avait détourné les actifs en concluant une transaction déficitaire et que les requérants étaient ses complices. Elle constate par ailleurs que, en droit russe, les sociétés à responsabilité limitée telles que VLK sont par définition des entités commerciales à but principalement lucratif. Les juridictions internes n’ont pas établi – et il n’avait même pas été soutenu – que, en signant le contrat et en percevant une commission, VLK avait visé un but autre que celui de tirer profit de la revente de bois, par exemple en mettant en place un plan de blanchiment d’argent, de fraude fiscale ou de corruption, ou un autre but illicite ou suspect.

Il ressort des pièces du dossier que les deux parties au contrat poursuivaient des buts commerciaux indépendamment l’une de l’autre et que ces buts étaient précisément ceux stipulés dans le contrat.

La Cour en conclut que les juridictions russes ont jugé M. Ofitserov coupable de faits indissociables de ses activités commerciales régulières de courtier et M. Navalnyy coupable d’y avoir concouru. Elle se trouve donc face à une situation où des faits qualifiés de délictueux sortaient totalement du champ d’application de la disposition sur la base de laquelle les requérants ont été condamnés.

Autrement dit, la loi pénale a été arbitrairement interprétée au détriment des requérants.

Il ressort de ces constats que les juridictions russes n’ont pas fait bénéficier les requérants d’un procès équitable au point qu’elles ne semblent même pas s’être souciées des apparences. Il est important de noter qu’elles ont écarté d’emblée la thèse, formulée par M. Navalnyy, du caractère politique des poursuites, alors qu’aux yeux de la Cour elle était à tout le moins défendable. La Cour relève, en particulier, que la campagne de lutte contre la corruption menée par M. Navalnyy avait pris son essor en 2010 et que, cette année-là, il avait pris pour cible de hauts fonctionnaires, dont le président de la Fédération de Russie. Les investigations concernant M. Navalnyy attiraient de plus en plus l’attention des abonnés à son blog, mais aussi d’un public plus large par le biais d’autres médias qui reprenaient le contenu du blog. Que les fonctionnaires en question eussent pris connaissance ou non des allégations y formulées, et qu’ils les eussent contestées ou non, ils n’ont certainement pas dû les apprécier. De plus, il est impossible d’ignorer, en particulier, que les premières investigations sur l’affaire Kirovles avaient été ouvertes trois semaines après la publication de l’article sur le scandale financier du projet d’oléoduc Sibérie orientale - océan Pacifique, qui laissait supposer que des politiciens hauts placés y étaient mêlés.

Faute pour elles d’avoir examiné ces allégations défendables de persécution politique, les juridictions russes, par leur seule action, font fortement craindre que la motivation des poursuites engagées contre les requérants et de leur condamnation était de nature politique. La Cour conclut que le procès pénal des requérants a été contraire à l’article 6 § 1.

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ du 5 avril 2012

SOCIÉTÉ BOUYGUES TELECOM contre France requête 2324/08

Sur le grief tiré de la rupture de l’égalité des armes devant la cour d’appel

62. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi d’autres, De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 53, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Gacon c. France, no 1092/04, § 31, 22 mai 2008).

63.  La Cour relève, en l’espèce, que les observations écrites du ministre de l’Economie ont été déposées le 28 avril 2006, celles du Conseil de la concurrence le 2 mai 2006 et que la requérante a produit un mémoire en duplique le 25 août 2006. En outre, la requérante a été mise en mesure de répliquer aux observations orales du ministère public à l’audience. La Cour estime donc que le fait que le Conseil de la concurrence, le ministre de l’Economie et le ministère public aient fait part de leurs observations à la cour d’appel de Paris n’a pas empêché la requérante d’en prendre connaissance et de répliquer à ces observations, bénéficiant ainsi d’une procédure contradictoire.

64.  Cependant, dans l’appréciation de ce grief, la théorie des apparences doit aussi entrer en jeu, en particulier du fait que la requérante considère avoir dû faire face à trois représentants de l’administration poursuivante dans son procès devant la cour d’appel. Ce faisant, la Cour n’entend pas se prononcer sur la question de savoir si le Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, et le ministère public peuvent être considérés comme des représentants de l’administration poursuivante. Seul lui importe, à cet égard, le sentiment de la requérante d’avoir fait face à trois adversaires l’accusant de pratiques anticoncurrentielles.

65.  La Cour a déjà souligné en maintes occasions l’importance des apparences en matière d’administration de la justice (Kress c. France [GC], no 39594/98, § 82, CEDH 2001-VI ; Borgers c. Belgique, 30 octobre 1991, § 24, série A no 214-B) mais non sans préciser que l’optique des intéressés ne joue pas à elle seule un rôle décisif : il faut de surcroît que les appréhensions des justiciables, par exemple quant au caractère équitable de la procédure, puissent passer pour objectivement justifiées (voir, notamment, Kraska c. Suisse, 19 avril 1993, § 32, série A no 254-B, et la décision Lilly France précitée).

66.  En l’espèce, la Cour constate que la requérante n’établit pas en quoi les représentants du Conseil de la concurrence, du ministre de l’Economie et du ministère public auraient été privilégiés de quelque façon que ce soit au cours de la procédure en raison de leur qualité (mutatis mutandis Association de défense des actionnaires minoritaires c. France (déc.), no 60151/09, 25 mai 2010). A ce titre, la requérante n’invoque aucune limitation pénalisante, par rapport aux autres parties ou intervenants, tant du délai pour présenter ses observations écrites que du temps de parole qui lui a été accordé à l’audience. La requérante ne prétend pas non plus que les représentants du Conseil de la concurrence, du ministre de l’Economie et du ministère public aient disposé d’une occasion supplémentaire d’appuyer leurs conclusions auprès des juges, à l’abri de la contradiction (voir, a contrario, Borgers, précité, § 28). Comme la Cour l’a constaté supra, la requérante a pu répondre aux observations de chacun de ces représentants et ce, tout au long de la procédure. La Cour estime donc qu’aucune atteinte n’a été portée, même en apparence, au principe de l’égalité des armes.

67.  Quant au grief tenant en particulier à l’intervention du Conseil de la concurrence dans le débat ouvert par le recours contre sa propre décision juridictionnelle, la Cour s’en tient à la même conclusion, à savoir que la faculté pour le Conseil de présenter des observations écrites à la cour d’appel ne porte pas atteinte au principe de l’égalité des armes dès lors que la requérante a été mise en mesure de répliquer à ces observations. La Cour est consciente de l’autorité particulière qui s’attache à l’opinion du Conseil de la concurrence. Elle souligne toutefois qu’il entre dans l’office du juge d’apprécier la pertinence des observations de cet organisme en prenant en compte tant la compétence technique de celui-ci que sa volonté ne pas être déjugé.

68.  Eu égard à ce qui précède, la Cour ne saurait déceler, en l’espèce, aucune atteinte au principe de l’égalité des armes devant la cour d’appel de Paris.

Ferrantelli et Santangelo contre Italie du 07 août 1996 requête 19874/92

"La Cour rappelle qu'aux fins de l'article 6§1 l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction et le comportement personnels de tel juge en telle occasion et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait les garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime"

"L'arrêt du 5 avril 1991 de la Cour d'Appel, section des mineurs () condamnant les intéressés en citant souvent des passages de la décision de la Cour d'assises d'appel relative à G.G; Le juge S.P était encore une fois président de la juridiction pour mineurs et de surcroît juge rapporteur. Ces faits suffisent pour considérer comme objectivement justifiées les craintes des requérants à l'égard de l'impartialité de la Cour d'Appel, section de mineurs de Galtamissetta"

Arrêt Coeme et autres contre Belgique du 22 juin 2000 Hudoc 1974

requêtes 32492/96, 32547/96, 33209/96, 33210/96

L'appréciation de la Cour sur la dépendance et la partialité des juges est exposée.

Sur la dépendance :

"La Cour rappelle que, pour établir si un tribunal peut passer pour "indépendant" aux fins de l'article 6§1 il faut notamment prendre en compte l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a apparence ou non d'indépendance (arrêt Findlay contre R.U du 25/02/1997; Inkal contre Turquie 09/06/1998)"

Sur la partialité :

"L'impartialité au sens de l'article 6§1 s'apprécie, quant à elle, selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel juge, en telle occasion; la seconde amène à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir Gautrin et autres contre France du 20 mai 1998) "même les apparences peuvent revêtir de l'importance.

Il y va de la confiance que les Tribunaux dans une société démocratique, se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer au pénal, aux prévenus (Hauschildt contre Danemark du 24 mai 1989 - Pullar contre R.U du 10 juin 1996) ()

L'élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées"

ANALYSE OBJECTIVE DE LA PARTIALITE D'UN TRIBUNAL

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LE JUGE S'EST AUPARAVANT EXPRIME PUBLIQUEMENT DANS LE DOSSIER

GRANDE CHAMBRE MORICE C. FRANCE arrêt du 23 avril 2015, requête 29369/10

Violation de l'article 6-1 : L'un des juges en cassation avait apporté son soutien public à la partie civile, avant l'audience.

1.  Principes généraux

73.  La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

74.  Pour ce qui est de la démarche subjective, le principe selon lequel un tribunal doit être présumé exempt de préjugé ou de partialité est depuis longtemps établi dans la jurisprudence de la Cour (Kyprianou, précité, § 119, et Micallef, précité, § 94). L’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 47, série A no 154). Quant au type de preuve exigé, la Cour s’est par exemple efforcée de vérifier si un juge avait fait montre d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 25, série A no 86).

75.  Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective (Micallef, précité, § 95). La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective), mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou, précité, § 119). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante supplémentaire (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).

76.  Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96).

77.  L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (Micallef, précité, § 97). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar, précité, § 38).

78.  En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber, précité, § 26). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit donc se déporter (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII, et Micallef, précité, § 98).

2.  Application de ces principes au cas d’espèce

79.  En l’espèce, la crainte d’un manque d’impartialité tenait au fait que le conseiller J.M., qui siégeait dans la formation de la Cour de cassation ayant adopté l’arrêt du 10 décembre 2009, s’était exprimé en faveur de la juge M. neuf ans auparavant, dans le cadre des poursuites disciplinaires exercées à l’encontre de celle-ci en raison de son comportement dans l’affaire de la Scientologie. S’exprimant en sa qualité de magistrat et de collègue au sein du même tribunal, dans le cadre de l’Assemblée générale des magistrats du siège du tribunal de grande instance de Paris, réunie le 4 juillet 2000, dont il avait ensuite voté la motion de soutien à la juge M., il avait alors déclaré : « Il n’est pas interdit aux magistrats de base de dire que nous sommes proches de Madame [M.]. Il n’est pas interdit de dire que Madame [M.] a notre confiance et notre soutien » (paragraphes 27-28 ci-dessus).

80.  La Grande Chambre constate d’emblée que le requérant reconnaît dans ses observations qu’il n’est pas établi que le conseiller J.M. ait fait montre de préventions personnelles envers lui : il soutient juste qu’indépendamment de sa conduite personnelle, la présence de J.M. au sein de la formation de jugement créait une situation qui rendait ses craintes objectivement justifiées et légitimes (paragraphe 67 ci-dessus).

81.  Aux yeux de la Cour, il faut dès lors examiner l’affaire sous l’angle du critère d’impartialité objective, et plus particulièrement trancher la question de savoir si les doutes du requérant, suscités par la situation d’espèce, peuvent être considérés comme objectivement justifiés dans les circonstances de la cause.

82.  À ce titre, la Cour estime tout d’abord que les termes employés par le juge J.M. en faveur d’une collègue magistrat, la juge M., laquelle était précisément à l’origine des poursuites diligentées contre le requérant dans la procédure en cause, pouvaient susciter chez le prévenu des doutes quant à l’impartialité du « tribunal » ayant jugé sa cause.

83.  Certes, dans ses observations, le Gouvernement soutient notamment que les propos de J.M. seraient insuffisants pour caractériser un défaut d’impartialité objective de sa part, compte tenu de l’ancienneté des faits et de ce que les termes utilisés traduisaient une position personnelle qui ne concernait que les conditions dans lesquelles l’information relative à l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre d’une collègue du tribunal a été diffusée.

84.  La Cour considère cependant qu’il ne saurait être fait abstraction du contexte très particulier de l’affaire. En effet, elle rappelle tout d’abord que cette dernière concernait un avocat et une juge intervenant en cette qualité dans le cadre de deux informations relatives à des affaires particulièrement médiatiques, à savoir, d’une part, l’affaire Borrel à l’origine des propos litigieux du requérant et, d’autre part, l’affaire de la Scientologie relative aux propos de J.M. Elle relève ensuite, avec la chambre, que la juge M. instruisait déjà l’affaire Borrel, dont les répercussions médiatiques et politiques étaient importantes, lorsque J.M. lui a publiquement apporté son soutien dans le cadre de l’affaire de la Scientologie (voir également paragraphe 29 ci-dessus). Comme la chambre l’a souligné, J.M. s’était alors exprimé dans un cadre officiel, l’Assemblée générale des magistrats du siège du tribunal de grande instance de Paris.

85.  La Cour observe ensuite que le requérant, avocat dans ces deux affaires de parties civiles qui contestaient le travail de la juge M., a été condamné à la suite de la plainte de cette dernière : partant, le conflit professionnel prenait l’apparence d’un conflit personnel, dès lors que la juge M. avait saisi les juridictions internes d’une demande de réparation d’un préjudice né d’une infraction dont elle accusait le requérant d’être l’auteur.

86.  La Cour souligne en outre, sur ce point, que l’arrêt de la cour d’appel de renvoi établit lui-même expressément un lien entre les propos du requérant dans la procédure en cause et le dossier de la Scientologie, pour en déduire un « règlement de comptes a posteriori » et une animosité personnelle du requérant à l’égard de la juge M. « avec qui il était en conflit dans plusieurs procédures » (paragraphe 50 ci-dessus).

87.  Or, c’est précisément cet arrêt de la cour d’appel qui a fait l’objet d’un pourvoi du requérant et qui était soumis à l’examen de la formation de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans laquelle a siégé le conseiller J.M. La Cour ne partage pas l’argument du Gouvernement selon lequel cette situation ne soulèverait pas de difficulté, dès lors que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire et que le contrôle de la Cour de cassation est uniquement limité au respect du droit.

88.  En effet, la Cour insiste dans sa jurisprudence sur le rôle crucial de l’instance en cassation, qui constitue une phase particulière de la procédure pénale dont l’importance peut se révéler capitale pour l’accusé, comme en l’espèce puisqu’en cas de cassation l’affaire aurait pu faire l’objet d’un nouvel examen en fait et en droit par une autre cour d’appel. Comme elle l’a jugé à maintes reprises, l’article 6 § 1 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation, mais un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, Série A no 11, Omar et Guérin c. France, 29 juillet 1998, respectivement §§ 41 et 44, Recueil 1998-V, et Louis c. France, no 44301/02, § 27, 14 novembre 2006), ce qui concerne indéniablement l’exigence d’impartialité de la juridiction.

89.  Enfin, la Cour estime que l’argument du Gouvernement selon lequel J.M. siégeait au sein d’une composition élargie à dix juges n’est pas déterminant au regard de la question de l’impartialité objective sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Compte tenu du secret des délibérations, il est impossible de connaître l’influence réelle de J.M. au cours de celles-ci. Ainsi, dans le contexte qui vient d’être rappelé (paragraphes 84 à 86 ci-dessus), l’impartialité de la juridiction de jugement pouvait susciter des doutes sérieux.

90.  De plus, le requérant n’avait pas été informé du fait que le conseiller J.M. siégeait et il n’avait aucune raison de penser qu’il le ferait. La Cour note en effet qu’il lui avait au contraire été indiqué que l’affaire serait examinée par une formation restreinte de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ce que confirment le rapport du conseiller rapporteur, le bureau virtuel du dossier à la Cour de cassation et les trois avis à partie, dont ceux délivrés après la date de l’audience (paragraphe 52 ci-dessus). Le requérant n’a donc pas pu contester la présence de J.M. ni soulever la question de l’impartialité à ce titre.

91.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce les craintes du requérant pouvaient passer pour objectivement justifiées.

92.  La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

LES JUGES ONT DÉJÀ APPORTÉ UNE DÉCISION

DANS DES JURIDICTIONS INFÉRIEURES

SPERISEN c. SUISSE du 13 juin 2023 requête n° 22060/20

Art 6 § 1 (pénal) • Défaut d’impartialité de la présidente de l’instance d’appel ayant jugé du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant • Prise de position par la magistrate, alors juge de détention, sur la culpabilité de l’intéressé • Craintes du requérant objectivement justifiées

CEDH

51.  La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugés ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, il convient, aux fins de l’article 6 § 1, de l’apprécier selon une démarche subjective tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire consistant à rechercher si celui-ci n’a pas fait montre de parti pris ou de préjugés personnels dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, Micallef c. Malte [GC], n17056/06, § 93, CEDH 2009, Morice c. France [GC], no 29369/10, § 73, CEDH 2015, et Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 287, 4 décembre 2018).

52.  La Cour rappelle également que le fait qu’un juge de première instance ou d’appel ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi les appréhensions du requérant quant à l’impartialité de ce juge. Ce qui compte est la portée et la nature des mesures en question (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 50, série A no 154, Nortier c. Pays-Bas, 24 août 1993, § 33, série A no 267, Saraiva de Carvalho c. Portugal, 22 avril 1994, § 35, série A no 286‑B, Cardona Serrat c. Espagne, précité, § 31, 26 octobre 2010, Alony Kate c. Espagne, n5612/08, § 49 et suiv., 17 janvier 2012, et Ionuţ‑Laurenţiu Tudor c. Roumanie, no 34013/05, § 81, 24 juin 2014).

53.  En particulier, dans l’affaire Hauschildt, la Cour a relevé que, pour proroger la détention provisoire du requérant, les magistrats de la cour d’appel s’étaient appuyés explicitement sur un article de la loi sur l’administration de la justice qui leur demandait de s’assurer de l’existence de « soupçons particulièrement renforcés » quant à la commission par l’intéressé des infractions dont on l’accusait, ce qui signifiait, selon les explications officielles, qu’il leur fallait avoir la conviction d’une culpabilité « très claire ». La Cour a jugé que, de ce fait, « l’écart entre la question à trancher pour recourir audit article et le problème à résoudre à l’issue du procès dev[enait] alors infime » et que, « l’impartialité des juridictions compétentes pouvait paraître sujette à caution » (Hauschildt, précité, §§ 51‑52).

54.  Dans les affaires Nortier et Saraiva de Carvalho, la Cour a considéré que, contrairement à la situation en cause dans l’affaire Hauschildt, les juges nationaux avaient cherché à établir non pas des « soupçons particulièrement renforcés » mais des « indices sérieux », en vérifiant que « de prime abord l’accusation portée par le ministère public reposait sur des données valables » (Nortier, précité, § 35) ou des « indices suffisants », de sorte que « l’appréciation sommaire des données disponibles » ne pouvait passer pour « un constat formel de culpabilité » (Saraiva de Carvalho, précité, § 38).

55.  Dans les affaires Cardona Serrat et Alony Kate, la Cour a estimé que les conclusions des magistrats, agissant en qualité de juges de la détention, selon lesquelles il existait « des indices suffisants pour permettre de conclure qu’un délit avait été commis » et que les requérants étaient « pénalement responsable[s] de ce délit » démontraient que les juges en question avaient « une idée préconçue sur la question sur laquelle ils étaient appelés à se prononcer ultérieurement en tant que membres de la formation de jugement » (Cardona Serrat, précité, § 35, et Alony Kate, précité, § 56).

56.  Enfin, dans l’affaire Ionuţ-Laurenţiu Tudor, la Cour a considéré que la conclusion des juges nationaux selon laquelle les « indices sérieux » qui existaient contre le requérant permettaient de conclure que l’intéressé avait « probablement commis les faits dont il était accusé » ne pouvait résulter d’une appréciation sommaire des données disponibles aux fins de la détention et qu’elle supposait « un examen plus approfondi des éléments produits en vue d’asseoir la culpabilité du requérant ». La Cour a jugé que, dès lors, « l’écart entre l’appréciation portée sur l’opportunité du maintien en détention et l’établissement de la culpabilité à l’issue du procès [était] devenu minime » (Ionuţ-Laurenţiu Tudor, précité, § 84).

57.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour constate d’emblée que les éléments du dossier ne démontrent pas que la juge A. C. F-B. ait fait preuve d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles à l’égard du requérant. La Cour empruntera donc la démarche objective (paragraphe 51 ci‑dessus) pour vérifier s’il y avait une raison légitime de redouter un défaut d’impartialité de sa part.

58.  La Cour relève que la juge A. C. F-B., en tant que présidente de la formation judiciaire de la CPAR chargée d’examiner en appel l’affaire pénale dirigée contre le requérant, a agi également en qualité de juge de la détention (paragraphes 15‑19 ci‑dessus). Invitée à répondre à la demande de récusation dirigée à son encontre à la suite de l’annulation de l’ordonnance prorogeant la détention de sûreté du requérant (paragraphe 18 ci‑dessus), elle a réitéré, dans ses observations du 3 octobre 2017, les termes selon lesquels il existait, à l’encontre de l’intéressé, des « charges suffisantes » qui rendaient la perspective d’une condamnation « vraisemblable » et que des éléments du dossier pénal « continu[ai]ent de parler en faveur de la culpabilité » (paragraphe 21 ci‑dessus).

59.  La Cour observe que, selon l’article 221 du CPP, la détention pour des motifs de sûreté peut être ordonnée à condition que le prévenu soit « fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit » (paragraphe 31 ci‑dessus). Dans son arrêt du 30 janvier 2018, le Tribunal fédéral a indiqué que les tribunaux suisses avaient interprété cette condition comme exigeant, en pratique, l’existence d’« indices sérieux de culpabilité » ou une perspective de « condamnation qui doit apparaître avec une certaine vraisemblance ». Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation d’une telle terminologie était donc « inhérente à l’application des dispositions sur la détention avant jugement », et « [p]ar l’emploi des termes litigieux, la juge incriminée s’est limitée à utiliser des expressions consacrées par la doctrine et la jurisprudence en matière de contrôle de la détention » (paragraphe 25 ci‑dessus).

60.  La Cour estime que la conclusion de la juge A. C. F-B. quant à « la vraisemblance d’une condamnation » et à l’existence dans le dossier d’éléments continuant « à parler en faveur d’un verdict de culpabilité » ne pouvait résulter d’une appréciation sommaire des données disponibles aux fins de la détention, et qu’elle supposait un examen plus approfondi des éléments produits en vue d’asseoir la culpabilité du requérant. La Cour note à cet égard que la juge A. C. F-B. s’est exprimée sur la nécessité du maintien du requérant en détention non pas au début de l’enquête pénale dirigée contre l’intéressé, mais au moment où le dossier d’instruction était déjà complet et finalisé. La Cour tient également compte de ce qu’elle avait présidé la formation de jugement de la CPAR ayant condamné le requérant en appel le 12 juillet 2015 avant le renvoi de l’affaire devant la même instance par le Tribunal fédéral (paragraphes 12-14 ci‑dessus). Quand bien même la juge en cause se serait bornée à employer, dans ses observations du 3 octobre 2017 (paragraphe 21 ci‑dessus), des expressions standardisées, la Cour considère que celles-ci dépassaient l’énoncé d’un simple soupçon et qu’elles démontraient que l’écart entre l’appréciation portée sur l’opportunité du maintien en détention du requérant et l’établissement de sa culpabilité à l’issue du procès était devenu minime (Hauschildt, précité, § 52, et Ionuţ‑Laurenţiu Tudor, précité, § 84).

61.  Dès lors, le requérant pouvait raisonnablement craindre que la juge A. C. F-B. eût une idée préconçue sur la question de sa culpabilité lorsqu’elle serait appelée à se prononcer, quelques mois plus tard, en tant que membre de la formation de jugement de la CPAR qui, par son arrêt du 27 avril 2018, l’a condamné à quinze ans de privation de liberté. La Cour constate par ailleurs que la juge A. C. F-B. présidait cette formation (Cardona Serrat, précité, § 37).

62.  La Cour rappelle par ailleurs que l’existence de procédures nationales destinées à garantir l’impartialité, et notamment de règles en matière de déport des juges, est un facteur pertinent à prendre en compte pour apprécier si le tribunal a été impartial (Micallef, précité, § 99). Tout en notant que le CPP suisse prévoit une procédure de récusation des magistrats siégeant au sein d’une autorité pénale (paragraphe 30 ci‑dessus), la Cour constate que l’utilisation de cette procédure par le requérant n’a pas permis de dissiper les doutes de l’intéressé quant à l’impartialité de la juge A. C. F-B.

63.  Enfin, la Cour estime que le fait que la juge A. C. F-B. ait été appelée à se prononcer au sein d’une formation élargie de sept juges n’est pas déterminant au regard de la question de l’impartialité objective examinée sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, dès lors que le secret des délibérations ne permettait pas au requérant de connaître l’influence réelle que la juge A. C. F-B. aurait pu avoir au cours de celles-ci (Morice, précité, § 89, et Sigríður Elín Sigfúsdóttir c. Islande, no 41382/17, § 57, 25 février 2020).

64.  Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la Cour estime que les craintes du requérant quant à l’impartialité de la juge A. C. F-B. pouvaient passer pour objectivement justifiées. Il s’ensuit que l’instance d’appel, à savoir la formation judiciaire de la CPAR présidée par la juge A. C. F-B. qui a jugé du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant, n’a pas présenté les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la Convention.

65.  Partant il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en tant qu’il garantit le droit à un tribunal impartial.

Ilie c. Roumanie du 26 septembre 2019 requête n° 26220/10

Irrecevabilité : Aucun indice objectif de parti pris de la part des juges dans le cadre d’une affaire roumaine relative à un litige foncier

Dans cette affaire, la requérante se plaignait d’un manque d’impartialité des juges chargés de connaître d’un différent relatif à des droits de propriété. La Cour juge qu’aucun élément objectif ne vient étayer l’allégation de partialité de quatre juges chargés de connaître du litige qui opposait la requérante à des tiers concernant une parcelle de terrain. Elle estime que dans le cadre de la dernière procédure engagée dans cette affaire, les juges n’ont pas eu à connaître des mêmes faits ou éléments de preuve que dans le cadre des procédures auxquelles ils avaient participé précédemment. La décision des juridictions internes de rejeter la demande de récusation d’un juge pour cause de partialité formée par la requérante et de ne pas autoriser trois autres juges à se récuser avait une base légale et a été prise en toute indépendance. Les inquiétudes de la requérante quant à un manque d’impartialité des juges étaient infondées et le grief soulevé à cet égard doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement.

LES FAITS

En 1991, l’une des aïeules de la requérante, obtint sur le fondement d’une loi interne la restitution d’un terrain qui avait été nationalisé par le régime communiste. Par la suite, elle hérita de ce terrain. En 2005, des tiers particuliers demandèrent l’annulation des actes reconnaissant à l’aïeule de la requérante des droits sur les terres en question. Le juge M.F., siégeant au tribunal de première instance, dit que les autorités avaient reconnu que les actes en question étaient entachés d’erreur, et que la requérante était dans l’incapacité de prouver que son aïeule était bien propriétaire du terrain avant sa nationalisation. Cet arrêt fut annulé en 2007 par le tribunal départemental, qui reconnut la validité des actes et confirma les droits de propriété de l’aïeule de la requérante sur les terres en question. Quelques mois plus tard, les mêmes tiers introduisirent une action visant à faire constater que le terrain en question leur revenait par le jeu de la prescription acquisitive. En 2008, le tribunal départemental, siégeant en une formation composée des juges M.V., G.D. et L.I., conclut que les tiers avaient été propriétaires du terrain litigieux pendant une période supérieure à 30 ans. La procédure en restitution introduite par les tiers fut présidée par le juge M.F. Estimant que le juge en question manquait d’impartialité au motif qu’il avait participé à la procédure antérieure, la requérante introduisit une demande de récusation pour cause de partialité. Les juridictions internes rejetèrent sa demande en 2009 et firent droit à la demande des tiers. Chargés de connaître d’un recours introduit par la requérante contre les deux arrêts, les juges M.V., G.D. et L.I. demandèrent à être récusés au motif qu’ils avaient participé à la procédure antérieure. Leur demande fut néanmoins rejetée. En novembre 2009, le tribunal départemental jugea que les parties avaient toutes deux des titres valables sur le terrain litigieux, mais que le titre des tiers primait.

PAS DE PARTIALITE DES JUGES

La Cour cherche à déterminer si les craintes de la requérante quant à un manque d’impartialité des juges dans le cadre de la troisième et dernière procédure étaient objectivement justifiées. Ces craintes étaient nées du fait que les quatre juges chargés de connaître de l’affaire avaient, dans le cadre d’une procédure antérieure, déjà été chargés de traiter de certains aspects du litige foncier qui l’opposait à des tiers. Cependant, on ne peut considérer que la troisième procédure portait sur les même faits et éléments de preuve que les deux premières. En fait, les juridictions internes chargées de connaître de la dernière procédure ont eu pour seule tâche de comparer les titres de propriété des parties et de déterminer, sur le fondement d’éléments objectifs, lequel primait. Les juges n’ont pas eu à apprécier la validité des arrêts antérieurs, devenus définitifs et exécutoires.

Des déclarations et conclusions émanant des procédures antérieures ont certes été reproduites dans le cadre de la dernière procédure, mais celles-ci avaient alors acquis l’autorité de la chose jugée et étaient contraignantes. D’après la requérante, les juridictions internes saisies dans le cadre de la troisième procédure ont ignoré des documents qui prouvaient selon elle l’existence de ses droits de propriété, et elles ont donc mal interprété les pièces du dossier. La Cour constate cependant que dans le cadre de cette procédure, que ce soit en première instance comme en appel, les juges ont expressément reconnu qu’au regard des pièces du dossier, et notamment d’arrêts antérieurs, les deux parties jouissaient effectivement de droits de propriété à l’égard du terrain en question. La Cour constate en outre que la demande de récusation formée par la requérante à l’encontre du juge M.F. et les demandes de récusation formées par les juges M.V., G.D. et L.I. ont été rejetées après examen par des juges dont l’impartialité n’a pas été contestée et qui ont renvoyé au droit applicable.

Les raisons invoquées pour justifier le rejet des demandes de récusation n’étaient ni arbitraires, ni déraisonnables. Globalement, aucun élément objectif ne permet d’étayer les craintes de la requérante à propos de l’impartialité des juges, et le grief soulevé à cet égard doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement. Après examen des autres griefs tirés de l’article 6 et de l’article 1 du Protocole n° 1, la Cour conclut qu’aucun élément ne tend à montrer l’existence d’une violation. Elle rejette donc cette partie de la requête pour défaut manifeste de fondement.

LIGA PORTUGUESA DE FUTEBOL PROFISSIONAL c. PORTUGAL du 17 mai 2016 requête 4687/11

Violation de l'article 6-1 pour partialité, un  juge des cinq membres du Tribunal Correctionnel, a déjà connu l'affaire devant la Cour suprême. Violation pour égalité des armes, car l'affaire a été tranchée sur des motifs soulevés d'office sans discussion entre les parties. Non violation de l'article 6-1 pour défaut d'accès aux conclusions de la partie adverse car la requérante n'avait pas de droit légal à répondre, elle avait pressenti la réponse et répondu par avance. Elle l'a connu en substance dans l'avis du procureur sans qu'elle agisse par une voie de recours légale.

CEDH

43. La requérante se plaint d’un manque d’équité de la procédure à plusieurs égards. Elle dénonce ainsi sur le terrain de l’article 6 de la Convention :

– le défaut de notification de certaines pièces versées au dossier ;

– le fait que l’affaire ait été tranchée sur la base de motifs soulevés d’office et non discutés par les parties ;

– le manque d’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel.

1. Sur l’absence de notification de certains éléments du dossier

46. La requérante se plaint d’abord de ne pas avoir reçu notification de l’ordonnance du 3 mai 2006, d’une part, et d’un mémoire en réponse de la partie adverse, d’autre part.

S’agissant de la non-communication de l’ordonnance du 3 mai 2006, rendue par le juge rapporteur à la Cour suprême, la requérante allègue :

– que dans la mesure où elle soulevait dans ses observations deux exceptions portant sur la recevabilité du pourvoi per saltum devant la Cour suprême, et où l’ordonnance jugeait au contraire le pourvoi recevable, elle avait un intérêt évident à en recevoir communication pour pouvoir alors l’attaquer devant la section sociale de la Cour suprême ;

– qu’on ne saurait considérer comme ayant valablement pallié cette carence l’allusion indirecte qui fut faite à ladite ordonnance dans un avis du ministère public.

S’agissant de la non-communication du mémoire en réponse de la partie adverse à sa demande en nullité du 9 février 2010, la requérante estime que la Cour suprême l’a privée de la possibilité, qui est un droit pour tout justiciable, de répondre à tous les arguments présentés par la partie adverse en vue d’influencer la décision du tribunal saisi.

47. Le Gouvernement reconnaît que l’ordonnance du 3 mai 2006 du juge rapporteur à la Cour suprême n’a pas été notifiée à la requérante et que, par conséquent, celle-ci a été privée de la possibilité de l’attaquer devant la formation collégiale, ce qui constituait a priori une cause de nullité.

Pour lui, toutefois, ce vice de procédure potentiel a été purgé par la circonstance que la requérante a le 5 septembre 2006 reçu notification d’un avis du ministère public où celui-ci mentionnait expressément l’admission le 3 mai 2006 du pourvoi per saltum devant la Cour suprême, sans former dans les dix jours une réclamation en nullité, comme le lui permettait l’article 205 § 1 du code de procédure civile.

48. Le Gouvernement reconnaît également que le mémoire en réponse de la partie adverse à sa demande en nullité du 9 février 2010 n’a pas été notifié à la requérante. Il estime néanmoins :

– que la requérante n’avait pas la possibilité légale de répondre à ce mémoire, de sorte que l’omission de cette notification ne créait aucune nullité selon l’article 201 § 1 du code de procédure civile ;

– qu’au demeurant, la requérante avait anticipé le contenu de ce mémoire, en répondant par avance aux arguments adverses à ce sujet dans ses observations déjà produites.

49. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de procès équitable implique en principe le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I ; Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996‑I ; Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, §§ 23-24, Recueil 1997‑I ; et Novo et Silva c. Portugal, no 53615/08, § 54, 25 septembre 2012).

50. Ce principe vaut pour les observations et pièces présentées par les parties, mais aussi pour celles présentées par un magistrat indépendant (tel le commissaire du gouvernement – aujourd’hui le « rapporteur public » – : Kress c. France [GC], no 39594/98, CEDH 2001-VI), par une administration tierce (Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000) ou encore par la juridiction auteur du jugement attaqué (Nideröst-Huber, précité).

51. La Cour rappelle que c’est aux seules parties au litige qu’il appartient d’apprécier si un document appelle des commentaires, peu important l’effet réel des observations sur la décision du tribunal (Walston c. Norvège, no 37372/97, § 58, 3 juin 2003 ; et Ziegler c. Suisse, no 33499/96, § 38, 21 février 2012). Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : celle-ci se nourrit, entre autres, de l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce au dossier (Nideröst-Huber, précité, §§ 27 et 29 ; H.A.L. c. Finlande, no 38267/97, §§ 44-47, 7 juillet 2004 ; et Ferreira Alves c. Portugal (no 3), no 25053/05, § 41, 21 juin 2007).

52. La Cour rappelle, toutefois, que le droit à une procédure contradictoire ne revêt pas un caractère absolu et son étendue peut varier en fonction notamment des spécificités de la procédure en cause. Dans quelques affaires aux circonstances très particulières, la Cour a estimé, par exemple, que la non-communication d’une pièce de la procédure et l’impossibilité pour le requérant de la discuter n’avaient pas porté atteinte à l’équité de la procédure, dans la mesure où l’exercice de cette faculté n’aurait eu aucune incidence sur l’issue du litige et où la solution juridique retenue ne prêtait guère à discussion (Stepinska c. France, no 1814/02, § 18, 15 juin 2004 ; Salé c. France, no 39765/04, § 19, 21 mars 2006 ; Verdú Verdú c. Espagne, no 43432/02, § 28, 15 février 2007 ; et Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 46, 5 septembre 2013).

53. En l’espèce, la Cour observe que la requérante n’a pu avoir connaissance de l’ordonnance du 3 mai 2006 que le 5 septembre 2006, ce qui l’a mise dans l’impossibilité de l’attaquer devant la formation collégiale de la Cour suprême. Or, la question de la recevabilité du recours per saltum devant la section sociale de la Cour suprême pouvait effectivement prêter à controverse. La Cour accepte néanmoins l’argument du Gouvernement selon lequel cette carence a été purgée par le fait que la requérante, ayant eu connaissance de l’ordonnance du 3 mai 2006 par le biais de l’avis du ministère public du 5 septembre 2006, n’a pas réagi à ladite ordonnance dans le délai imparti de dix jours à compter de la date à laquelle elle en a été effectivement informée.

54. S’agissant de l’absence de notification à la requérante du mémoire en réponse de la partie adverse sur sa demande en nullité du 9 février 2010, la Cour note avec le Gouvernement que la requérante n’avait pas la faculté procédurale d’y répondre. Elle relève d’ailleurs que l’intéressée n’a, quant à elle, pas pu démontrer qu’elle aurait pu apporter, en réplique audit mémoire, des éléments nouveaux et pertinents pour l’examen de la cause. Elle observe en effet et en tout état de cause que la requérante avait anticipé le contenu dudit mémoire, ses écrits versés au dossier incluant par avance les éléments potentiellement utiles à cet égard. Par conséquent, le défaut de communication de cette pièce produite par la partie adverse n’a eu aucune incidence sur l’issue de la procédure.

55. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’absence de notification du dépôt au dossier des deux pièces susmentionnées.

2. Sur l’absence de communication aux parties des moyens soulevés d’office

56. La requérante reproche à la Cour suprême d’avoir fondé son arrêt du 7 mars 2007 sur un motif soulevé d’office sans lui en avoir au préalable donné communication, et de l’avoir ainsi privée de la possibilité de formuler ses observations sur la question.

57. Le Gouvernement conteste cette thèse. Compte tenu de l’étendue des motifs d’inconstitutionnalité soulevés par la partie adverse, il estime que le fait que la Cour suprême ait retenu l’inconstitutionnalité au titre de la compétence, et non de la violation au fond d’une disposition de la Constitution, n’a pas pris la requérante au dépourvu.

58. La Cour rappelle que le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif ou d’une exception soulevés d’office (voir, mutatis mutandis, Skondrianos c. Grèce, nos 63000/00, 74291/01 et 74292/01, §§ 29-30, 18 décembre 2003 ; Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, § 38, 13 octobre 2005 ; Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 42, 16 février 2006 ; Amirov c. Arménie (déc.), no 25512/06, 18 janvier 2011 ; et Čepek, précité, § 45).

59. À ce sujet, la Cour rappelle que l’élément déterminant est la question de savoir si la requérante a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif relevé d’office (Villnow c. Belgique (déc.), no 16938/05, 29 janvier 2008 ; et Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Une diligence particulière s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à sa discrétion. Le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne fondent pas leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Čepek, précité, § 48).

60. En l’espèce, la Cour suprême a fait usage de son droit incontesté de soulever d’office un motif de pur droit, comme le lui permettait l’article 664 du code de procédure civile, pour retenir une inconstitutionnalité de nature organique (c’est-à-dire, tenant à la compétence). Le seul problème réside dans la non-communication de cette intention à la requérante.

61. La Cour constate que, lorsque la possibilité d’une substitution de motifs a été envisagée par la Cour suprême, la requérante n’en a pas été dûment informée. Elle n’a donc pas pu déposer un mémoire complémentaire pour y répondre (voir, a contrario, Andret et autres c. France (déc.), no 1956/02, 25 mai 2004).

Pour le Gouvernement, la circonstance que le moyen retenu n’ait pas été soumis à la contradiction peut se justifier par l’idée que celui-ci faisait déjà partie du débat, au vu de l’ampleur de la question d’inconstitutionnalité soulevée.

La Cour observe que la question d’une inconstitutionnalité en raison de la compétence (inconstitutionnalité « organique ») n’avait jamais été discutée au cours de la procédure avant l’arrêt du 7 mars 2007. Elle considère par conséquent que même si un avocat averti pouvait envisager la possibilité pour la Cour suprême d’appréhender l’affaire sous cet angle, il pouvait légitimement s’attendre à être, en pareil cas, explicitement invité à prendre position sur ce point, conformément à l’article 3 § 3 du code de procédure civile ; et cela d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, l’enjeu de l’affaire n’était pas négligeable et la question pouvait prêter à controverse (Clinique des Acacias et autres, précité, § 41).

62. En l’occurrence, force est de conclure que l’absence de notification à la requérante de la substitution de motifs envisagée par la Cour suprême l’a « prise au dépourvu » (Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

3. Sur le défaut allégué d’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel

63. La requérante se plaint du fait que le juge C.A.F.C. ait siégé dans la formation du Tribunal constitutionnel qui a confirmé l’arrêt de la Cour suprême du 12 juillet 2007. Elle entend souligner :

– que l’arrêt ainsi confirmé n’était lui-même que la confirmation de l’arrêt de la Cour suprême du 7 mars 2007, signé par le juge C.A.F.C. ;

– que le rôle du juge C.A.F.C. au sein du Tribunal constitutionnel a été primordial, puisqu’il a départagé les voix de la formation de jugement, dont il était par ailleurs le rapporteur.

64. Le Gouvernement conteste ces vues. Rappelant que le juge C.A.F.C. n’est pas intervenu dans le cadre de l’arrêt de la Cour suprême du 12 juillet 2007, il explique qu’en outre, les questions examinées par le juge C.A.F.C. dans chacune de ses interventions étaient parfaitement distinctes, en ce que :

– à la Cour suprême, l’arrêt du 7 mars 2007 s’était prononcé sur le fond de l’affaire ;

– au Tribunal constitutionnel, le recours en inconstitutionnalité concernait seulement l’éventuelle violation du principe du contradictoire en raison du fait que la Cour suprême avait retenu une inconstitutionnalité tenant à la compétence et non une inconstitutionnalité « matérielle ».

65. La Cour rappelle que l’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil 1998-III).

66. Quant à la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 26, série A no 257-B).

67. Quant à la seconde démarche, elle conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l’impartialité de celle-ci, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue de l’intéressé entre en ligne de compte, sans jouer un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de celui-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres, précité).

68. La question qui se pose est donc celle de savoir si, compte tenu de la nature et de l’étendue du contrôle juridictionnel antérieurement dévolu à la Cour suprême dans le cadre du recours formé contre l’arrêt au fond, la composition de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel a pu légitimement donner à craindre de la part de celui-ci un parti pris quant à la décision à rendre ensuite lors du recours en inconstitutionnalité.

69. Pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de douter de l’impartialité d’une juridiction, le point essentiel est de savoir si les questions que les juges ont eu à traiter à l’occasion du second examen de l’affaire étaient analogues à celles sur lesquelles ils avaient eu à statuer lors du premier (voir, mutatis mutandis, Saraiva de Carvalho c. Portugal, 22 avril 1994, § 38, série A no 286-B ; et Morel c. France, no 34130/96, § 47, CEDH 2000‑VI). Pour qu’un préjugé ait pu se créer, il faut d’une part une identité des faits dont le juge mis en cause a eu successivement à connaître et, d’autre part, que celui-ci ait eu à répondre à la même question ou, du moins, que l’écart entre les questions qu’il a eu à trancher soit infime (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 52, série A no 154).

70. La Cour a déjà conclu à la violation du droit à un tribunal impartial dans un certain nombre d’affaires en prenant en considération à la fois la proportion élevée de magistrats concernés et les fonctions de président ou de rapporteur exercées par ces derniers au sein de la formation collégiale (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 41 à 53, Recueil 1998-VIII ; Perote Pellon c. Espagne, no 45238/99, § 50 in fine, 25 juillet 2002 ; Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 67, 5 février 2009 ; et Cardona Serrat c. Espagne, no 38715/06, § 37, 26 octobre 2010).

71. En l’espèce, la Cour note qu’un des cinq membres de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel, le juge C.A.F.C., avait déjà eu à statuer sur l’affaire de la requérante au sein de la section sociale de la Cour suprême. Comme l’a reconnu le Gouvernement, elle note également que ledit juge est, au Tribunal constitutionnel, intervenu en qualité de « deuxième rapporteur », remplaçant le rapporteur initial, compte tenu du fait que la proposition de celui-ci n’avait pas été approuvée par la troisième chambre du Tribunal constitutionnel (paragraphe 23 ci-dessus).

72. Quant aux questions que les juges ont eu à traiter, la Cour relève que les questions posées aux juges devant l’une et l’autre des juridictions en cause se présentaient comme suit :

– la section sociale de la Cour suprême, d’abord, avait eu à se prononcer sur la validité de certaines clauses d’une convention collective signée par la requérante, et avait notamment retenu à cet égard la violation des règles constitutionnelles établissant la compétence réservée du parlement national (empiétement sur la « réserve de loi ») ;

– le Tribunal constitutionnel, ensuite, était appelé à déterminer si l’absence d’audition de la requérante sur ce dernier point avait méconnu le principe du contradictoire.

73. La Cour rappelle que la compatibilité avec l’exigence d’impartialité énoncée à l’article 6 § 1 de la participation d’un même juge aux différents stades du jugement d’une affaire civile doit s’apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

Dans le cas d’espèce, en dépit du nombre réduit de juges concernés (un sur cinq), considérant d’une part le fait que le juge en cause était le rapporteur au Tribunal constitutionnel et d’autre part l’étroite relation entre les questions traitées devant les deux juridictions, la Cour estime que les doutes émis par la requérante à l’égard de l’impartialité de la formation du Tribunal constitutionnel sont objectivement justifiés.

74. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’impartialité de la formation de jugement du Tribunal constitutionnel.

BERECZKI c. ROUMANIE du 26 avril 2016 requête 25830/08

Violation de l'article 6-1, le président du bureau des expertises, a rejeté la candidature du requérant comme expert, a jugé en qualité de juge la légalité de sa décision et a soutenu devant la Cour d'Appel le bien fondé de sa décision. les craintes objectives du requérant sont justifiées.

CEDH

39. La Cour rappelle que les principes généraux pertinents en matière d’impartialité des juridictions internes sont exposés dans l’arrêt Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 73-78, 23 avril 2015.

40. En l’espèce, le requérant reconnaît qu’il n’est pas établi que le juge du tribunal départemental qui a rendu le jugement du 8 mai 2006 ait fait montre de préventions personnelles envers lui. Dès lors, la Cour estime qu’il faut examiner l’affaire sous l’angle du critère d’impartialité objective, et plus particulièrement établir si les doutes du requérant à l’égard de l’impartialité des juges du tribunal départemental peuvent être considérés comme objectivement justifiés dans les circonstances de la cause.

41. Le Gouvernement soutient que la situation dénoncée par le requérant serait insuffisante pour caractériser un défaut d’impartialité objective du tribunal départemental, compte tenu de ce qu’en vertu de l’ordonnance régissant l’activité des experts, il n’y aurait pas de subordination entre le bureau des expertises et le tribunal en question.

42. La Cour constate qu’en vertu de l’ordonnance du Gouvernement no 2/2000, le bureau des expertises ne jouit pas de la personnalité morale. Il fait partie du tribunal départemental et ses intérêts sont défendus en justice par ce tribunal et ses représentants. Par conséquent, la Cour conclut à l’existence d’un lien hiérarchique entre le bureau des expertises et le tribunal départemental, lien qui ne se limite pas à la simple tenue de la compatibilité du bureau.

43. Cependant, malgré l’existence de ce lien, la Cour note qu’aucune disposition de la législation interne n’énonce les critères régissant les rapports entre les magistrats du tribunal et les membres du bureau des expertises.

44. Compte tenu de cette absence de cadre légal, la Cour estime que le droit interne ne confère pas de garanties suffisantes quant à l’impartialité des magistrats du tribunal départemental dans l’exercice de leurs fonctions quand ils sont appelés à se prononcer dans des litiges impliquant le bureau des expertises fonctionnant au sein de leur juridiction.

45. La Cour considère également qu’il ne saurait être fait abstraction du contexte de l’affaire, qui était de nature à renforcer les doutes du requérant.

46. A cet égard, la Cour note qu’une plainte du requérant contre l’un des juges du tribunal départemental avait abouti à la condamnation de ce magistrat pour corruption.

47. Elle relève en outre que la lettre informant le requérant des motifs de l’absence d’inscription sur la liste des experts judiciaires du bureau avait été signée, au nom du bureau, par le président du tribunal. Ce dernier a ensuite représenté le bureau devant les juridictions pour soutenir le caractère mal fondé de l’action du requérant et demander son rejet.

48. Enfin, la Cour constate que la portée du contrôle exercé par la cour d’appel était insuffisante pour compenser les défauts de la procédure suivie devant le tribunal départemental. En effet, cette juridiction n’a pas eu à se prononcer sur le défaut d’impartialité du tribunal, dès lors que les demandes de dépaysement de l’affaire formées par le requérant ont toutes été rejetées avec une motivation très succincte de la Haute Cour (voir, par exemple, Sramek c. Autriche, 22 octobre 1984, §§ 41 et 42, série A no 84 et Hirschhorn c. Roumanie, no 29294/02, §§ 78-81, 26 juillet 2007).

49. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, le requérant pouvait légitimement redouter un manque d’impartialité du tribunal dans le litige qui l’opposait au bureau des expertises. Dès lors, ses craintes pouvaient passer pour objectivement justifiées.

50. La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PEREIRA DA SILVA c. PORTUGAL du 22 mars 2016 requête 77050/11

Violation article 6-1 : partialité objective de quatre juges qui avaient rendu une décision lors d'une assemblée plénière de la Cour suprême en harmonisation de la jurisprudence alors qu'ils avaient déjà tranché dans un recours inférieur et que l'assemblé plénière était assez restreinte pour rendre une décision.

CEDH

a) Principes généraux

48. La Cour rappelle qu’il est d’une importance fondamentale que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables (Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 27, série A no 257-B ; et Driza c. Albanie, no 33771/02, § 74, CEDH 2007‑V (extraits)). Pour ce qui est de l’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, celle-ci s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il existait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1998-III).

49. Quant à la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, précité, § 26).

50. Quant à la seconde démarche, elle conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l’impartialité de celle-ci. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance (Mancel et Branquart c. France, no 22349/06, § 34, 24 juin 2010).

51. S’agissant de la participation d’un même juge à différentes phases d’une procédure civile, l’appréciation de sa compatibilité avec le principe d’impartialité découlant de l’article 6 § 1 de la Convention doit se faire au cas par cas, eu égard aux circonstances de l’espèce et, fondamentalement, aux règles procédurales applicables dans l’instance concernée. La Cour doit notamment rechercher s’il y a un lien étroit entre les questions que ce juge a eu successivement à trancher (Warsicka c. Pologne, no 2065/03, § 40, 16 janvier 2007 ; et Toziczka c. Pologne, no 29995/08, § 36, 24 juillet 2012). Sur cette base, il lui appartient d’examiner si les doutes du requérant se révèlent objectivement justifiés (Morel c. France, no 34130/96, § 44, CEDH 2000-VI).

b) Application en l’espèce

52. En l’espèce, le requérant ne conteste pas l’impartialité subjective des juges. Il soutient en revanche que l’assemblée plénière de la CAS manquait d’impartialité objective, étant donné que quatre des sept juges composant la formation de jugement avaient déjà eu à statuer dans l’affaire le 4 novembre 2009, et qu’ils figuraient de surcroît déjà dans la composition de la section plénière du contentieux administratif de la CAS qui s’était prononcée le 17 octobre 2006.

Pareille situation, la Cour en convient, pouvait susciter des doutes chez le requérant quant à l’impartialité de l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême.

53. La question qui se pose est donc de savoir si, compte tenu de la nature et de l’étendue du contrôle juridictionnel incombant à ces magistrats dans le cadre du pourvoi formé afin de résoudre une divergence alléguée de jurisprudence, ces derniers ont fait preuve d’un parti pris ou ont pu légitimement en donner l’impression. Ce serait notamment le cas si les questions qu’ils ont eu à traiter à l’occasion du second pourvoi étaient analogues à celles sur lesquelles ils avaient statué lors du premier (Saraiva de Carvalho c. Portugal, 22 avril 1994, § 38, série A no 286‑B ; et Morel, précité, § 47).

54. La Cour estime qu’elle doit tenir compte de la particularité du rôle et de la nature du contrôle exercé par l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême dans la procédure présentement en cause. Il convient en effet de rappeler que le pourvoi en résolution d’une divergence de jurisprudence constitue une voie de recours à finalité différente de celle du pourvoi ordinaire (voir, mutatis mutandis, Civet c. France [GC], no 29340/95, § 43, CEDH 1999-VI). Toutefois, la Cour note que « la décision qui constate une divergence de jurisprudence casse l’arrêt attaqué (en l’espèce, l’arrêt du 17 octobre 2006) et le remplace par un autre arrêt tranchant la question litigieuse » (paragraphe 33 ci-dessus). Elle souligne par ailleurs que les décisions précédentes de la Cour administrative suprême n’avaient pas acquis l’autorité de chose jugée.

55. En l’occurrence, la crainte d’un manque d’impartialité tenait au fait que quatre des sept juges de l’assemblée plénière de la CAS avaient déjà eu à se prononcer sur l’affaire du requérant au sein de la section plénière du contentieux administratif de la CAS.

Qui plus est, la Cour note que c’est en qualité de rapporteur que le juge A.S. a siégé dans la composition de l’assemblée plénière.

Enfin, les deux formations de jugement en cause ont l’une et l’autre siégé avec le même président, en la personne du juge R.D.J. (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 41-53, Recueil 1998‑VIII ; Perote Pellon c. Espagne, no 45238/99, § 50, 25 juillet 2002 ; Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 67, 5 février 2009 ; et Cardona Serrat c. Espagne, no 38715/06, § 37, 26 octobre 2010).

Tout cela résultait de l’application du droit interne, qui imposait que siègent dans l’assemblée plénière de la CAS les sept juges les plus anciens de chaque section.

56. S’agissant des questions que les juges ont eu successivement à traiter, on peut observer que, devant la section plénière du contentieux administratif de la CAS, le requérant dénonçait une atteinte à son droit d’être entendu dans le cadre de la procédure administrative qui a abouti au refus de lui rembourser ses frais de mission. Cette thèse n’a pas convaincu la section plénière : celle-ci a considéré que le requérant avait eu au cours de la procédure l’occasion d’exposer de façon contradictoire tous ses arguments, et qu’il n’était dès lors pas nécessaire de l’entendre de vive voix ; partant, elle a conclu à la non-violation de son droit à une audience.

57. La divergence de jurisprudence dénoncée devant l’assemblée plénière de la CAS portait, elle aussi, sur le droit à une audience dans le cadre de la procédure administrative : à l’appui de sa thèse, le requérant présentait un arrêt dans lequel la CAS avait considéré l’impossibilité de présenter un mémoire en réponse comme constitutive en l’espèce d’une violation du droit d’être entendu. L’assemblée plénière de la CAS était ainsi appelée à dire s’il y avait réellement eu, entre cette affaire et celle du requérant, une différence de traitement portant atteinte au principe de la sécurité juridique.

58. Pour ce qui est du recours en résolution d’une divergence de jurisprudence prévu par l’article 763 du code de procédure civile, la Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel l’analyse de l’existence d’une divergence de jurisprudence est indépendante de celle portant sur le fond de la cause. Aux yeux de la Cour, par-delà leur décision à prendre dans l’immédiat sur l’existence ou non d’une divergence de jurisprudence, la réponse des juges à la question technique de la divergence jurisprudentielle est déterminante pour l’issue de l’affaire du requérant : en refusant l’existence d’une éventuelle divergence, les juges chargés de l’affaire placent le requérant dans l’impossibilité de voir sa demande réexaminée. Dès lors, la Cour considère que, bien que son objet soit à première vue seulement de savoir si une question d’intérêt général est en jeu (en sens contraire, voir Dunn c. Royaume-Uni (déc.), no 62793/10, § 35, 23 octobre 2012), un tel recours implique en réalité nécessairement une appréciation du fond de la cause. Ainsi, il existe bien un lien étroit entre les questions examinées dans les pourvois successifs (Warsicka c. Pologne, précité, § 40 ; et Toziczka c. Pologne, précité, § 36). La Cour remarque par ailleurs que, pour examiner l’existence d’une prétendue divergence de jurisprudence, les juges de la formation de la Cour administrative suprême analysèrent en détail les faits de l’affaire du requérant (paragraphe 21 ci-dessus).

La Cour rappelle que si l’État se dote de la possibilité d’introduire devant une formation élargie d’une Cour suprême un recours en harmonisation de jurisprudence afin de régler les conflits jurisprudentiels, il doit veiller à ce que les justiciables jouissent auprès de l’instance en cause des droits énoncés à l’article 6 § 1 de la Convention. Elle rappelle à cet égard que s’il est vrai qu’il ne lui appartient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins, par des tribunaux nationaux dont l’indépendance s’impose à elle comme aux États contractants, elle se doit cependant d’examiner si l’intéressé a bénéficié, dans le contexte d’un recours en harmonisation de jurisprudence, d’un véritable accès à un tribunal afin de faire valoir ses droits de caractère civil (Gregório de Andrade c. Portugal, no 41537/02, § 36, 14 novembre 2006, Soffer c. République tchèque, no 31419/04, § 30, 8 novembre 2007, et Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 50, 20 octobre 2011).

59. La Cour reconnaît que les règles régissant la composition de l’assemblée plénière de la CAS imposaient automatiquement la participation des sept juges les plus anciens de la section du contentieux administratif et que cette assemblée plénière, dans le système judiciaire portugais, ne constitue pas une assemblée « plénière » au sens propre du terme. Elle estime néanmoins que, vu le nombre élevé de juges composant ladite section, une application stricte de ce mécanisme de composition automatique de l’assemblée plénière n’était pas vraiment nécessaire, l’éventuel remplacement des juges déjà intervenus par d’autres membres expérimentés de la section du contentieux administratif de la CAS ne paraissant pas de nature à compromettre la fonction régulatrice de la formation solennelle (comparer Fazlı Aslaner c. Turquie, no 36073/04, § 40, 4 mars 2014). La Cour est dès lors confrontée à un problème systémique du droit administratif portugais qui pose problème eu égard à l’impartialité objective des membres de la composition de l’assemblée plénière de la CAS dans le recours en harmonisation de jurisprudence.

60. Compte tenu de la nature et de l’étendue des fonctions des quatre juges concernés – fussent-elles le fruit de la rigidité des règles de composition de cette formation solennelle –, l’impartialité objective de l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême en l’espèce paraît sujette à caution. Les appréhensions du requérant à cet égard peuvent donc passer pour objectivement justifiées. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 de la Convention en tant que celui-ci garantit le droit à un tribunal impartial.

LES JUGES ONT DÉJÀ CONDAMNÉ PAR DÉFAUT

Thomann contre Suisse du 10 juin 1996 Hudoc 582, requête 17602/91

La Cour considère que le fait que la juridiction, lors de la deuxième audience après un jugement rendu par défaut frappé d'opposition, soit composée des même magistrats n'est pas une cause de partialité:

"Les juges qui réexaminent en présence de l'intéressé une affaire qu'ils ont dû d'abord juger par défaut, sur la base des éléments dont ils pouvaient alors disposer, ne sont en aucune manière liés par leur première décision; ils reprennent à son point de départ l'ensemble de l'affaire, toutes les questions soulevées par celle-ci restant ouvertes et faisant cette fois l'objet d'un débat contradictoire à la lumière de l'information plus complète que peut leur fournir la comparution personnelle de l'accusé. C'est aussi ce qui s'est passé en l'espèce. Une telle situation ne suffit pas à mettre en doute l'impartialité des juges dont il s'agit () si une juridiction devait modifier sa composition chaque fois qu'elle fait droit au recours d'un condamné absent, celui-ci se verrait avantagé par rapport aux prévenus qui comparaissent dès l'ouverture de leurs procès, car il obtiendrait ainsi que d'autres magistrats le jugent une seconde fois dans la même instance"

PRÉSENCE D'UN JUGE QUI A CONNU

LE DOSSIER LORS DE L'INSTRUCTION

Mitrinovski c. « L’ex-République yougoslave de Macédoine » du 30 avril 2015 requête no 6899/12

Défaut d’impartialité de l’organe judiciaire ayant décidé de la révocation d’un juge : manque d’équité de la procédure

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) relève que le président de la Cour suprême macédonienne était membre de droit du Conseil judiciaire d’État (CJE). En vertu de la loi sur l’organisation judiciaire, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, toute conclusion du CJE selon laquelle un juge avait commis une faute professionnelle conduisait forcément à la révocation du juge en question.

Tout membre du CJE pouvait demander à cet organe d’établir qu’un juge avait commis une faute professionnelle.

Dans l’affaire de M. Mitrinovski, c’est le président de la Cour suprême qui a initié la procédure en question, et la chambre criminelle de la Cour suprême a ensuite établi que deux juges, dont M. Mitrinovski, s’étaient rendus coupables de faute professionnelle. Dans ces circonstances, la CEDH considère que M. Mitrinovski a des raisons légitimes de croire que le président de la Cour suprême était déjà personnellement convaincu qu’il fallait le révoquer pour faute professionnelle, avant même que le CJE ne soit saisi de la question. Le président de la Cour suprême, par sa demande, a engagé la procédure devant le CJE, auquel il a soumis des éléments et des arguments à l’appui des allégations de faute professionnelle ; partant, il a joué le rôle d’une sorte de procureur. Par la suite, il a pris part à la décision en tant que membre du CJE.

Le système qui a permis au président de la Cour suprême, qui a initié la procédure en question, de prendre part à la décision de révoquer M. Mitrinovski jette le doute sur son impartialité. La CEDH juge établi que le rôle du président de la Cour suprême dans la procédure n’était pas impartial, ni du point de vue subjectif, ni du point de vue objectif. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en raison du manque d’impartialité du CJE dans l’affaire de M. Mitrinovski.

Cubler contre Belgique du 26 octobre 1984 Hudoc 50 requête 9186/80

La Cour condamne le fait qu'un magistrat membre d'une chambre d'instruction puisse être membre d'une juridiction de jugement

"Un tel magistrat, à la différence de ses collègues, connaît déjà de manière particulièrement approfondie, bien avant les audiences et grâce aux divers moyens d'investigations qu'il a utilisés pendant l'instruction () il puisse, aux yeux de l'intéressé paraître occuper une situation lui permettant de jouer un rôle capital dans la juridiction de jugement, voire s'être formé par avance une opinion qui risque de peser lourd dans la balance au moment de la décision.

De surcroît () le Tribunal Correctionnel peut, comme la Cour d'Appel () avoir à contrôler la légalité de mesures accomplies ou ordonnées par le juge d'instruction; le prévenu peut estimer alarmante la perspective d'un concours actif de celui-ci à pareil contrôle ()

En conclusion, l'impartialité du tribunal d'Haudenarde pouvait sembler au requérant sujette à caution () la présence dudit magistrat avait de quoi inspirer à Monsieur de Cubler des appréhensions légitimes"

Sainte Marie contre France du 16 décembre 1992 requête 12981/87

"Dans un système juridictionnel national où l'examen de la probabilité de la culpabilité doit ou peut constituer un élément de la décision relative à une demande d'élargissement, le juge qui statue ne saurait ensuite participer, en qualité de juge, au traitement de la question de fond, celle de la culpabilité ou de l'innocence"

En l'espèce, la France ne fut pas condamnée :

"En conclusion, la participation des conseillers Bataille et Biecher à l'adoption de l'arrêt du 29 octobre 1985 n'a pas porté atteinte à l'impartialité de la chambre des appels correctionnels, les appréhensions du requérant ne pouvant passer pour objectivement justifiées"

Findlay contre Royaume Uni du 25/02/1997 Hudoc 603 requête 22107/93

"La Cour estime que l'officier convocateur a joué un rôle capital dans l'accusation et est étroitement lié aux autorités de poursuite. Se pose dès lors la question de savoir si les membres de la Cour martiale étaient suffisamment indépendants de l'officier convocateur et si l'organisation du procès offrait des garanties suffisantes d'impartialité () Pour maintenir la confiance dans l'indépendance et l'impartialité d'un Tribunal, les apparences peuvent revêtir de l'importance. Dès lors que les membres de la Cour martiale qui l'ont jugé étaient tous hiérarchiquement subordonnés à l'officier convocateur et sous ses ordres, Monsieur Findlay pouvait nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et à l'impartialité du Tribunal"

Décision de recevabilité

Revoldini et autres contre Luxembourg du 18/01/2001 requête 50595/99

la Cour a considéré qu'un magistrat qui a suivi l'instruction pénale en sa qualité de membre de la chambre du Conseil pouvait parfaitement participer au jugement des requérants. Selon la Cour, il n'était pas juge d'instruction mais n'avait que pour seule tâche de contrôler l'instruction du juge.

Perote Pellon contre Espagne du 25 juillet 2002 Hudoc 3839 requête 45238/99

"La Cour rappelle qu'aux fins de l'article 6§1, l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction et le comportement personnels de tel juge en telle occasion et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Hauschildt contre Danemark du 24/05/1989; Thomann contre Suisse du 10/06/1996) () On est amené à se demander si, indépendamment de la conduite du juge, certains faits véritables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance.

Il y va de la confiance que les Tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer au justiciable. Il en résulte que pour se prononcer sur l'existence, dans une affaire donnée, d'une raison légitime de redouter d'un juge un défaut d'impartialité, l'optique de l'accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si l'on peut considérer les appréhensions de l'intéressé comme objectivement justifiées (Ferrantelli et Santangelo contre Italie du 07/08/1996)

L'impartialité de la juridiction de jugement pouvait susciter des doutes sérieux dans la mesure où tant son Président que son juge-rapporteur étaient intervenus dans de nombreux actes d'instruction dont, en particulier, le rejet de l'appel contre l'ordonnance d'inculpation prononcée à l'encontre du requérant et les décisions prorogeant sa détention provisoire ferme. Elle estime que les craintes du requérant à cet égard pouvaient passer pour objectivement justifiées"

Arrêt du 15 février 2007 MATHONY c. LUXEMBOURG Requête no 15048/03

Les magistrats de la Cour d'Appel qui ont jugé le fond sont les mêmes que ceux qui ont statué sur le dossier au stade de l'instruction.

"26.  La Cour rappelle qu'« aux fins de l'article 6 § 1, l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » (voir, entre autres, Hauschildt, précité, § 46, et Castillo Algar c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, § 43).

27.  La Cour relève que le requérant n'a pas mis en doute l'impartialité subjective du tribunal qu'il met en cause.

28.  Quant à l'impartialité objective du tribunal, la Cour rappelle que cette démarche consiste à se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus. Doit donc se récuser tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d'impartialité. Il en résulte que pour se prononcer sur l'existence, dans une affaire donnée, d'une raison légitime de redouter chez un juge un défaut d'impartialité, l'optique de l'accusé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (voir, mutatis mutandis, Hauschildt, précité, § 48).

29.  En l'occurrence, la crainte d'un manque d'impartialité tenait au fait que les juges d'appel ayant siégé dans la juridiction de jugement avaient auparavant siégé à la chambre du conseil qui confirma en appel la décision de rejet de la demande de mainlevée de la saisie du véhicule du requérant en s'appropriant la motivation de ladite décision (paragraphes 7 à 11 ci-dessus). Pareille situation peut susciter chez le prévenu des doutes sur l'impartialité des juges. Cependant, la réponse à la question de savoir si l'on peut considérer ces doutes comme objectivement justifiés varie suivant les circonstances de la cause ; le simple  fait qu'un juge ait déjà pris des décisions avant le procès ne peut donc, en soi, justifier des appréhensions quant à son impartialité (Hauschildt, précité, § 50).

30.  A cet égard, la Cour observe que, selon l'ordonnance du 5 avril 2001 de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement, il existait des « indices graves » que le requérant aurait circulé malgré une interdiction de conduire judiciaire. Les juges rejetèrent la demande en mainlevée de la saisie du véhicule litigieux, au vu notamment de la « gravité de ces faits », des « antécédents judiciaires du requérant » et afin « d'empêcher le requérant de récidiver ».

31.  Le 22 juin 2001, la chambre du conseil de la cour d'appel confirma cette ordonnance, au motif que la juridiction d'instruction de première instance avait correctement apprécié les éléments de la cause et appuyé sa décision par des motifs qu'elle adoptait en appel.

32.  Ces mêmes magistrats de la chambre du conseil de la cour d'appel siégèrent ultérieurement, en une composition identique, comme juges du fond en instance d'appel et condamnèrent le requérant pour conduite d'un véhicule malgré une interdiction de conduire.

33.  Le Gouvernement insiste sur la nature préventive et provisoire des actes posés par l'ordonnance du 22 juin 2001.

34.  Cependant, la Cour estime que les termes employés dans l'ordonnance du 5 avril 2001 et adoptés par la chambre du conseil de la cour d'appel dans l'arrêt du 22 juin 2001, pouvaient facilement donner à penser qu'il existait des indices suffisants pour permettre de conclure qu'un délit avait été commis. En effet, en tenant compte notamment de la « gravité des faits », les juges n'ont pas examiné la question de la mainlevée de la saisie par rapport au véhicule même qui avait été saisi mais par rapport aux agissements du requérant (voir, a contrario, Revoldini et autres c. Luxembourg (déc.), no 50595/99).

35.  La Cour relève ensuite que les trois magistrats intervenus dans le cadre de l'examen de la demande en mainlevée de la saisie du véhicule du requérant siégèrent par la suite, en composition identique, dans la cour d'appel qui le jugea et le condamna (voir, a contrario, Garrido Guerrero c. Espagne (déc.), no 43715/98, CEDH 2000-III).

36.  La Cour estime en conséquence que, dans les circonstances de la cause, l'impartialité de la juridiction de jugement pouvait susciter des doutes sérieux dans la mesure où sa composition intégrale avait rejeté antérieurement la demande en mainlevée de la saisie du véhicule du requérant, en raison notamment du comportement du requérant et de « la gravité des faits ». Elle estime que les craintes du requérant à cet égard pouvaient passer pour objectivement justifiées (voir, mutatis mutandis, Castillo Algar, précité).

37.  Par conséquent, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention."

ARRET CHESNE c. FRANCE DU 22 AVRIL 2010 Requête no 29808/06

La CEDH ajoute à des éléments objectifs soit en l'espèce le fait que les magistrats de la chambre des appels correctionnels d'Orléans soient les mêmes que les magistrats de la chambre d'instruction des éléments subjectifs pour condamner, en l'espèce ces magistrats avaient rédigé leur arrêt devant la chambre d'instruction pour le maintenir en détention de telle sorte que requérant était déjà considéré comme coupable.

34.  La Cour examinera le grief du requérant à la lumière des principes énoncés dans sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, entre autres, les arrêts Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 75, CEDH 2007-XI, et Micallef c. Malte [GC], n17056/06, § 95, 15 octobre 2009).

35.  Dans la présente affaire, la Cour n'a relevé aucun élément susceptible de prouver la partialité ou de mettre en doute l'impartialité subjective des magistrats concernés. Tel que le grief est articulé, la Cour estime que l'impartialité subjective n'est pas ici mise en cause par le requérant, et en déduit que l'on se place sur le terrain de l'impartialité objective du juge.

36.  A cet égard, la Cour rappelle que le simple fait qu'un juge ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité (Hauschildt c. Danemark, arrêt du 24 mai 1989, § 50 ; Sainte-Marie c. France, arrêt du 7 décembre 1992, no 12981/87, § 32). La question portant sur le maintien d'un placement en détention provisoire ne se confond pas avec la question portant sur la culpabilité de l'intéressé ; on ne saurait ainsi assimiler des soupçons à un constat formel de culpabilité. Toutefois, des circonstances particulières peuvent, dans une affaire donnée, mener à une conclusion différente (Sainte-Marie, précité § 32).

37.  En l'espèce, la Cour estime que la motivation retenue par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, dans les deux arrêts précités des 17 avril et 31 juillet 2003, constitue davantage une idée préconçue de la culpabilité du requérant que la simple description d'un « état de suspicion », au sens de la jurisprudence de la Cour.

38.  S'il ne peut être reproché à la chambre de l'instruction d'avoir repris le fait, mis en exergue par l'instruction du dossier, que le seul trafic reconnu par le requérant apparaissait effectivement comme étant « des plus conséquents », la Cour considère en revanche qu'en s'exprimant en des termes clairs et non équivoques quant au rôle exact du requérant et à sa place dans le réseau délictueux (« il agissait en véritable professionnel du trafic », et était considéré comme « l'un des principaux trafiquants »), ainsi que sur l'étendue de son implication dans ce trafic (« dont il tirait très largement bénéfice ») les magistrats de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans sont allés au-delà d'un simple état de suspicion à son encontre. Elle constate qu'en adoptant une telle motivation, et notamment en tirant des conclusions catégoriques de discordances apparentes, relevées dans l'arrêt du 17 avril 2003, entre les déclarations du requérant et certains éléments matériels recueillis lors des investigations (voir le paragraphe 15 ci-dessus), la chambre de l'instruction ne s'est pas limitée à une appréciation sommaire des faits reprochés pour justifier la pertinence d'un maintien en détention provisoire, mais s'est au contraire prononcée sur l'existence d'éléments de culpabilité à la charge du requérant.

39.  La Cour ne saurait dès lors conclure que les décisions litigieuses ne comportent aucune motivation ou appréciation quelconque de culpabilité au regard des faits reprochés au requérant (voir a contrario Kiratli c. Turquie, (déc.), no 6497/04, 9 octobre 2007, et Gosselin c. France, (déc.), 6 avril 2004). Elle estime en conséquence que l'impartialité objective des deux magistrats de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Orléans – qui ont fait partie de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans ayant rendu les arrêts litigieux des 17 avril et 31 juillet 2003 – pouvait ainsi paraître sujette à caution. Il s'ensuit que les appréhensions du requérant peuvent passer pour objectivement justifiées.

40.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

LE JUGE RAPPORTEUR PEUT ÊTRE

MEMBRE DE LA JURIDICTION QUI JUGE

Décision de recevabilité Didier contre France du 27 août 2002 requête 58188/00

la Cour considère que le fait que le juge rapporteur de la commission disciplinaire de la C.O.B soit membre de ladite commission de jugement n'est pas un élément de partialité et par conséquent une violation de l'article 6§1 de la Convention.

COUR DE CASSATION FRANÇAISE

APPLICATION DE L'ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION

COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME

CNCDH : Avis sur l'indépendance de la justice.

LE JUGE QUI SE PRONONCE SUR L'EXECUTION FORCEE PEUT ÊTRE LE MÊME QUE CELUI QUI A STATUE SUR LE FONDEMENT DE LA CRÉANCE

Cour de Cassation chambre civile 2 arrêt du 3 avril 2014 pourvoi N°14-01414 REJET

Vu l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire ;

Vu la transmission au premier président de la Cour de cassation par le premier président de la cour d'appel de Grenoble de la requête déposée le 6 janvier 2014 par M. et Mme X..., Y..., tendant à la récusation de M. Z..., Mmes A..., B... et C..., magistrats de cette cour d'appel, avec demande de délocalisation, dans le cadre d'une affaire (RG, n° 13/04029) les opposant à M. et Mme D... ;

Vu l'avis du premier président de la cour d'appel de Grenoble ;

Attendu que M. et Mme X..., Y... font valoir que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, fondée sur l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdit à un même magistrat de trancher deux fois de suite une même discussion, du fait qu'il a nécessairement un préjugé pour sa seconde prestation, de sorte que les magistrats de la chambre de la cour d'appel, en particulier M. Z..., qui ont déjà connu de leur litige, en confirmant le jugement qui constitue le titre exécutoire sur le fondement duquel a été pratiquée la mesure d'exécution contestée devant un juge de l'exécution, ne peuvent connaître d'un appel formé contre la décision de ce juge de l'exécution, concernant les conséquences de ce même litige ;

Mais attendu que le défaut d'impartialité d'une juridiction appelée à connaître de la contestation de la mesure d'exécution forcée d'une décision de justice ne peut résulter du seul fait qu'elle ait précédemment connu de l'appel formé contre cette décision ;

Et attendu que les requérants ne produisent aucun élément de nature à faire peser sur les magistrats de la cour d'appel visés par la requête un soupçon légitime de partialité

Les mêmes juges professionnels ont droit de couler une entreprise tout au long de la procédure.

Cour de Cassation chambre civile 2 arrêt du 27 janvier 2011 pourvoi N°10-01182 REJET

Attendu que les requérants soutiennent que la cour d'appel, qui a confirmé le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire à l'égard de la société C..., devenue société B..., par un arrêt du 10 juin 2010, ne présenterait pas les garanties d'impartialité exigées par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour juger de l'appel du jugement qui a prononcé la liquidation judiciaire de cette société ; qu'ils contestent l'exigibilité de la créance du trésor public à l'origine de la procédure collective ainsi que la régularité des commandements de payer et actes de saisies émis par celui-ci, invoquent une "escroquerie au jugement" et indiquent avoir engagé une procédure d'inscription de faux à l'encontre des trois décisions rendues dans cette affaire

Mais attendu que le fait que des magistrats d'une cour d'appel aient déjà statué sur l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard d'une entreprise n'est pas, en soi, de nature à faire peser sur eux un soupçon légitime de partialité leur interdisant de connaître de l'appel du jugement qui a converti le redressement judiciaire de la même entreprise en liquidation judiciaire dans le cadre d'une procédure collective
Et attendu qu'il ne résulte par ailleurs d'aucun des éléments produits l'existence de motifs de nature à faire peser sur l'ensemble des magistrats de la cour d'appel de X... un soupçon légitime de partialité

Le même juge ne peut délivrer un mandat d'arrêt dans le cadre d'un jugement rendu par défaut par le tribunal correctionnel et confirmer le mandat d'arrêt en sa deuxième qualité de juge des libertés.

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 30 mars 2011 pourvoi N° 10-86140 REJET

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire et des articles 135-2 et 137-1 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par jugement de défaut du 9 janvier 2009, le tribunal correctionnel, statuant à juge unique, a condamné M. X... à deux ans d'emprisonnement pour dégradations du bien d'autrui commises en réunion et a décerné un mandat d'arrêt à son encontre ; que M. X..., appréhendé le 17 juillet 2010, a été présenté au juge des libertés et de la détention qui, par ordonnance du 20 juillet 2010, l'a placé en détention provisoire ; que le magistrat ayant statué en qualité de juge des libertés et de la détention était celui qui avait prononcé le jugement de défaut et décerné le mandat d'arrêt ; qu'appel de cette ordonnance a été interjeté par le prévenu ;

Attendu que, pour annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'arrêt relève qu'en vertu de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu'il s'ensuit qu'un magistrat ayant participé au jugement par défaut d'une affaire et délivré un mandat d'arrêt ne peut, en qualité de juge des libertés et de la détention, statuer sur les suites données au mandat d'arrêt ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors qu'un magistrat qui a prononcé une condamnation par défaut et décerné un mandat d'arrêt ne peut, en qualité de juge des libertés et de la détention, statuer sur les suites données au mandat d'arrêt sans qu'il soit porté atteinte à l'exigence d'impartialité

Cour de Cassation chambre commerciale arrêt du 21 juin 2011 pourvoi N° 09-67793 CASSATION

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Attendu que pour rejeter le recours de la société Colas Midi Méditerranée contre l’ordonnance d’autorisation de visite et de saisie rendue le 15 juin 1989 par le président du tribunal de grande instance de Draguignan, l’arrêt, relève que l’exigence d’impartialité du juge a pour finalité d’éviter qu’il ne soit habité d’un quelconque préjugé sur l’affaire qui lui est soumise, ce qui implique, notamment, que le même juge ne soit appelé à statuer s’il a dans une précédente intervention pris une position susceptible d’avoir une influence sur la seconde décision et qu’ainsi l’exercice successif par un même juge de fonctions juridictionnelles différentes dans un même litige n’est pas forcément contraire à l’exigence d’impartialité mais doit être apprécié au cas par cas par rapport à la finalité recherchée; que l’arrêt ajoute que le président du tribunal de grande instance auquel il était demandé d’autoriser une visite domiciliaire était tenu de vérifier au vu des éléments d’information communiqués par l’administration que la demande d’autorisation qui lui était soumise était fondée et qu’à ce stade il se bornait à vérifier l’existence de présomptions d’une pratique anticoncurrentielle prohibée par l’article 7 de l’ordonnance précitée, sans que son autorisation de visite ne préjuge de l’appréciation par la juridiction du fond de la portée des éléments de preuve trouvés ; que l’arrêt en conclut que le contrôle en fait et en droit de la régularité de l’ordonnance de visite et saisie n’impliquera de la part de la Cour aucune appréciation sur le bien fondé des griefs et des sanctions concernant la société Colas Midi Méditerranée

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’examen de l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de la juridiction, la cour d’appel a violé le texte susvisé

Cour de Cassation chambre civile 3 arrêt du 6 juillet 2011 pourvoi N° 10-18093 et 10-18094 CASSATION

Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article R. 13-7 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 11 février 2010), qu'aucun accord n'ayant été trouvé sur le montant de l'indemnité due par le département des Hautes-Pyrénées aux époux X... à la suite de l'expropriation à son profit de parcelles leur appartenant, le conseil général de ce département représenté par M. Y..., inspecteur des impôts au service France Domaine, a saisi le juge de l'expropriation en fixation judiciaire de cette indemnité ; que M. Z..., représentant le directeur des services fiscaux du département, a exercé les fonctions de commissaire du gouvernement en première instance et devant la cour d'appel

Attendu que pour ordonner l'annulation de la procédure de fixation de l'indemnité d'expropriation à compter du mémoire valant offre d'indemnisation, l'arrêt retient que le département a choisi de se faire représenter dans la procédure par l'inspecteur des impôts compétent du service France Domaine des Hautes-Pyrénées, que les fonctionnaires occupant la fonction de commissaire du gouvernement font partie de la même direction départementale des services fiscaux et sont soumis au même contrôle hiérarchique et que cette situation a créé pour les expropriés un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le commissaire du gouvernement est une partie à l'instance d'expropriation et que le fait que la personne exerçant ces fonctions et celle représentant l'autorité expropriante soient issues de la même administration n'est pas, en lui-même, susceptible d'entraîner une rupture de l'égalité des armes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Des rumeurs dites indirectes ne sont pas suffisantes pour remettre en cause la partialité d'un rapporteur

Cour de Cassation 1ere chambre civile arrêt du 12 juin 2012 pourvoi N° 11-16408 Rejet

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 21 février 2011), que le 30 décembre 2009, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Strasbourg alors en exercice a engagé une procédure disciplinaire à l'encontre de M. X... ; que par une décision du 12 janvier 2010, le conseil de l'ordre a désigné comme rapporteur M. Y..., bâtonnier nouvellement élu ; que l'avocat poursuivi a, alors, contesté l'impartialité du rapporteur désigné, ainsi que la composition de la formation ayant procédé à cette désignation, présidée par l'ancien bâtonnier, sans délégation valable selon lui ; que par une décision du 19 avril 2010, le conseil de l'ordre a déclaré irrecevable la première réclamation au motif que la désignation du rapporteur ne peut être attaquée que par la voie de la récusation ou d'un appel formé contre la décision du conseil de discipline ; que la seconde contestation a été rejetée par décision implicite à défaut de réponse dans le délai d'un mois ; que M. X... a formé contre ces décisions un recours qui a été rejeté par la cour d'appel ;

Attendu, d'abord, que si l'exigence d'un procès équitable et la présomption d'innocence impliquent que la personne poursuivie disciplinairement ou son conseil ait droit à la parole en dernier, ce principe, qui doit être observé lorsqu'il est statué sur la culpabilité et sur la peine, n'est pas applicable au jugement des contestations relatives à la désignation du rapporteur ; qu'ensuite, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que des témoignages indirects relayant de simples rumeurs ne constituaient pas une preuve suffisante pour établir la partialité du rapporteur ; qu'enfin, est inopérant le moyen de cassation pris du défaut de réponse aux conclusions invoquant la nullité de la décision du conseil de l'ordre ayant délibéré dans une composition prétendument irrégulière, dès lors que saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif du recours en annulation de cette délibération, la cour d'appel était tenue de statuer sur le fond de la contestation, quelle qu'eût été sa décision sur l'exception de nullité ; qu'aucun des moyens ne saurait être accueilli

LES JUGES D'APPEL SONT LES MÊMES QUE CEUX QUI ONT PRIS LA DECISION

CE FAIT NE POSE AUCUNE DIFFICULTE POUR LA COUR DE CASSATION

Cour de Cassation chambre civile 2, arrêt du 24 janvier 2013 pourvoi N° 12-01345 Rejet

Vu les articles L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, 341 et 364 du code de procédure civile ;

Vu la transmission au premier président de la Cour de cassation par le premier président de la cour d'appel de Rouen de la requête déposée le 3 décembre 2012 par l'avocat de Mme X..., tendant à la récusation de Mmes Y..., Z... et A..., magistrates composant la chambre des tutelles de la cour d'appel, dans le cadre d'un recours à l'encontre d'un jugement ayant placé Mme X... sous tutelle

Vu l'avis du premier président de la cour d'appel de Rouen ;

Attendu que si le renvoi est demandé pour cause de récusation en la personne de plusieurs juges de la juridiction saisie, il est procédé comme en matière de renvoi pour cause de suspicion légitime ;

Attendu que Mme X... fait valoir que la chambre des tutelles de la cour d'appel, composée des mêmes magistrats, a déjà connu de la procédure, dans le cadre d'un recours contre l'ordonnance du juge des tutelles ayant désigné sa fille en qualité de mandataire spécial, dans le cadre d'une mesure de sauvegarde de justice, de sorte que ces magistrates ne présentent pas les garanties d'impartialité exigées par l'article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, pour connaître de l'appel contre le jugement l'ayant placée sous mesure de tutelle ;

Mais attendu que la participation à la formation de jugement d'un juge ayant rendu, dans la même affaire, une décision ne préjugeant pas le fond, ne méconnaît pas les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Et attendu qu'il ne résulte ni de la requête ni des pièces produites à son soutien la preuve de l'existence d'un motif de nature à faire peser sur les magistrats visés par la requête, un soupçon légitime de partialité à l'égard de Mme X... ;

D'où il suit que la requête doit être rejetée.

ÊTRE STAGIAIRE AU SERVICE DU PROCUREUR NE REND PAS UN JUGE DU SIEGE IMPARTIAL

Cour de Cassation chambre civile 2, arrêt du 20 juin 2013 pourvoi N° 13-01367 Rejet

Attendu que M. X... fait valoir que Mme Y..., qui est magistrate et exerce dans une autre cour d'appel, a été auditrice de justice auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Besançon, en 2008, et que cette circonstance le fait douter de la capacité des magistrats de la cour d'appel à juger avec impartialité l'affaire ;

Mais attendu qu'en l'absence d'autre élément, le simple fait qu'un magistrat ait été stagiaire, pour une durée non précisée, et plusieurs années auparavant, dans une juridiction située dans le ressort de la cour d'appel ne constitue pas, en soi, un motif permettant de douter objectivement de l'impartialité de l'ensemble des magistrats de cette cour d'appel dans le jugement d'une affaire le concernant

UN DEFENSEUR SYNDICAL DEVANT UN TRIBUNAL NE PEUT PAS ETRE JUGE

DEVANT CE TRIBUNAL SANS DOUTE DE PARTIALITE

Cour de Cassation chambre sociale, arrêt du 24 juin 2014 pourvoi N° 13-13609 Cassation

Vu l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suite au dépôt par Mme X..., salariée de la Fondation du père Favron, d'une requête devant le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, aux fins d'obtenir l'annulation d'une sanction disciplinaire prononcée à son encontre, l'employeur a demandé le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction en invoquant la suspicion légitime liée aux fonctions de défenseur syndical occupées par la salariée devant ce conseil de prud'hommes ;
Attendu que pour écarter cette requête, la cour d'appel retient que le seul fait que la salariée, partie dans le litige dont s'agit, dispose par ailleurs de la qualité de défenseur de salariés la mettant en contact régulier avec les membres des conseils de prud'hommes de Saint-Denis et de Saint-Pierre et qu'elle soit affiliée à la même organisation syndicale que certains conseillers prud'hommes de la section appelée à statuer sur le litige en cours n'est pas un élément de nature à remettre en cause l'impartialité des conseillers relevant de la même organisation syndicale, mais aussi de l'ensemble des membres de la section, et n'est par conséquent pas de nature à justifier à lui seul le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime ; qu'il n'est justifié par ailleurs d'aucun élément objectif permettant de supposer que la présence régulière et l'activité que le défenseur de salariés concerné par le litige a pu déployer devant les juridictions prud'homales jusqu'à ce jour serait propre à exercer une influence déterminante sur l'opinion des membres composant le conseil devant connaître de l'affaire et de la solution à lui apporter, alors qu'il s'agit d'une juridiction devant laquelle l'exigence d'impartialité est d'abord assurée par le paritarisme ; la prohibition du mandat impératif pour ses membres, et de surcroît la possibilité de recourir à un juge départiteur et donc à l'imparité dans l'hypothèse notamment où un déséquilibre dans les intérêts pris en compte et garantis par les règles de la juridiction prud'homale apparaissait à cette occasion ; qu'en l'absence de tout autre élément établi objectivement et permettant de douter de l'impartialité du conseil de prud'hommes de Saint-Denis, la requête tendant au renvoi de l'affaire devant une autre juridiction ne saurait être accueillie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fait qu'une partie exerce habituellement les fonctions de défenseur syndical devant une juridiction est de nature à créer un doute sur l'impartialité objective de cette juridiction, la cour d'appel a violé le texte susvisé

LES RELATIONS ENTRE LE JUGE ET L'UNE DES PARTIES

Beg S.p.a. c. Italie du 20 mai 2021 requête no 5312/11

Article 6-1 : Défaut d’impartialité d’un collège arbitral en raison de liens étroits avec une des parties à un litige commercial

L’affaire concerne l’arbitrage d’un litige portant sur un accord d’approvisionnement en énergie hydroélectrique en vue de la production d’électricité en Albanie, impliquant la société requérante et ENELPOWER, une société dérivée d’ENEL, l’ancienne société nationale d’électricité. L’affaire porte, en particulier, sur l’impartialité du collège arbitral, en raison du fait que l’un de ses membres (N.I.) a siégé au conseil d’administration d’ENEL et travaillé comme conseil pour cette société. La Cour juge en particulier que, compte tenu des liens étroits entretenus par N.I. avec ENEL, et donc de ses liens avec ENELPOWER, l’on ne saurait considérer que le collège arbitral était objectivement impartial, ce qui constitue une violation.

FAITS

La requérante, Beg S.p.a., est une société enregistrée en Italie qui opère dans le secteur de la construction et de la gestion de centrales hydroélectriques et celui de l’installation de centrales d'énergie renouvelable. En 1996, la société requérante contacta la société ENEL (un fournisseur d’électricité et de gaz anciennement détenu par l'État) afin de voir si celle-ci serait intéressée à distribuer l’énergie produite par une centrale hydroélectrique qu’elle construisait en Albanie. À l’époque, N.I. était viceprésident et siégeait au conseil d’administration d’ENEL. La société ENEL se déclara intéressée et un accord fut finalement signé, en 2000, entre Beg S.p.a. et ENELPOWER S.p.a. (qui, si elle était toujours la propriété d’ENEL, en avait récemment été séparée). En vertu de cet accord, les litiges futurs devaient être portés devant la Chambre arbitrale de la Chambre de commerce de Rome (CAR). Un différend survint au milieu de l’année 2000, lorsqu’ENELPOWER manifesta son mécontentement concernant l’audit de la concession de la société requérante en Albanie. La société requérante engagea une procédure d’arbitrage, demandant la résiliation de l’accord de coopération ainsi que 130 millions d’euros (EUR) environ de dommages-intérêts. Le 28 décembre 2000, ENELPOWER désigna N.I. comme arbitre. À cette époque, N.I. représentait ENEL dans le cadre d’un litige civil. Selon le Gouvernement, le 25 novembre 2002, la CAR rejeta l’ensemble des demandes reconventionnelles formulées par la société requérante. L’arbitre désigné par la requérante, G.G., aurait toutefois refusé de signer. Selon la requérante, aucune décision ne fut prise, et à aucun moment G.G. n’aurait manifesté l’intention de ne pas signer. Beg S.p.a. apprit que N.I. avait travaillé comme conseil pour ENEL. Le 25 novembre 2002, l’ACR rendit sa sentence contre elle, rejetant les griefs ultérieurs de G.G., y compris une demande de retrait de N.I. Le tribunal de Rome rejeta également, à deux reprises, es requêtes visant à obtenir le retrait de N.I. À une date non précisée, la requérante engagea une action contre la CAR pour négligence, réclamant une indemnisation de 374 482,91 EUR. Cette action fut rejetée par le tribunal de Rome qui jugea, entre autres, que la CAR ne pouvait être tenue pour responsable de l’omission par N.I. de déclarer un conflit d’intérêt, et qu’elle n’avait aucune obligation d’exiger une déclaration négative explicite. La société requérante introduisit un recours contre la sentence arbitrale. Le recours fut rejeté par la cour d’appel de Rome et, ultérieurement, le 15 novembre 2010, par la Cour de cassation. Celle-ci considéra que n’avait pas été démontrée l’existence d’un lien entre N.I. et ENELPOWER aboutissant à une « convergence d’intérêts » sur une issue en particulier du litige en question.

ARTICLE 6

Le Gouvernement soutient qu’en acceptant le recours à la procédure d’arbitrage, les parties ont volontairement renoncé à certains de leurs droits au titre de la Convention. La Cour rappelle que l'article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Ce tribunal doit être indépendant et impartial. Les parties ne contestent pas avoir consenti librement à la procédure d’arbitrage. La Cour souligne toutefois que cette décision de Beg S.p.a. a précédé la nomination de N.I. en qualité d’arbitre. La Cour ne souscrit pas à l’argument du Gouvernement selon lequel le fait que Beg S.p.a. n’ait pas contesté l’absence de déclaration négative explicite prouverait que la requérante aurait renoncé à son droit de voir son différend réglé par un tribunal indépendant et impartial. La Cour estime que les motifs avancés par les juridictions internes et le Gouvernement se fondent sur une présomption de connaissance – à savoir que la société requérante aurait été au courant des activités professionnelles de N.I. - qui ne repose sur aucune preuve concrète. Elle considère également que la société requérante n’a pas renoncé à son droit de voir les tribunaux garantir l’indépendance de la procédure d’arbitrage et le respect du droit italien. La Cour constate que N.I. agissait en qualité de conseil pour ENEL au moment de sa nomination en qualité d’arbitre et que cette société détenait 100 % d’ENELPOWER avec laquelle elle entretenait à l’époque des liens étroits. Compte tenu également du fait que N.I. avait auparavant été viceprésident et membre du conseil d’administration d’ENEL, la Cour juge que les doutes de Beg S.p.a. sur l’impartialité de N.I. étaient objectivement justifiés. Il y a eu violation de la Convention.

LES FONCTIONS DU JUGE QUI L'EMPÊCHENT DE JUGER

La Cedh constate si les autres fonctions d'un juge peut laisser craindre objectivement ou non une partialité ou tout au moins une apparence de partialité alors suffisante. La partialité objective est plus simple à démontrer pour un requérant qui a charge de la preuve.

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- LES JUGES SONT LES PLAIGNANTS

- LE JUGE EST AUSSI ORGANE POURSUIVANT OU NOMME PAR L'ORGANE POURSUIVANT

- LE JUGE EST AUSSI AVOCAT DE L'ADVERSAIRE

- LE JUGE EST SOUMIS A UN POUVOIR HIERARCHIQUE

- LA PRÉSENCE DE JUGES MILITAIRES DANS UNE JURIDICTION QUI JUGE UN CIVIL

LES JUGES SONT LES PLAIGNANTS

Arrêt Gautrin et autres contre France du 20/05/1998 Hudoc 788

requêtes 21257/93; 21258/93; 21259/93; 21260/93

la Cour examine la révocation de l'ordre des médecins, des membres de "S.O.S médecins" poursuivis pour avoir utilisé un gyrophare et de la publicité sur leurs voitures ainsi que sur les pages jaunes de l'annuaire téléphonique.

Les médecins plaignants étaient aussi les "juges" du conseil disciplinaires !

"La Cour rappelle que, même lorsque l'article 6§1 de la Convention trouve à s'appliquer, l'attribution du soin de statuer pour des infractions disciplinaires à des juridictions ordinales n'enfreint pas en soi la Convention. Toutefois, celle-ci commande alors, pour le moins, l'un des deux systèmes suivants: ou bien les dites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l'article 6§1, ou bien elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article"

SUR LA PARTIALITÉ DES JUGES

59. Les requérants exercent leur profession en Ile-de-France et sont membres de SOS Médecins, une structure visant à assurer un service de gardes médicales d’urgence sur appel des patients (paragraphe 7 ci-dessus). Dans cette région, interviennent dans le même domaine des associations auxquelles participent certains syndicats médicaux et conseils départementaux de l’ordre ; tel est le cas, par exemple, de Garde médicale de Paris, SUR-93 et ASSUM-94.

Le conseil régional de l’ordre des médecins d’Ile-de-France, saisi par deux syndicats de médecins, puis la section disciplinaire du conseil national devaient trancher la question de savoir si, en faisant figurer la mention « SOS Médecins » sur leurs véhicules ou sur leurs ordonnances, les intéressés avaient méconnu l’article 23 du code de déontologie médicale qui prohibe la publicité (paragraphe 9 ci-dessus). Il est néanmoins vraisemblable que, comme l’affirment les requérants, ce litige dépassait le strict domaine du respect de la déontologie puisqu’il s’inscrivait dans le contexte d’une concurrence entre SOS Médecins et les autres associations d’urgentistes susmentionnées. Or la Cour observe que les membres du conseil régional ainsi que trente-deux des trente-huit membres du conseil national – lequel élit en son sein la section disciplinaire – sont des praticiens désignés directement par les conseillers départementaux (paragraphes 17–19 ci-dessus). Ces deux organes avaient de ce fait un lien troublant avec lesdites « concurrentes » de SOS Médecins et il est compréhensible que les requérants aient suspecté leurs juges de partialité.

La présence au sein du conseil régional des Drs Boissin et Gasch et, dans une moindre mesure, du Dr Barkatz tend à justifier les appréhensions des intéressés à l’égard de cet organe. Il ressort en effet du dossier que le premier siégeait, en 1990, en tant que représentant du conseil départemental de la ville de Paris, au conseil d’administration de Garde médicale de Paris et que le deuxième était membre du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, lequel était l’un des créateurs de SUR-93. Quant au troisième, il était vice-président du conseil départemental de la Seine-et-Marne dont le président avait, lors de la douzième assemblée générale de l’ordre du 28 mai 1988, à propos de l’utilisation du sigle « SOS Médecins », « insist[é] sur la préoccupation des confrères qui n’acceptent pas la discrimination qui leur est faite et le trouble économique qui leur est causé dans la mesure où le sigle médiatique permet un racolage de clientèle ».

Il en va de même de la présence au sein de la section disciplinaire du conseil national de l’ordre des Drs Gatel, Vergeylen et Gilbert. Le premier était en effet secrétaire général puis président du conseil départemental de l’ordre des médecins du Rhône à l’époque où ce conseil avait, pour des faits similaires à ceux reprochés aux requérants, porté plainte et diligenté une procédure contre le président de SOS Lyon Médecins. En outre, durant la période où la cause des requérants était pendante devant la section disciplinaire du conseil national de l’ordre, ce même praticien assurait, au sein du conseil national, la présidence de la commission de la permanence des soins et urgences et avait, en cette qualité, présenté un rapport insistant notamment sur la prohibition de toute mention ayant le caractère d'une publicité sur un véhicule quelconque et toute utilisation d'un sigle commercial. Enfin, lors de la 183e session du conseil national des 27, 28 et 29 juin 1991 – à laquelle assistait aussi le Dr Vergeylen –, le Dr Gatel avait présenté un « état des relations avec les organismes d'urgentistes » et avait notamment fait valoir ce qui suit :

« Si les motifs de litiges tendent à diminuer, il existe encore des points de divergences (…) : – la mention, sur les véhicules, de « SOS Médecins » persiste encore dans certaines associations départementales ; il devrait lui être substitué le générique « médecin » ou « médecin de garde » ou « médecin urgence » préconisé par les instances judiciaires et ministérielles ; (…) Le Conseil est satisfait de la nature des relations qui se sont instaurées avec les représentants d'organismes d'urgences mais estime qu'il faut rester très attentif à l’évolution de cette attitude et à ses répercussions sur le plan local. »

Le second était vice-président du conseil départemental du Val-de-Marne, lequel était membre fondateur d’ASSUM-94, au sein du conseil d’administration de laquelle siégeait en outre le président du même conseil départemental. Quant au troisième, il était président puis vice-président du conseil départemental de l’ordre de l’Isère, alors que ce même conseil départemental était l’un des membres fondateurs d’une association de médecine d’urgence de Grenoble, l’AMUAG.

60. Partant, eu égard essentiellement au contexte particulier dans lequel s’inscrivait le litige que devaient trancher les juridictions ordinales et à la spécificité dudit litige, ni le conseil régional de l’ordre des médecins d’Ile-de-France ni la section disciplinaire du conseil national du même ordre ne furent un tribunal « impartial » au sens de l’article 6 § 1. Bref, il y a eu violation de cette disposition.

LE JUGE EST AUSSI ORGANE POURSUIVANT

URGESI ET AUTRES c. ITALIE du 8 juin 2023 requêtes n° 46530/09

Art 6 § 1 (pénal) • Défaut d’impartialité de la cour d’appel ayant statué dans le cadre d’une procédure d’application de mesures de prévention • Juge rapporteur du collège ayant statué sur l’application des mesures de prévention, auparavant procureur dans le cadre d’un procès pénal en appel • Questions soumises à l’examen de ce juge dans chacune des deux procédures, à l’égard de tous les requérants, essentiellement les mêmes ou, à tout le moins, strictement connexes • Craintes des intéressés objectivement justifiées • Cour de cassation n’ayant pas remédié à ce défaut de la procédure

CEDH

a)   Principes généraux

74.  La Cour renvoie aux principes bien établis relatifs aux critères d’appréciation de l’impartialité d’un tribunal, tels qu’ils ont été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, §§ 145-149, 6 novembre 2018). Plus particulièrement, la Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, et qu’elle peut s’apprécier de diverses manières. En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est‑à‑dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

75.  La Cour rappelle que, pour ce qui est de la démarche subjective, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 47, série A no 154). Quant à la démarche objective, lorsqu’elle est appliquée relativement à une juridiction collégiale elle conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel membre de celle-ci, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause son impartialité. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96, et Morel c. France, no 34130/96, § 42, CEDH 2000‑VI).

76.  L’appréciation objective porte principalement sur des situations d’ordre fonctionnel, où la conduite personnelle du juge n’est pas en cause mais où, par exemple, l’exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire, ou des liens hiérarchiques ou autres avec un autre acteur de la procédure, suscitent des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal (Kyprianou, précité, § 121).

77.  En outre, ladite appréciation varie suivant les circonstances de la cause. Le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier, en soi, des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l’appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l’appréciation finale. Il importe que cette appréciation intervienne avec le jugement et s’appuie sur les éléments produits et débattus à l’audience (Marina c. Roumanie, no 50469/14, § 38, 26 mai 2020, Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, § 85, CEDH 2014 (extraits), et Morel, précité, § 45).

78. La Cour doit donc vérifier si, compte tenu de la nature et de l’étendue des fonctions exercées par le juge dont l’impartialité est en cause, celui-ci a fait preuve, ou a pu légitimement apparaître comme ayant fait preuve, d’un parti pris quant à la décision à rendre sur le fond. Cela serait notamment le cas si les questions qu’il a eu successivement à traiter sont « les mêmes » où « analogues » (Marina, précité, § 43, Fazlı Aslaner c. Turquie, no 36073/04, § 32, 4 mars 2014, Morel, précité, § 47 ; a contrario, Kleyn et autres c. Pays‑Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 200, CEDH 2003‑VI).

79.  La Cour a jugé, dans un certain nombre d’affaires mettant en cause deux procédures n’ayant pas exactement le même objet, que les questions de fait ou de droit soumises à l’examen des juges étaient, dans les espèces considérées, si strictement connexes que les doutes des requérants quant à l’impartialité de ceux-ci pouvaient passer pour objectivement justifiés (voir par exemple Stoimenovikj et Miloshevikj c. Macédoine du Nord, n59842/14, § 37, 25 mars 2021, Fazlı Aslaner, précité, § 34, et Indra c. Slovaquie, no 46845/99, §§ 51-53, 1er février 2005). Toutefois, il ne suffit pas, à cet égard, que les deux procédures en cause tirent leur origine du même contexte factuel, les questions qu’elles sont appelées à trancher pouvant être en substance différentes (voir Pasquini c. Saint-Marin, no 50956/16, §§ 145‑150, 2 mai 2019, Sproge c. Lettonie (déc.), no 7407/06, §§ 34-35, 20 octobre 2015, Mugliett v. Malta (déc.), no 46661/12, §§ 29-30, 28 May 2013, et Steulet c. Suisse, no 31351/06, §§ 40-41, 26 avril 2011).

80.  La Cour rappelle aussi que le fait qu’un requérant ait été jugé par un magistrat ayant lui-même exprimé des doutes quant à sa propre impartialité dans le procès peut poser un problème du point de vue de l’apparence d’équité et d’impartialité de la procédure (Paixão Moreira Sá Fernandes c. Portugal, no 78108/14, § 87, 25 février 2020, et Rudnichenko c. Ukraine, no 2775/07, § 118, 11 juillet 2013). Pareille situation ne suffit toutefois pas, en soi, à emporter violation de l’article 6 § 1 de la Convention, les doutes du requérant quant à l’impartialité du juge devant être objectivement justifiés dans les circonstances de la cause (Meng c. Allemagne, no 1128/17, § 52, 16 février 2021, et Dragojević c. Croatie, no 68955/11, §§ 120-122, 15 janvier 2015).

81.  Pour ce qui concerne les situations dans lesquelles un juge a préalablement exercé la fonction de procureur, la Cour rappelle qu’il serait excessif d’écarter du siège tout ancien magistrat du parquet dans chaque affaire ayant précédemment été examinée par le ministère public, quand bien même le magistrat en question n’aurait pour sa part jamais eu à en connaitre. Ainsi, le simple fait qu’un juge ait figuré auparavant parmi les membres du parquet ne constitue pas une raison de redouter un manque d’impartialité dans son chef (Paunović c. Serbie, no 54574/07, §§ 41, 3 décembre 2019, et Jerino’ Giuseppe c. Italie (déc.), no 27549/02, 2 septembre 2004).

82.  Cependant, si un juge se trouve saisi d’une affaire qu’il a déjà traitée dans le cadre de ses attributions au sein du parquet, les justiciables peuvent légitimement craindre qu’il n’offre pas assez de garanties d’impartialité (Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, § 30, série A no 53).

83.  La Cour rappelle en outre que selon les principes généraux relatifs à l’impartialité des juridictions collégiales, il convient de prendre en compte des éléments tels que le nombre de magistrats concernés par pareille prise de position ainsi que leur rôle au sein de la formation de jugement. À cet égard, si les organes de la Convention ont déjà rejeté des griefs similaires en prenant en compte la faible proportion de juges concernés au sein d’une formation collégiale où les décisions sont prises à la majorité, la Cour a conclu à la violation du droit à un tribunal impartial dans un certain nombre d’affaires en prenant en considération à la fois la proportion élevée de magistrats concernés et les fonctions de président ou de rapporteur exercées par ces derniers au sein de la formation collégiale (Fazlı Aslaner, précité, §§ 37-40). En outre, dans des nombreux affaires, la Cour a affirmé que la circonstance qu’un manque d’impartialité ne concernait que l’un des membres d’une formation collégiale n’était pas déterminante dans la mesure où le secret des délibérations ne permet pas de connaître l’influence réelle d’un juge au sein du collège (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 89, CEDH 2015, Karrar c. Belgique, n61344/16, § 36, 31 août 2021 et jurisprudence y citée).

84.  Enfin, un constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne peut être fondé sur le manque allégué d’indépendance ou d’impartialité d’un organe juridictionnel si la décision rendue a été soumise au contrôle subséquent d’un organe judiciaire doté de la plénitude de juridiction et offrant les garanties de l’article 6 (Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 65, 25 septembre 2018), une juridiction supérieure pouvant, en pareilles circonstances, redresser les défauts de la procédure de première instance (Kyprianou, précité, § 134).

b)  Application au cas d’espèce

85.  En l’espèce, les craintes des requérants quant à un défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce tiennent au fait que U.M., juge rapporteur du collège ayant statué sur l’application des mesures de prévention, avait auparavant assuré le rôle de procureur dans le cadre du procès pénal en appel de l’affaire « Cahors ».

86.  La Cour observe d’emblée que les requérants ne mettent pas en cause l’impartialité subjective des juges de la cour d’appel. Elle estime dès lors qu’il convient d’examiner le grief sous le seul angle de l’exigence d’impartialité objective.

87.  La Cour considère que, à la lumière des principes précités, le fait que la problématique de l’impartialité affectait un seul membre d’une formation de trois juges n’est pas déterminant (voir Morice, précité, § 89). En tout état de cause, et sans se prononcer dans l’abstrait sur l’impact de la participation d’un juge ne remplissant aucun rôle particulier au sein de la formation, force est de constater qu’en l’espèce U.M. exerçait la fonction de juge rapporteur, de sorte que sa participation était davantage susceptible de mettre en cause l’impartialité du collège (voir Fazlı Aslaner, précité, § 39. Elle doit donc vérifier si les doutes des requérants quant à son impartialité étaient objectivement justifiés.

88.  De l’avis de la Cour, un premier élément de réponse réside dans le fait que U.M. a lui-même exprimé des doutes quant à sa propre impartialité en présentant une demande d’abstention (paragraphe 15 ci-dessus), pareille requête pouvant affecter l’apparence d’impartialité de la cour d’appel.

89.  En outre, la Cour constate que les deux procédures en cause concernaient tantôt les mêmes questions, tantôt des questions suffisamment connexes pour justifier des craintes quant à un défaut d’impartialité.

90.  En particulier, dans le cadre du procès pénal relatif à l’affaire « Cahors », le parquet – dont faisait partie U.M. – a conclu avec G. Florio une transaction pénale ayant pour objet la responsabilité de celui-ci concernant plusieurs délits, dont notamment celui d’association mafieuse. La cour d’appel, par un arrêt du 3 juillet 2002, a homologué la transaction, tout en prononçant la confiscation de certains des biens de l’intéressé (paragraphe 5 ci-dessus). Quant à M. Albano, le parquet a demandé la confirmation de sa responsabilité concernant, entre autres, l’infraction d’association mafieuse, et l’intéressé a vu sa condamnation confirmée en appel, par un arrêt du 21 février 2003 (paragraphe 6 ci-dessus).

Or, l’application de mesures de prévention à l’égard de ces deux requérants se fondait sur la dangerosité « qualifiée » prévue par la loi no 575/1965, laquelle vise, à ce titre, les individus soupçonnés d’appartenir à des associations de type mafieux.

La Cour note que la cour d’appel, statuant sur les mesures de prévention, a d’abord examiné s’il existait des indices sérieux de la participation de MM  G. Florio et Albano à une association mafieuse, alors que, dans le cadre du procès pénal, U.M. les avait poursuivis pour ce même délit. La Cour estime donc que les questions soumises à l’appréciation de U.M. dans chacune des deux procédures étaient essentiellement les mêmes pour ce qui concerne ces deux requérants (paragraphe 78 ci-dessus).

91.  Quant à M. Urgesi, dans le procès « Cahors », le parquet a demandé la confirmation de sa responsabilité concernant les délits d’association de malfaiteurs et d’usure, infractions pour lesquelles il a été condamné, par un arrêt de la cour d’appel du 21 février 2003 (paragraphe 6 ci-dessus).

L’application de mesures de prévention à son égard reposait sur l’article 14 de la loi no 55/1990, lequel renvoie à l’article 1 de la loi no 1423/1956. Une des questions principales que la cour d’appel était appelée à trancher était donc celle de savoir si, sur la base d’éléments factuels, on pouvait estimer que l’intéressé se livrait habituellement aux activités délictueuses visées par la norme précitée – parmi lesquelles figurait l’infraction d’usure – ou qu’il vivait habituellement des gains de celles-ci (paragraphes 24 et 27 ci-dessus).

Compte tenu du fait que U.M. a poursuivi M. Urgesi pour le délit d’usure dans le cadre du procès pénal, et que sa condamnation de ce chef a finalement pesé de manière déterminante dans la décision d’application de mesures de prévention à son endroit (paragraphe 19 ci-dessus), la Cour considère que les questions soumises au magistrat étaient strictement connexes (paragraphe 79 ci-dessus).

92.  La Cour prend note des observations du Gouvernement quant à l’objet de la procédure de prévention, lequel était selon lui plus large que celui de la procédure pénale en ce que, au vu des considérations du tribunal ayant statué en première instance, il incluait l’entière « carrière criminelle » des prévenus ainsi que l’examen de questions patrimoniales et portait sur d’autres biens que ceux qui avaient fait l’objet d’une confiscation dans le cadre du procès « Cahors ».

Toutefois, la Cour n’est pas convaincue par cet argument. Elle rappelle tout d’abord que la cour d’appel de Lecce s’est fondée de manière déterminante sur les condamnations prononcées en première instance et en appel dans le procès « Cahors » pour ordonner les mesures de prévention litigieuses (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Quant aux autres points débattus dans la procédure de prévention, la Cour estime que ceux-ci ne remettent pas en cause le caractère déterminant de la première question examinée par les juges internes, c’est-à-dire l’évaluation des indices existant quant à la commission par les intéressés des délits en cause.

93.  La Cour n’est pas davantage convaincue par les arguments du Gouvernement selon lesquels, dans le procès « Cahors », U.M. aurait exercé la fonction de procureur conjointement avec d’autres magistrats et n’aurait participé à aucun débat relativement à la culpabilité de G. Florio, la condamnation de celui-ci ayant découlé d’une transaction pénale. Elle observe en effet que dans le cadre de ladite transaction, le parquet s’est livré à un examen des circonstances factuelles de l’affaire et qu’il a estimé que le requérant était pénalement responsable, de sorte que l’absence en l’espèce de débat, mené en audience publique, quant à la culpabilité de l’intéressé ne saurait être considérée comme décisive (voir, mutatis mutandis, Mucha c. Slovaquie, no 63703/19, §§ 53-55, 25 novembre 2021). Quant au partage de la fonction de procureur avec d’autres membres du parquet, le fait que U.M. a joué un rôle dans les poursuites menées contre les requérants suffit pour conclure qu’il s’était exprimé auparavant sur leur responsabilité pénale (voir Jhangiryan c. Arménie, nos 44841/08 et 63701/09, § 101, 8 octobre 2020).

94.  Reste à examiner la position des requérants désignés en annexe sous les numéros 4 à 8, qui n’étaient ni parties au procès « Cahors », ni accusés d’un quelconque délit. À cet égard, la Cour note que leurs biens ont été confisqués sur la base du constat de l’appartenance de ceux-ci aux trois premiers requérants (paragraphe 11 ci-dessus). Il en résulte que ladite confiscation se fondait sur l’appréciation qui avait été portée sur les indices de commission par les premiers requérants des délits en cause et, donc, sur des questions sur lesquelles U.M. s’était déjà exprimé dans le procès « Cahors ».

95.  Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que les questions soumises à l’examen de U.M. dans chacune des deux procédures étaient, à l’égard de tous les requérants, essentiellement les mêmes ou, à tout le moins, strictement connexes, et qu’ainsi les craintes des intéressés quant à un défaut d’impartialité de la cour d’appel de Lecce pouvaient passer pour objectivement justifiées.

96.  La Cour rappelle, enfin, qu’une juridiction supérieure ou suprême peut bien entendu, dans certains cas, redresser les défauts de la procédure (voir Ramljak c. Croatie, no 5856/13, § 40, 27 juin 2017, et Kyprianou, précité, § 134). Cependant, elle note qu’en l’espèce la Cour de cassation n’a pas connu du fond de l’affaire et a rejeté le moyen de recours relatif à l’impartialité de la cour d’appel (paragraphe 21 ci-dessus), de sorte qu’elle n’a pas remédié au défaut d’impartialité de celle-ci (voir Meng, précité, § 64).

97.  À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la cour d’appel de Lecce ayant statué sur l’application des mesures de prévention aux requérants n’était pas un tribunal impartial. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Grosam c. République tchèque du 23 juin 2022 requête no 19750/13

Art 6-1 : La procédure disciplinaire dirigée contre un huissier a été inéquitable

L’affaire concerne l’amende pour faute professionnelle que le requérant s’est vu infliger par la Cour administrative suprême, siégeant en une chambre disciplinaire pour les huissiers, puis le recours que celui-ci a formé devant la Cour constitutionnelle. La Cour juge en particulier que le processus de sélection des assesseurs non professionnels n’a pas été transparent, que l’indépendance des assesseurs en question ne pouvait pas être assurée et que le tribunal dans son ensemble n’a pas été objectivement impartial, certains des assesseurs étant les concurrents directs de M. Grosam. Elle en conclut que la chambre disciplinaire n'était pas un « tribunal indépendant et impartial ».

Faits

À l’époque des faits, M. Grosam exerçait les fonctions d'huissier (soudní exekutor) ; il était notamment chargé de l’exécution des décisions définitives des juridictions civiles et des sentences arbitrales rendues au nom de l’État. En 2010, la chambre disciplinaire des juges (kárný senát) de la Cour administrative suprême, statuant en tant que juridiction disciplinaire, fut saisie par le ministre de la Justice d’une procédure disciplinaire pour faute qui visait l’intéressé. Le ministre de la Justice proposa d’emblée qu’une amende fût infligée au requérant. Ce dernier soutint que sa culpabilité devait être prouvée, le code de procédure pénale devant s’appliquer par défaut, et qu'aucune preuve n’avait été communiquée à cet effet. Il fut déclaré coupable et se vit infliger une amende de 350 000 couronnes tchèques (12 650 euros environ). M. Grosam saisit la Cour constitutionnelle d'un recours dans lequel il dénonçait une violation du droit applicable à la procédure pénale, en particulier de la présomption d’innocence, de l’obligation pour le tribunal de recueillir des preuves et du droit de recours. Il affirmait en outre qu’il avait été accusé d’avoir commis une infraction pénale et que la juridiction disciplinaire n’était pas la « plus haute juridiction » au sens de la Convention européenne et de son Protocole n o 7.

En septembre 2012, ce recours fut rejeté. La Cour constitutionnelle déclara, d'une part, qu’elle avait pour mission de contrôler le respect du droit constitutionnel uniquement, et pas le respect du droit commun, et, d'autre part, que la juridiction disciplinaire avait motivé sa décision de manière convaincante et logique. Elle conclut que « ... les arguments du requérant ne permett[aient] pas de conclure au bien-fondé du recours constitutionnel.»

Article 6 (droit à un procès équitable)

La Cour juge que les griefs du requérant doivent être examinés sous l’angle de l’article 6 et que le volet civil de cet article est applicable à la procédure. Elle considère qu’il lui appartient ensuite d’établir si la chambre disciplinaire de la Cour administrative suprême était un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi ». Elle observe que le requérant conteste non pas la compétence technique, l’intégrité morale ou la nomination des juges professionnels, mais l’impartialité objective des juges non professionnels et leur procédure de sélection. Sur la question de l’indépendance de la formation de jugement, la Cour relève que le processus de présélection des assesseurs non professionnels – ceux-ci étaient tirés au sort sur des listes établies à la discrétion de personnes spécifiquement choisies (le président de la chambre des huissiers, le procureur général, le président du barreau tchèque et les doyens des facultés de droit des universités publiques) – n’était ni transparent ni soumis à des critères de sélection prédéterminés. Elle relève en outre l'absence de garanties contre les pressions extérieures et un risque de proximité avec le ministre de la Justice. Elle juge que l’apparence d’indépendance s'en est trouvée ternie. En ce qui concerne l’impartialité objective de la chambre, la Cour partage la préoccupation du requérant quant au fait qu’un tiers des membres de cette formation aient été les concurrents directs de l’intéressé.

La Cour juge que les garanties d’indépendance des assesseurs non professionnels siégeant au sein de la formation de jugement étaient insuffisantes, et que cela sème le doute quant à l’impartialité de la chambre disciplinaire dans son ensemble. Concernant la Cour constitutionnelle, la Cour relève que cet organe n'est pas compétent pour contrôler le respect du droit commun. Elle considère que cette juridiction aurait pu juger que la procédure n’était pas conforme à la Convention mais qu’elle n’aurait pu ni procéder à un réexamen de l'intégralité de l'affaire ni remédier aux défaillances de la chambre disciplinaire. La chambre disciplinaire n’ayant pas satisfait aux exigences d’un « tribunal indépendant et impartial » et la Cour constitutionnelle n’ayant pas été en mesure d’examiner l’affaire dans son intégralité, le requérant s’est vu refuser un procès équitable, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Karelin C. Russie du 20 septembre 2016 requête 926/08

Violation de l'article 6 : L’absence de partie poursuivante a nui à l’impartialité d’un procès pour infraction administrative en Russie, car le juge du siège a dû remplir le rôle de la partie poursuivante. Cela appelle une réforme.

La Cour constate que l’absence de ministère public peut nuire à l’impartialité d’un procès, lorsque le tribunal ou le magistrat doivent assumer des tâches qui auraient relevé de l’accusation si celle-ci avait été présente, ce qui peut semer la confusion quant à leurs rôles – juge et accusateur –, et faire légitimement douter de leur impartialité. S’agissant du procès de M. Karelin en première instance, la Cour constate que le code russe des infractions administratives n’imposait pas au parquet d’être présent aux audiences. Dans le procès en question, la Cour reconnaît qu’un policier avait monté le dossier pénal et était présent à l’audience. Cependant, ce policier n’avait pas acquis la qualité de partie à la procédure, et ne pouvait en influencer la conduite par le dépôt de demandes et ni faire appel du jugement. Il n’était donc pas une partie poursuivante. L’absence d’une telle partie a eu une incidence sur la présomption d’innocence et a nui à l’impartialité de l’instance de jugement. La Cour rejette la thèse du Gouvernement selon laquelle la présence du parquet n’était pas nécessaire compte tenu de la faiblesse des sanctions auxquelles M. Karelin était exposé lors de son procès. En effet, l’impératif d’impartialité ne varie pas selon la gravité des sanctions dont l’accusé est passible. S’agissant de la procédure d’appel, la Cour fait remarquer que la nécessité d’une partie poursuivante s’impose peut-être moins en appel, surtout lorsque celui-ci se limite aux points de droit. Cependant, elle relève que le code russe des infractions administratives permettait à l’instance d’appel de revenir sur tous les points du dossier, y compris sur les preuves produites en première instance, et d’examiner de nouveaux éléments. Dans une audience de ce type, l’absence de partie poursuivante est une grave lacune. Dans le procès en appel de M. Karelin, aucun agent n’était présent à l’audience pour représenter l’accusation et aucune écriture n’a été produite pour le compte de celle-ci. Il apparaît d’ailleurs que l’agent qui avait ouvert la procédure et assisté à l’audience n’avait pas le droit de présenter des observations en appel. Il n’y avait donc aucune partie poursuivante, ce qui a empêché l’instance d’appel de remédier aux lacunes du procès en première instance de M. Karelin.

La Cour en conclut à la violation du droit de M. Karelin à un procès équitable, en raison de l’absence de ministère public en première instance et en appel. Au vu de cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément s’il y a eu violation du droit de M. Karelin à un procès équitable au regard des principes de l’égalité des armes et du contradictoire.

Article 46 (force exécutoire et exécution des arrêts)

La Cour constate que cette violation du droit à un procès équitable est une conséquence de l’état du droit et de la pratique judiciaire russes en matière d’infractions administratives en général, et ne concerne pas le seul procès de M. Karelin. Elle relève en outre qu’elle a été saisie d’un certain nombre de requêtes soulevant des questions analogues. De manière à prévenir les violations similaires à l’avenir, elle juge que le gouvernement russe doit instaurer un système prévoyant des garanties suffisantes pour assurer l’impartialité des juridictions saisies d’affaires de ce type, en mettant en place une autorité de poursuite lors des audiences, ou par tout autre moyen approprié. S’agissant de M. Karelin en particulier, la Cour juge que le moyen de redressement le plus approprié dans ce type d’affaires est la réouverture de la procédure et elle dit que le Gouvernement doit songer immédiatement à l’opportunité de rouvrir le procès de M. Karelin.

DUBUS S.A. c. FRANCE DU 11 juin 2009 Requête no 5242/04

Suite à une procédure de contrôle en 1997 puis en 2000, la commission bancaire décide d'ouvrir une procédure de discipline contre une société de bourse Dubus SA. La CEDH constate que la Commission bancaire est juge et partie puisqu'elle est organe de contrôle poursuivante et organe de jugement.

"53.  La Cour rappelle qu'aux fins de l'article 6 § 1, l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 46, série A no 154 et De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 24, série A no 86). Quant à la première, la requérante ne l'a pas soulevée devant la Cour. Au demeurant, l'impartialité personnelle d'un magistrat se présume jusqu'à la preuve du contraire, non fournie en l'espèce. Reste donc l'appréciation objective qui consiste à se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Didier, précité).

54.  Elle rappelle également que les notions d'indépendance et d'impartialité objective sont étroitement liées (Kleyn et autres c. Pays-Bas ([GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 192, CEDH 2003-VI).

55.  La Cour observe que la Commission bancaire exerce deux types de fonctions. La première est une fonction de contrôle, englobant un contrôle administratif et un pouvoir d'injonction, prévu par les articles L. 613-6, L. 613-15 et L. 613-16 du CMF selon lesquels « Le secrétariat général de la Commission bancaire, sur instruction de la Commission bancaire, effectue des contrôles sur pièces et place » et la Commission bancaire peut adresser une mise en garde, une recommandation ou une injonction. La seconde est disciplinaire et la Commission bancaire exerce son pouvoir de sanction en agissant à ce titre comme une « juridiction administrative ».

56.  La Cour relève d'emblée l'imprécision des textes qui régissent la procédure devant la Commission bancaire, quant à la composition et aux prérogatives des organes appelés à exercer les différentes fonctions qui lui sont dévolues.

57.  En particulier, il ne ressort pas du CMF, ni d'un éventuel règlement intérieur, de distinction claire entre les fonctions de poursuite, d'instruction et de sanction dans l'exercice du pouvoir juridictionnel de la Commission bancaire. Or, si le cumul des fonctions d'instruction et de jugement peut être compatible avec le respect de l'impartialité garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, comme la Cour l'a jugé dans le cadre d'une procédure disciplinaire devant le Conseil des marchés financiers, autorité administrative indépendante similaire à la Commission bancaire, où était en cause la participation du rapporteur au délibéré du jugement (Didier, précité), ce cumul est subordonné à la nature et l'étendue des tâches du rapporteur durant la phase d'instruction, et notamment à l'absence d'accomplissement d'acte d'accusation de sa part. La Cour a rappelé à cette occasion que « le simple fait, pour un juge, d'avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l'étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès ».

58. La Cour doit donc rechercher si la Commission bancaire a pu décider de la sanction disciplinaire sans « préjugement », compte tenu des actes accomplis par elle au cours de la procédure.

59.  Pour ce faire, la Cour rappellera brièvement le déroulement de la procédure disciplinaire en l'espèce. La décision de poursuivre et d'ouvrir une procédure à l'encontre de la requérante fut prise par procès-verbal du 28 septembre 2000 par le secrétaire général et la Commission bancaire tandis que la notification des griefs à son égard incomba à la Commission en la personne de son président le 24 novembre 2000 (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Quant à l'instruction de l'affaire, la Cour constate qu'elle n'est pas dévolue à une personne précise. La Commission s'est référée notamment au rapport d'inspection déposé par l'inspecteur R. et aux « analyses du secrétariat général » (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Au cours de la procédure juridictionnelle, le secrétariat général déposa un mémoire en réplique en réponse aux observations de la requérante (paragraphe 15 ci-dessus). Enfin, la décision de sanction fut prise par le président de la Commission bancaire et cinq membres de celle-ci après une audience publique et un délibéré. Le secrétaire général notifia à la requérante la sanction prononcée par la Commission (paragraphe 18 ci-dessus).

60.  De cet enchaînement d'actes pris au cours de la procédure juridictionnelle, il résulte, de l'avis de la Cour, que la société requérante pouvait raisonnablement avoir l'impression que ce sont les mêmes personnes qui l'ont poursuivie et jugée. En témoigne particulièrement la phase d'ouverture de la procédure disciplinaire et de la notification des griefs où la confusion des rôles conforte ladite impression (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). La requérante a pu nourrir des doutes sur la prise de décision par la Commission bancaire dès lors que celle-ci décida de la mise en accusation, formula les griefs à son encontre et finalement la sanctionna. La Cour s'accorde avec l'analyse du Conseil d'Etat, qui n'a pas remis en cause la faculté d'autosaisine de la Commission bancaire, mais qui l'a subordonnée au respect du principe d'impartialité (paragraphe 27 ci-dessus), mais elle croit nécessaire d'encadrer plus précisément le pouvoir de se saisir d'office de manière à ce que soit effacée l'impression que la culpabilité de la requérante a été établie dès le stade de l'ouverture de la procédure.

A cela, il faut ajouter que le rôle du secrétaire général accentue la confusion soulignée ci-dessus, même s'il n'apparaît pas être intervenu dans la prise de décision de la sanction (voir, en sens inverse, paragraphe 28 ci-dessus, CE no 238169). En effet, aux termes de l'article L. 613-6 du CMF, le secrétariat général effectue les contrôles sur instruction de la Commission bancaire, et la procédure disciplinaire est précisément engagée au vu des irrégularités constatées dans le cadre du contrôle administratif ; le secrétariat général, par son secrétaire, intervient ensuite dans la procédure juridictionnelle en adressant des observations en réponse aux écritures de la partie poursuivie. Enfin, c'est bien au nom de la Commission bancaire qui, au final prononcera la sanction, que l'inspection a été diligentée.

61.  En résumé, la Cour n'est pas convaincue par l'affirmation du Gouvernement sur l'existence d'une séparation organique au sein de la Commission bancaire. Elle estime que la requérante pouvait nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et l'impartialité de la Commission du fait de l'absence de distinction claire entre ses différentes fonctions.

62.  Partant, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention."

Popescu contre Roumanie du 07 janvier 2003 requête 33355/96

La Cour considère que si le procureur de la République était étroitement lié au pouvoir exécutif, mais la décision a été rendue par les juges du fond.

Il n'y a donc pas de possibilité de reproche de partialité.

LE JUGE EST AUSSI AVOCAT DE L'ADVERSAIRE

UTE SAUR VALLNET c. ANDORRE du 29 mai 2012 Requête no 16047/10

La participation d’un magistrat du Tribunal supérieur à un cabinet d’avocats prestataire de services rémunérés au Gouvernement emporte violation du droit à un tribunal impartial

48.  La Cour rappelle d’emblée que, dans une cause issue d’une requête individuelle, il lui faut se borner autant que possible à l’examen du cas concret dont on l’a saisie (Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, § 35, série A n62). En conséquence, rien ne permet de douter en l’espèce que la législation et la pratique relatives aux magistrats siégeant à temps partiel puissent, de façon générale, être organisées de façon à être compatibles avec l’article 6 (Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 41, CEDH 2000-XII, Steck-Risch et autres c. Liechtenstein, no 63151/00, § 39, 19 mai 2005). L’enjeu tient uniquement à la manière dont la procédure a été conduite dans l’affaire de la requérante.

49.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’il échet de déterminer l’impartialité d’un tribunal au sens de l’article 6 § 1, il faut tenir compte non seulement de la conviction et du comportement personnels du magistrat en telle occasion – ce qui est une démarche subjective –, mais aussi rechercher si ce tribunal offrait objectivement des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Thomann c. Suisse, 10 juin 1996, § 30, Recueil 1996-III).

50.  En ce qui concerne l’aspect subjectif de l’impartialité, la Cour constate que rien n’indique en l’espèce un quelconque préjugé ou parti pris de la part du magistrat rapporteur de la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice.

51.  Reste donc l’appréciation objective. Elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du magistrat, certains faits vérifiables autorisent à douter de l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII). Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge un défaut d’impartialité, l’optique de celui qui s’en plaint entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiables (Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 58, Recueil 1996-III ; Driza c. Albanie, no 33771/02, § 76, CEDH 2007-V ; Wettstein c. Suisse, précité, § 44).

52.  En l’espèce, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que le magistrat S. était avocat associé du cabinet espagnol R., qui figurait comme prestataire de services rémunérés de conseil juridique au gouvernement défendeur à l’époque de la procédure en cause. Ceci ressort de la décision du 15 juin 2011 de la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice qui précise que dans la période où S. était l’un des associés du cabinet d’avocats en cause, le gouvernement andorran avait versé audit cabinet le montant correspondant à la facturation de divers services rendus. Bien que le Gouvernement soutienne que la facturation par le cabinet d’avocats au gouvernement andorran ait eu lieu à un moment non concomitant au jugement litigieux et que la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice aurait commis une erreur à cet égard, la Cour ne saurait passer outre les affirmations de ladite chambre (voir paragraphe 24 ci-dessus) selon lesquelles « (...) la défense de la [requérante] fournit certaines factures entre le cabinet d’avocats R., dont S. est associé, et le gouvernement d’Andorre à l’époque du litige, notamment en 2004, en pleine crise entre [la requérante] et le Gouvernement au sujet de l’EDAR [station d’épuration des eaux usées] », qui font état de « l’existence d’une relation économique, à l’époque du procès, entre le cabinet d’avocats R. (...) et l’une des parties ». En tout état de cause, la Cour note que dans sa lettre du 27 mai 2005 (paragraphe 10 ci-dessus), le ministre de l’Aménagement du territoire avait fait référence à une lettre du 29 juillet 2004 dans laquelle la requérante était informée du mécontentement de l’administration en raison du non-respect par la station d’épuration de La Massana des exigences minimales d’épuration contractuellement requises, ce qui montre que la « crise » à laquelle l’arrêt de la chambre pénale fait référence avait bien commencé au plus tard en 2004.

53.  La Cour note en outre que le Gouvernement s’est prononcé, à la demande de la chambre pénale, sur l’authenticité des documents présentés par la requérante relatifs au lien allégué entre S. et le cabinet d’avocats R., prestataire de services rémunérés de conseil juridique au gouvernement défendeur à l’époque des faits, et qu’il a répondu par l’affirmative.

54.  La Cour observe que la décision du 15 juin 2011 de la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice rendue dans le cadre de l’exécution de l’arrêt du 14 septembre 2009 de la chambre administrative du même Tribunal indiquait que l’existence d’une relation économique, à l’époque du procès, entre le cabinet d’avocats R. et le gouvernement d’Andorre, « [pouvait] créer pour la partie [requérante] un doute raisonnable sur l’impartialité objective de S., malgré l’absence totale d’intérêt direct de sa part dans cette affaire ». La chambre pénale a ainsi fait droit à la récusation et ordonné le remplacement du magistrat S. ainsi que le renvoi de l’affaire devant la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice pour qu’elle se prononce sur l’appel interjeté par la requérante dans le cadre de la procédure d’exécution.

55.  Les juridictions internes ont par conséquent confirmé les doutes de la requérante quant à l’absence d’impartialité de la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice ayant rendu l’arrêt au principal, en raison de la participation du magistrat S.

56.  La Cour observe toutefois que la requérante se trouve à l’heure actuelle dans la même situation que lorsque, par un arrêt du 14 septembre 2009, la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice dont faisait partie le magistrat S. a confirmé le jugement du tribunal de batlles entérinant la sanction infligée par l’administration. Le manque d’impartialité de la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice a certes été confirmé dans le cadre de l’exécution de l’arrêt du 14 septembre 2009 par la chambre pénale de ce même tribunal, mais aucune décision définitive n’a réparé l’éventuelle violation de la Convention résultant de l’arrêt du 14 septembre 2009. En effet, le renvoi ordonné par le président du Tribunal supérieur de justice (paragraphe 25 ci-dessus) ne se rapporte qu’à l’exécution de l’arrêt litigieux et des sanctions qu’il renfermait, devenues entre-temps définitives eu égard au principe de l’autorité de la chose jugée.

Dans ces circonstances, au vu de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII), on ne saurait nier que la requérante reste affectée par l’arrêt de la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice du 14 septembre 2009 rendu à son encontre et peut se considérer victime d’une violation de la Convention, au sens de l’article 34 de la Convention.

57.  Pour la Cour, comme l’a d’ailleurs constaté la chambre pénale du Tribunal supérieur de justice dans sa décision du 15 juin 2011, ces éléments justifient objectivement les appréhensions de la requérante au sujet de l’impartialité de S. en tant que magistrat de la chambre administrative du Tribunal supérieur de justice.

58.  Dès lors, il y a eu violation en l’espèce de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’exigence d’un tribunal impartial.

LE JUGE EST SOUMIS A UN POUVOIR HIÉRARCHIQUE

Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne du 8 novembre 2021 requêtes nos 49868/19 et 57511/19

Article 6-1 : La Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques n'est pas un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi »

La Pologne doit prendre des mesures rapides pour résoudre le manque d'indépendance du Conseil national de la magistrature

L'affaire concerne des plaintes déposées par deux juges selon lesquelles la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, qui a statué sur des affaires les concernant, ne serait pas un « tribunal établi par la loi » et manquerait d'impartialité et d'indépendance. Ils se plaignent, en particulier, du fait que la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques, l'une des deux chambres nouvellement créées de la Cour suprême, était composée de juges nommés par le Président de la Pologne sur recommandation du Conseil national de la magistrature (le CNM), l'organe constitutionnel polonais qui garantit l'indépendance des tribunaux et des juges et qui fait l'objet de controverses depuis l'entrée en vigueur d'une nouvelle législation prévoyant, entre autres, que ses membres ne sont plus élus par les juges mais par le Sejm (la chambre basse du Parlement). L'affaire fait partie des 57 requêtes contre la Pologne, introduites en 2018-2021, concernant divers aspects de la réorganisation du système judiciaire polonais initiée en 2017*. La Cour souligne que sa tâche n'est pas d'évaluer la légitimité de la réorganisation du système judiciaire polonais dans son ensemble, mais de déterminer si, et le cas échéant comment, les changements ont affecté les droits de Mme Dolińska-Ficek et de M. Ozimek au titre de l'article 6 § 1 de la Convention. La Cour constate que la procédure de nomination des juges a été indûment influencée par les pouvoirs législatif et exécutif. Il s'agit d'une irrégularité fondamentale qui a porté atteinte à l'ensemble du processus et compromis la légitimité de la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, qui a examiné les affaires des requérants. La Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques n'était donc pas un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi » au sens de la Convention européenne.

L'arrêt est très proche de l’arrêt Reczkowicz c. Pologne (n° 43447/19) de juillet 2021. Toutefois, une violation manifeste supplémentaire du droit interne a été constatée dans cet arrêt car, « au mépris flagrant de la prééminence du droit », le président de la Pologne a procédé à des nominationsjudiciaires malgré une ordonnance judiciaire définitive suspendant la mise en œuvre de la résolution du CNM recommandant des juges à la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques. Dans la mesure où la violation des droits des requérants trouve son origine dans les amendements à la législation polonaise qui ont privé le pouvoir judiciaire polonais du droit d'élire les membres du CNM et ont permis à l'exécutif et au législatif d'interférer directement ou indirectement dans la procédure de nomination des juges, compromettant ainsi systématiquement la légitimité d'un tribunal composé des juges ainsi nommés, une action correctrice rapide de la part de l'État polonais s'impose. Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, l'État a l'obligation légale, en vertu de l'article 46 de la Convention, de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles à adopter dans son ordre juridique interne pour mettre fin à la violation constatée par la Cour et redresser la situation. Il incombe donc à l'État polonais de tirer les conclusions nécessaires de cet arrêt et de prendre les mesures appropriées afin de résoudre les problèmes à l'origine des violations constatées par la Cour et d'empêcher que des violations similaires ne se reproduisent à l'avenir.

FAITS

Les requérants, Monika Dolińska-Ficek et Artur Ozimek, sont des ressortissants polonais nés en 1979 et 1966 et vivent respectivement à Siemianowice Śląskie et Lublin (Pologne). Mme Dolińska-Ficek est juge au tribunal de district de Mysłowice ; M. Ozimek est juge au tribunal régional de Lublin. Tous deux ont postulé à des postes judiciaires ailleurs, respectivement fin 2017 et début 2018, mais n'ont pas été recommandés pour ces postes par le Conseil national de la magistrature (CNM). Ils ont formé des recours auprès de la Cour suprême en 2018. Leurs recours ont été examinés par la nouvelle Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, l'une des deux nouvelles chambres créées à la suite des modifications apportées au système judiciaire et composée uniquement de juges nommés par la procédure impliquant le nouveau CNM. Leurs recours ont été rejetés en 2019.

Article 6 § 1

La Cour examine l'affaire à la lumière des critères énoncés par la Grande Chambre de la Cour dans son arrêt Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (no 26374/18) de décembre 2020 et appliqués également dans l'arrêt Reczkowicz c. Pologne (no 43447/19) de juillet 2021. Tout d'abord, la Cour constate qu'il y a eu une violation manifeste du droit interne qui a porté atteinte aux règles fondamentales de procédure de nomination des juges à la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême. En effet, le CNM, tel que créé par la loi modificative sur le CNM du 8 décembre 2017, ne présente pas de garanties suffisantes d'indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif ou exécutif. La Cour estime ensuite que la nomination par le Président de la Pologne de tous les juges de la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques sur la résolution n° 331/2018 du CNM, nonobstant l'arrêt de la Cour administrative suprême du 27 septembre 2018 suspendant la résolution du CNM, constitue une violation manifeste du droit interne. Le mépris délibéré d'une décision judiciaire contraignante et l'ingérence dans le cours de la justice afin de minimiser la validité d'un contrôle judiciaire en cours sur la nomination des juges ne peut être caractérisé que comme un défi flagrant de la règle de droit. Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne juge pas nécessaire de déterminer s'il y avait également une violation distincte du droit interne résultant du fait que l'annonce par le président des postes vacants à la Cour suprême a été faite sans le contreseing du Premier ministre. La Cour estime qu'une procédure de nomination des juges indûment influencée par les pouvoirs législatif et exécutif est en soi incompatible avec l'article 6 § 1 de la Convention et, en tant que telle, compromet la légitimité de la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême. Il a donc été porté atteinte au droit des requérants à un « tribunal établi par la loi ». Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s'est référée en particulier aux arrêts de la Cour suprême polonaise constatant que les juges de la Cour suprême nommés dans le cadre de la procédure impliquant le CNM ne constituaient pas un tribunal constitué conformément au droit interne. La Cour estime que ces arrêts reposent sur des arguments convaincants, notamment une évaluation approfondie et minutieuse du droit polonais pertinent sous l'angle des normes fondamentales de la Convention et du droit communautaire. Elle a également tenu compte des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi que des multiples rapports et évaluations d'institutions européennes et internationales.

La Cour conclut que la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, qui a examiné les affaires des requérants, ne constitue pas un « tribunal établi par la loi ». Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Quant à la question de savoir si les mêmes irrégularités compromettent également l'indépendance et l'impartialité de la Chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, la Cour estime qu'elle est liée au même problème sous-jacent de déficience intrinsèque de la procédure de nomination des juges et qu'il y a déjà été répondu lors de l'examen de la plainte alléguant que cette chambre n'avait pas les attributs d'un « tribunal établi par la loi ». Il n'y a donc pas lieu de l'examiner plus avant. Enfin, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de se prononcer séparément sur les griefs supplémentaires des requérants relatifs à la violation du droit à un procès équitable dans la procédure devant le CNM.

Articles 46 (force obligatoire et exécution des arrêts)

Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, l'État a l'obligation légale de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne pour faire cesser la violation constatée par la Cour et redresser la situation. La violation des droits des requérants trouve son origine dans les amendements à la législation polonaise qui ont privé le pouvoir judiciaire polonais du droit d'élire les membres du CNM et ont permis à l'exécutif et au législatif d'interférer directement ou indirectement dans la procédure de nomination des juges, compromettant ainsi systématiquement la légitimité d'un tribunal composé des juges ainsi nommés. Dans cette situation et dans l'intérêt de l'État de droit et des principes de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire, une action corrective rapide de la part de l'État polonais s'impose. La Cour ne donne pas d'indications spécifiques sur le type de mesures individuelles et/ou générales qui pourraient être prises pour remédier à la situation et limite ses considérations à des orientations générales. Il incombe donc à l'État polonais de tirer les conclusions nécessaires de cet arrêt et de prendre toute mesure individuelle ou générale appropriée afin de résoudre les problèmes à l'origine des violations constatées par la Cour et d'empêcher que des violations similaires ne se produisent à l'avenir.

Donev c. Bulgarie du 26 octobre 2021 requête no 72437/11

Article 6-1 : La procédure ayant conduit à la révocation d’un juge accusé de fautes disciplinaires n’a pas violé la Convention

Art 6 § 1 (civil) • Indépendance et impartialité de la Cour administrative suprême ayant contrôlé la décision disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature • Absence d’atteinte au principe de la sécurité juridique ni, au caractère équitable de la procédure judiciaire • Procès équitable • Faits en cause versés aux débats et possibilité pour le requérant de présenter ses arguments

L’affaire concerne une procédure disciplinaire de révocation du requérant, juge et président d’une juridiction. Il se plaint, en particulier, que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et la Cour administrative suprême n’ont pas satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 6 de la Convention. La Cour observe que la Cour administrative suprême jouissait d’une juridiction d’une étendue suffisante et que les défauts de la procédure devant le CSM allégués par le requérant étaient susceptibles d’être corrigés, le cas échéant, dans le cadre de la procédure judiciaire. La Cour relève que les juges de la Cour administrative suprême disposent de garanties institutionnelles destinées à garantir leur indépendance et leur impartialité. En ce qui concerne le pouvoir disciplinaire du CSM à l’égard de ces juges, elle rappelle qu’un tel pouvoir ne suffit pas, à lui seul, à jeter le doute sur leur indépendance et leur impartialité. Elle observe qu’en l’espèce le requérant n’a pas invoqué dans sa requête initiale des déficiences structurelles dans la composition du CSM et ne relève pas des apparences de parti pris personnels de certains membres du CSM susceptibles de mettre en cause l’indépendance et l’impartialité de la Cour administrative suprême, laquelle est chargée du contrôle des actes de cet organe. De même, les pouvoirs du CSM en matière de carrière des juges et en matière budgétaire ou les prérogatives disciplinaires du président de la Cour administrative suprême ne sont pas de nature à faire passer les appréhensions du requérant pour objectivement justifiées, en l’absence d’éléments concrets faisant ressortir un manque d’impartialité des juges de la haute juridiction. La Cour ne constate par conséquent aucun manque d’indépendance et d’impartialité au niveau de la Cour administrative suprême. Elle ne constate pas non plus de méconnaissance des autres aspects de l’équité de la procédure. Enfin, la Cour considère que le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates et que la sanction disciplinaire qui lui a été imposée était justifiée par des motifs pertinents et suffisants et proportionnée aux manquements professionnels constatés. La sanction n’a donc pas constitué une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée.

FAITS

Au mois d’août 2008, parut dans la presse nationale un article, sous le titre « Une escroquerie de douze millions de levs circule dans le pays ». M. Donev, juge et alors président d’une juridiction, y était accusé d’avoir délivré un titre exécutoire dans des circonstances suspectes relatives à une affaire d’importants détournements de fonds d’une banque par plusieurs de ses actionnaires. Me X, un avocat intervenu dans cette affaire de détournements de fonds, aurait cédé ses créances d’honoraires à un tiers Y qui aurait demandé au tribunal de district de Targovishte que la cession de créance soit revêtue d’un titre exécutoire. M. Donev était accusé dans l’article d’avoir examiné cette demande malgré le défaut de compétence territoriale de son tribunal, il se serait attribué le dossier au mépris des règles de répartition aléatoire des affaires et aurait donné gain de cause à la partie demanderesse. Il aurait en outre dispensé Y du paiement de la taxe judiciaire alors que la valeur en litige s’élevait à plusieurs millions de levs. A la suite de cet article et de plusieurs plaintes adressées au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’inspectrice générale du CSM ordonna un contrôle. Me X fut assassiné en mars 2009. Le tiers, Y, fut arrêté puis mis en examen pour complicité d’assassinat, en rapport avec cette affaire de détournements de fonds ; il fut reconnu coupable et condamné. Le 26 septembre 2008, l’Inspection demanda au CSM l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre M. Donev et sa révocation de son poste de juge. La formation plénière du CSM examina l’affaire lors de sa réunion du 4 février 2009. La proposition de révoquer le requérant fut ensuite soumise au vote et adoptée par 13 voix contre 9, avec 1 abstention. M. Donev saisit la Cour administrative suprême d’un recours contre la décision du CSM. Par un arrêt du 12 avril 2010, une formation de trois membres de la Cour administrative suprême jugea le recours infondé et le rejeta. M. Donev se pourvut en cassation. Dans son arrêt du 16 juillet 2010, la formation de cinq juges de la Cour administrative suprême conclut que la décision du CSM avait été rendue en violation des règles procédurales dans la mesure où le requérant s’était vu imposer deux sanctions disciplinaires, – la révocation de sa fonction de dirigeant administratif et la révocation de son poste de juge – pour une seule série de fautes disciplinaires, à savoir le non-respect des règles de répartition aléatoire et l’attribution à lui-même de huit affaires en méconnaissance de ces règles. Compte tenu de ces irrégularités, la formation de cinq juges décida d’annuler le premier arrêt et la décision du CSM et de renvoyer l’affaire devant le CSM afin qu’il statue de nouveau. À la suite du renvoi, la formation plénière du CSM examina l’affaire lors de sa réunion du 16 septembre 2010. Par un vote à bulletin secret, le CSM prononça, par 13 voix contre 5, avec 4 abstentions, la révocation du requérant de son poste de juge. Son mandat de président du tribunal étant entretemps arrivé à son terme, la question de sa révocation de cette fonction ne se posait plus. M. Donev introduisit un recours en annulation. Par un arrêt du 14 juillet 2011, la formation de cinq juges annula le premier arrêt et, statuant sur le fond du recours du requérant, le rejeta, concluant que la seconde décision du CSM avait été prise en conformité avec les faits dûment établis et par une juste application du droit matériel, et que la sanction prononcée était proportionnée aux fautes commises.

Article 6

La Cour relève que, selon le droit interne, le CSM est un organe judiciaire qui n’est considéré ni comme une juridiction ni comme un organe administratif classique relevant du pouvoir exécutif. Le CSM est un organe établi par la loi qui, lorsqu’il statue en matière disciplinaire, a pleine compétence pour apprécier les faits litigieux et déterminer la responsabilité du magistrat mis en cause, à l’issue d’une procédure réglementée par la loi. Il peut dès lors être considéré, au sens de la jurisprudence de la Cour, comme un organe juridictionnel auquel les garanties de l’article 6 trouvent à s’appliquer. En l’espèce, la Cour n’estime pas nécessaire de déterminer si la procédure devant le CSM était conforme à l’article 6 de la Convention, eu égard aux conclusions auxquelles elle parvient concernant le respect par la Cour administrative suprême des exigences découlant de cette disposition et l’étendue du contrôle opéré par la haute juridiction. La Cour observe que la Cour administrative suprême était compétente pour examiner les questions de fait qu’elle jugeait pertinentes ainsi que la qualification juridique de faute disciplinaire donnée aux actes ou omissions du requérant. La Cour administrative suprême pouvait également vérifier que les critères prévus par la loi concernant la proportionnalité de la sanction avaient bien été pris en compte par le CSM. La Cour constate que la décision litigieuse du CSM a été prise à l’issue d’une procédure qui présentait un certain nombre de garanties procédurales. Des règles concernant le développement de la procédure étaient prévues de manière détaillée dans la loi et leur respect était soumis au contrôle du juge. Si la Cour administrative suprême avait jugé fondés les moyens soulevés par l’intéressé, cette juridiction avait le pouvoir d’annuler la décision du CSM et de renvoyer l’affaire devant le même organe pour un nouvel examen, ce qu’elle a d’ailleurs fait à une occasion. Il apparaît, dès lors, que la Cour administrative suprême jouissait, en l’espèce, d’une juridiction d’une étendue suffisante et que les défauts de la procédure devant le CSM allégués par le requérant étaient susceptibles d’être corrigés, le cas échéant, dans le cadre de la procédure judiciaire. En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de la Cour administrative suprême, la Cour observe que la Cour administrative suprême est la plus haute juridiction bulgare en matière administrative. Elle est composée exclusivement de juges professionnels et inamovibles qui bénéficient de garanties prévues par la Constitution et la loi et sont soumis à des exigences d’incompatibilité de nature à garantir leur indépendance et leur impartialité. Le CSM a été créé et s’est vu attribuer des compétences en matière de gestion de l’institution judiciaire, de carrière et de discipline des magistrats, afin de garantir l’indépendance de la justice vis à vis des autres pouvoirs. L’instauration d’un contrôle judiciaire par la Cour administrative suprême tend, par ailleurs, à garantir le respect des règles de procédure par le CSM et la légalité de ses décisions.

La Cour observe que le requérant n’a pas invoqué dans sa requête initiale l’existence de déficiences structurelles dans la composition du CSM. Par ailleurs, la Cour ne relève pas des apparences de parti pris personnels de certains membres du CSM susceptibles de mettre en cause l’indépendance et l’impartialité de la Cour administrative suprême, laquelle est chargée du contrôle des actes de cet organe. La Cour constate l’absence d’éléments concrets qui pourraient faire ressortir un manque d’impartialité des juges de la Cour administrative suprême, comme par exemple le fait qu’une procédure disciplinaire ou des poursuites pénales seraient pendantes contre l’un des membres des formations de jugement ayant examiné les recours du requérant. Plus généralement, la Cour ne dispose d’aucun élément montrant que le CSM aurait engagé des poursuites abusives contre des juges de la Cour administrative suprême dans des circonstances susceptibles de mettre en cause leur indépendance. En ce qui concerne le pouvoir du CSM en matière de promotion et de carrière des juges, la Cour relève que les juges de la Cour administrative suprême ont atteint un niveau élevé dans leur carrière et ne sont, en principe, pas en quête de promotion ou de détachement dans une autre juridiction. Ainsi, le président de la Cour administrative suprême qui est membre du CSM, n’a pas pris part aux formations judiciaires ayant statué sur l’affaire du requérant. Ses pouvoirs en matière disciplinaire ne sont pas de nature suffisante à justifier les craintes du requérant, en l’absence d’éléments indiquant que les juges ayant statué dans son cas auraient agi sur les instructions du président de la juridiction ou auraient autrement fait preuve de partialité. La Cour considère donc que les appréhensions du requérant ne peuvent passer pour objectivement justifiées. Ne constatant aucun manque d’indépendance et d’impartialité au niveau de la Cour administrative suprême, la Cour conclut qu’il n’y a donc pas eu de violation de l’article 6 de la Convention à cet égard. La Cour est certes en mesure de constater une contradiction formelle sur un point : l’arrêt du 16 juillet 2010 a considéré que la décision de dispenser un justiciable du paiement de la taxe judiciaire ne pouvait être constitutive d’une faute disciplinaire, tandis que l’arrêt du 14 juillet 2011 a jugé que cette même décision était de nature disciplinaire. Les éléments produits par le requérant ne permettent toutefois pas de conclure à l’existence de « divergences profondes et persistantes » dans la jurisprudence de la Cour administrative suprême, au sens de la jurisprudence de la Cour. La Cour observe, de surcroît, que l’arrêt du 16 juillet 2010 n’avait pas tranché le fond de l’affaire, de sorte que la procédure concernant la responsabilité disciplinaire du requérant était demeurée pendante après l’arrêt du 16 juillet 2010. Ce dernier arrêt ne revêtait pas l’autorité de la chose jugée, faute d’avoir mis fin à la contestation du requérant. La Cour estime donc qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, d’atteinte au principe de la sécurité juridique ni au caractère équitable de la procédure judiciaire. En ce qui concerne enfin les faits nouveaux que la Cour administrative suprême a pris en compte dans son arrêt du 14 juillet 2011, à savoir ceux relatifs à la dispense de taxe judiciaire, qui n’étaient pas visés par la décision attaquée du CSM rendue le 16 septembre 2010, il ressort du recours formé par le requérant lui-même que ce dernier estimait que ces faits avaient bien été pris en compte par le CSM. Il apparaît, dès lors, que ces faits en cause ont été versés aux débats et que le requérant a eu la possibilité de présenter ses arguments à ce sujet.

Article 8

Le requérant a été révoqué au motif qu’il avait enfreint plusieurs règles et obligations relatives à ses fonctions de juge et de président de juridiction. L’intéressé a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat et a eu l’occasion de présenter ses arguments en défense à la fois devant le CSM, au cours de la procédure disciplinaire, et devant la Cour administrative suprême, dans le cadre du contrôle juridictionnel des décisions du CSM. En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction imposée, les autorités internes ont justifié leur décision par une appréciation de la gravité des fautes commises par le requérant, à savoir, d’une part, les conséquences dommageables sur le prestige de la justice compte tenu des suspicions de corruption suscitées par les révélations apparues dans la presse et, d’autre part, le non-respect prolongé par le requérant de ses obligations de président de juridiction en matière de répartition des affaires. La Cour considère que le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates et que, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités internes en pareil domaine, la sanction disciplinaire qui lui a été imposée était justifiée par des motifs pertinents et suffisants et était proportionnée aux manquements professionnels constatés, de sorte qu’elle n’a pas constitué une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée. Le grief du requérant, mal fondé, doit être rejeté.

CEDH

ARTICLE 6

80.  Eu égard aux griefs formulés par le requérant, la Cour se penchera, tout d’abord, sur la question du respect des exigences de l’article 6 de la Convention dans le cadre des procédures devant le CSM, puis de celles qui se sont déroulées devant la Cour administrative suprême. À cet égard, elle examinera successivement l’étendue du contrôle opéré par la haute juridiction, le respect des garanties d’indépendance et d’impartialité puis les autres éléments du droit à un procès équitable invoqués par le requérant.

a) Principes généraux

81.  Les principes généraux de la jurisprudence de la Cour concernant les garanties d’indépendance et d’impartialité ont été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá (précité, §§ 144-150) dans les termes suivants :

« 144.  Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Tsanova-Gecheva, précité, § 106). La Cour rappelle le rôle croissant de la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV). Cela étant, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 193, CEDH 2003-VI).

145.  La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

146.  Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective (Micallef, précité, § 95, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 75, 23 avril 2015). La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective), mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou, précité, § 119). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante supplémentaire (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).

147.  Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96, et Morice, précité, § 76).

148.  L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (Micallef, précité, § 97). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar, précité, § 38).

149.  En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 26, série A no 86). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit donc se déporter (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998‑VIII, et Micallef, précité, § 98).

150.  Les concepts d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII).

82.  Les principes généraux concernant l’étendue du contrôle juridictionnel ont également été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá (précité, §§ 176-184), auquel la Cour renvoie.

b)     Application en l’espèce

Sur le manque d’indépendance et d’équité allégué des procédures conduites devant le CSM

83.  La Cour relève que selon le droit interne, le CSM est un organe judiciaire sui generis qui n’est considéré ni comme une juridiction ni comme un organe administratif classique relevant du pouvoir exécutif (paragraphe 32 ci-dessus). Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, le terme « tribunal » ne désigne pas nécessairement une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays, et qu’une autorité peut être considérée comme un « tribunal », au sens matériel du terme, lorsqu’il lui appartient de trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (Argyrou et autres c. Grèce, no 10468/04, § 24, 15 janvier 2009 § 24, Di Giovanni, précité, § 52, et Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§  85-87, 31 octobre 2017).

84.  S’agissant de la présente espèce, elle observe que le CSM est un organe établi par la loi qui, lorsqu’il statue en matière disciplinaire, a pleine compétence pour apprécier les faits litigieux et déterminer la responsabilité du magistrat mis en cause, à l’issue d’une procédure réglementée par la loi. Il peut dès lors être considéré, au sens de la jurisprudence de la Cour, comme un organe juridictionnel auquel les garanties de l’article 6 trouvent à s’appliquer (voir, à titre de comparaison, Di Giovanni, précité, § 53, et Denisov, précité, § 67).

85.  La Cour relève que la procédure disciplinaire devant le CSM comporte un certain nombre de garanties procédurales. Ainsi, en l’espèce, le requérant a pu prendre connaissance des faits qui lui étaient reprochés, comparaître en personne devant le collège disciplinaire et présenter des éléments pour sa défense. Il a ensuite eu connaissance de la proposition du collège et a pu présenter des observations écrites devant la formation plénière du CSM. L’intéressé se plaint néanmoins d’un défaut d’impartialité des membres du CSM qui s’étaient déjà prononcé sur l’affaire en tant que membres du collège disciplinaire, ainsi que de l’absence d’audience publique, circonstances qui sont en principe susceptibles de mettre en cause la conformité de cette procédure à l’article 6.

86.  La Cour rappelle cependant que lorsqu’une autorité chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe peut faire l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article », c’est-à-dire si des défauts structurels ou de nature procédurale identifiés dans la procédure sont corrigés dans le cadre du contrôle ultérieur par un organe judiciaire doté de la pleine juridiction (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 132, et les affaires qui y sont citées). En l’espèce, elle n’estime pas nécessaire de déterminer si la procédure devant le CSM était conforme à l’article 6 de la Convention eu égard aux conclusions auxquelles elle parvient ci‑après concernant le respect par la Cour administrative suprême des exigences découlant de cette disposition et l’étendue du contrôle opéré par la haute juridiction.

  1. Sur l’étendue du contrôle juridictionnel opéré par la Cour administrative suprême sur les décisions du CSM

87.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante, la Cour doit prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet de la décision attaquée, plus particulièrement si celle-ci a trait à un domaine spécifique exigeant des connaissances spécialisées ou si, et dans quelle mesure, elle implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; b) la méthode suivie pour parvenir à cette décision et, en particulier, les garanties procédurales existantes dans le cadre de la procédure devant l’autorité administrative ; et c) la teneur du litige, y compris les moyens de recours, tant souhaités que réellement développés (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 179, Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, § 98, 15 septembre 2015, et Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, § 154, 21 juillet 2011).

88.  En l’espèce, la Cour observe que la Cour administrative suprême était compétente pour examiner les questions de fait qu’elle jugeait pertinentes ainsi que la qualification juridique de faute disciplinaire donnée aux actes ou omissions du requérant (paragraphes 16-17 et 26 ci-dessus). La haute juridiction n’était certes pas compétente pour déterminer la sanction appropriée, question qui, si elle ne peut être considérée comme exigeant des connaissances spécialisées, implique indéniablement l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé au CSM en matière disciplinaire. Aux yeux de la Cour, un tel pouvoir se justifie au regard du rôle spécifique et hautement important conféré à cette autorité par la Constitution d’assurer la gestion autonome de l’institution judiciaire, dans l’objectif de garantir l’indépendance de la justice (paragraphes 31-32 ci-dessus ; voir aussi mutatis mutandis, Tsanova-Gecheva, précité, § 100). La Cour administrative suprême pouvait néanmoins vérifier que les critères prévus par la loi concernant la proportionnalité de la sanction avaient bien été pris en compte par le CSM (paragraphes 20 et 27 ci-dessus ; voir aussi l’article 309 de la loi sur le pouvoir judiciaire, cité au paragraphe 38 ci‑dessus).

89.  La Cour constate ensuite que la décision litigieuse du CSM a été prise à l’issue d’une procédure qui présentait un certain nombre de garanties procédurales. Des règles concernant le déroulement de la procédure étaient prévues de manière détaillée dans la loi et leur respect était soumis au contrôle du juge (paragraphes 25, 38 et 42 ci-dessus). La haute juridiction a par ailleurs répondu aux principaux arguments du requérant sans décliner sa compétence. Si elle avait jugé fondés les moyens soulevés par l’intéressé, cette juridiction avait le pouvoir d’annuler la décision du CSM et de renvoyer l’affaire devant le même organe pour un nouvel examen, ce qu’elle a d’ailleurs fait à une occasion (paragraphes 19 et 42 ci-dessus).

90.  Il apparaît, dès lors, que la Cour administrative suprême jouissait, en l’espèce, d’une juridiction d’une étendue suffisante et que les défauts de la procédure devant le CSM allégués par le requérant étaient susceptibles d’être corrigés, le cas échéant, dans le cadre de la procédure judiciaire (voir, à titre de comparaison, Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 36, série A no 58, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 201 et 212‑214, Tsanova-Gecheva, précité, §§ 93-94 et 99-102, et Peleki c. Grèce, no 69291/12, § 59, 5 mars 2020).

  1. Sur le manque allégué d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême

91.  La Cour observe d’emblée que le requérant ne met pas en cause l’impartialité subjective des juges de la Cour administrative suprême. Elle considère, dès lors, qu’il convient d’examiner le grief sous l’angle des exigences d’indépendance et d’impartialité objectives et, plus particulièrement, de vérifier si les doutes du requérant à cet égard peuvent être considérés comme objectivement justifiés en l’espèce.

92.  À titre liminaire, la Cour observe que la Cour administrative suprême est la plus haute juridiction bulgare en matière administrative, qu’elle est composée exclusivement de juges professionnels et inamovibles qui bénéficient de garanties prévues par la Constitution et la loi et sont soumis à des exigences d’incompatibilité de nature à garantir leur indépendance et leur impartialité (paragraphe 30 ci-dessus). Elle note, ensuite, que le CSM a été créé et s’est vu attribuer des compétences en matière de gestion de l’institution judiciaire, de carrière et de discipline des magistrats, ce afin de garantir l’indépendance de la justice vis-à-vis des autres pouvoirs (paragraphe 32 ci-dessus). L’instauration d’un contrôle judiciaire par la Cour administrative suprême tend, par ailleurs, à garantir le respect des règles de procédure par le CSM et la légalité de ses décisions.

93.  En ce qui concerne les pouvoirs disciplinaires du CSM et l’éventualité que les juges de la Cour administrative suprême fassent eux‑mêmes l’objet de poursuites disciplinaires, la Cour rappelle avoir déjà considéré que le fait que les juges soient soumis à des règles de discipline et de déontologie professionnelle ne suffit pas, à lui seul, à jeter le doute sur leur indépendance et leur impartialité à l’égard de l’autorité chargée d’appliquer ce régime (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 163, et Denisov, précité, § 79).

94.  Elle rappelle avoir néanmoins jugé que la question du respect des garanties d’indépendance et d’impartialité d’une juridiction peut se poser lorsque l’organisation et le fonctionnement de l’organe disciplinaire dont la décision est soumise au contrôle judiciaire font apparaître des déficiences sérieuses de nature structurelle ou une apparence de parti pris (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 158-159, et Denisov, précité, § 79). Dans les affaires Oleksandr Volkov et Denisov (arrêts précités), le constat de telles déficiences sérieuses dans la composition et la procédure suivie par le Conseil supérieur de la magistrature ukrainien, qui n’avaient pas pu être remédiées dans la procédure de contrôle judiciaire, ainsi que les pouvoirs étendus dont disposait cet organe, l’ont menée à la conclusion que la Cour administrative supérieure ukrainienne ne jouissait pas de garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. Dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá (§ 158), la Cour a néanmoins souligné que de les considérations exposées dans l’arrêt Oleksandr Volkov devaient être regardées comme une critique basée sur les circonstances de l’affaire et applicables dans un système présentant des déficiences sérieuses de nature structurelle ou une apparence de parti pris au sein de l’organe disciplinaire de la magistrature, comme c’était le cas dans le contexte ukrainien à l’époque des faits, et non à une conclusion ayant une portée générale.

95.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant n’a pas invoqué dans sa requête initiale de telles déficiences structurelles dans la composition du CSM et que les griefs qu’il a soulevés ultérieurement à cet égard ont été rejetés pour tardiveté (paragraphe 53 ci-dessus). Par ailleurs, elle ne relève pas des apparences de parti pris personnels de certains membres du CSM susceptibles de mettre en cause l’indépendance et l’impartialité de la Cour administrative suprême, laquelle est chargée du contrôle des actes de cet organe, au sens de la jurisprudence précitée (voir, en particulier, Denisov, § 79, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, §§ 159-160, et Oleksandr Volkov, §§ 110-117 et 130, tous précités).

96.  La Cour constate par ailleurs l’absence d’éléments concrets faisant ressortir un manque d’impartialité des juges de la Cour administrative suprême, comme par exemple le fait qu’une procédure disciplinaire ou des poursuites pénales seraient pendantes contre l’un des membres des formations de jugement ayant examiné les recours du requérant. Plus généralement, elle ne dispose d’aucun élément montrant que le CSM aurait engagé des poursuites abusives contre des juges de la Cour administrative suprême dans des circonstances susceptibles de mettre en cause leur indépendance. Elle note, en particulier, que l’exemple donné par le requérant de poursuites qu’il juge abusives (voir le paragraphe 58 ci-dessus, point d)) concerne la réalisation d’un contrôle par l’Inspection du CSM à la suite d’un signalement et de publications dans la presse au sujet de l’existence d’un conflit d’intérêt, que les magistrats mis en cause n’étaient pas des juges de la Cour administrative suprême et que le contrôle effectué n’a pas abouti à des poursuites disciplinaires.

97.  Pour ce qui est des pouvoirs du CSM en matière de promotion et de carrière des juges, la Cour observe que les juges de la Cour administrative suprême ont atteint un niveau élevé dans leur carrière et ne sont, en principe, pas en quête de promotion ou de détachement dans une autre juridiction. S’agissant des prérogatives du CSM en matière budgétaire, elle relève que celles-ci consistent à élaborer un projet de budget pour la justice et à déterminer le niveau de rémunération des juges de manière générale et non de chaque juge individuellement (paragraphe 31 ci-dessus). Au vu de ces considérations, et en l’absence d’éléments suffisants indiquant que les prérogatives en cause auraient été utilisées pour influencer un juge en particulier, elle n’estime pas que les compétences susmentionnées du CSM soient en mesure de jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité des juges de la Cour administrative suprême en l’espèce.

98.  Il en va de même du fait que le président de la Cour administrative suprême soit membre du CSM. La Cour relève, à cet égard, que le président de la haute juridiction n’a pas pris part aux formations judiciaires ayant statué sur l’affaire du requérant. En ce qui concerne ses pouvoirs en matière disciplinaire, à savoir celui de proposer l’engagement de poursuites ou d’imposer un avertissement ou un blâme pour des fautes de moindre gravité (paragraphe 38 ci-dessus), ou en matière administrative – tels que la nomination des deux présidents de sections, la mise à disposition de juges des tribunaux administratifs à la Cour administrative suprême ou l’élaboration d’un projet de répartition des juges entre les sections – elle considère que ceux-ci ne sont pas de nature suffisante à justifier les craintes du requérant, en l’absence d’éléments indiquant que les juges ayant statué dans son cas auraient agi sur les instructions du président de la juridiction ou auraient autrement fait preuve de partialité.

99.  Au vu des éléments qui précèdent, la Cour considère que les appréhensions du requérant ne peuvent passer pour objectivement justifiées et elle ne constate aucun manque d’indépendance et d’impartialité au niveau de la Cour administrative suprême. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6 de la Convention à cet égard.

  1. Sur les autres volets de l’équité de la procédure

100. Le requérant conteste les conclusions auxquelles est parvenue la Cour administrative suprême dans son arrêt du 14 juillet 2011, qu’il juge sur certains points en contradiction flagrante avec l’arrêt rendu précédemment par une autre formation de cette même juridiction le 16 juillet 2010. En effet, le deuxième arrêt avait considéré que la dispense injustifiée du paiement de la taxe judiciaire pouvait constituer une faute disciplinaire. La Cour rappelle d’emblée qu’il ne lui revient pas, en principe, d’interpréter la législation interne, son rôle se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Dès lors, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation de la législation interne par ces juridictions (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-50, 20 octobre 2011). Or tel n’est pas le cas d’espèce après une lecture attentive de l’arrêt du 14 juillet 2011. En effet, la formation de cinq juges a expliqué son changement de critère sur ce point précis en précisant que, selon le droit interne, le CSM n’était pas tenu de se conformer aux motifs du premier arrêt et que ce dernier ne contenait aucune directive sur l’interprétation de la loi que le CSM était tenu de suivre en application de l’article 173 du code de procédure administrative (paragraphes 25 et 42 ci‑dessus).

101.  La Cour a aussi reconnu que l’éventualité de divergences de jurisprudence est inhérente à tout système judiciaire et que de telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela en soi ne saurait, non plus, être jugé contraire à la Convention (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 51, et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 116, 29 novembre 2016). Par contre, une atteinte à la sécurité juridique se produit en présence de « divergences profondes et persistantes » dans la jurisprudence nationale. Dans pareil cas, la Cour doit alors vérifier si la législation interne prévoit des mécanismes permettant de supprimer ces incohérences, si ces mécanismes ont été appliqués et quels ont été, le cas échéant, les effets de leur application (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, §§ 52-57, ainsi que les références de jurisprudence qui y sont citées, et Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres, précité, § 116).

102.  S’agissant de la présente espèce, il est vrai que l’arrêt du 16 juillet 2010, qui a annulé la première décision du CSM et renvoyé l’affaire devant ce même organe afin que celui-ci statue de nouveau, a considéré que la décision de dispenser un justiciable du paiement de la taxe judiciaire relevait de l’activité juridictionnelle du juge et ne pouvait, dès lors, être constitutive d’une faute disciplinaire. Par contre, l’arrêt du 14 juillet 2011, qui a statué définitivement sur la responsabilité disciplinaire du requérant, a jugé que cette même décision était de nature disciplinaire (paragraphes 16 et 26 ci-dessus). Même si la Cour est en mesure de constater une contradiction formelle sur ce point, les éléments produits par le requérant ne permettent toutefois pas de conclure à l’existence de « divergences profondes et persistantes » dans la jurisprudence de la Cour administrative suprême, au sens de la jurisprudence de la Cour. Bien au contraire, il ressort des documents soumis que la Cour administrative suprême avait précédemment qualifié de faute disciplinaire les même agissements, dans un arrêt du 8 avril 2010 concernant une procédure disciplinaire contre un autre juge (paragraphe 20 ci-dessus). De plus, cet arrêt avait été évoqué lors des débats dans la présente procédure (paragraphes 20 et 24 ci-dessus) et les parties ont eu la possibilité de présenter leurs arguments respectifs.

103.  La Cour observe, de surcroît, que l’arrêt du 16 juillet 2010 n’avait pas tranché le fond de l’affaire de manière définitive mais avait seulement annulé la décision du CSM et renvoyé devant celui-ci le dossier pour un nouvel examen, de sorte que la procédure concernant la responsabilité disciplinaire du requérant était demeurée pendante après l’arrêt du 16 juillet 2010. Partant, ce dernier arrêt ne revêtait pas l’autorité de la chose jugée, faute d’avoir mis fin à la contestation du requérant.

104.  Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, d’atteinte au principe de la sécurité juridique ni, par conséquent, au caractère équitable de la procédure judiciaire.

105.  Le requérant soutient, par ailleurs, que la Cour administrative suprême a tenu compte dans son arrêt du 14 juillet 2011 de faits nouveaux, à savoir ceux relatifs à la dispense de taxe judiciaire, qui n’étaient pas visés par la décision attaquée du CSM rendue le 16 septembre 2010. La Cour rappelle à cet égard que le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne se fondent pas dans leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Vegotex International S.A. c. Belgique, no 49812/09, § 88, 10 novembre 2020, et Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 48, 5 septembre 2013). En l’espèce, elle relève que si la teneur des délibérations du CSM en date du 16 septembre 2010 pouvait laisser subsister un doute sur la question de savoir si cet organe avait pris en compte les faits relatifs à la dispense de Y du paiement de la taxe judiciaire ordonnée par le requérant (paragraphe 20 ci-dessus), il ressort du recours formé par le requérant lui‑même que ce dernier estimait que ces faits avaient bien été pris en compte par le CSM (paragraphe 22 ci-dessus). Il apparaît, dès lors, que les faits en cause ont été versés aux débats et que le requérant a eu la possibilité de présenter ses arguments à ce sujet (voir, à titre de comparaison, Vegotex International S.A, précité, §§ 93-97 et Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, §§ 46-52, 16 février 2006). Il s’ensuit que l’article 6 n’a pas été méconnu sur ce point non plus.

c)  Conclusion

106.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y pas eu violation de l’article 6 en l’espèce.

Article 8

116.  À supposer l’article 8 de la Convention applicable en l’espèce (paragraphe 113 ci-dessus), la Cour considère que la révocation à titre disciplinaire du requérant serait constitutive d’une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée. Pareille ingérence ne peut se justifier au regard de l’article 8 § 2 que si elle est prévue par la loi, vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans ce paragraphe et est nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce ou ces buts.

117.  La Cour rappelle que les termes « prévue par la loi » figurant à l’article 8 § 2 veulent non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ont aussi trait à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui, de surcroît, doit pouvoir en prévoir les conséquences, et sa compatibilité avec la prééminence du droit (voir, parmi d’autres, Pişkin c. Turquie, no 33399/18, § 206, 15 décembre 2020). S’agissant de normes disciplinaires, elle a déjà admis qu’une formulation en termes généraux ne porte pas en soi atteinte au caractère prévisible de la loi, en particulier lorsque les mesures prises peuvent faire l’objet d’un contrôle par les juridictions internes, auxquelles il appartient d’appliquer la norme en question dans les affaires individuelles en assurant une interprétation cohérente et raisonnablement prévisible (Pişkin, précité, §§ 207-209, voir aussi, mutatis mutandis, Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, §§ 131-135, CEDH 2015 (extraits), et les références de jurisprudence y figurant, ainsi que, a contrario, Oleksandr Volkov, précité, § 184). S’agissant de la présente espèce, la Cour constate que les sanctions imposées au requérant avaient une base légale dans la loi sur le pouvoir judiciaire et elle considère, au vu de la formulation de l’article 307, alinéa 3 4) et 5), qui visait les actions « nuis[ant] au prestige de l’institution judiciaire » ainsi que les « manquements à d’autres obligations professionnelles », que le requérant pouvait raisonnablement prévoir que les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre des poursuites disciplinaires seraient considérés comme des fautes disciplinaires au sens de cette disposition.

118.  La Cour accepte, par ailleurs, que la révocation disciplinaire du requérant visait, comme le soutient le Gouvernement, à garantir l’intégrité de la justice et à préserver la confiance du public dans l’institution judiciaire et peut donc être considérée comme poursuivant l’objectif, visé à l’article 8 § 2, d’assurer la défense de l’ordre.

119.  Pour déterminer si la mesure litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique », il convient de considérer l’affaire dans son ensemble et d’examiner si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants et si ladite mesure était proportionnée aux buts légitimes visés. À cet égard, la Cour rappelle qu’il appartient aux autorités nationales de juger les premières de la nécessité de l’ingérence et que les États contractants gardent dans le cadre de cette évaluation une marge d’appréciation qui dépend de la nature des activités en jeu et du but poursuivi par les restrictions. Il incombe néanmoins à la Cour de vérifier si leurs décisions se concilient avec les dispositions de la Convention (Özpınar c. Turquie, no 20999/04, § 68, 19 octobre 2010, et Pişkin, précité, § 215). Les garanties procédurales dont dispose l’individu sont particulièrement importantes pour déterminer si l’État défendeur est resté dans les limites de sa marge d’appréciation. En particulier, la Cour doit examiner si le processus décisionnel ayant conduit à des mesures d’ingérence était équitable et de nature à respecter les intérêts garantis à l’individu par l’article 8 et si l’intéressé a bénéficié d’un contrôle juridictionnel adéquat (Pişkin, précité, § 216). Elle doit procéder à son évaluation sans perdre de vue les fonctions occupées par le requérant.

120.  La Cour observe, qu’en l’espèce, le requérant a été révoqué au motif qu’il avait enfreint plusieurs règles et obligations relatives à ses fonctions de juge et de président de juridiction. Elle relève que l’intéressé a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat et qu’il a eu l’occasion de présenter ses arguments en défense à la fois devant le CSM, au cours de la procédure disciplinaire, et devant la Cour administrative suprême, dans le cadre du contrôle juridictionnel des décisions du CSM. La Cour administrative suprême a examiné les moyens qu’il avait soulevés concernant le respect des normes procédurales et matérielles du droit interne relatives à la légalité de la décision du CSM et a rendus des décisions dûment motivées, dont les conclusions n’apparaissent pas entachées d’arbitraire (voir l’analyse de la Cour sous l’angle de l’article 6 de la Convention aux paragraphes 87-106 ci-dessus). En particulier, s’agissant de la proportionnalité de la sanction imposée, les autorités internes ont justifié leur décision par une appréciation de la gravité des fautes commises par le requérant, à savoir, d’une part, les conséquences dommageables sur le prestige de la justice compte tenu des suspicions de corruption suscitées par les révélations apparues dans la presse et, d’autre part, le non-respect prolongé par le requérant de ses obligations de président de juridiction en matière de répartition des affaires (paragraphes 9, 11, 20 et 26 ci-dessus).

121.  Au vu de ces observations, la Cour considère que le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates et que, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités internes en pareil domaine, la sanction disciplinaire qui lui a été imposée était justifiée par des motifs pertinents et suffisants et était proportionnée aux manquements professionnels constatés, de sorte qu’elle n’a pas constitué une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée.

122.  La Cour conclut de ce qui précède que le grief du requérant est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IANCU c. ROUMANIE du 23 février 2021 requête 62915/17

Art 6 § 1 (pénal) • Procès équitable • Signature du jugement par la présidente de la juridiction au nom de la présidente de la formation collégiale ayant rendu le délibéré, partie à la retraite • Respect du principe d’immédiateté dans toutes les étapes du processus décisionnel • Intervention de la présidente de la juridiction sans conséquence concrète sur l’issue de l’affaire • Absence de changement dans la formation de jugement

CEDH

a)  Principes généraux

42. La Cour rappelle que l’un des éléments importants d’un procès pénal équitable est la possibilité pour l’accusé d’être confronté aux témoins en la présence du juge qui, en dernier lieu, statue. Le principe d’immédiateté est une garantie importante du procès pénal en ce que les observations faites par le juge au sujet du comportement et de la crédibilité d’un témoin peuvent avoir de lourdes conséquences pour l’accusé. Dès lors, un changement dans la composition de la juridiction après l’audition d’un témoin important doit en principe entraîner une nouvelle audition de ce dernier (P.K. c. Finlande (déc.), no 37442/97, 9 juillet 2002, et Beraru c. Roumanie, no 40107/04, § 64, 18 mars 2014). Les mêmes considérations s’appliquent à l’audition directe de l’accusé par le juge qui statue (Cutean, précité, § 60).

43.  En vertu du principe d’immédiateté, en matière pénale la décision doit être adoptée par les juges qui ont été présents au cours de la procédure et ont assisté à la production des éléments de preuve (ibid., § 61). Toutefois, ce principe – dont le non-respect ne saurait à lui seul emporter violation du droit à un procès équitable – ne saurait être regardé comme faisant obstacle à tout changement dans la composition d’un tribunal pendant le déroulement d’un procès. Un juge peut se trouver empêché de continuer à participer au procès du fait de la survenue de circonstances administratives ou procédurales très claires. En pareil cas, il est possible de prendre des mesures destinées à faire en sorte que les juges qui reprennent l’affaire comprennent bien les éléments et les arguments qui ont été présentés précédemment, par exemple en leur communiquant les procès-verbaux des débats lorsque la crédibilité du témoin en question n’est pas contestée, ou en organisant une nouvelle audience afin que les thèses pertinentes soient à nouveau présentées ou que les témoins importants soient à nouveau entendus devant le tribunal recomposé (Škaro c. Croatie, no 6962/13, § 24, 6 décembre 2016).

44.  Faisant application de ces principes, dans une affaire où le président de la formation de jugement avait changé mais où trois juges assesseurs étaient restés les mêmes tout au long du procès, et où le nouveau président de la formation avait disposé du procès‑verbal de l’audition d’un témoin dont la crédibilité n’avait été contestée à aucun moment, la Cour a estimé que ces éléments compensaient dans une large mesure l’absence d’immédiateté du procès. Elle a constaté que le verdict de condamnation n’était pas seulement fondé sur la déposition du témoin en question et que rien n’indiquait que l’ancien président de formation eût été remplacé afin que l’issue du procès fût autre ni pour une autre raison abusive (P.K. c. Finlande, décision précitée). Des considérations similaires l’ont conduite à conclure à la non-violation de l’article 6 § 1 dans les arrêts Graviano c. Italie (no 10075/02, §§ 39‑40, 10 février 2005) et Škaro (précité, §§ 22‑31), et ce malgré la circonstance que dans cette dernière affaire la crédibilité du témoin dont l’audition n’avait pas été renouvelée était contestée par la défense et que ses déclarations étaient décisives pour la condamnation de l’accusé.

45.  Dans une autre affaire, où un juge unique avait été remplacé par un nouveau juge qui n’avait pas entendu les témoins, les coaccusés et les experts, et qui avait fondé son verdict de condamnation exclusivement sur les procès-verbaux d’audition, la Cour a conclu au non-respect du principe d’immédiateté et à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Svanidze c. Géorgie, no 37809/08, §§ 34‑38, 25 juillet 2019). Elle est parvenue à la même conclusion dans deux autres affaires : dans la première, aucun des juges de la formation initiale qui avaient entendu le requérant et les témoins en première instance n’était resté pour la suite des débats (Cutean, précité, §§ 60‑73) et, dans la seconde, le défaut d’immédiateté ne pouvait être compensé simplement par le fait que le juge avait disposé des procès‑verbaux d’audition du requérant et des témoins, qu’il n’avait pas entendus lui-même (Beraru, précité, §§ 65-66). Dans l’arrêt Cerovšek et Božičnik (précité, §§ 37-48), la Cour a conclu à la violation de l’article 6 au motif que la motivation des arrêts de condamnation des requérants avait été écrite non pas par la juge unique qui avait assisté aux débats, prononcé les verdicts et fixés les peines, mais par d’autres juges, et ce environ trois ans après le départ à la retraite de la juge unique.

b)  Application de ces principes en l’espèce

46.  En l’espèce, la Cour observe d’emblée qu’une formation de jugement de la Haute Cour a été saisie d’un appel que la requérante avait interjeté contre sa condamnation. Elle constate qu’après avoir analysé les preuves versées au dossier et entendu l’intéressée, cette formation de jugement a délibéré après le déroulement de l’audience puis, le même jour, prononcé un arrêt confirmant la décision rendue en première instance (paragraphes 9‑11 ci‑dessus). Elle note ensuite que la rédaction de l’arrêt de la Haute Cour et la signature de cet arrêt par les juges sont intervenues à une date ultérieure à celle du prononcé (paragraphe 13 ci-dessus). Elle distingue donc trois étapes dans le processus décisionnel qui a abouti à l’adoption de l’arrêt du 3 juin 2016 : la première est le prononcé de l’arrêt, la deuxième, sa rédaction, et la troisième, sa signature. Afin de déterminer si l’arrêt en question a été adopté par les juges qui ont participé à la procédure, dans le respect du principe d’immédiateté, elle estime nécessaire d’analyser chacune de ces étapes à la lumière des principes résumés aux paragraphes 42 et 43 ci-dessus.

47. La Cour constate que, pour ce qui est de la première étape, l’arrêt du 3 juin 2016 a été prononcé par la même formation de jugement que celle qui avait examiné les déclarations de la requérante et participé à l’analyse directe des preuves. Aucun des cinq juges de cette formation n’a été remplacé avant les délibérations et le prononcé de l’arrêt (paragraphes 9‑11 ci-dessus). La copie de la minute rédigée le jour du prononcé (paragraphe 11 in fine ci-dessus) atteste qu’aucun changement dans la formation de jugement n’est intervenu à cette étape et que les juges qui avaient été désignés pour statuer sur l’appel de la requérante ont été ceux qui ont prononcé le verdict de condamnation (voir, a contrario, Svanidze, précité, §§ 34-38, Cutean précité, §§ 60-73, et Beraru, précité, §§ 65-66). La Cour ne décèle aucune atteinte au principe d’immédiateté à cette étape.

48.  En ce qui concerne la deuxième étape, à savoir la rédaction de l’arrêt, la Cour estime important de préciser qu’en l’espèce, la formation de jugement était une formation collégiale (paragraphe 9 ci-dessus), et qu’en vertu du droit national la rédaction des décisions adoptées par ce type de formation était déléguée par le président de la formation soit à l’un des juges de la formation soit à un magistrat assistant ayant participé à la procédure (paragraphes 16-17 et 21 ci-dessus). En l’espèce, il ressort des informations contenues dans le dossier que la rédaction de la motivation de l’arrêt a été confiée au magistrat assistant, A.A.C.T., qui avait participé aux audiences et aux délibérations et qui a exposé, au nom de la formation de jugement, les motifs sur lesquels reposait le verdict de condamnation adopté le 3 juin 2016 (paragraphes 9-11 et 13 ci‑dessus). Ceci permet de distinguer la présente affaire de l’arrêt Cerovšek et Božičnik (précité, §§ 37-48), où la motivation des jugements de condamnation avait été rédigée, environ trois ans après le prononcé des verdicts, par des juges n’ayant aucunement assisté à l’audience, aux débats et à la production des preuves, comme prévu dans le Code de procédure pénale (paragraphe 45 in fine ci-dessus).

49.  Il est vrai que la juge L.D.S. n’était plus en fonctions au moment de la rédaction de l’arrêt, car son départ à la retraite était intervenu quarante jours après la signature de la minute par tous les juges ayant participé aux délibérations dont était issu l’arrêt du 3 juin 2016 (paragraphe 12 ci‑dessus). Cette situation pourrait être qualifiée de circonstance administrative très claire empêchant la juge de continuer à participer au procès (paragraphe 42 in fine ci-dessus). Toutefois, compte tenu de l’attribution au magistrat assistant, conformément à la loi nationale, de la rédaction de l’arrêt, ni l’intervention de la juge L.D.S. ni, en conséquence, son éventuel remplacement par un autre juge ne s’avéraient nécessaires au cours de cette étape. En tout état de cause, aucun élément versé au dossier n’est susceptible de corroborer une éventuelle intervention de la juge C.T. au stade de la rédaction de la motivation de l’arrêt définitif de la Haute Cour. Ainsi, la Cour ne décèle aucune atteinte au principe d’immédiateté à cette étape non plus. Elle doit rechercher ensuite si la motivation de la décision de justice rendue par la Haute Cour est conforme aux standards de la Convention.

50.  Pour ce qui est des garanties applicables en matière de motivation des décisions de justice (paragraphe 61 ci-dessous), la Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention implique notamment, à la charge du tribunal, l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence, et de motiver les décisions de justice. Cependant, si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument des parties. L’étendue de ce devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, §§ 89-90, 28 juin 2007, et Magnin c. France (déc.), no 26219/08, § 27, 10 mai 2012). La Cour rappelle également que selon sa jurisprudence constante, l’appréciation des faits et des preuves relève au premier chef des juridictions internes (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015), et une décision de justice interne ne peut être qualifiée d’« arbitraire » au point de nuire à l’équité du procès que si elle est dépourvue de motivation ou si cette motivation est fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste commise par le juge national, qui aboutit à un « déni de justice » (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 85, 11 juillet 2017).

51.  En l’espèce, la requérante plaidait qu’elle devait être acquittée car il n’y avait pas de preuves suffisantes pour confirmer qu’elle fût coupable du chef de complicité d’escroquerie (paragraphe 9 ci-dessus). La Cour constate que la Haute Cour a jugé que cette thèse n’était pas fondée et que les preuves versées au dossier justifiaient la condamnation de l’intéressée. Pour parvenir à cette conclusion, la Haute Cour a analysé le contenu de l’arrêt rendu le 7 mai 2015 et procédé à sa propre appréciation des faits et des éléments de preuve avant de confirmer le verdict de culpabilité prononcé par les juges du premier degré. À l’issue de cet examen, elle a estimé que les preuves versées au dossier confirmaient la complicité d’escroquerie et justifiaient la condamnation de la requérante de ce chef (paragraphe 11 ci‑dessus). La Cour observe que la motivation de l’arrêt du 3 juin 2016 répondait aux principaux arguments soulevés par la requérante et indiquait de manière suffisante les motifs sur lesquels l’arrêt lui-même reposait, de sorte que les principes résumés au paragraphe 50 ci-dessus ont été respectés à ce stade.

52.  En ce qui concerne la dernière étape, à savoir la signature de l’arrêt du 3 juin 2016 par la juge C.T. en lieu et place de la juge L.D.S. (paragraphe 13 ci-dessus), même à supposer que le principe d’immédiateté y trouve application, il incombe à la Cour de déterminer, à la lumière des principes énoncés aux paragraphes 42 et 43 ci‑dessus, si cette circonstance peut en elle-même s’analyser en une atteinte à ce principe.

53. Tout d’abord, la Cour note que la législation nationale prévoyait que, lorsque le président d’une formation de jugement se trouvait dans l’impossibilité objective de signer, le président de la Haute Cour signait à sa place l’arrêt concerné (paragraphe 15 ci-dessus). En l’espèce, il n’est pas contesté entre les parties que l’article 406 § 4 du CPP était applicable, eu égard au fait que la juge L.D.S., qui était présidente de la formation de jugement au moment de l’examen de l’affaire, n’était plus en fonctions au moment du dépôt de la motivation l’arrêt et se trouvait donc dans l’impossibilité objective de signer cet arrêt (paragraphes 9, 12 et 37‑38 ci‑dessus).

54.  La Cour observe d’ailleurs que, dans sa jurisprudence, la Haute Cour – qui accorde une très grande importance au fait que chaque décision de justice soit signée par tous les membres de la formation de jugement qui l’a adoptée – reconnaît également une exception à cette règle, dans les cas d’impossibilité objective de signer (paragraphes 18‑20 ci-dessus). Les justiciables disposent donc d’une voie de recours (la révision) pour faire contrôler s’il y avait ou non impossibilité objective de signer (paragraphe 23 ci‑dessus).

55.  La Cour constate par ailleurs que la règle de la signature des décisions de justice par tous les membres des formations collégiales n’est pas un standard commun à tous les États membres du Conseil de l’Europe. Si dans certains États les décisions de justice sont signées par le président de la formation de jugement, seul ou avec le greffier (paragraphes 26‑27 ci‑dessus), dans d’autres États le juge qui signe la décision de justice à la place du juge absent ne doit pas nécessairement être l’un des juges ayant pris part à la procédure (paragraphes 25-27 in fine ci‑dessus). Sur les trente‑cinq États qui ont participé à l’étude de droit comparé, seuls neuf exigent sans exception possible que les décisions de justice rendues par une formation collégiale soient signées par tous les membres de la formation (paragraphe 25 ci-dessus).

56.  En ce qui concerne la question de savoir si la juge C.T. a repris l’affaire et donc s’il y a eu un changement dans la composition de la formation de jugement, la Cour rappelle que cette juge n’a participé ni aux audiences, ni aux délibérations (paragraphe 47 ci-dessus) et ni à la rédaction de l’arrêt du 3 juin 2016 (paragraphe 48 ci-dessus), mais a seulement signé l’arrêt en lieu et place de la juge L.D.S., retirée (paragraphe 13 ci-dessus).

57.  Il ressort d’ailleurs de l’article 406 § 4 du CPP (paragraphe 15 ci‑dessus) que le législateur a limité l’admissibilité de cette solution aux seuls cas où le juge titulaire se trouve dans l’impossibilité de signer la décision, c’est-à-dire à un stade ultérieur aux délibérations et à la rédaction de l’arrêt. La Cour attache également une importance particulière au fait que la mention manuscrite que la juge C.T. a apposée en regard de sa signature précisait qu’elle signait pour la juge L.D.S. et non en son nom propre (paragraphe 13 in fine ci‑dessus), ce qui confirme qu’elle n’avait pas participé à l’adoption de l’arrêt.

58.  Compte tenu de ces constats et des conclusions auxquelles elle est parvenue précédemment, la Cour considère que l’intervention de la juge C.T. n’a eu aucune conséquence concrète sur l’issue de l’affaire (voir, a contrario, la jurisprudence citée au paragraphe 45 ci‑dessus, où le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention se justifiait pas le rôle actif des juges remplaçants, qui, sans avoir participé aux débats et à la production de preuves, avaient prononcé le verdict et/ou rédigé la motivation du jugement de condamnation). La requérante n’a d’ailleurs avancé aucun argument susceptible de mettre en doute cette conclusion (paragraphe 37 ci‑dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime que, comme le Gouvernement l’a indiqué dans ses observations (paragraphes 38-39 ci‑dessus), il n’y a pas eu en l’espèce de changement dans la composition de la formation d’appel de la Haute Cour, de sorte qu’aucun problème ne se pose quant au respect du principe d’immédiateté (voir la jurisprudence citée aux paragraphes 42 et 43 ci-dessus).

59.  En ce qui concerne, enfin, le rejet de la demande de la requérante tendant à une nouvelle audition des témoins (paragraphes 9, 10 ci‑dessus et 61 ci-dessous), la Cour rappelle que l’admissibilité des preuves relève au premier chef du droit interne et de l’appréciation des juridictions nationales (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑1). Elle note qu’en l’espèce les juges du premier degré avaient déjà analysé la preuve en question et que la requérante, assistée de l’avocat de son choix, avait déjà eu la possibilité de faire interroger les témoins dont elle souhaitait une nouvelle audition (paragraphe 10 ci-dessus ; voir également, mutatis mutandis, Palchik c. Ukraine, no 16980/06, § 50, 2 mars 2017, et Previti c. Italie (déc.), no 45291/06, § 222, 8 décembre 2009). Dans ces circonstances, et compte tenu du fait qu’en l’espèce il n’y a pas eu renversement d’un verdict d’acquittement sur la base d’une réévaluation de la crédibilité des témoins (voir, parmi beaucoup d’autres et a contrario, Dan c. République de Moldova, no 8999/07, 5 juillet 2011) les principes du procès équitable ne sauraient exiger une deuxième audition, en appel, de ces mêmes témoins.

60.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

MA c. TURQUIE du 17 novembre 2015 requête 32219/05

Violation de l'article 6-1 : Les juges sont soumis à un pouvoir hiérarchique.

74. La Cour rappelle que, pour déterminer si un tribunal peut passer pour « indépendant » – notamment vis-à-vis de l’exécutif et des parties –, elle a égard au mode de désignation et à la durée du mandat des membres, ainsi qu’à l’existence de garanties contre des pressions extérieures (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 55, série A no 43, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 78, série A no 80, Yavuz et autres, décision précitée, et Bucur et Toma c. Roumanie, no 40238/02, § 135, 8 janvier 2013).

75. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 48, série A no 154, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, §§ 38 et 51, série A no 239). Pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de redouter dans le chef d’une juridiction un défaut d’indépendance ou d’impartialité, le point de vue de l’accusé entre en ligne de compte mais sans pour autant jouer un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (voir, mutatis mutandis, Hauschildt, précité, § 48, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil 1998‑III, et Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 71, Recueil 1998‑IV).

76. En outre, la Cour rappelle qu’elle a examiné un grief similaire à celui de la présente espèce dans l’affaire Yavuz et autres (décision précitée) et qu’elle a rejeté la requête pour défaut manifeste de fondement, après avoir conclu que la composition de la Haute Cour était conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Dans cette dernière affaire, les requérants alléguaient que la Haute Cour n’était pas indépendante de l’exécutif et des autorités militaires et que, par conséquent, elle n’était pas un « tribunal indépendant » au sens de l’article 6 § 1. Ils n’avaient pas spécifié davantage leurs objections. Comparant la situation avec celle de l’affaire Incal, précitée, la Cour a souligné que le grief du requérant dans cette affaire avait été formulé d’une façon entièrement différente. La partie pertinente en l’espèce de la décision Yavuz et autres, précitée, se lit comme suit :

« Dans l’arrêt Incal, précité, la question dont la Cour était saisie était celle de savoir si le requérant, un civil accusé d’avoir commis une infraction contre l’État, pouvait nourrir des doutes légitimes quant à l’indépendance et l’impartialité d’un tribunal dans lequel siégeait notamment un militaire (Incal, précité, p. 1573, § 72). Les circonstances de l’espèce sont très différentes puisque ce qui est mis en cause est un système judiciaire mis en place pour statuer sur, entre autres, des demandes civiles formées par des personnels militaires ou par leurs représentants concernant des actes et omissions qui sont imputés au ministère de la Défense. Les considérations qui ont conduit la Cour à conclure à la violation de l’article 6 de la Convention dans son arrêt Incal, précité, font défaut en l’espèce. »

77. Elle rappelle également que, par la suite, dans son arrêt Gürkan c. Turquie (no 10987/10, 3 juillet 2012), elle a modifié sa jurisprudence concernant l’indépendance et l’impartialité du tribunal pénal militaire.

Dans cette nouvelle affaire, elle a fondé son raisonnement sur la décision que la Cour constitutionnelle avait rendue le 7 mai 2009 et dans laquelle elle avait jugé que les tribunaux pénaux militaires ne pouvaient pas être considérés comme indépendants et impartiaux en raison de la présence, en leur sein, d’officiers militaires nommés au cas par cas par leurs supérieurs hiérarchiques.

À la lumière de cette nouvelle jurisprudence de la Cour constitutionnelle, la Cour a estimé, dans son arrêt Gürkan (précité), que la composition des juridictions pénales militaires ne pouvait pas être considérée comme répondant aux normes de la Convention en raison de la présence des officiers militaires. Par conséquent, elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

78. La Cour constate par ailleurs que la question de l’indépendance et de l’impartialité de la Haute Cour a été examinée par la Cour constitutionnelle à l’occasion de deux recours individuels (paragraphe 32 ci-dessus). La Cour constitutionnelle n’a décelé aucun problème lié à l’indépendance et l’impartialité de la Haute Cour en raison de la présence en son sein de juges militaires et de celle d’officiers de carrière. En ce qui concerne la question du statut des officiers de carrière, la Cour constitutionnelle a fondé son raisonnement sur les mêmes arguments que ceux de la Cour dans sa décision Yavuz et autres (précitée).

79. En l’espèce, la Cour note tout d’abord que les circonstances ne sont pas exactement les mêmes que celles des trois affaires susmentionnées Incal, Yavuz et autres et Gürkan. Bien que toutes les affaires aient pour objet la présence de juges militaires et/ou d’officiers de carrière dans la composition des tribunaux, elles se distinguent par des aspects particuliers.

80. Avant de se prononcer sur la question de savoir si la Haute Cour était indépendante de l’exécutif et des autorités militaires dans les circonstances de l’espèce, la Cour tient à préciser qu’elle ne saurait suivre le Gouvernement lorsqu’il soutient que la décision Yavuz et autres (précitée) est pertinente pour l’examen de la présente affaire. Outre que, dans l’affaire Yavuz et autres, la Cour ne disposait pas de tous les éléments de fait et de droit quant aux statuts des membres de la Haute Cour, les requérants alléguaient que la Haute Cour n’était pas indépendante de l’exécutif et des autorités militaires et que, par conséquent, elle n’était pas un « tribunal indépendant » au sens de l’article 6 § 1, sans spécifier davantage leurs objections, à la différence de la présente affaire, où les requérants spécifient leurs griefs et exposent en détail les liens des officiers de carrière avec l’administration militaire et les raisons pour lesquelles cela pourrait affecter l’indépendance de la Haute Cour. Par ailleurs, la jurisprudence nationale a, tout comme celle de la Cour, connu une évolution durant les dernières années, notamment quant à la question de la présence des officiers de carrière au sein des tribunaux militaires.

81. Dans la présente affaire, les requérants, proches parents de Tuncay Tanışma qui s’est suicidé alors qu’il effectuait son service militaire, se plaignent d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la Haute Cour en raison du statut de ses membres en général, mais plus particulièrement en raison du fait que des officiers de carrière y siègent. Ils dénoncent notamment l’existence de liens organiques des officiers de carrière avec les autorités militaires et expriment leurs doutes quant aux conséquences de ces liens sur l’indépendance et l’impartialité de la Haute Cour.

La Cour relève que, même si l’objet du litige était une action en dommages et intérêts des requérants, la Haute Cour s’est également acquittée de son obligation d’examiner la question de savoir si les autorités militaires avaient une part de responsabilité dans le décès de l’appelé. Les voix de deux officiers de carrière, lesquels étaient soumis au même régime en matière de salaire, d’échelon supplémentaire, d’avantages sociaux, d’allocation liée à la fonction, de promotion et de limite d’âge, de retraite et d’autres droits personnels que leurs collègues militaires, ont eu un poids déterminant dans le rejet de la demande des requérants. La Haute Cour a en effet rejeté, par trois voix contre deux, l’action en dommages et intérêts en se fondant principalement sur l’ordonnance de non-lieu du procureur militaire, sachant que les deux officiers de carrière ont voté en faveur du rejet. La majorité a considéré qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre le suicide de l’appelé et le comportement du supérieur hiérarchique qui l’avait frappé deux jours plus tôt, et que le suicide ne découlait pas d’un acte ou d’une décision administrative de nature à engager la responsabilité pour faute de service ou la responsabilité sans cause de l’administration militaire (paragraphes 20 à 25 ci-dessus).

82. S’agissant du grief des requérants concernant le manque de formation juridique des membres de la Haute Cour qui étaient des officiers de carrière, la Cour rappelle que la participation de juges non professionnels dans les tribunaux n’est pas, en tant que telle, contraire à l’article 6 de la Convention : les principes établis par sa jurisprudence relative à l’indépendance et à l’impartialité valent pour les magistrats professionnels comme pour les magistrats non professionnels (Langborger c. Suède, 22 juin 1989, § 32, série A no 155, Fey c. Autriche, 24 février 1993, § 27, série A no 255‑A, Holm c. Suède, 25 novembre 1993, § 30, série A no 279‑A, et Gürkan, précité, § 19).

83. La Cour considère dès lors que l’absence de formation juridique des officiers de carrière siégeant au sein de la Haute Cour n’entrave pas en soi l’indépendance ou l’impartialité de cette juridiction. Néanmoins, elle note que, bien qu’ils soient soumis aux mêmes règles que les membres de la Haute Cour qui sont des juges militaires, ils restent au service de l’armée, qui régit toutes les questions liées à leur rémunération, leurs droits sociaux et leur promotion. Leur nomination est proposée par leurs supérieurs hiérarchiques et ils ne bénéficient pas exactement des mêmes garanties constitutionnelles prévues pour les trois autres membres qui sont des juges militaires. La Cour conclut donc que la Haute Cour qui a jugé la demande des requérants ne peut pas être considérée comme ayant été indépendante et impartiale, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Gürkan, précité, § 19).

84. Il s’ensuit qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PRÉSENCE DE JUGES MILITAIRES

DANS UNE JURIDICTION QUI JUGE UN CIVIL

MUSTAFA c. BULGARIE requête n° 1230/17 du 29 novembre 2019

Violation article 6-1 : Les tribunaux militaires qui ont jugé des civils n'étaient pas impartiaux.

Par une décision rendue le 1er novembre 2011 par un enquêteur militaire, il fut inculpé pour organisation et direction d’un groupe criminel ayant pour but de se procurer des avantages financiers, ainsi que pour trafic transfrontalier illicite de marchandises et d’objets de grande valeur à des fins commerciales. En raison de la connexité des infractions qui étaient reprochées aux membres supposés de ce groupe et comme l’un d’eux, un certain V.C., avait appartenu aux forces armées à l’époque des faits reprochés, tous les accusés furent traduits devant le tribunal militaire de Sliven (« le tribunal militaire »).

Le requérant se plaint que son procès devant le tribunal militaire et la cour militaire d’appel n’ait pas répondu aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, il indique que le tribunal militaire se composait d’un juge militaire et de deux officiers et la cour militaire d’appel de trois juges militaires. Il considère, dès lors, que ces deux juridictions ne sauraient passer pour des tribunaux indépendants et impartiaux. À cet égard, il soutient que la comparution, en tant que civil, devant des juridictions composées exclusivement de militaires constitue en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. La CEDH dit que non mais que dans l'espèce particulière, les juges n'étaient pas impartiaux. De plus le lien entre les civils poursuivis et les tribunaux militaire était trop faible.

Principes généraux

28.  La Cour réaffirme d’emblée que, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (voir, parmi beaucoup d’autres, Maktouf et Damjanović c. Bosnie‑Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 49, CEDH 2013 (extraits)). Par ailleurs, elle estime que, dans le contexte spécifique de la présente affaire, la question de l’impartialité d’un tribunal doit s’apprécier selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, parmi beaucoup d’autres, Bulut c. Autriche, 22 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, et Thomann c. Suisse, 10 juin 1996, § 30, Recueil 1996‑III).

29.  La Cour observe qu’il convient de faire une distinction entre, d’une part, les procédures civiles et administratives et, d’autre part, les procédures pénales. Les circonstances de la présente espèce concernant une procédure pénale, elle limitera son examen à ce domaine précis.

30.  Elle rappelle que la Convention n’interdit pas que les tribunaux militaires statuent sur des accusations en matière pénale contre des membres du personnel relevant de l’armée, à condition que soient respectées les garanties d’indépendance et d’impartialité prévues à l’article 6 § 1 de la Convention (Morris c. Royaume-Uni, no 38784/97, § 59, CEDH 2002‑I, Cooper c. Royaume-Uni [GC], no 48843/99, § 106, CEDH 2003-XII, et Önen c. Turquie, (déc.), no 32860/96, 10 février 2004).

31.  Toutefois, il en va différemment lorsque la législation nationale habilite ce type de juridiction à juger des civils en matière pénale (Ergin c. Turquie (no 6), no 47533/99, § 41, CEDH 2006‑VI (extraits), et Maszni c. Roumanie, no 59892/00, § 43, 21 septembre 2006 ; paragraphes 17-20 ci‑dessus). Les situations dans lesquelles un tribunal militaire exerce sa juridiction relativement à un civil pour des actes dirigés contre les forces armées peuvent susciter des doutes raisonnables quant à l’impartialité objective d’un tel tribunal (Ergin, précité, § 49). La Cour estime qu’il en va d’autant plus ainsi lorsqu’il s’agit d’infractions de droit commun, compte tenu, notamment, de l’évolution de la conception du rôle des tribunaux militaires au niveau international (paragraphe 19 ci-dessus). Un système judiciaire dans le cadre duquel une juridiction militaire est amenée à juger une personne ne relevant pas de l’armée peut facilement être perçu comme annihilant la distance nécessaire entre la juridiction et les parties à une procédure pénale, même s’il existe des mesures de protection suffisantes pour garantir l’indépendance de cette juridiction (Ergin, précité, § 49).

32.  La Cour observe que l’on ne saurait soutenir que la Convention exclut absolument toute compétence des tribunaux militaires pour connaître d’affaires impliquant des civils. Cependant, elle estime que l’existence d’une telle compétence devrait faire l’objet d’un examen particulièrement rigoureux (ibidem, § 42, et Maszni, précité, § 44 ; paragraphes 17-20 ci‑dessus).

33.  Elle a d’ailleurs attaché de l’importance dans nombre de précédents à la circonstance qu’un civil doive comparaître devant une juridiction composée, même en partie seulement, de militaires (voir, parmi beaucoup d’autres, Şahiner c. Turquie, no 29279/95, § 45, CEDH 2001‑IX, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 116, CEDH 2005‑IV, Ergin, précité, § 43, Maszni, précité, § 45, Ahmet Doğan c. Turquie, no 37033/03, § 23, 10 mars 2009, et Pop et autres c. Roumanie, no 31269/06, §§ 53-55, 24 mars 2015). Elle a considéré que pareille situation mettait gravement en cause la confiance que les juridictions se doivent d’inspirer dans une société démocratique (voir, mutatis mutandis, Canevi et autres c. Turquie, no 40395/98, § 33, 10 novembre 2004).

34.  Cette préoccupation a déjà amené la Cour à affirmer que le fait que pareils tribunaux décident d’accusations en matière pénale dirigées contre des civils ne peut être jugé comme étant conforme à l’article 6 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles. La Cour est confortée dans son approche par la tendance qui existe au niveau international à exclure de la juridiction des tribunaux militaires le domaine pénal lorsqu’il s’agit de juger des civils (Ergin, précité, §§ 44 et 45, et Maszni, précité, §§ 46 et 47 ; paragraphes 17‑20 ci-dessus).

35.  Elle rappelle que la place particulière qu’occupe l’armée dans l’organisation constitutionnelle des États démocratiques doit être limitée au domaine de la sécurité nationale, le pouvoir judiciaire relevant pour sa part, en principe, du domaine de la société civile. Elle tient également compte de l’existence de règles spéciales régissant l’organisation interne et la structure hiérarchique des forces armées (Ergin, précité, § 46, et Maszni, précité, § 50).

36.  Le pouvoir de la justice pénale militaire ne devrait s’étendre aux civils que s’il existe des raisons impérieuses justifiant une telle situation, et ce, en s’appuyant sur une base légale claire et prévisible. L’existence de telles raisons doit être démontrée pour chaque cas, in concreto. L’attribution in abstracto par la législation nationale de certaines catégories de délits aux juridictions militaires ne saurait suffire (Ergin, précité, § 47, et Maszni, précité, § 51).

37.  En effet, une telle attribution in abstracto pourrait placer les civils concernés dans une position sensiblement différente de celle des citoyens jugés par des juridictions ordinaires. Bien que les tribunaux militaires puissent respecter les normes de la Convention dans la même mesure que les juridictions ordinaires, des différences de traitement liées à la nature et la raison d’être de ces tribunaux peuvent donner lieu à un problème d’inégalité devant la justice, qui devrait être évité autant que faire se peut, notamment en matière pénale (Ergin, précité, § 48, et Maszni, précité, § 52).

  1. Application de ces principes en l’espèce

38.  Dans la présente affaire, la Cour note que, par le jeu des dispositions légales concernant la compétence des juridictions militaires, le requérant, qui n’avait aucun lien de loyauté ni de subordination avec l’armée, a toutefois été traduit devant des tribunaux militaires pour des infractions de droit commun (paragraphe 6 ci-dessus).

39.  En l’occurrence, étant donné que les arguments avancés par l’intéressé pour contester à la fois l’indépendance et l’impartialité des tribunaux militaires se fondent sur les mêmes éléments de fait et les mêmes arguments, la Cour examinera les deux questions conjointement (voir, mutatis mutandis, Maszni, précité, § 54, Ergin, précité, § 50, Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 65, Recueil 1998‑IV, et Çiraklar c. Turquie, 28 octobre 1998, § 38, Recueil 1998‑VII).

40.  Elle observe que le tribunal militaire ayant statué sur l’affaire du requérant était composé d’un juge et de deux jurés, alors que la cour militaire d’appel s’est prononcée en formation de trois juges militaires (paragraphes 8 et 10 ci-dessus).

41.  À cet égard, elle note que le statut des juges militaires fournit certains gages d’indépendance et d’impartialité. Ainsi, les juges militaires suivent la même formation professionnelle que leurs homologues civils et jouissent de garanties constitutionnelles identiques à celles dont bénéficient les juges civils, dans la mesure où ils sont nommés par le Conseil supérieur de la magistrature, sont inamovibles et jouissent de la stabilité de l’emploi (paragraphe 13 ci-dessus).

42.  En revanche, la loi sur le pouvoir judiciaire dispose que les juges militaires sont soumis à la discipline militaire (paragraphe 16 ci-dessus). Une fois nommés juges militaires, ces derniers entrent dans le corps militaire et se voient attribuer un grade. Quant aux jurés du tribunal militaire, ce sont toujours des officiers de l’armée, nommés par l’assemblée des juges de la cour militaire d’appel sur proposition des commandants des unités militaires. Dès lors, un accusé peut être reconnu coupable et condamné par un tribunal militaire sur la base du vote concordant des deux jurés (paragraphe 15 ci-dessus).

43.  Il est vrai que, en ce qui concerne le statut des juges militaires, le droit bulgare prévoyait un régime très proche de celui du statut des juges civils (paragraphes 13 et 16 ci-dessus). En outre, les mêmes règles procédurales s’appliquent dans les affaires examinées par les tribunaux militaires et dans celles traitées par les tribunaux pénaux ordinaires. Toutefois, des éléments tels que la soumission des juges militaires à la discipline militaire, leur appartenance formelle au corps militaire, ainsi que le statut des jurés du tribunal militaire, qui sont par définition des officiers de l’armée, font supposer que les juridictions militaires en droit bulgare ne peuvent pas être considérées comme équivalentes aux juridictions ordinaires. La Cour considère que ces caractéristiques des tribunaux militaires sont de nature à soulever certains doutes quant à leur indépendance et à leur impartialité (voir, mutatis mutandis, Tanışma c. Turquie, no 32219/05, § 83, 17 novembre 2015 ; Maszni, précité, § 56, et Miroshnik c. Ukraine, no 75804/01, § 64, 27 novembre 2008).

44.  À cet égard, il convient de remarquer que, pour justifier la compétence des tribunaux militaires envers le requérant, le Gouvernement argue que celle-ci était nécessaire afin que ces juridictions procédassent à une analyse de l’ensemble des faits. La Cour observe que le Gouvernement s’appuie surtout sur la connexité des infractions qui étaient reprochées au requérant et aux autres accusés, infractions qui concernaient des actes commis dans le cadre d’un groupe criminel ainsi que l’organisation et la direction d’un tel groupe, et sur la complicité des personnes impliquées. Elle note, néanmoins, qu’en droit bulgare les affaires concernant les groupes criminels relèvent, en principe, de la compétence du Tribunal pénal spécialisé. En fait, l’unique raison en l’espèce pour laquelle l’affaire a été examinée par les tribunaux militaires était que l’un des accusés avait appartenu aux forces armées, l’article 411a, alinéa 2 du CPP disposant que la compétence des tribunaux militaires l’emporte sur la compétence du Tribunal pénal spécialisé (paragraphes 6 et 14 ci-dessus).

45.  Cela dit, la Cour rappelle le principe établi dans sa jurisprudence selon lequel le pouvoir de la justice pénale militaire ne devrait s’étendre aux civils que s’il existe des raisons impérieuses justifiant une telle situation (Ergin, précité, § 47, et Maszni, précité, § 51). Ce principe s’accorde aussi avec la tendance internationale à exclure de la juridiction des tribunaux militaires le domaine pénal lorsqu’il s’agit de juger des civils (paragraphes 17-20 ci-dessus). L’existence de telles « raisons impérieuses » devant être démontrée pour chaque cas, l’attribution par la législation nationale de manière abstraite de certaines catégories d’infractions aux juridictions militaires ne saurait suffire. Or, en l’occurrence, les dispositions du CPP bulgare prévoient une compétence de facto exclusive des tribunaux militaires pour connaître des infractions commises conjointement par des militaires et des personnes civiles, même en dehors des activités militaires.

46.  La Cour souligne l’importance particulière que revêt la manière de laquelle l’infraction dont le requérant était inculpé a été déférée aux tribunaux militaires. Elle note a cet égard que l’affaire a été renvoyée devant les tribunaux militaires et a été examinée par ceux-ci sur la base des dispositions légales concernant la compétence des juridictions militaires, en l’absence d’une évaluation des circonstances individuelles hormis le fait qu’un des accusés était militaire à l’époque des faits, et donc sans examen in concreto (voir paragraphe 36 ci-dessus). S’il était raisonnable de la part des autorités internes d’avoir tenu compte de la complicité dans les infractions reprochées, la Cour estime que d’autres éléments auraient aussi dû être pris en considération en l’espèce. Ainsi, elle observe que l’affaire du requérant concernait un groupe criminel dont seul un des membres allégués avait, à l’époque des faits, la qualité de militaire et qu’aucune infraction contre les forces armées ni aucune violation de la propriété de l’armée n’était en cause.

47.  La Cour admet que les considérations liées à la connexité des infractions et à la complicité militent en faveur du jugement de tous les accusés par un même tribunal. Cependant, la nécessité d’avoir l’affaire jugée par un tribunal militaire ne saurait être considérée comme absolue. En effet, dans certains cas, il pourrait être envisagé de juger tous les accusés par un tribunal civil. Dès lors, la Cour ne saurait souscrire à l’argument avancé par le Gouvernement selon lequel ces considérations sont à elles seules suffisantes pour constituer en l’espèce « des raisons impérieuses » justifiant le jugement d’un civil par un tribunal pénal militaire (voir, mutatis mutandis, Ahmet Doğan, précité, § 30).

48.  Il est vrai que, malgré la disposition explicite de l’article 396, alinéa 2 du CPP prévoyant une compétence exclusive des juridictions militaires pour toutes les infractions connexes commises par un civil et un militaire, la Cour suprême de cassation a examiné l’argument du requérant portant sur l’absence d’indépendance et d’impartialité de ces tribunaux (paragraphes 12 et 14 ci-dessus). Toutefois, la Cour note que la haute juridiction ne s’est pas livrée à une analyse qui lui eût permis de relever les défaillances mises en évidence dans la présente affaire (paragraphe 46 ci-dessus). En tant qu’instance de cassation, la Cour suprême de cassation n’avait pas pleine juridiction pour examiner à nouveau l’affaire. La compétence exclusive des juridictions militaires découlant directement des dispositions de la loi, le pourvoi du requérant devant la haute juridiction ne pouvait rien changer à la procédure (Pop et autres, précité, § 56, et Maszni, précité, § 58).

49.  Compte tenu des éléments susmentionnés, examinés notamment à la lumière des développements au niveau international exposés ci-dessus (paragraphes 17-20 ci-dessus), la Cour estime que les doutes nourris par le requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité des juridictions militaires peuvent passer pour objectivement justifiés (voir, mutatis mutandis, Maszni, précité, § 59, Ergin, précité, § 54, et Incal, précité, § 72 in fine).

50.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

BARIŞ DEMİR c. TURQUIE du 24 octobre 2017 requête n° 51144/06

Article 6 : deux militaires sont dans la composition du tribunal, pour juger l'indemnité qui doit être fixée au requérant qui est civil.

21. Le requérant dénonce en outre le manque d’indépendance et d’impartialité de la Haute Cour en raison de la présence de deux officiers de carrière parmi le collège des juges. Il se plaint également d’un non-respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes dans la procédure menée devant la Haute cour, l’avis du procureur général près cette haute juridiction ne lui ayant, selon lui, pas été communiqué.

22. Le Gouvernement conteste cette thèse et rétorque notamment que la présence d’officiers au sein de la Haute Cour ne peut porter préjudice à l’indépendance et à l’impartialité de cette juridiction, celles-ci étant garanties par la Constitution. Il estime également que le requérant n’a pas subi un préjudice important en raison de l’absence de communication de l’avis du procureur général près la Haute Cour.

23. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

24. S’agissant de l’allégation de manque d’indépendance et d’impartialité de la Haute Cour, la Cour indique qu’elle a déjà examiné un grief identique dans son arrêt de principe Tanışma c. Turquie (no 32219/05, 17 novembre 2015) et qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que les officiers de carrière siégeant au sein de la Haute Cour ne bénéficiaient pas des garanties d’indépendance adéquates (Tanışma, précité, §§ 76-84, et Sürer c. Turquie, no 20184/06, §§ 45-46, 31 mai 2016). En l’espèce, la Cour ne relève rien qui puisse la conduire à s’écarter de cette conclusion.

25. En ce qui concerne l’absence de communication au requérant de l’avis du procureur général près la Haute Cour, la Cour rappelle avoir déjà examiné un grief similaire et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce motif (Miran c. Turquie, no 43980/04, §§ 16-18, 21 avril 2009, et les affaires qui y sont citées). Elle ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de cette jurisprudence.

26. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut donc à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

YELTEPE c. TURQUIE requête du 14 mars 2007 requête n° 24087/07

Article 6-1 : La Haute Cour comporte deux juges militaires de carrière qui n'ont pas l'indépendance voulue pour rendre une décision équitable

SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

24. Le requérant se plaint :

– du manque d’indépendance et d’impartialité des deux officiers de carrière au sein de la Haute Cour administrative militaire qui a examiné son recours ;

– du rejet de son recours de plein contentieux pour non-respect du délai de saisine ;

– de l’absence de communication des avis du procureur général lors des différentes procédures devant la Haute Cour ;

– de l’impossibilité de connaître à l’avance la formation appelée à statuer sur les actions introduites devant la Haute Cour ;

– de l’examen de la demande de rectification d’arrêt par la même formation de la Haute Cour qui a connu du recours initial ;

– et de l’absence de motivation de la décision relative au rejet de la demande de rectification d’arrêt.

Il invoque l’article 6 § 1 la Convention qui se lit comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

25. En ce qui concerne le grief relatif à la composition de la Haute Cour administrative militaire, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

26. Le Gouvernement récuse le grief du requérant. Il expose que la Haute Cour est établie par la Constitution et qu’elle fonctionne en conformité avec les principes de l’indépendance des tribunaux et de l’inamovibilité des juges, et que son indépendance et son impartialité sont garanties par les dispositions constitutionnelles et légales. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il est d’avis que la présence d’officiers au sein de la Haute Cour ne porte pas préjudice à l’indépendance de cette juridiction.

27. Le Gouvernement indique en outre que la question de savoir si la Haute Cour est un tribunal indépendant et impartial a été portée devant la Cour constitutionnelle à l’occasion d’une requête individuelle, et que, dans son arrêt du 16 mai 2013, qui aurait tenu compte des décisions de la Cour dans les affaires Yavuz et autres c. Turquie ((déc.), no 29870/96, 25 mai 2000), et Bek c. Turquie ((déc.), no 23522/05, 20 avril 2010), la Cour constitutionnelle a conclu que la Haute Cour était un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 de la Convention.

28. Le Gouvernement soutient par ailleurs que, jusqu’au moment du dépôt de ses observations, aucun membre de la Haute Cour n’a été démis de ses fonctions avant l’expiration de son mandat, que ceux des membres de la Haute Cour qui sont d’anciens officiers de carrière bénéficient de la même inamovibilité que les juges, et qu’ils ne sont pas soumis à la discipline militaire et à une appréciation dans le cadre de leurs fonctions.

29. Pour le Gouvernement, la Haute Cour est ainsi un tribunal indépendant et impartial, et il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

30. Le requérant ne se prononce pas sur les arguments du Gouvernement.

31. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné un grief semblable dans son arrêt Tanışma (précité) et qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif qu’au sein de la Haute Cour siégeaient entre autres des officiers de carrière ne bénéficiant pas des garanties d’indépendance adéquates (Tanışma, précité, §§ 76-84 ; dans le même sens, Sürer c. Turquie, no 20184/06, §§ 45-46, 31 mai 2016).

32. En l’espèce, la Cour ne relève aucun élément ou argument qui la conduirait à s’écarter de cette conclusion. Dès lors, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

33. Quant aux autres griefs du requérant, la Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction (voir mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 20, 23 octobre 2003). Eu égard au constat de violation de l’article 6 § 1 auquel elle parvient ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les examiner (voir, dans ce sens, Sürer, précité, § 47).

Arrêt N.K C.Turquie du 30 janvier 2003 Hudoc 4132 requête 43818/98

La requérante se plaint de la présence d'un juge militaire à une audience civile de la Cour de sûreté de l'Etat. La C.E.D.H condamne:

"Elle (la requérante) pouvait légitimement craindre que la Cour de sûreté de l'Etat d'Izmir se laissât indûment guidée par des considérations étrangères à la nature de la cause. Partant, on peut considérer qu'étaient objectivement justifiés les doutes nourris par la requérante quant à l'indépendance et à l'impartialité de cette juridiction"

Inkal contre Turquie du 09/06/1998 Hudoc 884 requête 22678/93

"La Cour relève () que dans le cadre de son examen du respect de l'article 10, elle n'a pas pu déceler ce qui, dans le tract litigieux, pouvait passer pour inciter une partie de la population à la violence, à l'hostilité ou à la haine entre citoyens. De plus, la Cour de sûreté de l'Etat a refusé de faire application de la loi anti-terrorisme ()

La Cour attache en outre de l'importance à la circonstance qu'un civil ait dû comparaître devant une juridiction composée, même en partie seulement, de militaires. Il en résulte que le requérant pouvait légitimement redouter que par la présence d'un juge militaire dans le siège de la Cour de sûreté de l'Etat d'Izmir, celle-ci ne se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de la cause. Ces appréhensions n'ont pu se trouver corriger devant la Cour de cassation, faute pour elle de disposer de la plénitude de juridiction () Le requérant pouvait légitimement éprouver des doutes quant à l"indépendance et l'impartialité de la Cour de sûreté de l'Etat d'Izmir"

E.K contre Turquie du 07/02/2002 Hudoc 3201 requête 28496/95

la Cour a confirmé en tous points son arrêt Inkal contre Turquie.

DES JUGES D'UN TRIBUNAL PAR AILLEURS PARTIE

A UN PROCÈS CONTRE LE REQUÉRANT

KOLESNIKOVA c. RUSSIE du 2 mars 2021 Requête no 45202/14

Art 6 § 1 (pénal) • Tribunal impartial • Rejet d’une demande de récusation non abusive de tous les juges d’un tribunal ayant décidé eux‑mêmes de la récusation dirigée contre eux • Instance de cassation n’ayant pas remédié aux déficiences litigieuses

FAITS

17.  Le 3 avril 2013, la requérante forma une demande de récusation visant tous les juges de la cour du district, précisant souhaiter que l’examen de son appel fût dévolu à une juridiction d’appel située en dehors du district Nénetski. Dans sa demande, elle indiquait tout d’abord craindre un manque d’impartialité du président de la cour du district. Elle faisait référence à cet égard à la lettre envoyée par ce dernier le 10 décembre 2012 au conseil des juges de la Fédération de Russie, et elle se référait en outre à des plaintes pénales que ce magistrat avait précédemment soumises au procureur aux fins de l’ouverture d’une enquête pénale contre elle pour abus de fonctions. Ensuite, elle exprimait ses craintes quant à un manque d’impartialité des juges Ku. et N., ainsi que du vice-président de la cour du district, F., précisant que ces magistrats avaient représenté la partie lésée, c’est-à-dire la cour du district elle-même, dans les procédures pénales dirigées contre M. et S. Enfin, elle alléguait que les autres juges de la cour du district pouvaient manquer d’impartialité au motif qu’ils avaient travaillé avec elle pendant la période correspondant à sa présidence de la cour du district.

18.  Le 18 avril 2013, la cour du district, siégeant en une formation composée des juges G., Ka., et S., rejeta la demande de récusation introduite par l’intéressée le 3 avril 2013. Pour ce faire, les juges indiquèrent qu’aucune des raisons invoquées par la requérante dans sa demande ne pouvait constituer un motif de récusation au sens de l’article 61 du CPP. De plus, ils relevèrent que les juges de la cour du district bénéficiaient des garanties d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions conformément à la loi no 3132-FZ du 26 juin 1992 portant sur le statut des juges.

CEDH

49.  La Cour relève que, soupçonnée d’avoir commis une négligence, infraction réprimée par l’article 293 § 1 du CP, la requérante a fait l’objet d’une vérification préliminaire menée sur la base de l’article 144 du CPP et a été amenée à déposer sur le fond à cet égard (paragraphe 9 ci‑dessus). La Cour estime que la requérante était donc « une personne soupçonnée, interrogée sur son implication dans des faits constitutifs d’une infraction pénale » au sens de l’article 6 de la Convention (voir, pour les principes applicables, Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, §§ 110‑111, 12 mai 2017). Elle constate qu’il y avait bien, au sens de la Convention, « accusation en matière pénale » dirigée contre l’intéressée, et ce nonobstant le fait qu’il n’existait pas d’enquête pénale ou de jugement de condamnation au sens du CPP en vigueur au moment des faits (voir, dans le même sens, Stirmanov c. Russie, no 31816/08, § 39, 29 janvier 2019).

50.  La Cour note en même temps que la décision du 5 mai 2012 par laquelle il a été mis fin à cette accusation était susceptible d’appel par voie de contestation judiciaire et que la requérante a utilisé cette voie pour critiquer le bien‑fondé de la décision litigieuse, notamment en ce qui concerne les conclusions de l’enquêteur quant à la commission, par elle, d’une infraction visée à l’article 293 § 1 du CP (paragraphes 13‑15 ci‑dessus). Par conséquent, la Cour estime les juridictions saisies de cette contestation, y compris la cour du district, devaient présenter les garanties d’indépendance et d’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

51.  La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon sa jurisprudence constante, aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est‑à‑dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel en telle occasion, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 73, CEDH 2015).

52.  Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier (voir, à titre d’exemple, Ramljak c. Croatie, no 5856/13, §§ 27‑42, 27 juin 2017, et Mitrov c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 45959/09, §§ 49‑52, 2 juin 2016).

53.  La Cour rappelle ensuite que l’article 6 § 1 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue « un tribunal impartial » au sens de cette disposition lorsque surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux (Farhi c. France, no 17070/05, § 25, 16 janvier 2007). Elle redit également que l’existence de procédures nationales destinées à garantir l’impartialité, à savoir des règles en matière de déport des juges, est un facteur pertinent. De telles règles expriment le souci du législateur national de supprimer tout doute raisonnable quant à l’impartialité du juge ou de la juridiction concernée et constituent une tentative d’assurer l’impartialité en éliminant la cause des préoccupations en la matière. En plus de garantir l’absence de véritable parti pris, elles visent à supprimer toute apparence de partialité et renforcent ainsi la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au public (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 99, CEDH 2009).

54.  La Cour a également jugé que les craintes d’un requérant quant à l’impartialité des juges examinant son affaire étaient objectivement justifiées eu égard à la procédure que lesdits juges avaient suivie pour rejeter sa demande de récusation dirigée contre eux, tout en trouvant en même temps que les circonstances invoquées par l’intéressé à l’appui de sa demande n’étaient pas en elles-mêmes suffisantes pour mettre en doute l’impartialité du tribunal du point de vue objectif (A.K. c. Liechtenstein, no 38191/12, §§ 76‑84, 9 juillet 2015, et A.K. c. Liechtenstein (no 2), no 10722/13, § 66, 18 février 2016). En déterminant si la procédure suivie a entaché l’impartialité du juge, la Cour prend en compte les motifs invoqués dans la demande de récusation. En cas de demande fondée sur des motifs d’ordre général et abstrait, ou de demande abusive, le fait que le juge examine lui‑même pareille demande ne remet pas en cause son impartialité (Debled c. Belgique, 22 septembre 1994, série A no 292‑B, § 37, et A.K. c. Liechtenstein, précité, § 78).

55.Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève que la requérante a demandé la récusation de tous les juges de la cour du district en se fondant sur plusieurs motifs (paragraphe 17 ci‑dessus). Elle estime que les circonstances mises en avant par la requérante à l’appui de sa demande de récusation pouvaient faire naître des craintes chez l’intéressée quant à l’impartialité objective de la formation judiciaire de la cour du district. Elle constate que les motifs invoqués par la requérante ont été suffisamment circonstanciés et faisaient état d’éléments concrets et que, dès lors, la demande tendant à la récusation des juges n’était pas abusive (Pastörs c. Allemagne, no 55225/14, § 63, 3 octobre 2019). La Cour note par ailleurs que la cour du district n’a pas non plus considéré ladite demande comme abusive et qu’elle l’a examinée au fond (paragraphe 18 ci‑dessus). Cette demande ne pouvait pas non plus paralyser l’ensemble du système judiciaire puisque l’autorité saisie n’était pas une instance de dernier degré ou une juridiction de petite taille devant laquelle des standards excessivement stricts relatifs à la récusation des juges auraient pu entraver l’administration de la justice (A.K. c. Liechtenstein, précité, §§ 82‑83). En effet, la Cour note que l’article 35 § 1 du CPP comportait un mécanisme susceptible de permettre, le cas échéant, le transfert de l’examen de l’appel de la requérante à un tribunal d’un ressort territorial différent (paragraphe 27 ci‑dessus).

56.  La Cour note ensuite que, conformément à l’article 65 § 3 du CPP (paragraphe 32 ci‑dessus), la demande de récusation introduite par la requérante a été examinée par tous les membres de la formation judiciaire de la cour du district à laquelle l’appel de l’intéressée avait été attribué pour examen. Dans la mesure où la demande de récusation introduite par la requérante visait tous les juges de la cour du district, notamment quant à leurs relations avec le président de ladite cour, la Cour estime que les juges G., Ka., et S. ont examiné eux‑mêmes la demande de récusation les concernant. Elle constate ensuite que, dans leur décision du 18 avril 2013, les juges ont rejeté les arguments de la requérante d’une manière globale et sans les examiner individuellement, se limitant à indiquer qu’aucune des raisons invoquées par l’intéressée dans sa demande ne pouvait constituer un motif de récusation au sens de l’article 61 du CPP (paragraphe 18 ci‑dessus).

57.  Par conséquent, la Cour estime que la procédure d’examen de la demande de récusation introduite par la requérante n’était pas conciliable avec le principe nemo judex in causa sua (nul ne peut être à la fois juge et partie) et ne pouvait, dès lors, faire dissiper les doutes raisonnables et objectifs de l’intéressée sur l’impartialité de la formation judiciaire de la cour du district (voir, à titre de comparaison, A.K. c. Liechtenstein, précité, §§ 81‑85, A.K. c. Liechtenstein (no 2), précité, §§ 66‑67, et, mutatis mutandis, Revtyuk c. Russie, no 31796/10, § 26, 9 janvier 2018).

58. La Cour rappelle qu’une juridiction supérieure peut, dans certains cas, effacer le vice dont était entachée la procédure devant le tribunal de première instance (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 134, CEDH 2005‑XIII). En l’occurrence, la Cour constate que la requérante a soulevé le grief tiré du manque allégué d’impartialité de la cour du district dans son pourvoi en cassation devant la Cour suprême (paragraphe 22 ci‑dessus). Or l’instance de cassation n’a pas effectué sa propre analyse des arguments de la requérante, mais a fait siennes les conclusions des juges de la cour du district auxquelles ces derniers étaient parvenus en décidant eux‑mêmes sur la récusation dirigée contre eux. Elle n’a donc pas remédié aux déficiences litigieuses en renvoyant, le cas échéant, l’examen de l’affaire à une juridiction dans un ressort territorial différent (Boyan Gospodinov c. Bulgarie, no 28417/07, §§ 57-58, 5 avril 2018).

59. Eu égard à ces éléments, la Cour estime que les instances nationales n’ont pas dissipé les doutes raisonnables de la requérante quant à l’impartialité de la cour du district. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Boyan Gospodinov c. Bulgarie du 5 avril 2018 requête n° 28417/07

Violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme : Absence alléguée d’impartialité d’une juridiction pénale : les doutes légitimes de la défense n’ont pas été dissipés

L’affaire concerne deux procédures pénales ayant abouti à la condamnation de M. Gospodinov, lequel se plaignait de ne pas avoir pas été jugé par un tribunal impartial dans le cadre de la seconde procédure pénale. M. Gospodinov alléguait en particulier que les juges du tribunal régional de Stara Zagora n’étaient pas impartiaux et que la seconde affaire pénale devait être jugée par un autre tribunal régional car une procédure civile en dommages et intérêts, engagée par lui à l’encontre du tribunal régional de Stara Zagora était pendante. La Cour juge que le tribunal régional de Stara Zagora, qui a examiné la deuxième affaire pénale engagée à l’encontre de M. Gospodinov en première instance, ne répondait pas aux exigences d’impartialité objective. Elle relève également que les instances supérieures n’ont pas remédié à l’atteinte portée à cette garantie de l’équité de la procédure pénale

Principaux faits

Le requérant, M. Boyan Dobrinov Gospodinov, est un ressortissant bulgare né en 1983 et résidant à Stara Zagora (Bulgarie). En août 2002, M. Gospodinov fut placé en détention provisoire dans le cadre d’une enquête portant sur un trafic de stupéfiants. Au terme d’une première procédure pénale, il fut condamné à trois ans et demi d’emprisonnement pour détention illégale de cannabis par le tribunal régional de Stara Zagora. Par la suite, la cour d’appel réduisit sa peine à un an d’emprisonnement, et la Cour suprême de cassation remplaça la détention provisoire par une mesure de contrôle judiciaire. M. Gospodinov fut libéré en avril 2004, après avoir passé un an, sept mois et huit jours en détention provisoire. En septembre 2004, M. Gospodinov saisit le tribunal de la ville de Sofia d’une action en dommages et intérêts dirigée, entre autres, contre le tribunal régional de Stara Zagora, au motif que la durée de sa détention provisoire était supérieure à celle de sa peine. En 2005, le tribunal de la ville de Sofia suspendit l’examen de l’action en indemnisation jusqu’à l’issue d’une seconde procédure pénale ouverte entretemps en 2004 à l’encontre de M. Gospodinov pour un autre trafic de stupéfiants. En 2006, la procédure en indemnisation reprit son cours et M. Gospodinov fut débouté. En octobre 2004, M. Gospodinov fut renvoyé en jugement devant le tribunal régional de Stara Zagora dans le cadre d’une seconde procédure pénale portant sur le trafic de stupéfiants. Il demanda que l’affaire soit attribuée à un autre tribunal régional, estimant que les juges du tribunal régional de Stara Zagora n’étaient pas impartiaux car leur tribunal était défendeur dans le cadre de la procédure en indemnisation qui était pendante. Il alléguait en particulier que les juges de ce tribunal avaient intérêt à le condamner à une peine d’emprisonnement pour éviter la condamnation de leur tribunal dans le cadre de la procédure en indemnisation. Cette demande fut rejetée. En octobre 2005, le tribunal régional de Stara Zagora condamna M. Gospodinov à 16 ans d’emprisonnement, en cumulant cette peine avec celle qui lui avait été infligée à l’issue de la première procédure pénale et en déduisant la période passée en détention provisoire 2002 et 2004. En 2006, la peine de M. Gospodinov fut réduite à 10 ans d’emprisonnement par la cour d’appel, puis à trois ans d’emprisonnement par la Cour de cassation, laquelle cumula cette peine avec la peine infligée lors de la première procédure pénale et déduisit la période passée en détention provisoire. Ainsi, il restait à purger une peine d’emprisonnement d’un an et cinq mois.

Article 6 § 1 (droit à un procès équitable)

La Cour décide d’examiner la question de l’impartialité des juges pénaux selon l’approche objective qui consiste à rechercher si ces derniers offraient des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime de parti pris. À cet égard, la Cour relève ce qui suit. Premièrement, le tribunal régional de Stara Zagora a examiné la deuxième affaire pénale engagée contre M. Gospodinov alors même qu’une procédure civile de dommages et intérêts, engagée par ce dernier à l’encontre de ce même tribunal, était pendante devant le tribunal de la ville de Sofia. Par ailleurs, ce dernier tribunal a accepté de suspendre la procédure en dommages et intérêts jusqu’à la fin de la deuxième procédure pénale au motif que celle-ci pouvait s’avérer décisive pour l’issue du litige. Dans ces circonstances, même s’il n’existe aucune raison de douter de l’impartialité personnelle des juges pénaux du tribunal régional de Stara Zagora, et nonobstant le fait que quatre des membres de la formation de jugement de ce tribunal n’avaient pas participé à l’examen de la précédente procédure pénale menée contre M. Gospodinov, leur rattachement professionnel à l’une des parties au litige civil qui se déroulait en parallèle, pris ensemble avec le caractère préjudiciel de la procédure pénale menée contre M. Gospodinov par rapport à la procédure civile de dédommagement, pouvaient à eux seuls susciter chez M. Gospodinov des doutes légitimes concernant l’impartialité objective des magistrats.

Deuxièmement, selon les règles budgétaires pertinentes en l’espèce, le paiement de l’indemnité qui pouvait être accordée à M. Gospodinov en cas de succès de la procédure en dommages et intérêts devait s’imputer sur le budget du tribunal régional de Stara Zagora. Même s’il n’est pas établi que ce fait ait influencé d’une façon quelconque la situation individuelle des juges du tribunal, ceci pouvait légitimement renforcer les doutes de M. Gospodinov. Troisièmement, en vertu du droit interne, les juges avaient l’obligation de se déporter d’une affaire pénale s’il existait un doute sur leur impartialité. En particulier, l’article 25 du code de procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits, permettait d’envisager le déport des juges pour toute circonstance pouvant mettre en doute leur impartialité. Le droit interne prévoyait également un mécanisme d’attribution d’une affaire pénale à un autre tribunal du même degré lorsque le tribunal compétent ne pouvait pas constituer une formation de jugement à cause du déport de tous les juges. En l’espèce, M. Gospodinov a demandé le déport de tous les juges du tribunal régional de Stara Zagora et le renvoi de l’affaire pénale à un autre tribunal du même rang, mais sa demande a été rejetée, les deux juridictions supérieures n’ont pas répondu à ses arguments. Ainsi, elles n’ont pas dissipé le doute légitime quant au parti pris du tribunal de première instance. La Cour considère donc que le tribunal régional de Stara Zagora, qui a examiné la deuxième affaire pénale engagée à l’encontre de M. Gospodinov en première instance, ne répondait pas aux exigences d’impartialité objective. Les instances supérieures n’ont pas remédié à l’atteinte portée à cette garantie de l’équité de la procédure pénale étant donné qu’elles ont refusé d’infirmer la décision de la première instance et ont ainsi confirmé la condamnation de M. Gospodinov. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que la deuxième affaire pénale visant M. Gospodinov n’a pas été examinée par un tribunal impartial.

CEDH

a) Principes généraux

53. La Cour a développé les principes relatifs à l’examen de l’impartialité des juges, consacrée par l’article 6 de la Convention, dans son arrêt Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 118-121, CEDH 2005‑XIII. Ces principes peuvent se résumer comme suit. L’impartialité se définit par l’absence de préjugé ou de parti pris et son existence s’apprécie selon deux démarches : une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur ou quel était son intérêt dans une affaire particulière, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. Quant à la seconde démarche, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, elle conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de la juridiction elle-même. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un organe particulier un défaut d’impartialité, l’optique de celui qui met en doute l’impartialité entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées.

b) Application de ces principes dans le cas d’espèce

54. La Cour observe qu’aucune question d’impartialité subjective ne se pose en l’espèce. Elle abordera donc la question de l’impartialité des juges pénaux dans la présente cause selon l’approche objective (paragraphe 53 ci‑dessus).

55. La Cour relève que le tribunal régional de Stara Zagora a examiné la deuxième affaire pénale contre le requérant alors même qu’une procédure civile de dommages et intérêts, engagée par l’intéressé à l’encontre de ce même tribunal, était pendante devant le tribunal de la ville de Sofia (paragraphes 20-27 et 14-17 ci-dessus). Elle observe également que ce dernier tribunal a accepté de suspendre la procédure en dommages et intérêts jusqu’à la fin de la deuxième procédure pénale contre le requérant, au motif que celle-ci pouvait s’avérer décisive pour l’issue du litige (paragraphe 15 ci-dessus). Dans ces circonstances, même s’il n’existe aucune raison de douter de l’impartialité personnelle des juges pénaux du tribunal régional de Stara Zagora, et nonobstant le fait que quatre des membres de la formation de jugement de ce tribunal n’avaient pas participé à l’examen de la précédente procédure pénale menée contre le requérant (paragraphes 22 et 23 ci-dessus), leur rattachement professionnel à l’une des parties au litige civil qui se déroulait en parallèle, pris ensemble avec le caractère préjudiciel de la procédure pénale menée contre le requérant par rapport à la procédure civile de dédommagement, pouvaient à eux seuls susciter chez le requérant des doutes légitimes concernant l’impartialité objective des magistrats.

56. En outre, selon les règles budgétaires pertinentes en l’espèce, le paiement de l’indemnité qui pouvait être accordée au requérant en cas de succès de la procédure en dommages et intérêts devait s’imputer sur le budget du tribunal régional de Stara Zagora (paragraphes 38-40 ci-dessus). Même s’il n’est pas établi que ce fait ait influencé d’une façon quelconque la situation individuelle des juges du tribunal, ceci pouvait légitimement renforcer les doutes du requérant.

57. La Cour observe par ailleurs que, en vertu du droit interne, les juges avaient l’obligation de se déporter d’une affaire pénale s’il existait un doute sur leur impartialité (paragraphe 33 ci-dessus). En particulier, l’article 25, point 9, du CPP en vigueur à l’époque des faits permettait d’envisager le déport des juges pour toute circonstance pouvant mettre en doute leur impartialité, même dans le cas d’une hypothèse qui n’était pas expressément mentionnée par cet article (ibidem). Le droit interne prévoyait également un mécanisme d’attribution d’une affaire pénale à un autre tribunal du même degré lorsque le tribunal compétent ne pouvait pas constituer une formation de jugement à cause du déport de tous les juges (paragraphe 34 ci-dessus).

58. En l’espèce, le requérant a demandé le déport de tous les juges du tribunal régional de Stara Zagora et le renvoi de l’affaire pénale à un autre tribunal du même rang, mais sa demande a été rejetée pour des raisons purement formelles et sans un examen approfondi des arguments qui l’appuyaient (paragraphes 21-25 ci-dessus). Le requérant a soulevé la question concernant le parti pris des juges pénaux du tribunal régional de Stara Zagora devant deux instances supérieures, la cour d’appel de Plovdiv et la Cour suprême de cassation (paragraphes 28 et 31 ci-dessus), qui étaient elles-mêmes défenderesses dans le cadre de la même procédure civile en dommages et intérêts. Force est de constater que les deux juridictions supérieures n’ont pas répondu à ces arguments du requérant (paragraphes 30 et 32 ci-dessus). Ainsi, elles n’ont pas dissipé le doute légitime quant au parti pris du tribunal de première instance.

59. Eu égard à ces observations, la Cour considère que le tribunal régional de Stara Zagora, qui a examiné la deuxième affaire pénale engagée à l’encontre du requérant en première instance, ne répondait pas aux exigences d’impartialité objective. Les instances supérieures n’ont pas remédié à l’atteinte portée à cette garantie de l’équité de la procédure pénale étant donné qu’elles ont refusé d’infirmer la décision de la première instance et ont ainsi confirmé la condamnation du requérant (Kyprianou, précité, § 134 ; De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 33, série A no 86). Elle estime donc qu’il n’est pas nécessaire d’aborder les autres arguments mis en avant par le requérant (paragraphes 45 et 46 ci-dessus).

60. Ces éléments lui suffisent pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que la deuxième affaire pénale visant le requérant n’a pas été examinée par un tribunal impartial.

CSM ET PARTIALITÉ OBJECTIVE POUR JUGER UN JUGE

Grande Chambre Denisov c. Ukraine du 25 septembre 2018 requête n° 76639/11

Violation de l’article 6 § 1 : La Cour estime que la révocation d’un juge de sa fonction de président de juridiction était inéquitable mais qu’il n’y a pas eu d’atteinte à sa vie privée.

L’affaire concernait la révocation de M. Denisov de sa fonction de président de la cour administrative d’appel de Kyiv. La Cour a constaté que la manière dont le Conseil supérieur de la magistrature avait révoqué M. Denisov de sa fonction de président de juridiction, avant tout en raison de ses carences en tant qu’administrateur, et celle dont la Cour administrative supérieure avait ultérieurement contrôlé cette décision, avaient fait naître des questions similaires à celles soulevées dans l’affaire Oleksandr Volkov v. Ukraine. Le premier organe n’était pas suffisamment indépendant et impartial et le second n’avait pas pu remédier aux lacunes de la procédure en première instance. Il y avait donc eu violation du droit à un procès équitable.

Après avoir examiné sa jurisprudence, la Cour a relevé que la protection de la vie privée découlant de l’article 8 de la Convention pouvait s’appliquer aussi aux litiges professionnels. Elle a toutefois estimé que cette protection ne valait pas dans le cas particulier de M. Denisov puisque les motifs de sa révocation ne se rattachaient pas à sa vie privée et que cette mesure elle-même n’avait pas eu ensuite de graves conséquences sur sa vie privée. Par exemple, les répercussions en termes de perte de prestige résultant de sa perte de qualité de président de juridiction ou d’une baisse de ses émoluments n’étaient pas suffisamment graves pour faire entrer en jeu cette disposition de la Convention.

Article 6-1

La CEDH note que les organes et mécanismes constitutionnels ici en cause sont les mêmes que dans l’affaire Oleksandr Volkov, où elle a conclu à une violation de la Convention à raison de la révocation de M. Volkov de sa fonction de juge.

S’agissant de M. Denisov, la Cour dit que le Conseil supérieur de la magistrature ukrainien, qui l’avait initialement révoqué pour ses carences en tant qu’administrateur à la tête de la cour administrative d’appel de Kyiv, n’était pas suffisamment impartial et indépendant. Parmi ses membres qui avaient prononcé la révocation, les juges étaient minoritaires et, en outre, la carrière et les salaires de certains des membres dépendaient d’une certaine manière d’autres organes de l’appareil d’État. De plus, l’un des membres avait présidé l’enquête préliminaire à l’issue de laquelle la révocation de M. Denisov avait été recommandée.

La Cour administrative supérieure, devant laquelle M. Denisov avait ensuite fait appel, n’a quant à elle pas opéré un contrôle suffisant de l’affaire. Elle a par exemple relevé que M. Denisov n’avait pas contesté les faits à l’origine de sa révocation, ce qui n’était pas le cas. Elle n’a pas non plus réellement examiné les allégations de parti pris qu’il avait formulées contre le premier organe.

Par ailleurs, la Cour administrative supérieure était elle-même soumise aux pouvoirs disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui veut dire que ses membres ne pouvaient pas, au vu des circonstances de l’espèce, faire preuve de l’indépendance et de l’impartialité voulues par la Convention.

Article 8

La CEDH observe que les personnes parties à des litiges professionnels peuvent dans certaines situations chercher à faire valoir leur droit au respect de leur vie privée protégé par la Convention. Parmi ces situations, il y a par exemple l’exclusion de personnes de certaines professions du fait de leur orientation sexuelle ou d’autres choix personnels relevant de leur vie privée.

Par ailleurs, un requérant peut obtenir réparation à raison des conséquences d’une mesure de ce type sur le lieu de travail, y compris lorsqu’elle a des répercussions négatives sur ses relations avec autrui ou sur sa réputation. Il doit clairement établir que de telles conséquences ont atteint la gravité nécessaire pour un constat de violation de l’article 8.

La CEDH constate que M. Denisov a été révoqué de sa fonction de président de juridiction mais qu’il a pu poursuivre sa carrière de juge jusqu’à sa démission. M. Denisov n’a produit aucun élément permettant d’établir que la baisse de ses émoluments mensuels entraînée par cette révocation a gravement porté atteinte à sa vie privée, et cette mesure n’a pas fortement nui à sa capacité à nouer et développer des relations avec autrui. De plus, sa réputation professionnelle n’en a pas sévèrement pâti car son bilan en tant que juge n’a jamais été mis en cause. La mesure n’a pas heurté sa personnalité et son intégrité dans une dimension éthique plus large.

La CEDH conclut globalement que les conséquences de la révocation de M. Denisov sur sa vie privée n’ont pas atteint le minimum de gravité pour soulever une question sur le terrain de l’article 8 et que ce volet de la requête est irrecevable.

La CEDH rejette également les griefs de violation de l’article 18 de la Convention (limitation de l’usage des restrictions aux droits) et de l’article 1 du Protocole n o 1 (protection de la propriété).

CEDH

ARTICLE 6

a) Principes généraux relatifs aux exigences d’un « tribunal indépendant et impartial » aux stades de la décision et du contrôle de l’affaire

60. Lorsqu’elle a eu à déterminer, dans de précédentes affaires, si un organe pouvait passer pour « indépendant » – notamment à l’égard de l’exécutif et des parties –, la Cour a tenu compte de facteurs tels que le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y avait ou non une apparence d’indépendance (Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 49, CEDH 2013 (extraits), avec d’autres références).

61. L’impartialité se définit en principe par l’absence de préjugé ou de parti pris. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier i) selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi ii) selon une démarche objective consistant à déterminer si, abstraction faite du comportement de ses membres, le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, parmi d’autres précédents, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009, avec d’autres références).

62. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective), mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996‑III).

63. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit l’adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 78, CEDH 2015).

64. Enfin, les notions d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liées et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Cooper c. Royaume-Uni [GC], no 48843/99, § 104, CEDH 2003‑XII).

65. D’après la jurisprudence de la Cour, même lorsqu’un organe juridictionnel chargé d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il ne saurait y avoir violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article » (Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 29, série A no 58, et Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 42, 14 novembre 2006).

b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

i. L’approche à retenir pour l’examen du grief

66. La question des résultats du requérant dans l’exécution de sa fonction de président de la cour administrative d’appel de Kyiv avait été initialement évoquée par le Conseil des juges administratifs qui, après avoir instruit le dossier, a proposé au CSM de démettre le requérant de cette fonction. Elle a ensuite été examinée par le CSM, qui n’était pas lié par la proposition initiale du Conseil des juges administratifs. Au contraire, le CSM était habilité à se livrer à sa propre appréciation des faits, à leur donner sa propre qualification juridique et à rendre une décision contraignante après avoir tenu audience et jugé l’affaire. En l’espèce, son analyse de la question s’est soldée par la décision portant révocation du requérant, laquelle a été exécutée peu après son adoption (paragraphe 20 ci-dessus). Ensuite, après son exécution, cette décision du CSM a été contrôlée par la CAS.

67. Il ressort des caractéristiques de la procédure interne évoquées ci‑dessus que le Conseil des juges administratifs a joué un rôle dans l’instruction préliminaire du dossier. Ce volet de l’affaire n’est pas contesté par le requérant, qui axe son grief sur le manque d’équité dont, selon lui, la procédure devant le CSM et la CAS était entachée, ainsi que sur l’absence de « contrôle suffisant » par cette dernière. Dans ces conditions, la Cour doit rechercher si le CSM et la CAS satisfaisaient aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, au cas où le CSM ne les aurait pas remplies, une question ne peut se poser sur le terrain de l’article 6 que si la CAS n’a pas opéré un « contrôle suffisant » conforme à cette disposition (voir, en comparaison, Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, §§ 51 et 54, et Oleksandr Volkov, précité, §§ 108, 123 et 130). Dès lors, en l’espèce, la Cour est appelée tout d’abord à rechercher si le CSM satisfaisait aux exigences d’un « tribunal indépendant et impartial », puis, au cas où il n’aurait pas rempli ces exigences à ce stade, à déterminer si le contrôle opéré par la CAS était « suffisant » pour remédier aux lacunes constatées, et enfin à vérifier si la CAS elle-même satisfaisait aux exigences d’indépendance et d’impartialité.

ii. La procédure devant le CSM

68. Dans l’arrêt Oleksandr Volkov, précité, la Cour a retenu un certain nombre de critères pour rechercher si le CSM, en tant qu’organe disciplinaire de la magistrature, satisfaisait aux exigences d’indépendance et d’impartialité. Elle s’est appuyée à cette fin sur sa jurisprudence antérieure et a tenu compte des textes internationaux pertinents, notamment les opinions et recommandations d’autres organes du Conseil de l’Europe. Premièrement, elle a souligné qu’il était nécessaire qu’un nombre important des membres d’un tel organe disciplinaire fussent eux-mêmes des magistrats et que la présence parmi les membres d’un tribunal de magistrats occupant au moins la moitié des sièges, dont celui de président avec voix prépondérante, donnait un gage certain d’impartialité (ibidem, § 109). Deuxièmement, elle a considéré que, compte tenu de l’importance qu’il y avait à réduire l’influence des organes politiques de l’État sur la composition du CSM et de la nécessité d’assurer le niveau requis d’indépendance judiciaire, la manière dont les juges étaient désignés dans cet organe disciplinaire était pertinente aussi, eu égard aux autorités qui procédaient aux désignations et au rôle du corps judiciaire dans ce cadre (ibidem, § 112). Troisièmement, elle a noté qu’il y avait lieu de rechercher si les membres de l’organe disciplinaire y travaillaient à plein temps ou continuaient de travailler et de recevoir un salaire hors de cet organe, ce qui impliquait inévitablement une dépendance matérielle, hiérarchique et administrative de leur part à l’égard de leurs employeurs principaux et mettait en péril leur indépendance et leur impartialité (ibidem, § 113). Quatrièmement, elle a indiqué qu’il fallait vérifier si des représentants du parquet entraient dans la composition de l’organe disciplinaire des juges et a ajouté que la présence de plein droit du procureur général et des autres membres désignés par le parquet jetait le doute sur l’impartialité de certains organes eu égard à la fonction des procureurs dans le système de justice interne (ibidem, § 114). Cinquièmement, elle a dit que lorsque les membres de l’organe disciplinaire avaient joué un rôle dans l’instruction préliminaire avant de participer ultérieurement à la résolution du même litige par cet organe, un tel cumul de fonctions pouvait faire peser un doute objectif sur leur impartialité (ibidem, § 115).

69. Dans l’arrêt Oleksandr Volkov, précité, la Cour a constaté que la composition du CSM, régie par la Constitution, faisait apparaître un certain nombre de lacunes structurelles qui en compromettaient l’indépendance et l’impartialité. En vertu de ces règles constitutionnelles, le CSM se composait en majorité de membres non judiciaires désignés directement par les autorités exécutives et législatives, le ministre de la Justice et le procureur général en étant membres de droit. La révocation du requérant dans l’affaire Oleksandr Volkov (précitée) avait été prononcée par seize membres du CSM, dont trois seulement étaient juges. De plus, seuls quatre des vingt membres du CSM y travaillaient à temps plein, alors que les autres continuaient de travailler et de recevoir un salaire hors de cet organe. La présence au sein du CSM du Procureur général et d’autres représentants du parquet posait également problème du point de vue de l’impartialité, compte tenu de la fonction des procureurs dans le système de justice interne. Par ailleurs, deux des membres du CSM avaient engagé des poursuites disciplinaires contre le requérant, sur la base de leurs propres investigations préliminaires, avant de statuer ultérieurement sur le fond du dossier (ibidem, §§ 110-115).

70. Ces constats sont tout aussi pertinents en l’espèce. Le CSM était constitué et fonctionnait en vertu des mêmes règles constitutionnelles que dans l’affaire Oleksandr Volkov (précitée). Les mêmes problèmes se posent donc quant au respect des critères d’indépendance et d’impartialité dans le cadre de la procédure devant cet organe. Le cas du requérant a été examiné et tranché par dix-huit membres du CSM, dont seulement huit juges. Les membres non judiciaires constituaient donc une majorité capable de juger de l’issue de la procédure. De plus, les modalités de désignation des membres judiciaires du CSM par les autorités exécutives et législatives demeurent problématiques puisque le nombre de juges élus au sein du CSM par leurs pairs était limité, que la majorité des membres de cet organe n’y travaillait pas à temps complet et que le procureur général en était membre.

71. Par ailleurs, s’agissant des allégations détaillées formulées par le requérant devant la Cour selon lesquelles certains membres du CSM avaient fait preuve d’un parti pris personnel à son égard, il ne faut pas oublier que le juge K., qui était membre de cet organe, avait initialement, en sa qualité de président du Conseil des juges administratifs, joué un rôle dans l’instruction préliminaire du dossier et dans la présentation de la proposition de révocation soumise au CSM (paragraphes 15 et 18 ci-dessus). Or cette participation préliminaire jette un doute objectif sur l’impartialité de ce juge lorsqu’il a été ultérieurement associé à la décision du CSM sur le fond (voir, en comparaison, Oleksandr Volkov, précité, § 115, Poposki et Duma c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine, nos 69916/10 et 36531/11, § 48, 7 janvier 2016, et Sturua, précité, § 35).

72. Les éléments ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que la procédure devant le CSM n’était pas entourée des garanties d’indépendance et d’impartialité compte tenu des défaillances structurelles et de l’apparence de parti pris personnel.

iii. Le contrôle opéré par la CAS était-il suffisant ?

73. Pour déterminer tout d’abord si une juridiction de deuxième instance jouissait de la « plénitude de juridiction » ou si elle a procédé à un « contrôle suffisant » pour remédier à un défaut d’indépendance et d’impartialité en première instance, la Cour, dans sa jurisprudence, estime qu’il faut tenir compte d’éléments tels que l’objet de la décision attaquée, la méthode suivie pour parvenir à cette décision et la teneur du litige, y compris les moyens d’appel, tant souhaités que réels (Bryan c. Royaume‑Uni, 22 novembre 1995, §§ 44-47, série A no 335‑A, et Tsfayo, précité, § 43).

74. Dans l’arrêt Oleksandr Volkov, précité, la Cour a expressément conclu que la CAS n’avait pas opéré un contrôle suffisant du dossier, dont l’objet était la révocation d’un juge de la magistrature. Elle a tout d’abord noté que cette juridiction était compétente pour déclarer les décisions litigieuses illégales mais non pour les annuler et prendre les mesures qu’elle eût estimées nécessaires en pareil cas. Elle a ajouté que, même si le constat d’illégalité d’une décision n’entraînait généralement pas de conséquences juridiques, l’impossibilité pour la CAS d’annuler formellement ces décisions et l’absence de règles quant à la suite de la procédure disciplinaire (en particulier, quelles étaient les mesures que les autorités compétentes devaient prendre une fois adoptée la décision litigieuse qui avait été déclarée illégale et dans quels délais) faisaient naître un certain degré d’incertitude quant aux conséquences juridiques réelles de pareilles déclarations judiciaires. Elle a constaté en outre qu’il ressortait de la pratique judiciaire qu’aucune réintégration automatique n’était possible sur la seule base de la décision déclaratoire de la CAS parce que les juges concernés devaient engager une nouvelle procédure afin d’être réintégrés (ibidem, §§ 125 et 126). Analysant également les modalités et l’étendue réelle du contrôle opéré par la CAS, elle a conclu que celles-ci étaient inappropriées pour constituer un « contrôle suffisant » (ibidem, §§ 127 et 128).

75. Les considérations exposées ci-dessus tout aussi pertinents en l’espèce. La CAS a contrôlé la décision du CSM, laquelle était d’effet immédiat, dans le même cadre légal et avec les mêmes pouvoirs limités et les mêmes incertitudes quant aux conséquences juridiques finales.

76. De plus, s’agissant de la teneur du litige en l’espèce, il y avait un grand décalage entre les moyens d’appel avancés et les moyens d’appel réels. Premièrement, dans sa décision, la CAS a jugé que le requérant n’avait pas contesté les faits à la base de sa révocation et que ceux-ci étaient donc réputés établis. Or cette conclusion ne correspond pas aux moyens avancés par lui dans la demande dont il avait saisi la CAS, où il dénonçait clairement ces faits. Le requérant estimait en particulier que les conclusions du CSM étaient trop générales et que cet organe aurait dû les étayer en se référant aux circonstances particulières de l’espèce et à la chronologie de celles-ci.

77. Deuxièmement, la CAS n’a pas réellement cherché à examiner l’autre moyen, pourtant important, tiré par le requérant d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la procédure devant le CSM (paragraphe 21 ci-dessus). Après avoir rappelé qu’elle avait compétence pour examiner si la décision en cause avait été rendue conformément à certains critères, notamment l’exigence d’impartialité, elle est parvenue à la conclusion générale que le CSM n’avait pas violé la Constitution ou les lois ukrainiennes. Or, elle n’a pas recherché si la procédure conduite devant le CSM avait respecté les principes d’indépendance et d’impartialité. Elle n’a rien dit sur ce point dans ses motifs.

78. Il en résulte que le contrôle opéré en l’espèce par la CAS n’était pas suffisant et qu’il n’a donc pas permis de remédier au manque d’équité dont était entachée la procédure devant le CSM.

iv. La CAS satisfaisait-elle aux exigences d’indépendance et d’impartialité ?

79. Pour ce qui est des garanties d’indépendance et d’impartialité qu’en vertu de l’article 6 § 1 l’organe judiciaire de contrôle est censé offrir, la Cour note que ce contrôle a été opéré en l’espèce par des juges de la CAS qui étaient eux aussi soumis aux pouvoirs disciplinaires du CSM, ce qui signifie qu’ils pouvaient faire eux-mêmes l’objet d’une procédure disciplinaire devant cette instance. Le fait que des juges de la CAS étaient soumis à des mesures disciplinaires et liés par des règles de discipline et de déontologie judiciaires ne suffit pas à lui seul à jeter le doute sur leur indépendance et leur impartialité à l’égard de l’autorité chargée d’appliquer ce régime. On peut cependant se poser la question du respect des garanties fondamentales d’indépendance et d’impartialité si l’organisation et le fonctionnement de l’organe disciplinaire font apparaître de graves problèmes en la matière. Or, au vu du dossier, le CSM présentait effectivement des problèmes d’une telle gravité, en particulier des lacunes structurelles et l’apparence de parti pris personnels (paragraphes 70-72 ci‑dessus). De plus, il n’était pas simplement un organe disciplinaire : il s’agissait en réalité d’une instance dotée de larges pouvoirs relativement à la carrière des juges (désignation, sanction, révocation). Compte tenu de ces éléments et, en particulier, du contexte spécifique du système ukrainien de l’époque, la Cour, à la lumière de son arrêt Oleksandr Volkov (précité, § 130), conclut que les juges de la CAS saisis du litige concernant le requérant, auquel le CSM avait pris part, n’ont pas pu faire preuve de « l’indépendance » et de « l’impartialité » requises par l’article 6 de la Convention.

80. Il s’ensuit que le contrôle judiciaire effectué par la CAS n’a pas satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité.

v. Conclusion

81. En conséquence, le CSM ne s’est pas livré à un examen indépendant et impartial du dossier et le contrôle ultérieurement opéré sur celui-ci par la CAS n’a pas remédié à ces défauts.

82. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

DI GIOVANNI c. ITALIE du 9 juillet 2013 Requête 51160/06

LE CSM ITALIEN EST INDÉPENDANT

42.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, parmi d’autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, et Simons c. Belgique (déc.), n71407/10, § 23, 28 août 2012).

43.  L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Un recours est effectif lorsqu’il est disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire lorsqu’il est accessible, susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présente des perspectives raisonnables de succès. A cet égard, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX ; Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, CEDH 2004‑I ; Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II ; et Alberto Eugénio da Conceicao c. Portugal (déc.), no 74044/11, 29 mai 2012).

44.  La Cour observe tout d’abord que dans la procédure disciplinaire à l’encontre des magistrats trouvent à s’appliquer, pour autant qu’aucune incompatibilité n’y fait obstacle, les dispositions du CPP (paragraphe 24 ci‑dessus), parmi lesquelles figurent les règles en matière de récusation (paragraphes 27-29 ci-dessus). Elle note de surcroît que la requérante conteste l’impartialité et l’indépendance de la section disciplinaire du CSM pour trois motifs : a) le mode d’élection de ses membres ; b) le fait que l’affaire l’amènerait à juger de critiques concernant l’activité du CSM, ce qui aurait créé une confusion entre juge et partie lésée ; c) le fait que quatre des quinze membres du CSM qui avaient sollicité, le 4 juin 2003, l’ouverture de la procédure disciplinaire à l’encontre de la requérante ont siégé dans son affaire. Sous ce dernier aspect, la requérante affirme que la note en question a eu un impact sur l’ouverture de la procédure disciplinaire.

45.  A la lecture des motifs de récusation prévus en droit italien, tels qu’énumérés à l’article 37 du CPP (paragraphe 27 ci-dessus), la Cour estime que les craintes de la requérante exposées sous les lettres a) et b) au paragraphe 44 ci-dessus ne rentraient dans aucun des cas de récusation ainsi codifiés. Dès lors, un éventuel recours en récusation concernant les craintes en question n’aurait pas eu de chances d’aboutir. L’exception préliminaire de non-épuisement des recours internes doit donc être rejetée pour autant qu’elle porte sur ces deux premières craintes.

46.  Il en va autrement pour la troisième crainte exposée, celle figurant sous la lettre c) au paragraphe 44 ci-dessus. En effet, la requérante aurait pu soutenir que la circonstance que quatre des six membres de la section disciplinaire du CSM étaient signataires de la note sollicitant l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre s’analysait soit en une manifestation indue de leur conviction sur les faits qui formaient l’objet de la poursuite, soit en un « intérêt dans la procédure ». Ceci est d’autant plus vrai si l’on songe au fait que la requérante a soutenu devant la Cour que la note en question n’était pas un document neutre, mais renfermait un parti pris à son encontre. Elle aurait pu présenter des arguments similaires dans le cadre d’un recours en récusation au niveau national, recours que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour ne saurait considérer comme étant manifestement voué à l’échec.

47.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la requérante était tenue de saisir les juridictions internes d’un recours en récusation pour exposer la crainte décrite sous la lettre c) au paragraphe 44 ci-dessus, ce qu’elle n’a pas fait. La Cour accueille donc l’exception du Gouvernement pour autant qu’elle concerne cette crainte et rejette cette partie du grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B.  Sur le bien-fondé du grief

1.  Arguments des parties

a)  La requérante

48.  La requérante se plaint tout d’abord du manque d’indépendance de la section disciplinaire du CSM du fait qu’elle est composée en large majorité de magistrats élus, selon elle, en fonction de leur appartenance aux différentes factions idéologiques. Elle explique que les mouvements associatifs existants au sein du corps judiciaire se partagent les sièges disponibles au CSM, conditionnant ainsi le choix des magistrats électeurs au moment du vote. Selon la requérante, ce système de désignation, similaire à celui en usage pour les parlementaires, choisis en fonction de leur appartenance aux différents partis politiques, ne peut que porter préjudice à l’indépendance du CSM, les juges de la section disciplinaire étant naturellement mieux disposés vis-à-vis des collègues appartenant à la même faction idéologique (appartenenza correntizia).

49.  En deuxième lieu, la requérante observe que la section disciplinaire à été appelée à la juger à propos de ses critiques concernant l’activité du CSM. Il y aurait donc eu confusion entre le juge et la partie lésée.

b)  Le Gouvernement

50.  Le Gouvernement fait remarquer tout d’abord que la composition et le système de fonctionnement du CSM est conforme aux lignes directrices élaborées par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise ») du Conseil de l’Europe en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire. En outre, la section disciplinaire du CSM constitue un tribunal établi par la loi, à savoir la loi no 195 de 1958, et répond aux conditions d’indépendance découlant de la Convention, eu égard notamment aux critères de nomination de ses membres et à la durée de leur mandat.

c)  Appréciation de la Cour

51.  La Cour est appelée à rechercher si la section disciplinaire du CSM était un « tribunal établi par la loi, indépendant et impartial », lorsque celle‑ci a entendu la cause de la requérante.

52.  Elle rappelle que sa jurisprudence n’entend pas nécessairement, par le terme « tribunal », une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 76, série A no 80). Aux fins de la Convention, une autorité peut s’analyser en un « tribunal », au sens matériel du terme, lorsqu’il lui appartient de trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (Sramek c. Autriche, 22 octobre 1984, § 36, série A no 84, et Beaumartin c. France, 24 novembre 1994, § 38, série A no 296-B). En outre, l’attribution du soin de statuer sur des infractions disciplinaires à des juridictions ordinales n’enfreint pas en soi la Convention. Toutefois, celle-ci commande alors, pour le moins, l’un des deux systèmes suivants : ou bien lesdites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l’article 6 § 1, ou bien elles n’y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article (Albert et Le Compte, précité, § 29).

53.  Tout d’abord, la Cour note que la section disciplinaire du CSM est un organe établi par la loi, à savoir la loi no 195 de 1958 (paragraphe 21 ci‑dessus). La section disciplinaire a pleine compétence pour apprécier les faits litigieux, elle peut ordonner le recueil de tout élément de preuve utile et ordonner l’audition de témoins et d’experts ; en outre, le magistrat poursuivi, qui peut se faire représenter ou assister par un magistrat ou un avocat, a le loisir de produire des mémoires et est entendu lors d’audiences publiques (voir paragraphe 24 ci-dessus). La Cour observe en outre que les instances disciplinaires à l’encontre de magistrats sont assujetties aux règles générales de procédure contenues dans le CPP. Dans ces conditions, elle estime que la section disciplinaire du CSM constitue bien un « organe judiciaire de pleine juridiction » (voir, a contrario, Diennet, précité, § 34 ; voir également, mutatis mutandis, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 44, 5 février 2009).

54.  La Cour doit maintenant vérifier si le tribunal en question était « indépendant » et « impartial » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant », il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance. Quant à la condition d’« impartialité », elle revêt deux aspects. Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil 1997-I).

55.  En outre, pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de redouter dans le chef d’une juridiction un défaut d’indépendance ou d’impartialité, le point de vue de l’intéressé entre en ligne de compte mais sans pour autant jouer un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de celui-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Findlay, précité, § 73 ; Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 71, Recueil 1998‑IV ; et Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003‑XII).

56.  Dans la présente affaire, après avoir examiné les griefs de la requérante à la lumière des principes énoncés dans sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, entre autres, les arrêts Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 75, CEDH 2007‑IV, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 95, CEDH 2009), la Cour n’a relevé aucun élément susceptible de prouver la partialité ou de mettre en doute l’impartialité subjective des juges concernés. Elle se placera donc sur le terrain de l’impartialité objective de ceux-ci. En outre, les notions d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées, la Cour les examinera ensemble dans la présente affaire (Grieves, précité, § 69).

57.  La Cour estime tout d’abord que le simple fait que les membres de la section disciplinaire appartiennent au corps judiciaire ne saurait porter atteinte en soi au principe d’indépendance. La Cour relève ensuite que le mandat des juges de la section disciplinaire du CSM dure quatre ans ; ceux-ci sont irrévocables pour toute la durée de leur mandat et ne sont liés par aucune dépendance hiérarchique ou autre vis-à-vis de leurs pairs, qui les ont élus à bulletins secrets. La Cour estime que le droit interne présente des garanties suffisantes quant à l’indépendance des membres de la section disciplinaire dans l’exercice de leurs fonctions (voir, a contrario, Luka c. Roumanie, no 34197/02, § 47, 21 juillet 2009). Toute appartenance éventuelle à tel ou tel des courants idéologiques existant au sein du corps judiciaire ne saurait être confondue avec une forme de dépendance hiérarchique. Il s’ensuit que les craintes de la requérante dérivant du système de nomination des membres de la section ne sont pas objectivement justifiées.

58.  Par ailleurs, la Cour ne saurait souscrire à la thèse de l’intéressée selon laquelle il y aurait eu confusion en l’espèce entre juge et partie lésée (paragraphe 30 ci-dessus). A cet égard, elle se borne à observer que la sanction disciplinaire infligée à la requérante ne reposait pas sur ses critiques au sujet du CSM, considérées comme une manifestation de sa liberté d’expression, mais sur la diffusion, auprès de l’opinion publique, de rumeurs dénuées de fondement concernant un collègue (paragraphe 13 ci‑dessus). Or, le collègue en question ne siégeait pas au sein de la section disciplinaire du CSM.

59.  Aux yeux de la Cour, il découle de l’ensemble des circonstances exposées ci-dessus que les doutes de la requérante quant à l’indépendance et à l’impartialité de la section disciplinaire du CSM ne sauraient passer pour objectivement justifiés.

60.  Dès lors, aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce.

61.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

LES MEMBRES DU CONSEIL D'ÉTAT JUGENT

LES DÉCISIONS QU'ILS ONT REDIGÉES !

LES MEMBRES DU CONSEIL D'ÉTAT QUI ONT REDIGÉ LE DÉCRET JUGENT ENSUITE SA LÉGALITÉ

Protocola contre Luxembourg du 28 septembre 1995 requête 14570/89

La requérante est une laiterie qui s'est plainte de l'application des quotas laitiers devant le Conseil d'Etat. Les juges étaient ceux qui avaient participé à la rédaction du règlement. La Cour a constaté qu'ils ne pouvaient qu'être liés par leur précédente décision.

"La Cour constate qu'il y a eu confusion dans le choix des Conseillers d'Etat, de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles () le seul fait que certaines personnes exercent successivement, à propos des mêmes décisions, les deux types de fonction est de nature à mettre en cause l'impartialité structurelle de ladite institution"

LES MEMBRES DU CONSEIL D'ÉTAT AVAIENT DÉJÀ DIT NON EN CHAMBRE DU CONSEIL

FAZLI ASLANER C. TURQUIE du 4 mars 2014 Requête 36073/04

L'assemblé générale du Conseil d'Etat chargée d'examiner la nomination de greffier était présidée et comportait des magistrats qui avaient déjà statuer négativement en chambre du Conseil d'Etat. La crainte objective du requérant était fondée.

30.  La Cour note que les craintes du requérant quant à un défaut d’impartialité objective de l’assemblée du contentieux tiennent au fait que trois des magistrats ayant siégé dans la formation concernée avaient préalablement participé à l’examen du premier pourvoi.

31.  Elle rappelle que l’impartialité objective s’apprécie selon une démarche qui conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de cette juridiction (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005‑XIII). Elle rappelle de plus que, en la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions du ou des plaignants peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, 1998‑III). À cet égard, le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant un procès ne peut justifier en soi des doutes quant à son impartialité (Ökten c. Turquie (déc.), no 22347/07, 3 novembre 2011) ; ce qui importe est l’étendue des mesures adoptées par ce juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par un juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l’appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant de leur appréciation finale (voir, par exemple, Morel c. France, n34130/96, § 45, CEDH 2000-VI).

32.  Dès lors, au vu de ces principes, la Cour est appelée en l’espèce à décider si, compte tenu de la nature et de l’étendue du contrôle juridictionnel qui incombait à l’assemblée du contentieux, les trois magistrats en cause ont fait preuve, ou ont pu légitimement apparaître comme ayant fait preuve, d’un parti pris quant à la décision à rendre sur le fond (D.P. c. France, no 53971/00, § 36, CEDH 2004‑I). Cela serait notamment le cas si les questions qu’ils avaient eu successivement à traiter avaient été analogues, ou du moins si l’écart entre ces questions avait été infime (voir, parmi beaucoup d’autres, Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 201, CEDH 2003‑VI, Indra c. Slovaquie, no 46845/99, §§ 51 à 55, 1er février 2005, Toziczka c. Pologne, no 29995/08, §§ 36 et 42 à 46, 24 juillet 2012 et Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 52, série A no 154).

33.  En l’occurrence, la Cour observe que, lors du premier pourvoi, la question examinée par la cinquième section du Conseil d’État était de vérifier la conformité au droit du jugement du tribunal administratif du 17 septembre 1998 en déterminant si, lors des nominations à des postes de greffier en chef dans un ressort juridictionnel autre que celui concerné par le concours, les autorités étaient tenues de respecter l’ordre de classement des candidats inscrits sur la liste de réserve en cause.

34.  La Cour relève ainsi que, après la décision du tribunal administratif de maintenir sa position initiale et donc de résister à celle adoptée par la cinquième section du Conseil d’État, l’affaire avait été déférée à l’assemblée du contentieux sur pourvoi de l’administration. Elle note qu’à ce stade la question à trancher n’était pas celle de savoir si le tribunal administratif était en droit de résister – ce droit n’ayant nullement été contesté : le point sur lequel l’assemblée du contentieux était appelée à statuer était la conformité au droit non pas du second jugement en date du 1er juillet 2002 mais du premier jugement que le tribunal administratif entendait maintenir. En d’autres termes, la question à trancher portait à nouveau sur la conformité au droit du jugement par lequel le tribunal administratif avait considéré que l’administration était liée par l’ordre de classement du concours, et ce même pour des nominations dans d’autres ressorts.

35.  Or la Cour note que trois des trente et un magistrats ayant siégé au sein de l’assemblée du contentieux avaient auparavant siégé au sein de la cinquième section, et que ces trois juges avaient donc déjà pris part, dans la même affaire, à une décision sur la question qu’ils étaient amenés à examiner. Par conséquent, ils pouvaient légitimement apparaître comme ayant fait preuve d’un parti pris quant à la décision à rendre sur le fond lors du second pourvoi.

36.  Toutefois, la Cour estime que la prise de position préalable de certains juges ne suffit pas à elle seule pour considérer que l’impartialité de l’assemblée du contentieux avait été altérée en l’espèce.

37.  En effet, selon la jurisprudence de la Cour, il convient, dans ce type de situations, de prendre également en compte d’autres éléments tels que le nombre de magistrats concernés par pareille prise de position ainsi que leur rôle au sein de la formation de jugement.

38.  À cet égard, les organes de la Convention ont déjà rejeté des griefs similaires en prenant en compte la faible proportion de juges concernés au sein d’une formation collégiale où les décisions sont prises à la majorité (Ferragut Pallach c. Espagne (déc.), no 1182/03, 28 février 2006, Garrido Guerrero c. Espagne (déc.), no 43715/98, 2 mars 2000, OOO ‘Vesti’ et Ukhov c. Russie, no 21724/03, § 83, 30 mai 2013, Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 38, série A no 325‑A, et Guisset c. France, n33933/96, décision de la Commission (Plénière) du 9 mars 1998, Décisions et rapports 92-A p. 138).

39.  Par ailleurs, la Cour rappelle avoir déjà conclu à la violation du droit à un tribunal impartial dans un certain nombre d’affaires en prenant en considération à la fois la proportion élevée de magistrats concernés et les fonctions de président ou de rapporteur exercées par ces derniers au sein de la formation collégiale (Cardona Serrat c. Espagne, no 38715/06, § 37, 26 octobre 2010, Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 41 à 53, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, Perote Pellon c. Espagne, n45238/99, § 50 in fine, 25 juillet 2002, et Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 67, 5 février 2009).

40.  En l’espèce, la Cour estime que le nombre ou la proportion des juges concernés par la problématique de l’impartialité objective n’est pas déterminante et que des considérations de nature quantitative n’ont pas d’incidence sur l’examen de la question, étant donné qu’aucun motif sérieux ne rendait absolument nécessaire la participation des trois intéressés à la formation de jugement avec voix délibérative.

41.  En outre, elle observe que Mme T.Ç., figurant parmi ces trois magistrats, a exercé en sa qualité de vice-présidente du Conseil d’État la fonction de présidente de l’assemblée du contentieux et qu’elle a à ce titre dirigé les débats lors des délibérations, ce qui constitue une circonstance supplémentaire portant atteinte à l’apparence d’impartialité.

42.  Ces deux éléments sont de nature à rendre objectivement justifiées les craintes du requérant quant à l’impartialité objective de l’assemblée du contentieux telle qu’elle était composée dans la présente affaire.

43.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention de ce chef.

DES JUGES ANONYMES QUI VOUS JUGENT

Arrêt VERNES contre France du 20 janvier 2012 requête 30183/06

Violation de l'article 6-1 de la Convention : Les juges de la COB sont anonymes !

41.  La Cour rappelle qu’aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 46, série A no 154, et De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 24, série A no 86). Seule est en cause en l’espèce l’appréciation objective, qui consiste à se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Didier c. France (déc.), no 58188/00, 27 août 2002).

42.  La Cour convient du caractère particulier, voire formel comme l’indique le Gouvernement, du grief du requérant, dans la mesure où il se plaint de l’absence de mention de l’identité des personnes qui composaient la formation de jugement ayant prononcé à son encontre l’interdiction définitive d’exercer l’activité de gestion pour le compte de tiers. Il ne s’agit donc pas pour la Cour de se livrer à une appréciation de la réalité des doutes sur l’impartialité tel qu’elle le fait traditionnellement en examinant un cumul de fonctions au sein d’une entité comme celle litigieuse en l’espèce (Didier et Dubus, précités). Ce qui est en cause, c’est l’impossibilité même de vérifier, du fait des dispositions de droit interne alors en vigueur, l’impartialité de la commission. En effet, la loi ne permettait pas au requérant d’avoir connaissance de la composition de la commission qui lui a infligé la sanction précitée, et donc de s’assurer de l’absence d’un éventuel préjugement de sa part ou d’un lien de l’un de ses membres avec la partie en cause, susceptibles de vicier la procédure. Dans ces conditions, et au nom des apparences, la Cour est d’avis, avec le requérant, que le défaut d’indication de l’identité de l’ensemble des membres de la COB ayant délibéré était de nature à faire douter de son impartialité.

43.  La Cour observe à cet égard que, dans le même souci de transparence et de mise en conformité de la procédure devant la COB puis l’AMF avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention que celui qui a prévalu pour le grief précédent (paragraphes 18, 19 et 20 ci-dessus), des modifications postérieures à la procédure litigieuse permettent désormais de connaître l’identité des membres et de solliciter leur récusation.

44.  Compte tenu de l’importance des répercussions de la sanction prononcée en l’espèce et de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’impossibilité pour le requérant d’avoir eu connaissance de l’identité des personnes qui composaient la formation qui l’a jugé.

48.  La Cour rappelle que, dans les arrêts Kress c. France ([GC], no 39594/98, §§ 72-76, CEDH 2001-VI) et Martinie (précité, §§ 53-54), elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la participation et même de la simple présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat. La Cour considère que la présente affaire, antérieure à la réforme du code de justice administrative en la matière entrée en vigueur le 1er septembre 2006 (Etienne c. France (déc.), no 11396/08, 15 septembre 2009), ne présente pas d’éléments susceptibles de la distinguer de cette jurisprudence.

49.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

LES AUTORITÉS DE L'ÉTAT

INTERVIENNENT DANS LA PROCÉDURE

Arrêt Agrokompleks c. Ukraine du 6 octobre 2011 requête 23465/03

Procédure pour insolvabilité engagée par une société privée contre la plus grande raffinerie de pétrole d’Ukraine, manque d’indépendance des tribunaux du fait des interventions des autorités politiques de l'Etat.

La requérante, Agrokompleks JSC, est une société privée basée en Ukraine qui, à l’époque des faits, effectuait avec des sociétés russes des opérations de troc,  comme l’échange de denrées alimentaires brutes ukrainiennes contre du pétrole brut russe, et la revente de produits pétroliers finis.

Au début des années 1990, Agrokompleks fournit 375 000 tonnes de pétrole brut, pour raffinage, à ce qui était à l’époque la plus grande raffinerie de pétrole d’Ukraine (majoritairement propriété de l’Etat), par la suite rebaptisée LysychanskNaftoOrgSyntez (« LyNOS »). En 1993, la raffinerie ne livra à Agrokompleks qu’une petite partie de la quantité de produits pétroliers convenue. En mars 1993 et en novembre 1994, la Cour supérieure d’arbitrage (« la CSA »), à la suite de plaintes déposées par Agrokompleks, confirma les obligations contractuelles de la raffinerie et ordonna à celle-ci de livrer la quantité de produits pétroliers convenue. En 1995, le département d’Etat chargé des industries du pétrole, du gaz et du raffinage pétrolier estima fondées les plaintes d’Agrokompleks et fit observer dans une lettre adressée au Parlement que le manquement de la raffinerie à remplir ses obligations s’expliquait principalement par le fait qu’en 1993, en raison d’une grave pénurie de combustibles, les autorités régionales avaient fourni sans contrepartie financière des produits pétroliers à certaines industries locales. En juillet 1996, la CSA alloua à Agrokompleks une indemnité pour inexécution prolongée des jugements rendus en sa faveur.

Au cours du même mois, invoquant l’inexécution des jugements rendus en sa faveur, Agrokompleks engagea une procédure pour insolvabilité contre LyNOS. Par un arrêt du 2 juillet 1998, la CSA indiqua que la dette de LyNOS envers Agrokompleks s’élevait à 216 150 544 hryvnias ukrainiennes (UAH) (soit environ 19,5 millions d’euros selon le taux de change actuel). Aucune des parties n’ayant contesté cette décision devant le collège des recours en vertu des dispositions pertinentes, celle-ci devint définitive.

Cependant, plus tard au mois de juillet 1998, le Gouvernement créa un groupe spécial composé de représentants de plusieurs hautes autorités de l’Etat. Ce groupe était chargé d’établir les raisons de l’endettement de LyNOS et d’étudier les conséquences du règlement des créances. Dans son rapport d’août 1998, le groupe spécial estima qu’il fallait vérifier le montant des créances impayées. Le vice-premier ministre pria donc certains ministères et organes de l’Etat d’entreprendre à cet effet un audit. Dans son rapport d’avril 2000, le service régional d’audit de Lugansk conclut que les conclusions émises par la CSA, dans son arrêt du 2 juillet 1998, concernant la dette à rembourser étaient en contradiction avec la législation applicable et que la dette de LyNOS s’élevait en fait à 36 401 894 UAH.

Invoquant cette conclusion en tant que nouvel élément factuel, LyNOS saisit le collège des recours du CSA aux fins d’un réexamen portant, notamment, sur l’arrêt du 2 juillet 1998. En septembre 2000, la CSA estima que le rapport du service régional d’audit ne contenait aucune information nouvelle et confirma la décision ayant déterminé le montant final de la dette. Par la suite, cependant, le président de la CSA pria ses adjoints de réexaminer cette conclusion. En juin 2001, la CSA ramena la dette à 97 406 920 UAH ; puis, en octobre 2001, sur appel d’Agrokompleks, la cour d’appel commerciale de Donetsk réduisit encore le montant total des impayés, qu’il établit à 90 983 077 UAH (soit environ 8,2 millions d’euros selon le taux de change actuel).

Les recours d’Agrokompleks contre cette décision et contre un règlement amiable subséquent entre LyNOS et ses créanciers, en vertu duquel les créances devaient être réglées au moyen d’un échange contre l’actif du débiteur, furent vains. Par un arrêt final de novembre 2004, la Cour suprême rejeta la demande d’autorisation de se pourvoir en cassation qui avait été formée par Agrokompleks.

A plusieurs reprises pendant la procédure, LyNOS se plaignit des décisions judiciaires auprès de diverses autorités de l’Etat, et plusieurs acteurs étatiques intervinrent en sa faveur. Ainsi, en septembre 1998, le premier adjoint du premier ministre pria le président de la CSA de se pencher sur les conclusions du groupe spécial concernant la nécessité de réévaluer la dette de LyNOS, « compte tenu de son importance pour l’économie et la sécurité de l’Etat ». En décembre 2000, le président de l’Ukraine transmit au président de la CSA une lettre de LyNOS, dans laquelle celle-ci déplorait les « prétentions exagérées » d’Agrokompleks dans la procédure pour insolvabilité. Le président de la CSA répondit à certaines des demandes en faisant le point sur l’état de la procédure et en donnant des explications sur les mesures prises.

VIOLATION DE L'ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION

La Cour observe que, comme l’attestent les pièces du dossier, plusieurs autorités de l’Etat sont intervenues dans la procédure judiciaire à un certain nombre de reprises. Ces interventions, ouvertes et persistantes, ont souvent été sollicitées expressément par la société LyNOS, l’adversaire d’Agrokompleks. Par le passé, la Cour a déjà condamné de la manière la plus énergique les démarches entreprises par des autorités non judiciaires pour intervenir dans une procédure judiciaire, les considérant comme incompatibles avec la notion de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6 § 1.

La procédure ayant porté sur l’insolvabilité de ce qui était alors la plus grande raffinerie de pétrole du pays, dont l’Etat était le principal actionnaire, il est naturel qu’elle ait suscité une attention soutenue de la part des autorités de l’Etat. En revanche, il est inacceptable que ces dernières ne se soient pas limitées à une surveillance passive de la procédure judiciaire et qu’elles soient intervenues de manière si flagrante. La Cour souligne que la portée de l’obligation de l’Etat d’assurer un procès par un « tribunal indépendant et impartial » ne se limite pas au pouvoir judiciaire mais implique également, pour toute autre autorité de l’Etat, l’obligation de respecter arrêts et décisions des tribunaux et de s’y conformer.

Par ailleurs, l’indépendance de la justice exige que chaque juge soit à l’abri de toute influence indue, y compris si elle provient de l’intérieur même du pouvoir judiciaire. Le fait que le président de la CSA ait donné pour instruction directe à ses adjoints de réexaminer la décision par laquelle cette juridiction avait rejeté la demande de LyNOS tendant à la révision du montant de sa dette est donc contraire au principe d’indépendance judiciaire interne.

Dès lors, il y a violation de l’article 6 § 1 en raison du manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux.

La Cour rappelle par ailleurs que la sécurité des rapports juridiques, qui constitue l’un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit, veut que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause. Dans la cause d’Agrokompleks, la décision de juillet 1998 constituait une décision judiciaire finale sur le montant de la dette impayée de LyNOS. Or, il ressort des faits de la cause que des autorités non judiciaires de l’Etat ont remis en question cette décision, l’ont révisée comme ils l’entendaient et ont critiqué ses conclusions en les qualifiant d’illégales. De plus, la révision non judiciaire du montant de la dette a ensuite été invoquée comme nouvel élément de fait, sur la base duquel les tribunaux ont revu – en défaveur d’Agrokompleks – le montant des arriérés.

La reconsidération de la question juridique définitivement réglée, à savoir le montant des impayés, reposait sur le simple fait que les autorités étaient en désaccord avec ce montant, ce qui s’analyse en une violation flagrante du principe de sécurité juridique.

Partant, il y a eu, à cet égard également, violation de l’article 6 § 1.

En ce qui concerne la durée de la procédure, la Cour observe que la période à prendre en considération (qui commence à la date de l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’homme à l’égard de l’Ukraine, en septembre 1997, et s’achève à la date de la décision finale de la Cour suprême de confirmer le règlement amiable relatif aux dettes de LyNOS) est supérieure à sept ans. L’affaire était certes complexe sur le plan des faits et du droit, mais l’important délai peut s’expliquer par les efforts déployés par les autorités pour faire réviser le montant de la dette alors qu’une décision judiciaire définitive avait été rendue sur ce point. A l’inverse, aucun retard dans la procédure n’est imputable à Agrokomplex. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a également eu violation de l’article 6 § 1 en raison de la durée de la procédure.

Article 1 du Protocole no 1

La dette de LyNOS à l’égard d’Agrokompleks ayant été confirmée par une décision judiciaire définitive, elle constituait pour Agrokompleks un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Sa réduction consécutive à la réouverture de l’affaire s’analyse en une atteinte au droit de la société requérante au respect de ces biens. Ainsi que la Cour l’a estimé sous l’angle de l’article 6 § 1, l’annulation de l’arrêt de la CSA de juillet 1998 était contraire au principe de sécurité juridique. Elle a empêché Agrokompleks de s’appuyer sur une décision judiciaire contraignante et l’a privée de la possibilité d’obtenir le montant qu’elle pouvait légitimement espérer percevoir. La révision du montant de la dette a donc fait peser une charge excessive sur la société requérante et est incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1.

Eu égard à la conclusion de la Cour selon laquelle les juridictions nationales qui se sont penchées sur la cause d’Agrokompleks ont manqué de l’indépendance et de l’impartialité requises, la Cour estime que l’on n’a pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la nécessité de protéger le droit de la société requérante au respect de ses biens. Il y a donc eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

LES RAPPORTS PUBLICS AVANT LA FORMATION

DE JUGEMENT DE LA COUR DES COMPTES

BEAUSOLEIL C. France arrêt du 6 octobre 2016 requête n° 63970/11

Violation de l'article 6-1 de la convention, le requérant se plaint qu'un rapport public qui a préjugé la décision de la Cour des comptes a son encontre. La violation est constatée.

38. La Cour rappelle que l’impartialité, au sens de l’article 6 § 1, revêt deux aspects. Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Dans le cadre de la démarche objective, seule en cause en l’espèce, il s’agit de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des juges, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 191, CEDH 2003‑VI ; Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 73 et 78, 23 avril 2015).

Il convient de garder à l’esprit que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 63, CEDH 2006‑XIII ; Morice, précité, § 76).

39. À titre liminaire, la Cour observe que le requérant ne remet pas en cause, in abstracto, l’impartialité structurelle de la Cour des comptes, notamment en ce qui concerne la coexistence de ses fonctions contentieuses et de ses attributions administratives. De même, le requérant n’avance pas que les signataires du rapport public auraient participé à la formation de jugement chargée de fixer la ligne des comptes. Dès lors, la Cour examinera en l’espèce le seul point de savoir si les mentions contenues dans le rapport de 1995 constituaient un préjugement de la fixation de la ligne de compte. Elle relève qu’il n’est pas contesté par le Gouvernement que le contenu du rapport public et les questions soumises lors de l’opération de la fixation de la ligne de compte « peuvent passer pour la même affaire » ou la « même décision » (mutatis mutandis, Kleyn et autres, précité, § 200 ; Sacilor‑Lormines, précité, § 73 ; Union fédérale des consommateurs Que choisir de Côte-d’Or c. France (déc.), no 39699/03, 30 juin 2009). Cette opération impliquerait cependant, selon lui, d’aborder cette « même affaire » sous un angle différent, le juge des comptes disposant d’éléments non connus au moment de la publication du rapport, de sorte que ce dernier ne révélerait aucun préjugement sur la ligne de compte.

40. La Cour observe en l’espèce que le Conseil d’État, dans sa décision du 30 décembre 2003, tout en reconnaissant l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à chaque étape de la procédure de gestion de fait, a indiqué que la phase de la fixation de la ligne de compte ne pouvait pas, en principe, être viciée par un préjugement résultant d’un rapport public antérieur. Il a considéré que tel était bien le cas du rapport pour 1995, ses mentions ne révélant aucun préjugement de l’appréciation qu’il incombait à la Cour des comptes de porter au stade de la fixation de la ligne de compte de la gestion de fait (paragraphe 13 ci-dessus). Il est parvenu à une conclusion similaire dans sa décision du 21 mars 2011 (paragraphe 18 ci‑dessus). La Cour est consciente de la spécificité de la procédure litigieuse et de la différence d’objet des phases de détermination de l’existence d’une gestion de fait et de la fixation de la ligne de compte, le juge disposant lors de cette deuxième phase d’éléments dont il n’avait pas connaissance au moment de la publication du rapport public (paragraphes 16 et 37 ci-dessus). Elle estime néanmoins que cette différence ne s’oppose pas à ce que, dans les circonstances particulières d’une espèce, les mentions figurant dans le rapport public puissent être d’une nature telle qu’elles constituent un préjugement de la fixation de la ligne de compte. Le Conseil d’État ne l’a d’ailleurs pas exclu ; en utilisant la formule « en principe » dans sa décision de 2003, il laissait entendre que des mentions faites au rapport public pouvaient constituer un préjugement de la fixation de la ligne de compte (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour doit donc examiner si, comme l’affirme le requérant, le principe d’impartialité faisait obstacle à ce que la décision fixant la ligne de compte, et non celle le déclarant comptable de fait qui n’est pas en cause en l’espèce, soit rendue par la Cour des comptes alors qu’elle avait précédemment fait état, en des termes explicites et détaillés, des opérations irrégulières de l’association dont il était le trésorier.

41. À cet égard, la Cour observe tout d’abord que le rapport public, en décrivant des mouvements illégaux de fonds opérés à Noisy-le-Grand, aborde l’affaire dans son ensemble et ne distingue pas la qualification de la gestion de fait de l’évaluation des sommes irrégulièrement décaissées qu’il mentionne. Elle constate également que l’association est explicitement citée dans le rapport, ainsi que les sommes mises en cause, avec une évaluation chiffrée. Les dépenses sont précisément identifiées, à l’image de la « prime de technicité » versée aux agents, qui « ne pouvaient réglementairement bénéficier d’un tel avantage », ou de la prime « de libéralité » attribuée discrétionnairement. Le rapport souligne en particulier que la prime de technicité constituait en 1993 une dépense de 556 300 FRF, et que la dépense annuelle pour la prime dite de « libéralité » était de l’ordre de 220 000 FRF. Si le requérant n’est pas expressément cité dans le rapport, il était désigné comme « allocataire le mieux rétribué (...) qui signait les chèques dont il était bénéficiaire », ce qui le rendait identifiable pour ceux qui connaissaient le fonctionnement de l’association et par ceux qui pouvaient vouloir mener des investigations sur ce fonctionnement. Enfin, le rapport évoque des « conséquences très dommageables », portant ainsi une appréciation sur la gravité des faits et l’ampleur des sommes en cause. L’ensemble de ces éléments suffit à la Cour pour considérer que les mentions faites au rapport ont pu faire naître dans le chef du requérant des craintes objectivement justifiées d’un défaut d’impartialité de la Cour des comptes lors de la fixation de la ligne de compte. Elle note d’ailleurs à cet égard que la jurisprudence du Conseil d’État postérieure à l’arrêt du 30 décembre 2003 a mentionné des limites au-delà desquelles le rapport public révélerait une prise de position ne permettant plus que la Cour des comptes fixe la ligne des comptes et inflige une amende aux personnes mises en cause (voir la décision du Conseil d’État du 10 mai 2004 citée au paragraphe 26 ci-dessus).

42. En conclusion, dans la présente espèce, la Cour des comptes ne présentait pas, au stade de la détermination de la ligne de compte, les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, il y a violation de cette disposition.

ANALYSE SUBJECTIVE DE LA PARTIALITE D'UN JUGE

La Cedh tente de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion pour savoir s'il y a ou non partialité. La partialité subjective est difficile à démontrer pour un requérant qui a charge de la preuve. Dans l'arrêt Hauschidt contre Danemark du 24 mai 1989 Hudoc 85 requête 10486/83 et dans l'arrêt Thomann contre Suisse du 10 juin 1996 Hudoc 582, requête 17602/91, la CEDH avait précisé que par l'analyse subjective, il s'agit de déterminer précisément les causes d'impartialité personnelle d'un juge suivant l'existence d'une action ou fait antérieur au jugement.

LE PRINCIPE EST L'IMPARTIALITE SAUF PREUVE DU CONTRAIRE : "La Cour ne peut que présumer l'impartialité personnelle de ces magistrats en l'absence de preuve contraire".

EN CONSÉQUENCE, LA CHARGE DE LA PREUVE APPARTIENT AU REQUERANT : Elle doit être suffisante pour que le doute soit "objectivement justifié".

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- LA PARTIALITÉ SUBJECTIVE DU JUGE

- LA TROP GRANDE INFLUENCE DU PROCUREUR OU D'UNE PARTIE

- UN JUGE DE LA COUR DE CASSATION OU DE LA COUR SUPRÊME

- LE JURY DE LA COUR D'ASSISES.

LA PARTIALITÉ SUBJECTIVE DU JUGE

Karrar c. Belgique du 31 août 2021 requête no 61344/16

Article 6-1 : Les circonstances d’une visite du président de la cour d’assises sur les lieux d’un crime ont fait naître des doutes sur son impartialité

L’affaire concerne la procédure pénale à charge de M. Karrar au terme de laquelle ce dernier fut condamné à une peine de réclusion à perpétuité pour l’assassinat de ses deux enfants. Devant la Cour, le requérant se plaint du manque d’impartialité du président de la cour d’assises et en particulier de la rencontre de ce dernier avec la mère des enfants au cours de la semaine qui précéda le procès. La Cour considère que la conduite du président de la cour d’assises a pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre M. Karrar. Elle juge aussi que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par M. Karrar

Art 6 (pénal) • Tribunal impartial • Rencontre de la mère des victimes par le président de la cour d’assises au cours de la semaine qui précéda le procès du requérant pour l’assassinat de ses deux enfants • Conduite du président ayant pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même

FAITS

Le requérant, Abdelmajid Karrar, est un ressortissant belge né en 1959 et résidant à Andenne (Belgique). En décembre 2015, il fut condamné à une peine de réclusion à perpétuité par la cour d’assises de Liège pour l’assassinat de ses deux enfants le 2 août 2013. En mars 2016, M. Karrar apprit par la mère des enfants, partie civile constituée au procès pénal, que le président de la cour d’assises avait pris l’initiative, au cours de la semaine ayant précédé l’ouverture du procès, de prendre rendez-vous par téléphone avec elle aux fins d’effectuer une visite informelle à son domicile et qu’il lui avait, à cette occasion, exprimé sa compassion. En avril 2016, M. Karrar déposa une requête de prise à partie devant la Cour de cassation à l’encontre du président de la cour d’assises. Dans son mémoire, le président de la cour d’assises exposa que les sessions d’assises qu’il préside incluent généralement une visite des lieux et qu’il avait effectué sa visite en vue de percevoir plus clairement la disposition des lieux. Il précisa que s’il admettait avoir fait preuve à l’égard de la mère de la courtoisie que commandait la tristesse des circonstances, et lui avoir « souhaité bon courage pour le procès », il déniait toute manifestation de compassion ou d’empathie à son égard.

Devant la Cour européenne, M. Karrar se plaint du manque d’impartialité du président de la cour d’assises et en particulier de la rencontre de ce dernier avec la mère des enfants au cours de la semaine ayant précédé le procès.

ARTICLE 6-1

En l’espèce, la Cour relève que le président de la cour d’assises a pris l’initiative de contacter par téléphone la mère des victimes et s’était rendu à son domicile avant l’ouverture du procès. Elle constate que cette visite a eu lieu sans que le requérant et son conseil n’eussent été informés de cette initiative et en dehors de la présence de quiconque. En l’absence de témoin, la portée des propos échangés à l’occasion de la visite a fait l’objet d’appréciations diverses devant la Cour de cassation. Le magistrat a ainsi affirmé n’avoir fait preuve que de courtoisie à l’égard de la mère des victimes et lui avoir souhaité « bon courage » pour le procès à venir tandis que le requérant a estimé qu’il avait témoigné de la « compassion ». La Cour admet qu’en tant que telle la manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l’égard d’une partie civile ne peut s’assimiler à l’expression d’un parti pris à l’égard de l’accusé, et qu’elle peut au contraire s’analyser comme l’expression d’une justice à visage humain. La Cour considère qu’elle ne peut conclure, sur cette seule base, à un manque d’impartialité subjective. Néanmoins, elle relève que, dans la mesure où la visite a été sollicitée unilatéralement par le président et, surtout, a eu lieu en dehors de la présence de quiconque, le président a pris le risque que sa démarche puisse être critiquée. Aussi, s’il n’est pas démontré qu’il serait parti de l’idée préconçue que le requérant était coupable des faits dont il était appelé à répondre devant la cour d’assises, la conduite de ce magistrat, d’ailleurs qualifiée de « critiquable » par la Cour de cassation, pouvait faire naître une crainte objective de manque d’impartialité, ce qui est de nature à remettre en cause son impartialité objective. La Cour relève qu’en vertu du droit belge, le jury populaire est composé de douze citoyens tirés au sort. À l’époque des faits, le jury délibérait seul quant à la culpabilité. Les trois magistrats professionnels composant la cour (le président et les deux assesseurs) n’étaient appelés à voter sur la culpabilité que dans l’hypothèse où le verdict de culpabilité n’avait été acquis qu’à une majorité de sept contre cinq. Dans tous les cas, les magistrats professionnels étaient appelés à formuler les principales raisons de la décision du jury. Le cas échéant, le jury et la cour débattent ensemble de la peine à infliger. La procédure devant la cour d’assises est orale et contradictoire. Le président, qui dirige les débats, fait notamment prêter serment aux jurés et, de façon générale, les guide dans l’exercice de leur mission, et met tout en œuvre pour favoriser l’émergence de la vérité. La Cour constate qu’en l’espèce, conformément aux règles en vigueur au moment du procès, le jury a délibéré seul sur la culpabilité du requérant. Pour autant, elle estime que le rôle du président dans le cadre de la procédure dirigée contre le requérant ne saurait être sous-estimé. Le président a ainsi pris part, aux côtés des deux assesseurs et avec le jury, d’abord à la rédaction de l’arrêt de motivation du verdict des jurés, puis à la délibération sur la peine et à l’arrêt concernant celle-ci. Par ailleurs, il disposait d’une grande latitude dans la manière d’organiser les débats devant la cour d’assises en vue de favoriser la manifestation de la vérité. La circonstance que la Cour de cassation ait jugé que l’attitude du président de la cour d’assises, « pour critiquable qu’elle soit », n’était pas constitutive d’un dol ou d’une fraude pouvant donner lieu à la prise à partie n’est pas déterminante aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour considère que la conduite du président a à tout le moins pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

CEDH

27.  Le requérant fait valoir que la visite du président de la cour d’assises met à mal la présomption d’impartialité qui s’applique à ce magistrat et qu’à tout le moins un doute légitime sur l’impartialité de ce dernier ne peut être exclu. Il souligne par ailleurs le rôle important qui incombe au président dans le cadre la procédure devant la cour d’assises.

28.  Le Gouvernement expose que la visite des lieux par le président de la cour d’assises avant le procès entre dans les attributions de ce magistrat en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui revient. Une telle visite peut lui permettre d’évaluer l’intérêt d’organiser une visite des lieux en présence des jurés et des parties durant le procès et d’en fixer les éventuelles modalités en connaissance de cause. Le Gouvernement reconnaît qu’en l’espèce les lieux des faits constituaient la résidence d’une partie civile mais souligne que le déroulement de la visite ne dénote aucun manque de prudence de la part du président de la cour d’assises. Il considère que l’impartialité dont devait faire preuve le magistrat n’exigeait pas qu’il fît abstraction de la douleur de la mère des enfants. Il souligne que bien que le président eût participé à la rédaction de l’arrêt de motivation et à la délibération sur la peine, il s’était limité à tout faire pour favoriser la manifestation de la vérité, le jury ayant délibéré seul sur la culpabilité du requérant.

29.  La Cour rappelle qu’il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, aux prévenus (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005‑XIII). À cet effet, l’article 6 exige qu’un tribunal relevant de cette disposition soit impartial.

30.  L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris. Son existence peut s’apprécier de diverses manières. Aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective, consistant à déterminer si le tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, § 30, série A no 53, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 145, 6 novembre 2018).

31.  S’agissant de la démarche subjective, la Cour a toujours considéré que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 47, série A no 154). Quant au type de preuve requis, elle a par exemple cherché à vérifier si un juge avait fait montre d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 25, série A no 86, Kyprianou, précité, § 119, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 74, CEDH 2015).

32.  Dans le cadre de la démarche objective, même les apparences peuvent revêtir de l’importance (De Cubber, précité, § 26, Hauschildt, précité, § 48, Kyprianou, précité, § 118, Morice, précité, § 78, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 149, et Mugemangango c. Belgique [GC], no 310/15, § 95, 10 juillet 2020). Pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de celui qui met en doute l’impartialité entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Hauschildt, précité, § 48, Kyprianou, précité, § 118, Morice, précité, § 76, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 147).

33.  Une analyse de la jurisprudence de la Cour permet de distinguer deux types de situations susceptibles de dénoter un défaut d’impartialité du juge. Le premier, d’ordre fonctionnel, regroupe les cas où la conduite personnelle du juge n’est absolument pas en cause mais où, par exemple, l’exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire ou des liens hiérarchiques ou autres avec un autre acteur de la procédure suscitent des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal, lequel ne répond donc pas aux normes de la Convention selon la démarche objective. Le second type de situations est d’ordre personnel et se rapporte à la conduite des juges dans une affaire donnée. D’un point de vue objectif, pareille conduite peut suffire à fonder des craintes légitimes et objectivement justifiées, mais peut également poser un problème dans le cadre de la démarche subjective, voire révéler des préjugés personnels de la part des juges. À cet égard la réponse à la question de savoir s’il y a lieu de recourir à la démarche objective, à la démarche subjective ou aux deux dépend des circonstances de la conduite litigieuse Kyprianou, précité, § 121).

34.  En l’espèce, la Cour relève que le président de la cour d’assises avait pris l’initiative de contacter par téléphone la mère des victimes et s’était rendu à son domicile avant l’ouverture du procès. Elle constate que cette visite a eu lieu sans que le requérant et son conseil n’eussent été informés de cette initiative et en dehors de la présence de quiconque.  En l’absence de témoin, la portée des propos échangés à l’occasion de la visite a fait l’objet d’appréciations diverses devant la Cour de cassation. Le magistrat a ainsi affirmé n’avoir fait preuve que de courtoisie à l’égard de la mère des victimes et lui avoir souhaité « bon courage » pour le procès à venir tandis que le requérant a estimé qu’il avait témoigné de la « compassion ».

35.  La Cour admet qu’en tant que telle la manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l’égard d’une partie civile ne peut s’assimiler à l’expression d’un parti pris à l’égard de l’accusé, et qu’elle peut au contraire s’analyser comme l’expression d’une justice à visage humain. La Cour considère qu’elle ne peut conclure, sur cette seule base, à un manque d’impartialité subjective. Néanmoins, elle relève que, dans la mesure où la visite a été sollicitée unilatéralement par le président et, surtout, a eu lieu en dehors de la présence de quiconque, le président a pris le risque que sa démarche puisse être critiquée. Aussi, s’il n’est pas démontré qu’il serait parti de l’idée préconçue que le requérant était coupable des faits dont il était appelé à répondre devant la cour d’assises, la conduite de ce magistrat, d’ailleurs qualifiée de « critiquable » par la Cour de cassation (paragraphe 16 ci-dessus), pouvait faire naître une crainte objective de manque d’impartialité, ce qui est de nature à remettre en cause son impartialité objective. La Cour estime que l’argument du Gouvernement selon lequel une visite des lieux des faits pouvait se rattacher à l’exercice par le président du pouvoir discrétionnaire que lui accordent les articles 255 et 281 du CIC n’est pas de nature à remédier à ce constat.

36.  La Cour a déjà jugé que la circonstance qu’un manque d’impartialité objective ne concerne que l’un des membres d’une formation collégiale n’est pas déterminante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention dans la mesure où le secret des délibérations ne permet pas de connaître l’influence réelle du magistrat concerné au cours de celles-ci (Morice, précité, § 89, Otegi Mondragon c. Espagne, nos 4184/15 et 4 autres, § 67, 6 novembre 2018, Škrlj c. Croatie, no 32953/13, § 46, 11 juillet 2019, et Sigríður Elín Sigfúsdóttir c. Islande, no 41382/17, § 57, 25 février 2020).

37.  La Cour relève qu’en vertu du droit belge, le jury populaire est composé de douze citoyens tirés au sort. À l’époque des faits, le jury délibérait seul quant à la culpabilité. Les trois magistrats professionnels composant la cour (le président et les deux assesseurs) n’étaient appelés à voter sur la culpabilité que dans l’hypothèse où le verdict de culpabilité n’avait été acquis qu’à une majorité de sept contre cinq. Dans tous les cas, les magistrats professionnels étaient appelés à formuler les principales raisons de la décision du jury. Le cas échéant, le jury et la cour débattent ensemble de la peine à infliger. La procédure devant la cour d’assises est orale et contradictoire. Le président, qui dirige les débats, fait notamment prêter serment aux jurés et, de façon générale, les guide dans l’exercice de leur mission, et met tout en œuvre pour favoriser l’émergence de la vérité (paragraphe 17 ci-dessus).

38.  La Cour constate qu’en l’espèce, conformément aux règles en vigueur au moment du procès, le jury a délibéré seul sur la culpabilité du requérant. Pour autant, elle estime que le rôle du président dans le cadre de la procédure dirigée contre le requérant ne saurait être sous-estimé. Le président a ainsi pris part, aux côtés des deux assesseurs et avec le jury, d’abord à la rédaction de l’arrêt de motivation du verdict des jurés, puis à la délibération sur la peine et à l’arrêt concernant celle-ci. Par ailleurs, il disposait d’une grande latitude dans la manière d’organiser les débats devant la cour d’assises en vue de favoriser la manifestation de la vérité.

39.  La circonstance que la Cour de cassation ait jugé que l’attitude du président de la cour d’assises, « pour critiquable qu’elle soit », n’était pas constitutive d’un dol ou d’une fraude pouvant donner lieu à la prise à partie n’est pas déterminante aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour considère que la conduite du président a à tout le moins pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant.

40.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Deli c. République de Moldova du 22 octobre 2019 requête n° 42010/06

Article 6-1 : L’impartialité d’un juge moldave suite à une querelle avec un avocat était sujette à caution

Dans cette affaire, un avocat alléguait qu’une altercation s’était produite entre un juge et lui au cours d’une audience et disait craindre d’être victime, avec son client, d’un manque d’impartialité de la part de ce magistrat pour cette raison. Pour sa part, ce dernier affirmait qu’il s’était borné à assurer la police de l’audience face au comportement perturbateur de l’avocat en question. Avant d’introduire sa requête devant la Cour, celui-ci avait saisi en vain les juridictions internes pour contester sa condamnation pour outrage à magistrat et dénoncer le manque d’impartialité de ce juge. La Cour a notamment conclu que du point de vue d’un observateur extérieur, l’impartialité du juge mis en cause pouvait légitimement susciter des préoccupations. Elle a constaté que les juridictions internes avaient rejeté en bloc les allégations de manque d’impartialité formulées par le requérant, sans les avoir analysées et sans avoir véritablement vérifié les faits. En outre, elle a relevé des vices procéduraux, observant que le magistrat mis en cause avait cumulé les fonctions de procureur et de juge lorsqu’il avait condamné le requérant pour outrage à magistrat. Enfin, la Cour a conclu que le requérant n’avait pas été régulièrement convoqué par la cour d’appel saisie du recours formé par celui-ci contre sa condamnation pour outrage à magistrat, alors pourtant que la nature de l’infraction et des allégations formulées contre le juge exigeaient que la cour l’entende personnellement.

LES FAITS

Le 15 juin 2006, M. Deli représentait à l’audience une partie (X.) dans une affaire civile. Devant la Cour, il affirmait que le juge B., qui siégeait seul, avait laissé l’avocat adverse harceler son client et que lorsqu’il avait essayé d’intervenir, ce juge s’était montré insultant, puis menaçant, et qu’il l’avait finalement condamné pour outrage à magistrat. Le procès-verbal de cette audience indiquait que M. Deli avait insulté l’avocat adverse et qu’il avait eu un comportement perturbateur. M. Deli contesta la teneur du procès-verbal, affirmant que celuici n’était pas exact et que le juge avait ordonné à son assistant de ne pas y faire état de leur altercation. Il ne reçut jamais de réponse à ses objections et aucune décision judiciaire s’y rapportant ne lui fut notifiée.

Au cours de l’audience, M. Deli demanda au juge de se récuser. Le même jour, un autre juge rejeta cette demande de récusation, estimant qu’elle n’était fondée sur aucun des motifs de récusation prévus par le droit interne. Par la suite, M. Deli exerça un pourvoi en cassation, qui fut rejeté par la cour d’appel de Chişinǎu. Constatant que M. Deli avait été convoqué à l’audience, la cour d’appel confirma la décision de la juridiction inférieure, sans plus de précisions. En définitive, la procédure civile se solda par un règlement amiable.

CEDH

La Cour rappelle d’emblée qu’il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance. Dans ces conditions, s’il existe des raisons légitimes de craindre qu’un juge manque d’impartialité dans telle ou telle affaire, le juge en question doit se déporter. La Cour fait observer que l’impartialité s’apprécie selon une démarche tant subjective qu’objective. En l’espèce, le requérant alléguait que le juge B. avait manqué d’impartialité en raison de leur altercation (impartialité subjective) et parce que ce magistrat avait porté contre lui des accusations sur lesquelles il avait lui-même statué (impartialité objective). En ce qui concerne l’impartialité subjective, la Cour observe que le requérant a exercé tous les recours dont il disposait pour contester le manque d’impartialité qu’il reprochait au juge B., mais qu’aucun d’entre eux n’a prospéré. Les juridictions internes ont rejeté en bloc les arguments du requérant, sans aucune analyse ou véritable vérification des faits. En particulier, la demande de récusation formulée par le requérant contre le juge B. a été rejetée par un autre juge dont la décision ne comportait aucune observation sur les allégations de partialité et ne mentionnait aucun fait contredisant la version du requérant. En outre, la cour d’appel de Chişinǎu s’est bornée à confirmer la décision de la juridiction inférieure, sans plus de précisions. Du point de vue d’un observateur extérieur, pareille situation pouvait légitimement susciter des préoccupations quant à un possible manque d’impartialité du juge mis en cause. S’agissant de l’impartialité objective, la Cour relève que le juge B. a cumulé les fonctions de procureur et de juge dans la procédure pour outrage à magistrat dirigée contre le requérant, et qu’il n’existait pas de garanties suffisantes pour exclure toute crainte légitime quant aux conséquences d’une telle procédure sur l’impartialité du juge en question. Faute d’être motivées, les décisions de justice ultérieures n’ont pas remédié à cette situation. En conséquence, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne l’impartialité du juge B. Enfin, la Cour observe que le Gouvernement allègue que le requérant a été convoqué à l’audience, en voulant pour preuve le registre judiciaire national. Toutefois, elle relève qu’aucune pièce du dossier ne prouve que le requérant a bien reçu la convocation en question, comme l’exige le droit interne. Dans ces conditions, la Cour conclut à une nouvelle violation de l’article 6 § 1. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le grief du requérant tiré du défaut de motivation du rejet de son recours ne soulève aucune question distincte sous l’angle de l’article 6 § 1.

S.C. ASUL DE AUR – ARANYASZOK S.R.L. ET FODOR BARABAS c. ROUMANIE

du 3 mars 2015 requête 35720/06

NON VIOLATION DE L'ARTICLE 6-1 : Dans une liquidation judiciaire, le requérant n'arrive pas à démontrer l'impartialité du juge commissaire. Le requérant ne démontre pas que le refus du changement du liquidateur a touché ses droits fondamentaux tirés de l'article 6-1 de la Convention.

a)  Sur le défaut allégué d’impartialité du juge-commissaire

50.  La Cour rappelle que l’impartialité au sens de l’article 6 § 1 s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, par exemple, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III et, pour le rappel des principes généraux, Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, §§ 84-86, CEDH 2014 (extraits)).

51.  Quant à la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire. S’agissant de la seconde démarche, elle conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle du magistrat, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de celui-ci. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres, précité, ibidem).

52.  En l’espèce, la Cour n’est pas persuadée de l’existence d’éléments établissant que le juge-commissaire ait agi avec un préjugé personnel.

53.  Les craintes des requérantes tiennent également au fait qu’après l’infirmation du premier jugement ordonnant la liquidation de la société requérante, le dossier a été confié au même juge-commissaire que précédemment.

54.  Pareille situation pouvait certes, à première vue, susciter des doutes chez les requérantes quant à l’impartialité de ce juge. Cependant, il appartient à la Cour de déterminer si ces doutes se révèlent objectivement justifiés.

55.  À cet égard, la Cour rappelle que la réponse à cette question varie suivant les circonstances de la cause. Le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures adoptées. De même, la connaissance approfondie du dossier par tel juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, toute appréciation préliminaire des données disponibles à un stade antérieur ne saurait non plus être regardée comme préjugeant nécessairement de l’appréciation finale. Il importe seulement que cette appréciation finale n’intervienne qu’avec le jugement et prenne dûment en compte les éléments produits et débattus entre-temps (voir, mutatis mutandis, Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 50, série A no 154 ; Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, §§ 85 et suiv., CEDH 2014 (extraits) et Morel c. France, no 34130/96, § 45, CEDH 2000‑VI).

56.  En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que pendant la phase de redressement de la société requérante, le juge-commissaire a nommé un administrateur judiciaire et a traité des questions relatives à la gestion de la société. Selon le droit interne applicable, son rôle était de veiller au déroulement de la procédure et à la protection des intérêts en présence notamment quant à l’établissement du passif de la société et à l’élaboration du plan de réorganisation. Les parties prenantes à la procédure, y compris la société requérante, ont pu déclarer leurs créances et contester librement celles qu’elles considéraient comme injustifiées. Rien dans le dossier ne permet de conclure qu’au cours de cette phase, le juge-commissaire avait une idée préconçue quant à l’issue de la procédure.

57.  La Cour note ensuite que la liquidation de la société requérante a été ordonnée la première fois par le juge-commissaire en raison de l’opposition manifestée par la majorité des créanciers au plan de redressement.

58.  La Cour estime que le renvoi du dossier au même juge-commissaire après l’infirmation de ce jugement ne saurait justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité, dès lors que le juge n’avait pas adopté auparavant de point de vue sur le plan de redressement et la possibilité de continuation de l’activité. Du reste, c’est précisément dans le fait qu’il avait omis de se prononcer sur ces questions que résidait la cause de l’infirmation de son premier jugement.

59.  Saisi une seconde fois du dossier, le juge-commissaire a d’ailleurs bien estimé, sur la base des éléments fournis par l’administrateur judiciaire et les autres parties, que le plan était viable. Si la mise en liquidation a été prononcée une seconde fois, ce fut uniquement en raison de l’opposition au plan, réitérée par la majorité des créanciers. Aux termes de la loi no 64/1995 le juge-commissaire ne pouvait, malgré sa position favorable au plan, passer outre le vote majoritaire des créanciers.

60.  Par conséquent, il ne saurait être allégué que le prononcé, une première fois, de la liquidation de la société requérante impliquait un préjugé du juge-commissaire sur cette question.

61.  En conclusion, au vu des circonstances particulières de la présente affaire et notamment de la nature et de l’étendue des fonctions du juge‑commissaire, la Cour estime que les doutes des requérantes ne sont pas objectivement justifiés.

b)  Sur le défaut d’accès à un tribunal pour réclamer le remplacement de l’administrateur judiciaire

62.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 garantit à toute personne le droit à voir tranchée par un tribunal toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001‑VIII).

63.  Le droit d’accès aux tribunaux, reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient cependant à la Cour de statuer, en dernier ressort, sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit à cet égard se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein, précité, § 44).

64.  En l’espèce, au vu du rôle de l’administrateur judiciaire dans la procédure de redressement, la Cour considère que la décision sur la demande des requérantes tendant à sa révocation pouvait avoir pour elles des répercussions sur des droits et obligations de caractère civil. En effet, les mesures prises par ledit administrateur, ou sous sa surveillance, ont influencé la capacité de survie économique de la société requérante. Par conséquent, la Cour estime – et, d’ailleurs, les parties en conviennent –, que cette décision entrait bien dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention (mutatis mutandis, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 85, CEDH 2009).

65.  La Cour observe ensuite que la demande de changement d’administrateur judiciaire a été rejetée par le juge-commissaire au motif erroné que pareil changement relevait de la compétence de l’assemblée générale des créanciers. La demande de suspension de la procédure ayant été également rejetée, le pourvoi contre le refus de changer l’administrateur judiciaire a été examiné par la cour d’appel plus de deux mois après son introduction.

66.  La Cour estime que l’examen tardif du pourvoi a compromis en l’espèce l’effectivité de cette voie de recours, dès lors que la déclaration de faillite et la nomination d’un liquidateur judiciaire ont entraîné l’impossibilité d’examiner sur le fond la demande de changement de l’administrateur judiciaire (mutatis mutandis, Cooperativa de Credit Sătmăreana c. Roumanie, no 32125/04, § 39, 11 mars 2014).

67.  La Cour rappelle toutefois que, dans des cas exceptionnels – par exemple lorsque l’effectivité de la mesure sollicitée dépend de la rapidité du processus décisionnel – il peut se révéler impossible de respecter dans l’immédiat toutes les exigences prévues à l’article 6 (Micallef, précité, § 86).

68.  En l’espèce, la Cour note que la célérité de la procédure est un principe directeur de la loi no 64/1995, dès lors que pendant le redressement et la liquidation judiciaire les actions judiciaires ou extrajudiciaires des créanciers sont interdites ou suspendues. Par conséquent, au vu de l’état de cessation de paiement et de l’accumulation par la société requérante d’un passif exigible important, la Cour estime que l’ouverture sans délai de la phase de liquidation judiciaire était justifiée.

69.  Par ailleurs, sans qu’il y ait lieu de spéculer sur ce qu’il serait advenu de la société requérante si l’administrateur avait agi différemment, la Cour note que ce n’est pas la décision erronée du juge-commissaire qui a entraîné la déclaration de faillite de la société requérante, mais l’accumulation persistante de pertes, en ce qu’elle a suscité une opposition résolue de la majorité des créanciers à la continuation de l’activité (voir, a contrario, Cooperativa de Credit Sătmăreana, précité, § 40).

70.  S’agissant de l’ampleur du passif exigible, qui a compromis aux yeux des créanciers les chances de redressement, la Cour constate que la société requérante a eu la possibilité de contester librement et de manière contradictoire l’inscription des créances correspondantes à son passif et qu’elle n’a pas proposé un autre plan de redressement (paragraphes 8 et 9 ci-dessus).

71.  Pour ces raisons, et au regard de l’ensemble de la procédure, la Cour conclut que le rejet de la demande de changement d’administrateur judiciaire ne peut s’analyser en une restriction du droit d’accès des requérantes à un tribunal d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en soit trouvé atteint dans sa substance même.

72.  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Arrêt Kraska Contre Suisse du 19 avril 1993 requête 13942/88

la Cour n'a pas constaté la violation de l'article 6§1 de la Convention. Le requérant n'a pas réussi à démontrer que le juge était impartial.

Le requérant reprochait la partialité du juge qui aurait rejeté un recours par principe, sans rien connaître de l'affaire en cause:

"Le juge Y prit une  part active au délibéré; il alla jusqu'à proposer une solution contraire à celle que préconisait le rapporteur et montra qu'il possédait les données du litige. Pour finir, le tribunal fédéral n'adopta aucun des deux avis exprimés de la sorte: il emprunta une troisième voie suggérée par l'un des trois autres magistrats ()

Au total, rien ne montre que ses membres n'aient pas examiné avec soin le recours avant de statuer. Un élément signalé à bon droit par le Gouvernement, paraît significatif à cet égard : ni le juge Y ni aucun de ses quatre collègues présents ne demandèrent l'ajournement du délibéré alors qu'ils en auraient eu la possibilité; d'après la pratique du tribunal fédéral, s'ils avaient éprouvé le besoin de se familiariser davantage avec le dossier"

ARRÊT STEULET c. SUISSE Requête no 31351/06 du 26 AVRIL 2011

LES FAITS

Le requérant, Jean-Pierre Steulet, est un ressortissant suisse né en 1951 et résidant à Pompaples (Canton de Vaud, Suisse). Il fut partie à plusieurs procédures judiciaires relatives à des accusations d’irrégularités prétendument commises dans la gestion de la commune dont il est résident. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), il soutient que dans l’une de ces procédures le Tribunal fédéral n’était pas impartial, l’un des juges composant la formation saisie de son cas ayant préalablement déjà siégé, dans une autre juridiction, dans une autre affaire le concernant et au cours de laquelle une plainte qu’il avait déposée avait été traitée de « chicanière ».

LA CEDH

a)  Principes applicables

35.  La Cour rappelle d’emblée qu’il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables (Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 27, série A no 257-B). A cet effet, l’article 6 § 1 de la Convention exige que tout tribunal soit impartial.

36. L’impartialité́ peut s’apprécier de diverses manières. La Cour distingue entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur dans une affaire particulière, et une démarche objective, amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Piersack c. Belgique, 1er octobre 1982, § 30, série A no 53, et Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, 16 décembre 2003). La frontière entre les deux notions n’est cependant pas hermétique, car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité, mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005-XIII).

37.  Une analyse de la jurisprudence de la Cour permet de distinguer deux types de situations susceptibles de dénoter un défaut d’impartialité du juge. Le premier, d’ordre fonctionnel, regroupe les cas où la conduite personnelle du juge n’est absolument pas en cause mais où, par exemple, l’exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire (Piersack, arrêt précité) suscite des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal. Le second type de situations est d’ordre personnel. Il se rapporte à la conduite des juges dans une affaire donnée. Pareille conduite peut suffire à fonder des craintes légitimes et objectivement justifiées (Buscemi c. Italie, no 29569/95, § 67, CEDH 1999-VI), mais elle peut également poser problème dans le cadre de la démarche subjective (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 118-119, 28 novembre 2002). A cet égard la réponse à la question de savoir s’il y a lieu de recourir à la démarche objective, à la démarche subjective ou aux deux dépend des circonstances de la conduite litigieuse (Kyprianou, arrêt précité, § 121).

38. Finalement, la Cour souligne que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire (Hauschildt c. Danemark, 24 mai 1989, § 47, série A no 154). La simple circonstance qu’un magistrat se soit déjà prononcé dans le cadre d’une autre procédure concernant le requérant ne saurait, à elle seule, porter atteinte à l’impartialité de ce juge (voir, a contrario, Indra c. Slovaquie, no 46845/99, §§ 51-53, 1er février 2005). Tel est au contraire le cas, lorsque les jugements précédemment rendus contiennent des références ou des anticipations pour les affaires qui restent à trancher (Craxi III c. Italie (déc.), no 63226/00, 14 juin 2001) ou si les questions abordées au cours de la seconde procédure sont analogues à celles sur lesquelles le juge s’est précédemment prononcé (Mancel et Branquart c. France, no 22349/06, § 37, 24 juin 2010).

b)  Application de ces principes au cas d’espèce

39.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour relève que le requérant se plaint du manque d’impartialité du Tribunal fédéral sans préciser s’il se fonde sur la démarche subjective ou objective. Vu les liens existant entre les deux en l’espèce, la Cour se propose d’examiner le grief sous les deux aspects simultanément, en distinguant selon que le requérant s’appuie sur la participation du juge F. à plusieurs procédures consécutives le concernant, ou sur les conséquences qu’il y a lieu de tirer de la motivation de l’arrêt du tribunal d’accusation du 2 octobre 2001.

40.  Pour ce qui est, tout d’abord, de la participation du juge F. aux diverses procédures concernant le requérant, indépendamment de la motivation de l’arrêt du tribunal d’accusation, la Cour est bien consciente que ces procédures s’inscrivaient toutes dans le cadre global d’un litige entre le requérant et les autorités communales de Pompaples au sujet de la réalisation de divers travaux publics. Néanmoins, les faits à la base de chacune d’entre elles étaient différents et les parties n’étaient pas non plus les mêmes.

41.  Ainsi, la première procédure portait sur des poursuites pénales pour diffamation dirigées contre le requérant qui se sont achevées par un non-lieu au motif que le plaignant n’avait pas qualité pour agir (paragraphe 8 ci-dessus). La seconde concernait des allégations de malversations formulées par le requérant concernant la rénovation d’un bâtiment appartenant à la commune (paragraphe 10 ci-dessus) et la troisième une procédure pénale dirigée contre le requérant au motif qu’il avait publiquement soutenu qu’une entreprise avait versé des pots-de-vin au conseil municipal de Pompaples (paragraphe 13 ci-dessus).

42.  La Cour en déduit que la situation du requérant se distingue nettement de celle qui était au centre de l’affaire Mancel et Branquart, où les mêmes juges avaient statué à plusieurs reprises sur les mêmes questions (arrêt précité, § 39). La Cour estime, dès lors, que la participation du juge F. aux différentes procédures concernant le requérant n’était pas de nature à jeter un soupçon sur l’impartialité du Tribunal fédéral.

43.  S’agissant de la motivation de l’arrêt du tribunal d’accusation du 2 octobre 2001, la Cour constate que la question du caractère adéquat des termes utilisés pour motiver cet arrêt (paragraphe 11 ci-dessus) n’est pertinente que dans la mesure où elle permettrait d’en déduire que le juge F. a fait preuve de partialité à l’égard du requérant au cours de la procédure ayant abouti à l’arrêt du 15 février 2006.

44.  A ce propos, la Cour constate que l’adjectif « chicanier » se rencontre tant dans la jurisprudence des tribunaux du canton de Vaud que dans la doctrine s’y rapportant (paragraphe 24 ci-dessus). Il ne s’agit donc pas d’un terme utilisé uniquement dans l’intention de porter un jugement de valeur dépréciatif sur la personnalité du requérant, mais plutôt d’un concept juridique présentant une signification technique. Le fait que le tribunal d’accusation l’ait employé ne permet pas d’en déduire que la juridiction, dont faisait alors partie le juge F., comportait des références, ou des anticipations, pour les autres affaires le concernant. Aux yeux de la Cour, les craintes du requérant ne pouvaient dès lors passer pour objectivement justifiées.

45.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été violé en l’espèce.

LA TROP GRANDE INFLUENCE

DU PROCUREUR OU D'UNE PARTIE

Ali Riza et autres c. Turquie du 28 janvier 2020

requêtes nos 30226/10, 17880/11, 17887/11, 17891/11 et 5506/16

Violation de l'article 6-1 : La Turquie doit réformer son système de règlement des litiges dans le monde du football.

violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme à raison d’un défaut d’indépendance et d’impartialité de la commission d’arbitrage de la fédération turque de football (« la TFF ») qui a statué sur des litiges concernant Ömer Rıza, un joueur de football professionnel, et Serkan Akal, un arbitre.

Dans le cas de M. Rıza, le litige portait sur son contrat, tandis que dans celui de M. Akal, il portait sur sa rétrogradation. Les décisions rendues par la TFF les concernant n’étaient pas susceptibles de contrôle juridictionnel. La Cour juge en particulier que l’organe exécutif de la TFF, le conseil d’administration, qui a toujours été dans une large mesure composé de membres ou de cadres de clubs de football, exerçait une influence excessive sur l’organisation et le fonctionnement de la commission d’arbitrage. De plus, le règlement de la TFF ne prévoyait pas de garanties propres à protéger les membres de la commission d’arbitrage contre les pressions extérieures. Notant que l’affaire a mis en évidence un problème systémique touchant le règlement des litiges dans le milieu du football en Turquie, la Cour indique en vertu de l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts) que l’État doit prendre des mesures visant à assurer l’indépendance structurelle de la commission d’arbitrage. Elle déclare irrecevables les griefs soulevés par trois footballeurs amateurs, en particulier du fait de l’inapplicabilité de l’article 6 à leur cas.

LES FAITS

Les requérants sont Ömer Kerim Ali Rıza, qui a la double nationalité britannique et turque, ainsi que Fatih Arslan, Şaban Serin, Mehmet Erhan Berber et Serkan Akal, qui sont des ressortissants turcs. Ils sont nés respectivement en 1979, 1974, 1980, 1981 et 1977. Ils résident à Broxbourne (RoyaumeUni), Muğla, Kocaeli et Zonguldak (Turquie). M. Rıza était un footballeur du club de Trabzonspor Kulübü Derneği, qui faisait partie de l’élite du football professionnel turc. En 2008, il rentra en Angleterre, son pays d’origine, et son club engagea contre lui auprès de la fédération turque de football (« la TFF ») une procédure pour rupture de contrat. Pour sa défense, M. Rıza avança que le club lui devait des arriérés de salaire et des primes de match. En 2009, la commission d’arbitrage de la TFF conclut que M. Rıza avait mis fin à son contrat de manière illégale et elle le condamna à une amende d’environ 61 596 EUR. M. Rıza fit appel de cette décision auprès du Tribunal arbitral du sport basé en Suisse, mais sa requête fut déclarée irrecevable pour défaut de compétence. Son recours formé auprès du Tribunal fédéral suisse fut rejeté en 2011 et M. Rıza a depuis lors introduit contre la Suisse auprès de la Cour européenne une requête (no 74989/11) qui est toujours pendante. Les deuxième, troisième et quatrième requérants sont des footballeurs amateurs. En 2010, ils furent accusés d’avoir truqué un match de fin de saison important pour leur équipe, İçmeler Belediyespor Kulübü, et une procédure fut ouverte contre eux auprès de la TFF. En première instance, la commission disciplinaire du football amateur de la TFF considéra que les requérants avaient commis l’infraction disciplinaire « d’influence sur les résultats d’un match » et leur interdit toute activité liée au football pendant un an. La commission d’arbitrage confirma ensuite cette décision à l’unanimité. M. Akal, le cinquième requérant, est un arbitre de football. En 2015, il contesta devant la commission d’arbitrage de la TFF la décision par laquelle la fédération l’avait rétrogradé du grade d’arbitre assistant de haut niveau à celui d’« arbitre de province ». La commission considéra que sa rétrogradation était conforme à la loi et à la procédure et elle rejeta son recours.

CEDH

Les griefs des footballeurs amateurs La Cour rejette pour irrecevabilité les griefs soulevés par les requérants sous l’angle de l’article 6 § 1, cette disposition ne trouvant pas à s’appliquer aux procédures qui ont été ouvertes contre les intéressés.

En particulier, au moment des faits, en droit turc, le fait d’influencer les résultats d’un match était constitutif d’une infraction disciplinaire passible de trois années d’interdiction mais ne donnait pas lieu à une décision sur une accusation en matière pénale qui aurait été couverte par l’article 6. La procédure ne relevait pas non plus du champ des droits et obligations de caractère civil. Selon le droit interne, les joueurs de football amateur n’étaient pas rémunérés et, par conséquent, le droit des intéressés à l’exercice d’une profession n’était pas en jeu. De plus, même s’il peut être usuel en Turquie que des footballeurs amateurs perçoivent une rémunération ou d’autres prestations, les requérants n’ont pas produit d’éléments prouvant qu’ils auraient reçu ce type de paiement ou qu’ils auraient conclu un contrat avec leur club. Ils n’ont donc pas prouvé qu’une forme de droit patrimonial fût en jeu dans ce litige. Faute de preuves d’un dommage matériel, la Cour rejette également pour irrecevabilité le grief soulevé par ces requérants sous l’angle de l’article 1 du Protocole n o 1 et de l’article 13.

Les griefs du footballeur professionnel et de l’arbitre

La Cour note qu’à l’époque des procédures des requérants, la commission d’arbitrage disposait d’une compétence exclusive et obligatoire sur les litiges avec M. Rıza et M. Akal, et elle souligne que les décisions de cet organe étaient définitives et non susceptibles d’un contrôle juridictionnel. En tant que telle, la commission d’arbitrage devait donc apporter les mêmes garanties que celles offertes par l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour conclut toutefois à l’absence de garanties adéquates qui auraient permis de protéger les membres de la commission d’arbitrage contre les pressions extérieures, notamment émanant de l’organe exécutif de la TFF, le conseil d’administration, lequel exerçait incontestablement une grande influence sur le mode d’organisation et de fonctionnement de la commission. En particulier, le conseil d’administration, qui désignait les membres de la commission d’arbitrage, avait toujours été constitué dans une large mesure de membres ou de cadres de clubs de football. Les administrateurs représentant les intérêts du football en dehors des clubs étaient minoritaires. La commission d’arbitrage, composée presque exclusivement soit de juristes soit d’universitaires spécialisés en droit du sport, n’était liée par aucune règle de déontologie. Ses membres n’étaient pas tenus de prêter serment ni de faire une déclaration solennelle avant de prendre leurs fonctions. De plus, ils n’étaient pas protégés contre les poursuites civiles. De surcroît, le règlement de la TFF ne prévoyait pas de durée fixe pour le mandat de ses membres. Leur mandat était identique à celui du conseil d’administration et sa durée était donc indûment alignée sur celle du mandat de l’organe exécutif. Par ailleurs, les membres n’étaient pas dans l’obligation de révéler les situations susceptibles de compromettre leur indépendance et leur impartialité et il n’existait pas de procédure spécifique régissant les réclamations les visant pour ces motifs. Dans le cas de M. Rıza, qui était partie à un litige d’ordre contractuel, la Cour considère par conséquent que la balance penchait en faveur du club de football étant donné qu’à l’époque de la procédure contre M. Rıza, tous les membres de la commission d’arbitrage avaient été désignés par le conseil d’administration, au sein duquel les anciens membres ou cadres de clubs de football occupaient une place prépondérante. De la même manière, les larges pouvoirs consentis au conseil d’administration ont forcément été à l’œuvre dans le litige relatif à M. Akal, qui était de nature réglementaire. C’était le conseil d’administration qui établissait les règles régissant la composition, les principes et la procédure de fonctionnement de la commission centrale des arbitres de la TFF, c’est-à-dire l’organe qui a statué en première instance dans son affaire. En effet, le règlement de la TFF imposait que la liste des arbitres élaborée par la commission centrale des arbitres fût soumise pour approbation préalable au conseil d’administration.

En résumé, les requérants avaient des raisons légitimes de douter que les membres de la commission d’arbitrage examineraient leur cas avec l’indépendance et l’impartialité requises. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

Autres griefs

La Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les autres griefs relatifs à l’équité de la procédure devant la commission d’arbitrage, y compris le grief relatif au droit d’accès un tribunal.

Article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts)

La Cour note que la violation constatée met en évidence un problème systémique touchant le règlement des litiges dans le monde du football en Turquie. Elle considère que l’État doit prendre des mesures visant à réformer le système de règlement de ces litiges sous l’égide de la TFF, par exemple restructurer la commission d’arbitrage afin de conférer à cet organe une indépendance suffisante vis-à-vis du conseil d’administration.

Article 41 (satisfaction équitable)

La Cour dit que la Turquie doit verser à M. Rıza et à M. Akal 12 500 euros (EUR) chacun, pour préjudice moral. Elle alloue à M. Rıza 6 975 EUR pour frais et dépens. Elle rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable formulée par ces deux requérants pour le surplus.

UN JUGE DE LA COUR DE CASSATION

OU DE LA COUR SUPRÊME

MORICE C. FRANCE du 11 juillet 2013 Requête 29369/10

«justice must not only be done, it must also be seen to be done»

Un conseiller de la Cour de Cassation soutient le juge soupçonné d'avoir fait disparaître des pièces contre la Scientologie.

L'apparence de partialité subjective est démontrée.

71.  Les principes se dégageant de la jurisprudence en la matière ont été résumés par la Cour comme suit dans l’affaire Micallef c. Malte ([GC], n17056/06, CEDH 2009).

«93.  L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27, 28 et 30, série A no 255-A, et Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000-XII).

94.  Pour ce qui est de la démarche subjective, le principe selon lequel un tribunal doit être présumé exempt de préjugé ou de partialité est depuis longtemps établi dans la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). La Cour a dit que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Wettstein, précité, § 43). Quant au type de preuve exigé, la Cour s’est par exemple efforcée de vérifier si un juge avait témoigné d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 25, série A no 86).

95.  Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou, précité, § 119). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996‑III).

96.  Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Wettstein, précité, § 44, et Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 58, Recueil 1996-III).

97.  L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (voir les affaires de cours martiales, par exemple Miller et autres c. Royaume-Uni, nos 45825/99, 45826/99 et 45827/99, 26 octobre 2004 ; voir aussi les affaires ayant trait à la double fonction du juge, par exemple Mežnarić c. Croatie, no 71615/01, § 36, 15 juillet 2005, et Wettstein, précité, § 47, où l’avocat qui avait représenté les adversaires du requérant a ensuite jugé l’intéressé dans le cadre respectivement d’une même procédure et de procédures concomitantes) ; pareille situation justifiait objectivement des doutes quant à l’impartialité du tribunal et ne satisfaisait donc pas à la norme de la Convention en matière d’impartialité objective (Kyprianou, précité, § 121). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar, précité, § 38).

98. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais «justice must not only be done, it must also be seen to be done» (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber, précité, § 26). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Doit donc se déporter tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII).»

b)  L’application des principes précités au cas d’espèce

72.  La Cour note que, dans la présente affaire, le requérant met en cause l’impartialité du juge J.M. En effet, celui-ci, lors de l’assemblée générale des magistrats du siège du tribunal de grande instance de Paris le 4 juillet 2000, se prononça comme suit au sujet de la juge M., mise en cause à propos de la manière dont elle gérait le dossier d’instruction d’une affaire visant la Scientologie :

« Il n’est pas interdit aux magistrats de base de dire que nous sommes proches de Mme M. Il n’est pas interdit de dire que Mme M. a notre soutien et notre confiance. »

73.  Elle relève en outre que le requérant était précisément l’avocat de certaines parties civiles dans le dossier de la Scientologie et qu’il avait lui-même saisi, à l’époque, la Garde des sceaux des difficultés rencontrées avec la juge M. dans l’instruction de cette affaire.

74.  Or, dans la procédure en cause ici, la juge M. s’était constituée partie civile notamment contre le requérant qui avait fait des déclarations concernant la manière dont l’instruction était menée dans l’affaire du juge Borrel.

75.  La Cour ne relève aucun élément dans le dossier tendant à prouver qu’en l’espèce le juge J.M. ait fait montre de préventions personnelles. Elle examinera donc l’affaire sous l’angle de l’impartialité objective.

76.  Elle constate que le juge J.M. a siégé dans la formation de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui s’est prononcée sur le pourvoi de la juge M. et du requérant dans l’affaire les opposant et les a rejetés, maintenant ainsi la condamnation du requérant. Or, il avait neuf ans auparavant manifesté publiquement son soutien et sa confiance à la juge M. à propos d’une autre affaire dans laquelle celle-ci était juge d’instruction et le requérant conseil d’une partie civile.

Même si la prise de position du juge J.M. remontait à plusieurs années, il n’en demeure pas moins que la juge M. instruisait déjà l’affaire Borrel à l’époque où le juge J.M. fit sa déclaration, que cette affaire avait des répercussions médiatiques et politiques importantes et qu’elle a connu depuis de nombreux rebondissements. De plus, la cour d’appel de Rouen, dans son arrêt du 16 juillet 2008, a souligné que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait été saisie du dossier de l’église de scientologie, dans lequel la juge M. était soupçonnée d’être à l’origine d’une disparition de pièces, sur la demande du requérant, deux jours avant la publication de l’article litigieux, dans lequel ce fait était mentionné. Il apparaît ainsi à la Cour qu’il était clair que le requérant et la juge M. étaient en opposition tant dans le dossier pour lequel cette dernière a reçu le soutien du juge J. M. que dans celui où le juge J. M. a siégé en qualité de conseiller à la Cour de cassation. En outre, il convient de relever que le soutien du juge J.M. avait été exprimé dans un cadre officiel, l’assemblée générale des magistrats du siège du tribunal de grande instance de Paris, et avait un caractère assez général.

77.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans les circonstances de la cause, l’impartialité de la Cour de cassation pouvait susciter des doutes sérieux et que les craintes du requérant à cet égard pouvaient passer pour objectivement justifiées.

78.  Il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Arrêt Deprêt contre France du 10 février 2004 requête 53971/00

"§40: La Cour estime qu'elle doit statuer en tenant compte de la particularité du rôle et de la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation. En effet, les juges de cette Cour  qui sont intervenus à deux reprises dans la procédure ont statué, à chaque fois, sur la légalité et la motivation de décisions rendues par des juridictions du fond. Toutefois, les questions posées par le premier pourvoi portaient sur la légalité de l'introduction alors que celles posées dans le cadre du second pourvoi concernaient la légalité du jugement. Ainsi, ces juges n'ont jamais eu à apprécier le bien fondé de l'accusation portée contre le requérant et ont été amenés à examiner des points de droit différents dans chacun des pourvois. 

§41: En d'autres termes, les questions soumises à l'appréciation de ces magistrats dans le cadre du second pourvoi n'étaient pas analogues aux questions qu'ils avaient eues à traiter lors du premier pourvoi.

§42: Dès lors, la Cour admet que le requérant a pu nourrir des soupçons quant au caractère impartial de la Cour de cassation. Elle estime, cependant, en raison de la différence des questions soumises à la chambre criminelle dans le cadre des deux pourvois, qu'il n'avait pas de raisons objectives de craindre que celle-ci fasse preuve d'un parti pris ou de préjugés quant à la décision qu'elle devait rendre lors du pourvoi contre l'arrêt de condamnation"

Partant, il n'y a pas violation de l'article 6§1 de la Convention.

LES MEMBRES DU JURY DE LA COUR D'ASSISES

Tikhonov et Khasis c. Russie du 16 février 2021 requêtes nos 12074/12 et 16442/12

Article 6-1 sur l'impartialité : Des doutes sur le manque d’impartialité d’un jury n’ont pas été élucidés

Dans cette affaire, les requérants alléguaient que le tribunal qui les avait reconnus coupables du meurtre d’un avocat et d’une journaliste (tués à Moscou en 2009) n’avait pas été impartial. Ils fondaient notamment leurs allégations sur des déclarations faites par des membres du jury à la presse pendant et après la procédure devant la juridiction de première instance. La Cour juge en particulier que les juridictions nationales ne se sont pas entourées de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l’impartialité du jury ayant rendu le verdict de culpabilité à l’égard des requérants et que le droit de ces derniers à être jugés par un tribunal impartial n’a pas été respecté.

Art 6 § 1 (pénal) • Tribunal impartial • Refus de récuser de jurés ayant eu connaissance d’articles publiés sur Internet au sujet du procès et ayant discuté avec une personne extérieure à la formation judiciaire • Comportements des jurés interdits par la loi nationale • Juge président n’ayant pas recherché la véracité des allégations au sujet de la discussion • Juge président n’ayant pas déterminé la teneur des informations étrangères au procès pénal connues des jurés et vérifié leur capacité à demeurer objectifs et impartiaux après en avoir pris connaissance • Absence de mesures adéquates et de garanties suffisantes prises par les juridictions nationales.

FAITS

Suspectés d’être impliqués dans le meurtre de M. Stanislav Markelov (un avocat, militant des droits de l’homme) et de Mme Anastasia Baburova (une journaliste), tués en 2009 à Moscou, les requérants furent arrêtés en novembre 2009. En juillet 2010, ils furent inculpés des chefs de meurtres aggravés, détention illégale d’armes à feu et faux et usage de faux. En décembre 2010, l’affaire fut renvoyée en jugement devant le tribunal de Moscou ; l’affaire fut attribuée au juge N. Les requérants demandèrent à être jugés par un jury. À la fin du mois de janvier 2011, le président du tribunal dessaisit le juge N. de l’affaire et l’attribua au juge Z. qui, par la suite, forma un jury composé de 12 jurés. En avril 2011, la jurée D., se déporta du jury et fut remplacée par un suppléant. Quelques jours plus tard, lors de deux interviews, elle expliqua que certains jurés (M. et N.) avaient exercé une pression sur le jury. Elle précisa également que l’employé du greffe lui avait dit d’indiquer « raisons familiales » comme motif du déport.

En avril 2011, lors d’une audience, les requérants demandèrent au juge Z. de récuser les jurés M. et N, se fondant sur les déclarations faites par D. à la presse. Après avoir invité M. et N. à se prononcer sur la demande de récusation, le juge Z. rejeta cette demande. À la fin du procès, le juge Z. donna lecture de ses instructions aux jurés, sans leur préciser qu’ils ne devaient pas tenir compte des informations parues dans les médias, auxquelles ils avaient pu avoir accès pendant le procès. En avril 2011, les requérants furent reconnus coupables du meurtre aggravé commis en bande organisée de M. Markelov (par huit voix contre quatre). M. Tikhonov fut également reconnu coupable (par huit voix contre quatre) du meurtre de Mme Baburova. En mai 2011, ils furent condamnés à la réclusion à perpétuité (M. Tikhonov) et à 18 ans de réclusion criminelle (Mme Khasis). Quelques jours plus tard, un site Internet publia une interview du juré M. dans laquelle il répondait aux déclarations faites par la jurée D. après son déport de l’affaire. Par la suite, les requérants interjetèrent appel, invoquant notamment une atteinte à leur droit d’être jugés devant un tribunal indépendant et impartial et à leur présomption d’innocence. Ils soutenaient entre autres que le juré M. n’avait pas respecté son obligation de ne pas collecter d’informations sur l’affaire en dehors de l’examen judiciaire ; que lui et quatre autres jurés lisaient les articles publiés sur Internet ; et que tous les jurés discutaient des informations qui y figuraient. En septembre 2011, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma le jugement rendu en mai 2011 et rejeta les demandes des requérants.

PARTIALITE

Article 6 § 1 (droit à un procès équitable) : grief portant sur le manque d’impartialité du jury

La Cour relève que le juge Z. n’a pas cherché à établir la véracité des allégations concernant le comportement de N., notamment quant à la discussion que celle-ci aurait eue avec un membre du greffe du tribunal. Le juge Z. aurait pu interroger les jurés sur l’échange allégué de N. avec un membre du greffe et l’expression par cette jurée de sa position sur l’affaire. La Cour constate ensuite que M. a reconnu avoir consulté régulièrement différents médias sur Internet pour se tenir informé sur le procès pénal, et avoir partagé avec les autres jurés les informations ainsi obtenues. Il a ainsi confirmé une partie des déclarations sur lesquelles reposait la demande de récusation. Or, le juge Z. n’a pas tenté de déterminer si l’impartialité du jury avait été mise à mal par les informations transmises à ses membres, ni dans quelle mesure ce pouvait être le cas. Le juge Z. n’a pas non plus interrogé les autres jurés pour savoir s’ils étaient en mesure de rester impartiaux après avoir pris connaissance des informations que M. leur avait communiquées. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que, pendant le procès, notamment après l’audition de M., le juge Z. ait rappelé aux jurés l’importance de ne pas rechercher d’informations sur l’affaire dans les médias, y compris les médias sur Internet. Certes, il a rappelé aux jurés qu’ils ne devaient pas tenir compte des informations publiées dans les médias, mais ces rappels ont eu lieu avant l’audience du 18 avril 2011, où M. a expressément reconnu avoir régulièrement consulté des articles publiés sur Internet au sujet du procès et avoir partagé les informations ainsi obtenues avec les autres jurés. En outre, alors que tout au long du procès, M., en tant que doyen des jurés, avait assuré au juge que ceux-ci « n’[avaient] pas discuté de l’affaire entre eux », il a déclaré à l’audience du 18 avril 2011 que « quand [les jurés se retiraient] en salle des délibérations après la présentation de preuves, [ils discutaient] uniquement de la question de savoir comment tel élément de preuve correspondait aux autres preuves ». Dans ce contexte, la Cour considère que les instructions données par le juge Z. avant l’audience du 18 avril 2011 n’étaient pas suffisantes pour exclure tout doute raisonnable quant à l’impartialité du jury. Dès lors qu’un juré avait expressément reconnu avoir consulté des articles publiés sur Internet au sujet du procès et avoir partagé avec les autres jurés les informations qu’il avait ainsi obtenues, le juge Z. aurait dû adresser au jury un complément d’instructions en des termes clairs et vigoureux pour s’assurer que le tribunal pouvait être estimé impartial, sinon congédier le jury. Par ailleurs, dans les instructions qu’il a données à la fin du procès, le juge n’a pas rappelé aux jurés qu’ils ne devaient pas tenir compte des informations parues dans les médias auxquelles ils avaient pu avoir accès pendant le procès, notamment par l’intermédiaire de M. La Cour relève enfin que la Cour suprême n’a pas tenu compte de ce que le juge Z. n’avait cherché ni à déterminer la teneur des informations dont M. avait fait part aux autres jurés ni à vérifier si ceux-ci étaient capables de demeurer objectifs et impartiaux après en avoir pris connaissance. En outre, la Cour suprême a refusé de tenir compte des publications jointes par les requérants à leurs mémoires d’appel, au motif que D. n’avait pas pris part aux délibérations du jury. Or, dans leurs mémoires respectifs, les requérants s’appuyaient non seulement sur l’interview donnée par D. le 16 avril 2011 mais aussi sur celle de M., qui datait du 18 mai 2011 et qui était donc postérieure à leur condamnation. Dans cette interview, M. avait cité au moins trois médias qu’il confirmait avoir consultés pendant le procès. De surcroît, il avait indiqué que quatre autres jurés avaient fait de même et que pendant le procès tous les jurés « partageaient des informations » issues des sources médiatiques en question. Ces éléments étaient nouveaux et ne pouvaient pas avoir fait l’objet d’un examen par le juge Z., puisque l’interview était postérieure au 6 mai 2011, date de prononcé du jugement. En refusant de tenir compte de cette interview, la Cour suprême a passé sous silence les déclarations de M. sans indiquer pourquoi elle ne prenait pas en considération cet élément important. En procédant ainsi, cette juridiction a failli à prendre des mesures adéquates pour lever les doutes qui subsistaient quant à la réalité et à la nature des faits allégués. La Cour conclut que les juridictions nationales ne se sont pas entourées de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l’impartialité du jury ayant rendu le verdict de culpabilité à l’égard des requérants. Le droit de ces derniers à être jugés par un tribunal impartial n’a donc pas été respecté et il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

CEDH

41.  La Cour rappelle qu’elle a déjà dit à maintes reprises qu’un tribunal, y compris le jury, doit être impartial, tant du point de vue subjectif que du point de vue objectif (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 46, Recueil 1996‑II, Pullar c. Royaume‑Uni, 10 juin 1996, §§ 29‑30, Recueil 1996-III, Gregory, précité, § 43, Sander, précité, § 22, Farhi c. France, no 17070/05, § 23, 16 janvier 2007, Hanif et Khan c. Royaume-Uni, nos 52999/08 et 61779/08, §§ 138‑140, 20 décembre 2011, et Kristiansen c. Norvège, no 1176/10, § 47, 17 décembre 2015).

42.  Dans le cadre de la démarche subjective, la Cour a toujours considéré que l’impartialité personnelle d’un juge ou d’un juré se présume jusqu’à preuve du contraire (Sander, précité, § 25, et Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). Pour ce qui est de savoir si un tribunal a été impartial d’un point de vue objectif, la Cour doit examiner si, dans les circonstances en cause, il y avait des garanties suffisantes excluant tout doute objectivement justifié ou légitime quant à l’impartialité du jury, étant entendu que l’optique de l’accusé entre à cet égard en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif (Gregory, précité, § 45, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 76, CEDH 2015).

43.  Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 6 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue « un tribunal impartial » lorsque surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux (Farhi, précité, § 25). Confronté à des allégations de manque d’impartialité d’un membre du jury, le juge doit prendre des mesures adéquates compte tenu de la nature des allégations en question, par exemple convoquer le jury pour un complément d’instructions après avoir recueilli les observations des parties (Gregory, précité, §§ 46‑47, sur une allégation selon laquelle l’un des jurés avait tenu des propos racistes), « congédier » le jury dans son ensemble (Sander, précité, § 34, sur une situation où l’un des jurés avait indirectement reconnu être l’auteur de remarques racistes) ou mener une enquête propre à vérifier la réalité d’un fait pouvant faire douter de l’impartialité des jurés et à établir l’influence que ce fait pourrait avoir eue, le cas échéant, sur leur opinion (Remli, précité, § 47, sur une déclaration écrite venant attester de la réalité des propos racistes imputés à l’un des jurés), notamment en procédant à une audition des jurés (Farhi, précité, § 29, sur des allégations de contacts entre certains jurés et le représentant du ministère public).

44.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour constate que le 18 avril 2011, les requérants ont demandé la récusation des jurés M. et N. en s’appuyant sur les déclarations que D. avait faites dans l’interview du 16 avril 2011 (paragraphe 16 ci‑dessus). Selon le Gouvernement, les déclarations de D. étaient non probantes et, de surcroît, contradictoires (paragraphe 37 ci‑dessus). La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la valeur probante des déclarations de D. ni sur la réalité des actes imputés aux jurés M. et N. Elle considère toutefois que les allégations litigieuses n’apparaissaient pas d’emblée manifestement dépourvues de sérieux au point que le juge président ne fût pas tenu de prendre des mesures adéquates pour s’assurer que le tribunal répondait à l’exigence d’impartialité énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il offrait des garanties suffisantes pour dissiper tout doute à cet égard (Farhi, précité, § 28). En outre, elle observe que, selon le droit interne, et notamment l’article 333 § 2 du CPP (paragraphe 29 ci-dessus), les jurés doivent effectivement s’abstenir d’exprimer leur opinion sur l’affaire en dehors des délibérations, de discuter des circonstances de l’affaire avec des personnes ne faisant pas partie de la formation judiciaire et de rechercher des informations sur l’affaire en dehors de l’examen judiciaire. Or, selon les déclarations de D., M. et N. n’avaient pas respecté ces obligations (paragraphes 14‑15 ci‑dessus).

45.  La Cour note que les positions des parties divergent quant à la question de savoir si les mesures prises par les juridictions internes étaient adéquates.

46.  La Cour relève à cet égard que, saisi de la demande de récusation dirigée contre M. et N., le juge Z. a recueilli les observations des parties et donné aux jurés concernés la possibilité de s’exprimer sur le fond de cette demande (paragraphe 16 ci‑dessus). Elle constate toutefois que le juge Z. n’a pas cherché à établir la véracité des allégations concernant le comportement de N., notamment quant à la discussion que celle-ci aurait eue avec un membre du greffe du tribunal. La Cour entend l’argument du Gouvernement consistant à dire que N. n’était pas tenue de commenter la demande de récusation dont elle faisait l’objet (paragraphe 38 ci‑dessus). Cependant, elle estime que le juge disposait d’autres moyens pour vérifier la réalité du fait allégué, par exemple l’audition des autres membres du jury sur ce point (voir, mutatis mutandis, Farhi, précité, §§ 28‑29). Elle note que nul ne prétendait que la scène se fût déroulée pendant les délibérations du jury sur le verdict, protégées par le secret des délibérations en vertu de l’article 341 du CPP (paragraphe 30 ci‑dessus), et que par conséquent, il n’était pas interdit au juge d’interroger les jurés sur l’échange allégué de N. avec un membre du greffe et l’expression par cette jurée de sa position sur l’affaire (voir, a contrario, Gregory, précité, § 44).

47.  La Cour constate ensuite que M. a reconnu avoir consulté régulièrement différents médias sur Internet pour se tenir informé sur le procès pénal, et avoir partagé avec les autres jurés les informations ainsi obtenues (paragraphe 17 ci‑dessus), et qu’il a ainsi confirmé une partie des déclarations sur lesquelles reposait la demande de récusation. Or le juge Z. n’a pas tenté de déterminer – par exemple en recherchant quels étaient les médias que M. avait consultés, le contenu précis des informations qu’il avait ainsi obtenues puis communiquées aux autres jurés, ou encore la période pendant laquelle ces événements avaient eu lieu – si l’impartialité du jury avait été mise à mal par les informations transmises à ses membres, ni dans quelle mesure ce pouvait être le cas. La Cour estime qu’en absence d’une telle vérification, les assurances données par M. quant à sa capacité à demeurer objectif et impartial (paragraphe 17 ci‑dessus) n’étaient pas suffisantes pour exclure tout doute raisonnable à cet égard. Par ailleurs, elle note que le juge Z. n’a pas interrogé les autres jurés pour savoir s’ils étaient en mesure de rester impartiaux après avoir pris connaissance des informations que M. leur avait communiquées.

48.  La Cour rappelle également qu’elle attache une importance particulière aux instructions données aux jurés par le juge (Gregory, précité, §§ 46‑47, et Hanif et Khan, précité, § 143 ; voir également Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 198, 9 novembre 2018, sur l’importance de donner au jury des instructions et des éclaircissements dans les procès d’assises). En l’espèce, elle constate qu’il ne ressort pas des pièces du dossier dont elle est saisie que pendant le procès, notamment après l’audition de M., le juge Z. ait rappelé aux jurés l’importance de ne pas rechercher d’informations sur l’affaire dans les médias, y compris les médias sur Internet (voir, à titre de comparaison, Abdulla Ali c  Royaume‑Uni, no 30971/12, §§ 40‑41 et 96, 30 juin 2015, où le juge avait rappelé aux jurés de manière « intermittente » pendant tout le procès qu’ils ne devaient pas faire de recherches sur Internet relativement à l’affaire pénale soumise à leur examen).

49.  Certes, il ressort des extraits du procès-verbal communiqués par le Gouvernement qu’à deux reprises le juge Z. a rappelé aux jurés qu’ils ne devaient pas tenir compte des informations publiées dans les médias (paragraphe 12 ci‑dessus). Cependant, il en ressort aussi que ces rappels ont eu lieu avant l’audience du 18 avril 2011, à laquelle M. a expressément reconnu avoir régulièrement consulté des articles publiés sur Internet au sujet du procès et avoir partagé les informations ainsi obtenues avec les autres jurés. Par ailleurs, même si, en l’absence de toute preuve du contraire, il est raisonnable de penser que le jury suivra les instructions du juge (Szypusz c. Royaume‑Uni, no 8400/07, § 85, 21 septembre 2010, et Beggs c. Royaume‑Uni (déc.), no 15499/10, § 128, 16 octobre 2012), la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, un certain nombre d’éléments étaient propres à renverser cette présomption. En effet, alors que tout au long du procès, M., en tant que doyen des jurés, avait assuré au juge que ceux-ci « n’[avaient] pas discuté de l’affaire entre eux » (paragraphe 11 ci‑dessus), il a déclaré à l’audience du 18 avril 2011 que « [q]uand [les jurés se retiraient] en salle des délibérations après la présentation de preuves, [ils discutaient] uniquement de la question de savoir comment tel élément de preuve correspondait aux autres preuves » (paragraphe 17 ci‑dessus). Dans ce contexte, la Cour considère que les instructions données par le juge Z. avant l’audience du 18 avril 2011 n’étaient pas suffisantes pour exclure tout doute raisonnable quant à l’impartialité du jury. Dès lors qu’un juré avait expressément reconnu avoir consulté des articles publiés sur Internet au sujet du procès et avoir partagé avec les autres jurés les informations qu’il avait ainsi obtenues, le juge Z. aurait dû adresser au jury un complément d’instructions en des termes clairs et vigoureux pour s’assurer que le tribunal pouvait être estimé impartial, sinon congédier le jury. Par ailleurs, dans les instructions qu’il a données à la fin du procès, le juge n’a pas rappelé aux jurés qu’ils ne devaient pas tenir compte des informations parues dans les médias auxquelles ils avaient pu avoir accès pendant le procès, notamment par l’intermédiaire de M. (paragraphe 19 ci‑dessus).

50.  La Cour observe ensuite que, lorsqu’ils ont interjeté appel du jugement du 6 mai 2011, les requérants se sont à nouveau plaints d’un manque d’impartialité des jurés M. et N. et, de surcroît, ils ont produit devant la juridiction d’appel les déclarations que M. avait faites dans son interview du 18 mai 2011, notamment celles dans lesquelles il reconnaissait avoir consulté différents médias et indiquait que quatre autres jurés avaient fait de même et que tous les jurés avaient discuté des informations ainsi obtenues (paragraphe 23 ci‑dessus).

51.  La Cour observe que, pour motiver son rejet des griefs que les requérants tiraient d’un défaut d’impartialité, à leurs yeux, des jurés M. et N., la Cour suprême a noté qu’aucun élément ne venait démontrer leur thèse, notamment en ce qui concernait « la collecte et la diffusion auprès des autres jurés, par [M.], de renseignements sur l’affaire pénale extérieurs au procès » (paragraphe 25 ci‑dessus). Elle estime que cette appréciation ne tenait pas compte de ce que le juge Z. n’avait cherché ni à déterminer la teneur des informations dont M. avait fait part aux autres jurés ni à vérifier si ceux-ci étaient capables de demeurer objectifs et impartiaux après avoir pris connaissance de ces informations (paragraphe 46 ci‑dessus). Elle note que la Cour suprême a refusé de tenir compte des publications jointes par les requérants à leurs mémoires d’appel, au motif que D. n’avait pas pris part aux délibérations du jury (paragraphe 25 ci‑dessus). Or, dans leurs mémoires respectifs, les requérants s’appuyaient non seulement sur l’interview donnée par D. le 16 avril 2011 mais aussi sur celle de M., qui datait du 18 mai 2011 et qui était donc postérieure à leur condamnation. Dans cette interview, M. avait cité au moins trois médias qu’il confirmait avoir consultés pendant le procès, et, de surcroît, il avait indiqué que quatre autres jurés avaient fait de même et que pendant le procès tous les jurés « partageaient des informations » issues des sources médiatiques en question (paragraphe 22 ci‑dessus). Contrairement à ce qu’avance le Gouvernement (paragraphe  40 ci‑dessus), ces éléments étaient nouveaux et ne pouvaient pas avoir fait l’objet d’un examen par le juge Z., puisque l’interview était postérieure au 6 mai 2011, date de prononcé du jugement. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la valeur probante des déclarations que M. avait faites dans son interview du 18 mai 2011. Cependant, la Cour constate que, ayant refusé de tenir compte de cette interview au motif que « [l]es éléments publiés dans les médias au sujet des jurés et repris par les requérants dans leurs mémoires d’appel ne peuvent être pris en compte ni servir de fondement pour l’annulation du jugement de condamnation » (paragraphe 25 ci‑dessus), la Cour suprême a passé sous silence les déclarations de M. sans indiquer pourquoi elle ne prenait pas en considération cet élément important. Elle estime que, en procédant ainsi, cette juridiction a failli à prendre des mesures adéquates pour lever les doutes qui subsistaient quant à la réalité et à la nature des faits allégués (voir, dans le même sens, Shcherbakov c. Russie [comité], no 49506/12, § 23, 8 octobre 2019, et les affaires qui s’y trouvent citées). Eu égard à ce qui précède, elle considère que la Cour suprême n’a pas pris de mesures adéquates pour dissiper tout doute quant à l’impartialité du jury.

52.  Dès lors, elle estime que les juridictions nationales ne se sont pas entourées de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l’impartialité du jury ayant rendu le verdict de culpabilité à l’égard des requérants et que, partant, le droit de ces derniers à être jugés par un tribunal impartial n’a pas été respecté en l’espèce.

53.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Ahmed c. Royaume-Uni du 29 septembre 2016, requête no 57645/14

Non violation de l'article 6-1 de la Conv EDH, la Cour déboute un homme condamné pour pédophilie qui estimait son procès inéquitable

La Cour note que, s’il avait été établi qu’un juré avait communiqué des informations confidentielles sur les délibérations du jury à des groupes d’extrême-droite, le manque d’impartialité du juré et du jury aurait été démontré. Or il n’y avait tout simplement aucune preuve d’une communication de ce type. L’impartialité d’un jury est présumée jusqu’à preuve du contraire. Dans le procès de M. Ahmed, tant le juge de la formation de jugement que la CCRC ont examiné les allégations d’impartialité. Le juge a pu directement demander aux jurés si une faute avait été commise et jauger leurs réactions lorsqu’ils ont répondu par la négative. La CCRC avait le bénéfice du temps, du recul et des ressources offertes par la police pour enquêter à ce sujet. Or ni lui ni elle n’a trouvé la preuve que le jury avait communiqué des informations sur ses délibérations – d’ailleurs, les éléments recueillis disculpaient plutôt celui-ci. Il n’y avait donc aucune preuve que le jury avait divulgué des informations à des groupes d’extrême-droite et avait été impartial. De plus, la Cour attache une importance particulière à ce que l’allégation d’impartialité a été examinée par l’instance d’appel nationale (en l’occurrence la Cour d’appel), laquelle, de par sa connaissance et son expérience des procès avec jury, était particulièrement bien placée pour dire si un procès manque d’équité. En l’espèce, la Cour fait sienne la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le procès avait été entouré de six garanties particulières, lesquelles suffisaient à exclure tout doute quant à l’impartialité du jury. Il s’agissait : des questionnaires au jury, qui confirmaient que les jurés n’étaient en rien associés au BNP et à l’EDL ; de la méticulosité dont avait fait preuve le juge dans l’établissement des faits ; des instructions données par celui-ci au cours du procès sur ce que devait faire le jury ; de la teneur des notes du jury et de l’ordre des verdicts ; du fait que certains des accusés n’avaient pas été jugés coupables ; et du fait que les verdicts paraissaient rationnels et conformes aux preuves recueillies. De plus, s’ajoutant à ces six garanties, la Cour constate que le procès dans son ensemble était entouré de six autres garanties qui permettaient de préserver davantage l’impartialité du jury. Il s’agissait : du serment prêté par les membres du jury et des instructions générales données par le juge ; de leur isolement, notamment des plus amples mesures prises de manière à ce qu’ils fussent préservés de la publicité qui entourait le procès ; du pouvoir qu’avait le juge de réagir rapidement à la divulgation d’informations concernant les délibérations ; de l’enquête de la CCRC, notamment du pouvoir qu’elle avait de faire appel aux ressources de la police ; du contrôle opéré par la Cour d’appel, notamment de la faculté pour elle d’ordonner d’importantes mesures d’enquête ; et du pouvoir qu’avait la Cour d’appel d’annuler la condamnation en cas de doute quant à la solidité de celle-ci. L’impartialité n’ayant pas été établie, la Cour juge manifestement mal fondé le grief de M. Ahmed.

Pullar contre Royaume-Uni du 10 juin 1996 Hudoc 581 requête 22399/93.

La CEDH analyse strictement l'existence d'une possible partialité d'un juré de Cour d'assises. Elle constate que le juré est seul parmi les 15 et que s'il avait été lié par un contrat de travail avec un témoin à charge, il avait été licencié trois jours avant l'audience.

"La Cour rappelle que les appréhensions de Monsieur Pullar quant à l'impartialité du Tribunal se fondent sur le fait que l'un des jurés Monsieur Forsyth, était employé par le cabinet dont Monsieur Mac Laren, l'un des témoins à charge, était l'associé. On peut comprendre que ce type de relation puisse inquiéter un accusé. Toutefois, l'idée que se fait le prévenu de l'impartialité du tribunal ne saurait passer pour décisive. L'élément déterminant consiste à savoir si des doutes peuvent être considérés comme objectivement justifiés ()

Cependant, le fait qu'un membre du Tribunal connaisse personnellement l'un des témoins n'implique pas nécessairement que le dit membre aura un préjugé favorable à l'égard du témoignage de cette personne"

En l'espèce, Monsieur Forsyth avait été licencié trois jours avant la première audience. Il n'était qu'un membre des quinze autres jurés:

"Les appréhensions de Monsieur Pullar quant à l'impartialité du Tribunal qui l'a jugé ne sauraient passer pour objectivement justifiées"

Remli contre France du 23 avril 1996 Hudoc 569 requête 16839/90

Le requérant est un maghrébin condamné par une Cour d'assises alors qu'un des jurés avait déclaré "en plus je suis raciste"

"§48: La Cour considère que l'article 6-1 de la Convention implique pour toute juridiction nationale, l'obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue "un tribunal impartial" au sens de cette disposition lorsque, comme en l'espèce, surgit sur ce point une contestation qui n'apparaît pas d'emblée manifestement dépourvue de sérieux.

Or, dans la présente affaire, la cour d'assises du Rhône n'a pas procédé à une telle vérification, privant ainsi Remli de la possibilité de remédier, le cas échéant, à une situation contraire aux exigences de la Convention. Cette constatation, eu égard à la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer au justiciable, suffit à la Cour pour conclure à la violation de l'article 6§1"

HANIF ET KHAN C. ROYAUME UNI du 20 décembre 2011 requête N° 52999/08 et 61779/08

La présence d'un policier dans un jury d'assises est une violation de la Convention

Principaux faits

Les requérants, Ilyas Hanif et Bakish Allah Khan, sont des ressortissants britanniques nés respectivement en 1967 et 1978. À la date de l'introduction de sa requête, M. Hanif purgeait une peine de huit ans d'emprisonnement et M. Kahn purge actuellement une peine de 15 ans d'emprisonnement. Ils furent tous deux reconnus coupables en janvier 2007 d'association de malfaiteurs aux fins d'un trafic d'héroïne.

Au cours du procès, où ils étaient coaccusés, M. Hanif plaida qu'un tiers avait laissé les stupéfiants dans sa voiture. Le tribunal fit entendre des policiers, qui dirent n’avoir vu personne d'autre dans le véhicule. L'un des jurés, AT, indiqua au juge qu'il était lui même policier en exercice et qu'il connaissait MB, l'un des agents qui avaient déposé. AT déclara qu'il connaissait MB depuis une dizaine d'années et que, à trois reprises, ils avaient collaboré sur le même incident, mais pas dans la même équipe. Ils n'avaient jamais travaillé dans le même commissariat et ne se fréquentaient pas. La défense demanda la récusation d’AT mais le juge rejeta celle-ci. AT devint ensuite le premier juré.

Les requérants firent appel de leur condamnation, plaidant le défaut d’impartialité du jury qui les avait condamnés du fait de la présence du policier. En mars 2008, la Cour d'appel confirma le verdict. Elle s’appuya sur une modification récente apportée à la loi de 2003 sur la justice pénale, qui permettait aux personnes exerçant certaines fonctions auparavant incompatibles avec le statut de juré, notamment celles de policier, de siéger au sein d'un jury pénal. Elle en conclut qu’un policier ne pouvait, de par sa seule fonction, passer pour biaisé en faveur de l'accusation. L'agent qui avait siégé comme juré dans le procès des requérants étant totalement étranger aux poursuites dans cette affaire, elle ne constata aucune violation de l'article 6.

La demande de pourvoi devant la Chambre des Lords formulée par les requérants fut rejetée en juin 2008.

LA CEDH

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il est essentiel dans une société démocratique que les tribunaux inspirent confiance au public et aux prévenus et souligne la nécessité de s'assurer que les jurés ne sont pas biaisés et qu'il n'y a aucune apparence d'impartialité.

Elle relève que la loi de 2003 sur la justice pénale, qui permet pour la première fois aux policiers de siéger dans les jurys en Angleterre et au Pays de Galles, s’écarte de la règle suivie dans un certain nombre d'autres pays où le procès se tient devant un jury. Parmi les juridictions examinées par la Cour (1), seules deux autorisent les policiers à être jurés (2) et, dans chacun d'eux, il est possible de s'opposer discrétionnairement à leur présence dans le jury. Des sondages dans un certain nombre de pays (3) sont montré que le public préférait que les policiers restent exclus de la fonction de juré. La Cour en conclut que, au vu des circonstances de l'espèce, les effets de cette modification de la loi appellent un examen particulièrement minutieux.

Comme moyen de défense, M. Hanif avait surtout contesté les témoignages des policiers, dont MB. La crédibilité de ces dépositions était donc manifestement un point litigieux entre la défense et l'accusation. La Cour estime que les témoignages des policiers avaient donné lieu à une controverse majeure et qu’un policier membre du jury qui connaissait personnellement le témoin clé de l’accusation risquait de nourrir un parti pris en faveur de la police. En l'espèce, bien que le juré et le témoin ne fussent pas du même commissariat, AT connaissait MB depuis 10 ans et avait collaboré avec lui à trois reprises. La Cour en conclut que M. Hanif n'a pas été jugé par un tribunal impartial, en violation de l’article 6 § 1.

Les requérants étaient coaccusés dans le cadre de la même instance pénale et avaient été reconnus coupables par le même jury. La Cour considère que, ayant jugé à l'issue de son examen du grief de M. Hanif que le jury, en raison de la présence d’AT, ne pouvait passer pour un « tribunal impartial » aux fins de l’article 6 § 1, il serait artificiel de parvenir à une conclusion différente concernant le « tribunal » qui a jugé M. Khan. Elle conclut donc également à la violation de l’article 6 § 1 dans le chef de M. Khan.

1 Écosse, Irlande du Nord, Irlande, Malte, France, Belgique, Norvège, Autriche, Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, New York et Hong Kong.

2 Belgique et New York.

3 Écosse, Irlande, Nouvelle-Zélande, Australie et Hong Kong.

FARHI c. FRANCE Requête no 17070/05 du 16 janvier 2007

Le parquet s'entretient avec le jury d'assise en particulier

"23.  La Cour note d’emblée l’importance fondamentale qu’il y a à ce que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 27). A cet effet, elle a souligné à maintes reprises qu’un tribunal, y compris un jury, doit être impartial, tant du point de vue subjectif que du point de vue objectif (voir, parmi beaucoup d’autres, Pullar c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 792, § 30).

24.  Pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de redouter dans le chef d’une juridiction un défaut d’indépendance ou d’impartialité, le point de vue de l’accusé entre en ligne de compte, mais sans pour autant jouer un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (Remli, précité, § 46 ; Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, § 73 ; Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 71 ; Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003-XII).

25.  La Cour rappelle que dans l’affaire Remli (précitée) elle a précisé que l’article 6 § 1 de la Convention impliquait pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue « un tribunal impartial » au sens de cette disposition lorsque surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux.

26.  S’agissant de la fonction exercée par le représentant du ministère public au cours d’un procès pénal, la Cour estime que, s’il est vrai que la partie civile et le ministère public ne sont pas des « adversaires » (voir notamment Berger c. France, no 48221/99, § 38, 3 décembre 2002, CEDH 2002-X), il n’en va pas de même pour le prévenu et le ministère public, qui ont des intérêts à la fois distincts et opposés.

27.  La Cour constate qu’en l’espèce le conseil du requérant a demandé qu’on lui donne acte d’une communication selon lui illicite entre le représentant du ministère public et certains membres du jury. La Cour est d’avis qu’une telle allégation apparaît, en raison de la fonction de représentation de l’accusation remplie par l’avocat général au cours d’un procès criminel, suffisamment grave pour qu’une enquête propre à vérifier la survenance du fait litigieux soit diligentée par le président de la cour d’assises. En outre, elle observe que, selon le droit interne (article 304 du code de procédure pénale, voir § 14 ci-dessus), les jurés ne doivent en effet communiquer avec quiconque lors du procès.

28.  La Cour relève à cet égard que, contrairement à l’affaire Remli où la cour d’assises s’était contentée de rejeter la demande de donné acte, au motif que les faits dénoncés se seraient passés hors de sa présence, le président de la cour d’assises a décidé en l’espèce d’organiser un débat contradictoire au sujet de l’incident. A cette occasion, le président et ses assesseurs ont entendu les avocats du requérant et de la partie civile, l’avocat général puis l’accusé. Pour autant, le Gouvernement n’établit pas en quoi ce débat aurait permis de déterminer le contenu de la communication ni l’identité des jurés concernés. Or, il appartenait à la juridiction interne d’employer l’ensemble des moyens à sa disposition afin de lever les doutes quant à la réalité et à la nature des faits allégués.

29.  La Cour estime, en particulier, que seule une audition des jurés aurait été à même de faire la lumière sur la nature des propos échangés et sur l’influence que ceux-ci pouvaient avoir eu, le cas échéant, sur leur opinion.

30.  En outre, la rédaction de l’arrêt incident de la cour d’assises ne permettait ni à la Cour de cassation, ni, a fortiori, à la Cour de céans, de déterminer l’efficacité de la vérification opérée par la cour d’assises et, partant, de se prononcer sur la violation éventuelle de la disposition conventionnelle invoquée. La décision se bornait en effet à constater la tenue d’un débat contradictoire et l’absence de violation des dispositions de l’article 304 du code de procédure pénale sans fournir aucune précision sur les éléments probatoires ayant pu être obtenus à l’issue de ce débat.

31.  Dès lors, la Cour estime que la vérification opérée en l’espèce ne peut être considérée comme effective, puisqu’elle a privé le requérant de la possibilité d’invoquer son grief de manière efficace devant la Cour de cassation.

32. Cette constatation suffit à la Cour pour conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention."

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LES EXPERTS JUDICIAIRES DOIVENT ETRE IMPARTIAUX

MURAT AKIN c. TURQUIE du 9 octobre 2018 requête n° 40865/05

Article 6-1 : contre expertise confiée au même expert - réponse de la CEDH : pas de problème, pourquoi ?

45. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions internes. À cet égard, il reproche au tribunal du travail d’avoir confié la contre-expertise à l’expert qui avait été chargé de la première expertise. Il reproche également aux autorités administratives d’avoir délibérément induit les juridictions internes en erreur quant à son statut en le faisant passer pour un fonctionnaire.

Par ailleurs, le requérant se plaint que sa cause n’ait pas été entendue dans un délai raisonnable.

46. Pour autant que le requérant se plaint que le tribunal du travail ait confié la contre-expertise à l’expert qui avait dressé le rapport initial, la Cour observe qu’il s’agissait notamment d’un litige relatif à la question de savoir si les augmentations de salaire prévues par la convention collective concernée étaient applicables dans les circonstances de l’espèce. Dans ce contexte, pour autant que le grief du requérant puisse être compris comme visant l’appréciation des preuves et le résultat de la procédure menée devant les juridictions internes, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015).

47. Elle rappelle encore que la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et que, lorsqu’un expert a été désigné, l’essentiel est que l’intéressé ait la possibilité de participer de manière adéquate à la procédure (Letinčić c. Croatie, no 7183/11, §§ 46-51, 3 mai 2016).

48. En l’espèce, la Cour observe que l’intéressé a bénéficié d’une procédure contradictoire et qu’il a pu présenter ses arguments de fait et de droit devant le tribunal du travail. En effet, le requérant a eu la possibilité de soumettre ses commentaires tant sur le rapport d’expertise du 22 janvier 2001 que sur celui du 19 mars 2001. Par ailleurs, la Cour relève que, dès lors que le requérant avait demandé une contre-expertise en sollicitant notamment la prise en compte des clauses pertinentes de la convention collective relatives à l’augmentation de la rémunération, le rapport d’expertise complémentaire du 19 mars 2001 avait fourni une simulation du montant en application de ces clauses, pour le cas où le tribunal estimerait que les augmentations prévues par la convention collective devaient s’appliquer à la rémunération du requérant. Elle souligne enfin que le tribunal du travail a rendu une décision dûment motivée (paragraphe 25 ci‑dessus). Eu égard aux documents dont elle dispose, la Cour ne voit aucun arbitraire dans la procédure suivie devant le tribunal du travail.

49. Par ailleurs, la Cour note que, dans certaines circonstances, le refus des juridictions nationales d’autoriser une expertise complémentaire ou alternative peut être considéré comme une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Letinčić, précité, § 50, et les références qui y figurent). Cela dit, elle précise qu’il ne peut être déduit de cette disposition une obligation générale pour un tribunal national de designer de nouveaux experts du seul fait qu’une partie l’y a invité (voir, mutatis mutandis, Mirilachvili c. Russie, no 6293/04, § 189, 11 décembre 2008, et H. c. France, 24 octobre 1989, §§ 60-61, série A no 162‑A). En effet, ce n’est que dans des circonstances particulières telles qu’un manque de neutralité d’un expert que cette disposition peut nécessiter la nomination de nouveaux experts (voir, par exemple, Sarıdaş c. Turquie, no 6341/10, § 35, 7 juillet 2015). Or tel n’est pas le cas en l’espèce, aucune circonstance particulière n’ayant été invoquée par le requérant.

50. S’agissant des allégations du requérant selon lesquelles les autorités administratives ont délibérément induit les juridictions internes en erreur quant à son statut en le faisant passer pour un fonctionnaire et non un employé, la Cour relève que cette affirmation n’est étayée par aucune pièce du dossier.

51. Quant au grief relatif à la durée excessive de la procédure, la Cour observe que la période à prendre en considération a débuté le 3 août 2000, avec la saisine du tribunal du travail par le requérant, et qu’elle s’est achevée le 3 mars 2005, avec l’arrêt de la Cour de cassation. Cette période a donc duré environ quatre ans et sept mois, et ce pour deux juridictions saisies.

52. La Cour renvoie aux critères découlant de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 143, 29 novembre 2016).

53. En l’espèce, elle observe que l’affaire revêtait une complexité certaine compte tenu de la nature de la question litigieuse ainsi que des problèmes de compétence ayant surgi entre les différentes juridictions. En outre, examinant les différentes phases de la procédure, la Cour note qu’elles se sont déroulées à un rythme régulier et elle ne décèle aucun retard substantiel imputable aux autorités compétentes.

54. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la durée de la procédure n’est pas excessive et qu’elle a répondu à l’exigence de célérité requise par l’article 6 § 1 de la Convention.

55. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Spycker C. Suisse du 10 décembre 2015 requête 26275/12

Irrecevabilité : Le rejet de la demande de rente d’invalidité n’a été ni inéquitable ni discriminatoire. Il n'y a aucun élément objectif contre les experts même s'ils sont liés à l'administration

Article 6 § 1

S’agissant du grief relatif au manque d’impartialité et d’indépendance du centre d’observation médicale dont les experts sont rémunérés par l’assurance-invalidité, la Cour rappelle que le seul fait que des experts soient employés par l’autorité administrative appelée à se prononcer sur un dossier n’autorise pas en soi à les juger incapables d’agir avec l’objectivité requise. En outre, ce centre n’est pas une unité de l’administration fédérale mais une société anonyme chargée d’exécuter des expertises médicales pour tous les mandants qui en font la demande, comme par exemple les Offices de l’assurance-invalidité.

Par ailleurs, la Cour constate que Mme Spycher, qui n’a pas récusé les experts du centre d’observation médicale, n’a invoqué aucun motif pour se plaindre du prétendu manque d’indépendance et d’impartialité des experts qui l’ont examinée, hormis les relations contractuelles liant ce centre d’observation médicale à l’assurance-invalidité,. Par conséquent, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé.

Au regard du grief tiré du caractère non équitable de la procédure devant les tribunaux lorsqu’ils se fondent sur ces expertises, la Cour observe que la cause de Mme Spycher a été entendue par l’assurance-invalidité deux fois, ainsi que par le tribunal cantonal et par le Tribunal fédéral. Lors de la deuxième procédure, l’assurance-invalidité a ordonné une expertise auprès du centre d’observation médicale pour compléter l’instruction médicale du dossier. Mme Spycher a eu ensuite la possibilité de se prononcer sur le rapport d’expertise, et il ressort du dossier qu’elle n’a pas vraiment fait usage de cette possibilité. Elle et son représentant ont par ailleurs participé à une audience publique du tribunal cantonal et la procédure a été contradictoire. Le fait que le tribunal cantonal n’a pas donné suite à la demande de Mme Spycher d’interroger deux médecins en qualité de témoins, de même qu’il a refusé d’ordonner une expertise judiciaire ou « surexpertise » relève de la libre appréciation des preuves. Il n’apparaît donc pas que le tribunal cantonal, comme cela a été confirmé par le Tribunal fédéral, ait apprécié de manière arbitraire la documentation médicale, en particulier l’expertise privée produite par Mme Spycher et celle du centre d’observation médicale. La Cour estime que rien n’indique que la procédure, dans son ensemble, était inéquitable et rejette cette partie du grief pour défaut manifeste de fondement.

Article 14, combiné avec l’article 8

La Cour constate que la différence de pathologie entre les deux syndromes (sans substrat organique ou avec substrat organique) relève d’un diagnostic médical, de sorte que l’on ne peut pas prétendre que les personnes souffrant de l’un ou de l’autre se trouvent dans une situation analogue ou comparable.

Les deux genres de syndromes se distinguent par la présence ou l’absence d’une composante organique objectivable par les instruments de la médecine. Le fait que Mme Spycher n’ait pas obtenu de rente d’invalidité sur la base de cette distinction ne la discrimine donc pas par rapport à une autre personne qui l’aurait obtenue, étant atteinte d’un syndrome avec substrat organique.

De plus, indépendamment de la différence de caractère des deux syndromes, une différence de traitement trouverait sa justification objective et raisonnable dans le fait qu’une rente d’invalidité ne peut être accordée sur la base d’un diagnostic simplement subjectif, c’est-à-dire non objectivé par les instruments de la médecine. Ainsi lors de l’expertise du centre d’observation médicale, la capacité de travail de Mme Spycher a été objectivement déterminée par les médecins experts.

La Cour rejette donc le grief pour défaut manifeste de fondement.

Article 14, combiné avec les articles 2 et 3

La Cour constate que Mme Spycher n’a pas suffisamment soulevé ce grief devant le Tribunal fédéral et n’a pas, de ce fait, épuisé les voies de recours internes. Elle n’a pas non plus étayé ce grief devant la Cour qui le rejette pour défaut manifeste de fondement.

L'EXPERT NE PEUT ÊTRE MEMBRE DE LA JURIDICTION

Arrêt D.N contre Suisse du 29 mars 2001 requête 27154/95

violation de l'article 6§1 de la Convention. La Cour estime que considérées globalement, ces circonstances sont objectivement de nature à justifier les craintes nourries par la requérante quant à l'impartialité de R W siégeant comme juge au sein de la Commission des recours administratifs"

"L'impartialité personnelle d'un juge se présume jusqu'à preuve du contraire, non rapportée en l'espèce () les appréhensions de la requérante ne pouvaient qu'être renforcées par la position occupée par R.W au sein de la Commission des recours administratifs, où il était à la fois le seul expert psychiatre et l'unique personne à avoir entendu la requérante. Celle-ci pouvait légitimement craindre que l'avis de R.W pesât un poids particulier dans la prise de décision ()

LE DROIT DE CONTESTER UNE EXPERTISE

ET DE PRÉSENTER UNE CONTRE EXPERTISE

Hodžić c. Croatie du 4 avril 2019 requête n° 28932/14

Article 6-1 en matière civile et pénale : Un internement psychiatrique jugé contraire au principe de l’égalité des armes

L’affaire avait pour objet l’internement du requérant en établissement psychiatrique.

La Cour a jugé en particulier que, faute d’avoir ordonné un nouveau rapport d’expertise répondant aux griefs formulés par M. Hodžić ou d’avoir permis à celui-ci de faire interroger l’« expert », la possibilité pour lui de contester les conclusions d’un rapport d’expertise sollicité par l’accusation avait été nettement entravée.

La Cour a relevé en outre que, au cours de la procédure ultérieure concernant l’internement psychiatrique d’office de M. Hodžić, celui-ci n’avait pu produire aucun élément en sa faveur pour contester la nécessité et les motifs de cette mesure.

FAITS

En mai 2012, M. Hodžić fut arrêté et mis en détention parce qu’il était soupçonné d’avoir menacé deux personnes au téléphone. Au cours de l’enquête conduite par le parquet compétent, une experte psychiatre, E.S., présenta son rapport sur l’état mental du requérant, qui indiquait que ce dernier était atteint de schizophrénie paranoïde. Elle conclut qu’il représentait pour autrui un danger qui justifiait son internement en établissement psychiatrique. En août 2012, E.S. dut produire un supplément à son rapport comportant davantage de pièces médicales sur les soins psychiatriques antérieurement dispensés à M. Hodžić. Elle avait obtenu le dossier médical auprès du médecin généraliste de ce dernier mais n’avait pas pu joindre son psychiatre, V.G. Sur la base des nouvelles pièces, elle confirma son avis antérieur. Parallèlement, M. Hodžić avait été libéré parce que le délai de détention provisoire maximal avait expiré. En décembre 2012, lors d’une audience devant le tribunal pénal de Zagreb, il demanda l’audition de V.G., de son médecin généraliste et d’autres témoins qui pouvaient tous selon lui témoigner de son état mental. Au cours de la procédure, il présenta aussi deux rapports médicaux produits par V.G., qui indiquait qu’il n’était pas atteint de schizophrénie paranoïde. Cependant, en janvier 2013, le tribunal ordonna l’internement en établissement psychiatrique de M. Hodžić pendant six mois parce qu’il avait commis une infraction pénale, à savoir des menaces graves, sans jouir de la capacité mentale. Il estima que les rapports médicaux communiqués par V.G n’étaient pas fiables parce qu’ils contredisaient les conclusions de l’experte E.S. et qu’ils avaient été produits par un médecin privé. M. Hodžić fit appel et chercha à former un recours constitutionnel, mais en vain. Une fois le jugement du tribunal de Zagreb devenu définitif, M. Hodžić se rendit à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, où il fut examiné par deux experts en médecine légale et par un psychologue. Les experts conclurent qu’il était atteint de différents troubles mentaux, mais pas de schizophrénie paranoïde. En octobre 2013, un juge du tribunal de comté de Zagreb ordonna son internement en établissement psychiatrique. M. Hodžić fit appel, s’appuyant sur le nouveau rapport d’expertise, mais il fut débouté au motif que rien dans les moyens d’appel ne faisait douter de la nécessité de son internement, comme l’avait établi le tribunal pénal. M. Hodžić est toujours en liberté, les autorités internes n’ayant pu le localiser.

Article 6 § 1 (volet pénal)

Concernant la procédure pénale, la Cour constate que les tribunaux internes ont tenu pour acquises les raisons évoquées par E.S. pour justifier son incapacité à joindre V.G., sans vérifier leur fiabilité. De plus, ils ont écarté les conclusions des deux rapports écrits de V.G. au motif qu’elles contredisaient celles de d’E.S. et qu’elles émanaient d’un médecin privé. La Cour rappelle que la manière dont la défense peut demander l’assistance d’experts peut varier. Or elle constate que, en s’appuyant inconditionnellement sur l’expertise d’E.S. et en écartant les éléments à décharge, les tribunaux internes ont causé un préjudice injuste à M. Hodžić. Dans un domaine aussi complexe que la psychologie d’une personne et la prédiction de sa dangerosité, il est parfois difficile de contester un avis d’expert sans l’aide d’un autre expert. Placer la défense dans une situation aussi désavantageuse par rapport à l’accusation n’était pas conciliable avec le principe de l’égalité des armes dans un procès. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 sous son volet pénal.

Article 6 § 1 (volet civil)

Concernant l’internement psychiatrique de M. Hodžić, la Cour rappelle qu’une mesure conduisant à une privation de liberté doit reposer sur une expertise médicale suffisamment récente. Elle ajoute que la question de savoir si une expertise est suffisamment récente varie selon les cas. La Cour relève que, au stade de la procédure relatif à l’internement d’office, M. Hodžić n’a pas pu produire le moindre élément en sa faveur pour contester la nécessité de son internement, alors même que près de 13 mois s’étaient écoulés depuis la production du rapport d’E.S. et que V.G. et le groupe de psychiatres de Sarajevo en avaient contesté les conclusions. De plus, le tribunal pénal de Zagreb n’a pas retenu que, une fois M. Hodžić libéré de sa détention provisoire, rien n’indiquait que ce dernier eût été mêlé à un quelconque incident où il aurait constitué une menace pour lui-même ou pour autrui. La Cour conclut qu’imposer une restriction générale à la possibilité pour M. Hodžić de produire des éléments de preuve à ce stade de la procédure, alors même qu’un laps de temps considérable s’était écoulé depuis la décision d’internement initiale, n’était pas conciliable avec les exigences d’un procès équitable et avec l’obligation pour les tribunaux d’examiner en bonne et due forme les prétentions, arguments et moyens de preuve des parties. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 sous son volet civil.

CONSTANTINIDES c. GRÈCE du 6 octobre 2016 requête 76438/12

non Violation de l'article 6-1 et 6-3 de la CEDH, l'expert est un témoin. Il n'est pas venu à l'audience mais il a pu présenté trois contre expertises.

i) Principes généraux

37. La Cour rappelle que la notion de « témoin » est une notion autonome qui se conçoit indépendamment du sens qu’elle revêt dans le droit interne des Etats contractants (Kostovski c. Pays-Bas, du 20 novembre 1989, série A no A 166, § 40, et Damir Sibgatulin c. Russie, no 1413/05, § 45, 24 avril 2012). Si le libellé de l’article 6 § 3 d) se réfère aux témoins et non pas aux experts, les garanties du paragraphe 3 constituent des éléments inhérents du droit à un procès équitable prévue au paragraphe 1 de l’article 6. La Cour a alors conclu que le droit de l’accusé d’interroger des experts est protégé par le principe général posé par l’article 6 § 1 et il est examiné sous l’angle de celui-ci, « tout en ayant aussi à l’esprit les exigences du paragraphe 3 » (Brandstetter c. Autriche, précité, § 42 et Matytsina c. Russie, no 58428/10, § 168, 27 mars 2014).

38. L’avis d’un expert nommé par la juridiction compétente pour traiter les questions soulevées par l’affaire est susceptible de peser de manière significative sur la manière dont ladite juridiction appréciera l’affaire. L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001‑II, et Solakov c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 47023/99, § 57, CEDH 2001-X). Si un tribunal décide qu’une expertise est nécessaire, la défense de l’accusé devrait avoir la possibilité de poser des questions aux experts, de contester leurs conclusions et de les examiner directement à l’audience (Mirilashvili c. Russie, no 6293/04, § 190, 11 décembre 2008).

39. Dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne (no 9154/10, § 111-131, CEDH 2015), la Grande Chambre a confirmé que l’absence de motif sérieux justifiant la non‑comparution d’un témoin ne pouvait en elle-même rendre un procès inéquitable, bien qu’elle demeure un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès, qui est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d). De plus, le souci de la Cour étant de s’assurer que la procédure dans son ensemble était équitable, elle doit vérifier s’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires où les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation de l’accusé, mais aussi dans celles où elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (Seton c. Royaume-Uni, no 55287/10, § 59, 12 septembre 2016). La Cour considère que ces principes sont applicables, mutatis mutandis, dans la présente affaire qui concerne des experts.

ii) Application des principes en l’espèce

40. En l’espèce, la Cour observe d’abord qu’en dépit du fait que la cour d’appel criminelle, statuant comme juridiction de première instance, avait ordonné la comparution de M.M.K., elle n’a pas persisté à l’entendre et n’a donné aucune explication en ce sens. Statuant en appel, la cour d’appel a rejeté d’emblée la demande du requérant en considérant que la comparution de l’experte n’était pas nécessaire. Les juridictions grecques n’ont donc pas déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer la comparution de M.M.K.

41. D’autre part, la Cour note qu’en première instance, la cour d’appel a souligné que la falsification des certificats par les accusés, dont le requérant, était prouvée de manière fondée et sans aucun doute, notamment par le rapport de M.M.K., dont la crédibilité était renforcée par les documents du dossier et les dépositions des témoins. Statuant comme juridiction d’appel, elle a estimé que le contenu et les conclusions du rapport étaient convaincants et allaient dans le sens des documents des différentes autorités étatiques et des dépositions des témoins. Il ressort de ces formulations que tant en première instance qu’en appel, la cour d’appel a considéré que le rapport d’expertise de M.M.K. était un document important corroboré par les autres éléments de preuve.

42. Reste à examiner si face à ces deux éléments précités défavorables au requérant, celui-ci a bénéficié des éléments compensateurs suffisants propres à lui assurer un « procès équitable ».

43. À cet égard, la Cour relève d’abord que, suite à la désignation de M.M.K. comme experte, à la demande du parquet, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, avait nommé une autre experte, C.T.S., comme « conseillère technique » pour l’assister, comme le droit interne lui en offrait la possibilité. Toutefois, il n’eut jamais recours aux services de celle-ci. En outre, les 7, 28 et 29 décembre 2004, le requérant a déposé trois rapports d’expertise établis par un autre expert, D.K., qu’il avait engagé, et qui concluaient que les documents litigieux n’étaient pas rédigés par le requérant et que le rapport de M.M.K. était erroné (paragraphe 13 ci-dessus). Cet expert cité devant la cour d’appel criminelle, statuant en première instance, a comparu et a défendu ses rapports qui étaient favorables au requérant.

44. La Cour note aussi que si le requérant a contesté les compétences professionnelles de M.M.K. lors de l’exposé de sa défense devant le juge d’instruction, il ne l’a jamais fait devant les juridictions de jugement, devant lesquelles il s’est contenté de mettre en doute les conclusions du rapport de celle-ci. Par ailleurs, et plus particulièrement en première instance, le requérant, qui avait demandé la comparution de M.M.K., n’a pas réagi ni lorsque celle-ci était absente à la réouverture de l’audience, ni à la fin de celle-ci lorsque le président de la cour d’appel a demandé aux parties si elles souhaitaient des examens supplémentaires (paragraphe 16 ci-dessus).

45. Il apparaît donc que le requérant avait eu des possibilités de réfuter les conclusions du rapport de M.M.K. et il en a fait usage, notamment en soumettant trois rapports d’expertise, établis par l’expert qu’il avait nommé, D.K., qui a présenté ses conclusions de vive voix à l’audience devant la cour d’appel, statuant comme juridiction de première instance.

46. La Cour attache aussi du poids au fait que le requérant n’a pas expliqué devant la cour d’appel, statuant comme juridiction d’appel, les motifs pour lesquels il souhaitait interroger M.M.K. à l’audience. Si elle convient avec lui qu’il ne serait pas opportun de révéler d’avance les questions qu’il comptait poser à M.M.K., il aurait été raisonnable qu’il donnât à la cour d’appel une indication au moins concernant les motifs qui rendaient l’interrogatoire de M.M.K. absolument nécessaire ou ce que cet interrogatoire aurait apporté de plus aux conclusions de l’expert D.K. Or, le requérant ne donne pas ces indications, pas même actuellement devant la Cour.

47. La Cour note que les juridictions du fond ont souligné que le contenu et les conclusions du rapport de M.M.K. allaient dans le même sens qu’une série d’autres documents officiels, établis notamment par les autorités fiscales, l’Office de la forêt et la Direction des services criminelles, ainsi que les dépositions des témoins (paragraphe 21 ci-dessus). À cet égard, il convient de relever que le dossier comprenait 105 documents comportant 1 500 pages environ. Le rapport de M.M.K. était un des documents du dossier.

48. Elle estime ainsi que la présente affaire devrait être distinguée des cas dans lesquels les juridictions de fond fondent de manière déterminante leur constat de culpabilité d’un requérant sur les dépositions des témoins à charge que ce dernier n’a pu interroger à aucun stade. En l’espèce, il ne s’agit pas de témoins ayant fait des dépositions sur des faits qu’ils ont vu ou appris par ouï-dire (voir, parmi beaucoup d’autres, Nikolitsas c. Grèce, no 63117/09, §§ 38-39, 3 juillet 2014), mais d’un rapport d’expertise établi par un expert indépendant nommé par les autorités judiciaires dans le cadre de l’instruction de l’affaire pour éclairer le tribunal sur un aspect technique du dossier et dont les constats ont été soumis à la critique d’un expert nommé par le requérant lui-même. C’est sur ce point que la présente affaire se distingue de l’affaire Matytsina, précitée, dans laquelle la Cour a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) au motif, notamment, que le tribunal disposait d’un rapport d’expertise établi par l’accusation, sans la participation de la défense, et dont les constats n’ont pas pu être contestés par la défense à l’audience (Matytsina, précité, § 175).

49. En revanche, dans la présente affaire, au moins au stade de l’audience, l’expert nommé par le requérant a pu tant par écrit qu’oralement mettre en doute les conclusions de M.M.K. Si le requérant ne l’a pas fait à un stade antérieur à l’audience, cela est dû à son propre comportement car il n’a pas sollicité l’assistance de la conseillère technique qu’il avait lui-même nommée (paragraphe 11 ci-dessus).

50. En bref, si la cour d’appel criminelle, statuant en première instance, n’a pas fait tout ce qu’elle pouvait pour obliger M.M.K. à comparaître devant elle, M.M.K. était un expert et non un témoin et son rapport n’a été ni la pièce unique ni la pièce déterminante pour la condamnation du requérant. Par ailleurs, ce dernier a bénéficié des éléments compensateurs suffisants car il a nommé son propre expert qui a soumis trois rapports et qui a déposé à l’audience. Les exigences du contradictoire ont donc été respectées à son égard.

51. Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge que les droits de la défense du requérant n’ont pas subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable.

52. Il n’y a pas eu, dès lors, violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

MATYTSINA C. RUSSIE du 27 mars 2014 requête 58428/10

Manque d’équité dans l’administration de la preuve au cours du procès d’un professeur de yoga accusé d’exercice illégal de la médecine. Il n'a pas pu contester les expertises. Ses contre expertises n'ont pas été examinées.

S’agissant de l’absence à l’audience de la victime alléguée, Mme S.D., la Cour souligne que la défense n’avait pas renoncé à son droit de la faire interroger en qualité de témoin. Cependant, la Cour relève que la décision des juridictions russes de ne pas citer Mme S.D. à comparaître était fondée sur deux certificats médicaux déconseillant sa comparution au motif que pareille mesure pouvait conduire à une rechute. En conséquence, la Cour est disposée à admettre que cette décision n’était pas arbitraire.

Qui plus est, la Cour estime que la déposition de Mme S.D. ne renfermait aucune preuve concluante contre la requérante. Elle relève notamment que la défense n’avait pas contesté que Mme S.D. avait participé aux formations comme elle s’en était expliquée, et qu’elle avait eu des problèmes de santé par la suite. Il s’agissait en l’espèce de savoir, en premier lieu, s’il y avait un lien de causalité direct entre le trouble mental de Mme S.D. et sa participation aux formations, et, en second lieu, si les méthodes employées par l’association devaient ou non être qualifiées de « médicales ». Mme S.D.

étant profane en la matière, il est peu probable qu’elle aurait pu apporter un éclairage sur ces questions. Dans ces conditions, la Cour est disposée à admettre que l’absence à l’audience de Mme S.D. n’a pas causé de préjudice important aux intérêts de la défense. En conséquence, elle conclut à la non-violation de l’article 6 § 3 d) de ce chef.

En ce qui concerne l’administration des preuves expertales portant sur la première des deux questions principales qui se posaient en l’espèce, c’est-à-dire le point de savoir si la participation de Mme S.D. aux formations dispensées par l’association lui avait causé un préjudice corporel ou psychique, la Cour relève que la défense a été désavantagée à plusieurs égards au cours de la procédure. Elle observe notamment que les rapports d’expertise constituaient un élément central du dossier de l’accusation, surtout celui établi le 25 juillet 2003 sous la direction du Dr. Ig., que la défense n’a pourtant jamais pu interroger alors qu’il était le principal expert cité par l’accusation. Par ailleurs, la défense n’a jamais pu participer au processus de réalisation des expertises dans le cadre de l’enquête préalable à l’inculpation de la requérante. En outre, le procureur et la juridiction de renvoi ont refusé de procéder à des examens complémentaires. Enfin, la défense s’est trouvée dans l’impossibilité quasi-totale de contester les rapports d’expertise en présentant des preuves à décharge. La Cour conclut que la manière dont les rapports d’expertise portant sur la santé mentale de Mme S.D. ont été administrés a placé la défense dans une position si désavantageuse par rapport à l’accusation que le principe de l’égalité des armes s’en est trouvé compromis.

La Cour relève que la situation de la défense a été légèrement plus favorable en ce qui concerne l’administration des preuves expertales portant sur la deuxième question principale, celle de savoir si les méthodes employées par l’association devaient ou non être qualifiées de « médicales ». La défense ayant été informée du dernier en date des examens pratiqués aux fins de l’expertise, elle aurait pu poser des questions complémentaires à l’expert ou désigner un autre expert.

Toutefois, l’administration des éléments des preuves expertales portant sur la deuxième question n’était pas exempte d’importants défauts. La Cour relève notamment que la défense n’a pas été en mesure de contester le dernier en date des rapports d’expertise, le tribunal ayant écarté des débats deux expertises proposées par celle-ci. En outre, aucune des deux décisions rendues par la juridiction de jugement ne mentionnait un rapport d’expertise qui avait été réalisé en mai 2004 au stade de l’enquête préliminaire et qui était clairement favorable à la défense en ce qu’il concluait que les formations dispensées par l’association ne revêtaient pas un caractère « médical ».

Autrement dit, ce rapport n’a jamais été communiqué au tribunal, ou celui-ci n’en a pas tenu compte. Dans un cas comme dans l’autre, il a été porté atteinte de ce fait aux principes fondamentaux du procès équitable. En outre, alors que l’expert auteur de ce rapport – le Dr. A. – avait été interrogé en qualité de « spécialiste » dans le cadre du premier procès qui s’était soldé par la relaxe de la requérante, sa déposition a été écartée des éléments de preuve produits dans le cadre du second procès au motif qu’il avait déjà participé à la procédure par la reddition du rapport en question. En définitive, les conclusions de cet expert, quelle qu’en fût la forme, n’ont pas été examinées au cours du procès, au détriment de la défense.

En conclusion, la Cour estime qu’il a été extrêmement difficile à la défense de contester de manière efficace les preuves expertales produites par l’accusation devant la juridiction de jugement, preuves sur lesquelles reposaient les charges retenues contre la requérante. En conséquence, elle conclut à la violation de l’article 6 § 1.

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