LES DROITS DE LA DÉFENSE

ARTICLE 6-3 DE LA CEDH

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"Les droits de la défense sont toujours bafoués dans les erreurs judiciaires"
Frédéric Fabre docteur en droit.

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ARTICLE 6§3 DE LA CONVENTION

"Tout accusé a droit notamment à:

a/ être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui

b/ disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (droit de participer aux débats de son procès)

c/ se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent

d/ interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge

e/ se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience"

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LIEN entre L'ARTICLE 6§3 et L'ARTICLE 6§1

Meftah et autres C. France du 26/07/2002 Hudoc 3840 requêtes 32911/96, 5237/97 et 34595/97

"§48 : La Cour rappelle que le paragraphe 3 de l'article 6 renferme une liste d'applications particulières du principe général énoncé au paragraphe 1;  les divers droits qu'il énumère en des termes non exhaustifs représentant des aspects, parmi d'autres, de la notion de procès équitable en matière pénale ()

En veillant à son observation, il ne faut pas perdre de vue sa finalité profonde ni le couper du " tronc commun" auquel il se rattache. La Cour examine donc un grief tiré de l'article 6-3 sous l'angle de ces deux textes combinés  (6§1 et 6§3)"

LA GRANDE CHAMBRE DE LA CEDH a rendu un arrêt de principe IBRAHIM et autres C. Royaume Uni du 13 septembre 2016, requêtes 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/08 concernant les droits de la défense de terroristes.

DROIT D'ÊTRE INFORME DE TOUTE ACCUSATION PORTEE CONTRE SOI

Dallos contre Hongrie du 01/03/2001 Hudoc 2390; requête 29082/95

quot;La Convention reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de "l'accusation" c'est à dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d'une manière détaillée"

CASSE c. LUXEMBOURG du 27 AVRIL 2006 Requête no 40327/02

"A.  Sur la recevabilité

71.  La Cour rappelle que les garanties énoncées au paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti au plan général par le paragraphe 1. Dans ces conditions, la Cour examinera le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (cf., entre autres, arrêts Unterpertinger c. Autriche du 24 novembre 1986, série A no 110, p. 14, § 29 ; Artner c. Autriche du 28 août 1992, série A no 242-A, p. 10, § 19 ; Pullar c. Royaume-Uni du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 706, § 45 ; Foucher c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 464, § 30).

En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si le requérant peut être considéré comme ayant été informé, dans le plus court délai et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, comme l’exige l’alinéa a) de l’article 6 § 3 de la Convention. A cet égard, la Cour relève en premier lieu que cette disposition vise une personne accusée d’une infraction. Elle rappelle par ailleurs que, dans le contexte de la Convention, les mots « accusé » et « accusation pénale » correspondent à une notion autonome et doivent être interprétés par référence à une situation matérielle et non formelle (Padin Gestoso c. Espagne (déc.), no 39519/98, CEDH 1999-II (extraits) – (8.12.98)).

72.  Pour les mêmes raisons que celles analysées sous les paragraphes 29 à 33, la Cour estime qu’à partir du 17 mai 1996 le requérant doit être considéré comme « accusé ». Par conséquent, l’article 6 § 3 a) de la Convention est applicable en l’espèce.

73.  Ceci étant, la Cour relève que ce grief renvoie à celui tiré du droit au respect à un procès évacué dans un délai raisonnable et doit donc aussi être déclaré recevable.

B. Sur le fond

74. La Cour se doit de constater que le requérant – qui doit être considéré comme « accusé » à partir du 17 mai 1996 – n’a, à l’heure actuelle, soit presque dix ans plus tard, toujours pas été inculpé, ni même convoqué devant le juge d’instruction.

A cet égard, la Cour se doit de rappeler que ce dernier annonça, dès le 25 septembre 1996, au requérant qu’il serait « convoqué en temps utile ». Suite à deux relances, le juge d’instruction répondit à l’intéressé, le 21 octobre 1996, que l’instruction risquait de durer ; il rajouta que, dans la mesure où le requérant n’était pas encore inculpé ni ne figurait au dossier à un quelconque autre titre, des renseignements plus concrets ne pouvaient être fournis (voir paragraphe 18 ci-dessus).

Dans une note adressée à la police le 15 mai 1997, le même juge écrivit qu’il était « impensable que l’exécution des différents devoirs d’instruction ne puisse être envisagée qu’au plus tôt pour octobre 1998, reculant aux calendes grecques les auditions devant le soussigné sans même parler d’une éventuelle comparution devant le juge du fond » (voir paragraphe 20 ci-dessus).

En date du 15 février 2002, le juge d’instruction répondit au requérant que « (...) l’enquête auprès de la police judiciaire, section analyse criminelle et financière, [était] toujours en cours au vu des devoirs d’instruction ordonnés par [lui]-même» (voir paragraphe 25 ci-dessus).

75.  Les circonstances particulières telles que décrites ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 a) de la Convention."

SUR LA REQUALIFICATION DES FAITS PAR LE JUGE PÉNAL

Pelissier et Sassi contre France du 25 mars 1999 Hudoc 966; requête 25444/94

Les requérants contestent la requalification juridique des faits de banqueroute en complicité de banqueroute par la Cour d'Appel:

"§51: La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3/a de l'article 6 montrent la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l'"accusation" à l'intéressé. L'acte d'accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de la signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulées contre elle () L'article 6§3/a de la Convention reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est à dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce, comme l'a justement relevé la Commission, d'une manière détaillée.

§52: La Cour considère qu'en matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure.

§53: Les dispositions de l'article 6§3/a n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui"

Partant, il y a violation de l'article 6§3/a

§54: Quant au grief tiré de l'article 6§3/b de la Convention, la Cour estime qu'il existe un lien entre les alinéas a/ et b/ de l'article 6§3 et que le droit à être informé sur la nature et la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit de l'accusé de préparer sa défense"

La Cour analyse en l'espèce, in concreto les conséquences du choix de la Cour d'Appel de requalifier les faits de banqueroute en complicité de banqueroute:

"La complexité nécessite également la présence d'un élément matériel c'est à dire la commission d'un acte spécifique tel que prévu à l'ancien article 60 du code pénal, et d'un élément intentionnel, à savoir la conscience de l'aide apportée à la commission de l'infraction ()

"§63: Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut qu'une atteinte a été portée au droit des requérants à être informés d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre eux, ainsi qu'à leur droit à disposer du temps et de spécificité nécessaire à la préparation de leur défense"

Partant il y a violation 6§3/b.

Décision d'irrecevabilité

Le Pen contre France du 10 mai 2001  requête 55173/00

Le requérant conteste sa condamnation pour avoir bousculé Madame Peulvast alors ceinte de son écharpe tricolore de maire:

"La Cour rappelle que la Convention ne prohibe pas en tant que telle la requalification par le juge pénal, sauf si les circonstances dans lesquelles elle se produit ne permettent pas à l'accusé de connaître en détail l'accusation portée contre lui, ou l'empêchent de préparer efficacement sa défense (arrêt Pelisser et Sassi précité) Or, au vu de ce qui précède, rien de tel ne peut être constaté en l'espèce.

Il s'ensuit que le grief tiré de l'article 6§1; 3a/ et b/ de la Convention doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé"

GOUGET ET AUTRES c. FRANCE du 27 janvier 2006 Requête no61059/00

"27. La Cour rappelle en premier lieu que l’équité d’une procédure s’apprécie au regard de l’ensemble de celle-ci. Les dispositions du paragraphe 3 de l’article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle. L’article 6 § 3 a) reconnaît ainsi à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde la poursuite, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi, précité, § 51.

28.  La Cour rappelle en second lieu que la portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure. Enfin, la Cour rappelle que si les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, il existe néanmoins un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3, de telle sorte que le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (Pélissier et Sassi, précité, ibidem §§ 52-54).

29.  En l’espèce, comme les parties, la Cour estime nécessaire de distinguer le cas de Mmes Duburcq, Laatamna et Iacovella du cas de M. Gouget.

Concernant les premières requérantes, la Cour relève tout d’abord que Mmes Duburcq et Iacovella, dans les conclusions déposées par leur avocat le 22 septembre 1998 à l’occasion de l’audience devant la cour d’appel et visées à cette occasion par le président de la cour d’appel, consacrèrent une partie substantielle de celles-ci à l’infraction d’exercice illégal de la profession d’avocat.

30.  La Cour note ensuite qu’il ressort clairement de l’arrêt d’appel que les requérantes ont été mises en mesure, lors de l’audience du 22 septembre 1998, après requalification des faits reprochés et alors qu’elles étaient assistées de leur avocat, de s’expliquer et de se défendre sur la qualification litigieuse. Il s’ensuit que cette qualification a bien été débattue contradictoirement.

31.  La Cour relève enfin qu’à la différence de l’affaire Pélissier et Sassi (précitée) dans laquelle les requérants se plaignaient d’une requalification, dans la présente affaire, la qualification contestée, à savoir celle d’exercice illégal de la profession d’avocat, bien que poursuivant les mêmes faits, a été ajoutée, et non substituée, en appel à celle de consultation juridique illégale. Comme le souligne également le Gouvernement, la Cour ne peut que constater, en l’espèce, l’étroite connexité des deux infractions ainsi poursuivies. La défense développée par les requérantes sur la première couvrait nécessairement les débats sur l’existence de la seconde. En outre, la qualification d’exercice illégal de la profession d’avocat figure sur l’ensemble des déclarations d’appel fournies par les requérantes, qu’il s’agisse de celles rédigées par Mmes Laatamna et Iacovella ou de celles introduites par le procureur de la République et les parties civiles.

32.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les requérantes ont eu l’opportunité d’organiser leur défense devant la cour d’appel et de contester la qualification des faits poursuivis tant devant la cour d’appel que par la suite devant la Cour de cassation.

Partant, elle estime qu’aucune atteinte n’a été portée en l’espèce à leur droit à être informées d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elles. Il s’ensuit que cette partie du grief, en tant qu’elle concerne Mmes Duburcq, Laatamna et Iacovella, doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

33.  Concernant M. Gouget, la Cour relève tout d’abord, tout comme la partie requérante, que la requalification contestée, à savoir celle de complicité d’exercice illégal de la profession d’avocat, a été opérée lors de l’audience du 22 septembre 1998, et non lors des délibérations de la cour d’appel. Il ressort ensuite clairement de l’arrêt d’appel que le requérant a été mis en mesure lors de l’audience après requalification des faits reprochés et alors qu’il était assisté de son avocat de s’expliquer et de se défendre sur ce point. En tout état de cause, comme précédemment, la Cour souligne l’étroite connexité des chefs de poursuite contestés par le requérant."

VESQUE c. FRANCE du 7 MARS 2006 Requête no 3774/02

"41.  La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3 de l’article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l’ « accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation jouant un rôle déterminant dans les poursuites pénales, l’article 6 § 3 a) reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France précité, § 51). En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure. Les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, et il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France précité, §§ 52-54). Si les juridictions du fond disposent, lorsqu’un tel droit leur est reconnu en droit interne, de la possibilité de requalifier les faits dont elles sont régulièrement saisies, elles doivent s’assurer que les accusés ont eu l’opportunité d’exercer leurs droits de défense sur ce point d’une manière concrète et effective, en étant informés, en temps utile, de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à leur charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d’une manière détaillée.

42.  Dans le cas d’espèce, la Cour note que, au cours des débats lors de l’audience publique du 23 février 2001, la cour d’appel de Lyon, s’appuyant sur les constatations d’une expertise médicale qui fut communiquée au requérant le 9 mars 1999 et qui indiquait que S.C. avait bénéficié d’un arrêt de travail du 1er décembre 1998 au 18 janvier 1999, opéra une requalification partielle du délit de violences volontaires commises en réunion ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail inférieur à huit jours, en délit de violences volontaires commises en réunion suivie d’une incapacité temporaire totale de travail supérieur à huit jours. Ce faisant, la cour d’appel, comme l’exige le droit interne, ne fit que restituer aux faits leur véritable qualification, évitant par la même une éventuelle censure de la haute juridiction française sur ce point. La question qui se pose dès lors est celle de savoir si le requérant a pu, du fait de cette requalification partielle, utilement exercer ses droits de la défense.

A cet égard, la Cour note que le requérant ne conteste pas l’exactitude des termes employés par la cour d’appel dans son arrêt du 22 mars 2001 et par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 octobre 2001, selon lesquels il fut « mis en mesure de s’expliquer et de se défendre sur cette nouvelle qualification » en fournissant « ses explications ». Elle relève également que le requérant était assisté devant la cour d’appel de Lyon par un conseil non avocat. En outre et surtout, la mesure en cause ayant eu lieu au cours des débats devant la juridiction d’appel et non au moment du prononcé de l’arrêt, le requérant avait la possibilité de solliciter un renvoi de l’affaire à une date ultérieure s’il ne s’estimait pas en mesure de répondre efficacement à cette requalification (voir, mutatis mutandis, Feldman c. France (déc.) n53426/99, 6 juin 2002), ce qu’il n’a pas fait. Enfin, la Cour considère que celle-ci ne changea pratiquement pas le contenu de la prévention et ne modifia en rien la teneur des faits sur lesquels reposaient les poursuites.

43.  Compte tenu de tous ces éléments, la Cour estime que le requérant a eu l’opportunité d’organiser sa défense devant la cour d’appel et de contester cette requalification tant devant la cour d’appel que la Cour de cassation. Partant, aucune atteinte n’a été portée au droit du requérant à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, ainsi qu’à son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

GAULTIER c. FRANCE du 28 MARS 2006 Requête no 41522/98

"38.  La Cour rappelle qu’en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 14, § 35, et Musial c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II). Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d’une certaine célérité. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a lieu de prendre en compte les circonstances de l’affaire (voir arrêts E. c. Norvège du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 27-28, § 64, et Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002).

39.  En l’espèce, la Cour relève que dans le cadre de la procédure qui a été engagée le 29 août 1996, le juge saisi adressa une demande de renseignements au directeur du CHS de Sarreguemines le 17 septembre 1996, soit presque trois semaines plus tard. Suite à la réception d’un certificat de situation, le 27 septembre 1996, le magistrat mit encore deux mois avant d’ordonner une expertise médicale, soit le 28 novembre 1996, et surtout, ne notifia cette ordonnance au médecin concerné que six semaines plus tard, soit le 14 janvier 1997. Le 29 janvier, cet expert se désista et un nouvel expert fut nommé le 12 février. Ce dernier rendit son rapport presque trois mois plus tard, soit le 6 mai 1997, et le juge mit encore deux mois pour rendre son ordonnance, soit le 8 juillet 1997. Cette procédure a donc duré plus de dix mois.

Quant à la demande de sortie du 12 novembre 1997, le magistrat saisi entendit le requérant le 21 novembre 1997 et nomma, trois jours plus tard, deux experts. Ces derniers déposèrent leurs rapports respectivement les 28 janvier et 11 février 1998. Le juge rendit une ordonnance le 3 mars 1998. Cette dernière procédure a donc duré presque quatre mois.

40.  Comparant le cas d’espèce avec d’autres affaires où elle a conclu au non-respect de l’exigence de « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 (voir, par exemple, L. R. c. France, no 33395/96, § 38, 27 juin 2002, et Mathieu c. France, no 68673/01, § 37, 27 octobre 2005, où il s’agissait, respectivement, de délais de vingt-quatre jours et de plus de quatre mois), la Cour estime que le retard dénoncé par le requérant est excessif.

41.  La Cour rappelle encore que, dans une procédure de contrôle d’un internement psychiatrique, la complexité des questions médicales en jeu est un facteur pouvant entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect de l’exigence du « contrôle à bref délai » de l’article 5 § 4 de la Convention (Musial, précité, § 47). En l’espèce, toutefois, le retard en cause ne saurait raisonnablement être considéré comme lié essentiellement à la complexité des questions médicales en jeu, mais plutôt à un manque de célérité de la part de l’autorité judiciaire saisie, d’autant que, statuant « en la forme des référés », la juridiction est tenue de statuer en urgence, en particulier lorsqu’il en va de la liberté d’un individu (voir arrêts E., précité, § 66, et Delbec, précité, § 37).

42.  Au vu de tout ce qui précède, la Cour conclut que le bref délai prévu par l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas été respecté en l’espèce.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention."

MIRAUX c. FRANCE du 26 septembre 2006 requête 73529/01

Poser une question subsidiaire aux jurés sans que l'accusé ne puisse la prévoir et y répondre lui supprime les moyens de se défendre

"31. La Cour rappelle que l'équité d'une procédure s'apprécie au regard de l'ensemble de celle-ci. Les dispositions du paragraphe 3 de l'article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l'« accusation » à l'intéressé. L'acte d'accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle. L'article 6 § 3 a) reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée (Pélissier et Sassi, précité, § 51).

32. La portée de cette disposition doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure. Les dispositions de l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Enfin, il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l'article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi, précité, §§ 52-54).

33.  En l'espèce, la Cour observe que si la question litigieuse fut posée à l'issue des débats devant la cour d'assises et avant que le jury ne se retire pour délibérer, la requalification ne s'est concrétisée que par la réponse apportée à cette question lors du délibéré. Ainsi, l'usage de l'article 352 du code de procédure pénale ne pouvait-il jouer qu'un rôle préventif, aucune voie de recours n'étant ouverte au requérant pour présenter ses arguments de défense une fois la requalification opérée.

34.  En outre, la Cour ne saurait souscrire à l'argument du Gouvernement selon lequel il appartenait au requérant d'élever un incident de procédure en demandant la réouverture des débats en vertu de l'article 352 du code de procédure pénale. La Cour estime au contraire qu'il incombait à la juridiction interne, faisant usage de son droit incontesté de requalifier les faits, de donner la possibilité au requérant d'exercer ses droits de défense de manière concrète et effective, notamment en temps utile, en procédant par exemple au renvoi de l'affaire pour rouvrir les débats ou en sollicitant les observations du requérant (voir l'affaire Pélissier et Sassi, précitée, § 62). Enfin, rien ne permet d'affirmer, sans spéculer, que la cour d'assises aurait donné une réponse à l'incident contentieux qui fut de nature à suspendre et à rouvrir les débats.

35.  Par ailleurs, l'acte de renvoi devant la cour d'assises de la Seine-Maritime ne visait que les qualifications de « tentative de viol » et d'« agression sexuelle » et ce n'est qu'à l'issue des débats que la question subsidiaire, par le biais de laquelle la requalification litigieuse est intervenue, fut posée. La qualification de viol ayant été envisagée dans un précédent acte de renvoi en date du 18 février 1997, déclaré non avenu par la Cour de cassation le 21 mai 1997, puis ayant été expressément écartée par l'acte de renvoi devant la cour d'assises du 23 octobre 1997, le requérant pouvait raisonnablement estimer ne plus avoir à se défendre de l'accusation de « viol » et concentrer sa défense sur la qualification de « tentative de viol » finalement retenue. La Cour considère, au vu de ces éléments, de la « nécessité de mettre un soin extrême à notifier l'accusation à l'intéressé » et du rôle déterminant joué par l'acte d'accusation dans les poursuites pénales (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168), qu'il n'est pas établi que le requérant aurait eu connaissance de la possibilité d'une condamnation pour viol (voir, mutatis mutandis, l'affaire Pélissier et Sassi, précitée, § 56).

36.  Certes, la Cour observe que la base juridique du « viol » et de la « tentative de viol » est la même, à savoir l'article 222-23 du code pénal, et que, plus généralement, selon le droit pénal français, la personne qui tente de commettre un crime est considérée comme l'auteur du crime, à l'égal de celle qui commet celui-ci (voir l'article 121-4 du code pénal, paragraphe 18 ci-dessus). Il est toutefois possible d'observer que ces deux infractions, en l'espèce un viol et une tentative de viol, diffèrent de façon significative par leur degré de réalisation. En effet, à la différence de l'infraction consommée, qui suppose la concrétisation matérielle d'une intention criminelle par un certain résultat, la tentative se caractérise par un commencement d'exécution, c'est-à-dire la réalisation partielle d'une infraction, constituée par des actes tendant directement à la consommation de celle-ci et accomplis avec cette intention, ainsi que l'absence de désistement volontaire de son auteur. Ainsi, le « viol » nécessite-t-il l'accomplissement d'un résultat spécifique, à savoir une pénétration sexuelle, alors que cet élément n'est pas nécessaire pour que soit retenue l'infraction de « tentative de viol » à l'encontre du requérant. Dès lors, on peut soutenir qu'il existe une différence de degré de gravité entre ces deux infractions, laquelle exerce sans aucun doute une influence sur l'appréciation des faits et la détermination de la peine par le jury, et ce d'autant plus que les jurés sont, de façon générale, particulièrement sensibles au sort des victimes, notamment lorsque celles-ci ont subi des infractions de caractère sexuel, domaine dans lequel, subjectivement et en dépit du traumatisme psychologique que la victime subit en tout état de cause, la tentative est moins « préjudiciable » que le crime consommé. Or, si l'auteur d'une tentative encourt une peine maximale identique à celle pouvant être infligée à l'auteur de l'infraction commise, il ne saurait être exclu qu'une cour d'assises tienne compte, lors de la détermination du quantum de la peine, de la différence existant entre tentative et infraction consommée quant à leur gravité « réelle » et au résultat dommageable. Il peut donc être valablement soutenu que le changement de qualification opéré devant la cour d'assises était susceptible d'entraîner une aggravation de la peine infligée au requérant, sans que celui-ci ait eu l'occasion de préparer et de présenter ses moyens de défense relatifs à la nouvelle qualification et à ses conséquences, y compris, le cas échéant, au regard de la peine susceptible d'être prononcée concrètement. La Cour note d'ailleurs qu'alors que le plafond légal de la peine applicable est de quinze ans de réclusion criminelle, le requérant a été condamné à douze ans de réclusion criminelle, soit une durée proche dudit plafond.

37.  Eu égard à tous ces éléments, la Cour estime qu'une atteinte a été portée au droit du requérant à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ainsi qu'à son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

38.  Partant, il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article, qui prescrit une procédure équitable.

MATTEI c. FRANCE Requête no 34043/02 du 19 décembre 2006

"34.  La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3 de l'article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l' « accusation » à l'intéressé. L'acte d'accusation jouant un rôle déterminant dans les poursuites pénales, l'article 6 § 3 a) reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France précité, § 51).

35.  La portée de cette disposition doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure.

36.  Les dispositions de l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Il existe par ailleurs un lien entre les alinéas a) et b) de l'article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France précité, §§ 52-54). Si les juridictions du fond disposent, lorsqu'un tel droit leur est reconnu en droit interne, de la possibilité de requalifier les faits dont elles sont régulièrement saisies, elles doivent s'assurer que les accusés ont eu l'opportunité d'exercer leurs droits de défense sur ce point d'une manière concrète et effective, en étant informés, en temps utile, de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à leur charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée.

37.  En l'espèce, la Cour constate que la requalification des faits de tentative d'extorsion de fonds en complicité de ce délit a été effectuée au moment du délibéré de la cour d'appel, ce qui, en tant que tel, peut faire douter du respect des garanties de l'article 6 et des principes susmentionnés. 

38.  La Cour observe néanmoins, qu'à des stades antérieurs de la procédure, les notions d'aide ou assistance apportées par la requérante à l'entreprise criminelle ont été évoqués et même débattus. Ainsi, elle relève notamment que le jugement du tribunal correctionnel du 8 mars 2000 évoque clairement « l'assistance » portée par la requérante à F. Santoni. Toutefois, elle note que ce même jugement a également établi que la requérante avait « pris une part personnelle active dans les faits visés par la poursuite » et qu'ils avaient été, avec F. Santoni, « les maîtres d'œuvre de cette opération », ce qui implique clairement une participation directe et non une simple complicité de la requérante dans l'opération projetée. La Cour souligne également que la requérante a été aussi poursuivie et condamnée pour l'infraction de participation à une entente en vue de préparer des actes de terrorisme. En conséquence, la Cour ne saurait déduire des éléments relevés qu'ils se rattachent forcément à la notion de complicité et non à celle de participation. Dans le même sens, la Cour relève également que la notion de complicité n'a pas été évoquée en elle-même à des stades antérieurs et « qu'il n'apparaît pas que les magistrats composant la cour d'appel ou le représentant du ministère public, aient, au cours des débats, évoqué cette possibilité [de requalification]» (Pélissier et Sassi c. France, précité, § 55).

39.  Ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments et compte tenu de la particularité des éléments constitutifs des deux infractions retenues contre la requérante, la Cour considère qu'il n'est pas établi que la requérante a eu connaissance de la possibilité de requalification des faits en complicité de tentative d'extorsion de fonds. En tout état de cause, compte tenu de la « nécessité de mettre un soin extrême à notifier l'accusation à l'intéressé » et du rôle déterminant joué par l'acte d'accusation dans les poursuites pénales (arrêt Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168), la Cour estime qu'aucun des arguments avancés par le Gouvernement, pris ensemble ou isolément, ne pouvait suffire à garantir le respect des dispositions de l'article 6 § 3 a) de la Convention (Pélissier et Sassi c. France, précité, § 56).

40.  Par ailleurs, la Cour, qui est sensible à l'argument du Gouvernement selon lequel la Cour de cassation mentionne, depuis 2001, l'article 6 § 1 dans ses visas et reprend l'attendu de principe précisant « que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée », relève, qu'en l'espèce, la Cour de cassation a considéré que « la requalification des faits de tentative d'extorsion de fonds en complicité de ce délit n'a en rien modifié la nature et la substance de la prévention dont les prévenus avaient été entièrement informés lors de leur comparution devant le tribunal correctionnel ».

41.  Concernant le contenu de la requalification, la Cour rappelle qu'on ne peut soutenir que la complicité ne constitue qu'un simple degré de participation à l'infraction (Pélissier et Sassi c. France, précité, § 59). Soulignant son attachement au principe de l'interprétation stricte du droit pénal, la Cour ne saurait admettre que les éléments spécifiques de la complicité soient éludés. A cet égard, elle note, tout comme dans l'affaire Pélissier et Sassi c. France (précitée, § 60) qu'elle n'a pas à apprécier le bien-fondé des moyens de défense que la requérante aurait pu invoquer si elle avait eu la possibilité de débattre de la complicité de tentative d'extorsion de fonds, mais relève simplement qu'il est plausible de soutenir que ces moyens auraient été différents de ceux choisis afin de contester l'action principale.

42. Quant aux peines prononcées à l'encontre de la requérante, la Cour ne saurait souscrire aux arguments développés par le Gouvernement. En effet, elle considère tout d'abord qu'on ne peut pas affirmer que la requalification a été sans incidence sur la condamnation au motif, qu'en tout état de cause, la requérante a été condamnée pour participation à une entente en vue de préparer des actes de terrorisme puisqu'on ne peut spéculer sur la peine qui aurait été effectivement prononcée si la requérante avait pu se défendre utilement sur la nouvelle qualification retenue de complicité de tentative d'extorsion de fonds. Enfin, elle relève qu'effectivement la peine prononcée par la cour d'appel, à la suite de la requalification, est plus clémente que celle prononcée par le tribunal correctionnel, passant de quatre années d'emprisonnement à trois années d'emprisonnement dont une avec sursis. Toutefois, la Cour souligne que la peine prononcée en appel a été motivée par « l'état de santé actuel de l'intéressée » et par ses antécédents judiciaires, la requérante n'ayant « pas été condamnée dans les cinq années précédant les faits, pour crime ou délit de droit commun, à une peine de réclusion ou d'emprisonnement ».

43.  Eu égard à tous ces éléments, la Cour estime qu'une atteinte a été portée au droit de la requérante à être informée d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle, ainsi qu'à son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

44.  Partant, il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article, qui prescrit une procédure équitable."

VARELA GEIS c. ESPAGNE du 5 mars 2013 Requête no 61005/09

Le changement de qualification pénale de négation de génocide en apologie de génocide sans prévenir les requérants, est une violation de la Convention.

40.  La Cour rappelle que l’article 17, pour autant qu’il vise des groupements ou des individus, a pour but de les mettre dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention ; personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés. Cette disposition, qui a une portée négative, ne saurait être interprétée a contrario comme privant une personne physique des droits individuels fondamentaux garantis aux articles 5 et 6 de la Convention (Lawless c. Irlande (no 3), 1er juillet 1961, § 7, série A no 3). La Cour observe qu’en l’espèce le requérant ne se prévaut pas de la Convention en vue de justifier ou d’accomplir des actes contraires aux droits et libertés y reconnus, mais qu’il se plaint d’avoir été privé des garanties accordées par l’article 6 de la Convention. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 17 de la Convention.

41.  Les dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 6 montrent la nécessité de mettre un soin extrême à notifier à l’intéressé l’« accusation » portée contre lui. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 79, série A no 168, et Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999‑II). L’article 6 § 3 a) de la Convention reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui lui sont imputés et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée.

42.  La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 32, série A no 37 ; Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 26, série A no 89, et Pélissier et Sassi, précité, § 52). La Cour considère qu’en matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure.

43.  S’il est vrai que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (voir, mutatis mutandis, Kamasinski, précité, § 79), elle doit toutefois être prévisible pour ce dernier.

44.  Enfin, quant au grief tiré de l’article 6 § 3 b) de la Convention, la Cour estime qu’il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et que le droit à être informé sur la nature et la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense.

45.  La Cour relève en l’espèce que dans les actes provisoires d’accusation (paragraphe 7 ci-dessus), le requérant était accusé d’un délit continu de « génocide » au visa de l’article 607 § 2 du code pénal et d’un délit continu de provocation à la discrimination pour des motifs de race, sur le fondement de l’article 510 § 1 du code pénal. Toutefois, bien que les actes d’accusation n’eussent pas qualifié autrement que par l’expression générique « délit de génocide » la conduite dont la condamnation était sollicitée (paragraphes 7 et 34 ci-dessus), la Cour observe que tant le ministère public que les parties accusatrices privées s’étaient fondés sur des faits relevant de la négation de l’Holocauste, sur la base d’une partie du matériel saisi lors des perquisitions. S’agissant plus particulièrement des accusateurs privés, la Communauté israélite de Barcelone avait, pour sa part, sollicité provisoirement la condamnation du requérant pour « négation du génocide subi par le peuple juif et de tentative de réhabilitation du régime nazi » ; l’autre accusateur privé, ATID-SOS Racisme Catalunya, avait de son côté fondé sa demande provisoire de condamnation du requérant sur le fait que « bon nombre des livres et vidéos saisis niaient directement l’Holocauste ou faisaient l’apologie du génocide » (...) « et niaient la vérité historique du génocide ». Après l’administration des preuves, ces actes d’accusation provisoires avaient été transformés en actes d’accusation définitifs, sans qu’aucune modification des qualifications provisoires n’intervînt.

46.  Par le jugement du 16 novembre 1998 du juge pénal no 3 de Barcelone, le requérant fut condamné pour délits continus « de génocide », au visa de l’article 607 § 2 du code pénal, et de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence contre des groupes ou des associations pour des motifs racistes et antisémites, sur le fondement de l’article 510 § 1 du même code. La Cour constate que les faits (reproduits intégralement au paragraphe 8 ci-dessus) considérés comme établis par ce jugement avaient trait principalement « à la distribution et [à la] vente de matériels (...) dans lesquels, de façon réitérée et vexatoire à l’égard du groupe social formé par la communauté juive, étaient niés la persécution et le génocide subis par ce peuple pendant la Seconde Guerre mondiale ». Parmi les paragraphes des ouvrages saisis qui étaient cités dans le jugement en cause figurent les phrases suivantes : « [Six millions de morts ] , ... cette affirmation constitue l’invention la plus colossale et l’escroquerie la plus caractérisée jamais écrite », ... « [le] ‘‘Rapport Leuchter (La fin d’un mensonge : chambres à gaz et Holocauste juif)’’ ... détruit pour toujours le mensonge infâme de l’Holocauste juif. Il n’y a jamais eu de chambres à gaz ni d’holocauste. La nature juive elle-même édifie son existence sur le mensonge, le plagiat, le faux, depuis les temps le plus lointains. Ce sont leurs livres, comme le Talmud, qui le disent. Alfred Rosenberg avait déclaré :  ’’la vérité du Juif est le mensonge organique. L’Holocauste est un mensonge. Les chambres à gaz sont un mensonge ; les savons faits avec de la graisse de Juif sont un mensonge ; les crimes de guerre nazis sont un mensonge ; le journal intime d’Anne Frank est un mensonge. Tout est mensonge ; des mensonges génétiquement montés par une anti-race qui ne peut pas dire la vérité parce qu’elle se détruirait, parce que son aliment, son air et son sang sont le mensonge’’ ». Le livre « Absolution pour Hitler » affirme « les chambres à gaz sont des fantasmes de l’après-guerre et de la propagande, comparables dans toute leur extension aux immondices recueillies pendant la 1re Guerre mondiale. La Solution finale n’était pas un plan de destruction mais d’émigration. Auschwitz était une fabrique d’armement et non pas un camp d’extermination. Il n’y a pas eu de chambres à gaz ; il n’y avait pas de chambres semblables dans lesquelles les enfants, les femmes et les vieillards auraient été envoyés pour y être gazés, apparemment avec du Zyklon-B. Ceci n’est que légende et commérage. Il n’y a pas eu de chambres à gaz à Dachau, il n’y en a pas eu non plus dans d’autres camps de concentration en Allemagne ». Les « lettres » rédigées par le requérant affirmaient sous le titre « Le mythe d’Anne Frank », entre autres : « Le mythe, ou devrait-on plutôt dire l’arnaque ( ?), d’Anne Frank est probablement les deux choses en même temps, d’après les recherches qu’on a faites à cet égard. Connue dans le monde entier pour son fameux Journal intime, elle est sans aucun doute « la victime de l’Holocauste la plus connue » (...) Mais le cas d’Anne Frank n’est pas différent de celui de beaucoup d’autres Juifs assujettis à la politique de mesures antisémites [qui fut] mise en œuvre en temps de guerre par les puissances de l’Axe (...) Elle fut transférée, avec beaucoup d’autres Juifs, au camp de Bergen-Belsen, en Allemagne du Nord où, comme d’autres personnes du groupe, elle tomba malade du typhus, maladie dont elle mourut à la mi-mars 1945. Elle ne fut donc ni exécutée ni assassinée. Anne Frank mourut, tout comme des millions de personnes non-juives en Europe pendant les derniers mois du conflit, en tant que victime indirecte d’une guerre dévastatrice. »

47.  La Cour observe que devant l’Audiencia Provincial en appel, à la suite de l’arrêt no 235/2007 du Tribunal constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnel l’article 607 du code pénal dans sa partie relative à la négation de génocide, le ministère public avait retiré l’accusation de négation de génocide et demandé l’acquittement du requérant du « délit de génocide »  prévu par la disposition susmentionnée du code pénal. De cette décision du ministère public, on pouvait raisonnablement déduire que la conduite visée par l’accusation publique ne se distinguait pas de celle dont l’incrimination avait été levée par le Tribunal constitutionnel. Il est vrai toutefois que les parties accusatrices privées demandèrent à l’audience la confirmation du jugement rendu par le juge a quo et le maintien de la condamnation en vertu de l’article 607 § 2 du code pénal. En particulier la Communauté israélite de Barcelone soutenait que le requérant employait des techniques de propagande pour réhabiliter le régime national-socialiste et qu’il existait des éléments suffisants pour estimer que le jugement a quo ne condamnait pas le requérant uniquement pour la négation de l’Holocauste, mais aussi parce qu’il aurait incité à la discrimination et à la haine raciales envers les Juifs en affirmant que ceux-ci « doivent être éliminés comme des rats ». Toutefois, la Cour relève que l’Audiencia Provincial a estimé à cet égard dans son arrêt qu’il n’y avait pas dans le matériel saisi, en particulier dans le film « le Juif errant », de références expresses à ce que les Juifs dussent être exterminés comme les rats et qu’en tout état de cause il ne pouvait pas être conclu que la majorité du matériel saisi promût l’extermination des Juifs.

48.  Le Gouvernement ne conteste pas le fait que le requérant s’était déjà exprimé à l’audience avant même de connaître le contenu des arguments des parties accusatrices en appel et ne s’était vu à aucun moment reprocher clairement une éventuelle conduite de justification du génocide. La Communauté israélite de Barcelone avait bien tenté de formuler un tel reproche à la suite de l’arrêt no 235/2007 du Tribunal constitutionnel, mais ses arguments selon lesquels le requérant aurait promu des idées favorables à l’extermination des Juifs ne furent pas retenus par l’Audiencia Provincial (paragraphes 16 et 47).

49.  Le Gouvernement n’a fourni aucun élément susceptible d’établir que le requérant a été informé du changement de qualification effectué par l’Audiencia Provincial. La Cour relève que même dans sa décision du 14 septembre 2000 (paragraphe 11 ci-dessus) dans laquelle l’Audiencia Provincial opta pour le renvoi d’une question préjudicielle de constitutionnalité, elle ne fit aucune remarque sur la possibilité de donner une qualification différente à la conduite du requérant, se bornant à estimer que l’incrimination de la conduite visée par l’article 607 § 2 du code pénal pouvait entrer en conflit avec la liberté d’expression, dans la mesure où la conduite incriminée consistait en la simple diffusion d’idées ou de doctrines, sans aucune exigence d’autres éléments tels que l’incitation à des comportements violant les droits fondamentaux ou l’accompagnement de cette diffusion par des expressions ou manifestations attentatoires à la dignité des personnes.

50.  La Cour constate qu’il ne ressort pas du dossier que l’Audiencia Provincial ou le représentant du ministère public aient, au cours des débats, évoqué la possibilité d’une requalification ou même simplement relevé l’argument des parties accusatrices privées.

51.   Au vu de ces éléments, la Cour considère qu’il n’est pas établi que le requérant aurait eu connaissance de la possibilité d’une requalification des faits de « négation » en « justification» du génocide par l’Audiencia Provincial. Compte tenu de la « nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’accusation à l’intéressé » et du rôle déterminant joué par l’acte d’accusation dans les poursuites pénales (Kamasinski, précité, § 79), la Cour estime que les arguments avancés par le Gouvernement, pris ensemble ou isolément, ne peuvent suffire à justifier le respect des dispositions de l’article 6 § 3 a) de la Convention.

52.  La Cour estime par ailleurs qu’elle n’a pas à apprécier le bien-fondé des moyens de défense que le requérant aurait pu invoquer s’il avait eu la possibilité de débattre de la question de savoir si les faits pouvaient être qualifiés de justification du génocide. Elle relève simplement qu’il est vraisemblable que ces moyens auraient été différents de ceux choisis pour combattre l’accusation de « négation » du génocide qui avait été portée contre lui (Adrian Constantin c. Roumanie, no 21175/03, § 25, 12 avril 2011, Drassich c. Italie, no 25575/04, § 40, 11 décembre 2007). La Cour se borne à noter qu’à la suite de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, l’Audiencia Provincial de Barcelone a écarté les faits qualifiables de négation de génocide et a considéré le requérant comme auteur d’un délit de justification de génocide sans toutefois individualiser sa conduite en tant que libraire par rapport à celle qu’auraient pu avoir les auteurs ou les éditeurs des ouvrages litigieux saisis.

53.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la justification du génocide ne constituait pas un élément intrinsèque de l’accusation initiale que l’intéressé aurait connu depuis le début de la procédure (voir, a contrario, De Salvador Torres c. Espagne, 24 octobre 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V).

54.  La Cour estime dès lors que l’Audiencia Provincial de Barcelone devait, pour faire usage de son droit incontesté de requalifier les faits dont elle était régulièrement saisie, donner la possibilité au requérant d’exercer son droit de défense sur ce point d’une manière concrète et effective, et donc en temps utile. Tel n’a pas été le cas en l’espèce, seul l’arrêt rendu en appel lui ayant permis de connaître, de manière tardive, ce changement de qualification.

55.  Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article.

COUR DE CASSATION FRANÇAISE

COUR DE CASSATION Chambre criminelle arrêt du 1er juin 2016 N° Pourvoi 14-87173 cassation

Vu les articles 388, 512 et préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 470 du même code ;

Attendu que le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ; qu'il a le droit et le devoir de leur restituer leur véritable qualification à la condition de n'y rien ajouter ;

Attendu que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X... est poursuivi pour avoir, à Roissy aéroport Charles de Gaulle, importé sans déclaration préalable des marchandises prohibées, en l'espèce 3 800 grammes de méthamphétamine, marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publique, délit prévu par les articles 414, 423 à 428 du code des douanes ; que le tribunal, retenant que l'infraction n'est pas constituée, l'intéressé ayant été interpellé à l'occasion de son départ pour Tokyo et non en provenance de l'étranger et que la marchandise lui a été remise de façon certaine en France, à son hôtel, a relaxé le prévenu et débouté l'administration des douanes de ses demandes ;

Attendu que, pour confirmer la relaxe et rejeter la demande, formée en cause d'appel par l'administration des douanes, de requalification de la prévention en délit d'exportation sans déclaration assimilée à une exportation en contrebande de marchandises prohibées avec cette circonstance qu'il s'agit d'une marchandise dangereuse pour la santé, l'arrêt retient que les faits s'analysent effectivement en un tel délit, les marchandises n'ayant pas été introduites par le prévenu sur le territoire national et lui ayant été remises sur ce territoire afin qu'il les achemine au Japon par voie aérienne, mais que le prévenu, qui ne comparaît pas devant la cour, ne peut être mis en mesure d'apporter ses observations sur la requalification sollicitée ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait aux juges du second degré, qui retenaient la possibilité d'une qualification différente des faits dont ils étaient saisis, de rendre une décision renvoyant l'affaire à une date ultérieure et invitant le prévenu à venir s'expliquer sur la requalification envisagée, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encourue

COUR DE CASSATION Chambre criminelle arrêt du 26 janvier 2016 N° Pourvoi 13-85770 Rejet

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 551, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de l'acte de citation en date du 24 février 2011 ;

"aux motifs qu'il résulte de l'article 551 du code de procédure pénale que la citation du prévenu doit énoncer les faits poursuivis et viser les textes de lois qui les répriment ; qu'en l'espèce, la citation de M. X... devant le tribunal correctionnel, en date du 24 février 2011, énonce précisément les faits poursuivis et vise les textes d'incrimination et de répression dans leur codification antérieure à celle entrée en vigueur le 1er mai 2008 ; que toutefois, cette nouvelle codification ayant été opérée à droit constant, le défaut de mention des nouveaux numéros des textes de loi applicables n'a pas porté atteinte aux droits de la défense du prévenu qui en se reportant à l'ancienne codification pouvait prendre connaissance exactement des éléments constitutifs des infractions reprochées et des pénalités encourues ainsi qu'il l'a fait, le tableau de concordance des textes qu'il avait produit devant le tribunal correctionnel et qu'il produit de nouveau en cause d'appel démontrant qu'il a été en mesure de vérifier avant sa comparution devant les premiers juges la réalité de la nouvelle codification à droit constant concernant les faits qui lui sont reprochés aux dates mentionnées dans la prévention, toutes antérieures à l'entrée en vigueur de la nouvelle codification ; qu'en conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité ;

"alors que, selon l'article 6, § 3, a), de la Convention européenne des droits de l'homme, tout accusé a le droit d'être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l'objet ; que, par ailleurs, aux termes de l'article 551, alinéa 2, du code de procédure pénale, la citation doit, à peine de nullité, énoncer le fait poursuivi et viser le texte de loi qui le réprime ; qu'en l'espèce, il est constant que la citation délivrée à M. X... le 24 février 2011, visait exclusivement des articles abrogés du code du travail ancien, privant ainsi celui-ci de la possibilité de préparer utilement sa défense ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de l'acte de citation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles et principes susvisés" ;

Attendu que, pour écarter l'exception régulièrement soulevée par le prévenu et tirée de la nullité de la citation en raison du visa de textes abrogés du code pénal ancien, la juridiction du second degré prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que l'intéressé était suffisamment informé, sans ambiguïté, de la prévention retenue à son encontre et que l'irrégularité alléguée n'a pu créer aucune incertitude dans son esprit sur les faits qui lui étaient reprochés et sur les peines qu'il encourait, la cour d'appel n'a pas méconnu les dispositions légales et conventionnelles invoquée

LA REQUALIFICATION DES FAITS PAR LE JUGE PÉNAL IMPOSE D'ABORD DE PRÉVENIR LES PARTIES

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 27 janvier 2015 N° de pourvoi 14-81723 Cassation

Vu l'article 388 du code de procédure pénale, ensemble l'article préliminaire dudit code ;

Attendu que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que les parties aient été mises en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification envisagée ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Y... a été poursuivi pour avoir exercé des sévices graves ou commis un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité ; que le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable des faits reprochés ; que les parties et le ministère public ont interjeté appel du jugement ;

Attendu que, pour constater la prescription de l'action publique, la cour d'appel retient que M. Y... a involontairement causé la mort de l'animal, que la contravention prévue à l'article R. 653-1 du code pénal est caractérisée à son encontre mais est prescrite ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de la procédure que les parties aient été mises en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification retenue ;

D'où il suit que la cassation est encourue.

LE PRÉVENU DOIT POUVOIR ÊTRE EN MESURE DE POUVOIR DISCUTER LA REQUALIFICATION DES FAITS

Cour de Cassation, chambre criminelle arrêt du 22 octobre 2014 pourvoi n° 13-83901 cassation

Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 388 et préliminaire du code de procédure pénale et 313-1 du code pénal ;

Attendu que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée;

Attendu que M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, en employant des manoeuvres frauduleuses ayant consisté à reprendre une activité salariée alors qu'il avait signé une attestation de fin d'activité afin de bénéficier du dispositif de congé prévu par les accords de branche des conducteurs routiers de transport de marchandises, trompé la société Fonds de gestion du congé de fin d'activité, ainsi déterminée à lui verser une allocation mensuelle et à le faire bénéficier d'une protection sociale complète ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'escroquerie, l'arrêt retient notamment qu'il a pris la fausse qualité de travailleur sans emploi ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans avoir invité M. X... à s'expliquer sur cet usage de fausse qualité, non visé à la prévention, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision

LA REQUALIFICATION A FAIT L'OBJET DE REQUISITIONS ET DE DEBATS NOUVEAUX

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 23 octobre 2013 pourvoi n°12-80793 Rejet

Attendu qu'il résulte de l'arrêt déféré que M. X..., médecin attaché au pôle gérontologique Nord-Sarthe, a été poursuivi pour s'être abstenu d'informer les autorités judiciaires ou administratives de mauvais traitements infligés par des membres du personnel de l'hôpital de Bonnétable envers des pensionnaires hors d'état de se protéger ; que la cour d'appel a requalifié les faits et déclaré M. X... coupable du délit d'omission d'empêcher une infraction prévu par l'article 223-6, alinéa 1er, du code pénal;

Attendu, en premier lieu, que le demandeur ne saurait se faire un grief de la requalification contestée au moyen dés lors que celle-ci, qui ne portait pas sur des faits nouveaux, a été soumise au débat contradictoire, qu'elle a fait l'objet de réquisitions du ministère public et que le prévenu a été mis en mesure de s'en expliquer;

Attendu, en second lieu, que pour déclarer le prévenu coupable du délit d'omission d'empêcher une infraction, l'arrêt relève, en substance, que le Dr X..., sachant que plusieurs membres du personnel avaient un comportement maltraitant envers des pensionnaires âgés et dépendants, s'est abstenu d'intervenir auprès de l'encadrement des infirmiers, même s'il n'avait pas autorité sur le personnel soignant, afin que soient prises des dispositions, telles qu'une meilleure surveillance, tendant à prévenir le renouvellement de faits constituant des atteintes à l'intégrité de personnes hospitalisées ; que l'arrêt ajoute qu'en cas d'échec de cette démarche, il lui appartenait de s'entretenir de la situation avec la direction de l'hôpital afin que la qualité des soins prodigués aux pensionnaires soit préservée par des mesures appropriées;

Qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et sans méconnaître le principe du secret médical, caractérisé les éléments constitutifs du délit précité ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli

L'ETAT DE RECIDIVE LEGALE DOIT ETRE INVOQUEE AVANT L'AUDIENCE DE JUGEMENT

Cour de Cassation, chambre criminelle arrêt du 11 octobre 2011 pourvoi n° 11-81298 Rejet

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., poursuivi devant le tribunal correctionnel à raison d'un vol aggravé commis au cours de l'année 2009, a été déclaré coupable de cette infraction ; qu'il a relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public ; que, devant la cour d'appel, il a demandé à être jugé en son absence tout en étant représenté par son avocat ; qu'au début de l'audience, le ministère public a requis que soit retenue à l'encontre du prévenu la circonstance aggravante de récidive légale qui n'était pas mentionnée dans l'acte de poursuite, et que soit prononcée une peine entrant dans les prévisions de l'article 132-19-1 du code pénal ;

Attendu que, pour rejeter cette demande et condamner M. X..., l'arrêt, qui a confirmé le jugement entrepris sur la culpabilité, énonce que l'article 132-16-5 du code pénal impose à la juridiction de recueillir les observations du prévenu avant de relever d'office l'état de récidive non visé dans l'acte de poursuite ; que les juges ajoutent que la présence à l'audience de l'avocat de M. X..., non informé de l'état de récidive et dont le mandat ne couvre pas cette circonstance aggravante, est insuffisante au regard des prescriptions de ce texte ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision;

Qu'en effet, il ressort des dispositions de l'article 132-16-5 du code pénal que l'état de récidive légale ne peut être relevé d'office par la juridiction de jugement, lorsqu'il n'est pas mentionné dans l'acte de poursuite, que si le prévenu en a été informé et qu'il a été mis en mesure d'être assisté par un avocat et de faire valoir ses observations

LE DROIT POUR LE MINEUR DE SAVOIR POURQUOI IL EST RENVOYE DEVANT UN TRIBUNAL

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 14 mai 2013 N° de pourvoi 12-80153 Rejet

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que, par ordonnance du juge des enfants, en date du 26 novembre 2009, Adrien X...a été renvoyé devant le tribunal pour enfants du chef de complicité du délit de vol aggravé commis par Rohan Y...; que le tribunal, après avoir rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance présentée par Adrien X...et prise d'un défaut de motivation de cette décision, a condamné le mineur à une mesure d'avertissement solennel par application de l'article 16-5° de l'ordonnance du 2 février 1945 et prononcé sur l'action civile ; que le prévenu, ses parents, et le ministère public ont relevé appel de la décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt relève que si l'enquête par voie officieuse prévue par l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 février 1945 à laquelle peut procéder le juge des enfants n'impose pas le respect des formes prescrites par les articles 79 à 190 du code de procédure pénale et en particulier celles de l'article 184 de ce code relatives à l'ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement, ce magistrat n'en est pas moins tenu de respecter les principes fondamentaux de la procédure pénale, consacrés tant par l'article préliminaire du code de procédure pénale que par les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 14 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ; que l'arrêt constate qu'en l'espèce, le juge des enfants, qui a accordé un report de l'audition initialement fixée au 19 novembre 2009 en vue d'une éventuelle mise en examen d'Adrien X..., a, à la lumière des écritures du prévenu et de la partie civile, interrogé le mineur, en présence de son avocat à l'audience du 26 novembre suivant, sur les éléments de la procédure et sa participation aux faits poursuivis et, par décision du même jour, au visa des pièces de la procédure et sur le fondement de charges suffisantes, a ordonné le renvoi du mineur devant le tribunal pour être jugé sur des faits juridiquement qualifiés et précisément décrits ; que les juges en déduisent qu'Adrien X..., ayant bénéficié d'un accès à la procédure, du temps nécessaire à la préparation de sa défense et ayant pu s'expliquer tant par écrit qu'oralement lors de son interrogatoire, n'a pu se méprendre sur le sens et la portée de l'acte de renvoi devant la juridiction de jugement ainsi que sur la nature et la cause de l'accusation portée contre lui ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles invoquées

DROIT DE PARTICIPER AUX DEBATS DU PROCES

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- LA DÉFENSE A LE DROIT DE PARTICIPER A SON PROCÈS

- LE PRÉVENU JUGÉ PAR DÉFAUT

- L'EXPULSION DES PREVENUS DE LA SALLE D'AUDIENCE

- L'APPLICATION PAR LA COUR DE CASSATION FRANÇAISE

LA DÉFENSE A LE DROIT DE PARTICIPER A SON PROCÈS

Dridi c. Allemagne du 26 juillet 2018 requête n° 35778/11

La notification d’une citation à comparaître par voie d’affichage ne suffit pas au regard de la Convention

Violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (droit à un procès équitable / droit de se défendre soi-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur) de la Convention européenne des droits de l’homme à raison de la notification d’une citation par voie d’affichage,

Violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) (droit à un procès équitable / droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense / droit de se défendre soi-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur), l’avocat de M. Dridi n’ayant pas eu la possibilité adéquate de préparer la défense de son client ni de prendre part à l’audience en appel.

L’affaire concerne une procédure pénale dans laquelle la citation à comparaître a été notifiée par voie d’affichage et pose aussi la question du temps laissé à la défense pour préparer les débats et y prendre part. La Cour observe en particulier que M. Dridi avait une nouvelle adresse en Espagne qui était connue du tribunal régional et que la citation a été notifiée uniquement par voie d’affichage, à un moment où l’intéressé n’était pas représenté par un avocat.

L’audience qui était prévue devant le tribunal régional n’a pas été ajournée, contrairement à ce qu’avait demandé l’avocat de M. Dridi, qui s’était vu retirer l’autorisation de défendre son client avant que cette autorisation ne fût rétablie la veille de l’audience. L’avocat n’a pas été dûment convoqué, n’a pas été en mesure de prendre part à l’audience et n’a pas eu la possibilité d’étudier une nouvelle fois le dossier judiciaire de l’affaire.

La Cour conclut donc à une violation des droits de M. Dridi protégés par l’article 6 §§ 1 et 3 c) ainsi que par l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c).

LES FAITS

Le requérant, Abdelhamid Dridi, est un ressortissant allemand né en 1982 et résidant à Cadix (Espagne). En mars 2009, il fut reconnu coupable de coups et blessures et condamné à une amende de 1 000 euros (EUR) par le tribunal d’instance de Hambourg. À sa demande, le tribunal avait autorisé un étudiant en droit, M. Arif, à assurer sa défense. Les deux parties firent appel. M. Dridi s’installa ensuite en Espagne après avoir communiqué sa nouvelle adresse au tribunal.

Le 24 avril 2009, le tribunal régional de Hambourg annula l’autorisation habilitant M. Arif à défendre M. Dridi et rejeta la demande que ce dernier avait déposée aux fins d’être dispensé de l’obligation de comparaître en personne. Cette décision fut notifiée à M. Dridi en Espagne. Le même jour, le tribunal régional fixa la date de l’audience en appel mais décida de notifier la citation à M. Dridi par voie d’affichage – en plaçant une annonce sur son panneau d’information – parce que l’intéressé était parti vivre à l’étranger.

La veille de l’audience, le 12 mai 2009, M. Arif apprit que la cour d’appel avait annulé le retrait de son autorisation qui avait été prononcé par le tribunal régional et que l’audience en appel était prévue pour le lendemain matin. Il demanda un ajournement car il devait être absent ce jour-là.

Le 13 mai 2009, le tribunal régional décida de ne pas accéder à la demande de M. Arif. Il écarta en même temps l’appel interjeté par M. Dridi sans examiner le fond de l’affaire parce que ce dernier ne s’était pas présenté à l’audience et ne s’était pas non plus fait représenter par un avocat. Le rétablissement du statu quo ante demandé par M. Dridi fut rejeté par le tribunal régional en mars 2010 et cette décision fut confirmée par la cour d’appel.

En juillet 2010, la cour d’appel écarta le pourvoi sur des points de droit formé par M. Dridi contre le jugement du tribunal régional du 13 mai 2009. M. Dridi fut également débouté de son recours constitutionnel.

CEDH

Article 6 §§ 1 et 3 c)

La Cour a commencé par se pencher sur la déclaration unilatérale faite par le Gouvernement en réponse aux griefs. Dans sa déclaration, le Gouvernement admet qu’il y a eu violation des droits de M. Dridi protégés par l’article 6 § 1 et/ou par l’article 6 § 3 c), propose de verser une indemnité et invite la Cour à rayer l’affaire du rôle. Dans le même temps, il reconnaît qu’il n’existe pas de jurisprudence interne indiquant si la législation nationale sur la réouverture d’une procédure pénale à la suite d’un constat de violation par la Cour s’applique également aux affaires dans lesquelles le Gouvernement a, dans une déclaration unilatérale, reconnu une violation. Le Gouvernement ajoute que les juridictions internes ont appliqué cette législation de manière étroite. La Cour conclut qu’en droit allemand, ni une déclaration unilatérale ni la décision par la Cour de rayer une requête du rôle ne procure la même garantie d’accès à la réouverture d’une procédure pénale qu’un arrêt de la Cour constatant une violation.

Partant, elle rejette la demande de radiation émanant du Gouvernement et poursuit son examen de l’affaire. Elle rappelle que la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’ensemble de l’article 6. Même si la législation nationale autorisait en l’espèce la notification d’une citation à comparaître par voie d’affichage, la Cour observe que le tribunal régional connaissait l’adresse de M. Dridi en Espagne et qu’il n’y a eu aucune tentative infructueuse de délivrer à ce dernier des documents judiciaires. Bien qu’une disposition de l’article 5 de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 25 mai 2000 prévoie que les pièces de procédure doivent être envoyées par la voie postale, la citation n’a été ni délivrée en Espagne ni communiquée à M. Dridi par une voie autre qu’un affichage. Qui plus est, à l’époque considérée, M. Dridi n’était pas représenté par son avocat, M. Arif, dont l’autorisation avait été retirée. M. Arif n’a appris la date de l’audience que la veille du jour où celle-ci était prévue et sa demande d’ajournement a été refusée. La Cour conclut que la notification de la citation à comparaître par le biais d’un affichage n’a pas été suffisante.

Partant, il y a eu violation des droits de M. Dridi protégés par l’article 6 §§ 1 et 3 c). Article 6 §§ 1 et 3 b) et c)

La Cour note que M. Arif a recouvré son autorisation et a appris la date de l’audience la veille du jour prévu. Il n’a reçu aucun des documents qui lui auraient permis de s’y préparer et sa demande d’ajournement a été rejetée. La Cour considère que M. Arif n’a pas renoncé à son droit à ce que la citation lui fût notifiée d’une manière qui lui aurait permis de préparer la défense de son client et de prendre part à l’audience.

La Cour conclut que l’avocat de M. Dridi n’a pas disposé d’une possibilité adéquate d’accéder au dossier judiciaire de l’affaire ou de prendre part à l’audience en appel. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention.

Satisfaction équitable (article 41)

La Cour dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral que M. Dridi dit avoir subi. Elle ajoute que l’Allemagne doit verser à M. Dridi 2 500 euros (EUR) pour frais et dépens.

Drassich (2) c. Italie du 22 février 2018 requête n° 65173/09

Article 6-1 et 6-3 : Le requérant qui a déposé deux mémoires à la Cour de Cassation a pu être informé des reproches pénaux et a pu y répondre :

"Le Cour estime que, compte tenu des raisons de la réouverture du procès du requérant et à la lumière des indications contenues dans l’arrêt de la Cour de cassation de 2008, on ne saurait considérer que le requérant n’était pas en mesure de prévoir la requalification des faits qui lui étaient reprochés en corruption dans des actes judiciaires."

Le fait qu'il n'a pas pu se présenter devant la Cour de Cassation, pour se défendre est conforme à la convention puisque la Cour de Cassation analysait un point de droit et pas de fait.

Sur la recevabilité, il s'agissait de savoir si un arrêt de condamnation qui a a fait l'objet d'une décision de fin d'examen par le conseil des ministres, permettait la réouverture des débats, après une suite de procédure devant les juridictions internes, pour répondre au premier arrêt de la CEDH. La réponse est positive.

RECEVABILITÉ

44. En l’espèce, la Cour note que, à la suite de l’arrêt qu’elle a rendu le 11 décembre 2007, le requérant a saisi la cour d’appel de Venise afin d’obtenir l’annulation de sa condamnation. Celle-ci a renvoyé l’affaire devant la Cour de cassation, laquelle a révoqué l’arrêt de condamnation dans la partie concernant l’infraction de corruption et a décidé qu’un nouvel examen du pourvoi en cassation du requérant s’imposait. Une procédure a ainsi été entamée devant la Cour de cassation, qui s’est terminée le 25 mai 2009 par un nouvel arrêt de condamnation. Le requérant considère que la Cour de cassation a une nouvelle fois enfreint l’article 6 de la Convention dans la mesure où elle n’aurait pas satisfait aux exigences du contradictoire et n’aurait pas garanti son droit à la défense.

45. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que la procédure en cause est nouvelle et qu’elle est postérieure à la procédure pénale objet de son arrêt du 11 décembre 2007, bien qu’elle s’inscrive dans le cadre de l’exécution de celui-ci.

46. De plus, la Cour observe que, par la Résolution ResDH(2009)87 mettant fin à l’examen de la requête no 25575/04, le Comité des Ministres a pris acte de l’ouverture d’une procédure de réexamen de l’affaire du requérant, indiquant que, « dans le cadre de la nouvelle procédure, la Cour de cassation ne manquera pas de prendre en compte les exigences de la Convention en matière de procès équitable ». Ainsi, le Comité des Ministres a estimé que le gouvernement italien s’était acquitté de ses obligations et il a clôturé la procédure de surveillance sans prendre en compte l’arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2009, dont le Gouvernement avait omis de l’informer.

47. L’examen du Comité des Ministres n’a donc pas porté sur la décision judiciaire que le requérant conteste à présent devant la Cour et qui constitue dès lors, sous cet angle également, un élément nouveau, qui ne saurait être soustrait à un contrôle au titre de la Convention.

48. Partant, la Cour estime que l’article 46 de la Convention ne fait pas obstacle à l’examen par elle des griefs nouveaux tirés de l’article 6 de la Convention.

49. Par ailleurs, la Cour observe que cette dernière disposition trouve à s’appliquer à la procédure litigieuse dans la mesure où la Cour de Cassation devait se prononcer de nouveau sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale suite à la réouverture de la procédure (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2), précité, § 60 et Nikitine c. Russie, no 50178/99, § 60 in fine, CEDH 2004‑VIII).

50. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

ARTICLE 6-1 et 6-3 DE LA Conv EDH

a) Sur la requalification juridique de l’accusation

65. La Cour rappelle que l’équité de la procédure doit s’apprécier à la lumière de la procédure considérée dans son ensemble (voir, par exemple, les arrêts Miailhe c. France (no 2), 26 septembre 1996, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275). Le paragraphe 3 a) de l’article 6 de la Convention montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, l’inculpé est officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre lui. L’article 6 § 3 a) de la Convention reconnaît à l’accusé le droit à être informé non seulement de la cause de l’« accusation », c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999‑II).

66. La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant sur un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure. À cet égard, il convient d’observer que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. La Cour rappelle par ailleurs qu’il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et que le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (ibidem, §§ 52-54).

67. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la question qui se pose est celle de savoir si la procédure pénale ouverte à la suite de l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Drassich c. Italie était conforme aux standards de la Convention et si le requérant a été rejugé dans le respect des garanties d’un procès équitable. En l’occurrence, il s’agit de rechercher tout d’abord si le requérant a été adéquatement informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

68. À ce propos, la Cour observe que la procédure pénale a été rouverte contre le requérant pour permettre à la Cour de cassation, à savoir la juridiction qui avait décidé la requalification judiciaire litigieuse, de se conformer à l’arrêt de violation de la Cour de Strasbourg. Dans ce contexte, par son arrêt du 12 novembre 2008, la haute juridiction italienne a décidé de révoquer la condamnation du requérant dans sa partie relative à l’accusation de corruption dans des actes judiciaires et de procéder à un réexamen du recours en cassation du requérant dans le but de permettre à ce dernier de débattre de la question de la qualification juridique de l’accusation (paragraphe 21 ci-dessus).

69. Le Cour estime que, compte tenu des raisons de la réouverture du procès du requérant et à la lumière des indications contenues dans l’arrêt de la Cour de cassation de 2008, on ne saurait considérer que le requérant n’était pas en mesure de prévoir la requalification des faits qui lui étaient reprochés en corruption dans des actes judiciaires.

70. À cet égard, quant à l’argument du requérant selon lequel seule une notification formelle de l’accusation retenue contre lui aurait été conforme à la Convention, la Cour rappelle une fois encore que les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Ainsi, ce qui importe est de savoir si, malgré l’absence d’une notification formelle des charges de corruption dans des actes judiciaires, le requérant a été informé de manière adéquate et en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense.

71. La Cour doit dès lors rechercher si le requérant a eu une chance de préparer adéquatement sa défense et de débattre contradictoirement de l’accusation finalement retenue contre lui. Elle observe à cet égard que, pendant les cinq mois qui ont suivi la révocation partielle de la condamnation et la réouverture du procès, l’intéressé a pu déposer devant la Cour de cassation deux mémoires écrits. En outre, l’avocat du requérant a discuté oralement de l’affaire lors de l’audience du 25 mai 2009.

72. En outre, le requérant n’a pas démontré avoir présenté des arguments qui n’auraient pas été pris en considération par la Cour de cassation, ou que celle-ci s’était fondée sur des éléments de droit ou de fait qui n’auraient pas été débattus pendant le procès.

73. De plus, quant à l’argument du requérant selon lequel le principe du contradictoire n’a pas été respecté au vu de l’impossibilité de débattre de questions de fait devant la Cour de cassation, la Cour relève avec le Gouvernement que le requérant n’a à aucun moment contesté, fût-ce de manière accessoire, la façon dont le tribunal et la cour d’appel avaient établi les faits de l’affaire. Il ne ressort pas non plus du dossier que la défense du requérant ait demandé à un moment ou à un autre la réouverture de l’instruction dans le but d’obtenir de nouvelles preuves à décharge. En revanche, dans ses mémoires, le requérant s’est borné à demander la cassation sans renvoi de sa condamnation en raison, notamment, de la prescription des faits qui lui étaient reprochés. Dans ces conditions, compte tenu des questions à l’examen de la cassation, la Cour ne voit pas pourquoi l’affaire aurait dû être renvoyée d’office devant un juge de fond.

74. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les droits du requérant à être informé dans le détail de la nature et de la cause de l’accusation dirigée contre lui et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense n’ont pas été méconnus (voir Dallos c. Hongrie, no 29082/95, § 52, CEDH 2001‑II, et, a contrario, D.M.T. et D.K.I. c. Bulgarie, no 29476/06, § 84, 24 juillet 2012).

b) Sur l’impossibilité de comparaître devant la Cour de cassation

75. La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste. Toutefois, la manière dont l’article 6 § 1 de la Convention s’applique aux cours d’appel ou de cassation dépend des particularités de la procédure en cause. Il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour de cassation. Ainsi, une procédure ne comportant que des points de droit et non de fait peut satisfaire aux exigences de l’article 6, même si l’appelant ne s’est pas vu offrir la possibilité de comparaître devant la cour d’appel ou la Cour de cassation (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 41, CEDH 2002-VII, De Jorio c. Italie (déc.), no 73936/01, 6 mars 2003, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, §§ 58-67, CEDH 2006‑XII).

76. En l’espèce, la Cour vient de relever que la Cour de cassation s’est consacrée exclusivement à des points de droit et qu’elle ne s’est pas penchée sur des questions de fait, qui auraient nécessité la présence du requérant à l’audience. Il s’ensuit que le droit du requérant à un procès équitable n’a pas été entravé de ce point de vue non plus.

c) Conclusion

77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Hernandez Royo c. Espagne du 20 septembre 2016 requête no 16033/12

Non violation de l'article 6-1, 6-2 et 6-3 : L’absence des accusés ou de prise de parole d'un accusé à l’audience d’appel, alors qu’une telle possibilité leur était offerte, n’entraîne pas violation de la Convention

a) Principes généraux

32. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 33, série A no 297-A, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277 A, et De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004), l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès – étant l’un des éléments essentiels de l’article 6 de la Convention (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005).

33. La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel qu’en première instance (Kamasinski c Autriche, 19 décembre 1989, § 106, série A no 168, § 106). Ainsi, devant une cour d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 de la Convention ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (voir, mutatis mutandis, Golubev c. Russie, déc., no 26260/02, 9 novembre 2006, et Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212‑C).

34. Cependant, la Cour a également déclaré que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, un tel réexamen devrait conduire à une nouvelle audition intégrale des parties intéressées (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134).

35. La Cour a déjà eu l’occasion d’appliquer ces principes dans des affaires espagnoles et a considéré que, afin de déterminer s’il y avait eu violation de l’article 6 de la Convention, il convenait de se pencher sur le rôle de l’Audiencia provincial et sur la nature des questions dont cette juridiction avait à connaître. En effet, dans les causes concernant cette problématique portées devant elle, la Cour a considéré qu’une audience s’avérait nécessaire lorsque la juridiction d’appel effectuait une nouvelle appréciation des faits estimés établis en première instance et réétudiait ceux‑ci, se situant ainsi en dehors de considérations strictement juridiques (voir, entre autres, Valbuena Redondo c. Espagne, no 21460/08, 13 décembre 2011, et Pérez Martínez c. Espagne, no 26023/10, 23 février 2016). Dans pareil cas, le réexamen de la culpabilité de l’accusé doit conduire à une nouvelle audition intégrale des parties intéressées : ainsi, une audience en présence de l’accusé s’impose avant qu’un jugement sur la culpabilité de ce dernier ne soit rendu (Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009).

b) Application de ces principes en l’espèce

36. La Cour constate que la cause portée devant elle présente certaines particularités par rapport aux affaires susmentionnées. En effet, il n’est pas contesté qu’une audience a eu lieu devant l’Audiencia provincial de Saragosse, à laquelle était présent le deuxième requérant. La Cour observe également que le premier requérant avait été personnellement assigné à comparaître, qu’il n’était pas présent le jour de l’audience et que le représentant des requérants, présent quant à lui devant l’Audiencia provincial, n’a pas fourni d’explication sur cette non-comparution. Elle note aussi que, au cours de l’audience, les deux témoins proposés par la partie accusatrice privée ont été entendus.

37. À ce propos, la Cour relève que, dans son arrêt notifié le 25 octobre 2011, le Tribunal constitutionnel a reproché aux requérants de ne pas avoir fait usage des possibilités dont ils disposaient pour demander à être entendus devant l’Audiencia provincial. La Cour souscrit à cette approche, et elle estime que les requérants auraient en effet pu, dans un premier temps, demander à être entendus au moment où la juridiction d’appel les a informés de l’existence d’un recours à l’encontre du jugement du 25 juin 2008. Elle rejette sur ce point l’argument des requérants, qui se sont retranchés derrière les limitations du code de procédure pénale. Comme rappelé par la haute juridiction, il est suffisamment avéré que la jurisprudence constitutionnelle permet de réadministrer les preuves de nature personnelle (tels les témoignages) déjà administrées devant la juridiction de première instance en cas de contestation de faits établis (paragraphe 18 ci‑dessus).

38. Par ailleurs, la Cour note, à l’instar de la haute juridiction, que, après l’audition des témoins devant l’Audiencia provincial, le représentant des requérants a omis de proposer l’interrogatoire de ses clients, alors que celui‑ci lui aurait permis de contester les déclarations desdits témoins.

39. La Cour revient ensuite sur la question de savoir si, en l’espèce, l’audience des accusés en appel constituait une exigence dérivée des droits de la défense. À cet égard, il convient de se référer au raisonnement du Tribunal constitutionnel, qui, après avoir cité exhaustivement la jurisprudence de la Cour, a considéré que la juridiction d’appel avait effectué une nouvelle appréciation des faits établis par le juge pénal et qu’il était par conséquent nécessaire d’entendre les requérants. Après avoir analysé de manière très détaillée les démarches entreprises par l’Audiencia provincial, le Tribunal constitutionnel a estimé, au moyen d’arguments qui ne peuvent être considérés comme arbitraires ou déraisonnables, que l’assignation personnelle des requérants, décidée d’office par la juridiction d’appel, avait permis à ces derniers d’être entendus et avait par conséquent garanti le droit des intéressés à se défendre. La Cour souscrit à cette conclusion et est d’avis qu’aucun manque de diligence ne peut être reproché à l’Audiencia provincial quant au droit des requérants à ce que leur cause soit entendue équitablement. En effet, eu égard à la nature des questions soulevées en appel (lesquelles incluaient l’administration de nouvelles preuves), l’Audiencia, à sa propre initiative, a procédé à convoquer personnellement les requérants à l’audience publique, ce qui leur aurait permis d’intervenir, si tel avait été leur souhait. Le premier requérant ne s’est pas présenté à l’audience, sans que son représentant ait justifié l’absence (paragraphe 7 ci-dessus). Quant au deuxième requérant, il était présent à l’audience avec son représentant, mais n’a pas souhaité intervenir. La Cour prend note de ces éléments et considère que ce sont les requérants eux-mêmes qui ont renoncé à l’exercice de cette possibilité offerte par l’Audiencia provincial (voir, mutatis mutandis, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 45-46 et 51, 26 avril 2016).

40. La Cour estime enfin nécessaire d’examiner le grief des requérants portant sur la nécessité d’administrer à nouveau la totalité des preuves déjà administrées devant le juge pénal. Elle rappelle que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, et Heglas c. République tchèque, no 5935/02, § 84, 1er mars 2007). En effet, la tâche de la Cour consiste à examiner si la procédure, y compris le mode d’obtention des preuves, a été équitable dans son ensemble.

41. À la lumière des arguments qui précèdent, la Cour n’aperçoit pas de raisons valables de s’écarter des conclusions auxquelles sont parvenues les juridictions internes, et, en particulier, le Tribunal constitutionnel. En effet, les requérants avaient la possibilité d’être présents à l’audience et de s’exprimer à cette occasion sur la nouvelle appréciation des faits, mais ils n’en ont pas fait usage. Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

DA LUZ DOMINGUES FERREIRA c. BELGIQUE Requête no 50049/99 du 24 mai 2007

Le prévenu ne peut faire opposition d'un jugement de condamnation par défaut. C'est une violation de la Convnetion.

"46.  Dans la mesure où les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention s'analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera les griefs sous l'angle de ces deux dispositions combinées (voir, notamment, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I ; Krombach c. France, arrêt du 13 février 2001, Recueil 2001-II, § 82).

1.  Sur l'absence de comparution à l'audience de la cour d'appel de Liège du 17 juin 1994

47.  La Cour relève que la présente espèce concerne la question de savoir si un procès en l'absence de l'accusé se concilie avec l'article 6 §§ 1 et 3 c) : le requérant se plaint que l'audience d'appel du 17 juin 1994 ait eu lieu en son absence.

48.  La Cour a déjà eu l'occasion de préciser que la comparution d'un prévenu revêt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l'exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins ; dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les absences injustifiées aux audiences (Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, p. 15, § 35 ; Krombach précité, § 84). Une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention s'il peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé des accusations en fait comme en droit (Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 15, § 29 ; Poitrimol précité, p. 13, § 31, Medenica c. Suisse, arrêt du 14 juin 2001, no 20491/92, § 54, CEDH 2001-VI).

49.  L'article 208 du code d'instruction criminelle permet d'attaquer les arrêts rendus par défaut sur l'appel par la voie de l'opposition, pouvant entraîner, si elle est déclarée recevable, un nouvel examen de la cause en fait comme en droit. Cette possibilité existe que le prévenu soit incarcéré en Belgique ou à l'étranger comme en l'espèce. Dans le cas présent, par un arrêt du 4 novembre 1998, la cour d'appel de Liège a déclaré irrecevables les oppositions formées par le requérant. Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation le 6 janvier 1999. Compte tenu du fait qu'il ne pouvait être préjugé de ces circonstances lors de l'audience du 17 juin 1994 et que le grief tenant à l'irrecevabilité de l'opposition est examiné séparément (paragraphes 54 à 59 ci-dessous), la Cour n'en tirera pas de conclusions à ce stade.

50.  La Cour relève avec le Gouvernement que le requérant a interjeté lui-même appel du jugement du tribunal correctionnel d'Arlon en février 1994 et qu'il savait donc depuis cette date qu'il serait cité à comparaître en appel. Or, tout en tenant compte du fait que le principe à l'époque des faits litigieux était la comparution personnelle (article 185 paragraphe 2 du code d'instruction criminelle), la Cour constate que le requérant n'a effectué aucune démarche pour pallier son impossibilité « juridique » à comparaître, vraisemblablement liée à son incarcération en Allemagne. De plus, le requérant n'a invoqué le défaut de réception de la citation à comparaître ni lors de la demande de remise d'audience, ni dans les conclusions déposées sur opposition en 1998. Il a de plus, par sa lettre du 1er juin 1994 demandant une remise de l'audience, montré sans équivoque qu'il connaissait la date de celle-ci. Enfin, le requérant n'a pas fait preuve de plus de diligence pour motiver sa demande de remise d'audience, invoquant sa seule impossibilité « juridique » à comparaître.

51.  Compte tenu de l'ensemble des circonstances, la Cour estime que le manque de diligence du requérant a, dans une large mesure, contribué à créer une situation l'empêchant de participer et d'assurer sa défense à l'audience devant la cour d'appel de Liège.

52.  De l'avis de la Cour, dans ces circonstances particulières, rien n'autorise à considérer que la cour d'appel de Liège aurait versé dans l'arbitraire ou se serait fondée sur des prémisses manifestement erronées en indiquant que le requérant avait été régulièrement cité et appelé et en jugeant par défaut (arrêt Medenica précité, § 57).

53.  A la lumière de ce qui précède et, puisqu'il ne s'agit en l'espèce ni d'un prévenu qui n'aurait pas été informé de la procédure ouverte contre lui (Colozza précité, p. 14, § 28 ; F.C.B. c. Italie, arrêt du 28 août 1991, série A no 208-B, p. 21, §§ 33-35 ; T. c. Italie, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C, pp. 41-42, §§ 27-30), ni d'un prévenu privé de l'assistance d'un avocat (Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, pp. 14-15, §§ 32-38 ; Pelladoah c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-B, pp. 34-35, §§ 37-41 ; Lala c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-A, pp. 13-14, §§ 30-34 ; Van Geyseghem, précité, §§ 33-35 ; Krombach, précité, §§ 83-90), la Cour estime que la tenue de l'audience en l'absence du requérant et sa condamnation par défaut ne s'analysent pas en une mesure disproportionnée.

2.  Sur l'irrecevabilité de l'opposition

54.  La Cour a récemment fait le point sur les principes généraux en matière de droit à un nouveau procès lorsqu'un individu est condamné par défaut ou in absentia (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 81-85, CEDH 2006-...). Elle a en particulier rappelé que, si une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu'un déni de justice est constitué lorsqu'un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit, alors qu'il n'est pas établi qu'il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza précité, p. 15, § 29 ; Einhorn c. France (déc.), n71555/01, § 33, CEDH 2001-XI ; Krombach précité, § 85; Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV, Battisti c. France (déc.), no 28796/05), ni qu'il a eu l'intention de se soustraire à la justice (Medenica précité, § 55).

55.  La Cour a estimé que l'obligation de garantir à l'accusé le droit d'être présent dans la salle d'audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d'un nouveau procès – est l'un des éléments essentiels de l'article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en l'absence de toute indication que l'accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure « manifestement contraire aux dispositions de l'article 6 ou aux principes qui y sont consacrés » (Stoichkov précité, §§ 54-58).

56.  Dans la présente espèce, en formant opposition par lettre recommandée le jour même de la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Liège en 1994, puis en formant à nouveau opposition contre le même arrêt par voie de déclaration au directeur de l'établissement pénitentiaire en 1998, le requérant a montré sans ambiguïté sa volonté de comparaître et de se défendre, ce que le Gouvernement ne conteste d'ailleurs pas. Toutefois, le requérant n'obtint pas le droit d'être entendu sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit puisque, dans les deux cas, son opposition fut déclarée irrecevable, pour non respect des formalités dans le premier cas et pour tardiveté dans le second.

57.  La Cour convient avec le Gouvernement de l'importance de respecter la réglementation pour former un recours (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 44-45). Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (ibidem, § 45).

58.  Dans la présente espèce, l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 30 juin 1994 a été signifié le 4 août 1994 à la personne du requérant alors incarcéré en Allemagne. Le jour même, c'est-à-dire dans le délai prescrit par l'article 208 du code d'instruction criminelle, le requérant aurait adressé un courrier recommandé au ministère public par lequel il déclarait vouloir former opposition contre l'arrêt du 30 juin 1994. Au motif que l'opposition avait été formée dans une forme non prévue par la loi, la cour d'appel de Liège déclara cette opposition irrecevable par arrêt du 4 novembre 1998. La Cour constate toutefois que le requérant n'a pas été informé, lors de la signification de l'arrêt du 30 juin 1994, des formalités à respecter pour former opposition. Le Gouvernement se contente à ce sujet de renvoyer aux articles 35 et 35 a) du code allemand de procédure pénale (paragraphe 44 ci-dessus). Il n'a en revanche établi à aucun stade de la procédure qu'à l'époque des faits, la signification d'une décision belge à une personne détenue en Allemagne était accompagnée des documents pouvant utilement permettre au prévenu d'introduire un recours dans le respect des formes et délais prescrits.

59.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le refus par la cour d'appel de Liège de rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en présence d'éléments montrant sans équivoque que l'accusé souhaitait faire valoir son droit de comparaître a privé le requérant du droit d'accès à un tribunal. Partant, il y a violation de l'article 6 § 1."

Mariani contre France du 31 mars 2005 requête 45640/98

40.  Dans son arrêt Krombach c. France (précité), la Cour a réaffirmé que la présence de l'accusé à un procès pénal revêt une importance capitale en raison tant du droit d'être entendu que de la nécessité de contrôler l'exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins, tout en précisant que cela vaut pour un procès d'assises comme pour un procès correctionnel (§ 86). En outre, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable : un accusé n'en perd pas le bénéfice du seul fait de son absence aux débats, et même si le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l'assistance d'un défenseur (arrêts Van Geyseghem, précité, § 34 ; Krombach, précité, § 89).

  La Cour a donc jugé que la procédure par contumace ne répondait pas aux exigences de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention (Krombach, précité, § 91).

  41.  En l'espèce, à la différence de M. Krombach, qui avait clairement manifesté sa volonté de ne pas se rendre à l'audience de la cour d'assises, M. Mariani n'a pas refusé d'être présent. Il était dans l'incapacité matérielle de se présenter en raison de la peine qu'il purgeait alors en Italie. A cet égard, la Cour note que les autorités françaises, nonobstant l'indication de l'arrêt de la cour d'assises de Paris selon laquelle l'intéressé était déclaré en fuite, avaient connaissance de la situation pénale du requérant, l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises lui ayant été précédemment notifié sur son lieu de détention.

  42.  Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la solution retenue dans l'affaire Krombach doit a fortiori s'appliquer en l'espèce. Elle note d'ailleurs que le Gouvernement, compte tenu de l'arrêt Krombach et de la réforme législative subséquente intervenue en 2004, déclare s'en remettre à sa sagesse (paragraphe 37 ci-dessus).

  En conclusion, il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c), d) et e) combinés de la Convention.

RIVIÈRE c. FRANCE du 25 juillet 2013 Requête no 46460/10

22.  Les requérants soutiennent qu’en raison du refus de renvoi de l’audience du 4 décembre 2008, ils se sont trouvés dans l’impossibilité d’exposer leur cause devant la cour d’appel. Ils estiment que les motifs invoqués à l’appui de leur demande de renvoi étaient sérieux et qu’ils ne pouvaient être considérés comme ayant renoncé à leur droit de comparaître et de se défendre. Ils soulignent que la procédure devant les juridictions pénales est orale : la présence des personnes mises en cause permet ainsi aux juges non seulement de mieux connaître les faits de l’espèce et de pouvoir décider en conséquence si l’infraction poursuivie est ou non constituée, mais également d’apprécier la personnalité des prévenus pour déterminer le quantum de la peine appliquée.

23.  Le Gouvernement estime que le rejet non motivé de la demande de report devant la cour d’appel ne saurait être analysé comme une atteinte au droit des requérants à être personnellement entendus. Il souligne que l’arrêt de la cour d’appel fait état du délibéré auquel a donné lieu la demande de report ; l’absence de motivation de cette mesure d’administration de la justice demeure sans incidence sur le droit d’accès des requérants au tribunal, dans la mesure où la Cour de cassation réserve aux juges du fond l’appréciation souveraine de la validité des excuses présentées. Le Gouvernement ajoute que la Cour a elle-même rappelé, dans l’affaire Van Pelt c. France (no 31070/96, § 64, 23 mai 2000), que l’appréciation des éléments de preuve à l’appui des demandes d’excuses relève uniquement des juridictions internes. Finalement, le Gouvernement souligne que la constatation de l’infraction reposait en l’espèce sur des procès-verbaux et que la personnalité des requérants ou leurs mobiles étaient peu déterminants, les peines encourues étant quant à elles exclusivement des amendes. Par ailleurs, les requérants, assistés d’un avocat, avaient été entendus en première instance et leurs déclarations avaient été transmises à la cour d’appel. Le Gouvernement considère que les requérants avaient été régulièrement cités à comparaître à l’audience du 4 décembre 2008 et que leur demande de renvoi a régulièrement été examinée par la cour d’appel.

24.  La Cour rappelle d’emblée que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1. Partant, elle examinera le grief sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi d’autres, Van Pelt, précité, § 61).

25.  La Cour rappelle que, s’il reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur (...) », l’article 6 § 3 c) n’en précise pas les conditions d’exercice. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A no 205, et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, CEDH 2010-...). Aussi, la Cour a-t-elle eu l’occasion de préciser qu’il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables (Sejdovic, précité, § 88, Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 57, CEDH 2001‑VI, et Van Pelt, précité, § 64).

26.  En première instance, la notion de procès équitable implique en principe la faculté pour l’accusé d’assister aux débats. Cependant, la comparution personnelle du prévenu ne revêt pas nécessairement la même importance au niveau de l’appel. De fait, même dans l’hypothèse d’une cour d’appel ayant plénitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit de comparaître en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher et à leur importance pour l’appelant (Sakhnovski, précité, § 96).

27.  Les procédures d’autorisation de recours, ou consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les exigences de l’article 6 même si la cour d’appel ou de cassation n’a pas donné au requérant la faculté de s’exprimer en personne devant elle, pourvu qu’il y ait eu audience publique en première instance (voir, entre autres, Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 58, série A no 115, pour l’autorisation d’appel, et Sutter c. Suisse, 22 février 1984, § 30, série A n74, pour la Cour de cassation). Dans le second cas, la raison en est qu’il n’incombe pas à la juridiction concernée d’établir les faits, mais uniquement d’interpréter les règles juridiques litigieuses (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 31, série A no 134).

28.  En l’espèce, le tribunal correctionnel ne s’est prononcé sur les accusations dirigées contre les requérants qu’après une audience à laquelle ceux-ci ont comparu, assistés d’un avocat. Il n’en alla pas de même devant la cour d’appel, celle-ci ayant rejeté la demande des requérants en vue du report de l’audience et retenu l’affaire en leur absence, avant de rendre un arrêt contradictoire à signifier.

29.  La cour d’appel devait examiner l’affaire en fait et en droit. En effet, l’audience d’appel impliquait, eu égard à l’effet dévolutif de l’appel, un nouvel examen des preuves et de la culpabilité ou de l’innocence des prévenus et, le cas échéant, de leur personnalité. En raison des éléments susmentionnés, le caractère équitable de la procédure impliquait donc, en principe, le droit pour les requérants, non représentés par un conseil, d’assister aux débats afin que leurs intérêts soient exposés et protégés devant la juridiction d’appel.

30.  Les requérants ayant expressément sollicité le report de l’audience d’appel en raison d’empêchements précisés dans leur demande et justifiés par des pièces produites à l’appui de celle-ci (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour doit examiner la question de savoir si la cour d’appel pouvait juger que l’excuse n’était pas valable.

31.  Or, si la Cour est consciente des conséquences des demandes de renvoi infondées, assurément préjudiciables à la bonne administration de la justice, elle estime que celles qui reposent sur des justificatifs objectifs, et non sur de simples affirmations non étayées de l’« accusé », doivent non seulement être effectivement examinées par les juridictions internes, mais également donner lieu à une réponse motivée.

32.  Elle estime que la présente affaire se distingue des affaires Van Pelt et Medenica (précitées), en ce que les magistrats de la cour d’appel n’ont pas motivé leur refus de reporter l’audience. En effet, dans l’affaire Van Pelt, la cour d’appel avait analysé les certificats médicaux pour conclure qu’il n’en résultait pas que le requérant était dans l’impossibilité de se présenter à l’audience. Quant à l’affaire Medenica, la demande de renvoi présentée par le requérant avait été rejetée selon une motivation circonstanciée de la part de la chambre pénale de la cour de justice, entérinée ensuite par le Tribunal fédéral.

33.  En l’espèce, en revanche, la cour d’appel a seulement indiqué qu’elle retenait l’affaire après avoir délibéré sur la demande de renvoi sans autre explication quant aux excuses invoquées. Quant à la Cour de cassation, elle a rejeté le moyen des requérants tiré de l’article 6 de la Convention, au motif que la cour d’appel avait souverainement apprécié la valeur des arguments présentés. Au regard des réponses ainsi fournies par les autorités nationales, la Cour ne peut s’assurer que la cour d’appel avait effectivement examiné la question de savoir si les excuses fournies par les requérants étaient valables. Dès lors, elle n’est pas en mesure d’exercer son contrôle sur le respect de la Convention et doit constater la violation des droits des requérants.

34.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

HUSEYN et Autres C. Azeybaïdjan du 26 juillet 2011

requêtes 35485/05, 45553/05, 35680/05, 36085/05

La procédure pénale engagée contre quatre opposants politiques accusés d’avoir incité des manifestants à la violence était inéquitable

Les requérants, Panah Chodar oglu Huseyn, Rauf Arif oglu Abbasov, Arif Mustafa oglu Hajili et Sardar Jalal oglu Mammadov, sont des ressortissants azerbaïdjanais nés respectivement en 1957, 1966, 1962 et 1957 et résidant à Bakou. Membres actifs bien connus de l’opposition politique, ils soutenaient tous Isar Gambar, principal candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 2003.

M. Gambar perdit les élections du 15 octobre 2003. Le soir même, des sympathisants de l’opposition se rassemblèrent devant le siège de l’un des partis d’opposition, situé au centre de Bakou, pour revendiquer la victoire de leur candidat. Le lendemain, un certain nombre de sympathisants de l’opposition se rassemblèrent de nouveau dans le centre ville. D’après les rapports officiels, les manifestants, incités à la violence par les chefs de l’opposition, endommagèrent des voitures, des bâtiments et d’autres biens publics. La police anti-émeutes et des militaires arrivèrent sur les lieux pour disperser cette manifestation non autorisée, ce qui donna lieu à des heurts violents. D’après les récits des manifestants, les policiers eurent recours à une force excessive et indiscriminée contre toute personne se trouvant dans les parages.

Plusieurs centaines de personnes furent arrêtées pendant ces événements et les jours qui suivirent, dont les quatre requérants. M. Huseyn allègue avoir subi des mauvais traitements répétés dans un centre de détention du département du crime organisé du ministère de l’Intérieur, où on l’a tout d’abord gardé pendant quatre jours.

Les griefs qu’il a introduits en février 2004 devant le parquet puis devant le tribunal de première instance ont été rejetés pour défaut de fondement. Après leur arrestation, trois des requérants se seraient vu refuser l’accès à un avocat pendant plusieurs jours.

Les requérants furent accusés d’« organisation de troubles à l’ordre public » et d’« usage de violences contre des fonctionnaires de l’Etat », sur le fondement du code pénal. Une fois terminée l’enquête préliminaire en mars 2004, leurs avocats eurent très peu de temps – un jour ouvré pour l’avocat de M. Huseyn et moins de 100 heures pour les avocats de M. Abbasov – pour étudier le dossier, qui comportait des milliers de pages de documents et plusieurs vidéos. L’affaire des requérants (qui concernait aussi trois autres personnes) fut disjointe d’une autre affaire pénale ouverte en relation avec les manifestations d’octobre 2003 et concernant un grand nombre de personnes, et ce apparemment pour accélérer la procédure.

Lors d’une audience préliminaire tenue en mai 2004, les avocats des requérants se plaignirent au tribunal de première instance des risques qui pesaient selon eux sur leur sécurité, alléguant qu’ils avaient été agressés par des policiers alors qu’ils donnaient un entretien devant la salle d’audience. On ne sait pas si le tribunal a pris des mesures à cet égard. Les requérants récusèrent deux des juges, signalant que le fils de l’un d’eux travaillait au parquet général et était le subordonné du chef de l’équipe enquêtant dans leur affaire, et que l’autre juge était le frère d’un enquêteur du parquet général qui avait fait partie pendant quelques mois de l’équipe menant l’enquête sur leur affaire. Le tribunal rejeta ces demandes de récusation, considérant notamment que la dernière personne n’avait travaillé que sur l’affaire pénale dont celle des requérants avait été disjointe et ne faisait plus partie de l’équipe enquêtrice depuis janvier 2004.

Pendant le procès, les requérants s’opposèrent en outre à l’utilisation comme preuves de déclarations de plusieurs policiers produites par l’accusation au motif que, d’après le procès-verbal, elles avaient toutes été recueillies par le même enquêteur au même moment et étaient mot pour mot identiques. Lors d’un contre-interrogatoire, les avocats des requérants relevèrent un certain nombre d’incohérences dans les déclarations formulées par les policiers avant et pendant l’audience. Confrontés à ces incohérences, certains policiers se rétractèrent ou modifièrent en partie leur témoignage. Le tribunal admit toutefois ces déclarations à titre de preuves et ne fit ensuite pas état des objections des requérants dans son jugement. Il admit ensuite les témoignages de personnes précédemment condamnées dans le cadre de la manifestation d’octobre 2003, alors que certaines d’entre elles avaient rétracté leurs déclarations antérieures au procès dirigées contre les requérants, précisant qu’elles leur avaient été extorquées sous la torture ou les mauvais traitements. Le tribunal indiqua que les plaintes pour mauvais traitements émanant de ces personnes avaient été jugées sans fondement lors de leurs procès respectifs et que leurs déclarations constituaient des preuves solides.

Parallèlement, le tribunal rejeta les dépositions de plusieurs témoins favorables aux requérants, relevant que ces personnes étaient membres ou employées de leurs partis politiques.

Lors de la procédure, un certain nombre de hauts fonctionnaires de l’Etat et d’autorités publiques, dont le ministère de l’Intérieur et le chef du service de police de district, firent dans la presse des déclarations où ils dénonçaient les partis politiques des requérants et les déclaraient responsables d’actions « illégales ».

Invités par le tribunal à prononcer leur plaidoirie finale, les avocats de trois des requérants refusèrent de s’exécuter en faisant notamment valoir qu’ils n’avaient pas disposé du temps nécessaire pour préparer la défense de leurs clients et qu’ils n’avaient pas eu accès à certains des éléments de preuve à charge, qu’ils avaient subi des pressions, y compris des agressions physiques – que le tribunal avaient ignorées – et que l’issue du procès était connue d’avance puisque le président avait déclaré publiquement que les requérants étaient des criminels qui seraient châtiés. Le tribunal rejeta la demande des requérants tendant à ce qu’ils prononcent eux-mêmes la plaidoirie finale, mais les autorisa à exercer un droit de réponse au réquisitoire du parquet.

Toutefois, lorsqu’ils se lancèrent dans un long discours, le président du tribunal les interrompit puis leur ordonna de se taire.

En octobre 2004, les requérants furent reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés. Deux d’entre eux furent condamnés à une peine d’emprisonnement de quatre ans et six mois, et les deux autres à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Le jugement fut confirmé par la cour d’appel puis, en mars 2005, par la Cour suprême. Ce même mois, ils furent tous quatre libérés de prison à la faveur d’une grâce présidentielle.

Article 6 §§ 1 et 3

Concernant le grief des requérants selon lequel deux des juges ont manqué d’impartialité, la Cour constate qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments montrant que l’un ou l’autre ait fait preuve de partialité subjective. Il y a toutefois lieu de déterminer si des faits vérifiables étaient susceptibles de faire naître des doutes quant à leur impartialité. Lorsqu’est en jeu la confiance que, dans une société démocratique, les tribunaux doivent inspirer au public, et plus principalement à l’accusé, les apparences elles-mêmes peuvent revêtir de l’importance.

Pour la Cour, la décision de rejeter la demande de récusation visant le juge dont le frère était enquêteur au parquet général a été exagérément formaliste. Cette décision a en effet ignoré que l’affaire des requérants, bien que disjointe de celle sur laquelle l’enquêteur avait travaillé, n’était qu’une ramification de celle-ci et portait sur les mêmes événements et les mêmes accusations pénales. Dans ces conditions, la Cour considère que les liens familiaux étroits qui existaient entre un membre de l’équipe du parquet et le juge suffisaient à justifier les craintes des requérants quant à un manque d’impartialité. Pour ce qui est de l’autre juge, dont le fils travaillait pour le parquet général mais sans s’occuper de l’affaire des requérants, la Cour estime que ce lien ne pouvait manquer à tout le moins de renforcer ces craintes même si, considéré séparément, il pouvait passer pour trop éloigné pour justifier des inquiétudes quant à un manque d’impartialité.

Pour ce qui est de l’assistance juridique accordée aux requérants à leur arrestation, la Cour relève que trois d’entre eux ont été interrogés sans avocat et sans avoir expressément renoncé à leur droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat. Pareille restriction s’analyse manifestement en une atteinte à leurs droits de la défense au stade initial de la procédure.

Quant au stade du procès lui-même, la Cour juge que les circonstances de l’affaire montrent l’existence de graves problèmes s’agissant du temps et des facilités accordées à la défense pour prendre connaissance du dossier de l’enquête en vue de la préparation du procès. La Cour prend en compte le volume considérable des éléments de preuve et le fait que les requérants et leurs avocats se sont plaints de manière constante et répétée devant les tribunaux internes de ce problème, que le gouvernement azerbaïdjanais n’a pas réfuté à l’aide d’informations pertinentes ou concrètes dans ses observations.

Le refus des avocats des requérants de prononcer des plaidoiries finales a manifestement eu pour conséquence de priver les requérants d’une assistance juridique effective. La possibilité qui a été offerte aux requérants de présenter leurs arguments dans leur réponse au parquet n’a pas compensé cette lacune, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, car ce n’est que dans une plaidoirie finale qu’une partie est censée présenter sa vision globale de l’affaire sur le plan des faits et du droit. De plus, le discours des requérants a été interrompu, ce qui montre que le tribunal de première instance lui-même ne considérait pas ces discours comme équivalant à une plaidoirie finale.

S’agissant de l’admission et de l’examen des éléments de preuve, la Cour note que le tribunal de première instance ne s’est apparemment pas penché sur l’objection des requérants quant à la manière dont les dépositions des policiers ont été recueillies ni quant à leur teneur, et n’en a pas tenu compte lorsqu’il a fondé la condamnation des requérants sur ces témoignages. Le tribunal n’a donc pas traité la question de l’admissibilité des témoignages en cause ni celle de la crédibilité des témoins, qui auraient signé des déclarations identiques. Si l’objection des requérants avait été prise en compte, ces aspects de l’affaire auraient été de nature à influer sur l’appréciation globale menée par un tribunal équitable du point de savoir s’il existait des éléments suffisamment probants pour démontrer la culpabilité des requérants. Le tribunal aurait également dû examiner les incohérences, signalées par la défense, entre les déclarations formulées par les policiers avant et pendant l’audience, mais il n’a rien dit à ce sujet.

La Cour n’est pas non plus convaincue du bien-fondé de l’attitude du tribunal de première instance consistant à refuser d’accorder du poids au fait que certains témoins, qui ont allégué avoir été forcés de faire des déclarations par des mauvais traitements, ont rétracté leurs déclarations. La Cour renvoie en particulier aux rapports émanant de plusieurs organisations, comme l’OSCE et Human Rights Watch, sur les mauvais traitements infligés à des détenus à la suite des événements des 15 et 16 octobre 2003.

Sans considérer que les informations contenues dans ces rapports constituent des preuves irréfutables de ce que les témoins en question ont subi des mauvais traitements, elle estime néanmoins que la crédibilité de ces rapports et leur caractère cohérent et détaillé suscite une méfiance considérable quant à la manière dont les tribunaux internes ont abordé ces allégations. En considérant que les témoignages antérieurs aux procès constituaient des preuves admissibles, le tribunal a privé les requérants d’une appréciation exhaustive des preuves à charge.

Enfin, la Cour constate que la cour d’appel et la Cour suprême n’ont remédié à aucune des lacunes du procès de première instance. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 b), c) et d).

LE PRÉVENU JUGÉ PAR DÉFAUT

Lena Atanasova c. Bulgarie du 26 janvier 2017 requête no 52009/07

Violation de l'article 6-1 de la CEDH : Prévenue en fuite retrouvée : La requérante ayant sciemment renoncé à son droit de comparaître en personne devant les tribunaux, il n’y a pas violation de la Convention.

44. Les principes généraux concernant le droit de prendre part à l’audience et le droit à un nouveau procès, ainsi que la renonciation au droit de comparaître, ont été résumés dans l’arrêt Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 81-88, CEDH 2006‑II) :

« a) Droit de prendre part à l’audience et droit à un nouveau procès

81. Quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’objet et du but de l’ensemble de l’article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (Colozza, précité, § 27, T. c. Italie, précité, § 26, F.C.B. c. Italie, précité, § 33 ; voir également Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 37, Recueil 1998‑II).

82. Si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien‑fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza, précité, § 29, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 33, CEDH 2001-XI, Krombach c. France, no 29731/96, § 85, CEDH 2001-II, et Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV), ou qu’il a eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica, précité, § 55).

83. La Convention laisse aux États contractants une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l’article 6. Il appartient à la Cour de rechercher si le résultat voulu par la Convention se trouve atteint. En particulier, il faut que les moyens de procédure offerts par le droit et la pratique internes se révèlent effectifs si l’accusé n’a ni renoncé à comparaître et à se défendre ni eu l’intention de se soustraire à la justice (Somogyi, précité, § 67).

84. De plus, la Cour a estimé que l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès – est l’un des éléments essentiels de l’article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s’est déroulée par contumace en l’absence de toute indication que l’accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure « manifestement contraire aux dispositions de l’article 6 ou aux principes qui y sont consacrés » (Stoichkov, précité, §§ 54-58).

85. La Cour a aussi estimé que la réouverture du délai d’appel contre la condamnation par contumace, avec la faculté, pour l’accusé, d’être présent à l’audience de deuxième instance et de demander la production de nouvelles preuves s’analysait en la possibilité d’une nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, ce qui permettait de conclure que, dans son ensemble, la procédure avait été équitable (Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003).

b) Renonciation au droit de comparaître

86. Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol, précité, § 31). De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).

87. La Cour a estimé que, lorsqu’il ne s’agissait pas d’un inculpé atteint par une notification à personne, la renonciation à comparaître et à se défendre ne pouvait pas être inférée de la simple qualité de « latitante », fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante (Colozza, précité, § 28). Elle a également eu l’occasion de souligner qu’avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question (Jones, décision précitée).

88. Par ailleurs, il faut qu’il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Colozza, précité, § 30). En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica, précité, § 57). »

b) Application de ces principes dans la présente espèce

45. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la requérante a été informée de l’existence de la procédure pénale en cause les 12 janvier et 18 février 2005. À ces deux dates, la requérante a été inculpée, elle a pris connaissance des documents du dossier pénal, elle a été interrogée et a reconnu les faits, et elle a déclaré qu’elle s’expliquerait à un stade ultérieur de la procédure devant les tribunaux (paragraphes 13-15 ci‑dessus). Il s’ensuit que la requérante n’a pas explicitement renoncé à son droit de comparaître et de se défendre devant les tribunaux.

46. La Cour constate ensuite que la phase subséquente de la procédure pénale, à savoir l’examen des charges devant les tribunaux, s’est déroulée en l’absence de la requérante, qui n’avait pas été retrouvée à ses adresses figurant dans le registre de la population (paragraphes 19-22 ci-dessus). Après que la décision portant condamnation de la requérante fut devenue définitive, la requérante a intenté un recours en réouverture de la procédure, qui a été rejeté pour le motif qu’elle avait essayé de se soustraire à la justice (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).

47. Dans ces conditions, la Cour estime que la question principale qui se pose en l’occurrence est de savoir s’il a été établi que la requérante a eu l’intention de se soustraire à la justice ou qu’elle avait renoncé de manière implicite à comparaître et à se défendre devant les tribunaux (paragraphe 44 ci-dessus).

48. À cet égard, la Cour constate tout d’abord que la procédure en cause n’était pas la première procédure pénale diligentée contre la requérante. En effet, celle-ci avait été condamnée à trois reprises, par trois tribunaux de district différents, y compris à l’issue d’une procédure simplifiée sur reconnaissance des faits (paragraphes 6-8 ci-dessus). Qui plus est, lors de ses interrogatoires des 12 janvier et 18 février 2005, la requérante a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et s’est déclarée prête à s’engager dans une procédure de condamnation sur reconnaissance des faits (paragraphes 13-15 ci-dessus), qui aurait nécessairement impliqué une comparution devant les tribunaux. Par ailleurs, elle a déclaré qu’elle donnerait des explications détaillées devant les tribunaux (ibidem). Il s’ensuit que la requérante était déjà au courant à cette époque que son affaire serait très probablement portée devant les tribunaux. Étant donné qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’avait été prise à son encontre, elle pouvait donc raisonnablement s’attendre à être informée, par les autorités, de la suite de son affaire pénale à l’adresse de correspondance communiquée par elle.

49. À ce sujet, la Cour observe que la citation à comparaître établie dans la procédure en question n’a pas pu être remise à la requérante puisque celle-ci n’a pas été retrouvée à son adresse de correspondance à Sofia (paragraphe 19 ci-dessus). Par la suite, le tribunal de district de Pleven a entrepris plusieurs démarches aux fins de localisation de la requérante et de convocation à l’audience. Avec l’aide des services publics compétents, le tribunal a pu établir que la requérante n’avait pas quitté le territoire du pays, qu’elle n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire et qu’elle n’habitait à aucune de ses adresses figurant dans le registre de la population (paragraphes 19 et 20 ci-dessus).

50. La Cour note que, dans sa requête devant elle, la requérante a expliqué avoir informé l’enquêteur qu’elle passait ses week-ends à Tarnene, chez son compagnon (paragraphe 16 ci-dessus). Il apparaît que les autorités n’ont jamais cherché à la citer à comparaître à cette dernière adresse, mais qu’elle y a pourtant été retrouvée et arrêtée en mai 2007 (paragraphe 26 ci‑dessus).

51. Or la Cour observe qu’aucun élément du dossier ne corrobore l’affirmation de la requérante selon laquelle celle-ci avait communiqué l’adresse de son compagnon à Tarnene à l’enquêteur lors de ses interrogatoires des 12 janvier et 18 février 2005. Il est à noter que la seule adresse de correspondance avec la requérante figurant dans les procès‑verbaux dressés à ces deux dates était une adresse à Sofia, où la requérante n’a pas été retrouvée par la suite (paragraphes 17, 19 et 20 ci‑dessus).

52. En conclusion, compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que la situation dénoncée par la requérante ne s’analyse pas en une restriction injustifiée de son droit de participer à l’audience de son affaire pénale. La requérante avait été dûment informée de l’existence d’une procédure pénale à son encontre et des charges retenues contre elle. Elle avait reconnu les faits, s’était déclarée prête à négocier les termes de sa condamnation et pouvait donc raisonnablement s’attendre à être citée à comparaître devant les tribunaux. Elle a pourtant quitté l’adresse qu’elle avait préalablement communiquée aux autorités sans leur signaler le changement de son domicile. Son allégation selon laquelle elle aurait donné aux autorités l’adresse de son compagnon est restée complètement non étayée. Les autorités ont entrepris les démarches raisonnablement nécessaires afin d’assurer sa comparution devant le tribunal de district pendant son procès : elles ont d’abord cherché à la convoquer à l’adresse qu’elle leur avaient laissée et qu’elle avait quittée sans les prévenir ; elles ont ensuite cherché à établir les autres adresses connues de la requérante et à la convoquer à celles-ci ; elles ont cherché à la localiser dans les établissements pénitentiaires ; elles se sont assurées qu’elle n’avait pas quitté le territoire du pays. A la lumière de toutes ces circonstances, la Cour considère que la requérante a sciemment et valablement renoncé, de manière implicite, à son droit de comparaître en personne devant les tribunaux dans le cadre de la procédure pénale menée à son encontre. En outre, la Cour ne saurait reprocher à la Cour suprême de cassation d’avoir refusé, après avoir pris en compte ces mêmes circonstances, de rouvrir la procédure pénale à l’encontre de la requérante.

53. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en l’occurrence.

SANADER C. CROATIE arrêt du 12 février 2015 requête n° 66408/12

Violation de l'article 6-1 : une personne condamnée par contumace pour des crimes de guerre doit avoir une possibilité réelle de faire réexaminer son affaire sans sacrifier sa liberté, en garantie.

La Cour observe qu’au moment de l’ouverture de la procédure – compte tenu de l’intensification de la guerre en Croatie et du fait que l’intéressé résidait sur un territoire en dehors du contrôle des autorités – il était impossible aux autorités de lui notifier la procédure ni d’assurer sa présence. Dans ces conditions, les dispositions du droit national permettaient de tenir une audience en l’absence du défendeur s’il existait des raisons hautement importantes pour ce faire. La Cour admet qu’un procès en l’absence de M. Sanader, eu égard aux circonstances de l’affaire, notamment la gravité du crime allégué et l’intérêt général à poursuivre effectivement les crimes de guerre, n’était pas en soi contraire à l’article 6.

Toutefois, vu la situation de M. Sanader, à savoir le fait qu’il n’avait pas connaissance des poursuites dirigées contre lui ni des accusations dont il faisait l’objet, et compte tenu du fait qu’il n’avait pas tenté de se soustraire au procès ni renoncé à son droit de comparution devant le tribunal, la question centrale pour la Cour est celle de savoir si la législation nationale offrait à l’intéressé une possibilité suffisamment certaine de comparaître lors d’un nouveau procès. Dans ses observations à la Cour, le gouvernement croate a évoqué deux possibilités en droit national d’obtenir le réexamen d’une cause : premièrement un recours spécifiquement applicable aux procès tenus en l’absence du défendeur ; et deuxièmement un recours général permettant de demander la réouverture d’une procédure.

Quant à la première possibilité, la Cour observe que, selon la jurisprudence des tribunaux nationaux, les personnes dans la situation de M. Sanader souhaitant exercer ce recours ont l’obligation de se présenter aux autorités nationales et d’indiquer un lieu de résidence en Croatie pendant la procédure pénale. Toutefois, cela aboutit d’ordinaire à l’incarcération de la personne concernée sur le fondement de la condamnation par contumace. La possibilité, évoquée par le gouvernement croate, d’un report de l’exécution de la peine jusqu’à l’obtention d’un nouveau procès était en pratique assez improbable.

La Cour souligne que, selon sa jurisprudence, il ne peut être question qu’un accusé soit tenu de se rendre pour pouvoir demander à faire réexaminer sa cause, puisque cela signifierait que l’exercice du droit à un procès équitable serait conditionné par la renonciation de l’accusé à sa liberté à titre de garantie. De plus, en vertu du droit national pertinent, la simple ouverture de la procédure n’aurait eu aucun effet sur la validité du jugement rendu dans la procédure précédente. Pareil jugement serait demeuré exécutoire jusqu’à la fin du nouveau procès, et ce n’est qu’alors qu’il aurait pu être annulé. Dans ces conditions, la Cour estime qu’en obligeant M. Sanader à se présenter devant les autorités nationales et à indiquer un lieu de résidence en Croatie pendant la procédure pénale afin de pouvoir demander un nouveau procès les autorités croates ont généré un obstacle disproportionné à l’usage de ce recours.

Quant au second recours – général – évoqué par le Gouvernement, la Cour note qu’il est applicable uniquement à une catégorie restreinte d’affaires ; que son exercice est conditionné à l’existence de nouveaux éléments de preuve ou de nouveaux faits de nature à donner lieu à un acquittement ou à un allègement de peine. Or, la Cour observe que M. Sanader, qui a été jugé par contumace, n’a eu aucune possibilité de contester les constatations factuelles exposées dans le jugement par lequel il a été condamné.

La Cour conclut que M. Sanader ne s’est pas vu offrir une possibilité suffisamment certaine d’obtenir une nouvelle décision d’un tribunal sur les charges portées contre lui, dans le respect de ses droits de la défense. En conséquence, il y a eu violation de l’article 6.

Eu égard à cette conclusion, la Cour juge inutile d’examiner le grief de M. Sanader concernant le caractère prétendument inadéquat de sa représentation juridique par un avocat commis d’office pendant la procédure menée en son absence.

Arrêt Colozza contre Italie du 12/02/1985 Hudoc 47 requête 9024/80

La C.E.D.H considère qu'un prévenu considéré en fuite et jugé par défaut; doit, une fois informé des poursuites, pouvoir obtenir qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation portée contre lui.

Les Etats contractants jouissent d'une grande liberté dans le choix des moyens à utiliser à cette fin; la tâche de la Cour ne consiste pas à leur indiquer, mais à rechercher si le résultat voulu par la Convention se trouve atteint.

Or la voie de recours dont disposait le requérant -"l'appel tardif"- ne remplissait pas les conditions nécessaires.

Monsieur Colozza n'a ainsi jamais bénéficié d'un examen de sa cause par un tribunal doté de la plénitude de juridiction et siégeant en sa présence, partant, il y a eu violation de l'article 6§1 de la Convention.

Arrêt Karatas contre France du 16/05/2002 Hudoc 3657 requête 38396/97

la C.E.D.H a constaté que le fait d'être obligé de se constituer prisonnier pour faire opposition du jugement de condamnation par défaut et hors de la présence du prévenu, est une violation de l'article 6§1 de la Convention.

Arrêt Maat contre France du 27/04/2004 Hudoc 5042 requête 39001/47

"§42: La Cour a affirmé, à de nombreuses occasions, que l'obligation de se constituer prisonnier, pour exercer une voie de recours, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal (voir ci-dessous, section France)

§43: Toutefois dans l'affaire Karatas et Sari, la Cour s'est démarquée de cette jurisprudence compte tenu du contexte très particulier de l'affaire (le requérant sous contrôle judiciaire s'enfuit. Pour pouvoir faire opposition il lui est alors exigé de se mettre à la disposition de la justice, en se constituant prisonnier; en l'espèce, le requérant s'est bien présenté à l'audience avec son avocat)

"Et ce n'est qu'en raison de son absence lors du prononcé du jugement  du 28 novembre 1996 que le tribunal a décidé de décerner à titre de mesure de sûreté un mandat d'arrêt"

Le Gouvernement déclare que le requérant n'aurait subi que huit jours de détention, la Cour considère que 24 heures sont déjà de trop (arrêt Kalfaoui contre France; voir ci-dessous section France)

"§46: Ainsi, le refus de la Cour d'Appel de Grenoble de déclarer recevable l'acte d'appel par l'intermédiaire d'un avocat, au motif que le requérant se dérobe à l'exécution d'un mandat d'arrêt et l'obligation qui en résulte pour le requérant de déférer à ce dernier pour faire opposition audit arrêt, a pour effet de subordonner le droit d'accès au tribunal à une caution constituée par la liberté physique du requérant. La Cour, dans ces conditions, considère que l'entrave au droit d'accès à un tribunal est disproportionnée"

Partant, il y a violation de l'article 6§1 de la Convention.

DA LUZ DOMINGUES FERREIRA c. BELGIQUE

Requête no 50049/99 du 24 mai 2007

Le prévenu ne peut faire opposition d'un jugement de condamnation par défaut

"46.  Dans la mesure où les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention s'analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera les griefs sous l'angle de ces deux dispositions combinées (voir, notamment, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I ; Krombach c. France, arrêt du 13 février 2001, Recueil 2001-II, § 82).

1.  Sur l'absence de comparution à l'audience de la cour d'appel de Liège du 17 juin 1994

47.  La Cour relève que la présente espèce concerne la question de savoir si un procès en l'absence de l'accusé se concilie avec l'article 6 §§ 1 et 3 c) : le requérant se plaint que l'audience d'appel du 17 juin 1994 ait eu lieu en son absence.

48.  La Cour a déjà eu l'occasion de préciser que la comparution d'un prévenu revêt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l'exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins ; dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les absences injustifiées aux audiences (Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, p. 15, § 35 ; Krombach précité, § 84). Une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention s'il peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé des accusations en fait comme en droit (Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 15, § 29 ; Poitrimol précité, p. 13, § 31, Medenica c. Suisse, arrêt du 14 juin 2001, no 20491/92, § 54, CEDH 2001-VI).

49.  L'article 208 du code d'instruction criminelle permet d'attaquer les arrêts rendus par défaut sur l'appel par la voie de l'opposition, pouvant entraîner, si elle est déclarée recevable, un nouvel examen de la cause en fait comme en droit. Cette possibilité existe que le prévenu soit incarcéré en Belgique ou à l'étranger comme en l'espèce. Dans le cas présent, par un arrêt du 4 novembre 1998, la cour d'appel de Liège a déclaré irrecevables les oppositions formées par le requérant. Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation le 6 janvier 1999. Compte tenu du fait qu'il ne pouvait être préjugé de ces circonstances lors de l'audience du 17 juin 1994 et que le grief tenant à l'irrecevabilité de l'opposition est examiné séparément (paragraphes 54 à 59 ci-dessous), la Cour n'en tirera pas de conclusions à ce stade.

50.  La Cour relève avec le Gouvernement que le requérant a interjeté lui-même appel du jugement du tribunal correctionnel d'Arlon en février 1994 et qu'il savait donc depuis cette date qu'il serait cité à comparaître en appel. Or, tout en tenant compte du fait que le principe à l'époque des faits litigieux était la comparution personnelle (article 185 paragraphe 2 du code d'instruction criminelle), la Cour constate que le requérant n'a effectué aucune démarche pour pallier son impossibilité « juridique » à comparaître, vraisemblablement liée à son incarcération en Allemagne. De plus, le requérant n'a invoqué le défaut de réception de la citation à comparaître ni lors de la demande de remise d'audience, ni dans les conclusions déposées sur opposition en 1998. Il a de plus, par sa lettre du 1er juin 1994 demandant une remise de l'audience, montré sans équivoque qu'il connaissait la date de celle-ci. Enfin, le requérant n'a pas fait preuve de plus de diligence pour motiver sa demande de remise d'audience, invoquant sa seule impossibilité « juridique » à comparaître.

51.  Compte tenu de l'ensemble des circonstances, la Cour estime que le manque de diligence du requérant a, dans une large mesure, contribué à créer une situation l'empêchant de participer et d'assurer sa défense à l'audience devant la cour d'appel de Liège.

52.  De l'avis de la Cour, dans ces circonstances particulières, rien n'autorise à considérer que la cour d'appel de Liège aurait versé dans l'arbitraire ou se serait fondée sur des prémisses manifestement erronées en indiquant que le requérant avait été régulièrement cité et appelé et en jugeant par défaut (arrêt Medenica précité, § 57).

53.  A la lumière de ce qui précède et, puisqu'il ne s'agit en l'espèce ni d'un prévenu qui n'aurait pas été informé de la procédure ouverte contre lui (Colozza précité, p. 14, § 28 ; F.C.B. c. Italie, arrêt du 28 août 1991, série A no 208-B, p. 21, §§ 33-35 ; T. c. Italie, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C, pp. 41-42, §§ 27-30), ni d'un prévenu privé de l'assistance d'un avocat (Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, pp. 14-15, §§ 32-38 ; Pelladoah c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-B, pp. 34-35, §§ 37-41 ; Lala c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-A, pp. 13-14, §§ 30-34 ; Van Geyseghem, précité, §§ 33-35 ; Krombach, précité, §§ 83-90), la Cour estime que la tenue de l'audience en l'absence du requérant et sa condamnation par défaut ne s'analysent pas en une mesure disproportionnée.

2.  Sur l'irrecevabilité de l'opposition

54.  La Cour a récemment fait le point sur les principes généraux en matière de droit à un nouveau procès lorsqu'un individu est condamné par défaut ou in absentia (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 81-85, CEDH 2006-...). Elle a en particulier rappelé que, si une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu'un déni de justice est constitué lorsqu'un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit, alors qu'il n'est pas établi qu'il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza précité, p. 15, § 29 ; Einhorn c. France (déc.), n71555/01, § 33, CEDH 2001-XI ; Krombach précité, § 85; Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV, Battisti c. France (déc.), no 28796/05), ni qu'il a eu l'intention de se soustraire à la justice (Medenica précité, § 55).

55.  La Cour a estimé que l'obligation de garantir à l'accusé le droit d'être présent dans la salle d'audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d'un nouveau procès – est l'un des éléments essentiels de l'article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en l'absence de toute indication que l'accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure « manifestement contraire aux dispositions de l'article 6 ou aux principes qui y sont consacrés » (Stoichkov précité, §§ 54-58).

56.  Dans la présente espèce, en formant opposition par lettre recommandée le jour même de la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Liège en 1994, puis en formant à nouveau opposition contre le même arrêt par voie de déclaration au directeur de l'établissement pénitentiaire en 1998, le requérant a montré sans ambiguïté sa volonté de comparaître et de se défendre, ce que le Gouvernement ne conteste d'ailleurs pas. Toutefois, le requérant n'obtint pas le droit d'être entendu sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit puisque, dans les deux cas, son opposition fut déclarée irrecevable, pour non respect des formalités dans le premier cas et pour tardiveté dans le second.

57.  La Cour convient avec le Gouvernement de l'importance de respecter la réglementation pour former un recours (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 44-45). Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (ibidem, § 45).

58.  Dans la présente espèce, l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 30 juin 1994 a été signifié le 4 août 1994 à la personne du requérant alors incarcéré en Allemagne. Le jour même, c'est-à-dire dans le délai prescrit par l'article 208 du code d'instruction criminelle, le requérant aurait adressé un courrier recommandé au ministère public par lequel il déclarait vouloir former opposition contre l'arrêt du 30 juin 1994. Au motif que l'opposition avait été formée dans une forme non prévue par la loi, la cour d'appel de Liège déclara cette opposition irrecevable par arrêt du 4 novembre 1998. La Cour constate toutefois que le requérant n'a pas été informé, lors de la signification de l'arrêt du 30 juin 1994, des formalités à respecter pour former opposition. Le Gouvernement se contente à ce sujet de renvoyer aux articles 35 et 35 a) du code allemand de procédure pénale (paragraphe 44 ci-dessus). Il n'a en revanche établi à aucun stade de la procédure qu'à l'époque des faits, la signification d'une décision belge à une personne détenue en Allemagne était accompagnée des documents pouvant utilement permettre au prévenu d'introduire un recours dans le respect des formes et délais prescrits.

59.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le refus par la cour d'appel de Liège de rouvrir une procédure qui s'est déroulée par défaut en présence d'éléments montrant sans équivoque que l'accusé souhaitait faire valoir son droit de comparaître a privé le requérant du droit d'accès à un tribunal. Partant, il y a violation de l'article 6 § 1."

Arrêt Hakimi contre Belgique du 29/06/2010 requête 665/08

Le prévenu ne peut faire opposition d'un jugement de condamnation par défaut

32.  Le requérant soutient que l'absence de mention du délai d'opposition ou à tout le moins de la disposition y relative, à savoir l'article 187 du code d'instruction criminelle, dans la signification, faite à personne par le directeur adjoint de la prison où il était détenu, était une circonstance de force majeure ne lui ayant pas permis de former opposition dans les quinze jours de cette signification, le requérant étant pour sa part ignorant de cette disposition légale. Son erreur à cet égard était invincible et il convenait dès lors de déclarer son opposition recevable.

33.  Le Gouvernement rappelle que l'arrêt Da Luz Domingues Ferreira précité, qui traitait une problématique similaire à celle de la présente affaire, a donné lieu à une circulaire du Collège des procureurs généraux du 18 juin 2008, imposant la signification des voies et délais d'opposition à tout défaillant à qui un jugement est signifié. La condamnation de l'Etat par cet arrêt a aussi été à l'origine de l'adoption de l'article 187 § 2 du code d'instruction criminelle.

34.  Le Gouvernement considère que les circonstances de la signification au requérant de sa condamnation sont, en l'espèce, similaires à celles de l'affaire susmentionnée, à savoir absence de mention de l'article 187 et de son contenu, absence des services d'un interprète lors de la signification de l'arrêt et défaut d'accès à un conseil ou à des informations quant aux voies de recours existantes. Il reconnaît dès lors que le requérant a bien été privé de son droit d'accès à un tribunal.

35.  La Cour relève que le problème soulevé en l'espèce est en partie similaire à celui dont la Cour a eu à connaître dans l'affaire Da Luz Domingues Ferreira précitée. Dans cette affaire, le requérant n'avait pas été informé, au moment de la signification de l'arrêt de condamnation, des formalités à respecter pour former opposition. En l'espèce, le requérant a tenté de faire « appel » contre le jugement du tribunal correctionnel. Il se serait rétracté par la suite, rétractation qu'il explique lui-même par un conseil que lui aurait donné un des surveillants de la prison. Le requérant bénéficiait de l'aide juridictionnelle, mais il ressort des faits que, lors de la période critique, le bureau d'aide juridictionnelle était sur le point de procéder à la désignation d'un nouvel avocat pour le requérant.

36.  Toutefois, indépendamment de toutes ces considérations, l'élément marquant en l'espèce est que la signification de l'arrêt au requérant ne portait pas mention du délai d'opposition. Compte tenu des commentaires du Gouvernement, la Cour n'aperçoit aucune raison de s'écarter de son constat dans l'arrêt Da Luz Domingues Ferreira précité selon lequel le refus par la cour d'appel de rouvrir la procédure qui s'est déroulée par défaut et le rejet pour tardiveté de l'opposition formée par le requérant, avaient privé ce dernier du droit d'accès à un tribunal.

37.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en l'espèce.

Arrêt Faniel contre Belgique du 1er mars 2011 requête 11892/08

Le prévenu ne peut faire opposition d'un jugement de condamnation par défaut

26.  La Cour rappelle qu'une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention. Il demeure néanmoins qu'un déni de justice est constitué lorsqu'un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit, alors qu'il n'est pas établi qu'il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre, ni qu'il a eu l'intention de se soustraire à la justice (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 81-85, CEDH 2006-II). La Cour convient avec le Gouvernement de l'importance de respecter la réglementation pour former un recours (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, §§ 44-45, Recueil 1998-VIII). Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (ibidem, § 45).

27.  Dans la présente affaire, la Cour note que le jugement du 24 mai 2002 a été signifié au domicile du requérant le 6 juin 2002. Cette signification faisait courir le délai ordinaire d'opposition prévu à l'article 187 § 1 du code d'instruction criminelle. Le requérant n'étant pas présent, l'huissier de justice a déposé un avis de présentation l'invitant à se rendre au commissariat de police de sa commune afin d'y retirer le jugement. Le requérant s'y est rendu le 24 juin 2002 et à partir de cette date a commencé à courir le délai extraordinaire d'opposition de quinze jours, prévu à l'article 187 § 2 du code d'instruction criminelle. Le requérant n'a formé opposition que le 11 octobre 2002, lorsqu'il a reçu l'invitation à se rendre en prison pour purger la peine à laquelle il avait été condamné. Il prétend qu'il ne l'a pas fait plus tôt car le policier, qui lui a signifié le jugement, lui aurait dit qu'il n'était pas possible d'introduire un recours contre un jugement prononcé par défaut.

28.  La Cour ne saurait raisonner en l'espèce comme si le requérant avait renoncé à son droit à former opposition au jugement. Si elle partage le sentiment du Gouvernement que le requérant était en mesure de comprendre que son inertie aurait des conséquences quant à l'exécution du jugement, et qu'il lui était loisible de consulter immédiatement un avocat ou de solliciter l'assistance judiciaire, elle considère que cet élément n'est pas déterminant pour parvenir à sa conclusion.

29.  A cet égard, la Cour rappelle que dans l'arrêt Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique précité, qui est intervenu dans un contexte factuel différent de celui de la présente affaire mais qui posait le même problème, soit l'irrecevabilité de l'opposition à un jugement rendu par défaut pour non respect des formalités et pour tardiveté, elle a fondé son constat de violation sur le fait que le requérant n'avait pas été informé, lors de la signification de l'arrêt, des formalités et des délais à respecter pour former opposition.

30.  De l'avis de la Cour, ce qui importe en matière d'accès à un tribunal, c'est non seulement que les règles concernant, entre autres, les possibilités des voies de recours et les délais soient posées avec clarté, mais qu'elles soient aussi portées à la connaissance des justiciables de la manière la plus explicite possible, afin que ceux-ci puissent en faire usage conformément à la loi. Il en est particulièrement ainsi lorsqu'une personne qui a été condamnée par défaut est détenue ou n'est pas représentée par un avocat lorsqu'elle reçoit notification d'un jugement de condamnation : elle doit pouvoir être immédiatement informée de manière fiable et officielle des possibilités de recours et des délais d'introduction. Il ne s'agit pas d'interpréter le droit ni de prodiguer des conseils que seul un avocat peut faire, mais d'indiquer le suivi qui peut être donné à un jugement.

31.  Or, une telle possibilité semble faire défaut en l'espèce : le jugement de condamnation du requérant ne comportait pas d'indication des formalités à respecter pour former opposition. A cet égard il importe peu, aux yeux de la Cour, que l'officier de police, qui lui a remis le jugement, ait effectivement tenu les propos que lui prête le requérant.

32.  La Cour relève que la Belgique a par la suite reconnu la nécessité d'une telle information et a pris des mesures dans ce sens comme en témoigne la circulaire du 18 juin 2008 « relative à la notification de ses droits à une personne condamnée par défaut détenue ou non au sein du Royaume ou à l'étranger » adoptée par le collège des procureurs généraux près les cours d'appel le lendemain de l'arrêt Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique précité (paragraphe 20 ci-dessus). En outre, il existe aussi une loi adoptée par le Parlement, mais jamais promulguée ni publiée au Moniteur belge, qui ajoute au code judiciaire un article 46bis, selon lequel l'acte de notification ou de signification de la décision doit, à peine de nullité, indiquer le délai d'opposition d'appel ou de pourvoi en cassation, dans le cas où une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.

33.  Enfin, la Cour note qu'en droit belge, d'une manière générale et sauf exception, le délai en matière civile pour exercer une voie de recours est d'un mois, à compter de la notification ou de la signification de la décision. Par ailleurs, l'article 792 § 3 du code judiciaire impose, lors de la notification du jugement, de faire mention des voies de recours, du délai dans lequel ces recours doivent être introduits, ainsi que de la dénomination et de l'adresse de la juridiction compétente pour en connaître. De plus, en matière sociale, l'article 9 § 3 de la loi du 7 août 1974 sur le minimum d'existence impose la notification des moyens de recours et des délais.

34.  Dans ces circonstances, la Cour estime que l'irrecevabilité pour tardiveté de l'opposition formée par le requérant contre le jugement le condamnant, alors qu'il n'a pas été informé des délais et des modalités pour l'introduire, a porté atteinte à son droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.

EXPULSION DES PRÉVENUS DE LA SALLE D'AUDIENCE

MARGUS C. CROATIE du 27 mai 2014 requête 4455/10

L'expulsion est justifiée par le comportement du prévenu.

2.  L’expulsion du requérant de la salle d’audience

90.  La chambre a émis l’appréciation suivante sur le grief du requérant :

« 50.  La Cour observe tout d’abord qu’elle n’a point pour tâche de trancher le différend opposant les parties sur la question de savoir si le tribunal de comté d’Osijek a agi conformément aux dispositions pertinentes du code croate de procédure pénale lorsqu’il a expulsé le requérant du prétoire au cours de l’audience de clôture. Son rôle consiste plutôt à apprécier si, au regard de la Convention, les droits de la défense ont été respectés dans le chef du requérant à un degré satisfaisant aux garanties d’équité consacrées par l’article 6 de la Convention. À cet égard, la Cour rappelle d’emblée que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (voir, parmi d’autres, Balliu c. Albanie, no 74727/01, § 25, 16 juin 2005). Il s’agit en réalité pour la Cour de rechercher si, considérée dans sa globalité, la procédure pénale dirigée contre le requérant a revêtu un caractère équitable (voir, parmi d’autres, Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, S.N. c. Suède, no 34209/96, § 43, CEDH 2002‑V, et Vanyan c. Russie, no 53203/99, §§ 63-68, 15 décembre 2005).

51.  La Cour admet que les conclusions finales représentent une étape importante du procès, puisqu’il s’agit de la seule occasion qu’ont les parties de donner oralement leur point de vue sur l’intégralité de l’affaire et sur l’ensemble des preuves produites devant le tribunal, et de présenter leur analyse de la cause. Cependant, lorsque l’accusé perturbe le bon déroulement de l’audience, on ne saurait attendre du tribunal qu’il demeure passif et autorise un tel comportement. Il relève du devoir normal du tribunal de maintenir l’ordre dans la salle d’audience, et les règles prévues à cet effet s’appliquent de la même manière à toutes les personnes présentes, y compris à l’accusé.

52.  En l’espèce, le requérant a été invité à deux reprises à ne pas interrompre les conclusions finales du procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek. Ce n’est qu’ensuite, parce qu’il ne s’était pas conformé à cette invitation, qu’il a été expulsé de la salle d’audience. Toutefois, l’avocat qui assurait sa défense est resté dans la salle et a présenté ses conclusions finales. Dès lors, le requérant ne s’est pas vu dénier la possibilité de faire connaître son point de vue final par l’intermédiaire de son avocat. À cet égard, la Cour relève également que le requérant, qui a été représenté par un avocat tout au long de la procédure, a eu amplement l’occasion, avant l’audience de clôture, de mettre au point sa stratégie de défense et de discuter avec son avocat des points à développer dans ses conclusions finales.

53.  Dans ces conditions, la Cour, considérant la procédure dans son ensemble, estime que l’expulsion du requérant hors du prétoire pendant l’audience de clôture n’a pas porté atteinte aux droits de la défense à un degré incompatible avec les exigences d’un procès équitable.

54.  Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à cet égard. »

91.  Souscrivant au raisonnement de la chambre, la Grande Chambre conclut à la non-violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention relativement à l’expulsion du requérant de la salle d’audience.

COUR DE CASSATION FRANÇAISE

L'EXTRADITION VERS L'ITALIE EST POSSIBLE PUISQUE LE PREVENU CONDAMNE PAR DEFAUT PEUT FAIRE OPPOSITION AU JUGEMENT

Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 15 octobre 2013 Pourvoi n° 13-86329 rejet

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Faycal X... a fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen, délivré le 10 mai 2012 par le procureur de la République de la cour d'appel de Florence pour l'exécution d'une peine de 7 ans d'emprisonnement prononcée en son absence par arrêt de ladite cour en date du 29 mars 2007, devenu irrévocable le 31 janvier 2009, pour des faits d'importation et détention de stupéfiants ; que, comparant devant la chambre de l'instruction, il n'a pas consenti à sa remise ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation de M. X... qui faisait valoir, notamment, que la possibilité d'exercer un recours contre la décision rendue par la cour d'appel de Florence n'était pas certaine, les règles de la procédure pénale italienne prévoyant seulement une réouverture de délai dont l'appréciation finale ne pouvait émaner que d'un juge, la chambre de l'instruction retient que si, comme le confirment les autorités italiennes à la suite d'un arrêt du 5 juin 2013 ordonnant un complément d'information, M. X... n'a pas été avisé régulièrement des dates et lieux des audiences, il pourra, dans les trente jours de sa remise, présenter une demande aux fins d'être rejugé, en application des dispositions de l'article 175 alinéas 1, 2 et 2 bis du code de procédure pénale italien ; que les juges en concluent que sont ainsi remplies les conditions exigées par l'article 695-22-1, 4°, du code de procédure pénale pour autoriser la remise d'une personne n'ayant pas comparu lors du procès à l'issue duquel la peine a été prononcée ;

Attendu qu'en cet état, contrairement à ce qui est soutenu, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, le demandeur disposant de la faculté, dans les trente jours de sa remise aux autorités italiennes, d'user du recours prévu par l'article 175 du code de procédure pénale italien pour obtenir un nouveau jugement au fond

UNE NOTE EN DELIBERE DOIT ÊTRE EXAMINEE D'AUTANT PLUS SI LE TRIBUNAL L'A ACCEPTE A L'AUDIENCE

Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 29 janvier 2014 Pourvoi n° 13-80093 Cassation

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon ce texte, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que M. X... a été jugé en l'absence de son avocat qui s'est présenté en retard à l'audience ; qu'ayant vainement sollicité la réouverture des débats, ce dernier a manifesté son intention d'adresser à la cour une note en délibéré ; que les notes d'audience portent la mention suivante : "une note en délibéré est acceptée" ;

Attendu que l'avocat du requérant a adressé le jour même, à la cour et au ministère public, par voie de télécopie, une note en délibéré dans laquelle il reprenait les deux exceptions de nullité déjà soulevées en première instance ; que la cour a retenu la culpabilité du prévenu sans répondre à ces exceptions ;

Attendu que si les juges ne sont pas tenus de faire mention, dans leur décision, de l'existence d'une note en délibéré produite après l'audience, dés lors qu'ils ne fondent pas leur conviction sur ce document, il en va différemment dans le cas où, au cours de l'audience, ils ont expressément accepté de recevoir une note en délibéré, celle-ci devant alors être examinée au même titre que des conclusions régulièrement déposées ;

Qu'en s'abstenant de répondre aux exceptions de nullité invoquées par l'avocat du requérant dans sa note, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef

Avant une sanction disciplinaire le gendarme ou le policier concerné a le droit de bénéficier d'une enquête judiciaire

COUR DE CASSATION chambre criminelle Arrêt du 7 juin 2011 pourvoi n°10-85090 CASSATION

Sur le premier moyen de cassation du mémoire ampliatif proposé pour M. X..., pris de la violation des articles 13, 224, 226 du code de procédure pénale, des droits de la défense

"en ce qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni du dossier que l'enquête préalable à toute sanction disciplinaire prise sur le fondement des articles 224 et suivants du code de procédure pénale, et à laquelle il doit être procédé préalablement en vertu de l'article 227 du même code, aurait été diligentée ; que l'arrêt rendu sur une procédure irrégulière doit être annulé"

Vu les articles 224 et 226 du code de procédure pénale

Attendu, selon ces textes, que lorsqu'elle exerce un contrôle sur l'activité des fonctionnaires civils et des militaires de la gendarmerie, officiers et agents de police judiciaire, pris en cette qualité, la chambre de l'instruction, une fois saisie, doit faire procéder à une enquête ; que cette enquête, essentielle aux droits de la défense, qui ne se confond pas avec l'audience de la juridiction, doit la précéder

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la chambre de l'instruction, saisie par son président, a décidé, sans avoir fait procéder préalablement à une enquête, que M. X..., officier de police judiciaire, ne pourrait pendant une durée d'un an exercer dans le ressort de la cour d'appel de Reims ses fonctions d'officier de police judiciaire et de délégué des juges d'instruction

Mais attendu qu'en procédant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

Le juge pénal ne doit répondre aux conclusions déposées à l'audience que par le justiciable ou son représentant

QUAND UN PREVENU EST CONVOQUE IL A DROIT D'ÊTRE ENTENDU

Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 29 janvier 2014 Pourvoi n° 13-82785 Cassation

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 199 du même code, et notamment son alinéa 4 ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, les arrêts de la chambre de l'instruction sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle ;

Attendu qu'il se déduit du second que, lorsque la chambre de l'instruction ordonne la comparution personnelle des parties, celles-ci doivent être entendues ;

Attendu que l'arrêt attaqué mentionne, d'une part, qu'a été entendu à l'audience M. X..., partie civile, comparant en personne, et, d'autre part, qu'il n'a pas été déposé de mémoire pour M. X..., qui, bien que présent, n'a pas été entendu par la chambre de l'instruction ;

Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations contradictoires, dont il ne résulte pas qu'il a été procédé à l'audition de la partie civile admise à comparaître, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue

Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 3 mars 2015 Pourvoi n° 14-86498 Cassation

Vu l'article 513 du code de procédure pénale, ensemble l'article 410 dudit code ;

Attendu que, selon le second de ces textes, l'avocat qui se présente pour assurer la défense du prévenu absent doit être entendu s'il en fait la demande, même lorsqu'il est démuni du mandat de représentation prévu par l'article 411 du même code;

Attendu qu'en application du premier de ces textes, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; que cette règle s'applique à tout incident, dès lors qu'il n'est pas joint au fond ;

Attendu qu'en statuant par des motifs qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que l'avocat qui représentait à l'audience, sans mandat de représentation, le prévenu absent, n'avait pas demandé à être entendu, la cour d'appel, qui n'a pas constaté dans son arrêt que cet avocat avait eu la parole le dernier, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

OBLIGATION DE SE PRESENTER OU D'ENVOYER UN AVOCAT

Le 16 juin 2011, la chambre criminelle, dans une formation mixte composée de représentants de toutes ses sections, a rendu une décision modifiant la jurisprudence qu’elle observait depuis un arrêt du 27 mai 1987 (n ° 86-93.921, B. n ° 223) sur l’application de l’article 459 du code de procédure pénale.

Ce texte dispose que le prévenu, les autres parties et leurs avocats peuvent déposer des conclusions à l’audience. Celles-ci sont visées par le président et le greffier qui en mentionne le dépôt aux notes d’audience. Le juge est tenu de répondre à ces conclusions.

Or, l’arrêt susvisé de 1987 avait adopté une conception large du dépôt de conclusions à l’audience en estimant que des écritures adressées à la juridiction par un prévenu qui ne comparaît pas devant elle doivent être considérées comme des conclusions régulièrement déposées auxquelles la juridiction est tenue de répondre.

Cette jurisprudence a donné lieu, notamment en matière de contentieux des contraventions, à la pratique de plus en plus répandue de prévenus contestant par les moyens les plus divers, exposés dans une lettre adressée au président de la juridiction, les infractions relevées à leur encontre, sans comparaître pour s’en expliquer devant la juridiction, au détriment du rapport de proximité du juge et du justiciable.

En effet, la présence du prévenu à l’audience est essentielle au principe de la contradiction qui découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et elle est imposée par l’article 410 du code de procédure pénale, même si l’article 411 prévoit une faculté de représentation par avocat ou par tout représentant, en application de l’article 544, si la poursuite vise une contravention passible seulement d’une peine d’amende. Etant précisé que, pour permettre la représentation par avocat, le bénéfice de l’aide juridictionnelle peut être sollicité à certaines conditions.

Par son arrêt du 16 juin 2011, rendu sur conclusions conformes de l’avocat général, la chambre criminelle est revenue à une interprétation stricte de l’article 459 du code de procédure pénale selon laquelle la juridiction pénale ne peut être saisie régulièrement de conclusions auxquelles elle est tenue de répondre que si ces conclusions sont déposées à son audience par la partie ou son représentant.

COUR DE CASSATION chambre criminelle Arrêt du 7 juin 2011 pourvoi n°10-87568 CASSATION

Attendu que le prévenu ne saurait se faire un grief d’une insuffisance ou d’un défaut de réponse à conclusions, dès lors que les écrits qu’il a adressés à la juridiction ne valent pas conclusions régulièrement déposées au sens de l’article 459 du code de procédure pénale, faute pour lui d’avoir comparu à l’audience ou d’y avoir été représenté

D’où il suit que les moyens doivent être écartés

INTERDICTION DE CONDAMNER UN PRÉVENU QUI EST EN DÉTENTION A L'ÉTRANGER

COUR DE CASSATION chambre criminelle Arrêt du 29 juin 2011 pourvoi n°10-83466 CASSATION

Vu les articles 409 et 410 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que le prévenu, détenu à l'étranger, régulièrement cité et ayant eu connaissance de la citation, empêché de comparaître en raison de cette détention, ne saurait être jugé en son absence sauf renonciation à sa comparution ;

Attendu que M. X... a été condamné par le tribunal correctionnel pour faux et escroquerie en récidive ; que sur appels du prévenu, du procureur de la République et de la partie civile, l'affaire a été appelée à l'audience de la cour d'appel du 8 décembre 2009 où le prévenu était représenté par son avocat ; qu'à la demande de ce dernier, elle a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 2 mars 2010 ; qu'à cette date, l'avocat de M. X... a sollicité un nouveau renvoi ;

Attendu que, pour rejeter cette demande et statuer par arrêt contradictoire à signifier, les juges énoncent que M. X..., condamné par une juridiction italienne et ayant été incarcéré à la prison d'Aoste, poursuit l'exécution de sa peine à domicile, en Italie, depuis le 6 novembre 2009, qu'à défaut d'indications sur la durée de cette détention et les conditions dans lesquelles le prévenu pourrait être autorisé à se présenter devant la cour, la situation est identique à celle ayant motivé le précédent renvoi et que l'affaire peut être jugée ;

Mais attendu qu'en l'état ces énonciations, dont il ne résulte pas que le prévenu, détenu à l'étranger, ait eu la possibilité de comparaître, ou qu'il ait renoncé à cette comparution, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé

SI LA PRÉSENCE EST OBLIGATOIRE DANS UNE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE LA CONVOCATION DOIT L'INDIQUER

Cour de cassation première chambre civile arrêt du 27 février 2013 N° de pourvoi 11-15.441 Cassation

Attendu qu’il résulte des deux premiers de ces textes que la notification d’un acte introductif d’instance ou d’une convocation devant une juridiction doit indiquer que faute pour une partie de comparaître, elle s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre elle sur les seuls éléments fournis par son adversaire ; qu’il résulte du troisième que l’accès effectif au juge suppose une information claire sur les conséquences de l’absence de comparution des parties à l’audience

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que sanctionné par un blâme prononcé par le conseil de discipline du barreau de Paris, M. X... qui a interjeté appel de cette décision, ne s’est pas présenté à l’audience de la cour d’appel au cours de laquelle son avocat a été entendu en ses observations

Attendu que, pour rejeter le recours de M. X..., l’arrêt retient qu’il ne s’est pas présenté pour faire valoir ses explications et soutenir son recours

Attendu qu’en statuant ainsi quand la convocation de M. X... ne l’informait pas expressément que sa présence à l’ audience était requise sous peine de voir ses demandes rejetées, la cour d’appel a violé les textes susvisés

EN MATIERE DISCIPLINAIRE, LA PERSONNE POURSUIVIE OU SON AVOCAT DOIVENT ÊTRE ENTENDUS ET AVOIR LA PAROLE LE DERNIER

Cour de cassation première chambre civile arrêt du 25 mars 2020 pourvoi n° 19-11911 Cassation inédit

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte de ce texte qu'en matière disciplinaire, l'exigence d'un procès équitable implique que la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier.

7. Pour prononcer la destitution du notaire, l'arrêt relève que le ministère public a soulevé le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel et conclu au rejet des moyens soulevés par le notaire, à la confirmation du jugement ayant prononcé la destitution de celui-ci et à la désignation d'un administrateur en application de l'article 21 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973. Il ajoute que le président de la chambre régionale des notaires et le syndic régional de la chambre en charge de la discipline ont été entendus en leurs observations.

8. En procédant ainsi, sans constater que le notaire poursuivi, ou son avocat, avait été entendu à l'audience et avait eu la parole en dernier, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, privant ainsi sa décision de base légale.

LE DROIT D'AVOIR UN AVOCAT

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- L'ABSENCE D'AVOCAT A UN INTERROGATOIRE DE LA POLICE

- LE DROIT D' AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE COMPÉTENT

- LE DROIT DE CHOISIR SON AVOCAT ET DE CORRESPONDRE LIBREMENT AVEC LUI

- LE DROIT DE SE DÉFENDRE SOIT-MÊME

- EN L'ABSENCE DU PRÉVENU, LE JUGE PÉNAL DOIT ENTENDRE SON AVOCAT

- LE DROIT D'AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE A L'AUDIENCE

- LE DROIT D'AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE EN COUR DE CASSATION

- LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANÇAISE

L'ABSENCE D'AVOCAT A UN INTERROGATOIRE DE LA POLICE

MERAHI ET DELAHAYE c. FRANCE du 20 septembre 2022 Requête no 38288/15

6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 c) • Procès équitable • Condamnation pénale du requérant fondée sur ses déclarations recueillies au cours de l’audition libre sans s’être vu notifier le droit de garder le silence et sans avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat • Absence de raisons impérieuses • Procédure pénale, considérée dans son ensemble, n’ayant pas permis de remédier aux graves lacunes procédurales lors de l’audition libre

CEDH

a)      Principes généraux

64.  La Cour renvoie aux principes généraux rappelés dans les arrêts Dubois, précité, §§ 64 à 68 et Wang, précité, §§ 63 à 67.

b)     Application au cas d’espèce

65.  La Cour précise d’emblée qu’elle suivra les étapes de son analyse dans les arrêts Dubois et Wang, précités, respectivement §§ 69 à 92 et §§ 73 à 91.

66.  La Cour note qu’à l’époque des faits, le 14 mai 2011, en matière d’audition libre, la législation française en vigueur ne prévoyait ni le droit de garder le silence ni le droit à l’assistance d’un avocat (voir paragraphes 22 et suivants ci-dessus). Aucune garantie particulière n’était d’ailleurs prévue par le CPP au profit de la personne entendue librement.

67.  La Cour relève toutefois que M. Merahi a bénéficié, dans le cadre de sa garde à vue postérieure à l’audition libre litigieuse, d’un certain nombre de garanties. Ainsi, il a été informé du fait qu’il bénéficiait du droit, d’une part, d’être assisté par un avocat et, d’autre part, lors des auditions, de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire. Il a d’ailleurs immédiatement demandé à être assisté par un avocat et les interrogatoires n’ont débuté qu’après l’arrivée de son conseil. L’avocat désigné a pu non seulement communiquer avec M. Merahi de manière confidentielle à son arrivée, pendant vingt minutes, mais a également assisté à ses auditions. La Cour note que dès l’instant où M. Merahi a bénéficié de l’assistance d’un avocat dans le cadre de sa garde à vue, il a choisi de garder le silence.

68.  Revenant sur le déroulement de l’audition libre, la Cour constate que M. Merahi, informé des faits qui lui étaient reprochés dès le début de celle‑ci, a consenti à être entendu librement. Elle souligne toutefois, à la lumière des considérations figurant aux paragraphes 50 et 51 ci-dessus, qu’alors même qu’en principe, il devait pouvoir quitter les lieux à tout moment, il n’était pas encore prévu à cette époque que ce droit lui soit expressément notifié. La Cour considère dès lors que, dans la pratique, M. Merahi se trouvait, de manière analogue à un suspect placé en garde à vue, dans une situation asymétrique, seul face aux questions des enquêteurs et sans l’assistance d’un avocat.

69.  La Cour prend acte notamment de l’intervention postérieure, et dès lors sans effet concret sur la situation du requérant, des réformes législatives, qui ont progressivement et largement renforcé les droits de la personne auditionnée librement, pour aboutir, à l’heure actuelle, à un régime quasiment identique à celui de la garde à vue (voir Dubois, précité, §§ 26 à 35).

70.  Ainsi, il n’est pas contesté que les restrictions litigieuses aux garanties posées par l’article 6 résultaient de la loi française applicable au moment des faits. Or, la Cour a rappelé, s’agissant en particulier des restrictions à l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses, qu’elles ne sont permises durant la phase préalable au procès que dans des cas exceptionnels, et qu’elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 161, s’agissant d’une personne placée en garde à vue). Tel n’a clairement pas été le cas en l’espèce.

71.  En outre, le Gouvernement, auquel il appartenait, contrairement à ce qu’il soutient, d’avancer des raisons impérieuses (voir paragraphe 62 ci‑dessus), n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions dont a fait l’objet le droit du requérant et il n’appartient pas à la Cour d’en chercher de son propre chef (Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 130, 12 mai 2017 et Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 163, 9 novembre 2018). Il est vrai que les observations du Gouvernement sont parvenues à la Cour avant les arrêts Dubois et Wang, précités. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis à la Cour l’existence de raisons impérieuses de nature à justifier en l’espèce les restrictions susmentionnées.

72.  Dans ces conditions, la Cour doit évaluer l’équité de la procédure en exerçant un contrôle très strict et ce, à plus forte raison dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale (Olivieri c. France, no 62313/12, § 33, 11 juillet 2019 et Bloise c. France, no 30828/13, § 52, 11 juillet 2019). La charge de la preuve pèse ainsi sur le Gouvernement, qui doit démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable (Beuze, précité, § 165).

73.  Il revient à présent à la Cour de rechercher, au regard des différents facteurs découlant de sa jurisprudence tels qu’ils ressortent des arrêts Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 274, 13 septembre 2016, Simeonovi et Beuze (précités, respectivement §§ 120 et 150), et dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, si, combiné au défaut de notification du droit de garder le silence, le fait d’avoir été privé de la possibilité d’être assisté d’un avocat a ou non affecté l’équité de la procédure dans son ensemble.

74.  La Cour estime important de souligner, comme elle l’a fait dans d’autres affaires relatives à l’article 6 § 1 de la Convention dans lesquelles un examen de l’équité globale de la procédure était en cause, qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance. Lors de cet examen, elle est toutefois appelée à examiner soigneusement le déroulement de la procédure au niveau interne.

75.  La Cour relève tout d’abord qu’alors même que M. Merahi n’était pas a priori d’une vulnérabilité particulière et que son audition n’a duré qu’une heure et trente-cinq minutes, il a soutenu devant les juridictions internes avoir subi une certaine pression de la part de l’officier de police judiciaire au cours de l’interrogatoire, qui l’aurait poussé aux aveux.

76.  En tout état de cause, la Cour considère, à la lumière des éléments relevés aux paragraphes précédents, que le requérant se trouvait placé dans une situation de vulnérabilité au sens de sa jurisprudence (voir en ce sens, pour la vulnérabilité inhérente à la qualité de suspect mutatis mutandis, Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008 et Beuze, précité, §§ 126 et 127).

77.  Ensuite, la Cour note qu’au cours de l’audition libre, M. Merahi a reconnu avoir commis l’infraction (voir paragraphe 7 ci-dessus). Il s’est donc auto‑incriminé au sens de la jurisprudence de la Cour (Beuze, précité, §§ 178 et 179).

78.  La Cour relève également que M. Merahi n’a pas réitéré ses aveux par la suite, à partir du moment où il a bénéficié des conseils d’un avocat, que ce soit lors de la garde à vue qui a suivi l’audition libre ou devant les juridictions internes.

79.  La Cour doit à présent rechercher si les restrictions litigieuses aux droits garantis ont été compensées de telle manière que la procédure peut être considérée comme ayant été équitable dans son ensemble (Beuze, précité, § 165). Pour ce faire, elle doit vérifier si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’avocat et du défaut de notification du droit de garder le silence à un moment crucial de la procédure (ibidem, §§ 174 et 176). Sur ce point, la Cour constate que le Gouvernement s’en remet à son appréciation (voir paragraphe 63 ci-dessus).

80.  En premier lieu, il est vrai que M. Merahi a pu, dans les phases ultérieures de la procédure, valablement se défendre et faire valoir ses arguments avec le concours d’un avocat, d’abord au cours de sa garde à vue, puis devant les juridictions du fond, notamment pour discuter des différents éléments de preuve, en première instance comme en appel, dans le cadre du recours qui lui était ouvert et qu’il a pu exercer, et, enfin, devant la Cour de cassation, qui était saisie de son pourvoi. Cette dernière a examiné les moyens soulevés par M. Merahi avant de rejeter le pourvoi, considérant que la cour d’appel s’était fondée, notamment, sur d’autres éléments que les déclarations recueillies au cours de l’audition libre (voir paragraphe 21 ci-dessus).

81.  En deuxième lieu, la Cour relève que M. Merahi et M. Delahaye ont été relaxés en première instance, le tribunal correctionnel ayant décidé d’écarter les déclarations de M. Merahi recueillies au cours de son audition libre dès lors que ce dernier était revenu sur ses aveux à l’audience et parce que la seule présence de son empreinte digitale, retrouvée sur une bouteille à trente mètres du bus, était insuffisante dans la mesure où il a estimé que les autres éléments dossier n’étaient pas suffisants pour parvenir à un constat de culpabilité (voir paragraphe 15 ci-dessus).

82.  En troisième lieu, la Cour relève que la cour d’appel a infirmé cette solution : elle a jugé que l’audition libre avait été « strictement régulière », précisant qu’elle était « légale et prévue par l’article 73 du [CPP] et que « l’assistance obligatoire d’un avocat pendant l’audition n’[était] prévue par les textes qu’en cas de garde à vue de l’intéressé » (voir paragraphe 17 ci‑dessus).

83.  Sur ce point, la Cour souligne que s’il est vrai que l’audition libre était visée par l’article 73 du CPP dans sa version applicable à la date à laquelle la cour d’appel a statué, elle ne l’était pas par celle applicable à la date de l’audition litigieuse (voir paragraphes 24 et 28 ci-dessus).

84.  En quatrième lieu, s’agissant des éléments ayant conduit la cour d’appel à établir la culpabilité des requérants, la Cour, compte tenu du strict contrôle qui s’impose s’agissant d’une restriction d’origine législative, considère, contrairement à la Cour de cassation (voir paragraphe 21 ci-dessus), que la cour d’appel a effectivement placé les déclarations de M. Merahi recueillies au cours de l’audition libre au fondement même de son raisonnement.

85.  En effet, la Cour relève que la cour d’appel, au terme de son appréciation des faits, a estimé que « la version initialement énoncée par M. Merahi devant les gendarmes » apparaissait comme « retraçant l’exacte chronologie des faits ». L’ensemble des autres éléments qu’elle a examinés, soit pour les réfuter comme l’invocation par le requérant de son handicap de nature, selon lui, à le disculper, soit pour les mobiliser à l’appui de l’établissement de la présence des intéressés à proximité du lieu de l’infraction, comme l’empreinte digitale retrouvée sur la bouteille de whisky brisée ou l’utilisation des données résultant de l’étude de la téléphonie, ont été regardés comme confortant les aveux recueillis lors de l’audition libre (voir paragraphe 17 ci-dessus).

86.  Dans ces conditions, la Cour considère que ces aveux ont permis, de manière déterminante, à la cour d’appel d’établir une chronologie des faits incriminant M. Merahi.

87.  Il apparaît ainsi que les déclarations recueillies lors de l’audition libre ont constitué une partie intégrante et importante des éléments de preuve sur lesquels a reposé la condamnation des requérants.

88.  La Cour considère qu’en l’espèce, c’est la conjonction des différents facteurs précités et non chacun d’eux pris isolément qui a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble (Beuze, précité, § 194, Olivieri, précité, § 40) : l’absence d’assistance d’un avocat, l’absence de notification du droit de garder le silence et du droit de quitter les lieux, qui ont contribué à ce qu’il s’auto-incrimine, et la part déterminante prise, dans l’issue de la procédure pénale, par les déclarations recueillies lors de l’audition libre (la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel infirmant la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel).

89.  Compte tenu de tout ce qui précède et du contrôle strict auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses, la Cour conclut que la procédure pénale menée à l’égard de M. Merahi, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux graves lacunes procédurales survenues pendant l’audition libre.

90.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention en ce qui concerne M. Merahi.

Bjarki H. Diego c. Islande du requête n o 30965/17

Procès pour fraude d'un ancien dirigeant de la Kaupþing Bank inéquitable en raison de l'utilisation de la transcription de son interrogatoire alors qu'il était encore témoin

L’affaire concerne le procès de M. Diego – un ancien dirigeant de la banque Kaupþing – pour fraude par abus de confiance à la suite de la crise financière de 2008. L’intéressé fut interrogé sans avoir été informé qu’il était considéré comme un suspect. Des informations relatives au portefeuille d’actions Kaupþing détenu par l’un des juges (V.M.M.) ne furent révélées qu’après le prononcé du jugement définitif dans cette affaire. La Cour conclut que les pertes essuyées par le juge V.M.M. sur ses titres Kaupþing ont été minimes et qu’elles n’ont certainement pas atteint un niveau de nature à remettre en question l’impartialité de ce juge. La Cour estime toutefois que les autorités islandaises ont fait preuve de négligence dans l’enquête qui a visé M. Diego. En particulier, le procureur a entendu M. Diego en qualité de témoin dans l’affaire alors que celui-ci était effectivement traité comme un suspect à ce moment-là, son téléphone ayant été mis sur écoute et la transcription de cette audition ayant ensuite été présentée à titre de preuve devant le tribunal. Le Gouvernement n’a pas été en mesure de prouver que cela n’aurait pas porté atteinte à l’équité du procès.

FAITS

En 2008, la crise mondiale de la liquidité commença à toucher le secteur bancaire islandais. Les trois plus grandes banques du pays firent faillite, dont Kaupþing Bank hf. M. Diego était directeur de la division prêts et membre du comité de crédit du groupe jusqu’à l’effondrement de Kaupþing. Un parquet spécialisé fut mis en place dans le sillage de la crise bancaire. Ce parquet lança plusieurs enquêtes sur la banque Kaupþing, visant notamment M. Diego. Dans le cadre de ces investigations, le procureur spécial demanda la mise sur écoute du téléphone de M. Diego.

Le requérant fut entendu en qualité de témoin en relation avec deux de ces enquêtes. Lors de son audition dans l’enquête Holt, en 2010, il ne fut pas assisté d’un avocat et il n’avait apparemment pas été informé qu’il avait le droit à pareille assistance. Lorsqu’il fut interrogé la deuxième fois en 2011 dans le cadre de cette enquête, il était accompagné de son avocat et on lui indiqua qu’il était considéré comme suspect. Lors de chaque audition, M. Diego fut informé de son droit à garder le silence et à ne pas s’incriminer lui-même pendant l’interrogatoire. En 2013, M. Diego fut inculpé de sept chefs d’accusation de fraude commise par abus de confiance (umboðssvik). Par deux fois, il se vit refuser l’annulation des poursuites qu’il réclamait en invoquant la mise sur écoute de son téléphone et l’utilisation de la transcription de ses conversations à titre de preuve. Le 26 juin 2015, le tribunal de district de Reykjavik reconnut M. Diego coupable de six chefs d’accusation de fraude et le condamna à une peine privative de liberté de deux ans et demi. Le requérant fit appel, avançant ultérieurement qu’il avait été entendu en qualité de témoin et non de suspect et que les poursuites devaient donc être abandonnées. La Cour suprême invalida partiellement le jugement rendu par la juridiction inférieure, et reconnut M. Diego coupable de la totalité des sept chefs d’accusation.

Informations révélées depuis la condamnation définitive

En 2016, les médias divulguèrent des informations concernant les portefeuilles de placement de plusieurs juges de la Cour suprême et révélèrent que des membres de cette haute juridiction n’avaient pas déclaré certaines des actions qu’ils détenaient. L’un des juges qui avaient siégé dans l’affaire du requérant, le juge V.M.M., avait détenu des actions Kaupþing, ainsi qu’un volume significatif de titres de la banque Landsbanki. Ces actions avaient perdu toute valeur avec la faillite de ces établissements.

Article 6 § 1 concernant l’exigence d’un tribunal indépendant et impartial

La Cour rappelle que l’on peut déceler un préjugé dans les croyances ou le comportement d’un juge en particulier ou dans la composition du siège et dans un procès n’ayant pas dans son ensemble présenté les garanties nécessaires pour satisfaire l’exigence d’équité. Spécifiquement, elle a dit dans l’affaire Sigríður Elín Sigfúsdóttir c. Islande (no 41382/17) que pour que l’impartialité d’un juge fût remise en question, il devait exister un lien direct entre les intérêts financiers du juge concerné et l’affaire. De l’avis de la Cour, les pertes supportées par le juge V.M.M. sur les actions Kaupþing ont été minimes (approximativement 140 euros à l’époque) et elles n’ont certainement pas atteint un niveau susceptible de remettre en cause son impartialité. De plus, les pertes enregistrées par le juge sur les titres d’autres banques ne permettaient pas de mettre en doute son impartialité relativement à Kaupþing. Partant, il n’y a pas eu violation de la Convention sur le plan de l’indépendance et de l’impartialité du tribunal.

Article 6 § 1 et 3 a) et c)

Étant donné que le procureur spécial avait fait la démarche de placer le téléphone du requérant sur écoute car il le soupçonnait d’avoir été impliqué dans une activité censément délictueuse et qu’il a finalement ouvert une procédure contre le requérant, la Cour estime que le requérant était un suspect lorsqu’il a été entendu. Il aurait dû bénéficier des garanties offertes en matière pénale par l’article 6 § 3. La Cour observe, spécifiquement, que bien que le requérant ait été avisé de l’obligation de faire des déclarations sincères et du droit de ne pas s’incriminer soi-même, il est manifeste qu’il n’avait pas été informé de sa qualité de suspect. Il n’avait pas non plus été informé, dans un premier temps, de son droit à être assisté d’un avocat pendant les auditions, ce qui conduit la Cour à dire qu’il a été privé de l’assistance d’un avocat. Aucune raison impérieuse ne justifiait de restreindre ainsi son accès à un défenseur. La Cour relève que le Gouvernement affirmait que le requérant n’avait pas, lors de ses auditions, fait de déclarations dans lesquelles il s’incriminait directement. Le requérant a toutefois parlé du processus de décision au sein de la banque ainsi que du rôle qu’il y jouait. La Cour rappelle que le droit de ne pas s’incriminer soi-même ne se limite pas aux aveux au sens strict ou aux remarques mettant l’accusé directement en cause mais qu’il suffit, pour qu’il y ait auto-incrimination, que ses déclarations soient susceptibles d’affecter substantiellement la position de celui-ci. Prenant également note de la mise sur écoute du téléphone du requérant demandée par le procureur spécial, la Cour dit que le Gouvernement n’a pas démontré que l’enquête n’avait pas compromis l’équité de la procédure. De plus, le requérant alléguait ne pas avoir été informé de son statut de suspect avant d’être entendu et les juridictions internes n’ont jamais statué sur ce grief. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 et 3 a) et c) de la Convention.

SCHURMANS c. BELGIQUE du 22 février 2022 Requête no 33075/09

6-1 et 6-3c La requérante tout magistrat qu'elle était , n'a pas été interrogée en présence d'un avocat lors de la phase préalable du procès.

10.  La requérante se plaint que le fait d’avoir été privée du droit d’accès à un avocat lors des auditions et interrogatoires menés durant la phase préalable au procès a emporté violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

11.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

12.  Un résumé de l’évolution de la jurisprudence de la Cour relative au droit à l’assistance d’un avocat durant la phase préalable au procès pénal depuis l’arrêt Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, CEDH 2008), et des principes généraux applicables à ce jour, figure dans l’arrêt Beuze précité (§§ 119-150).

13.  Ces principes généraux ont été appliqués dans l’arrêt Beuze aux restrictions au droit d’accès à un avocat en vigueur en Belgique à l’époque des faits. Ces dernières étaient d’une ampleur particulière et, résultant du silence de la loi belge et de l’interprétation qui en avait été faite par les juridictions internes, elles avaient une portée générale et obligatoire (Beuze, précité, §§ 160-165).

14.  Le Gouvernement n’a pas davantage que dans l’affaire Beuze établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions litigieuses dans la présente affaire. En l’absence de raison impérieuse, la Cour doit dès lors évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict. La charge de la preuve visant à démontrer de manière convaincante que la requérante a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable pèse sur le Gouvernement (Beuze, précité, §§ 160‑165).

15.  En l’espèce, la requérante n’a pas été privée de liberté. De plus, étant elle-même magistrate, on peut supposer qu’elle connaissait le cadre juridique dans lequel s’est déroulée la phase préliminaire de la procédure menée contre elle. Enfin, à aucun moment la requérante n’a invoqué de pression indue de la part des enquêteurs. La requérante ne se trouvait donc pas, contrairement à ce qu’elle allègue, dans une situation particulièrement vulnérable (comparer Beuze, précité, §§ 167‑169)

16.  Cela étant, la requérante a fait, lors d’un interrogatoire devant le juge d’instruction, des déclarations sur l’état d’esprit qui était le sien lors de la commission des faits à l’origine de la prévention de violation du secret professionnel et du délibéré (paragraphe 5 ci-dessus). Ces déclarations n’ont pas été écartées par la cour d’appel de Gand malgré l’exception soulevée par la requérante sur la base de la jurisprudence Salduz. Certes, le Gouvernement fait valoir que la requérante n’a jamais nié les faits et qu’ils étaient corroborés par D. (paragraphe 8 ci-dessus). Toutefois, de l’avis de la Cour, cela ne suffit pas à occulter le fait que les déclarations faites par la requérante en l’absence d’un avocat ont été utilisées verbatim par la cour d’appel pour établir l’élément moral de l’infraction pour laquelle elle a été condamnée (paragraphe 8 ci-dessus). Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, les déclarations litigieuses ont occupé une place importante dans la motivation des juges d’appel.

17.  Quant à la Cour de cassation, son contrôle n’a pas porté sur une appréciation des conséquences pour les droits de la défense de la requérante de l’absence d’un avocat (paragraphe 9 ci-dessus).

18.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la procédure pénale menée à l’égard de la requérante, considérée dans son ensemble, n’a pas été équitable.

19.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

Kalëja c. Lettonie du 5 octobre 2017 requête 22059/08

L’absence d’assistance par un avocat

La Cour constate que le droit de Mme Kalēja à l’assistance d’un avocat a été restreint de janvier 1998 (lorsqu’on lui a accordé le statut de témoin) à janvier 2005 (au moment où elle est devenue une personne accusée dans le cadre de la procédure pénale), car, à cette époque-là, la législation interne ne reconnaissait pas aux témoins le droit à un avocat. En outre, la Cour ne discerne à ce moment-là aucune raison impérieuse de restreindre ce droit.

Cependant, bien que Mme Kalēja n’ait pas été en mesure d’invoquer les droits reconnus aux suspects par la loi nationale, elle a pu bénéficier d’autres garanties procédurales. Elle a notamment été informée tout au long de l’enquête de ses droits en tant que témoin, y compris son droit de ne pas témoigner contre elle-même.

L’absence d’avocat n’a apparemment pas porté atteinte à ce droit, puisque Mme Kalēja a maintenu ses arguments en défense durant toute la procédure. De plus, elle n’a pas été détenue pendant l’enquête et elle n’a donc pas été empêchée de demander, si elle le souhaitait, l’assistance d’un avocat avant et après son interrogatoire par la police.

Elle a aussi eu tout loisir de contester les éléments à charge au cours de l’enquête préliminaire et du procès. En effet, à tous les stades de la procédure, elle a exercé le droit de contester ces éléments, notamment devant la juridiction d’appel qui a annulé sa condamnation au titre de cinq des dix-neuf actes de détournement reprochés.

Enfin, alors qu’elle aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le moment où elle été officiellement inculpée et est devenue une personne accusée, elle n’a pas demandé qu’un avocat fût présent lors des interrogatoires ultérieurs.

De surcroît, la condamnation de Mme Kalēja n’était pas fondée sur ses déclarations, mais sur les témoignages de nombreuses autres personnes ainsi que sur d’autres pièces du dossier.

En conséquence, la Cour considère que, bien qu’il ait été regrettable que Mme Kalēja n’ait pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat au cours de la phase préalable au procès qui s’est déroulée de 1998 à 2005, cela n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale de la procédure pénale dirigée contre elle. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c)

GRANDE CHAMBRE BLOKHIN c. RUSSIE du 23 mars 2016 requête 47152/06

Violation de l'article 6-1 combiné à l'article 6-3 : un mineur gardé à vue a droit à un avocat pour les interrogatoires et pour la décision de placement ou non. L'absence d'avocat, et l'impossibilité d'obtenir le droit de faire interroger les témoins, ne sont pas compatibles avec la Convention.

a) Principes généraux

194. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysant en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, il arrive fréquemment à la Cour d’examiner les griefs des requérants sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Lucà c. Italie, no 33354/96, § 37, CEDH 2001‑II, Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001‑II, et Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 29, série A no 277‑A). En outre, lorsqu’un requérant se plaint de nombreux vices procéduraux, il est loisible à la Cour d’examiner successivement les différents griefs présentés devant elle en vue de déterminer si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable (Insanov c. Azerbaïdjan, no 16133/08, §§ 159 et suiv., 14 mars 2013, et Mirilachvili c. Russie, no 6293/04, §§ 164 et suiv., 11 décembre 2008).

195. En ce qui concerne les accusés mineurs, comme la Cour l’a déjà dit, la procédure pénale doit être organisée de sorte que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant soit respecté. Il est essentiel de traiter un enfant accusé d’une infraction d’une manière qui tienne pleinement compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de nature à favoriser sa compréhension de la procédure et sa participation à celle-ci (Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, § 70, 2 mars 2010, Panovits c. Chypre, no 4268/04, § 67, 11 décembre 2008, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 86, CEDH 1999‑IX, et T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 84, 16 décembre 1999). Le droit pour un prévenu mineur de prendre effectivement part à son procès pénal exige que les autorités traitent l’intéressé en tenant dûment compte de sa vulnérabilité et de ses capacités dès les premiers stades de sa participation à une enquête pénale, en particulier dès son interrogatoire par la police. Les autorités sont tenues de prendre des mesures afin que le mineur se sente le moins possible intimidé et inhibé et de veiller à ce qu’il comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine susceptible de lui être infligée ainsi que ses droits, notamment celui de ne rien dire (Martin c. Estonie, no 35985/09, § 92, 30 mai 2013, Panovits, précité, § 67, et S.C. c. Royaume-Uni, no 60958/00, § 29, CEDH 2004‑IV).

196. En sa qualité de mineur, un enfant qui a affaire à la justice pénale doit bénéficier de ses droits procéduraux et son innocence ou sa culpabilité doit être établie au regard du fait qui lui est reproché, dans le respect des garanties judiciaires fondamentales et du principe de légalité. Un enfant ne peut en aucun cas être privé de garanties procédurales importantes au seul motif qu’en droit interne, la procédure pouvant aboutir à une privation de liberté se veut protectrice des intérêts des mineurs délinquants plutôt que répressive. En outre, il convient tout particulièrement de veiller à ce que la qualification de mineur délinquant donnée à un enfant ne conduise pas à faire prévaloir le statut qui lui est ainsi attribué sur l’examen de l’infraction qui lui est reprochée et la nécessité de démontrer sa culpabilité dans des conditions équitables. Le fait de traduire devant la justice pénale un enfant auteur d’une infraction pour la seule raison qu’il a le statut de délinquant juvénile, notion qui n’est pas juridiquement définie, ne saurait passer pour compatible avec les garanties judiciaires fondamentales et le principe de légalité (voir, mutatis mutandis, Achour c. France [GC], no 67335/01, §§ 45-47, CEDH 2006‑IV, où était en cause la qualification juridique de la récidive). L’application de mesures discrétionnaires à une personne au motif que celle-ci est un enfant, un mineur ou un mineur délinquant n’est acceptable que dans le cas où ses intérêts et ceux de l’état sont compatibles. Dans le cas contraire, les garanties judiciaires matérielles et procédurales doivent être appliquées dans la mesure exigée par les circonstances.

i. Droit à l’assistance d’un avocat

197. La Cour observe que, quoique non absolu, le droit reconnu par l’article 6 § 3 c) à tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Poitrimol, précité, § 34).

198. En ce qui concerne les stades de la procédure antérieurs au procès, la Cour souligne l’importance de la phase d’investigation pour la préparation d’un procès pénal, les preuves obtenues durant cette phase déterminant le cadre dans lequel l’infraction imputée sera envisagée au procès lui-même. À cet égard, elle a jugé que la vulnérabilité particulière dans laquelle se trouve l’accusé lors des premiers stades des interrogatoires de police ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui‑même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l’accusé. Il importe également de protéger l’accusé contre toute coercition de la part des autorités, de contribuer à la prévention des erreurs judiciaires et de garantir l’égalité des armes. Dans ces conditions, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque de telles raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment léser l’accusé dans ses droits découlant de l’article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi en l’absence d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Panovits, précité, §§ 64-66, et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50‑55, CEDH 2008).

199. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des mineurs, de leur degré de maturité et de leurs capacités sur les plans intellectuel et émotionnel, la Cour souligne l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à vue d’avoir accès à un avocat pendant cette détention (voir Salduz, précité, § 60, et la jurisprudence citée au paragraphe 195 ci-dessus).

ii. Droit d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins

200. La Cour rappelle que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, précité, §§ 39-40).

201. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’absence d’un témoin doit être justifiée par un motif sérieux et que, lorsqu’une condamnation se fonde uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats, les droits de la défense peuvent se trouver restreints d’une manière incompatible avec les garanties de l’article 6 (voir les principes énoncés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 119, 15 décembre 2011, et précisés dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 107 et 118, 15 décembre 2015).

202. Lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents, la Cour doit soumettre la procédure à l’examen le plus rigoureux. Dans chaque affaire, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci. L’examen de cette question permet de ne prononcer une condamnation que si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable compte tenu de son importance dans la cause (voir les principes énoncés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 147, et développés dans l’arrêt Schatschaschwili, précité, § 116).

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

203. En l’espèce, la Cour relève d’emblée que le requérant n’avait que douze ans lorsque la police l’a conduit au commissariat et l’a soumis à un interrogatoire. Il était donc loin d’avoir atteint l’âge de la responsabilité pénale fixé par le code pénal (quatorze ans) pour l’infraction dont il était accusé, à savoir une extorsion. Il avait donc besoin d’un traitement et d’une protection spécifiques de la part des autorités, et il ressort clairement de diverses sources de droit international (voir, par exemple, les recommandations no R (87) 20 et (2003)20 du Conseil de l’Europe, les lignes directrices 1, 2 et 28-30 des Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, l’article 40 de la CIDE, le point 33 de l’observation générale no 10 du Comité des droits de l’enfant, et la règle 7.1 des Règles de Beijing, cités aux paragraphes 77, 78, 80, 82, 84 et 86 respectivement) que toutes les mesures prises à son égard aurait dû être fondées sur son intérêt supérieur et que dès son interpellation par la police il aurait dû se voir reconnaître à tout le moins les mêmes droits et garanties juridiques que ceux accordés aux adultes. En outre, le trouble mental et neurocomportemental – un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (paragraphe 12 ci‑dessus) – dont il était atteint le rendait particulièrement vulnérable et exigeait une protection spéciale (voir la ligne directrice 27 des Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, l’article 23 de la CIDE, les points 73 et 74 de l’observation générale no 9 du Comité des droits de l’enfant cités aux paragraphes 80, 82 et 83 respectivement).

204. Dans ces conditions, la Cour examinera les griefs tirés de l’article 6 et, en vue de déterminer si la procédure tendant au placement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants a été équitable, elle se penchera donc sur les questions de savoir si l’intéressé a bénéficié de l’assistance d’un avocat et s’il a eu la possibilité d’interroger les témoins.

i. Droit à l’assistance d’un avocat

205. La Cour observe qu’il ne prête pas à controverse que le requérant a été conduit au commissariat sans avoir été informé des raisons de son interpellation. Elle note par ailleurs que l’intéressé a dû attendre un certain temps avant d’être interrogé par un policier. Toutefois, rien n’indique que le requérant ait été informé sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit de son droit de téléphoner durant ce laps de temps à son grand‑père, à un enseignant, à un avocat ou à un autre tiers de confiance pour lui demander de venir l’assister pendant l’interrogatoire. En outre, aucune mesure n’a été prise pour assurer au requérant la présence d’un avocat au cours de l’interrogatoire. Aucun élément ne corrobore l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le grand-père du requérant a assisté à l’interrogatoire. D’ailleurs, la Cour relève que les aveux signés par le requérant, dont la valeur probante est fortement sujette à caution compte tenu du jeune âge et de l’état de santé de l’intéressé, ne mentionnent pas la présence de son grand-père et ne sont pas contresignés par ce dernier. Il est possible, comme l’affirme le requérant, que la déposition de son grand-père datée du même jour ait été signée par lui après l’interrogatoire, si bien qu’elle ne prouve pas la présence de son grand-père à cet interrogatoire. À cet égard, la Cour observe que les aveux du requérant mentionnent qu’il avait été informé de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. En revanche, ils n’indiquent pas que le requérant s’était vu notifier son droit à la présence d’un avocat ou d’un tiers au cours de l’interrogatoire ou qu’un avocat ou un tiers y avait assisté.

206. Dans ces conditions, la Cour juge établi que la police n’a pas aidé le requérant à obtenir l’assistance d’un avocat et que l’intéressé n’a pas non plus été informé de son droit à la présence d’un avocat et de son grand-père ou d’un enseignant. La police a adopté en l’espèce une attitude trop passive pour que l’on puisse considérer qu’elle s’est acquittée de l’obligation positive qui lui incombait de fournir au requérant, un enfant atteint de surcroît d’un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention, toutes les informations nécessaires pour qu’il pût se faire assister par un avocat (Panovits, précité, § 72)

207. Le fait que le droit interne ne prévoit pas que les mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale puissent se faire assister par un avocat lors des interrogatoires de police ne constitue pas une raison valable propre à justifier un manquement à cette obligation. La Cour rappelle avoir déjà jugé qu’une restriction systématique au droit d’accès à un avocat sur la base de dispositions légales suffit en soi à emporter violation de l’article 6 (Salduz, précité, § 56). En outre, pareille restriction est contraire aux principes fondamentaux énoncés par plusieurs instruments internationaux voulant que les mineurs bénéficient d’une assistance juridique ou d’une autre assistance appropriée (voir, par exemple, l’article 40 § 2 b) ii) de la CIDE et les observations y afférentes, la règle 71.1 des Règles de Beijing et le point 8 de la Recommandation no R (87) 20 du Conseil de l’Europe, cités respectivement aux paragraphes 82, 84, 86 et 77 ci-dessus).

208. Qui plus est, la Cour estime que le requérant n’a pu manquer de se sentir intimidé et vulnérable lorsqu’il a été laissé seul au commissariat et lors de son interrogatoire dans un environnement inconnu. D’ailleurs, il a rétracté ses aveux et protesté de son innocence dès l’arrivée de son grand-père au commissariat. À cet égard, la Cour souligne que les aveux passés par le requérant en l’absence d’un avocat ont non seulement été utilisés contre lui dans le cadre de la procédure relative à son internement en centre de détention provisoire mais ont aussi servi de fondement, avec les dépositions de S. et de la mère de celui-ci, à la conclusion des juridictions internes selon laquelle les actes qui lui étaient reprochés comportaient des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion et motivaient de ce fait son placement dans un tel centre.

209. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’absence d’un avocat pendant l’interrogatoire du requérant par la police a irrémédiablement nui aux droits de la défense de celui-ci et à l’équité de la procédure dans son ensemble (Panovits, précité, §§ 75-76, et Salduz, précité, §§ 58 et 62).

210. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

ii. Droit d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins

211. S’agissant du grief du requérant relatif à l’impossibilité d’interroger S. ou la mère de celui-ci au cours de l’audience consacrée par le tribunal de district à la question de son placement dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, la Cour relève d’emblée que l’internement de l’intéressé a été ordonné par le tribunal du district Sovetski de Novossibirsk statuant à juge unique, après la tenue d’une audience, conformément à l’article 22 § 3 2) de la loi sur les mineurs. Étaient présents à l’audience le requérant, son grand-père, une avocate commise d’office, un procureur et l’agent du service des mineurs qui avait décidé le 12 janvier 2005 de ne pas engager de poursuites contre le requérant. Il ressort de l’ordonnance de placement que le requérant et son grand-père ont eu la possibilité de s’adresser au tribunal et de produire leurs pièces. Dans ces conditions, il semble à première vue que la procédure litigieuse ait offert un certain nombre de garanties procédurales au requérant.

212. Toutefois, les résultats de l’enquête préliminaire avaient été communiqués au tribunal de district, de même que d’autres documents concernant le requérant, notamment les dépositions de la victime présumée et de la mère de celle-ci ainsi que les aveux signés de l’intéressé. La Cour rappelle que le requérant a rétracté les aveux en question et qu’il a déclaré les avoir passés sous la contrainte. En outre, comme la Cour l’a constaté ci‑dessus, le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire au commissariat, ce qui a irrémédiablement lésé ses droits de la défense. Qui plus est, le grand-père du requérant a indiqué que son petit-fils s’était rendu chez un médecin plus tôt dans la journée où les faits litigieux s’étaient produits. Or la Cour observe que ni S. ni la mère de celui‑ci n’ont été cités à comparaître pour témoigner et offrir ainsi au requérant la possibilité de les interroger, alors pourtant que les autorités avaient accordé à leurs dépositions une importance décisive pour conclure, à l’issue de l’enquête préliminaire, que le requérant avait commis une infraction, à savoir une extorsion.

213. À cet égard, il convient également de relever que rien n’indique – et que le Gouvernement n’a pas avancé – que S. et sa mère n’étaient pas disponibles ou qu’il aurait été difficile pour un autre motif de les citer à comparaître en qualité de témoins. Dans ces conditions, aucune raison valable ne justifie la non-comparution de ces témoins. En outre, le requérant ayant rétracté ses aveux, la Cour estime que l’audition de S. et de la mère de celui-ci était importante pour l’équité de la procédure. Elle considère que pareille garantie est encore plus importante lorsque l’affaire concerne un mineur qui n’a pas atteint l’âge de la responsabilité pénale et qui fait l’objet d’une procédure portant sur un droit aussi fondamental que le droit à la liberté.

214. En outre, quoiqu’une avocate commise d’office ait effectivement participé à l’audience pour représenter le requérant, on ne sait pas au juste à quel moment elle a été désignée ni dans quelle mesure elle a défendu les intérêts de son client. S’il est exact – comme l’affirme le Gouvernement – que le requérant n’a pas demandé au tribunal de district d’entendre S. et la mère de celui-ci, cette omission pourrait dénoter un manque de diligence de l’avocate du requérant et, de l’avis de la Cour, du tribunal qui devait veiller au respect du principe de l’égalité des armes dans le déroulement de la procédure. Il apparaît que les autorités n’ont déployé aucun effort pour assurer la comparution de S. et de sa mère à l’audience, alors pourtant que la loi sur les mineurs autorise l’audition de témoins, comme l’a reconnu le Gouvernement. Eu égard à l’enjeu de la procédure de placement pour le requérant, qui risquait d’être privé de liberté pendant trente jours – durée non négligeable pour un enfant de douze ans, la Cour estime qu’il était crucial que le tribunal de district garantît l’équité de la procédure en question.

215. Enfin, la Cour observe qu’aucun élément n’a compensé l’impossibilité pour le requérant d’interroger S. et la mère de celui-ci au cours de la procédure. Comme la chambre l’a relevé au paragraphe 173 de son arrêt, le requérant n’a pas pu examiner le déroulement de l’interrogatoire des témoins mené par l’enquêteur et n’a eu la possibilité de les interroger ni au moment de cet interrogatoire ni plus tard. En outre, les déclarations formulées par les témoins devant les autorités d’enquête n’ayant pas fait l’objet d’un enregistrement vidéo, ni le requérant ni ses juges n’ont pu observer leur comportement pendant leur interrogatoire et se faire une opinion quant à leur fiabilité (voir, pour un raisonnement similaire, Makeïev c. Russie, no 13769/04, § 42, 5 février 2009).

216. Eu égard à l’ensemble des considérations exposées ci-dessus, la Cour conclut que les droits de la défense du requérant – en particulier celui de contester les témoignages et d’interroger les témoins – ont été restreints d’une manière incompatible avec les garanties consacrées par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. Partant, il y a eu violation de ces dispositions.

iii. Conclusion

217. La Cour a conclu que les droits de la défense du requérant avaient été restreints d’une manière incompatible avec les garanties de l’article 6 au motif que l’intéressé n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire par la police et qu’il lui avait été impossible d’interroger les témoins dont les dépositions à charge avaient été déterminantes dans la décision des juridictions internes de l’interner pendant trente jours dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants.

218. Cela étant, la Cour tient à ajouter, comme l’a fait la chambre au paragraphe 176 de son arrêt, que les restrictions susmentionnées découlaient du fait que le requérant n’avait pas atteint l’âge de la responsabilité pénale à l’époque pertinente et qu’il n’était donc pas protégé par les garanties procédurales prévues par le code de procédure pénale (paragraphes 59-63 ci-dessus). Le requérant relevait au contraire de la loi sur les mineurs. Cette loi, qui se veut protectrice des mineurs, apporte d’importantes restrictions aux garanties procédurales (paragraphe 68 ci‑dessus). Selon la Cour, et comme la Ligue des droits de l’homme l’a relevé dans ses observations (paragraphe 192 ci‑dessus), c’est sur ce point – la présente affaire en témoigne – que la volonté du législateur de protéger l’enfant en lui prêtant assistance et en le prenant en charge se heurte à la réalité et aux principes exposés au paragraphe 196 ci-dessus en ce qu’elle conduit à le priver de sa liberté sans que lui soient reconnus les droits procéduraux qui lui permettraient de se défendre convenablement contre l’imposition d’une mesure aussi sévère.

219. La Cour estime que les mineurs, dont le développement cognitif et émotionnel exige en toutes circonstances une attention particulière, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes enfants n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale, ont besoin d’un soutien et d’une assistance aux fins de la protection de leurs droits lorsque des mesures de coercition leur sont appliquées, même sous la forme de mesures éducatives. Il ressort clairement des éléments de droit international dont la Cour dispose (paragraphes 77-89 ci-dessus) que de nombreux documents internationaux consacrent ce principe, qui a également été souligné par les tiers intervenants. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que des garanties procédurales adéquates doivent être mises en place pour protéger l’intérêt supérieur et le bien-être des enfants, surtout lorsque leur liberté est en jeu. En juger autrement reviendrait à désavantager nettement les enfants par rapport aux adultes se trouvant dans la même situation. À cet égard, la situation des enfants handicapés peut appeler des garanties supplémentaires destinées à leur assurer une protection suffisante. Toutefois, la Cour tient à souligner que cela ne signifie pas que les enfants doivent être exposés à un procès pénal à part entière ; leurs droits doivent être garantis dans un cadre adapté, approprié à leur âge et conforme aux normes internationales pertinentes, en particulier à la Convention relative aux droits de l’enfant.

220. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable dans le cadre de la procédure qui a abouti à son placement dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention.

STOJKOVIC c. FRANCE ET BELGIQUE du 27 octobre 2011 Requête no 25303/08

Dans le cadre d'une commission rogatoire internationale, les autorités françaises auraient dû veiller au respect de l'équité de la procédure dont elles avaient la charge. le requérant aurait dû être assisté par un avocat lors d'un interrogatoire par la police belge sur commission rogatoire d'un juge d'instruction français.

28. Le requérant se plaint d’une violation des droits de la défense, résultant de ce qu’il a été entendu par la police belge, sur commission rogatoire d’un juge français qui avait prescrit son audition comme témoin assisté, sans bénéficier de l’assistance d’un conseil. Il invoque l’article 6 § 3 c) de la Convention, aux termes duquel :

3.  Tout accusé a droit notamment à :

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent.»

A.  Sur la recevabilité

1.  Thèses des parties

29.  Les gouvernements défendeurs contestent la compatibilité ratione personae de la requête à l’encontre de leurs Etats respectifs.

a)  Le gouvernement français

30.  Le gouvernement français fait valoir qu’en vertu de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale, l’exécution de la commission rogatoire internationale litigieuse relevait de la compétence des autorités de l’Etat requis, à savoir la Belgique, sur le territoire de laquelle le requérant était en outre détenu. Il ajoute que cette même Convention impliquait que la commission rogatoire soit exécutée dans le respect des formes prévues par le droit interne belge. Il en déduit que la requête est incompatible ratione personae à l’égard de la France

31.  Néanmoins, le gouvernement français demande à la Cour à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la requête serait déclarée compatible à l’égard des deux Etats, de préciser la période durant laquelle le requérant relevait de la juridiction de la France et celle durant laquelle il relevait de la juridiction de la Belgique.

b)  Le gouvernement belge

32.  Pour le gouvernement belge, la requête est incompatible ratione personae à l’égard de la Belgique. A la différence du gouvernement français, il estime que l’audition litigieuse a été conduite par les autorités françaises. Il expose qu’en effet, l’audition du requérant est intervenue uniquement en exécution d’une commission rogatoire internationale française, en présence du juge d’instruction français et d’un magistrat du parquet, français également.

33.  Le gouvernement belge affirme, par ailleurs, que l’indication donnée au requérant, lors de l’audition litigieuse, selon laquelle il bénéficiait du statut de témoin assisté, lequel n’existe pas en Belgique, n’avait vocation à produire effet que dans le cadre de la procédure ultérieure suivie à son encontre en France. Il observe enfin que, dans le pouvoir donné par le requérant à son conseil devant la Cour, la Belgique n’est pas mentionnée.

c)  Le requérant

34.  Le requérant estime que sa requête est compatible ratione personae tant vis-à-vis de la France que de la Belgique.

35.  Il considère qu’il relevait de la juridiction de la France, dès lors que la procédure en cause avait été diligentée dans ce pays et concernait des faits qui y avaient été commis. Il fait également valoir que l’acte de poursuite exécuté à son encontre émanait d’un magistrat instructeur français, par ailleurs présent lors de son audition, accompagné d’un représentant du ministère public français. Il précise enfin que la commission rogatoire indiquait qu’il devait être entendu avec le statut de témoin assisté, régi par le droit français.

36.  S’agissant de la Belgique, le requérant fait valoir qu’il a été interrogé alors qu’il était détenu en Belgique, sous le contrôle d’officiers de la police judiciaire belge, dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire par les autorités belges et selon les règles de la procédure pénale belge.

2.  Appréciation de la Cour

37.  La Cour rappelle que si, en application de l’article 1 de la Convention, il appartient aux Hautes Parties contractantes d’assurer le respect des droits garantis par la Convention et ses Protocoles au profit des personnes relevant de leur juridiction, cette responsabilité peut entrer en jeu à l’occasion d’actes émanant de leurs organes mais déployant leurs effets en dehors de leur territoire (voir, entre autres, Drozd et Janousek c. France et Espagne, 26 juin 1992, § 91, série A no 240, et Ilascu c. Moldavie et Russie [GC] (déc.), 4 juillet 2001, no 48787/99).

a)  Sur la recevabilité de la requête à l’égard de la Belgique

38.  La Cour estime pour commencer que le requérant relevait bien de la juridiction de la Belgique au sens de l’article 1 de la Convention. En effet, en vertu de l’article 3 de la Convention européenne d’entraide judiciaire alors en vigueur, la Belgique, Etat requis, était tenue, comme elle l’a fait, de faire exécuter la commission rogatoire internationale dont le requérant était l’objet, dans les formes prévues par sa législation, laquelle ne prévoyait pas au cours de son audition, qui eut lieu pour l’exécution de cette commission rogatoire, l’assistance d’un avocat. Dans ces conditions, le grief tiré de la violation de l’article 6 § 3 de la Convention avait sa source dans la législation belge.

39.  Par contre, en l’absence de toute procédure pénale ultérieure en Belgique contre le requérant, et même de toute action intentée par celui-ci contre les autorités belges pour contester son audition et l’absence d’avocat au cours de celle-ci, la violation alléguée doit être regardée comme résultant non d’une situation continue, mais d’un événement instantané, qui s’est produit les 11 et 12 mars 2004. Ces dates étant antérieures de plus de six mois à l’enregistrement de la requête devant la Cour, celle-ci, en tant qu’elle est dirigée contre la Belgique, doit en tout état de cause être rejetée comme tardive.

40.  Dans ces conditions, à supposer même que le requérant ait donné pouvoir à son conseil pour introduire sa requête à l’encontre de la Belgique, il y a lieu de la déclarer irrecevable en ce qu’elle est dirigée contre cet Etat, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

b)  Sur la recevabilité de la requête à l’égard de la France

41.  Dans les circonstances de l’espèce, la Cour note que c’est à la requête des autorités judiciaires françaises, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte devant elles, que le requérant a été entendu. A ce titre, les autorités belges étaient souveraines pour accepter ou non d’exécuter la commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction français. Pour autant, et même si elles étaient alors astreintes au respect de leurs propres règles de procédures internes, c’est par délégation de l’autorité requérante qu’elles ont entendu le requérant. La présence, lors de cette audition par des policiers belges, du juge français saisi, ainsi que d’un magistrat du parquet français de la même juridiction, bien qu’ils n’aient pas eu de rôle actif dans la conduite de l’interrogatoire, est à cet égard significative. La Cour observe surtout que les déclarations du requérant ont donné lieu à des suites pénales devant les juridictions françaises, que ce soit dans le cadre de la procédure initiale ou d’autres investigations qui lui ont ensuite été jointes. Dans ces conditions, s’il n’appartenait pas au juge d’instruction français de contrôler stricto sensu le déroulement de l’audition effectuée dans la cadre de la commission rogatoire délivrée par lui, il lui incombait de rappeler aux autorités belges responsables de cette audition qu’il avait prescrit la présence d’un avocat du requérant, ce d’autant plus que celui-ci avait demandé dès le début de l’audition l’assistance d’un avocat « de la justice française », demande dont il ne fut tenu nul compte. Il revenait également aux autorités françaises d’apprécier a posteriori la portée du déroulement de la commission rogatoire sur la validité de la procédure en cours devant elles. La Cour observe en outre que le juge d’instruction avait demandé l’audition du requérant en qualité de témoin assisté, ce qui lui donnait, conformément à l’article 113-3 du code de procédure pénale, le bénéfice d’être assisté par un avocat ; or ce n’est que le 29 octobre 2004, plus de sept mois après l’audition, que ce juge demanda au bâtonnier de désigner un avocat d’office pour assister le requérant.

42.  Dès lors, la Cour estime que la requête est compatible ratione personae avec les dispositions de la Convention à l’égard de la France.

43.  La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Elle relève qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

44.  Le requérant estime que son audition ne relevait pas de simples vérifications urgentes concernant la découverte de faits nouveaux, mais d’une véritable audition comme témoin assisté. A ce titre, sa demande d’être assisté par un avocat français, ainsi qu’il l’avait explicitement formulé, et le cas échéant par un avocat belge, dans la mesure où il n’avait pas expressément renoncé à ce droit, était, selon lui, légitime. Il considère en effet que le juge instruisant la procédure à son encontre lui avait conféré un statut, celui de témoin assisté, supposant l’existence d’indices rendant vraisemblable sa participation à une infraction.

45.  Or, il fait valoir qu’il n’a pas bénéficié d’un accès immédiat à un avocat, lequel n’a été commis d’office par la justice française que le 29 octobre 2004, soit plusieurs mois après son audition en Belgique. Il précise avoir donc été conduit à faire seul et sans l’assistance d’un conseil des déclarations, qu’il n’a pas réitérées devant le juge d’instruction, et qui ont constitué le fondement exclusif de son renvoi devant la cour d’assises, puis de sa condamnation. Il en déduit que l’intérêt de la justice, laquelle ne peut fonder une accusation sur des preuves obtenues par la contrainte ou la pression au mépris de la volonté de l’accusé, commandait en l’espèce qu’il puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat, conformément à l’article 6 § 3 c) de la Convention.

b)  Le gouvernement français

46.  Pour le gouvernement français, l’audition du requérant dans les circonstances de l’espèce n’a pas enfreint l’article 6 § 3 c) de la Convention. Selon lui, les actes sollicités par le magistrat instructeur français entraient dans le cadre de vérifications urgentes opérées pour permettre au ministère public d’apprécier la suite à donner à des faits nouveaux, dont le juge n’était pas saisi. D’ailleurs, le gouvernement français estime que les déclarations spontanées du requérant justifiaient également ces vérifications.

47.  Le gouvernement français fait valoir qu’en tout état de cause, l’exécution de la commission rogatoire internationale et le contrôle de cette exécution étaient assurés par les autorités belges et relevaient du droit interne belge. Dès lors, la demande du requérant de bénéficier de l’assistance d’un avocat français devait se comprendre comme concernant uniquement la suite de la procédure en France.

48.  Enfin, le gouvernement français estime que le requérant ne peut présenter ses déclarations comme déterminantes pour l’issue du litige, alors même qu’il a reconnu devant la cour d’assises de Savoie sa participation aux faits litigieux.

2.  Appréciation de la Cour

49.  La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1. Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure ainsi parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (voir, notamment, Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 51, 27 novembre 2008, et Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 34, série A no 277-A). Cela étant, l’article 6 § 3 c) ne précise pas les conditions d’exercice du droit qu’il consacre. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable. La Cour examinera donc le grief sous l’angle de ces deux dispositions combinées (voir, entre autres, Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001-II). A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Salduz, précité, § 51, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275).

50.  La Cour rappelle que pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance préalable d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Salduz, précité, § 55). Cela découle notamment de la nécessité de protéger l’accusé contre toute coercition abusive de la part des autorités, ce qui présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l’accusé (voir, parmi d’autres, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 100, CEDH 2006-IX). L’existence de garanties appropriées dans la procédure est ainsi l’un des éléments permettant d’assurer le droit de l’accusé de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Jalloh, précité, § 101).

51.  En l’espèce, la Cour relève que l’audition du requérant a été conduite selon le régime procédural applicable en Belgique, lequel n’opérait aucune distinction fondée sur la qualité de la personne entendue, notamment quant à l’existence ou non de soupçons à son encontre. Il reste que cette audition procédait exclusivement de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en France. Or, dans cette commission rogatoire, le juge d’instruction mandant prescrivait expressément que le requérant soit entendu en qualité de témoin assisté. Même si ce statut ne pouvait pas en réalité, au regard de l’état du droit international alors en vigueur (voir paragraphe 26 ci-dessus), s’appliquer à l’audition en cause, cette demande démontrait qu’il existait à l’encontre du requérant, ainsi que l’exige le droit français, des indices rendant vraisemblable sa participation aux faits poursuivis. De surcroît, ces indices ont été portés à la connaissance du requérant préalablement à son audition. Quant aux autres déclarations faites par le requérant, si elles ne s’inscrivaient pas dans le cadre de la saisine initiale du juge d’instruction, il apparaît qu’elles ont donné lieu à l’ouverture d’autres informations judiciaires, jointes ensuite à la première, puis au renvoi du requérant devant la cour d’assises.

52.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’audition du requérant a eu des répercussions importantes sur sa situation, de sorte qu’il faisait l’objet d’une « accusation en matière pénale », impliquant qu’il doive bénéficier des garanties prévues par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention (voir, parmi d’autres, Janosevic c. Suède, no 34619/97, § 91, 23 juillet 2002, CEDH 2002-VII, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 73, série A no 51, et Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 42, série A no 35).

53.  La Cour estime également devoir prendre en considération la situation du requérant lors de son audition. Ainsi qu’elle l’a déjà souligné, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable au stade de l’enquête, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves (Salduz, précité, § 54). En l’espèce, le requérant, même s’il ne faisait l’objet d’aucune mesure restrictive ou privative de liberté au titre de la procédure en cause, a été entendu alors qu’il avait été extrait de détention. La Cour prend également en compte le fait qu’il a été informé à la fois des dispositions internes belges, lesquelles ne prévoyaient pas l’assistance d’un avocat, et de son statut français de témoin assisté ainsi que des droits en résultant, à savoir celui d’être, dès son premier interrogatoire, assisté par un avocat choisi ou commis d’office, préalablement avisé de l’audition et bénéficiant d’un accès au dossier de la procédure dans les délais prévus par la loi. En outre, l’audition s’est déroulée en présence du magistrat lui ayant conféré ce statut. Pour la Cour, une telle situation était de nature à semer une certaine confusion dans l’esprit du requérant.

54.  Dès lors, s’il apparaît que le requérant a délibérément consenti à faire des révélations aux services d’enquête, ce choix, alors même que ses déclarations ont contribué à sa propre incrimination, ne peut être considéré, aux yeux de la Cour, comme totalement éclairé. Certes, le requérant a été informé des dispositions légales prévoyant que ses propos pourraient servir de preuve en justice. Pour autant, outre qu’aucun droit à garder le silence ne lui a été expressément notifié, il a pris sa décision sans être assisté d’un conseil (Brusco c. France, no 1466/07, § 54, 14 octobre 2010). Or, la Cour constate qu’il n’avait renoncé de manière non équivoque ni à son droit au silence, ni à l’assistance d’un avocat (Salduz, précité, § 59, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006-II, et Poitrimol, précité, § 31). A ce titre, sa demande de bénéficier de l’assistance d’un avocat français, bien qu’interprétée par le gouvernement français comme concernant uniquement la suite de la procédure, ne peut, en toute hypothèse, être assimilée à une renonciation non équivoque dans le contexte de l’audition litigieuse.

55.  La Cour considère que si la restriction du droit en cause n’était pas, à l’origine, le fait des autorités françaises, il appartenait à celles-ci, à défaut de motif impérieux la justifiant, de veiller à ce qu’elle ne compromette pas l’équité de la procédure suivie devant elles. A cet égard, l’argument selon lequel cette restriction résulte de l’application systématique des dispositions légales pertinentes est inopérant et suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Salduz, précité, § 56, et, mutatis mutandis, Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010). La Cour note au demeurant que les règles de droit international applicables, en vertu desquelles la partie requise fera exécuter les commissions rogatoires dans les formes prévues par sa législation (voir paragraphe 26 ci-dessus), ont été modifiées peu après (voir paragraphe 27 ci-dessus). En tout état de cause, le régime juridique de l’audition litigieuse ne dispensait pas les autorités françaises de vérifier ensuite si elle avait été accomplie en conformité avec les principes fondamentaux tirés de l’équité du procès et d’y apporter, le cas échéant, remède. Certes, les conditions légales dans lesquelles l’audition litigieuse a été réalisée ne sont pas imputables aux autorités françaises, lesquelles étaient soumises, en vertu de leurs engagements internationaux, à l’application des dispositions internes belges. Pour autant, en vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention revient au premier chef aux autorités nationales (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 140, CEDH 2006-V). Il incombait donc aux juridictions pénales françaises de s’assurer que les actes réalisés en Belgique n’avaient pas été accomplis en violation des droits de la défense et de veiller ainsi à l’équité de la procédure dont elles avaient la charge, l’équité s’appréciant en principe au regard de l’ensemble de la procédure (voir, notamment, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 46, CEDH 1999-II, Miailhe c. France (no 2), 26 septembre 1996, § 43, Recueil 1996-IV, et Imbrioscia, précité, § 38).

56.  Or la Cour estime que tel n’a pas été le cas en l’espèce, les autorités judiciaires françaises n’ayant pas remédié à l’atteinte causée aux droits de la défense, et ce alors même que la commission rogatoire internationale avait prescrit que le requérant soit interrogé en présence de son avocat et que celui-ci avait demandé à être assisté d’un avocat (voir le paragraphe 41 ci-dessus). Ainsi, malgré le silence observé ensuite par le requérant devant le juge d’instruction français, après qu’il eût bénéficié de l’assistance d’un conseil, ses propos initiaux, tenus à la suite d’une demande de ce juge, en présence de celui-ci et d’un magistrat du parquet français, ont fondé sa mise en examen puis son renvoi devant la cour d’assises. Or, ces étapes de la procédure étaient des préalables indispensables à sa comparution, et donc à sa condamnation. Le fait qu’il ait par la suite, devant la juridiction de jugement, reconnu l’intégralité des faits, ne peut donc suffire à régulariser l’atteinte initialement commise, d’autant qu’il n’était, à ce stade, plus en mesure de contester la validité de l’audition litigieuse (voir paragraphe 24 ci-dessus).

57.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1.

DROIT D' AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE COMPÉTENT

VAMVAKAS c. GRÈCE (No 2) du 9 avril 2015 requête 2870/11

Violation de l'article 6-1 et 6-3 de la Convention, l'avocat commis d'office ne se présente pas à l'audience pour défendre son client.

32.  Le Gouvernement soutient que le droit d’accès du requérant à un tribunal a été respecté à tous les stades de la procédure, y compris devant la Cour de cassation. Il indique que, même si le requérant n’a pas été représenté devant cette dernière juridiction, il s’est vu offrir la possibilité de se pourvoir seul en cassation et de se voir désigner un avocat d’office sans aucun obstacle. Il ajoute que la Cour de cassation n’avait aucune raison de douter que l’avocat commis d’office remplît les devoirs que la loi lui aurait imposés.

33.  Le Gouvernement précise ensuite que, ni avant ni pendant l’audience devant la Cour de cassation, le requérant n’a réclamé l’ajournement de l’audience ou le remplacement de l’avocat commis d’office et qu’il n’a pas non plus informé les autorités judiciaires d’un refus éventuel de cet avocat d’assumer sa mission. Renvoyant à l’article 47 du code des avocats, il indique que, si F.K. ne souhaitait pas assurer la défense du requérant, il aurait dû déposer une déclaration de renonciation au greffe de la Cour de cassation, et qu’il ne l’aurait pas fait. Partant, le Gouvernement considère que la Cour de cassation a, à juste titre, appliqué l’article 514 du code de procédure pénale et rejeté le pourvoi. Il précise encore que, en l’absence de tout indice susceptible de laisser penser qu’un problème existait quant à la défense du requérant, l’autorité judiciaire n’avait aucune raison ni aucune légitimité pour intervenir spontanément dans la relation du requérant avec son avocat.

34.  Le requérant allègue qu’il ne pouvait pas prévoir une négligence aussi grossière à ses yeux de la part d’un avocat commis d’office. Il ajoute que lui-même était incarcéré et soumis à la pression du délai de dix jours qui lui aurait été imparti pour se pourvoir en cassation. Il estime que la Cour de cassation aurait dû ajourner l’audience, car, selon lui, elle savait qu’il souhaitait poursuivre la procédure, et que, voyant que le défenseur en question ne pouvait pas s’acquitter de ses obligations, elle aurait dû remplacer l’avocat. Il ajoute qu’on ne peut lui reprocher aucune erreur ni aucun manque de diligence et que le Gouvernement n’émet à cet égard que des allégations imprécises.

35.  La Cour rappelle d’abord que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I). Il convient donc d’examiner les griefs du requérant sous l’angle du paragraphe 3 c) combiné avec les principes inhérents au paragraphe 1.

36.  La Cour rappelle ensuite les principes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière d’assistance judiciaire. Elle a ainsi déclaré à maintes reprises que la Convention avait pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, et que la nomination d’un conseil n’assurait pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il pouvait procurer à l’accusé. On ne saurait pour autant imputer à un État la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office (Andreyev c. Estonie, no 48132/07, § 71, 22 novembre 2011). Il découle de l’indépendance du barreau par rapport à l’État que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Daud c. Portugal, 21 avril 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-II).

37.  La Cour rappelle en outre qu’il est des circonstances où l’État doit agir et ne pas demeurer passif, lorsque des problèmes relatifs à la représentation en justice sont portés à l’attention des autorités compétentes. Si celles-ci sont informées de tels problèmes, elles ont l’obligation soit de remplacer l’avocat défaillant soit de l’obliger à accomplir sa mission. Adopter l’interprétation restrictive avancée par le Gouvernement conduirait à des résultats déraisonnables incompatibles avec le libellé de l’alinéa c) et l’assistance judiciaire gratuite risquerait de se révéler un vain mot (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37 ; Kemal Kahraman et Ali Kahraman c. Turquie, no 42104/02, § 35, 26 avril 2007, et Iglin c. Ukraine, no 39908/05, § 67, 12 janvier 2012). En fonction des circonstances de la cause, les autorités compétentes devront ou non prendre des mesures (Daud, précité, §§ 40-42) et, s’agissant de la procédure dans son ensemble, la défense pourra ou non être considérée comme « concrète et effective », caractères requis par l’article 6 § 3 c) (Rutkowski c. Pologne (déc.), no 45995/99, CEDH 2000-XI, Staroszczyk c. Pologne, no 59519/00, §§ 121-122, 22 mars 2007, Siałkowska c. Pologne, no 8932/05, §§ 99-100, 22 mars 2007, et Ebanks c. Royaume-Uni, no 36822/06, § 73, 26 janvier 2010).

38.  La Cour note d’emblée que les thèses des parties diffèrent quant aux circonstances de l’espèce et aux raisons de la non-comparution de Me F.K. à l’audience du 5 février 2010. Elle observe qu’elle ne trouve dans le dossier aucun élément susceptible de lui permettre de privilégier la thèse de l’une ou de l’autre partie. Le seul élément qui lui paraît crucial en l’espèce est le fait que la Cour de cassation avait désigné un avocat d’office pour représenter l’intéressé devant elle.

39.  La Cour souligne qu’un avocat, et d’autant plus un avocat commis d’office, n’est pas dispensé de toute diligence lorsqu’il décide de se désister dans une affaire ou lorsqu’il est empêché de se présenter à une audience. Dans pareils cas, il doit en aviser l’autorité qui l’a désigné et accomplir tous les actes urgents afin de préserver les droits et les intérêts de son client.

40.  Or, en l’espèce, l’avocat du requérant nommé le 2 janvier 2010 pour l’audience du 5 février 2010, ne semble à aucun moment avoir justifié d’une impossibilité à assurer sa mission. À en croire l’intéressé, Me F.K. l’aurait assuré peu avant l’audience qu’il y serait présent. En outre, il ne ressort pas du dossier que Me F.K., comme il l’a prétendu auprès du requérant après l’audience, a pris contact avec le greffe de la Cour de cassation pour demander l’ajournement de celle-ci. Comme le Gouvernement l’explique dans ses observations, il existe deux voies pour présenter de manière recevable une demande visant à l’ajournement d’une audience devant un tribunal sans que la comparution de l’avocat lui-même ou de son client soit nécessaire : soit un avocat, normalement un collaborateur de celui qui se trouve empêché, se présente devant le tribunal le jour de l’audience et demande l’ajournement ; soit, avant l’audience, le client envoie au greffe une demande écrite dans ce sens, laquelle est remise au président du tribunal le jour de l’audience (paragraphes 16-18 ci-dessus). Ainsi, à supposer même que Me F.K ait téléphoné au greffe dans le but de déclarer un empêchement, sa demande ne pouvait pas être prise en compte, car il ne l’avait pas présentée dans les formes requises. De son côté, le greffe aurait sûrement appelé son attention sur le fait que l’appel téléphonique n’était pas une voie régulière selon le droit interne.

41.  Dans la mesure où il était impossible selon le droit interne de revenir sur la décision d’irrecevabilité du pourvoi, il appartenait à la Cour de cassation de s’interroger sur les motifs de la non-comparution de l’avocat du requérant, qui était commis d’office, et de s’assurer que les intérêts du requérant avaient été sauvegardés.

42.  L’absence inexpliquée de Me F.K. à l’audience tenue un mois et trois jours après la désignation de celui-ci, sans qu’aucune demande d’ajournement ne soit déposée ou même si une telle demande a été déposée irrégulièrement comme l’affirme le requérant constitue, aux yeux de la Cour, une situation de « carence manifeste » appelant des mesures positives de la part des autorités compétentes. La Cour de cassation aurait ainsi dû ajourner les débats afin de tirer au clair la situation plutôt que de rejeter le pourvoi comme non maintenu.

43.  Quelles que soient les circonstances – absence de tout contact ou demande irrégulière – elles imposaient à la juridiction compétente l’obligation positive d’assurer le respect concret et effectif des droits de la défense du requérant. Cela n’ayant pas été le cas, la Cour ne peut que constater un manquement aux exigences des paragraphes 1 et 3 c) combinés de l’article 6 de la Convention. Partant, il y a eu violation de ces dispositions.

Arrêt Imbrioscia contre Suisse du 24 novembre 1993 Hudoc 436 requête 13972/88

"On ne saurait imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d'un avocat d'office () ou choisi par l'accusé. En raison de l'indépendance du barreau, la conduite de la défense relève pour l'essentiel de l'intéressé et de son représentant. L'article 6§3/c n'oblige les Etats contractants à s'en mêler qu'en cas de carence manifeste ou suffisamment signalée à leur intention"

L'avocat a réagi trop tard dans la procédure et n'a pu corrigé ses oublis dans la présentation de ses moyens de défense.

Sa faute est entière; il n'y a pas eu violation de l'article 6§3/c.

Arrêt Czekalla contre Portugual du 10 novembre 2002 Hudoc 3881 requête 38830/97

Le requérant se plaint que l'avocat commis d'office, oublie de déposer son mémoire en défense devant la Cour suprême

"Monsieur Czekalla n'a pas bénéficié d'une défense concrète et effective comme l'eut voulu l'article 6§3/c dans le cadre de son pourvoi devant la Cour suprême. Reste à savoir s'il incombait aux autorités compétentes, tout en respectant le principe fondamental de l'indépendance du barreau, d'agir de manière à assurer à l'intéressé la jouissance effective du droit qu'elles lui ont reconnu" 

La Cour reproche à la haute juridiction de ne pas avoir invité l'avocat d'office de corriger son "erreur de pure forme" avant le cas échéant, s'il ne le fait pas, de rejeter le pourvoi.

Partant, il y a violation de l'article 6§3/c de la Convention.

Arrêt Bogumil contre Portugual du 07 octobre 2008 requête 35228/03

46.  Elle rappelle ensuite les principes qui se dégagent de sa jurisprudence concernant l’assistance juridique. Elle a ainsi déclaré à maintes reprises que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Or la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé. On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office. De l’indépendance du barreau par rapport à l’Etat il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Czekalla c. Portugal, no 38830/97, § 60, CEDH 2002-VIII).

47.  La Cour constate que durant la phase initiale de la procédure, le requérant a été assisté par un avocat stagiaire, qui est intervenu à plusieurs reprises. Le 15 janvier 2003, le procureur ayant constaté que cet avocat stagiaire ne pouvait pas représenter le requérant compte tenu de la lourdeur de la peine encourue en l’espèce, un nouvel avocat, censé être plus expérimenté, a été commis d’office. Cet avocat n’est intervenu dans la procédure que pour demander à être relevé de ses fonctions, le 15 septembre 2003, soit trois jours avant le début du procès. Une nouvelle avocate d’office a été désignée le jour même de l’audience ; elle a pu étudier le dossier entre 10 heures et 15 h 15.

48.  En l’occurrence, il y a lieu de partir de la constatation qu’eu égard à la préparation et à la conduite de l’affaire par les avocats commis d’office, le résultat auquel tend l’article 6 § 3 n’a pas été atteint. S’agissant en particulier de l’avocate d’office désignée le jour même de l’audience, l’intervalle d’un peu plus de cinq heures dont elle a disposé afin de préparer la défense était de toute évidence trop bref pour une affaire grave pouvant déboucher sur une lourde condamnation (Daud c. Portugal, arrêt du 21 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 750, § 39).

49.  Confronté à une telle « carence manifeste » de la défense, le requérant a attiré l’attention des autorités judiciaires. Toutefois, la 9e chambre du tribunal criminel de Lisbonne n’a pas donné de suite adéquate à ses demandes, et ne s’est pas assurée que l’intéressé était véritablement « assisté » par un défenseur d’office. Ainsi, après avoir désigné un remplaçant, le tribunal criminel de Lisbonne, qui devait savoir que le requérant n’avait pas bénéficié jusqu’alors d’une véritable assistance juridique, aurait pu de sa propre initiative ajourner les débats. Que l’avocate d’office en question n’ait pas présenté une telle demande ne porte pas à conséquence. Les circonstances de la cause commandaient à la juridiction de ne pas demeurer passive et d’assurer le respect concret et effectif des droits de la défense du requérant (Daud, précité, p. 750, § 42).

Arrêt FALCÃO DOS SANTOS c. PORTUGAL du 3 juillet 2012 Requête no 50002/08

Les avocats commis d'office interviennent mal voir pas du tout au profit du requérant

41.  La Cour rappelle d’emblée que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I). Il convient donc d’examiner les griefs du requérant sous l’angle du paragraphe 3 combiné avec les principes inhérents au paragraphe 1.

42.  Elle rappelle ensuite les principes qui se dégagent de sa jurisprudence concernant l’assistance juridique. Elle a ainsi déclaré à maintes reprises que la Convention a pour but de protéger des droits, non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Or, la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé. On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office. De l’indépendance du barreau par rapport à l’Etat, il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Czekalla c. Portugal, no 38830/97, § 60, CEDH 2002-VIII).

43.  Se penchant sur les circonstances de l’espèce, la Cour constate que le premier avocat d’office, Me F., n’est pas du tout intervenu dans la procédure, si ce n’est pour demander à être relevé de son ministère (paragraphe 8 ci-dessus). Le deuxième avocat d’office, Me M., déposa des conclusions en réponse qui se limitaient à s’en remettre à la sagesse du tribunal et qui n’ont pas été prises en considération par celui-ci, conformément à la demande du requérant, qui s’estimait mal représenté (paragraphe 11 ci-dessus). Les conclusions en réponse et la liste de témoins déposées par le troisième avocat d’office, Me D., furent considérées tardives par le tribunal (paragraphe 15 ci-dessus). Alléguant ne plus faire confiance à Me D., le requérant a demandé son remplacement mais se heurta au refus du juge du tribunal criminel de Porto ; en conséquence, Me D. représenta le requérant – contre la volonté de ce dernier – au cours de l’audience, mais sans aucunement intervenir lors de celle-ci (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Le requérant fut ultérieurement représenté par un avocat de son choix lors de la procédure en appel.

44.  Au vu de ce qui précède, force est de constater qu’au moins s’agissant de la procédure en première instance, phase cruciale du procès, le résultat auquel tend l’article 6 § 3 de la Convention n’a pas été atteint, le requérant ayant été laissé de fait sans une assistance juridique effective (Bogumil c. Portugal, no 35228/03, § 48, 7 octobre 2008).

45.  Confrontées à une carence des avocats d’office, il appartenait aux autorités nationales d’intervenir de manière adéquate (Bogumil, précité, § 46 : Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 130-131, CEDH 2009 (extraits)).

46.  Aux yeux de la Cour, ces autorités n’ont toutefois pas réagi de manière à garantir au requérant une véritable « assistance » et non pas la simple « nomination » d’un conseil, comme l’exige la jurisprudence constante de la Cour (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 36, série A no 37 ; Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275 ; Daud c. Portugal, 21 avril 1998, § 38, Recueil 1998‑II). Le tribunal criminel de Porto a ainsi réduit de manière significative les droits de la défense du requérant. Premièrement, la Cour note qu’il apparaît comme contradictoire d’accepter le remplacement du premier avocat d’office, Me F, mais d’exiger qu’il dépose tout de même, au motif qu’il était toujours en fonction et n’avait pas encore été remplacé, des conclusions au nom et pour le compte du requérant. Il convient à cet égard de rappeler que Me F. avait demandé, pendant le délai de dépôt des conclusions en réponse, à être relevé de ses fonctions parce que son éthique professionnelle l’empêchait d’assurer la défense du requérant, et cette demande avait été accueillie par le tribunal. Deuxièmement, le tribunal s’est également abstenu de réagir aux actes de Me M., lequel a introduit des conclusions en réponse sans consulter le requérant et sans convoquer des témoins comme ce dernier le souhaitait. Se fondant sur l’article 63 § 2 du code de procédure pénale, invoqué par le requérant, le tribunal aurait pu non seulement déclarer l’inefficacité de l’acte accompli par Me M., mais aussi inviter le requérant à produire, lui-même ou par l’intermédiaire d’un nouvel avocat d’office, ses conclusions en réponse dans un nouveau délai. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas intervenu de manière adéquate pour permettre au requérant de présenter sa défense, nonobstant la carence des avocats d’office (Czekalla, precité, § 60). Une restriction des droits de la défense comme celle ayant eu lieu en l’espèce – empêchant même le requérant de présenter ses moyens de preuve et sa défense – se révèle incompatible avec le principe du procès équitable.

47.  Ces insuffisances n’ont pas été remédiées lors de la procédure en appel, au cours de laquelle le requérant fut représenté par un avocat de son choix. En effet, la cour d’appel entérina sur ce point les décisions du tribunal de première instance et considéra que le requérant avait disposé d’une « représentation adéquate » (paragraphe 22 ci-dessus).

48.  L’ensemble de ces appréciations amène la Cour à constater un manquement aux exigences des paragraphes 1 et 3 b), c) et d), combinés, de l’article 6.

ARRÊT GRANDE CHAMBRE

SAKHNOVSKI c. RUSSIE du 2 NOVEMBRE 2010 REQUÊTE 21272/03

La Cour note qu’en 2007 M. Sakhnovski s’est dit mécontent de la manière dont la Cour suprême avait organisé l’assistance d’un défenseur et a refusé les services de sa nouvelle avocate commise d’office. Certes, l’intéressé n’a sollicité ni le remplacement de l’avocate ni le report de l’audience, mais, étant donné qu’il n’avait pas de connaissances juridiques, l’on ne pouvait escompter de lui qu’il formulât des demandes précises. La Cour conclut que le manquement du requérant à demander les mesures procédurales appropriées ne saurait passer pour une renonciation à son droit à l’assistance d’un défenseur.

Assistance effective d’un défenseur

La Cour rappelle qu’en première instance l’accusé doit en principe avoir la faculté d’assister aux débats, mais tel n’est pas nécessairement le cas au niveau de l’appel. Quant au recours à la vidéoconférence, cette forme de participation à la procédure n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable, mais il faut s’assurer que le justiciable est en mesure de suivre la procédure et d’être entendu sans obstacles techniques et de communiquer de manière effective et confidentielle avec son avocat.

Compte tenu de la complexité des questions soulevées en appel devant la Cour suprême, la Cour estime que l’assistance d’un avocat était essentielle pour M. Sakhnovski. Toutefois, cette assistance aurait dû être effective et non uniquement formelle. M. Sakhnovski a pu communiquer avec sa nouvelle avocate commise d’office pendant 15 minutes, tout juste avant l’ouverture de l’audience, ce qui n’était manifestement pas suffisant. En outre, il s’est senti mal à l’aise lorsqu’il s’est entretenu du dossier par vidéoconférence.

Si la Cour admet que le transfert de M. Sakhnovski à Moscou (plus de 3 000 km) pour l’audience aurait été une opération longue et onéreuse, elle estime qu’il aurait fallu organiser une conversation téléphonique entre le requérant et son avocate un peu plus longtemps avant l’audience ou commettre d’office à l’intéressé un avocat local qui aurait pu lui rendre visite au centre de détention avant l’audience.

La Cour conclut que M. Sakhnovski n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un défenseur durant la seconde procédure d’appel en novembre 2007.

Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3 c) dans la procédure considérée dans son ensemble, qui s’est terminée en novembre 2007.

SFEZ c. FRANCE du 25 juillet 2013 requête 53737/09

27.  S’il reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur (...) », l’article 6 § 3 c) n’en précise pas les conditions d’exercice. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A no 205, Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 95, CEDH 2006‑XII, et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, 2 novembre 2010).

28.  La Cour a souligné qu’en appel et en cassation, les modalités d’application des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit ; on doit prendre en compte l’ensemble des instances suivies dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction supérieure en cause (Tripodi c. Italie, 22 février 1994, § 27, série A no 281-B).

29.  En l’espèce, la Cour note que le requérant avait comparu en première instance assisté d’un avocat commis d’office, avant de voir sa demande de renvoi de l’audience d’appel rejetée comme étant dilatoire. Elle constate tout d’abord que la cour d’appel a souligné le manque de diligence de Me V. Si les parties s’accordent sur ce point, la Cour rappelle que l’on ne saurait imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat commis d’office ou choisi par l’accusé. De l’indépendance du barreau par rapport à l’Etat, il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client (Tripodi, précité, § 30, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 95, CEDH 2006‑II). Même s’agissant d’un avocat commis d’office, l’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment tôt (voir, entre autres, Czekalla c. Portugal, no 38830/97, § 60, CEDH 2002-VIII, Hermi, précité, § 96 et Katritsch, précité, § 29).

30.  En l’occurrence, le requérant, qui avait librement choisi Me V. en septembre 2007 pour le représenter dans le cadre de la procédure d’appel, ne s’était jamais plaint de l’inaction de son conseil auprès des magistrats, jusqu’au désistement de celui-ci en date du 1er avril 2008.

31.  Par ailleurs, pour ce qui est de la période postérieure au désistement de Me V., le requérant s’est vu reprocher par la cour d’appel de ne pas avoir contacté un autre conseil qui aurait pu solliciter le renvoi.

32. Aux yeux de la Cour, le délai de dix jours entre le désistement de Me V. et la date d’audience était susceptible de permettre au requérant de désigner un nouveau conseil, lequel aurait pu solliciter de la cour d’appel le renvoi de l’affaire pour lui laisser le temps de la préparer. Or, il apparaît que le requérant n’a pas mis ce délai à profit à cette fin, et ce alors même qu’il avait déjà parfaitement conscience des carences de Me V. (paragraphe 9 ci‑dessus).

33.  La Cour relève d’ailleurs, avec le Gouvernement, que le requérant, qui n’était pas incarcéré, n’invoque aucune difficulté particulière à laquelle il aurait été confronté et qui l’aurait empêché de s’informer et de contacter un avocat (a contrario, Katritsch, précité, § 33).

34.  Or, elle considère que si les demandes de renvoi accompagnées de justificatifs objectifs doivent non seulement être effectivement examinées par les juridictions internes, mais également donner lieu à une réponse motivée, celles qui sont infondées ou qui ne reposent que sur de simples affirmations non étayées de l’« accusé » sont assurément préjudiciables à la bonne administration de la justice.

35.  Pareille considération s’impose d’autant plus si les juridictions internes sont amenées à mettre en balance les différents intérêts en présence. Ainsi, en l’espèce, outre les impératifs d’une bonne administration de la justice, les juges ont dû tenir compte du fait que la partie civile, à qui les juges de première instance avaient accordé une indemnité provisionnelle, s’opposait au renvoi.

36.  À cela s’ajoute que, malgré le rejet de sa demande de renvoi, le requérant a été mis en mesure de se défendre. En effet, il ressort explicitement de l’arrêt d’appel que l’intéressé a été entendu en ses explications. Il est ainsi précisé qu’il a pu développer les raisons de sa demande de renvoi et exposer les motifs de son appel, avant d’être interrogé par les juges. De plus, après le rapport présenté par le président, il a fait valoir ses objections et ses critiques.

37.  Partant, compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour conclut que les autorités n’ont pas porté atteinte au droit du requérant à l’assistance d’un avocat garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention.

38.  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

DROIT DE CHOISIR SON AVOCAT ET DE CORRESPONDRE LIBREMENT AVEC LUI

RODIONOV c. RUSSIE du 11 décembre 2018 requête n° 9106/09

Violation de l'article 6-3 c) à aucun moment de la procédure, le requérant a pu avoir accès librement à un avocat. Devant le tribunal, il a été placé dans une cage de fer, ce qui l'a empêché de communiquer avec son avocat.

iii. Sur le placement du requérant dans une cage métallique devant le tribunal

104. La Cour note qu’il n’est pas contesté entre les parties que pendant toute la durée du procès pénal, du 26 février 2007 au 13 octobre 2008, le requérant était placé dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire dans le tribunal de l’arrondissement Kirovski (paragraphes 56 et 61 ci‑dessus).

105. Dans son arrêt Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC] (nos 32541/08 et 43441/08, §§ 122‑139, CEDH 2014 (extraits)), la Cour a conclu que l’enferment d’une personne dans une cage pendant son procès constitue en soi, compte tenu de son caractère objectivement dégradant, incompatible avec les normes de comportement civilisé qui caractérisent une société démocratique, un affront à la dignité humaine contraire à l’article 3 de la Convention. Elle a réitéré cette conclusion dans ses arrêts ultérieurs (Urazov c. Russie, no 42147/05, §§ 81‑83, 14 juin 2016, et Vorontsov et autres c. Russie, nos 59655/14 et 2 autres, § 31, 31 janvier 2017).

106. Eu égard aux arguments des parties et à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

107. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison du placement du requérant dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire dans tribunal de l’arrondissement Kirovski.

a) Sur le respect de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention en ce qui concerne l’absence d’avocat lors de l’interpellation du requérant le 15 août 2006

144. La Cour examinera cet aspect de l’affaire à la lumière des principes applicables en matière d’accès à un avocat qui ont été résumés par la Cour dans son arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 249‑274, 13 septembre 2016) et réitérés dans les arrêts Simeonovi c. Bulgarie ([GC], no 21980/04, §§ 110‑120, 12 mai 2017) et Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119‑150, 9 septembre 2018).

i. Sur le point de départ de l’application de l’article 6 de la Convention au cas d’espèce

145. Les garanties offertes par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention s’appliquent à tout « accusé » au sens autonome que revêt ce terme sur le terrain de la Convention. Il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne est officiellement inculpée par les autorités compétentes ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre elle ont des répercussions importantes sur sa situation. Ainsi, à titre d’exemple, une personne qui a été arrêtée parce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, une personne soupçonnée, interrogée sur son implication dans des faits constitutifs d’une infraction pénale, ou une personne formellement inculpée, selon les modalités du droit interne, d’une infraction pénale peuvent toutes être considérées comme « accusées d’une infraction pénale » et prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention. C’est la survenance même du premier de ces événements, indépendamment de leur ordre chronologique, qui déclenche l’application de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal (Simeonovi, précité, §§ 110‑111).

146. En l’espèce, la Cour observe que, à partir du mois d’avril 2006, le FSKN, se basant, entre autres, sur les écoutes téléphoniques ordonnées à l’égard du requérant, soupçonnait ce dernier d’être impliqué dans le trafic de stupéfiants en bande organisée. Elle relève que ces soupçons étaient corroborés par les informations obtenues grâce aux écoutes téléphoniques selon lesquelles le requérant s’apprêtait à transporter des stupéfiants et ont servi de base pour la mise en œuvre de l’opération de surveillance à l’égard de l’intéressé (paragraphes 6‑9 ci‑dessus). La Cour constate donc que l’interpellation du requérant, effectuée par le FSKN le 15 août 2006 à 20 h 10, reposait sur des soupçons de commission d’une infraction pénale par l’intéressé. Elle note que cette interpellation a eu des répercussions importantes sur la situation de l’intéressé puisque, immédiatement après celle-ci, les agents du FSKN ont procédé à des mesures opérationnelles avec sa participation (paragraphes 10‑21 ci‑dessus). Au moment de l’interpellation du requérant, ce dernier faisait déjà l’objet d’une « accusation en matière pénale » et pouvait prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention. L’interpellation du requérant doit donc être prise comme point de départ pour l’application des garanties découlant de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, à savoir le droit à l’assistance d’un avocat ainsi que le droit à être informé de ce même droit et du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (Simeonovi, précité, §§ 114, 119 et 121, et Beuze, précité, § 129).

147. La Cour estime que c’est donc le 15 août 2006 à 20 h 10 que tous ces droits sont devenus immédiatement exigibles en l’espèce.

148. Par ailleurs, la Cour note que les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordre juridique interne, telles qu’interprétées par la Cour constitutionnelle russe, vont exactement dans le même sens. Elle relève que, en interprétant notamment la portée de l’article 48 § 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle russe a indiqué que toute personne arrêtée de facto a droit à un avocat dès lors que cette arrestation s’exerçait dans le cadre d’une action des organes de l’État visant à accuser cette personne d’une infraction ou qui révèle l’existence de soupçons à son égard (paragraphe 73 ci‑dessus). La Cour constitutionnelle a également précisé que la notification au suspect de ses droits procéduraux doit s’effectuer avant que toute mesure restrictive de liberté ou de caractère coercitif ne soit mise en œuvre à son égard (paragraphes 74‑76 ci‑dessus).

ii. Sur le point de savoir si le requérant a été informé du droit à un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même et s’il a renoncé à ces droits

149. Le Gouvernement soutient que les mesures opérationnelles prévues par la LMOI ont été mises en œuvre dans le cadre de l’interpellation du requérant du 15 août 2006 et que ce n’est que le 16 août 2006 qu’un procès‑verbal de l’arrestation a été dressé à l’égard de l’intéressé conformément aux articles 91 et 92 du CPP. Le requérant n’avait pas droit à un avocat au moment de son interpellation s’il n’en faisait pas la demande expresse. Le Gouvernement avance que, lors de son interpellation du 15 août 2006, le requérant s’est vu notifier ses droits mais qu’il n’a pas demandé l’assistance d’un avocat (paragraphe 141 ci‑dessus).

150. La Cour estime que la thèse du Gouvernement revient à dire que l’absence de demande expresse du requérant en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat lors de son interpellation équivaut à une renonciation implicite à ce droit par l’intéressé.

151. Elle rappelle que, lorsque l’assistance d’un avocat dépend de la demande expresse du suspect, il est essentiel que celui-ci soit informé de ce droit le plus tôt possible pour qu’il soit en mesure de s’en prévaloir (Simeonovi, précité, § 126). Si l’accès à un avocat est retardé, la nécessité pour les autorités enquêtrices de signifier au suspect son droit à un avocat et son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même prend une importance particulière (Ibrahim et autres, précité, § 273). La question de savoir si un « accusé » a renoncé à ses droits dépend donc dans une large mesure de la manière dont ils lui ont été notifiés. Selon les principes généraux du droit, les renonciations ne se présument pas. En effet, la renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité ; elle n’a pas besoin d’être explicite mais elle doit être volontaire, consciente et éclairée (Simeonovi, précité, § 115). Avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement (ibidem).

152. Quant à la question de savoir si le requérant a été informé de son droit à un avocat lors de son interpellation du 15 août 2006, la Cour observe qu’en l’espèce l’interpellation du requérant a été effectuée dans le cadre d’une opération menée sur la base de la LMOI et en particulier d’une opération de surveillance (paragraphes 9 et 10 ci‑dessus). Elle note que, une fois la voiture du requérant arrêtée, celui‑ci a été menotté et que les agents du FSKN lui ont posé des questions avant de procéder à l’inspection du véhicule (paragraphe 12 ci‑dessus). Elle constate également que, si la partie pré‑imprimée du procès‑verbal établi à 21 h 50 à l’issue de l’inspection en question comportait l’énumération des droits dont le requérant aurait été notifié, celui relatif à l’assistance d’un avocat n’y figurait pas (paragraphe 15 ci‑dessus).

153. Par ailleurs, aucun élément du dossier dont la Cour dispose ne démontre que le requérant en ait été informé verbalement par les agents du FSKN. La Cour relève dans ce contexte que le procès-verbal de l’inspection du véhicule du requérant, établi le 15 août 2006 à 21 h 50, fait référence aux articles 6 alinéa 1 (points 1 à 8), 15 alinéa 1 (point 1) et 17 de la loi sur les MOI (paragraphe 15 ci‑dessus). Cependant, elle constate que le libellé de ces articles (paragraphes 77‑80 ci‑dessus) ne fait peser sur les agents du FSKN aucune obligation d’informer la personne interpellée sur le fondement de son arrestation ou de son droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat. La Cour observe que l’article 7 de la loi sur les MOI autorise les autorités compétentes à mettre en place des MOI soit dans le cadre d’une affaire pénale existante (alinéa 1 point 1), soit lorsqu’il existe des indications selon lesquelles une infraction a été ou est en train d’être commise et « lorsqu’il n’existe pas suffisamment d’éléments pour l’ouverture d’une affaire pénale » (alinéa 1 point 2) (paragraphe 78 ci‑dessus). S’il revient aux autorités nationales d’apprécier la suffisance d’éléments pour l’ouverture d’une affaire pénale et de son opportunité, la Cour ne peut que constater qu’en l’espèce, les agents du FSKN ont procédé à l’interpellation du requérant et à d’autres mesures opérationnelles immédiatement après celle-ci dans le but de rassembler des éléments de preuve visant à accuser l’intéressé de trafic de stupéfiants. Cependant, comme l’a souligné la Cour constitutionnelle russe, chaque personne soupçonnée d’une infraction doit se voir immédiatement notifier ses droits procéduraux dès qu’elle fait l’objet d’une arrestation de facto (paragraphe 74 ci‑dessus).

154. La Cour estime donc que, lors de l’interpellation du 15 août 2006, le requérant n’a pas été indiscutablement informé de son droit à un avocat au sens de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dès lors, elle juge que, même si le requérant n’a pas fait de demande expresse en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat au moment de son interpellation, il ne saurait passer pour avoir implicitement renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat, faute d’avoir reçu promptement une telle information.

155. Quant à la question de savoir si le requérant a été notifié de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui-même, la Cour note que la partie pré-imprimée du procès‑verbal de l’inspection du véhicule du requérant, établi le 15 août 2006 à 21 h 50, mentionnait que le « suspect » avait été notifié de son droit de ne pas témoigner contre soi‑même conformément à l’article 51 de la Constitution (paragraphe 15 ci‑dessus). La Cour rappelle dans ce contexte que la notification de droits procéduraux effectuée à l’aide d’un formulaire pré‑imprimé doit être accompagnée d’un commentaire ou d’une explication individualisée sur la situation de la personne arrêtée et sur ses droits procéduraux (Türk c. Turquie, no 22744/07, § 48, 5 septembre 2017). Or, rien ne démontre qu’au moment de l’interpellation du requérant ou lors de l’établissement du procès-verbal de l’inspection de son véhicule du 15 août 2006 à 21 h 50, ou du procès‑verbal de l’interrogatoire de l’intéressé du 16 août 2006, de 4 à 5 heures, (paragraphes 15 et 20 ci‑dessus), ce dernier ait bénéficié d’une explication individualisée sur sa situation ou sur ses droits procéduraux. Les procès‑verbaux susmentionnés n’indiquaient pas que le requérant ait été avisé qu’il était en état d’arrestation sur la base de l’article 91 du CPP ou qu’il ait été notifié des soupçons pesant à son encontre ainsi que de ses droits procéduraux sur la base de l’article 46 du CPP (paragraphe 69 ci‑dessus). Qui plus est, le procès-verbal de l’interrogatoire établi le 16 août 2006, de 4 à 5 heures, indique que le requérant était interrogé en tant que « témoin ».

156. La Cour estime qu’en l’absence de notification au requérant de son état d’arrestation immédiatement après l’interpellation de celui-ci et des agissements qui lui étaient attribués ainsi que de son droit de garder le silence, il lui était très difficile d’apprécier la portée future de ses déclarations (comparer avec Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, §§ 54‑55, 18 février 2010, voir, également, sur l’importance de la formulation des charges dans le contexte de notification de droits à une personne arrêtée, Zachar et Čierny c. Slovaquie, nos 29376/12 et 29384/12, §§ 70‑74, 21 juillet 2015). De plus, le requérant n’était pas informé de ce que, s’il choisissait de parler, toutes ses déclarations pouvaient être utilisées en tant que preuves dans le cadre d’une affaire pénale. La Cour rappelle qu’avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement (Simeonovi, précité, § 115). Elle estime donc que la référence à l’article 51 de la Constitution russe, sous forme d’une mention pré‑imprimée, n’était pas suffisante pour permettre au requérant de prévoir de façon « consciente et éclairée » les conséquences de son comportement s’il choisissait de ne pas garder le silence.

157. La Cour relève que ce n’est que le 16 août 2006, à 14 h 45, lors de l’établissement du procès-verbal de l’arrestation du requérant sur la base de l’article 92 du CPP, que l’intéressé a officiellement reçu notification de son état d’arrestation et des soupçons pesant à son encontre ainsi que de tous ses droits procéduraux en tant que personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, notamment du droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (paragraphe 22 ci‑dessus).

158. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir constaté dans plusieurs affaires l’existence d’une pratique des autorités russes consistant à retarder la formalisation du statut de suspect sur la base des articles 91 et 92 du CPP à l’égard d’une personne interpellée et la privant ainsi d’exercice effectif de ses droits (voir, à titre d’exemples, Sidorin et autres c. Russie [comité], no 41168/07, §§ 37‑41, 10 avril 2018, Birulev et Shishkin c. Russie, nos 35919/05 et 3346/06, §§ 56-57, 14 juin 2016, Rakhimberdiyev c. Russie, no 47837/06, §§ 35-36, 18 septembre 2014, Ivan Kuzmin c. Russie, no 30271/03, §§ 81-84, 25 novembre 2010, et Aleksandr Sokolov c. Russie, no 20364/05, §§ 70-73, 4 novembre 2010). Elle estime que le déroulement des faits dans la présente cause constitue une illustration de cette pratique et de ses répercussions sur les droits procéduraux d’une personne interpellée.

159. Eu égard à ce qui précède, la Cour juge que le requérant n’a pas été dûment informé de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même pendant les dix-huit heures et cinquante‑cinq minutes ayant suivi son interpellation du 15 août 2006 à 20 h 10, et que, par conséquent, il ne saurait raisonnablement passer pour avoir valablement renoncé à ces droits. Le droit du requérant à l’assistance d’un avocat a donc été restreint.

iii. Sur le point de savoir s’il y avait des « raisons impérieuses » de restreindre l’accès à un avocat

160. La Cour rappelle que les restrictions de l’accès à un avocat pour des « raisons impérieuses » ne sont permises que dans des cas exceptionnels, qu’elles doivent être de nature temporaire et qu’elles doivent reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 142).

161. Or le Gouvernement n’a pas fait état de telles circonstances exceptionnelles et il n’appartient pas à la Cour de rechercher de son propre chef si elles existaient en l’espèce. La Cour ne voit donc aucune « raison impérieuse » qui aurait pu justifier de restreindre l’accès du requérant à un avocat après son interpellation : il n’a pas été allégué, par exemple, qu’il existait un risque imminent pour la vie, l’intégrité physique ou la sécurité d’autrui (voir, a contrario, Ibrahim et autres, précité, § 276). Par ailleurs, la législation interne, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle russe, régissant l’accès à un avocat d’une personne interpellée et se trouvant dans une situation d’une arrestation de facto, ne prévoyait pas explicitement d’exceptions à l’application de ce droit (paragraphes 69 et 70 ci-dessus).

iv. Sur le point de savoir si l’équité globale de la procédure a été respectée

162. La Cour doit à présent rechercher si l’absence d’un avocat pendant la garde à vue a eu pour effet de nuire irrémédiablement à l’équité du procès pénal du requérant considéré dans son ensemble. L’absence en l’espèce de « raisons impérieuses » qui auraient pu justifier de restreindre l’accès du requérant à un avocat après son interpellation oblige la Cour à se livrer à un examen très strict de l’équité de la procédure. Il appartient au Gouvernement de démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié d’un procès pénal équitable (idem, § 265). En outre, la Cour rappelle avoir jugé que, à défaut de notification au suspect de son droit à un avocat et de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même par les autorités enquêtrices, il sera encore plus difficile au gouvernement de lever la présomption de manque d’équité qui naît en l’absence de raisons impérieuses de retarder l’assistance juridique, ou de démontrer, si le retardement se justifie par des raisons impérieuses, que le procès dans son ensemble a été équitable (idem, § 273). Aux fins de son analyse, la Cour se basera sur les critères dégagés dans l’arrêt Ibrahim et autres (idem, § 274).

163. À cet égard, elle note que le Gouvernement a invoqué les circonstances suivantes : le requérant a été interrogé le 16 août 2006 de 16 h 45 à 17 heures en présence de B., un avocat commis d’office, mais a refusé de déposer ; le 17 août 2006, interrogé cette fois-ci en tant qu’accusé, le requérant a une fois de plus refusé de déposer ; le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a rejeté le grief du requérant quant à l’absence d’avocat au motif que le procès‑verbal de l’arrestation de l’intéressé avait été établi le 16 août 2006 de 16 h 45 à 17 heures en présence de l’avocat B. ; lors de toutes les mesures d’instruction ultérieures, le requérant a bénéficié de l’assistance d’un avocat.

164. La Cour note que les arguments du Gouvernement portent sur la représentation juridique du requérant dont celui‑ci a bénéficié à partir du 16 août 2006 à 15 heures mais ne démontrent pas dans quelle mesure l’absence de l’avocat pendant les dix-huit heures et cinquante‑cinq minutes ayant suivi l’interpellation de l’intéressé survenue le 15 août 2006 à 20 h 10 a influé sur l’équité de la procédure pénale dans son ensemble. Ce constat lui suffirait pour arriver à la conclusion que le Gouvernement n’a pas levé la présomption de manque d’équité du procès pénal dirigé à son encontre (İzzet Çelik c. Turquie, no 15185/05, §§ 37‑38, 23 janvier 2018). Elle estime toutefois nécessaire de faire quelques observations supplémentaires à cet égard.

165. La Cour observe que, pendant la période allant du 15 août à 20 h 10 au 16 août 2006 à 14 h 45, les autorités de poursuites ont obtenu un certain nombre d’éléments, dont le procès-verbal de l’inspection du véhicule du requérant, qui ont été par la suite utilisés comme preuves à charge dans le procès pénal à l’encontre de l’intéressé. Elle note que ledit procès-verbal comportait les déclarations du requérant selon lesquelles un paquet avec des comprimés de drogue lui appartenait (paragraphe 12 ci‑dessus). Elle estime que ces déclarations étaient auto-incriminantes dans le sens où elles permettaient de contribuer à prouver l’appartenance des stupéfiants au requérant faisant l’objet du chef d’accusation concernant l’épisode du 15 août 2006 (voir, a contrario, Krivoshey c. Ukraine, no 7433/05, § 85, 23 juin 2016, dans laquelle les déclarations d’une personne arrêtée ne concernaient pas les charges portées à son encontre).

166. Il n’est pas contesté que les déclarations du requérant faites immédiatement après son interpellation survenue 15 août 2006 à 20 h 10 n’ont pas été spontanées mais obtenues suite aux questions posées par les agents du FSKN (voir, a contrario, Chukayev c. Russie, no 36814/06, §§ 100‑101, 5 novembre 2015). Or, les agents du FSKN avaient déjà de soupçons concernant l’implication du requérant dans un trafic de stupéfiants (paragraphe 146 ci‑dessus). Ces questions doivent donc être assimilées à un interrogatoire sans notification préalable au requérant de ses droits procéduraux, notamment du droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat et du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (paragraphe 159 ci‑dessus).

167. La Cour observe que, pendant le procès pénal, le requérant a nié que les paquets contenant des stupéfiants saisis dans son véhicule lui appartenaient (paragraphe 40 ci‑dessus). Elle note également qu’il a demandé l’exclusion des éléments de preuves obtenus immédiatement après son interpellation sans l’assistance d’un avocat, dont le procès‑verbal de l’inspection du véhicule établi le 15 août 2006 à 21 h 50 comportant les déclarations auto‑incriminantes précitées (paragraphe 44 ci‑dessus ; voir, a contrario, Chukayev, précité, § 103). Elle constate cependant que le tribunal de première instance n’a pas examiné cette demande sur le fond au motif qu’elle ne contenait pas la liste des preuves à exclure et qu’elle n’indiquait pas les dispositions légales pertinentes en l’espèce (paragraphe 45 ci‑dessus). Or elle relève que ladite demande était amplement motivée et qu’elle s’appuyait tant sur les dispositions pertinentes de la Constitution russe et du CPP que sur l’article 6 de la Convention. La Cour estime donc que la décision du tribunal de l’arrondissement Kirovski de rejeter cette demande sans examen sur le fond était sans fondement (voir, mutatis mutandis, Dimitar Mitev c. Bulgarie, no 34779/09, § 67, 8 mars 2018). Elle considère qu’il n’a pas non plus été remédié à ce défaut de procédure en appel puisque le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a considéré que les demandes procédurales de l’intéressé avaient été dûment examinées (paragraphe 50 ci‑dessus). Elle estime, par conséquent, que les juridictions nationales n’ont pas procédé à l’examen de l’admissibilité de l’élément de preuve contenant des déclarations auto-incriminantes du requérant obtenues alors que le droit de celui-ci à l’assistance d’un avocat avait été restreint. Elles n’ont pas cherché à savoir si le requérant avait valablement renoncé à son droit à un avocat et à son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui‑même, et ne se sont pas prononcées sur l’importance de cet élément de preuve par rapport aux autres éléments de preuve à charge (voir, dans le même sens, Türk, précité, §§ 53‑58, Bozkaya c. Turquie, no 46661/09, §§ 49‑53, 5 septembre 2017, et, a contrario, Zherdev c. Ukraine, no 34015/07, § 165, 27 avril 2017).

168. La Cour observe que le procès‑verbal de l’inspection du véhicule établi le 15 août 2006 comportant des déclarations auto‑incriminantes du requérant était un élément important de l’accusation. Elle note que parmi les autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les stupéfiants saisis appartenaient au requérant figuraient les enregistrements téléphoniques de l’intéressé (paragraphe 48 ci‑dessus). Or elle constate que le requérant n’a pas non plus été en mesure de contester l’admissibilité de ces enregistrements car sa demande en ce sens a été rejetée sans faire l’objet d’un examen sur le fond (paragraphe 45 ci‑dessus). Elle constate également que la condamnation du requérant pour l’épisode du 15 août 2006, qualifié par les juridictions internes de préparation à la vente de stupéfiants dans de très grandes quantités, reposait donc, dans une large mesure, sur le procès‑verbal de l’inspection du véhicule du requérant établi le 15 août 2006 et comportant des déclarations auto‑incriminantes de l’intéressé obtenues en violation de ses droits procéduraux.

169. Eu égard à ce qui précède et à l’effet cumulatif des lacunes procédurales dont le procès du requérant est entaché, la Cour estime que l’absence de notification à l’intéressé de son droit à un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même ainsi que la restriction de son accès à une assistance juridique pendant la période du 15 août 2006 à 20 h 10 au 16 août 2006 à 14 h 45 a porté une atteinte irrémédiable à l’équité du procès dans son ensemble.

170. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

b) Sur le respect de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention en ce qui concerne la possibilité pour le requérant de prendre des notes à l’intérieur de la cage et de communiquer avec ses avocats durant le procès

171. La Cour note que le Gouvernement a confirmé qu’il n’y avait qu’un banc à l’intérieur de la cage dans laquelle le requérant était placé durant le procès pénal. Elle note aussi qu’il n’a pas non plus contesté l’allégation du requérant selon laquelle les agents d’escorte de l’administration pénitentiaire étaient toujours présents à côté de cette cage et selon laquelle il ne pouvait communiquer avec ses avocats qu’en leur présence immédiate (paragraphe 142 ci‑dessus).

172. La Cour rappelle que, dans son arrêt Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie (nos 11082/06 et 13772/05, §§ 642‑647, 25 juillet 2013), elle a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison d’un manque de confidentialité des communications verbales entre les intéressés et leurs avocats eu égard, notamment, à la présence immédiate des agents d’escorte de l’administration pénitentiaire. Elle a réitéré cette conclusion dans l’arrêt Urazov, précité (§§ 85‑89) et Yaroslav Belousov c. Russie (nos 2653/13 et 60980/14, §§ 145‑154, 4 octobre 2016). Par ailleurs, dans l’arrêt Yaroslav Belousov, précité, la Cour a également conclu à la violation de l’article 6 § 3 b) de la Convention à raison, notamment, de l’absence, dans une cage vitrée dans laquelle l’intéressé avait été placé, de dispositifs qui lui auraient permis de prendre des notes (idem, § 151).

173. Eu égard aux arguments des parties et à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

174. Partant, il a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention à raison de l’absence, dans la cage métallique dans laquelle le requérant avait été placé durant le procès pénal dirigé à son encontre, de dispositif qui lui aurait permis de prendre des notes ainsi qu’à raison d’un manque de confidentialité des communications verbales entre l’intéressé et ses avocats.

c) Sur le respect de l’article 6 § 2 de la Convention en ce qui concerne le placement du requérant dans une cage à l’intérieur du prétoire

175. La Cour considère qu’elle a examiné la question juridique principale relative au placement du requérant dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire de sorte que le grief tiré de l’article 6 § 2 quant au respect de la présomption d’innocence se trouve englobé par le constat de violation de l’article 3 de la Convention auquel elle est parvenue au paragraphe 107 ci‑dessus et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de l’examiner séparément (Urazov, précité, §§ 91‑92, et Khodorkovskiy et Lebedev, précité, §§ 741‑744).

M c. Pays-Bas du 25 juillet 2017 requête no 2156/10

Article 6§1 et 6§3 d) La restriction des communications entre l’avocat et l’accusé pour des raisons de secret d’État était contraire à la Convention

LES FAITS

Le requérant, M. M., est un ressortissant néerlandais.

Il est un ancien membre des services secrets néerlandais, l’AIVD (Algemene Inlichtingen- en Veiligheidsdienst, ou Renseignements généraux et service de sécurité). Il y travaillait en qualité d’ingénieur du son et d’interprète. En cette qualité, il avait accès à des informations classifiées qu’il avait pour instruction stricte de ne pas divulguer. Ce devoir de silence se perpétuait même après la cessation de ses fonctions. En 2004, il fut accusé d’avoir révélé des secrets d’État à des personnes non autorisées, dont certaines étaient soupçonnées de terrorisme. Avant de passer en jugement, il fut avisé par l’AIVD que discuter d’informations relevant de son devoir de silence avec quiconque, y compris avec son avocat, serait constitutif d’une infraction pénale distincte. L’accès de la défense aux documents fit également l’objet de restrictions, certains n’ayant été communiqués que sous une forme caviardée. En première instance, les avocats du requérant contestèrent les restrictions touchant la défense, en particulier s’agissant des communications entre eux et leur client. Une exemption sous condition fut alors accordée par l’AIVD, qui permettait à M. M. de ne révéler qu’à ses avocats les informations strictement nécessaires à la défense de leur client. En appel, le requérant se plaignit également, en vain, de ne pas avoir été autorisé à livrer les noms des membres de l’AIVD qu’il souhaitait convoquer en qualité de témoins devant la cour d’appel. Tous les membres de l’AIVD qui comparurent en qualité de témoins furent autorisés à refuser de répondre aux questions de la défense susceptibles de compromettre le secret des renseignements de l’AIVD. De plus, leur voix et leur apparence étaient déguisées de manière à dissimuler leur identité. Le requérant fut reconnu coupable par le tribunal d’arrondissement et condamné à quatre ans et six mois d’emprisonnement, peine réduite à quatre ans par la cour d’appel puis à trois ans et dix mois par la Cour suprême.

Article 6 §§ 1 et 3 b) – caviardage et rétention alléguée de documents

La Cour estime que les documents remis par l’AIVD sous une forme caviardée étaient tout à fait acceptables. Les documents en question renfermaient des détails sur les secrets d’État que le requérant était accusé d’avoir révélés et le caractère sensible des éléments pouvait très bien être établi même sous une forme caviardée. De plus, le procureur de la Reine pour la lutte contre le terrorisme avait confirmé que les pièces du dossier étaient des copies de documents classifiés qu’elles étaient censées représenter, ce que M. M. n’a pas contesté. Les informations lisibles restantes suffisaient à la défense pour bien se préparer.

Pour ce qui est du dossier de l’enquête interne de l’AIVD qui, selon M. M., n’avait pas été remis à la défense, la Cour constate que cette pièce n’était pas entre les mains de l’accusation et que la cour d’appel n’en avait même pas pu établir l’existence. Dès lors, tout avantage que M. M. aurait voulu en tirer était purement hypothétique. Pour ces raisons, la Cour considère que le caviardage et la rétention alléguée de certains documents n’ont pas emporté violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b).

Article 6 §§ 1 et 3 c) – restriction du droit de livrer des informations à son avocat et de l’instruire

La Cour reconnaît qu’aucune raison en principe ne s’oppose à l’application du devoir de silence à un ancien membre des services de sécurité poursuivi pour divulgation de secrets d’État. Cependant, la question qui se pose devant elle est de savoir dans quelle mesure l’application du devoir de silence a nui au droit à la défense de M. M. La Cour dit que, sans l’avis de professionnels, une personne sur laquelle pèse de graves chefs d’inculpation n’est pas censée pouvoir peser les avantages de révéler tout ce qu’elle sait à son avocat à l’aune du risque, si elle le fait, d’être exposée à de nouvelles poursuites. Il y a donc eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c), l’équité de la procédure ayant été irrémédiablement compromise par les restrictions des communications entre M. M. et son avocat.

Article 6 §§ 1 et 3 d) – refus de convoquer certains membres de l’AIVD en qualité de témoins et conditions imposées pour les autres

La Cour estime que la cour d’appel ne peut passer pour avoir agi déraisonnablement ou arbitrairement pour ce qui est du droit qu’avait le requérant d’interroger et d’obtenir la convocation de témoins. M. M. estimait que les conditions posées par l’AIVD aux modalités d’audition de ses membres lui avaient fermé l’accès à des informations susceptibles de faire douter de sa culpabilité. Cependant, la Cour juge que, bien que jeter le doute sur l’auteur d’une infraction en cherchant à démontrer que celle-ci a très bien pu être commise par quelqu’un d’autre soit une stratégie de défense tout à fait légitime en matière pénale, cela ne veut pas dire pour autant qu’un suspect a le droit de formuler des demandes d’information spécieuses dans l’espoir qu’une autre explication puisse éventuellement apparaître. En réalité, la cour d’appel a basé son verdict de culpabilité sur pas moins de 53 éléments de preuve différents, dont plusieurs rattachaient directement M. M. aux documents divulgués et aux personnes non autorisées trouvées en possession de ceux-ci. Dans ces conditions, il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d).

Article 41 (satisfaction équitable)

La Cour dit que les Pays-Bas doivent verser au requérant 732 euros (EUR) pour ses frais et dépens. Le constat de violation vaut en lui-même satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral qu’aurait subi M. M. Elle observe en outre que, la procédure interne en première instance ayant été entachée d’une violation des prescriptions de l’article 6, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure à la demande du requérant représente un moyen approprié de redresser la violation.

GRANDE CHAMBRE DVORSKI c. CROATIE du 20 octobre 2015 requête 25703/11

Violation de l'article 6-3 c et 6-1 de la Cedh. L’impossibilité de choisir un avocat en connaissance de cause a porté atteinte aux droits de la défense et à l’équité de la procédure dans son ensemble

Application en l’espèce des principes susmentionnés

a) Le requérant a-t-il été représenté par un avocat choisi par lui en connaissance de cause ?

83. Le 14 mars 2007, entre 20 h 10 et 23 heures, le requérant fut interrogé par la police en tant que suspect en présence d’un avocat, Me M.R. (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Sa déposition à la police fut retenue comme preuve dans son procès pénal (voir, a contrario, Bandaletov c. Ukraine, no 23180/06, §§ 60 et 68, 31 octobre 2013).

84. Pour le Gouvernement, la seule certitude concernant la représentation du requérant au cours de son interrogatoire de police est qu’il avait choisi de son plein gré d’être défendu par Me M.R. Toute allégation se rapportant à son souhait d’être représenté par un autre avocat, Me G.M., ne serait que pure conjecture (paragraphes 68 à 70 ci‑dessus).

85. Les griefs du requérant concernant la coercition qu’il aurait subie ont été déclarés irrecevables par la chambre (arrêt de chambre du 28 novembre 2013, paragraphe 73). En outre, les juridictions nationales ont constaté, avec le concours d’une experte graphologue, que le requérant avait bel et bien signé une procuration mandatant Me M.R. (paragraphe 39 ci-dessus).

86. La Cour observe cependant que, dès le 14 mars 2007 au matin, Me G.M. a signalé à D.K. et I.B., substituts du procureur de comté à Rijeka, qu’il avait tenté en vain de prendre contact avec le requérant, lequel se trouvait alors au poste de police de Rijeka. Une note officielle fut rédigée à ce sujet et le tribunal de comté en fut aussitôt informé (paragraphe 14 ci‑dessus). Dans la plainte déposée par lui l’après-midi de ce même jour auprès de M. V., chef du département de la police de Primorsko-Goranska, Me G.M. alléguait qu’il avait une nouvelle fois cherché à voir le requérant entre 15 heures et 15 h 30 mais que, là encore, la police lui avait dit de partir.

87. Le lendemain de son interrogatoire par la police, traduit devant un juge d’instruction et invité à indiquer qui était son avocat, le requérant affirma qu’il n’avait pas engagé Me M.R. et qu’il avait expressément demandé à être représenté par Me G.M. pendant cet interrogatoire. Il allégua que la police ne l’avait jamais prévenu que Me G.M. avait cherché à le joindre. À ce stade, devant le juge d’instruction, il fut défendu non plus par Me M.R. mais par Me G.M. (paragraphe 22 ci-dessus).

88. Dans la demande en dessaisissement, adressée au juge d’instruction le 16 mars 2007, Me G.M. exposa en détail le comportement de la police et les griefs qu’il en tirait (paragraphe 23 ci‑dessus).

89. En outre, au cours du procès, le requérant se plaignit que la police n’eût pas autorisé Me G.M. à le joindre le 14 mars 2007 et pria le tribunal de faire entendre cet avocat mais sa demande fut rejetée pour défaut de pertinence (paragraphe 44 ci-dessus).

90. Dans le cadre de toutes ces démarches, il était précisé que Me G.M. avait été engagé par les parents du requérant pour représenter celui-ci au cours de son interrogatoire par la police et que celle-ci lui avait refusé l’accès au requérant alors qu’il s’était bel et bien rendu au poste de police avant le début de l’interrogatoire et la convocation de Me M.R. dans ce même lieu. Il était allégué en outre que, si le matin du 14 mars 2007 Me G.M. n’avait été mandaté que verbalement par la mère du requérant, son stagiaire avait présenté l’après-midi une procuration écrite signée par le père (paragraphe 16 ci-dessus).

91. Dès lors, le requérant, de son propre fait et par le biais de son avocat, a clairement attiré l’attention sur les circonstances dans lesquelles Me G.M. avait cherché à le joindre avant son interrogatoire par la police.

92. Dans ces conditions, la Cour juge suffisamment établi que Me G.M. a été engagé par l’un des parents du requérant – ou par les deux –, qu’il a cherché plus d’une fois le 14 mars 2007 à voir le requérant au poste de police de Rijeka et que les policiers de ce poste lui ont dit de partir, sans informer le requérant qu’il était venu le voir. Elle est convaincue en outre que c’est avant le début de l’interrogatoire par la police que Me G.M. s’est rendu au poste de police et a demandé à voir le requérant.

93. Par conséquent, bien que le requérant eût formellement choisi Me M.R. pour sa représentation lors de son interrogatoire de police, il ne l’a pas fait en connaissance de cause puisqu’il ignorait qu’un autre avocat, engagé par ses parents, était venu au poste de police pour le voir, vraisemblablement en vue d’assurer sa défense.

b) Existait-il des motifs pertinents et suffisants, dans l’intérêt de la justice, de restreindre l’accès du requérant à Me G.M. ?

94. La Cour note que Me G.M. n’a pas été autorisé à voir le requérant pour la seule raison que, d’après le Gouvernement, il n’était pas muni d’un mandat de représentation en bonne et due forme. Pour autant, le Gouvernement ne nie pas que le requérant n’a alors pas été averti que Me G.M. cherchait à le voir au poste de police.

95. Or la Cour relève que, devant les autorités nationales, Me G.M. a dit que les parents du requérant lui avaient bien remis une procuration écrite le 14 mars 2007. Il apparaîtrait que ces allégations n’ont jamais été réfutées de manière convaincante au cours de la procédure interne. De plus, une procuration écrite a été versée au dossier du juge d’instruction devant lequel le requérant avait été conduit par la police le 15 mars 2007.

96. Le droit interne pertinent énonce clairement que l’avocat de la défense peut être engagé par l’accusé lui-même ou par ses proches, dont ses parents (article 62 du code de procédure pénale ; paragraphe 59 ci‑dessus). Aux termes du paragraphe 6 de l’article 62 du code de procédure pénale, l’accusé peut mandater verbalement un avocat pour que celui-ci agisse en son nom au cours de la procédure. Le but de l’article 62 § 4 du code de procédure pénale, qui dispose que l’accusé peut expressément refuser l’avocat de la défense engagé pour lui par ses proches parents, ne peut être réalisé que si on le prévient que ceux-ci lui ont pris un avocat. La police avait donc à tout le moins l’obligation d’informer le requérant que Me G.M., mandaté par ses parents pour le représenter, était venu au poste de police. Or elle ne l’a pas fait et, de surcroît, elle a refusé que Me G.M. le voie.

97. La signature ultérieure par le requérant d’une procuration habilitant Me M.R. à être présent lors de son interrogatoire de police n’explique guère cette omission et ce refus. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, le requérant a signé ce document sans jamais avoir su que Me G.M. avait plusieurs fois cherché à le représenter après avoir été mandaté par ses parents.

98. Les pièces du dossier pénal ne permettent pas davantage de justifier les omissions et actions de la police, qui ont eu pour conséquence de priver le requérant de la possibilité de choisir d’être représenté par Me G.M. lors de son interrogatoire. De plus – d’après le procès-verbal de sa déposition devant le juge d’instruction le 15 mars 2007 –, le lendemain de son arrestation, le requérant a déclaré que l’avocat de son choix était Me G.M. et que les policiers lui avaient refusé l’accès à celui-ci. Il a ajouté qu’il n’avait pas engagé Me M.R. comme avocat (paragraphe 22 ci‑dessus).

99. Dans ces conditions, la Cour n’est pas convaincue que la restriction incriminée, induite par la conduite de la police, de la possibilité pour le requérant de désigner Me G.M. pour que celui-ci le représente dès le stade initial de l’interrogatoire par la police ait été justifiée par des motifs pertinents et suffisants (pour des cas où de tels motifs existaient, voir Meftah et autres, précité, § 45, Mayzit, précité, § 68, Popov c. Russie, no 26853/04, § 173, 13 juillet 2006 ; voir aussi Zagorodniy, précité, § 53, concernant le manque de qualification du représentant, Vitan, précité, §§ 59‑63, où l’avocat choisi par l’accusé n’avait pas comparu au tribunal sans motif légitime, Croissant, précité, § 30, concernant la désignation d’un avocat supplémentaire pour assurer la bonne marche de la procédure, Prehn c. Allemagne (déc.), no 40451/06, 24 août 2010, concernant le remplacement d’un avocat qui était inscrit auprès d’un autre tribunal, très éloigné de la prison où le requérant était détenu, ce qui entravait la bonne marche de la procédure, et Klimentïev, précité, § 118, où l’accusé était représenté par plusieurs avocats qui n’avaient pas tous pu participer au procès).

c) Le requérant a-t-il renoncé à son droit d’être représenté par l’avocat de son choix ?

100. La Cour a dit que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable. Toutefois, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006‑II) ; de surcroît, elle doit être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 31, série A no 277‑A).

101. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, parce qu’il est un droit fondamental parmi ceux constituant la notion de procès équitable et qu’il garantit l’effectivité du reste des garanties énoncées à l’article 6 de la Convention, le droit à un défenseur est l’archétype d’un droit appelant la protection spéciale du critère dit de la « renonciation consciente et éclairée », établi par la jurisprudence de la Cour (Pishchalnikov c. Russie, no 7025/04, §§ 77-79, 24 septembre 2009). De l’avis de la Cour, ce critère doit s’appliquer au choix d’un avocat par le requérant en l’espèce.

102. Comme la Cour l’a déjà fait observer, le requérant ignorait que Me G.M., engagé par ses parents, s’était rendu au poste de police pour le voir. En outre, d’abord devant le juge d’instruction puis tout au long de son procès, il s’est plaint que le choix de Me M.R. lui eût été « imposé » – selon ses termes – au cours de son interrogatoire par la police. Dans ces conditions, on ne peut affirmer qu’en signant la procuration et en déposant devant la police le requérant a renoncé sans équivoque, de manière expresse ou tacite, au droit que l’article 6 de la Convention lui garantit de désigner en connaissance de cause un avocat de son choix.

d) Y a-t-il eu atteinte à l’équité de la procédure dans son ensemble ?

103. Pour ce qui est de savoir ensuite si la restriction ainsi constatée à l’exercice par le requérant de son droit de désigner en connaissance de cause un avocat de son choix a nui à l’équité de la procédure dans son ensemble, la Cour note d’emblée que la déposition faite par le requérant à la police a servi à fonder sa condamnation, même s’il ne s’agissait pas de la pièce à charge clé (voir, a contrario, Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 45, CEDH 2000‑VI). Il est vrai aussi que la juridiction de jugement a apprécié cette déposition à l’aune des éléments de preuve complexes produits devant elle (voir, en comparaison, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 103, 10 mars 2009). En particulier, elle a jugé le requérant coupable en s’appuyant sur les déclarations faites par un certain nombre de témoins contre‑interrogés pendant les débats, sur de nombreuses expertises et sur les procès-verbaux de l’inspection du lieu du crime et des perquisitions-saisies, ainsi que sur des photographies pertinentes et d’autres preuves matérielles. La juridiction de jugement disposait en outre des aveux faits par les coaccusés du requérant à l’audience et ni eux ni lui n’avaient allégué la moindre violation de leurs droits dans l’obtention de ces aveux.

104. Jamais non plus au cours de la procédure pénale le requérant ne s’est plaint de la qualité des conseils juridiques prodigués par Me M.R. De plus, lors de sa plaidoirie finale à l’issue des débats, sa représentante a invité le tribunal – au cas où celui-ci conclurait à la culpabilité de son client – à tenir compte dans la fixation de la peine des aveux de l’intéressé devant la police et de ses regrets sincères (paragraphe 47 ci-dessus).

105. Quant aux circonstances dans lesquelles Me M.R. a été choisi pour représenter le requérant, la Cour se réfère à l’article 177 § 5 du code de procédure pénale, qui impose d’inviter d’abord le suspect à désigner un avocat de son choix (paragraphe 60 ci-dessus). Ce n’est que si l’avocat initialement retenu par le suspect n’est pas en mesure d’assister dans un certain délai à l’interrogatoire par la police qu’un remplaçant doit être choisi sur la liste des avocats de permanence communiquée à l’autorité de police compétente par les sections locales du barreau croate. Or rien dans les documents produits devant la Cour ne prouve de manière concluante que ces procédures aient été suivies en l’espèce. La Cour estime regrettable que l’on n’ait pas dûment consigné les procédures suivies et les décisions prises de manière à dissiper tout doute quant à l’existence de pressions abusives dans le choix de l’avocat (voir, mutatis mutandis, Martin, précité, § 90, et Horvatić c. Croatie, no 36044/09, §§ 80-82, 17 octobre 2013).

106. La Cour constate, d’après le procès-verbal de l’interrogatoire du requérant par la police, que Me M.R. est arrivé au poste de police le 14 mars 2007 vers 19 h 45 et que cet interrogatoire a débuté vers 20 h 10 (paragraphe 21 ci-dessus). Ce procès-verbal ne mentionne ni l’heure exacte à laquelle le requérant et cet avocat ont commencé à s’entretenir ni la raison pour laquelle cette information n’y figure pas. La Cour note en outre qu’il ressort de la déposition de D.H., le procureur de comté de Rijeka, que Me M.R. s’est entretenu avec le requérant en privé pendant une dizaine de minutes (paragraphe 25 ci-dessus). Le jugement du tribunal de comté indique que Me M.R. est arrivé au poste de police à 19 h 45 et que l’interrogatoire a débuté à 20 h 10 (paragraphe 50 ci-dessus), ce que confirme l’arrêt de la Cour suprême (paragraphe 54 ci-dessus). La Cour estime, sans spéculer sur l’effectivité de l’assistance juridique fournie par Me M.R., qu’un tel laps de temps apparaît relativement court vu l’ampleur et la gravité des charges, en l’occurrence trois chefs de meurtre aggravé auxquels s’ajoutent d’autres chefs de vol à main armée et d’incendie volontaire. À cet égard, il faut aussi tenir compte de l’obligation, imposée par l’article 6 § 3 b), d’offrir à l’accusé le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

107. Me G.M. aurait été disponible dès le matin, bien avant le début de l’interrogatoire, pour assister le requérant, qui le connaissait depuis un précédent procès. Si le requérant avait été informé par la police de la présence de Me G.M. et s’il avait effectivement choisi d’être représenté par lui, il aurait disposé de beaucoup plus de temps pour se préparer à l’interrogatoire.

108. Sur ce point, la Cour souligne une nouvelle fois l’importance de la phase d’investigation pour la préparation d’un procès pénal, les preuves obtenues durant cette phase déterminant le cadre dans lequel l’infraction imputée sera envisagée au procès lui-même (Salduz, précité, § 54), et elle rappelle que dès cette phase l’accusé doit se voir offrir la possibilité de faire appel au défenseur de son choix (Martin, précité, § 90). L’équité de la procédure exige que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves à décharge, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit pouvoir librement exercer (Dayanan, précité, § 32).

109. Dès lors qu’il est allégué, comme en l’espèce, que la désignation ou le choix par un suspect d’un avocat pour le représenter a contribué ou conduit à lui faire formuler une déclaration auto-incriminante dès le début de l’enquête pénale, les autorités nationales, notamment les tribunaux, se doivent d’opérer un contrôle minutieux. Or le raisonnement suivi par les juridictions internes en l’espèce concernant le moyen tiré par le requérant de la manière dont la police avait recueilli ses aveux est loin d’être étoffé. Ni la juridiction de jugement, ni le juge d’instruction, ni une quelconque autre autorité nationale n’ont pris la moindre mesure pour entendre Me G.M. ou les policiers impliqués en vue de faire la lumière sur les circonstances pertinentes ayant entouré la venue de cet avocat au poste de police de Rijeka le 14 mars 2007 à l’occasion de l’interrogatoire du requérant par la police. En particulier, les tribunaux internes n’ont pas réellement cherché à motiver ou justifier leur décision à l’aune des valeurs d’un procès pénal équitable, telles que consacrées à l’article 6 de la Convention.

110. Dans ces conditions, eu égard à la finalité de la Convention, qui est de protéger des droits concrets et effectifs (Lisica c. Croatie, no 20100/06, § 60, 25 février 2010), la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait eu une possibilité réelle de contester les circonstances dans lesquelles Me M.R. avait été désigné pour le représenter lors de son interrogatoire par la police.

111. Pour déterminer si, au vu de la procédure pénale dans son ensemble, le requérant a bénéficié d’un « procès équitable » au sens de l’article 6 § 1, la Cour doit tenir compte des mesures par lesquelles la police l’a effectivement empêché, dès le début de l’enquête, d’accéder à l’avocat choisi par sa famille et de choisir librement son propre avocat, ainsi que des conséquences de la conduite de la police sur la suite de la procédure. En théorie, que le suspect ait été assisté par un avocat qualifié, tenu à une déontologie professionnelle, plutôt que par un autre avocat qu’il aurait peut‑être préféré désigner ne suffit pas en soi à démontrer que le procès dans son ensemble était inéquitable – sauf cas avérés d’incompétence ou de partialité (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). En l’espèce, on peut présumer que la conduite de la police a eu pour conséquence que, dès sa première déposition devant celle-ci, au lieu de garder le silence comme il aurait pu le faire, le requérant a fait des aveux qui ont été ultérieurement versés au dossier comme pièce à charge. Il convient aussi de noter que jamais par la suite, au cours de la phase de l’enquête et de celle, consécutive, du jugement, le requérant ne s’est appuyé sur ses aveux, si ce n’est à titre de circonstance atténuante pour la fixation de sa peine ; au contraire, il a contesté dès qu’il en a eu la possibilité, en l’occurrence devant le juge d’instruction, la manière dont la police les avait recueillis (paragraphe 23 ci‑dessus). Même s’il existait d’autres pièces à charge, la Cour ne saurait faire abstraction des répercussions probablement significatives des aveux initiaux du requérant sur la suite de la procédure pénale dirigée contre lui. En somme, elle estime que la conséquence objective de la conduite de la police lorsqu’elle a empêché l’avocat choisi par la famille du requérant de voir celui-ci était de nature à nuire à l’équité du procès pénal ultérieur dans la mesure où la déclaration incriminante initiale du requérant a été versée au dossier.

e) Conclusion

112. La Cour a constaté que la police n’avait informé le requérant ni de la disponibilité de Me G.M. ni de la présence de celui-ci au poste de police de Rijeka, que le requérant avait avoué au cours de son interrogatoire les crimes dont il était accusé et que ses aveux avaient été retenus à charge lors de son procès, et que les juridictions nationales n’avaient pas dûment examiné cette question et, en particulier, n’avaient pas pris les mesures qui s’imposaient en conséquence pour assurer l’équité du procès. Ces éléments, considérés cumulativement, ont irrémédiablement porté atteinte aux droits de la défense et nui à l’équité de la procédure dans son ensemble.

113. La Cour conclut donc que, dans les circonstances de l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

Quaranta contre Suisse du 24 mai 1991 Hudoc 260 requête 12744/87

Le requérant a demandé un avocat commis d'office en première instance, mais il n'en a pas bénéficié.

La C.E.D.H constate la violation de l'article 6§3/c. 

S Contre Suisse du 28 novembre 1991 Hudoc 295 requêtes 12629/87 et 13965/88

Le requérant se plaint de ne pas avoir pu correspondre librement avec son avocat.

Le Gouvernement prétend qu'il voulait empêcher les avocats de la défense, de coordonner leurs stratégies:

"La Cour estime que pareille éventualité malgré la gravité des infractions reprochées au requérant, ne saurait justifier la restriction litigieuse, et aucune raison suffisamment convaincante, n'a été avancée. Il n'y a rien d'extraordinaire à ce que plusieurs défenseurs collaborent afin de coordonner leur stratégie. D'ailleurs ni la probité déontologique de Maître Gabade, nommé défenseur d'office par le Président de la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Zurich, ni la régularité de son comportement n'ont jamais prêté à contestation en l'espèce. En outre, la durée de la restriction dénoncée dépassa sept mois"

Partant, il y a violation de l'article 6§3/c.

KATRITSCH c. FRANCE du 4 novembre 2010 Requête 22575/08

29.  La Cour a rappelé à maintes reprises que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Or, la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé. On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office. De l’indépendance du barreau par rapport à l’Etat il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 96, CEDH 2006-XII, et Czekalla c. Portugal, no 38830/97, § 60, CEDH 2002-VIII).

30.  En l’espèce, elle constate que lors de l’audience d’appel du 23 octobre 2006, le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, alors même qu’il avait sollicité un report d’audience pour être assisté de son ancien conseil et préparer sa défense.

31.  La Cour relève que le requérant a été déclaré coupable et condamné à un an d’emprisonnement par la cour d’appel. Or, elle rappelle que, selon sa jurisprudence, dans des affaires où l’assistance gratuite d’un défenseur fait défaut et lorsqu’une privation de liberté se trouve en jeu, les intérêts de la justice commandent en principe d’accorder l’assistance d’un avocat (voir, parmi d’autres, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 61, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, et Shabelnik c. Ukraine, no 16404/03, § 58, 19 février 2009).

32.  La Cour relève ensuite que le requérant comparaissait pour la première fois devant les juges du fond et que l’audience d’appel représentait l’unique occasion pour lui de se faire entendre sur les faits qui lui étaient reprochés. En effet, il ressort des décisions rendues par défaut et itératif défaut qu’à deux reprises le requérant n’avait pas reçu la citation à comparaître devant les juridictions, qu’il s’était ensuite vu refuser une demande de report d’audience et, enfin, qu’il n’avait pas été représenté lors des audiences tenues en son absence.

33.  Enfin, à supposer que le requérant ait manqué à une obligation de diligence en ne contactant pas un avocat plus tôt, cela ne saurait justifier, eu égard à ce qui précède, le refus de report d’audience opposé par la cour d’appel. De l’avis de la Cour, on ne peut faire abstraction du fait que le requérant était incarcéré depuis plusieurs mois, ce qui a nécessairement compliqué ses démarches pour s’informer et trouver un avocat, tant en raison de sa condition de détenu qu’en raison de sa connaissance insuffisante des procédures internes.

34.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en refusant de reporter l’audience, les autorités ont, dans les circonstances de l’espèce, porté atteinte au droit du requérant de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et à l’assistance d’un avocat garantis par l’article 6 § 3 b) et c) de la Convention.

LE DROIT DE SE DÉFENDRE SOIT-MÊME

Grande Chambre Correia de Matos c. Portugal du 04 avril 2018 requête n° 56402/12

Non-violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (droit à un procès équitable / droit de se défendre soi-même). L’affaire concerne une procédure pénale ouverte contre le requérant, un avocat de formation, pour outrage à magistrat, et l’impossibilité qu’il se défende seul dans le cadre de cette procédure, les juridictions internes exigeant qu’il soit représenté par un avocat. La Cour observe que la décision des juridictions portugaises d’imposer au requérant l’obligation d’être représenté par un défenseur résultait d’une législation complète visant à protéger les accusés en leur garantissant une défense effective dans les affaires où une peine privative de liberté pouvait être infligée. La règle portugaise relative à l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale vise essentiellement à garantir une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accusé à l’égalité des armes. En ce qui concerne l’équité globale du procès, la Cour n’aperçoit aucune raison convaincante de douter que la défense du requérant par une avocate commise d’office n’ait pas été assurée convenablement ou de considérer que la conduite de la procédure par les juridictions nationales ait été d’une quelconque manière inéquitable.

Des opinions dissidentes de juges prestigieux sont lisibles ici à la fin de l'arrêt au format pdf.

Principaux faits

Le requérant, M. Carlos Correia de Matos, est un ressortissant portugais, né en 1944 et résidant à Viana do Castelo (Portugal). Il est avocat de formation et commissaire aux comptes de profession. En septembre 1993, le conseil de l’ordre des avocats estimant que l’exercice concomitant des professions d’avocat et de commissaire aux comptes était incompatible, décida de suspendre son inscription au tableau des avocats. Le 28 février 2008, dans le cadre d’une procédure civile où il intervenait néanmoins en qualité d’avocat, M. Correia de Matos critiqua les décisions prises par le juge.

Ce dernier saisit le parquet d’une plainte pour outrage. Le 10 février 2010, le parquet présenta ses conclusions à l’encontre du requérant, l’accusant d’outrage à magistrat. Il désigna un avocat sur le fondement de l’article 64 du code de procédure pénale (CPP) pour assurer la défense de l’intéressé. Le 12 mars 2010, M. Correia de Matos demanda au tribunal d’ouvrir une instruction contradictoire et sollicita l’autorisation d’assurer lui-même sa défense à la place de l’avocat commis d’office. Le tribunal accepta d’ouvrir l’instruction mais rejeta la demande du requérant d’assurer sa propre défense.

Renvoyant à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, le tribunal estima qu’un accusé qui était avocat ne pouvait intervenir dans une procédure pénale pour défendre sa propre cause. Le requérant fit appel. La cour d’appel de Coimbra le débouta, faisant observer que le droit portugais de la procédure pénale ne permettait pas de cumuler dans la même procédure la qualité d’accusé et celle de défenseur. Elle ajouta qu’un accusé devait bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de l’audience devant le juge d’instruction et au procès dans toute affaire susceptible d’aboutir à une peine privative de liberté ou une ordonnance d’internement. Le 11 mai 2012, le Tribunal constitutionnel décida qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours constitutionnel formé par le requérant, ce recours n’ayant été ni signé ni approuvé par l’avocate qui lui avait été commise d’office dans le cadre de la procédure pénale. Le 20 septembre 2012, une audience se déroula devant le juge d’instruction de Baixo-Vouga. L’avocate commise d’office se présenta à l’audience mais non M. Correia de Matos.

Le juge d’instruction confirma l’accusation et décida de renvoyer l’affaire en jugement devant le tribunal pénal. Le 12 décembre 2013, à l’issue d’une audience où de nouveau était seule présente l’avocate commise d’office, le tribunal pénal jugea M. Correia de Matos coupable d’outrage aggravé et le condamna à une peine de 140 joursamende au taux journalier de 9 euros (EUR)o ainsi qu’au paiement des frais de justice, notamment des frais d’un montant de 150 EUR au titre de sa représentation par un avocat commis d’office. Le 1 er mai 2014, le tribunal pénal de Baixo-Vouga déclara irrecevable le recours formé par M. Correia de Matos contre ce jugement, au motif qu’il n’était signé ni par l’avocat commis d’office ni par un avocat mandaté par l’intéressé. Le 18 novembre 2014, la cour d’appel de Porto rejeta un recours formé par le requérant contre cette décision. La cour d’appel réaffirma que l’accusé dans une procédure pénale, même s’il est avocat, ne peut se défendre lui-même mais doit être assisté par un défenseur. Elle souligna que la mise en oeuvre d’une défense en matière pénale constituait un intérêt d’ordre public.

La cour d’appel conclut qu’il n’était pas possible de renoncer au droit d’être défendu. Elle ajouta que les pouvoirs que la loi conférait à la défense étaient en maintes situations incompatibles avec la position d’accusé. La cour d’appel releva que le Tribunal constitutionnel avait confirmé à plusieurs reprises que cette interprétation et la législation étaient conformes à la Constitution. Elle indiqua de même que l’approche en question n’était pas contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ou à la Convention européenne des droits de l’homme. Le requérant n’ayant pas mandaté d’avocat à la suite de son recours contre la décision du 18 novembre 2014, le jugement rendu le 12 décembre 2013 devint définitif le 6 janvier 2015.

Article 6 § 3 c)

 En ce qui concerne la pertinence et la suffisance des fondements de la législation appliquée, la Cour attache un poids considérable à la qualité des contrôles parlementaires et juridictionnels qui ont été appliqués à la mesure litigieuse. La Cour observe que le législateur a plusieurs fois décidé de maintenir l’obligation faite à l’accusé d’être assisté par un avocat en matière pénale. Les juridictions, notamment la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel, ont justifié de façon complète dans leur jurisprudence leur position selon laquelle la règle stricte de l’obligation de représentation par un avocat est conforme à la Constitution et nécessaire tant à l’intérêt de l’accusé qu’à l’intérêt général. La Cour observe que les juridictions nationales ont fidèlement tenu compte du raisonnement suivi de longue date par le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême et les cours d’appel du Portugal. Elles ont souligné que les règles appliquées par elles relativement à l’obligation en cause ne visaient pas à restreindre les actes de la défense mais à protéger l’accusé en lui garantissant une défense effective. Elles ont déclaré par ailleurs que la défense de l’accusé au cours d’une procédure pénale répondait à l’intérêt général et qu’en conséquence il n’était pas possible de renoncer au droit à être défendu par un avocat. Elles ont précisé que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale reflétaient le postulat selon lequel un accusé était mieux défendu par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat et ont ajouté que celui-ci n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur l’accusé et qu’il était à même d’assurer une défense lucide, dépassionnée et effective. La décision par laquelle les juridictions portugaises ont imposé au requérant l’obligation d’être représenté par un défenseur résultait donc d’une législation complète visant à protéger les accusés en leur garantissant une défense effective dans les affaires où une peine privative de liberté pouvait être infligée. La Cour reconnaît également que même un accusé formé à la profession d’avocat, comme le requérant, peut ne pas être capable, parce que les accusations le visent personnellement, de défendre sa propre cause de manière effective. En l’occurrence, l’accusé se trouve être un avocat suspendu du barreau qui, en conséquence, n’a pas le droit de fournir une assistance juridique à des tiers. En outre, il ressort clairement du dossier que le requérant était intervenu dans une procédure en qualité de défenseur malgré sa suspension du barreau et qu’il avait déjà été inculpé d’outrage à magistrat dans cette procédure. Il y avait donc des motifs raisonnables de considérer que le requérant n’avait peut-être pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite effective par un accusé de sa propre défense. Par ailleurs, la Cour observe que si la procédure pénale portugaise réserve à l’avocat les aspects techniques de la défense juridique, la législation donnait à l’accusé plusieurs moyens de participer à la procédure et d’y intervenir en personne. Ainsi, l’accusé avait le droit d’être présent à tous les stades de la procédure, de faire des déclarations ou de garder le silence et avait la possibilité desoumettre des observations, des déclarations et des demandes dans lesquelles il pouvait aborder des questions de droit et de fait. De plus, il pouvait faire annuler toute mesure mise en oeuvre en son nom, dans les conditions précisées par le code de procédure pénale. En outre, le droit portugais prévoyait que l’accusé était la dernière personne à prendre la parole devant le tribunal après la fin des plaidoiries et avant le prononcé du jugement. Enfin, si l’accusé n’était pas satisfait de son avocat commis d’office, il pouvait solliciter son remplacement sur demande dûment motivée. Les dispositions pertinentes du droit portugais donnaient à l’accusé la faculté de mandater un avocat de son choix. Il est vrai que, si un accusé était condamné, il devait supporter le coût de la représentation obligatoire, mais pouvait toutefois demander l’assistance judiciaire. La Cour observe que la règle portugaise relative à l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale vise essentiellement à garantir une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accusé à l’égalité des armes. Eu égard à la marge d’appréciation laissée aux Etats membres quant au choix des moyens à mettre en oeuvre pour garantir la défense d’un accusé, la Cour estime à la fois pertinentes et suffisantes les raisons fournies par le Gouvernement à l’appui de l’obligation d’être assisté. Enfin, en ce qui concerne l’équité globale du procès, la Cour observe que la défense du requérant a été assurée par une avocate commise d’office. Elle n’aperçoit aucune raison convaincante de douter que la défense du requérant par cette avocate n’ait pas été assurée convenablement ou de considérer que la conduite de la procédure par les juridictions nationales ait été d’une quelconque manière inéquitable. Le requérant n’a d’ailleurs pas avancé d’arguments valables indiquant que la procédure pénale dont il avait fait l’objet aurait été inéquitable. La Cour constate donc qu’aucun élément ne permet de conclure au caractère inéquitable de la procédure pénale ayant visé le requérant, dans laquelle les juridictions nationales ont appliqué l’obligation litigieuse d’être assisté par un avocat.

DROIT INTERNANTIONAL

B. Communication no 1123/2002 soumise par le requérant au Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH) et Observation générale no 32 de cet organe

1. Les constatations adoptées par le CDH

63. Le 1er avril 2002, le requérant soumit au CDH, en vertu du premier Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, une communication (no 1123/2002) concernant le Portugal. Il alléguait que, dans le cadre d’une procédure pénale devant le tribunal de Ponte de Lima pour outrage à magistrat, en 1996, il n’avait pas été autorisé à assurer sa propre défense et s’était vu attribuer contre sa volonté un avocat chargé de le représenter ; il y voyait une violation de l’article 14 § 3 d) du PIDCP.

64. La communication reposait sur les mêmes faits que ceux en cause dans une requête précédemment introduite par le requérant auprès de la Cour européenne des droits de l’homme le 17 avril 1999. Dans sa décision du 15 novembre 2001 (Correia de Matos c. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001-XII), une chambre avait déclaré la requête manifestement mal fondée, estimant qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits de la défense du requérant au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention (pour plus de détails, voir les paragraphes 111-113 ci‑dessous).

65. Dans ses constatations adoptées le 28 mars 2006, le CDH déclara, par douze voix contre quatre, que le droit du requérant d’assurer sa propre défense au regard de l’article 14 § 3 d) du PIDCP n’avait pas été respecté. Il estima essentiellement que cette disposition, selon lui clairement formulée, indiquait que l’accusé pouvait assurer sa propre défense « ou » se faire défendre par un avocat de son choix, et qu’elle prenait comme point de départ le droit de se défendre. Le CDH expliqua que le droit d’assurer sa propre défense constituait une pierre angulaire de la justice et pouvait être enfreint lorsqu’un avocat était commis d’office à l’accusé alors que ce dernier n’en voulait pas et n’avait pas confiance en lui, et il observa qu’en pareille situation un accusé risquait de ne plus être capable de se défendre efficacement dans la mesure où cet avocat ne serait pas son assistant (paragraphe 7.3 des constatations du CDH).

66. Le CDH déclara que le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’était pas absolu et que l’intérêt de la justice pouvait commander l’imposition d’un avocat commis d’office, contre le gré de l’accusé, en particulier si celui-ci faisait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, s’il devait répondre d’une accusation grave mais était incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agissait de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes qu’il aurait pu leur causer en les interrogeant lui-même. Le CDH fit toutefois remarquer que toute restriction au souhait de l’accusé d’assurer sa propre défense devait avoir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver les intérêts de la justice (paragraphe 7.4 des constatations du CDH). Pour le Comité, il appartenait aux tribunaux compétents de déterminer si, dans une affaire donnée, la commission d’office d’un avocat était nécessaire dans l’intérêt de la justice (paragraphe 7.5 des constatations du CDH).

67. Concernant l’affaire dont il était saisi, le CDH releva que selon la législation portugaise et la jurisprudence de la Cour suprême un accusé ne pouvait en aucun cas être exempté de l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, même s’il était lui-même avocat. Le Comité observa également que la loi ne prenait en compte ni la gravité des accusations ni le comportement de l’accusé. Il ajouta que le Portugal n’avait pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes pour expliquer en quoi, dans une affaire relativement simple comme celle examinée, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte à l’intérêt de la justice (paragraphe 7.5 des constatations du CDH). Le CDH conclut que le Portugal devait modifier sa législation afin de la mettre en conformité avec l’article 14 § 3 d) du PIDCP (paragraphe 8 des constatations du CDH). La majorité du Comité ne se pencha pas expressément sur le raisonnement tenu par la Cour dans sa décision du 15 novembre 2001 sur la requête no 48188/99.

2. Observation générale no 32 du CDH

68. Le CDH réitéra ses constatations au sujet de la communication no 1123/2002 dans l’Observation générale no 32 intitulée « Article 14. Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable », adoptée lors de sa 90e session (9-27 juillet 2007) (document CCPR/C/GC/32, paragraphe 37).

69. Dans cette observation générale, renvoyant à la communication no 450/1991, I.P. c. Finlande (paragraphe 6.2 de la décision sur la recevabilité adoptée le 26 juillet 1993), le CDH déclara également que « le droit à l’égalité d’accès à un tribunal, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14, vis[ait] l’accès aux procédures de première instance et n’impliqu[ait] pas un droit de faire appel ou de disposer d’autres recours ».

3. Développements ultérieurs au Portugal

70. À ce jour, le législateur portugais n’a pas modifié la législation nationale sur la base des constatations du CDH afin de donner aux accusés la possibilité d’assurer eux-mêmes leur défense dans certaines circonstances. Dans leur quatrième rapport périodique présenté en janvier 2011 en vertu de l’article 40 du PIDCP, les autorités portugaises ont déclaré que la divergence entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la décision du CDH dans la même affaire « met[tait] le Portugal dans une situation difficile quant au respect de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme » (document CCPR/C/PRT/4 du 25 février 2011, paragraphes 272-275).

71. Dans ses observations finales sur ledit rapport, adoptées lors de sa 106e session (15 octobre – 2 novembre 2012), le CDH a indiqué que le Portugal devait donner suite à la recommandation faite dans ses constatations concernant la communication no 1123/2002, assouplir la règle en vigueur imposant la représentation par un avocat et étudier la possibilité d’assurer de façon obligatoire le service d’un conseil auxiliaire pour les personnes qui assurent elles-mêmes leur défense (document CCPR/C/PRT/CO/4 du 23 novembre 2012, paragraphe 14).

72. La Cour suprême portugaise, dans son arrêt du 20 novembre 2014 (paragraphe 57 ci-dessus) adopté dans le cadre d’une autre procédure engagée par le requérant en l’espèce, a pris acte de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans la requête no 48188/99 ainsi que des constatations du CDH au sujet de la communication no 1123/2002 (paragraphes 63-67 ci-dessus). Elle a considéré que la mise en œuvre du contenu desdites constatations par des modifications de la législation nationale qui empêchait les accusés de se défendre eux-mêmes dans une procédure pénale risquait de rompre avec une tradition juridique et de causer des perturbations innombrables et prévisibles. Pour la juridiction suprême, cela expliquait que la législation portugaise n’eût pas été adaptée de manière à donner effet aux constatations du CDH (paragraphes VI-IX de l’arrêt).

C. Règlements de juridictions pénales internationales

73. L’article 67 § 1 d) du Statut de la Cour pénale internationale (CPI) et l’article 21 § 4 d) du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY) prévoient le droit pour un accusé de se défendre lui-même ou de se faire assister par le défenseur de son choix. Un certain nombre d’accusés, devant le TPIY en particulier, se sont prévalus du droit, tel qu’interprété par cette juridiction, d’assurer leur propre défense sans l’assistance d’un avocat. En 2008, le TPIY a adopté la règle 45ter du Règlement de procédure et de preuve, afin de codifier sa jurisprudence. La disposition pertinente énonce que la chambre de première instance peut, si elle estime que l’intérêt de la justice le requiert, ordonner au greffier de désigner un conseil pour défendre les intérêts de l’accusé.

D. Recommandation no R(2000)21

74. La Recommandation no R(2000)21 du Comité des Ministres aux États membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, adoptée par le Comité des Ministres le 25 octobre 2000 lors de la 727e réunion des Délégués des Ministres, dispose en ses parties pertinentes :

« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, (...)

Désirant promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat afin de renforcer l’État de droit, auquel participe l’avocat (...)

Principe III – Rôle et devoirs des avocats

1. Les associations de barreaux ou autres associations professionnelles d’avocats devraient établir des règles professionnelles et des codes de déontologie et devraient veiller à ce que les avocats défendent les droits et intérêts légitimes de leurs clients en toute indépendance, avec diligence et équité.

(...)

4. Les avocats devraient respecter l’autorité judiciaire et exercer leurs fonctions devant les tribunaux en conformité avec la législation et les autres règles nationales et la déontologie de la profession (...)

Principe V – Associations

(...)

4. Les barreaux ou les autres associations professionnelles d’avocat devraient être encouragées à assurer l’indépendance des avocats et, en particulier :

(...)

b. à défendre le rôle des avocats dans la société et à veiller notamment au respect de leur honneur, de leur dignité et de leur intégrité (...) »

75. Le Conseil des barreaux européens (CCBE) a adopté deux textes fondateurs : le Code de déontologie des avocats européens, qui remonte au 28 octobre 1988 et a été modifié à plusieurs reprises, et la Charte des principes essentiels de l’avocat européen, adoptée le 24 novembre 2006. La Charte énonce dix principes essentiels qui sont l’expression de la base commune à toutes les règles nationales et internationales qui régissent la profession d’avocat. Parmi ces principes figurent :

« (...) d) la dignité, l’honneur et la probité ;

(...)

h) le respect de la confraternité ;

i) le respect de l’État de droit et la contribution à une bonne administration de la justice ;

j) l’autorégulation de [la] profession [d’avocat]. »

IV. DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE

76. Le deuxième alinéa de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui porte sur le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (...) Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »

Selon les explications relatives à la Charte mentionnées au paragraphe 7 de l’article 52 de la Charte, le deuxième alinéa de l’article 47 correspond à l’article 6 § 1 de la Convention et, à l’exception de leur champ d’application, les garanties offertes par la Convention s’appliquent de manière similaire dans l’Union.

77. Le paragraphe 2 de l’article 48 de la Charte des droits fondamentaux, relatif à la présomption d’innocence et aux droits de la défense, énonce :

« Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. »

Selon les explications susmentionnées, l’article 48 correspond à l’article 6 §§ 2 et 3 de la Convention.

78. Le paragraphe 3 de l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux, sur la portée et l’interprétation des droits et des principes, se lit comme suit :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

79. La directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, qui est entrée en vigueur en novembre 2013 (JO 2013 L 294, pp. 1 à 12) et devait être transposée dans le droit interne des États membres de l’UE au plus tard le 27 novembre 2016, énonce ce qui suit au considérant 53 :

« Les États membres devraient veiller à ce que les dispositions de la présente directive, lorsqu’elles correspondent à des droits garantis par la CEDH, soient mises en œuvre en conformité avec les dispositions de la CEDH, telles qu’elles ont été développées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »

80. Par ailleurs, la directive dispose en particulier :

Article 3

Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

(...)

4. (...) Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat, les États membres prennent les dispositions nécessaires afin que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privés de liberté soient en mesure d’exercer effectivement leur droit d’accès à un avocat, à moins qu’ils n’aient renoncé à ce droit conformément à l’article 9. »

Article 9

Renonciation

« 1. Sans préjudice du droit national qui requiert obligatoirement la présence ou l’assistance d’un avocat, les États membres veillent, en ce qui concerne toute renonciation à un droit visé [à l’article] 3 (...), à ce que :

a) le suspect ou la personne poursuivie ait reçu, oralement ou par écrit, des informations claires et suffisantes, dans un langage simple et compréhensible, sur la teneur du droit concerné et les conséquences éventuelles d’une renonciation à celui‑ci ; et

b) la renonciation soit formulée de plein gré et sans équivoque.

(...) »

Article 14

Clause de non-régression

« Aucune disposition de la présente directive ne saurait être interprétée comme limitant les droits et les garanties procédurales conférés par la Charte, la CEDH ou d’autres dispositions pertinentes du droit international ou du droit de tout État membre qui offrent un niveau de protection supérieur, ni comme dérogeant à ces droits et à ces garanties procédurales. »

LA CEDH

a) Remarques préliminaires concernant le contenu et le contexte du grief du requérant

109. La Cour observe d’emblée qu’il y a deux branches dans le grief que le requérant formule au sujet de la décision des juridictions internes de ne pas l’autoriser à se défendre lui-même dans la procédure pénale qui le visait et de lui imposer d’être représenté par un défenseur alors qu’il avait lui‑même une formation d’avocat. Le requérant se plaint principalement qu’en dépit de sa formation juridique il n’a pas été autorisé à assurer lui‑même sa défense, contrairement à ce que prévoit la première option de l’article 6 § 3 c), sans l’assistance d’un avocat. Par ailleurs, invoquant la seconde option contenue dans cette disposition, il soutient que dans la procédure pénale en question il n’a pas pu se défendre avec l’assistance d’un défenseur de son choix, c’est‑à-dire lui-même.

110. À la lumière des arguments des parties, la Cour considère que la présente affaire porte principalement sur l’étendue du droit, pour un accusé doté d’une formation juridique, d’assurer sa propre défense. Elle observe toutefois que l’inscription du requérant au tableau des avocats était suspendue à l’époque de la procédure litigieuse devant les juridictions nationales et que dès lors l’intéressé ne pouvait pas agir en qualité d’avocat dans sa propre cause, quelles qu’aient été les règles de la procédure pénale portugaise relatives à l’obligation d’être représenté (paragraphe 9 ci-dessus).

111. En outre, comme indiqué au paragraphe 64, le requérant avait précédemment introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir été condamné au pénal par le tribunal de Ponte de Lima pour outrage à magistrat en 1998. Dans cette requête, introduite en 1999, il avait également allégué sous l’angle de l’article 6 § 3 c) qu’on lui avait refusé l’autorisation d’assurer sa propre défense et que, contre sa volonté, on avait désigné un avocat pour le représenter.

112. Par une décision du 15 novembre 2001 (Correia de Matos c. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001-XII), une chambre de la Cour se prononça comme suit :

« (...) [E]n cette matière il est essentiel que l’intéressé soit en mesure de présenter sa défense d’une manière appropriée et conforme aux exigences d’un procès équitable. Toutefois, la décision de permettre à un accusé de se défendre lui-même ou de lui désigner un avocat rentre encore dans la marge d’appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense.

Il convient de souligner que les motifs invoqués pour exiger la représentation obligatoire par un avocat, lors de certaines phases de la procédure, sont, aux yeux de la Cour, suffisants et pertinents. Il s’agit en effet, notamment, d’une mesure dans l’intérêt de l’accusé et visant une défense efficace de ce dernier. Les juridictions nationales sont donc en droit d’estimer que les intérêts de la justice commandent la désignation obligatoire d’un avocat.

Le fait que l’accusé soit lui aussi avocat, comme c’est le cas en l’espèce, même si l’inscription du requérant au tableau de l’Ordre des avocats fait à l’heure actuelle l’objet d’une suspension, n’ébranle en rien les constatations qui précèdent. S’il est vrai qu’en règle générale les avocats peuvent agir en personne devant un tribunal, les juridictions compétentes peuvent néanmoins estimer que les intérêts de la justice commandent la désignation d’un représentant à un avocat qui est sous le coup d’une accusation pénale et qui peut donc, par ce motif même, ne pas être en mesure d’évaluer correctement les intérêts en jeu et dès lors d’assurer efficacement sa propre défense. Aux yeux de la Cour, on se trouve, là encore, dans les limites de la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales.

En l’espèce, la Cour estime que la défense du requérant a été assurée de manière appropriée. Elle relève à cet égard que le requérant n’a pas allégué avoir été dans l’impossibilité de présenter sa version personnelle des faits aux juridictions en cause et qu’il a été représenté par un avocat d’office lors de l’audience du 15 décembre 1998. »

113. Estimant qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits de la défense du requérant au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, la chambre rejeta la requête pour défaut manifeste de fondement.

114. Les mêmes faits sont à l’origine de la communication concernant le Portugal qui fut par la suite soumise au CDH (examinée en détail aux paragraphes 63-67 ci-dessus).

b) Principes généraux

i. La nature et la portée de l’appréciation de la Cour

115. La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne reconnaît pas l’actio popularis. Selon sa jurisprudence constante, dans une affaire issue d’une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention, elle n’a pas pour tâche d’examiner le droit interne dans l’abstrait. Elle doit plutôt rechercher si la manière dont il a été appliqué au requérant ou l’a touché a donné lieu à une violation de la Convention (voir, entre autres, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 101, CEDH 2014, Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, § 136, CEDH 2015 (extraits), et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 164, CEDH 2015, avec les références citées).

116. La Cour souligne ensuite le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention. Conformément au principe de subsidiarité, il incombe en premier lieu aux Parties contractantes de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses Protocoles, et elles disposent pour ce faire d’une marge d’appréciation soumise au contrôle de la Cour. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et, ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et contextes locaux (voir, entre autres, Hatton et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 36022/97, § 97, CEDH 2003‑VIII, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 98, 25 octobre 2012, et Garib c. Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 137, 6 novembre 2017).

117. Lorsque le législateur bénéficie d’une marge d’appréciation, celle‑ci s’applique en principe tant à la décision de légiférer ou non sur un sujet donné que, le cas échéant, aux règles détaillées édictées pour veiller à ce que la législation soit conforme à la Convention et pour ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en conflit. Les choix opérés et les solutions retenues par le législateur en la matière n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État ou du public en général et ceux des individus directement touchés par les solutions en question (voir, mutatis mutandis, S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 97, CEDH 2011, Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits), et Garib, précité, § 138).

118. Dans son examen du grief selon lequel les juridictions nationales ont refusé au requérant, en vertu du droit interne, l’autorisation de se défendre lui-même dans la procédure pénale dirigée contre lui, la Cour tiendra donc compte de sa jurisprudence constante sur l’étendue du droit d’assurer sa propre défense au regard de l’article 6 de la Convention, ainsi que de la marge d’appréciation que la Convention laisse habituellement aux États membres en la matière. Elle se penchera également sur le cadre législatif portugais qui fait obligation aux accusés d’être représentés dans presque toutes les procédures pénales et sur l’application concrète de cette législation en l’espèce, par les juridictions nationales, à la lumière de l’obligation de veiller à l’équité de la procédure dans son ensemble.

ii. L’étendue du droit de se défendre soi-même

119. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le paragraphe 3 de l’article 6 renferme une liste d’applications particulières du principe général énoncé au paragraphe 1 : les divers droits qu’il énumère en des termes non exhaustifs représentent des aspects, parmi d’autres, de la notion de procès équitable en matière pénale. En veillant à son observation, il ne faut pas perdre de vue sa finalité profonde ni le couper du « tronc commun » auquel il se rattache. La Cour examine donc un grief tiré de l’article 6 § 3 sous l’angle des paragraphes 1 et 3 combinés (voir, entre autres, Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96 et 2 autres, § 40, CEDH 2002‑VII, avec les références citées).

120. Les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3, qui montre par des exemples ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales, ne sont pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Ibrahim et autres, précité, § 251, avec les références citées).

121. L’article 6 § 3 c) reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Malgré l’importance que revêt la relation de confiance entre un avocat et son client, ce droit n’est pas absolu. La Cour a dit qu’il est forcément sujet à certaines limitations en matière d’assistance judiciaire gratuite et aussi lorsqu’il appartient aux tribunaux de décider si les intérêts de la justice exigent de doter l’accusé d’un défenseur d’office (Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 79, CEDH 2015, avec les références citées).

122. D’après la jurisprudence bien établie de la Commission comme de la Cour, les paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 garantissent ainsi qu’une procédure ne sera pas conduite contre un accusé qui ne serait pas représenté adéquatement dans sa défense, mais ils ne donnent pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée (Correia de Matos, décision précitée, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 65, 20 janvier 2005, Breukhoven c. République tchèque, no 44438/06, § 60, 21 juillet 2011). Le choix entre les deux options mentionnées à l’article 6 § 3 c), à savoir, d’une part, le droit pour l’intéressé de se défendre lui-même et, d’autre part, son droit à être représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le tribunal, relève de la législation applicable ou du règlement de procédure du tribunal concerné (X. c. Norvège, no 5923/72, décision de la Commission du 30 mai 1975, Décisions et rapports (DR) 3, p. 44, Thorgeirson c. Islande, no 13778/88, décision de la Commission du 14 mars 1990, Correia de Matos, décision précitée, Mayzit, précité, § 65, Sakhnovskiy c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, 2 novembre 2010, et Breukhoven, précité, § 60).

123. La décision d’autoriser un accusé à se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat ou de désigner un avocat pour le représenter relève de la marge d’appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense (voir, entre autres, Weber c. Suisse, no 24501/94, décision de la Commission du 17 mai 1995, Correia de Matos, décision précitée, avec les références citées ; pour un exemple plus récent, voir X c. Finlande, no 34806/04, § 182, CEDH 2012 (extraits)).

124. En outre, selon la jurisprudence de la Cour, la mesure consistant à imposer la représentation par un avocat inscrit au barreau est prise en faveur de l’accusé et vise à garantir une bonne défense de ses intérêts dans le cadre des poursuites. La Cour a déjà eu l’occasion de juger que les juridictions nationales étaient donc en droit d’estimer que les intérêts de la justice commandaient la désignation obligatoire d’un avocat (Correia de Matos, décision précitée, et X c. Finlande, précité, § 182). Pour parvenir à une telle conclusion, elle tient compte de la marge d’appréciation susmentionnée et peut également prendre en considération la teneur de la législation interne pertinente, qui peut habiliter ou obliger la juridiction compétente à désigner un avocat, fût-ce contre la volonté de l’accusé (comparer, mutatis mutandis, avec Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, § 27, série A no 237‑B).

125. La Cour observe que ces principes généraux énoncés avant la décision sur la requête no 48188/99, appliqués dans l’affaire en question puis à nouveau par la suite (paragraphes 122-124 ci-dessus), reconnaissent donc la marge d’appréciation accordée aux États contractants pour déterminer la manière dont il convient d’assurer la défense d’un accusé souhaitant se défendre lui-même. Toutefois, comme sa jurisprudence constante le montre aussi, cette marge d’appréciation n’est pas illimitée.

126. La Cour a précisé que, dans l’exercice du choix que leur laisse l’article 6 §§ 1 et 3 c), les autorités nationales doivent tenir compte des souhaits de l’accusé quant à son choix de représentation en justice mais peuvent passer outre s’il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent (Dvorski, précité, § 79, avec les références citées). Pour la Cour, cela implique de vérifier le caractère pertinent et suffisant des motifs qui ont été avancés par le législateur national, et également par les juridictions nationales lorsqu’elles ont appliqué les dispositions concernées du droit interne dans le cas particulier du requérant. Au niveau du législateur, les normes et évolutions juridiques au sein d’autres États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que du droit de l’Union européenne et du droit international plus généralement peuvent jouer un certain rôle. Concernant l’application de la législation interne litigieuse par les juridictions nationales, un examen portant sur la pertinence et la suffisance des raisons fournies fera partie intégrante de l’évaluation par la Cour de l’équité globale de la procédure pénale. En effet, comme la Cour l’a dit à maintes reprises, le but intrinsèque des droits minimaux garantis par l’article 6 § 3 est de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble, tâche principale de la Cour sur le terrain de l’article 6 § 1 (voir, à cet égard, Ibrahim et autres, précité, §§ 250-251, et Simeonovi, précité, § 113).

iii. Limites de la marge d’appréciation

127. La jurisprudence de la Cour fournit des exemples montrant que, dans le contexte de l’article 6 §§ 1 et 3 c), la marge d’appréciation des États n’est pas illimitée.

128. Le fait que les États ne puissent pas automatiquement passer pour avoir respecté les droits de la défense d’un accusé lorsqu’ils ont choisi l’une des deux options visées à l’article 6 §§ 1 et 3 c) est illustré notamment par d’autres précédents relatifs à l’article 6 § 1, tout particulièrement sur la validité de la renonciation d’un accusé à ses droits découlant de l’article 6. Pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, une renonciation autorisée par le droit interne doit se trouver établie de manière non équivoque, ne se heurter à aucun intérêt public important et être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006‑II, Dvorski, précité, §§ 100‑101, CEDH 2015, et Simeonovi, précité, § 115). La marge d’appréciation dont les États disposent pour autoriser l’accusé à assurer seul sa propre défense n’est donc pas illimitée dans ce contexte non plus ; les limites dont elle est assortie sont liées à la protection de l’accusé et aux intérêts publics en jeu.

129. Comme indiqué ci-dessus (paragraphe 118), la Cour a dit à maintes reprises que les choix opérés par le législateur n’échappent pas à son contrôle et a évalué la qualité de l’examen parlementaire et judiciaire de la nécessité d’une mesure donnée. Elle a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte du risque d’abus que pouvait emporter l’assouplissement d’une mesure générale, et que ce risque était un facteur qu’il appartenait avant tout à l’État d’apprécier. Elle a déjà jugé qu’une mesure générale était un moyen plus pratique pour parvenir à l’objectif légitime visé qu’une disposition permettant un examen au cas par cas, pareil système étant de nature à engendrer un risque non négligeable d’incertitude, de litiges, de frais et de retards ou de discrimination et d’arbitraire. Cela étant, la manière dont une mesure générale a été appliquée aux faits d’une cause donnée permet de se rendre compte de ses répercussions pratiques et est donc pertinente pour l’appréciation de sa proportionnalité, de sorte qu’elle demeure un facteur important à prendre en compte (comparer avec Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits), avec les références citées).

130. Les Parties contractantes à la Convention peuvent certes choisir, dans le cadre de la marge d’appréciation que leur reconnaît la jurisprudence constante de la Cour (paragraphes 119-126 ci-dessus), s’il y a lieu de prévoir l’obligation d’être représenté par un avocat ; toutefois, lorsqu’elle vérifie si les motifs à l’origine d’un tel choix sont pertinents et suffisants et si l’État concerné est resté dans les limites de cette marge d’appréciation, la Cour peut tenir compte de la manière dont d’autres États ont effectué leur choix et des critères sur lesquels ils se fondent, ainsi que de l’évolution du droit international et, le cas échéant, du droit de l’Union européenne.

131. La Cour observe dans ce contexte que, selon les éléments de droit comparé dont elle dispose, les Parties contractantes à la Convention étudiées – qu’elles autorisent ou interdisent en règle générale à un accusé d’assurer sa propre défense – ont tendance à permettre de façon plus individualisée à l’accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat. Elles tiennent compte de facteurs tels que le degré de juridiction, la gravité de l’infraction et la capacité de l’intéressé à assurer lui-même sa défense (pour plus de détails, voir les paragraphes 81-84 ci-dessus).

132. La Cour relève qu’elle a pris en considération des facteurs similaires dans un contexte où elle recherchait si des mesures adoptées par un État étaient conformes aux autres exigences de l’article 6 § 3 c), notamment pour déterminer si les intérêts de la justice imposaient l’octroi à un requérant d’une assistance judiciaire gratuite. Elle doit se prononcer à cet égard à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, compte tenu entre autres de la gravité de l’infraction en cause, de la sévérité de la peine encourue, de la complexité de l’affaire et de la situation personnelle du requérant (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, §§ 32-36, série A no 205, Güney c. Suède (déc.), no 40768/06, 17 juin 2008, Zdravko Stanev c. Bulgarie, no 32238/04, § 38, 6 novembre 2012, Mikhaylova c. Russie, no 46998/08, § 79, 19 novembre 2015, et Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, § 89, 6 octobre 2016).

133. En ce qui concerne le droit international public, la Cour rappelle que la teneur de l’article 14 § 3 d) du PIDCP correspond à celle de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dans son Observation générale no 32 adoptée en juillet 2007 (paragraphe 68 ci-dessus), qui reflète les constatations qu’il a adoptées en mars 2006 relativement à la communication no 1123/2002 soumise par le requérant (paragraphes 63-67 ci-dessus), le CDH a toutefois estimé qu’au regard de l’article 14 § 3 d) toute restriction au souhait de l’accusé d’assurer sa propre défense devait avoir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver les intérêts de la justice. Le CDH a dit également que l’intérêt de la justice pouvait commander la représentation obligatoire par un avocat si l’accusé faisait obstruction au bon déroulement du procès, s’il devait répondre d’une accusation grave mais était incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agissait de protéger des témoins vulnérables. Il a néanmoins précisé que la loi devait éviter toute interdiction absolue visant le droit d’assurer sa propre défense sans l’assistance d’un avocat en matière pénale, notamment dans les affaires relativement simples concernant des accusations de moindre gravité et où l’accusé est capable d’assurer convenablement sa propre défense.

134. La Cour observe à cet égard qu’en interprétant les dispositions de la Convention elle a à plusieurs reprises tenu compte de constatations adoptées par le CDH et de l’interprétation faite par celui-ci des dispositions du PIDCP (voir, entre autres, Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 114 et 124, CEDH 2005‑I, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 188 et 194, CEDH 2012, et Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, §§ 140-141 et 143, CEDH 2016). La Convention, y compris son article 6, ne peut s’interpréter dans le vide mais doit autant que possible s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international concernant la protection internationale des droits de l’homme (comparer avec Fogarty c. Royaume‑Uni [GC], no 37112/97, § 35, CEDH 2001‑XI (extraits), Al‑Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001‑XI, et Magyar Helsinki Bizottság, précité, § 138). En effet, il découle de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités que la Convention doit autant que possible s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme.

135. Toutefois, même lorsque des dispositions de la Convention et du PIDCP sont presque identiques, les interprétations que le CDH et la Cour font d’un même droit fondamental peuvent ne pas toujours correspondre. En témoigne, par exemple, l’interprétation de l’étendue du droit d’accès à un tribunal donnée par le CDH et par la Cour respectivement. Le CDH considère que le droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 14 § 1 du PIDCP vise l’accès aux procédures de première instance et n’implique pas un droit de faire appel (paragraphe 70 ci-dessus). Quant à la Cour, elle dit dans sa jurisprudence constante que si l’article 6 de la Convention n’oblige pas les États contractants à instituer des cours d’appel ou de cassation, lorsque de telles juridictions existent il faut se conformer aux garanties de l’article 6, par exemple en assurant aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux (voir, entre autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 97, CEDH 2009, avec les références citées).

136. Pour ce qui est du droit de l’Union européenne, la teneur de la Charte des droits fondamentaux, les explications qui l’accompagnent et la directive 2013/48/UE indiquent que les droits garantis par l’article 47, alinéa 2, et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte correspondent à ceux énoncés dans l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention. Concernant la directive, qui à ce jour ne paraît pas avoir fait l’objet d’une interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, tant l’article 3, paragraphe 4 (« Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat (...) »), que l’article 9, paragraphe 1 (« Sans préjudice du droit national qui requiert obligatoirement la présence ou l’assistance d’un avocat (...) »), paraissent laisser à chaque État membre le choix d’opter ou non pour un système où la représentation par un avocat est obligatoire.

137. En résumé, la Cour estime que les normes adoptées par d’autres Parties contractantes à la Convention et l’évolution internationale (exposées ci-dessus) doivent être prises en considération à la fois par les Parties contractantes lorsqu’elles procèdent à l’examen parlementaire évoqué plus haut et par la Cour lorsqu’elle exerce son contrôle. Toutefois, compte tenu de la liberté considérable que la jurisprudence constante de la Cour reconnaît à ces États quant au choix des moyens propres à garantir que leurs systèmes judiciaires sont conformes aux exigences du droit de « se défendre [soi]-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur », visé à l’article 6 § 3 c) (paragraphes 123-126 ci-dessus), et étant donné que le but intrinsèque de cette disposition est de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (paragraphes 120 et 126 ci-dessus), ces normes ne sont pas déterminantes. En effet, si elles l’étaient, la liberté des États membres quant au choix des moyens et la marge d’appréciation qui leur est laissée dans l’exercice de ce choix s’en trouveraient réduites de manière excessive. La Cour observe qu’une interdiction absolue frappant le droit d’un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat en matière pénale peut, dans certaines circonstances, être excessive. Cela étant dit, s’il semble se dégager parmi les Parties contractantes à la Convention une tendance à reconnaître le droit pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat inscrit au barreau, il n’y a pas en la matière de consensus à proprement parler ; même entre les législations nationales qui ont prévu un tel droit, le moment et les circonstances où il entre en jeu varient considérablement.

iv. Le rôle des tribunaux et des avocats dans l’administration de la justice

138. La présente requête tirant son origine des poursuites dont le requérant a fait l’objet pour outrage à magistrat (paragraphe 10 ci-dessus), il convient de rappeler brièvement la jurisprudence de la Cour sur le rôle des tribunaux et des avocats dans l’administration de la justice.

139. La Cour réaffirme que les avocats jouent un rôle très important dans l’administration de la justice. Elle a souvent rappelé que le statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice, et elle a souligné que, pour croire en l’administration de la justice, le public doit également avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 173-175, CEDH 2005‑XIII, Morice c. France [GC], no 29369/10, § 132, CEDH 2015, avec les références citées, et Jankauskas c. Lituanie (no 2), no 50446/09, § 74, 27 juin 2017).

140. De ce rôle particulier des avocats, professionnels indépendants, dans l’administration de la justice, découlent un certain nombre d’obligations, notamment dans leur conduite, qui doit être empreinte de discrétion, d’honnêteté et de dignité (Morice, précité, § 133, et Jankauskas (no 2), précité, § 75, avec les références citées).

141. Dans la Recommandation no R(2000)21 sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat (paragraphe 74 ci-dessus), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a souligné que la profession d’avocat devait être exercée de manière à renforcer l’État de droit. Par ailleurs, les principes applicables à la profession d’avocat renferment des valeurs telles que la dignité, l’honneur et la probité, le respect de la confraternité et la contribution à une bonne administration de la justice (Charte du CCBE, paragraphe 75 ci-dessus, et Jankauskas (no 2), précité, § 77).

142. Si selon la jurisprudence constante de la Cour la liberté d’expression est également applicable aux avocats, ceux-ci ne peuvent tenir des propos d’une gravité dépassant le commentaire admissible sans solide base factuelle (Karpetas c. Grèce, no 6086/10, § 78, 30 octobre 2012, et Morice, précité, § 139) ou proférer des injures (Coutant c. France (déc.), no 17155/03, 24 janvier 2008, et Morice, ibidem).

v. Le critère pertinent

143. En résumé, pour déterminer si les cas relatifs à l’obligation d’être représenté par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale sont conformes à l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, il convient d’appliquer les principes suivants : a) l’article 6 §§ 1 et 3 c) ne donne pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée ; b) le choix entre les deux options mentionnées dans cette disposition, à savoir d’une part le droit pour l’intéressé de se défendre lui-même et d’autre part son droit à être représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le tribunal, relève en principe de la législation applicable ou du règlement de procédure du tribunal concerné ; c) pour effectuer ce choix, les États membres jouissent d’une marge d’appréciation, qui n’est toutefois pas illimitée. À la lumière de ces principes, la Cour doit tout d’abord vérifier si des raisons pertinentes et suffisantes ont été avancées à l’appui du choix législatif qui a été appliqué au cas d’espèce. Dans un second temps, et même si de telles raisons ont été présentées, il demeure nécessaire de rechercher, dans le contexte de l’appréciation globale de l’équité de la procédure pénale, si les juridictions nationales, en appliquant la règle litigieuse, ont également fourni des raisons pertinentes et suffisantes à l’appui de leurs décisions. Sur ce dernier point, il convient de vérifier si l’accusé s’est vu donner la possibilité concrète de participer de manière effective à son procès.

c) Application de ces principes au cas d’espèce

i. Examen portant sur la pertinence et la suffisance des fondements de la législation portugaise appliquée en l’espèce

144. Concernant la législation relative à l’obligation d’être représenté par un avocat qui a été appliquée en l’espèce par les juridictions nationales, la Cour observe que celles-ci ont fondé leur décision sur l’article 32 de la Constitution et l’article 64 du CPP tels qu’interprétés par la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel et de la Cour suprême (paragraphes 52-57 ci-dessus). D’après l’article 64 § 1 b) du CPP en particulier, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, l’assistance d’un défenseur était obligatoire lors de l’audience devant le juge d’instruction et lors des débats devant le tribunal, sauf si la procédure ne pouvait aboutir à une peine privative de liberté (paragraphes 15 et 33 ci-dessus). Or, en vertu du code pénal portugais, presque toutes les infractions sont en principe passibles d’une peine privative de liberté, car le code prévoit la possibilité d’imposer une peine de prison même pour la plupart des infractions mineures (paragraphe 49 ci-dessus). Eu égard aussi à la pratique des juridictions portugaises (paragraphe 61 ci-dessus), il apparaît que la représentation par un avocat est obligatoire à tous les stades cruciaux de la procédure pénale. Ainsi, aucun des facteurs retenus par de nombreuses Parties contractantes à la Convention (paragraphes 81-84 ci-dessus) indiquant la possibilité de se passer de l’assistance d’un défenseur dans une procédure pénale n’ont besoin d’être examinés par les juridictions internes lorsqu’elles appliquent la législation pertinente. Il est donc incontestable que le droit portugais de la procédure pénale est particulièrement restrictif en ce qui concerne la possibilité pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat s’il le souhaite. La question de savoir si le droit portugais est également strict s’agissant d’un accusé qui participe activement à sa propre défense est examinée ci-après (paragraphes 156‑159).

145. Comme indiqué plus haut (paragraphe 129), le caractère pertinent et suffisant des raisons avancées à l’appui de l’obligation d’être représenté par un avocat dépend aussi de la qualité de l’examen parlementaire et du contrôle juridictionnel effectués au Portugal. Ainsi qu’il ressort du préambule du CPP de 1987, les dispositions de ce nouveau code, notamment son article 64 § 1, visaient à renforcer la position juridique de l’accusé et à assurer une égalité des armes effective avec le ministère public, dont la propre position juridique était elle aussi renforcée (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, il a été considéré que toute mesure susceptible de porter atteinte à la dignité personnelle de l’accusé devait être évitée (paragraphes 35 et 57 ci-dessus).

146. La Cour relève en outre que le législateur portugais a réexaminé certaines questions concernant l’obligation au regard de l’article 64 § 1 du CPP d’être assisté par un défenseur en matière pénale. Ainsi, lorsque cette disposition a été révisée, par la loi no 59/98 du 25 août 1998 puis la loi no 48/2007 du 29 août 2007, la décision du législateur en faveur de ce mécanisme de défense en justice est resté inchangée, dans le second cas après la confirmation par le Tribunal constitutionnel, en 2001, de sa compatibilité avec la Constitution et la Convention (paragraphes 35 et 52-55 ci-dessus).

147. Pour ce qui est de la qualité du contrôle juridictionnel relatif à l’obligation litigieuse, le Tribunal constitutionnel a jugé que le choix du législateur reflété par les articles 61, 62 et 64 du CPP d’exiger que dans une procédure pénale une personne accusée fût représentée par un défenseur, même si cette personne était un avocat dûment inscrit au barreau concerné, et a fortiori si elle ne l’était pas, n’était pas incompatible avec la Constitution portugaise. Ces règles visent à garantir une défense dépassionnée des intérêts de l’accusé. Du reste, elles sont contrebalancées par la faculté dont dispose l’accusé de faire annuler toute mesure mise en œuvre pour son compte par son défenseur, et s’accompagnent d’autres possibilités qui sont données à l’accusé d’intervenir en personne à tout stade de la procédure. Dans d’autres arrêts, le Tribunal constitutionnel a évoqué la nécessité de protéger la mise en œuvre de la justice et de la loi ainsi que les intérêts de l’accusé et la nécessité de garantir la participation de professionnels qualifiés capables d’assurer la préparation technique requise et le respect des principes déontologiques régissant la profession (paragraphes 52-55 ci-dessus).

148. Dans une série d’arrêts, la Cour suprême a par ailleurs exposé comme suit la philosophie sous-tendant la restriction de la possibilité pour un accusé d’assurer seul sa propre défense et les buts que visait la disposition relative à l’obligation de représentation par un avocat : la nécessité de garantir une pratique équitable qui permît à l’accusé de préparer sa défense avec son avocat tout en préservant le droit pour le premier de présenter des demandes, des observations écrites et des notes ne soulevant pas de questions de droit ; la nécessité d’assurer la conduite dépassionnée d’une affaire, en tant que garantie supplémentaire dans une procédure pénale ; la nécessité de veiller à ce que l’accusé bénéficiât d’une assistance technique de manière à ce que sa cause ne fût pas affaiblie ; l’existence d’une incompatibilité, procédurale ou autre, ou d’une tension, entre la qualité d’accusé et les responsabilités du défenseur (paragraphe 57 ci-dessus). En outre, la Cour suprême a évoqué les outils procéduraux dont disposait un accusé lors du procès, outils que la haute juridiction a considérés comme « une expression concrète du droit de pétition consacré par l’article 52 de la Constitution » (paragraphe 43 ci-dessus). Ces outils sont importants tant sous l’angle de l’examen de la pertinence et de la suffisance des raisons sous-tendant les choix législatifs opérés que dans l’optique de l’appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble (paragraphe 156 ci-dessous).

149. Dans leurs arrêts, les cours d’appel ont réitéré ces justifications à l’appui de la règle nationale litigieuse relative à l’obligation d’être représenté par un avocat (paragraphes 58 et 43 ci-dessus).

150. La Cour attache pour sa part un poids considérable à ces contrôles. Le législateur a plusieurs fois décidé de maintenir l’obligation faite à l’accusé d’être assisté par un avocat en matière pénale. Quant aux juridictions portugaises, notamment la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel, elles ont justifié de façon complète dans leur jurisprudence abondante et constante sur la question leur position selon laquelle la règle relativement stricte de l’obligation de représentation par un avocat est conforme à la Constitution et nécessaire, dans l’intérêt de l’accusé et dans l’intérêt général.

151. La Cour souligne dans ce contexte que la question centrale s’agissant de la mesure litigieuse n’est pas de savoir s’il aurait fallu adopter des règles moins restrictives, ni même de savoir si l’État peut prouver que sans l’obligation de représentation par un avocat il est dans tous les cas impossible de garantir les droits de la défense d’un accusé. Il s’agit plutôt de déterminer si, du point de vue de la pertinence et de la suffisance des motifs avancés à l’appui du choix exercé, le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation (paragraphes 118 et 129 ci-dessus).

152. La Cour observe en outre que les juridictions nationales concernées en l’espèce ont fidèlement tenu compte du raisonnement suivi de longue date par le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême et les cours d’appel du Portugal (paragraphes 13, 15 et 20-25 ci-dessus). Elles ont souligné que les règles appliquées par elles relativement à l’obligation d’être assisté par un avocat dans une procédure pénale ne visaient pas à restreindre les actes de la défense mais à protéger l’accusé en lui garantissant une défense effective (paragraphe 15 ci-dessus). Elles ont déclaré par ailleurs que la défense de l’accusé au cours d’une procédure pénale répondait à l’intérêt général et qu’en conséquence il n’était pas possible de renoncer au droit à être défendu par un avocat (paragraphe 22 ci-dessus). Elles ont précisé que les dispositions pertinentes du CPP reflétaient le postulat selon lequel un accusé était mieux défendu par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat, et ont ajouté que celui-ci n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur l’accusé et en conséquence était à même d’assurer une défense lucide, dépassionnée et effective (paragraphes 15 et 53 ci‑dessus).

153. La décision par laquelle les juridictions portugaises ont imposé au requérant l’obligation d’être représenté par un défenseur résultait donc d’une législation complète visant à protéger les accusés en leur garantissant une défense effective dans les affaires où une peine privative de liberté pouvait être infligée. La Cour admet qu’un État membre puisse légitimement considérer qu’un accusé, en règle générale du moins, est mieux défendu s’il est assisté par un avocat qui a une approche dépassionnée et est préparé sur le plan technique, postulat que traduisent les dispositions pertinentes du droit portugais sur lesquelles reposent les décisions incriminées en l’espèce. La Cour reconnaît également que même un accusé formé à la profession d’avocat, comme le requérant, peut ne pas être capable – parce que les accusations le visent personnellement – de défendre sa propre cause de manière effective.

154. La légitimité de telles considérations s’impose avec d’autant plus de force que, comme en l’espèce, l’accusé se trouve être un avocat suspendu du barreau, qui, en conséquence, n’est pas dûment inscrit au barreau et n’a pas le droit de fournir une assistance juridique à des tiers. En outre, en ce qui concerne le requérant, il ressort clairement du dossier qu’il était intervenu dans une procédure en qualité de défenseur malgré sa suspension du barreau et qu’il avait déjà été inculpé d’outrage à magistrat dans cette procédure (voir la procédure judiciaire interne qui a fait l’objet de sa précédente requête (no 48188/99), évoquée ci-dessus). Compte tenu du rôle particulier des avocats dans l’administration de la justice, reconnu par la jurisprudence constante de la Cour, et des obligations qui dans ce contexte incombent aux avocats, particulièrement en matière de conduite (paragraphes 74-75 et 138-142 ci-dessus), il y avait des motifs raisonnables de considérer que le requérant n’avait peut-être pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite effective par un accusé de sa propre défense.

155. Par ailleurs, la Cour doit garder à l’esprit l’ensemble du contexte procédural dans lequel l’obligation de représentation devait être et a été imposée en l’espèce. Le caractère particulièrement restrictif de la législation portugaise, du point de vue d’un accusé comme le requérant, ne signifie pas que l’intéressé a été privé de toute possibilité de choisir la façon de conduire sa propre défense et de participer à celle-ci de manière effective. Si la procédure pénale portugaise réserve à l’avocat les aspects techniques de la défense juridique, la législation pertinente donnait à l’accusé plusieurs moyens de participer à la procédure et d’y intervenir en personne.

156. L’accusé avait le droit d’être présent à tous les stades de la procédure qui le concernaient, de faire des déclarations ou de garder le silence quant au contenu des accusations portées contre lui, et avait la possibilité de soumettre des observations, des déclarations et des demandes, dans lesquelles il pouvait aborder des questions de droit et de fait et qui, ne nécessitant pas la signature d’un avocat, étaient versées au dossier (paragraphes 30 et 41-45 ci-dessus). De plus, il pouvait faire annuler toute mesure mise en œuvre en son nom, dans les conditions précisées à l’article 63 § 2 du CPP (paragraphe 32 ci-dessus). En outre, le droit portugais prévoyait que l’accusé était la dernière personne à prendre la parole devant le tribunal après la fin des plaidoiries et avant le prononcé du jugement (article 361 § 1 du CPP, paragraphes 24 et 45 ci-dessus ; concernant l’appréciation de l’équité globale du procès, voir ci-dessous).

157. Enfin, si l’accusé n’était pas satisfait de son avocat commis d’office, il pouvait solliciter son remplacement sur demande dûment motivée (article 66 § 3 du CPP, paragraphe 38 ci-dessus). Par ailleurs, les dispositions pertinentes du droit portugais (voir en particulier l’article 64 § 4 du CPP, paragraphe 33 ci-dessus) donnaient à l’accusé la faculté de mandater un avocat de son choix, c’est-à-dire une personne en qui il avait confiance et avec laquelle il pouvait convenir d’une stratégie de défense dans sa cause. Il est vrai que si un accusé était condamné, il devait supporter le coût de la représentation obligatoire. Il pouvait toutefois demander l’assistance judiciaire s’il n’était pas en mesure de payer ces frais (paragraphes 33, 38 et 51 ci-dessus). La Cour observe à cet égard que le requérant a vu mettre à sa charge la somme relativement modeste de 150 EUR au titre de sa représentation par un avocat commis d’office (paragraphe 19 ci-dessus) et que cette somme n’a jamais été payée, l’exécution d’un ordre de paiement le visant ayant été suspendue faute d’avoirs susceptibles d’être saisis.

158. La Cour considère que malgré l’obligation d’être assisté par un avocat, un accusé tel que le requérant conservait en pratique une marge relativement ample lui permettant de peser sur la façon de conduire sa défense dans la procédure le concernant et de participer activement à cette défense (voir, de manière similaire, Croissant, précité, § 31).

159. À la lumière de ce qui précède, la Cour observe que la règle portugaise relative à l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale vise essentiellement à garantir une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accusé à l’égalité des armes. Eu égard à l’ensemble du contexte procédural dans lequel cette obligation de représentation a été imposée et à la marge d’appréciation laissée aux États membres quant au choix des moyens à mettre en œuvre pour garantir la défense d’un accusé, la Cour estime que les raisons fournies à l’appui de l’obligation d’être assisté, en général et en l’espèce, étaient à la fois pertinentes et suffisantes.

ii. Équité globale du procès

160. Il reste à la Cour à rechercher si la procédure pénale ayant visé le requérant, dans laquelle les juridictions nationales ont appliqué la règle litigieuse de l’assistance obligatoire par un avocat, peut être tenue pour globalement équitable.

161. La Cour observe que la défense du requérant, lors des audiences devant le juge d’instruction et la juridiction de jugement, a été assurée par son avocate commise d’office.

Le requérant quant à lui ne s’est pas présenté à ces audiences et a fait le choix délibéré de ne pas se prévaloir de la possibilité de participer de manière effective à sa défense aux côtés de son avocate. Il n’a pas communiqué avec celle-ci et n’a pas cherché à lui donner des instructions ni à définir avec elle la façon de conduire sa défense. Devant la Cour, il a expliqué qu’il n’avait pas de relation de confiance avec elle et qu’il la soupçonnait d’être inexpérimentée du fait qu’elle venait d’un petit village (paragraphe 97 ci-dessus). Il n’apparaît toutefois pas qu’il ait remis en cause les qualifications ou la qualité de l’avocate commise d’office devant les juridictions nationales. Il n’a pas non plus demandé à celles-ci de désigner un autre avocat pour le représenter, ainsi qu’il était en droit de le faire s’il avait pour cela des motifs valables (paragraphe 38 ci-dessus). De même, il n’a pas fait usage de la possibilité que lui donnait le droit interne de désigner un défenseur de son choix (paragraphe 33 ci-dessus), avec lequel il aurait pu arrêter une stratégie de défense lui laissant une ample marge d’intervention dans la procédure tout en étant assisté par un avocat.

163. De surcroît, et comme indiqué ci-dessus (paragraphes 30 et 41-45), le requérant avait le droit d’être présent et d’intervenir aux audiences, notamment de présenter aux juridictions nationales sa propre version des faits ayant conduit aux accusations portées contre lui ; or il ne s’est prévalu d’aucune de ces possibilités. Devant la Cour, il n’a jamais allégué s’être trouvé dans l’incapacité de présenter aux tribunaux sa propre version des faits ou sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes.

164. Dans ces conditions, la Cour ne peut manquer de constater que le requérant a choisi de ne pas participer aux audiences devant le juge d’instruction et la juridiction de jugement alors même qu’il n’avait pas confiance dans la capacité de son avocate à le défendre convenablement, et elle prend note des raisons avancées par l’intéressé pour expliquer en quoi l’avocate n’aurait pas eu cette capacité. Il demeure que le requérant n’a pas fait état d’erreurs procédurales qu’aurait pu commettre son avocate. Le simple fait qu’elle n’a pas répondu à la demande du Tribunal constitutionnel relative à l’approbation et à la signature de l’acte de recours constitutionnel, rédigé par l’intéressé lui-même, ne saurait en soi être tenu pour une erreur.

165. De plus, le requérant était accusé pour la seconde fois d’outrage à magistrat. Compte tenu du rôle particulier des avocats dans l’administration de la justice, reconnu par la jurisprudence constante de la Cour (paragraphes 138-142 ci-dessus), pareille récidive, qui aurait pu valoir à l’intéressé une peine privative de liberté d’une durée de quatre mois et quinze jours, ne saurait passer pour mineure. Compte tenu des circonstances et de la nature de l’infraction dont le requérant était accusé, il n’était pas déraisonnable de la part des juridictions nationales de considérer que l’intéressé n’avait pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite par un accusé de sa propre défense.

166. Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour n’aperçoit aucune raison convaincante de douter que la défense du requérant par l’avocate commise d’office a été assurée convenablement dans les circonstances de l’affaire, ou de considérer que la conduite de la procédure par les juridictions nationales a été d’une quelconque manière inéquitable.

167. En effet, les observations du requérant et ses requêtes répétées auprès de la Cour concernant l’obligation d’être assisté dans une procédure pénale montrent que la principale préoccupation de l’intéressé n’était pas la procédure pénale particulière qui est à l’origine de la présente requête mais son souhait de défendre sa position de principe contre l’obligation en droit portugais d’être assisté par un avocat. Au-delà de son opposition générale à cette obligation, le requérant n’a pas avancé d’arguments valables indiquant que la procédure pénale dont il a fait l’objet aurait été entachée d’inexactitude ou d’inéquité.

168. Eu égard à ce qui précède, la Cour constate qu’aucun élément ne permet de conclure au caractère inéquitable de la procédure pénale ayant visé le requérant, dans laquelle les juridictions nationales ont appliqué l’obligation litigieuse d’être assisté par un avocat.

iii. Conclusion

169. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

EN L'ABSENCE DU PRÉVENU, LE JUGE PÉNAL DOIT ENTENDRE SON AVOCAT

Arrêt Poitrimol contre France du 21 novembre 1993 Hudoc 442 requête 14032/88

"Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. Un accusé n'en perd pas le bénéfice du fait de son absence aux débats"

Arrêts Lala contre Pays-Bas Hudoc 480 requête 1481/99

Pelladoah contre Pays-Bas; Hudoc 482 requête 16737/90

 tous deux en date du 22 septembre 1994

"il est d'importance cruciale pour l'équité du système pénal que l'accusé soit adéquatement défendu tant en première instance qu'en appel, à fortiori lorsque, comme c'est le cas en droit néerlandais les décisions rendues par défaut en appel ne sont pas susceptibles d'opposition ()

Tout accusé a droit à l'assistance un défenseur. Pour que ce droit ait un caractère pratique et effectif et non purement théorique, son exercice ne doit pas être tendu tributaire de l'accomplissement de conditions excessivement formalistes; il appartient aux juridictions d'assurer  le caractère équitable d'un procès et de veiller par conséquent à ce qu'un avocat qui, à l'évidence, y assiste puisse défendre son client en l'absence de celui-ci, se voie donner l'occasion de le faire ()

C'est ce dernier intérêt qui prévaut. Par conséquent, de faire que l'accusé, bien que dûment assigné, ne comparaisse pas ne saurait - même à défaut d'excuse - justifier qu'il soit privé du droit à l'assistance d'un défenseur que lui reconnaît l'article 6§3 de la Convention."

Van Geyseghem contre Belgique du 21 janvier 1999 Hudoc 1983 requête 26103/95

"La Cour  a au contraire affirmé que l'intérêt d'être adéquatement défendu prévalait. Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. Un accusé ne perd pas le bénéfice du seul fait de l'absence aux débats. Même si le législateur doit pouvoir décourager les abstentions justifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l'assistance d'un défenseur. Les exigences légitimes de la présence des accusés aux débats peuvent être assurés par d'autres moyens que la perte du droit à la défense"

Arrêt Pronk contre Belgique du 08 juillet 2004 Hudoc 5198 requête 51338/99

La Cour rappelle son arrêt rendu dans la requête Geyseghem contre Belgique précité pour constater ensuite que les griefs sont identiques:

"§33: Il y a eu violation de l'article 6§1 combiné avec l'article 6§3/c de la Convention du fait du refus du Tribunal correctionnel et de la Cour d'Anvers d'autoriser la représentation du requérant.

§45: La Cour est d'avis qu'en refusant à l'avocat du requérant le droit de présenter celui-ci en son absence, les juridictions internes ne pouvaient, en toute hypothèse, lui garantir un procès équitable.

Eu égard au constat de violation du requérant à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix auquel elle est parvenue, la Cour estime dès lors qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément les griefs concernant l'absence d'information au sujet des charges (article 6§3/a) et le temps suffisant pour préparer la défense (article 6§3/b)"

Maat contre France du 27 avril 2004 Hudoc 5042 requête 39001/47

"§54: La Cour observe ainsi que l'avocat du requérant ne fut autorisée ni à exercer la voie de recours pour interjeter appel du jugement contradictoire du 28 novembre 1996 ni à intervenir en l'absence de l'intéressé au cours des débats devant la Cour d'Appel. Le requérant s'est donc vu privé de la possibilité d'obtenir, au moins sur des questions de recevabilité, d'être défendu en appel et par la même d'obtenir un contrôle juridique des motifs de rejet des excuses présentées pour justifier son absence.

§55: La Cour relève avec intérêt l'apport de l'arrêt Dentico rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation qui décide que "Le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l'assistance d'un défenseur s'opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l'avocat présent à l'audience pour assurer sa défense ()

Elle constate cependant que cette jurisprudence est le fruit d'une évolution jurisprudentielle largement postérieure à l'introduction de la requête et au jugement contre lequel l'avocat du requérant a tenté de faire appel qu'il ne serait pas équitable d'opposer au requérant. Il y a donc eu, de l'avis de la Cour, atteinte au respect des droits de la défense du requérant"

Arrêt Stift contre Belgique du 24 février 2005 requête 46848/99

 23.   Le requérant reproche à la cour d’appel de Bruxelles de ne pas avoir autorisé, en son absence, son conseil à assurer sa défense dans la procédure en degré d’appel. Il y voit la violation des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 de la Convention, ainsi libellés :

 « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

 3.  Tout accusé a droit notamment à :

 (...)

 c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...)

 (...) »

  24.  Le Gouvernement qui se réfère à l’arrêt Van Geyseghem ne présente pas d’observations sur ces points.

  25.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Van Geyseghem c. Belgique (arrêt du 21 janvier 1999 [GC], no 26103/95, CEDH 1999-1, § 34 ; voir aussi les arrêts Pronk c. Belgique du 8 juillet 2004, § 36, et Lala et Pelladoah c. Pays-Bas du 22 septembre 1994, série A, no 297-A et B, respectivement p. 13, § 33 et pp. 34-35, § 40), elle a décidé que le droit à être effectivement défendu par un avocat figurait parmi les éléments fondamentaux du procès équitable et qu’un accusé ne pouvait en perdre le bénéfice du seul fait de sa non-comparution. Elle a ajouté que, même si le législateur doit pouvoir décourager les absences injustifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l’assistance d’un défenseur. Les exigences légitimes de la présence des accusés aux débats peuvent être assurées par d’autres moyens que la perte des droits de la défense.

  26.  En l’espèce, la Cour relève qu’en date du 29 juin 1998, la cour d’appel de Bruxelles condamna le requérant par défaut, après avoir refusé sa représentation par un avocat par un jugement avant dire droit du 27 mai 1998 (paragraphe 12 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne voit aucune raison de se départir, en l’occurrence, de la conclusion à laquelle elle était parvenue dans l’affaire Van Geyseghem précitée.

  27.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention du fait du refus de la cour d’appel de Bruxelles d’autoriser la représentation du requérant.

Arrêt Harizi contre France du 29 mars 2005 requête 59480/00

49.  La Cour rappelle qu'elle a estimé que la comparution d'un prévenu revêtait une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l'exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins. Dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées (Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, § 35). Dans les affaires Lala et Pelladoah c. Pays-Bas (arrêts du 22 septembre 1994, série A no 297-A et B, respectivement §§ 30 et 40), elle a toutefois précisé qu'il était aussi « d'une importance cruciale pour l'équité du système pénal que l'accusé soit adéquatement défendu tant en première instance qu'en appel, a fortiori lorsque, comme c'est le cas en droit néerlandais, les décisions rendues en appel ne sont pas susceptibles d'opposition ». Elle a ajouté que c'est ce dernier intérêt qui prévalait et que, par conséquence, le fait que l'accusé, bien que dûment assigné, ne comparaisse pas ne saurait – même à défaut d'excuse – justifier qu'il soit privé du droit à l'assistance d'un défenseur que lui reconnaît l'article 6 § 3 de la Convention. Pour la Cour, il appartient aux juridictions d'assurer le caractère équitable d'un procès et de veiller par conséquent à ce qu'un avocat qui, à l'évidence y assiste pour défendre son client en l'absence de celui-ci, se voie donner l'occasion de le faire (ibidem, §§ 34 et 41 ; voir également Van Geyseghem, précité, § 33).

  50.  La Cour a précisé par la suite que c'est de manière surabondante que la proposition commençant par la locution adverbiale « a fortiori » (Van Geyseghem, précité, § 34) a été introduite. Les mots « a fortiori » indiquent que, selon la Cour, l'absence de possibilité d'opposition constitue une circonstance aggravante, mais que l'obligation d'être défendu de façon adéquate revêt un caractère général (Karatas et Sari, précité, § 54). La Cour a en effet affirmé que l'intérêt d'être adéquatement défendu prévalait. Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. Un accusé n'en perd pas le bénéfice du seul fait de son absence aux débats. Même si le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées, il ne peut les sanctionner en dérogeant au droit à l'assistance d'un défenseur. Les exigences légitimes de la présence des accusés aux débats peuvent être assurées par d'autres moyens que la perte du droit à la défense (Van Geyseghem, précité, et Maat, précité, §§ 48 et 49).

  51.  En l'espèce, la Cour relève que la procédure litigieuse s'est déroulée en l'absence du requérant et ce en dépit des demandes que celui-ci avait formulées afin de pouvoir comparaître devant la cour d'appel de Paris et malgré l'arrêt de renvoi rendu le 16 octobre 1998 par cette même cour d'appel. La Cour observe ensuite, et le Gouvernement ne le conteste pas, que l'avocat du requérant ne fut pas autorisé à intervenir en l'absence de l'intéressé au cours de l'audience du 17 septembre 1999 devant la cour d'appel. Le requérant s'est donc vu privé de la possibilité d'obtenir d'être défendu en appel, et ce aussi bien sur les questions de recevabilité que sur le fond (voir, mutatis mutandis, Maat, précité, § 52).

  52.  La Cour ne voit dans les faits de l'espèce aucune raison de s'écarter de la jurisprudence précitée, nonobstant le fait que la cour d'appel a rendu un arrêt par défaut susceptible d'opposition, celle-ci n'ayant pas été exercée pour les mêmes raisons que celles qui avaient conduit le requérant à demander à être jugé en son absence. La Cour considère en effet que, du fait de son éloignement, et nonobstant les informations qu'il a pu recevoir de son avocat, le requérant n'a pu avoir une connaissance suffisante de la procédure conduite en son absence, et en particulier on ne saurait s'attendre à ce qu'il ait été en mesure de former opposition. La Cour relève d'ailleurs que l'arrêt de la cour d'appel n'a pu lui être signifié. Au demeurant, à supposer même que le requérant eût pu valablement former opposition, la Cour constate, qu'au moins jusqu'au revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation, un nouvel examen de l'affaire, en l'absence du requérant, aurait conduit la cour d'appel à rendre une décision d'itératif défaut entraînant la confirmation de l'arrêt par défaut critiqué par le requérant, de sorte qu'un tel recours n'aurait pas été en l'espèce de nature à porter remède aux griefs soulevés.

  53.  La Cour note que le Gouvernement soutient que si le requérant avait fait opposition par la suite, la jurisprudence telle qu'elle a évolué lui aurait permis d'être défendu y compris en l'absence de comparution. La Cour relève avec intérêt l'apport de l'arrêt Dentico rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui décide que « le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l'assistance d'un défenseur s'opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l'avocat présent à l'audience pour assurer sa défense ». Elle constate cependant que cette jurisprudence est le fruit d'une évolution jurisprudentielle postérieure à l'introduction de la requête et à l'arrêt rendu par la cour d'appel qu'il ne serait pas équitable d'opposer au requérant, ce d'autant plus qu'il s'est passé trois ans et quatre mois entre l'arrêt de la cour d'appel et l'arrêt Dentico. Il y a donc eu, de l'avis de la Cour, atteinte au respect des droits de la défense du requérant (voir Maat, précité, § 53).

  54.  Enfin, en ce qui concerne la procédure administrative, la Cour constate que même si le requérant s'était pourvu en cassation contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2002 par la cour administrative d'appel, en admettant que ce dernier lui ait été notifié, l'annulation éventuelle de l'arrêté d'expulsion n'aurait pas suffi à lui permettre de revenir sur le territoire français. En effet, si l'arrêté d'expulsion, objet de la procédure administrative, fonde l'éloignement du requérant du territoire national, c'est l'interdiction du territoire français prononcée par la cour d'appel le 15 octobre 1999 qui l'empêche de revenir en France sans enfreindre la loi française (voir notamment les dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 citées dans la partie « droit et pratique internes pertinents » ci-dessus).

  55.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

LE DROIT D'AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE A L'AUDIENCE

HAMDANI c. SUISSE du 28 mars 2023 Requête n° 10644/17

Art 6 § 1 (pénal) + Art 6 § 3 c) • Refus des autorités nationales de nommer l’avocat du choix du requérant comme son défenseur gratuit d’office n’ayant pas eu d’impact réel sur l’équité globale de son procès pénal • Intérêts de la justice commandant la désignation d’un défenseur d’office : le requérant étant en situation d’indigence et l’affaire n’étant pas « de peu de gravité » • Requérant ayant été représenté et assisté par son avocat dès l’instruction de l’affaire et au moins jusqu’au prononcé du jugement de condamnation, y compris après le rejet définitif de sa demande d’aide juridictionnelle. C'était à l'avocat de saisir la CEDH car il a été contraint de plaider gratuitement !

CEDH

28.  La Cour constate d’emblée une évolution de sa jurisprudence en matière du droit à l’assistance gratuite d’un avocat. Si, dans les arrêts anciens, elle examinait cette question en tant qu’un élément autonome de la notion de procès pénal équitable (voir, par exemple, Pakelli c. Allemagne, 25 avril 1983, §§ 41-42, série A no 64, Alimena c. Italie, 19 février 1991, §§ 18-20, série A no 195‑D, Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, §§ 27-38, série A no 205, et Pham Hoang c. France, 25 septembre 1992, §§ 39-41, série A no 243), dans les arrêts plus récents, y compris ceux adoptés en formation de Grande Chambre, elle a infléchi son approche dans le sens d’une appréciation de l’équité globale du procès pénal.

29.  En effet, pour apprécier l’équité globale d’un procès, la Cour prend en compte, s’il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3 de la Convention, qui montre par des exemples concrets ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales. On peut donc voir dans ces droits des aspects particuliers de la notion de procès équitable en matière pénale contenue à l’article 6 § 1. Ces droits minimaux garantis par l’article 6 § 3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, §§ 77-78 et 100, 6 octobre 2016, Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, §§ 120‑123 et 147, 9 novembre 2018, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, § 90, 18 décembre 2018, et les références citées dans ces arrêts).

30.  La Cour rappelle également que le droit à un avocat n’est pas absolu mais qu’il est forcément sujet à certaines limitations en matière d’assistance judiciaire gratuite, et qu’il appartient aux tribunaux de décider si les intérêts de la justice exigent de doter l’accusé d’un défenseur d’office. Si les autorités nationales restreignent le libre choix d’un défenseur par l’accusé en l’absence de motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent, pareille restriction emporte violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) si la défense du requérant, au vu de la procédure dans son ensemble, s’en est trouvée lésée (voir, mutatis mutandis, Dvorski c. Croatie ([GC], no 25703/11, § 79, CEDH 2015, et les références y citées).

31.  Au vu de ces principes, la Cour doit en l’espèce déterminer si les autorités internes ont démontré, par des motifs pertinents et suffisants, que les intérêts de la justice commandaient de refuser au requérant la désignation d’un défenseur d’office, et, dans la négative, si au vu de la procédure pénale dans son ensemble, la défense du requérant s’est trouvée lésée du fait de ce refus.

32.  Non convaincue par les arguments du Gouvernement, la Cour considère qu’en l’espèce, les intérêts de la justice commandaient la désignation au requérant d’un défenseur d’office dès lors, d’une part, qu’il était en situation d’indigence (ce qui n’est pas contesté), et, d’autre part, que l’affaire n’était pas « de peu de gravité », l’intéressé risquant une peine non négligeable de privation de la liberté (Quaranta, précité, §§ 27‑38, et Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 61, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; voir aussi la conclusion de la chambre pénale de recours à cet égard, paragraphe 13 ci-dessus). Partant, il apparaît à la Cour que l’analyse par les juridictions internes de la double condition supplémentaire relative à la complexité de l’affaire et à la personnalité du requérant était superflue dans les circonstances de l’espèce. La Cour répond donc par la négative à la première question exposée ci-dessus.

33.  Quant à la seconde question, la Cour relève que le requérant a été représenté et assisté par un avocat de son choix dès le stade de l’instruction de l’affaire et au moins jusqu’au prononcé du jugement de condamnation, y compris après le rejet définitif de sa demande d’aide juridictionnelle. Cette assistance lui a permis de se défendre efficacement, et le requérant a obtenu une réduction significative de la peine initialement prononcée par le ministère public (comparer les paragraphes 6, 7, 11, 12, 15 et 16 ci-dessus).

34.  La présente affaire se distingue ainsi de celles dans lesquelles la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 3 c) à raison du défaut d’assistance par un avocat qui résultait du refus d’octroi de l’aide juridictionnelle aux requérants (Quaranta, précité, Pham Hoang, précité, § 39, Talat Tunç c. Turquie, no 32432/96, § 62, 27 mars 2007, Zdravko Stanev c. Bulgarie, no 32238/04, § 40, 6 novembre 2012, Saranchov c. Ukraine, no 2308/06, § 59, 9 juin 2016, et aussi Beuze, précité, §§ 193‑195).

35.  Enfin, la Cour ne peut s’empêcher de relever que le requérant ne lui a pas fourni d’informations quant à un quelconque exercice par lui d’un appel contre le jugement de condamnation, alors que pareille information était pertinente pour l’appréciation de l’équité globale de la procédure.

36.  La Cour rappelle que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie au cas par cas à l’aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l’examen isolé de tel ou tel point ou incident (Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 251 et 272, 13 septembre 2016). Dans les circonstances de la présente affaire, elle ne peut que conclure que le refus par les autorités de nommer Me Peter comme défenseur gratuit d’office du requérant, aussi regrettable soit-il pour l’avocat, n’a pas eu d’impact réel sur l’équité globale du procès pénal du requérant.

37.  La Cour note subsidiairement que ce refus a certainement dû mettre l’avocat devant un choix déontologique délicat : renoncer à représenter le requérant ou continuer à le représenter pro bono. Il ne lui appartient toutefois pas de se prononcer sur cette question, distincte de celle relative à l’équité de la procédure pénale menée contre le requérant (voir aussi le paragraphe 19 ci‑dessus), d’autant que l’avocat n’a pas introduit de requête en son nom.

38.  Partant, la Cour considère qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

DUBINKIN c. RUSSIE du 8 janvier 2019 requête n° 9305/08

Violation de l'article 6-1 de la Convention : non assistance d'un avocat à une audience d'appel

1. Sur la recevabilité

43. La Cour note d’emblée que le requérant n’a pas soulevé le grief tiré d’une absence d’efficacité de l’assistance juridique des avocats commis d’office dont il a bénéficié lors du second procès devant le tribunal de première instance dans son appel contre le jugement du 11 janvier 2008. Elle accepte donc l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement à ce titre et rejette ce grief pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 3 de la Convention.

44. S’agissant du grief du requérant relatif à l’utilisation de ses aveux du 5 mars 2006 ainsi que du procès-verbal de son interrogatoire du 6 mars 2006 lors du procès pénal dirigé à son encontre, la Cour constate que ces pièces du dossier pénal ont été admises au procès en tant que preuves de la culpabilité de l’intéressé du chef de vol à main armée et que la condamnation du requérant à cet égard est devenue définitive le 2 novembre 2006 (paragraphes 15‑16 ci‑dessus), soit plus de six mois avant la date de l’introduction de la présente requête, à savoir le 14 janvier 2008. Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée pour tardiveté, en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

45. Quant au grief du requérant relatif à l’utilisation de ses aveux du 13 mars 2006 ainsi que des procès-verbaux de ses interrogatoires des 14 mars et 18 avril 2006 lors du second procès pénal, la Cour relève que, à la date du 13 mars 2006, l’intéressé avait été informé de ses droits procéduraux, y compris du droit à l’assistance d’un avocat commis d’office et du droit de ne pas témoigner contre soi‑même, à trois reprises, dont deux fois en présence de l’avocat commis d’office B. (paragraphes 6, 7 et 10 ci‑dessus). Eu égard aux éléments du dossier dont elle dispose, la Cour ne peut établir que, lorsqu’il s’est livré à des aveux le 13 mars 2006 sans demander l’assistance d’un avocat ainsi que lorsqu’il a refusé d’être assisté par un avocat lors de l’interrogatoire du 18 avril 2006, le requérant agissait sous l’effet de l’exercice d’une coercition ou se trouvait dans l’impossibilité de prévoir de façon consciente et éclairée les conséquences de son comportement. Elle estime donc que l’intéressé a valablement renoncé à son droit de garder le silence et au droit de bénéficier d’un avocat. Rien dans le dossier dont la Cour dispose ne démontre que la participation de l’avocat B. lors de l’interrogatoire du 14 mars 2006 n’était pas réelle ou que son assistance n’était pas efficace (voir, dans le même sens, Khalilovy c. Russie (déc.) [comité], no 2373/05, 7 novembre 2017). Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

46. En ce qui concerne le grief du requérant relatif au manque de temps allégué pour préparer sa défense devant le tribunal de première instance lors du second procès, eu égard aux éléments soumis par les parties relativement au nombre et à la fréquence des audiences tenues (paragraphe 17 ci‑dessus), la Cour considère que l’intéressé n’a pas démontré que le temps dont il a bénéficié était insuffisant. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

47. Constatant enfin que le grief du requérant relatif à l’absence d’une assistance juridique lors de l’audience en appel du 25 mars 2008 n’est pas manifestement mal fondé et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

48. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison de l’impossibilité pour un requérant d’obtenir une assistance juridique lors d’une audience en appel (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, §§ 99‑109, 2 novembre 2010, Shumikhin c. Russie, no 7848/06, §§ 22‑23, 16 juillet 2015, Volkov et Adamskiy c. Russie, nos 7614/09 et 30863/10, §§ 56‑61, 26 mars 2015, Eduard Rozhkov c. Russie, no 11469/05, §§ 21‑26, 31 octobre 2013, et Nefedov c. Russie, no 40962/04, §§ 41‑48, 13 mars 2012).

49. En l’occurrence, eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

50. En effet, la Cour ne peut accepter l’argument du Gouvernement consistant à dire que le requérant n’a pas demandé à être représenté par un avocat lors de l’audience en appel du 25 mars 2008. Elle rappelle que le droit interne russe en vigueur au moment des faits rendait obligatoire la représentation juridique d’un accusé lors de l’examen d’une affaire pénale en appel et que tout refus d’être assisté par un avocat devait être fait par écrit (Volkov et Adamskiy, précité, § 57). Le Gouvernement n’ayant pas démontré que le requérant avait refusé par écrit d’être assisté par un avocat lors de l’audience en question, la Cour considère que l’intéressé n’avait pas valablement renoncé à son droit et, par conséquent, qu’il n’a pas bénéficié d’une assistance juridique en appel (idem, § 58).

51. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison de l’absence d’une assistance juridique fournie au requérant lors de l’audience en appel du 25 mars 2008.

RUSTAM KHODZHAYEV c. RUSSIE du 12 novembre 2015 requête 21049/06

Violation de l'article 6-3 : Malgré sa demande, le requérant n'a pas eu accès à un avocat commis d'office durant l'audience en appel. Il avait choisi l'avocat commis d'office qu'il avait eu en première instance mais il n'a pas été nommé par les autorités judiciaires.

CEDH

80. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention devant être considérées comme des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 du même article, la Cour étudiera les griefs du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Vacher c. France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil 1996‑VI).

81. La Cour rappelle qu’en appel et en cassation les modalités d’application des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 de la Convention dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit et qu’il convient de prendre en compte l’ensemble des instances suivies dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction supérieure en cause (Twalib c. Grèce, 9 juin 1998, § 46, Recueil 1998‑IV).

82. À cet égard, la Cour a déjà constaté qu’en Russie la compétence de la juridiction d’appel s’étendait à la fois aux questions de fait et de droit. La juridiction d’appel pouvait ainsi réexaminer entièrement l’affaire et se pencher sur des arguments nouveaux qui n’avaient pas fait l’objet d’un examen par le tribunal de première instance (Choulepov c. Russie, no 15435/03, § 34, 26 juin 2008, et Shugayev c. Russie, no 11020/03, § 53, 14 janvier 2010).

83. La Cour rappelle enfin avoir déjà conclu qu’un cas comme celui de l’espèce, où, alors qu’il a été condamné à une peine sévère, un appelant se trouve réduit à présenter lui-même sa défense devant la plus haute juridiction d’appel, n’obéit pas aux impératifs de l’article 6 de la Convention (Maxwell c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 40, série A no 300‑C, et Choulepov, précité, §§ 34-39).

84. La Cour précise par ailleurs que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite et que pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 90, 2 novembre 2010).

85. Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour note que le requérant a demandé à plusieurs reprises à être représenté en appel par l’avocate commise d’office qui l’avait déjà représenté en première instance. Cela n’est pas contesté par les parties. En outre, aucun élément du dossier ne permet de constater que le requérant a expressément renoncé à l’assistance d’un défenseur en appel.

86. La Cour prend note l’argument avancé par le Gouvernement selon lequel la législation en vigueur au moment des faits permettait d’examiner l’affaire en l’absence du défenseur si celui-ci avait été dûment informé de l’audience. En tout état de cause, la décision de la cour régionale ne contenait aucune donnée sur la convocation de l’avocate du requérant et les raisons de son absence, ni aucune mention sur la possibilité de commettre un autre avocat, d’ajourner l’audience ou de poursuivre l’examen en l’absence d’un avocat.

87. La Cour observe qu’en application des dispositions du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits, telles qu’interprétées par la Cour constitutionnelle et la Cour suprême (paragraphes 44 à 46 ci‑dessus), il incombait aux autorités compétentes de s’assurer que le requérant bénéficie d’une assistance juridique à chaque étape de la procédure.

88. La Cour note enfin que le requérant a assisté à l’audience litigieuse, mais qu’il y était confronté au procureur, également présent, qui a fait des observations orales. Compte tenu de la gravité des charges pesant contre le requérant et la sévérité de la peine encourue, la Cour considère que le manque de représentation juridique qualifiée a placé l’intéressé dans une situation désavantageuse vis-à-vis de l’accusation (Shugayev, précité, § 59).

89. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention à raison de l’absence de représentation juridique du requérant à l’audience d’appel.

FLANDIN c.FRANCE du 28 novembre 2006 Requête no 77773/01

"35.   La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1. Dès lors, elle examinera le grief du requérant sous l’angle des deux textes combinés (voir, parmi d’autres, Vacher c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2147, § 22).

36.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un « accusé » qui ne veut pas se défendre lui-même doit pouvoir recourir aux services d’un défenseur de son choix et que s’il n’a pas les moyens d’en rémunérer un, la Convention lui reconnaît le droit à l’assistance gratuite d’un avocat d’office lorsque les intérêts de la justice l’exigent (Pakelli c. Allemagne, arrêt du 25 avril 1983, série A no 64, p. 15, § 31). Tout accusé doit, par ailleurs, pouvoir bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

37.  En l’espèce, la Cour relève que le requérant a déposé, le 18 février 2000, une demande d’aide juridictionnelle afin d’être assisté par un avocat commis d’office devant la cour d’appel. A la suite de la fourniture des pièces justificatives nécessaires par le requérant, l’aide juridictionnelle lui a été finalement accordée par une décision en date du 21 mars 2000. Cependant, cette décision ne lui a été notifiée, ainsi qu’à l’avocat désigné, que plus de trois semaines après l’audience devant la cour d’appel.

38.  La Cour relève qu’il ne s’agit pas en l’espèce de la question de savoir si le requérant avait droit à une assistance judiciaire gratuite, puisque celle-ci lui a été octroyée par le bureau d’aide juridictionnelle en raison de sa situation financière dès le 21 mars 2000. Par ailleurs, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement, qui considère que le défaut d’assistance du requérant serait en partie dû au rejet initial de sa demande d’aide juridictionnelle, puisque ce dernier a fourni les pièces nécessaires à un nouvel examen de sa demande dès le 15 mars 2000, soit plus d’un mois avant la date de l’audience devant la cour d’appel du 26 avril 2000, et, qu’en tout état de cause, la décision lui octroyant l’aide juridictionnelle a été elle-même rendue plus d’un mois avant cette audience.

39.  Reste à savoir si la notification tardive, par le bureau d’aide juridictionnelle, de la décision accordant l’aide juridictionnelle et désignant un avocat d’office a porté atteinte au droit du requérant de bénéficier de l’assistance d’un défenseur ainsi que du temps et des facilités nécessaires à sa défense au sens de l’article 6 §§ 1 et 3 b et c) précité.

40.   A cet égard, la Cour rappelle que la renonciation à un droit garanti par la Convention doit se trouver établie de manière non équivoque (Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, pp. 14-15, § 28 ; Oberschlick c. Autriche (no 1), arrêt du 23 mai 1991, série A no 204, p. 23, § 51) ; Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006-...) et qu’il en va notamment ainsi de la renonciation aux avantages procurés par l’assistance d’un avocat (voir, mutatis mutandis, Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 46, CEDH 2002-VII).

41.  En l’espèce, la Cour relève que le requérant a exprimé de manière constante le souhait d’être défendu par un avocat devant la cour d’appel. Il a écrit au bureau d’aide juridictionnelle et l’a contacté par téléphone à plusieurs reprises afin de prendre connaissance de la décision de ce dernier quant à sa demande d’aide juridictionnelle, sans que la décision d’octroi du 21 mars 2000 ne lui soit signalée, ni d’ailleurs à l’avocat désigné pour le défendre par le bureau d’aide juridictionnelle. S’il est vrai, comme l’a relevé la Cour de cassation, que le requérant a finalement adressé au président de la cour d’appel ses conclusions en vue de l’audience du 26 avril 2000, il a pris soin de préciser dans sa lettre du 18 avril 2000 qu’il agissait ainsi uniquement faute d’avoir reçu la réponse à sa demande d’aide juridictionnelle pour pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat d’office.

42.  Dès lors, la Cour est d’avis que le seul fait que le requérant n’ait pas réitéré sa demande d’assistance lors de cette audience ne saurait permettre de conclure à sa renonciation à son droit à être défendu par un avocat commis d’office.

43.  En outre, la Cour relève que la cour d’appel a alourdi de manière significative la peine infligée au requérant en première instance, la portant de 8 000 FRF d’amende, soit environ 1220 EUR, dont la moitié avec sursis, à 30 000 FRF d’amende, soit environ 4 574 EUR. L’enjeu n’a donc pas été négligeable.

44.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le droit du requérant à une assistance gratuite par un avocat d’office n’a pas été respecté en l’espèce et qu’il a ainsi été privé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention.

DROIT D'AVOIR UN AVOCAT COMMIS D'OFFICE EN COUR DE CASSATION

Arrêt Pham Hoang contre France du 25/09/1992 Hudoc 375 requête 13191/87

"Elle ne manque pas de peser les diverses données en sa possession, de les apprécier avec soin et d'appuyer sur elles son constat de culpabilité. Se gardant de tout recours automatique aux présomptions qu'instituent les clauses litigieuses du Code des Douanes, elle ne les appliqua pas d'une manière incompatible avec l'article 6§1 et 2 de la Convention ()

la procédure s'annonçait lourde de conséquences pour le demandeur, relaxé en première instance mais reconnu coupable en appel, d'importation en contrebande de marchandises prohibées et condamné à payer de fortes sommes à l'administration des douanes ()

Il lui manquait la formation juridique indispensable pour présenter et développer lui-même les arguments appropriés sur des questions aussi complexes. Seul un conseil expérimenté aurait pu s'en charger en essayant, par exemple, d'amener la Cour de Cassation à infléchir sa jurisprudence dans le domaine considéré ()

les intérêts de la justice exigeaient en l'espèce la désignation d'un avocat d'office. Faute de l'avoir obtenue, le requérant a été victime d'une violation de l'article 6§3/c"

Zelenka c. République tchèque du 18 décembre 2014 requête no 27501/10

Irrecevabilité de la requête au sens de l'article 6-3/c : Le rejet du pourvoi en cassation pour défaut d’avocat n’a pas en ces circonstances emporté violation de la Convention;

Article 6 § 3 c) et 6 § 1

La Cour observe que l’essentiel du grief de M. Zelenka ne porte pas sur la gratuité de l’assistance d’un avocat. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si le tribunal de district aurait dû désigner un avocat d’office à M. Zelenka afin que celui-ci puisse valablement saisir la Cour suprême.

Par la communication du 16 février 2010, le tribunal a informé M. Zelenka que l’avocat M.S. était autorisé à introduire un pourvoi en cassation en son nom. Le tribunal a indiqué à M. Zelenka qu’il ne pouvait lui attribuer un avocat commis d’office pour former un pourvoi en cassation que si M.S. refusait de le faire. Or, M. Zelenka n’a pas donné suite à cette communication, de sorte que le tribunal n’a pas été informé que M.S. ne comptait pas représenter M. Zelenka devant la Cour suprême. La Cour note également que cette communication du tribunal, de même que la demande du barreau que M. Zelenka a laissée sans réponse, sont parvenues à M. Zelenka alors que le délai pour saisir la Cour suprême était encore en cours.

Dans ces circonstances, la Cour conclut que, n’ayant pas dûment formulé et étayé sa demande d’attribution d’un avocat d’office, M. Zelenka s’est privé de la possibilité de la voir aboutir et par conséquent, de l’accès à la Cour suprême.

La requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement. La cour déclare à l’unanimité la requête irrecevable.

JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANÇAISE

LE DROIT D'AVOIR UN AVOCAT

Cour de cassation chambre criminelle Arrêt du 23 mai 2013 N° de pourvoi 12-83721 Cassation partielle

Vu l'article 132-16-5 du code pénal ;

Attendu que, selon ce texte, si I'état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement, même lorsqu'il n'est pas mentionné dans I'acte de poursuite, c'est à la condition qu'au cours de l'audience, la personne poursuivie en ait été informée et qu'elle ait été mise en mesure d'être assistée d'un avocat et de faire valoir ses observations ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt que, devant la cour d'appel, le ministère public a requis que soit constaté l'état de récidive légale du prévenu, invité à présenter ses observations sur cette circonstance aggravante, retenue par les juges du second degré ;

Mais attendu qu'en retenant cette circonstance, alors qu'elle n'avait pas été mentionnée dans l'acte de poursuite et que le prévenu qui avait sollicité la désignation d'un avocat commis d'office n'a pas pu en bénéficier, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé

LE DROIT DE COMMUNIQUER AVEC SON AVOCAT EST ABSOLU

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 10 mars 2021 N° de pourvoi 20-86.919 Cassation sans renvoi

Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, et 115 du code de procédure pénale :

8. En vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant du premier de ces textes, la délivrance d’un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l’exercice des droits de la défense. Il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire tenu en vue d’un éventuel placement en détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen.

9. Pour écarter le moyen de nullité de l’ordonnance de placement en détention provisoire, tiré de l’absence de délivrance du permis de communiquer à l’avocat choisi par le mis en examen, malgré deux demandes de celui-ci adressées au greffe du juge d’instruction la veille et l’avant-veille du débat contradictoire, l’arrêt attaqué énonce notamment qu’en l’absence de toute réponse de l’avocat choisi aux sollicitations du juge des libertés et de la détention pour qu’il assiste son client lors du débat contradictoire, ce dernier a avisé l’avocat de permanence, qui a accepté de défendre l’intéressé, a pris connaissance du dossier avant le débat, et s’est entretenu avec M. X..., qui lui-même ne s’y est pas opposé.

10. Les juges ajoutent qu’il s’en déduit, aucune écriture n’ayant été déposée, aucune mention de protestation ne figurant au dossier, et l’avocat choisi ne s’étant pas présenté au cabinet du juge des libertés et de la détention lors du débat contradictoire différé du 26 novembre 2020, que le juge des libertés et de la détention est demeuré dans l’ignorance de la situation, et s’est trouvé dans l’impossibilité d’en tirer, le cas échéant, les conséquences de droit, le mis en examen ayant accepté, dûment éclairé par l’avocat de permanence, l’assistance de ce dernier.

11. La chambre de l’instruction en conclut que la défense ne saurait, dans ces conditions, invoquer a posteriori une atteinte aux droits de la défense.

12. En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

13. En effet, les juges ayant constaté qu’un refus injustifié de délivrance du permis de communiquer avait été opposé à l’avocat choisi, lequel n’a pas été en mesure d’assurer la défense du mis en examen lors de ce débat, le fait que ce dernier ait accepté d’être défendu par l’avocat de permanence lors du débat contradictoire ne permet pas d’écarter toute atteinte à ses droits.

14. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquence de la cassation

15. Le défaut de délivrance du permis de communiquer en temps utile, met en cause la régularité du débat contradictoire et donc celle de l’ordonnance rendue et du titre de détention qui en résulte. La cassation aura donc lieu sans renvoi et l’intéressé sera remis en liberté s’il n’est détenu pour autre cause.

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 7 janvier 2020 N° de pourvoi 19-86.465 Cassation sans renvoi

Vu les articles 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l’homme, 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale ;

9. En vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant du premier de ces textes, la délivrance d’un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l’exercice des droits de la défense. Il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire différé organisé en vue d’un éventuel placement en détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen.

10. Pour rejeter la demande de nullité de l’ordonnance de placement en détention provisoire de M. X..., l’arrêt attaqué énonce qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de la défense dès lors que, selon les propres déclarations de M. X..., Maître Selmi était en possession de tous les documents nécessaires à sa défense et que, lors du débat contradictoire du 18 septembre 2019, aucune écriture n’a été déposée et aucun des avocats choisis ne s’est présenté au cabinet du juge des libertés et de la détention pour prendre connaissance du dossier et s’entretenir confidentiellement avec l’intéressé avant la tenue du débat.

11. En se déterminant ainsi, en l’absence de circonstance insurmontable ayant empêché la délivrance à l’avocat, en temps utile, d’un permis de communiquer avec la personne détenue, permis qui, au demeurant, aurait pu être délivré d’office à l’avocat choisi dès la décision d’incarcération provisoire, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

LA CONVENTION EUROPÉENNE DOIT ETRE INVOQUEE DEVANT LA COUR D'APPEL

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 10 mai 2012 N° de pourvoi 11-85397 Rejet

Attendu que, pour déclarer M. X... coupable de complicité d'importation de stupéfiants et d'association de malfaiteurs, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'elle n'a pas méconnu le principe de l'autorité de la chose jugée et que l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme n'était pas invoqué devant elle, la cour d'appel a justifié sa décision

UN AVOCAT AUX CONSEILS COMMIS D'OFFICE DOIT ÊTRE PAYÉ

COUR DE CASSATION Première chambre civile Arrêt n° 553 du 16 mai 2012 pourvoi n° 11-18.181 Rejet

Mais attendu que, si l’exercice effectif des droits de la défense exige que soit assuré l’accès de chacun, avec l’assistance d’un défenseur, au juge chargé de statuer sur sa prétention et, partant, oblige le président de l’ordre à procéder à la désignation d’office d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pour assister un justiciable dans une procédure avec représentation obligatoire devant la Cour de cassation, ce justiciable est, hors le cas où il remplit les conditions d’octroi de l’aide juridictionnelle totale, sans droit à revendiquer l’assistance gratuite de l’avocat aux Conseils désigné d’office, dont, en outre, l’indépendance exclut qu’il puisse faire l’objet de mesures de contrôle ou d’injonctions dans l’accomplissement de sa mission, sans préjudice de l’action en responsabilité civile ou de l’action disciplinaire dont il pourrait éventuellement faire l’objet pour un manquement à ses obligations professionnelles ; qu’après avoir constaté qu’au jour où le juge des référés avait statué, le président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation avait effectivement désigné un confrère pour assister M. X... dans la procédure introduite devant la Cour de cassation, la cour d’appel, qui a exactement énoncé qu’il n’entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés d’ordonner les mesures sollicitées, relatives à l’intervention de l’avocat aux Conseils désigné sans versement préalable de ses honoraires et au respect de ses obligations professionnelles, a légalement justifié sa décision

LE JUGE DOIT ATTENDRE L'AVOCAT DU DEFENDEUR

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 26 février 2014 pourvoi n° 13-87328 Rejet

Vu l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu que, selon ce texte, toute personne poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix ; que la demande de renvoi de l'affaire présentée à cette fin peut être formée par lettre ou par télécopie ;

Attendu qu'il résulte des pièces de procédure et du jugement que l'avocat de M. X... a demandé le renvoi de l'affaire par télécopie parvenue avant l'audience ; que, pour rejeter ladite demande et statuer par décision contradictoire à signifier à l'égard du prévenu, la juridiction de proximité énonce qu'il n'y a pas lieu, à défaut de comparution du prévenu, d'un avocat ou d'une personne munie d'un mandat spécial de faire droit à cette demande ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la juridiction de proximité a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé

LE DROIT POUR L'ACCUSÉ OU SON AVOCAT D'AVOIR LA PAROLE LE DERNIER

Cour de cassation première chambre civile arrêt du 16 mai 2012 N° de pourvoi 11-17.683 Cassation

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Attendu que l’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision

Attendu que l’arrêt attaqué condamne M. X..., avocat au barreau de Lyon, à une peine disciplinaire sans constater que celui ci ou son conseil ait été invité à prendre la parole en dernier

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé

LE JUGE DOIT ÉCOUTER L'AVOCAT DU PRÉVENU ABSENT ET LUI LAISSER LA PAROLE LE DERNIER

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 15 décembre 2015  pourvoi n° 14-86486 Cassation

Vu l'article 513 du code de procédure pénale, ensemble l'article 410 dudit code ;

Attendu que, selon le second de ces textes, l'avocat qui se présente pour assurer la défense du prévenu absent doit être entendu s'il en fait la demande, même lorsqu'il est démuni du mandat de représentation prévu par l'article 411 du même code ;

Attendu qu'en application du premier de ces textes, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; que cette règle s'applique à tout incident, dès lors qu'il n'est pas joint au fond ;

Attendu qu'en statuant par des motifs qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que l'avocat qui représentait à l'audience, sans mandat de représentation, le prévenu absent, n'avait pas demandé à être entendu, la cour d'appel, qui n'a pas constaté dans son arrêt que cet avocat avait été entendu sur le fond et avait eu la parole le dernier, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

DROIT DE FAIRE INTERROGER LES TÉMOINS A CHARGE ET DÉCHARGE

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- LE DROIT DE FAIRE INTERROGER LES TÉMOINS A CHARGE ET DÉCHARGE

- LE DROIT D'AVOIR UNE CONFRONTATION AVEC L'ACCUSATEUR

DROIT DE FAIRE INTERROGER LES TÉMOINS A CHARGE ET DÉCHARGE

ROCCELLA c. ITALIE du 15 juin 2023 requête n° 44764/16 

6 § 1 (civil) • Procédure contradictoire • Juridiction pénale d’appel ayant condamné le requérant aux fins civiles sans entendre au préalable les témoins déterminants dans son acquittement en première instance • Ensemble des témoins à charge et à décharge entendus pendant les débats de première instance • Équité de la procédure considérée dans son ensemble non affectée

CEDH

45.  La Cour rappelle que les impératifs inhérents à la notion de « procès équitable » ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations en matière pénale. En témoigne l’absence, pour les premiers, de clauses détaillées semblables à celles qu’énoncent les paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la Convention. Partant, et bien que ces dispositions aient une certaine pertinence en dehors des limites étroites du droit pénal, les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil que dans celui des poursuites pénales. L’article 6 § 1 de la Convention se révèle donc moins exigeant pour les contestations relatives à des droits de caractère civil que pour les accusations en matière pénale (König c. Allemagne, 28 juin 1978, § 96, série A no 27).

46.  Pour autant, lorsqu’elle examine une procédure relevant du volet civil de l’article 6 de la Convention, la Cour peut estimer nécessaire de s’inspirer de l’approche qu’elle a appliquée en matière pénale (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 67, 11 juillet 2017 ; Peleki c. Grèce, no 69291/12, § 55, 5 mars 2020 ; Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 68, ECHR 2002‑IV ; et Pitkänen c. Finlande, no 30508/96, § 59, 9 mars 2004). C’est ainsi que les principes du contradictoire et de l’égalité des armes, étroitement liés entre eux, sont des éléments fondamentaux de la notion de « procès équitable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et valent en principe aussi bien au civil qu’au pénal (Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 146, 19 septembre 2017).

47. Dans les litiges opposant des intérêts privés, le principe de l’« égalité des armes » implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris ses preuves – dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, série A no 274, §§ 32-33 ; De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1997-I ; Wierzbicki c. Pologne, no 24541/94, § 39, 18 juin 2002). En ce qui concerne en particulier l’appréciation des témoignages dans les procédures civiles, la Cour a affirmé que le refus du juge de citer un témoin doit être suffisamment motivé et dénué d’arbitraire, ce qui implique qu’un tel refus ne restreigne pas de façon disproportionnée le droit pour les parties de présenter les arguments qu’elles estiment nécessaires au succès de leurs prétentions (Dombo Beheer B.V., précité, § 35 ; Wierzbicki, précité, § 45). En effet, une différence de traitement quant à l’audition des témoins des parties peut être de nature à enfreindre le principe de l’égalité des armes (Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

48.  En l’espèce, le requérant allègue que la juridiction d’appel aurait dû ordonner une nouvelle audition des témoins avant de le condamner pour la première fois. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour selon laquelle lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence du justiciable mis en cause, l’équité du procès commande qu’elle ne décide pas de ces questions sans apprécier directement les témoignages décisifs qui ont été faits oralement devant le juge de première instance et qu’elle s’apprête à interpréter pour la première fois d’une manière défavorable à l’accusé (voir, parmi d’autres, Dan c. Moldova, no 8999/07, 5 juillet 2011 ; Hanu c. Roumanie, no 10890/04, 4 juin 2013 ; Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017 ; Di Martino et Molinari c. Italie, nos 15931/15 et 16459/15, 25 mars 2021).

49.  La Cour fait observer tout d’abord que ladite jurisprudence a été développée dans le contexte d’affaires relatives à des accusations en matière pénale. Dans les requêtes précitées ainsi que d’autres précédents similaires, elle a énoncé le principe selon lequel ceux qui ont la responsabilité de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé doivent entendre en personne les témoins et évaluer leur crédibilité (Dan, précité, § 33, et Lorefice, précité, § 43). La Cour précise que ce principe de jurisprudence est étroitement lié à celui selon lequel l’une des exigences d’un procès pénal équitable est la possibilité pour l’accusé de confronter entre eux les témoins en présence du juge qui doit finalement trancher l’affaire, les observations dudit juge sur le comportement et la crédibilité de tel ou tel témoin pouvant avoir des conséquences pour l’accusé (Hanu, précité, § 40 ; Dan c. République de Moldova (no 2), no 57575/14, § 51, 10 novembre 2020). La Cour a néanmoins souligné qu’il ne s’agit pas là d’une règle automatique dont l’application conduirait à conclure, du seul fait que la juridiction concernée n’ait pas entendu un témoin dont elle a dû apprécier la crédibilité, à l’iniquité d’un procès pénal. Il convient en effet de prendre en compte la valeur probante des témoignages en jeu (voir, parmi d’autres, Chiper c. Roumanie, no 22036/10, § 63, 27 juin 2017), et les preuves sur lesquelles repose le procès contesté à ce titre doivent être orales et non documentaires (voir Di Martino et Molinari, précité, §§ 36 et 37, pour la renonciation aux preuves orales dans le cadre d’une procédure abrégée, et Tripodo c. Italie (déc.), no 2715/15, § 29, 25 janvier 2022, pour l’utilisation des éléments de prévues recueillis lors d’un incident probatoire pendant les investigations préliminaires).

50.  La Cour est d’avis que les principes établis dans la jurisprudence précitée ne sont pas exactement pertinents dans le contexte des procédures civiles, dans lesquelles les juges ne sont pas appelés à évaluer la culpabilité de l’accusé « au-delà de tout doute raisonnable » mais doivent établir l’existence d’une responsabilité civile sur la base de critères moins stricts d’appréciation des preuves.

Il résulte de sa jurisprudence que la tâche de la Cour en l’espèce est plutôt d’examiner si les principes du contradictoire et de l’égalité des armes ont été ou non enfreints dans leur substance. Pareil examen doit tenir compte de la procédure considérée dans son ensemble et doit établir si lesdits principes, tels qu’applicables dans la procédure civile, ont été ou non suffisamment respectés (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).

51.  La Cour observe que l’ensemble des témoins à charge et à décharge du requérant ont été entendus pendant les débats de première instance. Elle constate que le requérant était représenté par un avocat et qu’il a eu la possibilité de les interroger et d’être interrogé à son tour. Celui-ci n’allègue pas une différence de traitement quant à l’audition des témoins des parties.

Elle note par ailleurs que l’appel de la partie civile portait précisément sur la question de la crédibilité du témoin à décharge, B.P., et sur l’appréciation de l’ensemble des témoignages produits en première instance. Le requérant a donc pu présenter sur ces points ses arguments en réponse devant le tribunal de deuxième instance.

52.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire et que son droit de présenter ses arguments à l’appui de sa cause n’a pas été restreint. En effet, le requérant a pu produire devant les juges de son affaire les éléments qu’il jugeait pertinents pour le succès de ses prétentions et n’a pas été placé dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Dans ces conditions, le fait que la juridiction d’appel ait jugé le volet civil du contentieux sur la base de la transcription des témoignages rendus pendant les débats de première instance ne saurait être jugé contraire au droit du requérant à un procès équitable.

53.  En conclusion, la Cour estime qu’eu égard à sa jurisprudence selon laquelle les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil qu’en matière de poursuites pénales, l’équité de la procédure litigieuse considérée dans son ensemble n’a pas été affectée.

54.  La Cour note que la Cour de cassation italienne a considéré que l’article 603 du CPP fait obligation aux juridictions d’appel d’ordonner l’audition de témoins même lorsque la décision en cause est un jugement d’acquittement que la partie civile ne conteste qu’à des fins civiles (paragraphes 23 et 24 ci-dessus). Elle souligne à cet égard que la Convention ne fait pas obstacle à ce que les États parties accordent aux droits et libertés qu’elle garantit une protection juridique plus étendue que celle qu’elle met en œuvre, que ce soit par le biais du droit interne, d’autres traités internationaux ou du droit de l’Union européenne. Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, par son système de garantie collective des droits qu’elle consacre, la Convention vient renforcer, conformément au principe de subsidiarité, la protection dont ces droits bénéficient au niveau national. Rien n’interdit aux États contractants d’adopter une interprétation plus large garantissant dans leurs ordres juridiques internes respectifs une protection renforcée des droits et libertés en question (article 53 de la Convention) (voir, mutatis mutandis, Di Martino et Molinari, précité, § 39).

55.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. 

MAESTRI ET AUTRES c. ITALIE du 8 juillet 2021 Requêtes no 20903/15 et 3 autres

Art 6 (pénal) • Procès équitable • Omission de la cour d’appel d’ordonner une nouvelle audition des inculpés avant d’infirmer leur acquittement en première instance • Obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité • Une renonciation au droit d’être présent aux débats n’équivaut pas une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel • Possibilité de faire des déclarations spontanées au cours des débats non conforme aux standards de la Cour • Le droit de l’accusé à être le dernier à parler distinct de son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal

CEDH

Principes généraux

37.  La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

38.  Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve, y compris des témoignages décisifs qu’elle s’apprête à interpréter pour la première fois d’une manière défavorable à l’accusé (Dan c. Moldova, no 8999/07, § 30, 5 juillet 2011, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017)

39.  La Cour a en outre affirmé que même dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotée de la plénitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher et à leur importance pour l’appelant (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 62, CEDH 2006‑XII). Il se peut également que l’accusé ait renoncé sans équivoque à son droit de participer à l’audience d’appel (voir, entre autres, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 48 et 51, 26 avril 2016). Il n’en reste pas moins que lorsque la juridiction d’appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui souhaite prouver qu’il n’a pas commis l’acte constituant prétendument une infraction pénale (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009, Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Ghincea c. Roumanie, no 36676/06, §§ 40-41, 9 janvier 2018). À cet égard, il existe un lien étroit avec la jurisprudence établie de la Cour qui dispose que toute personne accusée devrait, en règle générale, être entendue par le tribunal qui doit statuer sur sa culpabilité (Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, no 38797/17, § 33, 16 juillet 2019). Compte tenu de l’enjeu pour l’accusé, la question est celle de savoir si la cour d’appel pouvait, aux fins d’un procès équitable, examiner correctement les questions dont elle était saisie sans se livrer à une appréciation directe de la preuve fournie par l’accusé ou le témoin en personne (ibidem, § 35).

40.  En outre, la jurisprudence de la Cour portant sur cette question, considérée dans son ensemble et dans son contexte, opère une distinction entre les cas dans lesquels une juridiction d’appel ayant infirmé un acquittement sans entendre directement le témoignage sur lequel l’acquittement était fondé a effectivement procédé à une nouvelle appréciation des faits, et les situations dans lesquelles la juridiction d’appel n’était en désaccord avec l’instance inférieure que sur l’interprétation d’une question de droit et/ou sur son application aux faits déjà établis (voir Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, §§ 36 et 37 et la jurisprudence citée).

41.  Dans certaines affaires, la Cour a ainsi conclu à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention après avoir constaté que la juridiction de recours avait condamné les requérants après avoir revu l’interprétation d’une question purement juridique et sans être revenue sur les faits tels que prouvés en première instance (Bazo González c. Espagne, no 30643/04, § 36, 16 décembre 2008, Keskinen et Veljekset Keskinen Oy c. Finlande, no 34721/09, § 39, 5 juin 2012, Leș c. Roumanie (déc.), no 28841/09, §§ 18‑22, 13 septembre 2016, et Dumitrascu c. Roumanie, no 29235/14, 15 septembre 2020).

42.  La Cour rappelle en outre que lorsque l’appréciation directe du témoignage de l’accusé est nécessaire compte tenu des principes précités, la juridiction d’appel est tenue de prendre des mesures positives à cette fin, même si le requérant n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant cette juridiction et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (Botten, précité, § 53, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

43.  En revanche, un requérant ne saurait se plaindre d’une violation de son droit à un procès équitable s’il a renoncé expressément et de manière non équivoque à son droit d’être entendu par la cour d’appel, pour autant qu’il a eu la possibilité de présenter tous ses arguments en défense (Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, §§ 48 et 62, 1er décembre 2020). La Cour rappelle à cet égard le principe selon lequel ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable (Hermi, précité, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 décembre 2018).

44.  Enfin, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev, précité, § 39).

b)     Application de ces principes aux cas d’espèce

  1. Concernant les requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15

45.  La Cour observe pour commencer que le tribunal de Saluzzo a condamné pour fraude aggravée les six requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15 après avoir entendu plusieurs témoins. Selon le juge de première instance, les déclarations des témoins et les autres preuves recueillies avaient démontré que les intéressés avaient créé les sociétés coopératives Savoia puis la FGR et/ou y avaient adhéré dans le but de ne pas verser à l’État les contributions dues en cas de dépassement des quotas laitiers imposés par le règlement (CEE) no 856/84. En revanche, le tribunal a considéré que le système de sociétés en cause ne constituait pas une association de malfaiteurs punie par le code pénal et a acquitté les requérants pour ce chef d’inculpation.

46.  La Cour observe ensuite que la cour d’appel de Turin avait la possibilité, en tant qu’instance d’appel, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 30 juin 2011. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, après s’être livrée à une appréciation de la responsabilité des intéressés. Pour ce faire, elle avait la possibilité d’ordonner la réouverture de l’instruction au sens de l’article 603 du CPP.

47.  La Cour note que la cour d’appel, tout en confirmant la condamnation des requérants pour l’infraction de fraude aggravée, a également constaté leur culpabilité pour le délit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point. La cour d’appel s’est référée à la jurisprudence de la Cour de cassation et a affirmé que l’élément moral de cette dernière infraction n’était pas seulement l’intention de commettre une série de délits de divers types – comme le tribunal l’avait affirmé selon elle à tort – mais aussi l’intention de commettre une pluralité d’infractions du même type, à savoir en l’espèce une série indéfinie de fraudes. En outre, l’élément matériel du délit d’association de malfaiteurs était, selon la cour d’appel, foncièrement lié à celui sanctionné par le tribunal sous la qualification de fraude, à savoir la constitution des sociétés Savoia et FGR et leur utilisation à des fins de fraude fiscale. À cet égard, la cour d’appel a pointé du doigt une lecture incomplète de l’acte d’accusation de la part du tribunal (paragraphe 13 ci-dessus).

48.  La Cour estime que pour condamner pour la première fois les requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel n’a ni procédé à un nouvel établissement des faits ni donné une nouvelle interprétation des déclarations des témoins, mais qu’elle a effectué une appréciation différente des éléments constitutifs de l’infraction. La Cour observe que l’existence des faits reprochés aux requérants a été établie par le tribunal sur la base des pièces écrites du dossier et des déclarations des témoins – dont la crédibilité n’a pas été contestée par les parties – et qu’elle a entraîné dès la première instance la condamnation des intéressés pour le délit de fraude. Le fait que la cour d’appel ait donné une nouvelle qualification juridique aux faits déjà établis par le tribunal de première instance et qu’elle soit arrivée à une conclusion différente quant à l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs, en plus de celle de fraude, ne saurait infirmer en soi cette conclusion (Dumitrascu, précité, § 36).

49.  Selon la Cour, on ne saurait dès lors considérer qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge la cour d’appel ait restreint les droits de la défense des requérants en l’espèce. D’ailleurs, les intéressés n’ont pas apporté d’éléments de nature à laisser penser qu’une nouvelle audition desdits témoins aurait été utile dans l’appréciation des points en question.

50.  La Cour doit maintenant déterminer si les questions dont la cour d’appel se trouvait saisie pouvaient effectivement se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe des témoignages livrés en personne par les requérants.

51.  Concernant tout d’abord le rôle de la cour d’appel et la nature des questions dont elle avait à connaître, la Cour note d’emblée qu’en vertu de l’article 597 du CPP cette juridiction est compétente pour rendre un nouveau jugement sur le fond après avoir examiné l’affaire en fait et en droit et avoir procédé à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence des intéressés. Dans les limites des moyens d’appel présentés par les parties, elle peut décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve en vertu de l’article 603 du CPP. En outre, elle peut modifier la qualification juridique des faits et alourdir la mesure ou le type de la peine infligée. La procédure ordinaire devant la cour d’appel est dès lors une procédure régie par les mêmes règles qu’un procès sur le fond et elle est menée par une juridiction dotée de la plénitude de juridiction.

52.  La Cour observe ensuite qu’en réformant le verdict du tribunal et en statuant sur la question de la culpabilité des requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel a également examiné les intentions des intéressés et s’est prononcée pour la première fois sur des circonstances subjectives les concernant, affirmant notamment que ceux-ci ne pouvaient pas ignorer, malgré leur méconnaissance des questions juridiques, que l’activité des sociétés Savoia et FGR était illégale (paragraphe 13 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants (Igual Coll précité, § 35, et Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012). La Cour rappelle que lorsque l’inférence d’un tribunal a trait à des éléments subjectifs, il n’est pas possible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés (Lacadena Calero, précité, § 47).

53.  Compte tenu de l’étendue de l’examen effectué par la cour d’appel et de l’enjeu pour les requérants, la Cour estime que les questions devant être examinées par la cour d’appel appelaient une appréciation directe des déclarations des accusés (voir, a contrario, Kamasinski, §§ 107-108, et Hermi, précité, § 86).

54.  La Cour doit donc établir si les intéressés ont eu en l’espèce une possibilité adéquate d’être entendus et d’exposer en personne leurs propres arguments en défense devant la cour d’appel.

55.  Elle note tout d’abord que les requérants, qui avaient participé aux débats en première instance et qui étaient représentés par les avocats de leur choix, ont décidé de ne pas se présenter aux audiences devant la cour d’appel bien qu’ils fussent cités à comparaître en leur qualité d’accusés conformément aux règles de procédure du droit italien (paragraphes 12 et 27 ci-dessus). Il s’ensuit que les intéressés ont renoncé de manière non équivoque à leur droit de prendre part aux audiences devant la cour d’appel (voir, mutatis mutandis, Hermi, précité, § 98).

56.  S’agissant de la question de savoir si l’absence des intéressés aux audiences, en plus de constituer une renonciation au droit d’assister aux débats, constituait également une renonciation de leur part au droit d’être entendus par la juridiction d’appel, la Cour a récemment affirmé que le fait qu’un accusé ait renoncé à son droit de participer à l’audience n’exempte pas en soi la juridiction d’appel qui procède à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, de l’obligation qui est la sienne d’évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui proclame son innocence et qui n’a pas explicitement renoncé à prendre la parole (Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 33, et voir, a contrario, Lamatic, précité, § 45). Dans ces circonstances, il appartient aux autorités judiciaires d’adopter toutes les mesures positives propres à garantir l’audition de l’intéressé, même si celui-ci n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant la juridiction d’appel et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (voir, parmi d’autres, Botten, précité, § 53, Ghincea, précité, § 48, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

57.  À cet égard, la Cour note avec intérêt que la Cour de cassation italienne s’est exprimée d’une manière conforme aux principes susmentionnés lorsqu’elle a affirmé que le fait d’être contumax à l’audience ne pouvait pas être interprété comme une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel pour autant que le juge n’avait pas ordonné d’audition et qu’une audience à cet effet n’avait pas été fixée (paragraphe 21 ci-dessus). En effet, en droit italien, la citation à comparaître à la première audience ordonnée aux sens de l’article 601 du CPP ne correspond pas à une convocation du juge en vue d’être entendu. A cet égard, la Cour ne peut que constater que la requérante de la requête no 20903/15, bien que présente à l’audience, ne fut pas pour autant auditionnée par la cour d’appel (voir paragraphe 12 ci-dessus).

58.  Il s’ensuit qu’on ne saurait affirmer que les requérants ont explicitement renoncé en l’espèce à leur droit d’être entendus par la cour d’appel, étant donné que, même selon le droit interne, une telle renonciation aurait été possible uniquement si une audition avait été ordonnée et seulement si les intéressés n’y avaient pas consenti ou s’ils ne s’étaient pas présentés à l’audience fixée pour l’audition.

59.  Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement qu’aurait été ouverte aux requérants le loisir de se prévaloir de l’article 494 du CPP, décrite comme une possibilité adéquate pour les accusés présents à l’audience d’être entendus par la cour d’appel. A cet égard, la Cour observe que les déclarations spontanées régies par ladite disposition relèvent du libre choix de l’inculpé, lequel a la possibilité de s’exprimer librement à tout moment sans que ni le juge ni les autres parties au procès puissent lui poser de questions, en vertu du droit de l’accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Or la Cour n’est pas convaincue que la possibilité pour l’accusé de faire de telles déclarations puisse satisfaire l’obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité. Elle considère qu’il est déraisonnable d’avancer que pour assurer sa défense un accusé prendra la parole de sa propre initiative et choisira de s’exprimer sur des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance. La Cour a déjà eu l’occasion d’observer qu’un accusé n’a aucun intérêt à demander que les éléments de preuve relatifs à des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance soient réévalués par le juge d’appel (Cipleu c. Roumanie, no 36470/08, § 39, 14 janvier 2014, et Ghincea, précité, § 41). Elle rappelle encore une fois qu’il appartient à la juridiction d’appel de prendre des mesures positives à ces fins (paragraphe 56 ci-dessus).

60.  Sur ce dernier point, la Cour observe que la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel qui s’apprête à infirmer un jugement d’acquittement et qui, pour ce faire, ordonne la réouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP ainsi que l’audition des témoins (dans la procédure de l’« esame ») est également tenu d’ordonner l’audition de l’accusé en personne dès lors que les déclarations de celui-ci sont décisives (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, la cour d’appel avait tout le loisir de rouvrir l’instruction et d’ordonner l’audition des requérants afin de leur offrir une possibilité adéquate de s’exprimer à propos notamment de l’élément intentionnel du délit d’association de malfaiteurs, question qui revêtait une importance cruciale pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité pour ladite infraction.

61.  En revanche, pour ce qui est de l’argument avancé par la Cour de cassation consistant à dire que le fait que l’accusé soit le dernier à prendre la parole suffirait (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour a déjà affirmé à maintes reprises que, si le droit de l’accusé à être le dernier à parler revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal (Constantinescu, précité, § 58, et Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008).

62.  Vu l’ensemble de la procédure suivie, le rôle de la cour d’appel et la nature des questions à trancher, la Cour conclut que le fait que la condamnation pour le délit d’association de malfaiteurs soit intervenue sans que les requérants aient pu exposer lors d’une audition (esame) devant la cour d’appel leurs arguments concernant des faits déterminants pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité n’est pas, sauf renonciation de leur part, compatible avec le principe du procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Concernant la requête no 20903/15

63.  La Cour observe que, contrairement aux requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15, Mme Maestri a été acquittée en première instance pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle. Le tribunal a considéré que les déclarations des témoins et les autres pièces du dossier avaient démontré que la requérante s’était contentée de tenir la comptabilité des sociétés en suivant les directives des administrateurs et qu’elle n’avait donc pas joué de rôle actif dans l’activité des sociétés Savoia et FGR.

64.  La Cour note également que la cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et qu’elle s’est écartée de l’avis du tribun

a) Principes généraux

37.  La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

38.  Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve, y compris des témoignages décisifs qu’elle s’apprête à interpréter pour la première fois d’une manière défavorable à l’accusé (Dan c. Moldova, no 8999/07, § 30, 5 juillet 2011, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017)

39.  La Cour a en outre affirmé que même dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotée de la plénitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d’appel, eu égard notamment aux questions qu’elle avait à trancher et à leur importance pour l’appelant (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 62, CEDH 2006‑XII). Il se peut également que l’accusé ait renoncé sans équivoque à son droit de participer à l’audience d’appel (voir, entre autres, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 48 et 51, 26 avril 2016). Il n’en reste pas moins que lorsque la juridiction d’appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui souhaite prouver qu’il n’a pas commis l’acte constituant prétendument une infraction pénale (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009, Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Ghincea c. Roumanie, no 36676/06, §§ 40-41, 9 janvier 2018). À cet égard, il existe un lien étroit avec la jurisprudence établie de la Cour qui dispose que toute personne accusée devrait, en règle générale, être entendue par le tribunal qui doit statuer sur sa culpabilité (Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, no 38797/17, § 33, 16 juillet 2019). Compte tenu de l’enjeu pour l’accusé, la question est celle de savoir si la cour d’appel pouvait, aux fins d’un procès équitable, examiner correctement les questions dont elle était saisie sans se livrer à une appréciation directe de la preuve fournie par l’accusé ou le témoin en personne (ibidem, § 35).

40.  En outre, la jurisprudence de la Cour portant sur cette question, considérée dans son ensemble et dans son contexte, opère une distinction entre les cas dans lesquels une juridiction d’appel ayant infirmé un acquittement sans entendre directement le témoignage sur lequel l’acquittement était fondé a effectivement procédé à une nouvelle appréciation des faits, et les situations dans lesquelles la juridiction d’appel n’était en désaccord avec l’instance inférieure que sur l’interprétation d’une question de droit et/ou sur son application aux faits déjà établis (voir Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, §§ 36 et 37 et la jurisprudence citée).

41.  Dans certaines affaires, la Cour a ainsi conclu à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention après avoir constaté que la juridiction de recours avait condamné les requérants après avoir revu l’interprétation d’une question purement juridique et sans être revenue sur les faits tels que prouvés en première instance (Bazo González c. Espagne, no 30643/04, § 36, 16 décembre 2008, Keskinen et Veljekset Keskinen Oy c. Finlande, no 34721/09, § 39, 5 juin 2012, Leș c. Roumanie (déc.), no 28841/09, §§ 18‑22, 13 septembre 2016, et Dumitrascu c. Roumanie, no 29235/14, 15 septembre 2020).

42.  La Cour rappelle en outre que lorsque l’appréciation directe du témoignage de l’accusé est nécessaire compte tenu des principes précités, la juridiction d’appel est tenue de prendre des mesures positives à cette fin, même si le requérant n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant cette juridiction et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (Botten, précité, § 53, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

43.  En revanche, un requérant ne saurait se plaindre d’une violation de son droit à un procès équitable s’il a renoncé expressément et de manière non équivoque à son droit d’être entendu par la cour d’appel, pour autant qu’il a eu la possibilité de présenter tous ses arguments en défense (Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, §§ 48 et 62, 1er décembre 2020). La Cour rappelle à cet égard le principe selon lequel ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable (Hermi, précité, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 décembre 2018).

44.  Enfin, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev, précité, § 39).

b) Application de ces principes aux cas d’espèce

  1. Concernant les requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15

45.  La Cour observe pour commencer que le tribunal de Saluzzo a condamné pour fraude aggravée les six requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15 après avoir entendu plusieurs témoins. Selon le juge de première instance, les déclarations des témoins et les autres preuves recueillies avaient démontré que les intéressés avaient créé les sociétés coopératives Savoia puis la FGR et/ou y avaient adhéré dans le but de ne pas verser à l’État les contributions dues en cas de dépassement des quotas laitiers imposés par le règlement (CEE) no 856/84. En revanche, le tribunal a considéré que le système de sociétés en cause ne constituait pas une association de malfaiteurs punie par le code pénal et a acquitté les requérants pour ce chef d’inculpation.

46.  La Cour observe ensuite que la cour d’appel de Turin avait la possibilité, en tant qu’instance d’appel, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 30 juin 2011. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, après s’être livrée à une appréciation de la responsabilité des intéressés. Pour ce faire, elle avait la possibilité d’ordonner la réouverture de l’instruction au sens de l’article 603 du CPP.

47.  La Cour note que la cour d’appel, tout en confirmant la condamnation des requérants pour l’infraction de fraude aggravée, a également constaté leur culpabilité pour le délit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point. La cour d’appel s’est référée à la jurisprudence de la Cour de cassation et a affirmé que l’élément moral de cette dernière infraction n’était pas seulement l’intention de commettre une série de délits de divers types – comme le tribunal l’avait affirmé selon elle à tort – mais aussi l’intention de commettre une pluralité d’infractions du même type, à savoir en l’espèce une série indéfinie de fraudes. En outre, l’élément matériel du délit d’association de malfaiteurs était, selon la cour d’appel, foncièrement lié à celui sanctionné par le tribunal sous la qualification de fraude, à savoir la constitution des sociétés Savoia et FGR et leur utilisation à des fins de fraude fiscale. À cet égard, la cour d’appel a pointé du doigt une lecture incomplète de l’acte d’accusation de la part du tribunal (paragraphe 13 ci-dessus).

48.  La Cour estime que pour condamner pour la première fois les requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel n’a ni procédé à un nouvel établissement des faits ni donné une nouvelle interprétation des déclarations des témoins, mais qu’elle a effectué une appréciation différente des éléments constitutifs de l’infraction. La Cour observe que l’existence des faits reprochés aux requérants a été établie par le tribunal sur la base des pièces écrites du dossier et des déclarations des témoins – dont la crédibilité n’a pas été contestée par les parties – et qu’elle a entraîné dès la première instance la condamnation des intéressés pour le délit de fraude. Le fait que la cour d’appel ait donné une nouvelle qualification juridique aux faits déjà établis par le tribunal de première instance et qu’elle soit arrivée à une conclusion différente quant à l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs, en plus de celle de fraude, ne saurait infirmer en soi cette conclusion (Dumitrascu, précité, § 36).

49.  Selon la Cour, on ne saurait dès lors considérer qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge la cour d’appel ait restreint les droits de la défense des requérants en l’espèce. D’ailleurs, les intéressés n’ont pas apporté d’éléments de nature à laisser penser qu’une nouvelle audition desdits témoins aurait été utile dans l’appréciation des points en question.

50.  La Cour doit maintenant déterminer si les questions dont la cour d’appel se trouvait saisie pouvaient effectivement se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe des témoignages livrés en personne par les requérants.

51.  Concernant tout d’abord le rôle de la cour d’appel et la nature des questions dont elle avait à connaître, la Cour note d’emblée qu’en vertu de l’article 597 du CPP cette juridiction est compétente pour rendre un nouveau jugement sur le fond après avoir examiné l’affaire en fait et en droit et avoir procédé à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence des intéressés. Dans les limites des moyens d’appel présentés par les parties, elle peut décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve en vertu de l’article 603 du CPP. En outre, elle peut modifier la qualification juridique des faits et alourdir la mesure ou le type de la peine infligée. La procédure ordinaire devant la cour d’appel est dès lors une procédure régie par les mêmes règles qu’un procès sur le fond et elle est menée par une juridiction dotée de la plénitude de juridiction.

52.  La Cour observe ensuite qu’en réformant le verdict du tribunal et en statuant sur la question de la culpabilité des requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel a également examiné les intentions des intéressés et s’est prononcée pour la première fois sur des circonstances subjectives les concernant, affirmant notamment que ceux-ci ne pouvaient pas ignorer, malgré leur méconnaissance des questions juridiques, que l’activité des sociétés Savoia et FGR était illégale (paragraphe 13 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants (Igual Coll précité, § 35, et Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012). La Cour rappelle que lorsque l’inférence d’un tribunal a trait à des éléments subjectifs, il n’est pas possible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés (Lacadena Calero, précité, § 47).

53.  Compte tenu de l’étendue de l’examen effectué par la cour d’appel et de l’enjeu pour les requérants, la Cour estime que les questions devant être examinées par la cour d’appel appelaient une appréciation directe des déclarations des accusés (voir, a contrario, Kamasinski, §§ 107-108, et Hermi, précité, § 86).

54.  La Cour doit donc établir si les intéressés ont eu en l’espèce une possibilité adéquate d’être entendus et d’exposer en personne leurs propres arguments en défense devant la cour d’appel.

55.  Elle note tout d’abord que les requérants, qui avaient participé aux débats en première instance et qui étaient représentés par les avocats de leur choix, ont décidé de ne pas se présenter aux audiences devant la cour d’appel bien qu’ils fussent cités à comparaître en leur qualité d’accusés conformément aux règles de procédure du droit italien (paragraphes 12 et 27 ci-dessus). Il s’ensuit que les intéressés ont renoncé de manière non équivoque à leur droit de prendre part aux audiences devant la cour d’appel (voir, mutatis mutandis, Hermi, précité, § 98).

56.  S’agissant de la question de savoir si l’absence des intéressés aux audiences, en plus de constituer une renonciation au droit d’assister aux débats, constituait également une renonciation de leur part au droit d’être entendus par la juridiction d’appel, la Cour a récemment affirmé que le fait qu’un accusé ait renoncé à son droit de participer à l’audience n’exempte pas en soi la juridiction d’appel qui procède à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, de l’obligation qui est la sienne d’évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui proclame son innocence et qui n’a pas explicitement renoncé à prendre la parole (Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 33, et voir, a contrario, Lamatic, précité, § 45). Dans ces circonstances, il appartient aux autorités judiciaires d’adopter toutes les mesures positives propres à garantir l’audition de l’intéressé, même si celui-ci n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant la juridiction d’appel et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond (voir, parmi d’autres, Botten, précité, § 53, Ghincea, précité, § 48, et Júlíus Þór Sigurþórsson, précité, § 38).

57. À cet égard, la Cour note avec intérêt que la Cour de cassation italienne s’est exprimée d’une manière conforme aux principes susmentionnés lorsqu’elle a affirmé que le fait d’être contumax à l’audience ne pouvait pas être interprété comme une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel pour autant que le juge n’avait pas ordonné d’audition et qu’une audience à cet effet n’avait pas été fixée (paragraphe 21 ci-dessus). En effet, en droit italien, la citation à comparaître à la première audience ordonnée aux sens de l’article 601 du CPP ne correspond pas à une convocation du juge en vue d’être entendu. A cet égard, la Cour ne peut que constater que la requérante de la requête no 20903/15, bien que présente à l’audience, ne fut pas pour autant auditionnée par la cour d’appel (voir paragraphe 12 ci-dessus).

58.  Il s’ensuit qu’on ne saurait affirmer que les requérants ont explicitement renoncé en l’espèce à leur droit d’être entendus par la cour d’appel, étant donné que, même selon le droit interne, une telle renonciation aurait été possible uniquement si une audition avait été ordonnée et seulement si les intéressés n’y avaient pas consenti ou s’ils ne s’étaient pas présentés à l’audience fixée pour l’audition.

59.  Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement qu’aurait été ouverte aux requérants le loisir de se prévaloir de l’article 494 du CPP, décrite comme une possibilité adéquate pour les accusés présents à l’audience d’être entendus par la cour d’appel. A cet égard, la Cour observe que les déclarations spontanées régies par ladite disposition relèvent du libre choix de l’inculpé, lequel a la possibilité de s’exprimer librement à tout moment sans que ni le juge ni les autres parties au procès puissent lui poser de questions, en vertu du droit de l’accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Or la Cour n’est pas convaincue que la possibilité pour l’accusé de faire de telles déclarations puisse satisfaire l’obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité. Elle considère qu’il est déraisonnable d’avancer que pour assurer sa défense un accusé prendra la parole de sa propre initiative et choisira de s’exprimer sur des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance. La Cour a déjà eu l’occasion d’observer qu’un accusé n’a aucun intérêt à demander que les éléments de preuve relatifs à des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance soient réévalués par le juge d’appel (Cipleu c. Roumanie, no 36470/08, § 39, 14 janvier 2014, et Ghincea, précité, § 41). Elle rappelle encore une fois qu’il appartient à la juridiction d’appel de prendre des mesures positives à ces fins (paragraphe 56 ci-dessus).

60.  Sur ce dernier point, la Cour observe que la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel qui s’apprête à infirmer un jugement d’acquittement et qui, pour ce faire, ordonne la réouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP ainsi que l’audition des témoins (dans la procédure de l’« esame ») est également tenu d’ordonner l’audition de l’accusé en personne dès lors que les déclarations de celui-ci sont décisives (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, la cour d’appel avait tout le loisir de rouvrir l’instruction et d’ordonner l’audition des requérants afin de leur offrir une possibilité adéquate de s’exprimer à propos notamment de l’élément intentionnel du délit d’association de malfaiteurs, question qui revêtait une importance cruciale pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité pour ladite infraction.

61.  En revanche, pour ce qui est de l’argument avancé par la Cour de cassation consistant à dire que le fait que l’accusé soit le dernier à prendre la parole suffirait (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour a déjà affirmé à maintes reprises que, si le droit de l’accusé à être le dernier à parler revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal (Constantinescu, précité, § 58, et Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008).

62.  Vu l’ensemble de la procédure suivie, le rôle de la cour d’appel et la nature des questions à trancher, la Cour conclut que le fait que la condamnation pour le délit d’association de malfaiteurs soit intervenue sans que les requérants aient pu exposer lors d’une audition (esame) devant la cour d’appel leurs arguments concernant des faits déterminants pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité n’est pas, sauf renonciation de leur part, compatible avec le principe du procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

  1. Concernant la requête no 20903/15

63.  La Cour observe que, contrairement aux requérants des requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15, Mme Maestri a été acquittée en première instance pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle. Le tribunal a considéré que les déclarations des témoins et les autres pièces du dossier avaient démontré que la requérante s’était contentée de tenir la comptabilité des sociétés en suivant les directives des administrateurs et qu’elle n’avait donc pas joué de rôle actif dans l’activité des sociétés Savoia et FGR.

64.  La Cour note également que la cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et qu’elle s’est écartée de l’avis du tribunal au sujet de l’interprétation de ces mêmes déclarations. La cour d’appel a prononcé la culpabilité de la requérante après s’être convaincue que les témoignages de M. et de C., en particulier, lesquels avaient décrit dans le détail les tâches qu’accomplissait l’intéressée, avaient permis de démontrer que celle-ci avait joué un rôle proactif dans la gestion des sociétés (paragraphe 14 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, il ne fait aucun doute que les questions que la cour d’appel de Turin avait à trancher avant de décider d’infirmer le verdict d’acquittement et de condamner l’intéressée ne pouvaient, aux fins d’un procès équitable, être examinées de manière appropriée sans appréciation directe des témoignages à charge de M. et C., compte tenu notamment de la valeur probante de ceux-ci.

65.  Elle observe par ailleurs que la requérante, bien que présente aux audiences, n’a pas été auditionnée par la cour d’appel et qu’elle a donc été privée, à l’instar des requérants, de la possibilité d’exposer ses propres arguments sur des questions de faits déterminants pour l’appréciation de sa culpabilité (voir paragraphes 59-62 ci-dessus).

66.  La Cour considère dès lors qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge et de la requérante en personne avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont celle-ci avait bénéficié en première instance, la cour d’appel a sensiblement restreint les droits de la défense de l’intéressée.

67.  Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, considérée dans son ensemble, la procédure pénale visant la requérante a été inéquitable.

Conclusion

68.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans les présentes requêtes.

DI MARTINO ET MOLINARI c. ITALIE du 25 mars 2021 Requêtes nos 15931/15 et 16459/15

Art 6 § 1 (pénal) • Procès équitable non entravé par la non-audition des témoins à charge par la juridiction d’appel avant de renverser le verdict d’acquittement prononcé en première instance lors d’une procédure abrégée • Demande d’être jugé selon cette procédure déterminant la renonciation aux preuves orales pour fonder le procès sur les preuves documentaires issues des investigations préliminaires • Absence d’audition par la cour d’appel d’un témoin entendu d’office par le tribunal de première instance sans incidence sur les droits de la défense.

a) Principes généraux

28.  La Cour rappelle que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A n° 134, Constantinescu c. Roumanie, n° 28871/95, § 55, CEDH 2000 VIII, Dondarini c. Saint-Marin, n° 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, et Igual Coll c. Espagne, n° 37496/04, § 27, 10 mars 2009) soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure et aux déclarations desquels elle souhaite donner une nouvelle interprétation (voir, par exemple, Lorefice, précité, §§ 36). La Cour rappelle que ceux qui ont la responsabilité de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé doivent, en principe, entendre les témoins en personne et évaluer leur crédibilité. L’évaluation de la crédibilité d’un témoin est une tâche complexe, qui, normalement, ne peut pas être accomplie par le biais d’une simple lecture du contenu des déclarations de celui-ci, telles que consacrées dans les procès-verbaux des auditions (Dan, précité, § 33, et Lorefice, précité, § 43).

29.  La Cour a néanmoins souligné que, bien qu’il soit nécessaire pour la juridiction qui condamne pour la première fois un inculpé d’apprécier directement les preuves sur lesquelles elle fonde sa décision, il ne s’agit pas là d’une règle automatique qui rendrait un procès inéquitable pour la seule raison que la juridiction en cause n’a pas entendu tous les témoins mentionnés dans son arrêt et dont elle a dû apprécier la crédibilité. En effet, il convient également de prendre en compte la valeur probante des témoignages en cause (Chiper c. Roumanie, n° 22036/10, § 63, 27 juin 2017). La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle, lorsque les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuve, il importe de rechercher s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin, si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation, et s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 131, CEDH 2011, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 123, CEDH 2015, et Dadayan c. Arménie, no 14078/12, §§ 39-43, 6 septembre 2018).

30.  La Cour rappelle en outre que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit : il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, et Hermi, précité, § 60). Enfin, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], n° 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit examiner si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev c. Estonie, n° 22574/08, § 39, 26 avril 2016).

b) Application de ces principes à la présente espèce

31.  La Cour note que les requérants ont été jugés selon la procédure abrégée, à savoir une procédure simplifiée, dont ils ont demandé l’adoption en vue d’obtenir une réduction de peine. Le GUP a accueilli la demande des requérants, estimant que l’affaire pouvait être tranchée sur la base des éléments du dossier constitué par le parquet au cours des investigations préliminaires, parmi lesquels figuraient les transcriptions des déclarations de plusieurs « repentis ». Par la suite, se prévalant de la possibilité prévue par l’article 441 § 5 du CPP, le GUP a ordonné l’audition de B.S., un ancien mafieux, devenu entre-temps collaborateur de justice.

32.  La Cour observe ensuite que le GUP a acquitté la requérante de tous les chefs d’inculpation retenus contre elle et a partiellement acquitté le requérant qui a été condamné pour le seul délit de culture de chanvre. Le GUP a estimé que les éléments de preuve recueillis ne prouvaient pas leur responsabilité pénale. La cour d’appel, quant à elle, a infirmé le jugement rendu en première instance et a déclaré les requérants coupables après avoir donné une nouvelle interprétation de l’ensemble des éléments de preuve, y compris les déclarations de tous les témoins, et les avoir jugés suffisants pour fonder la condamnation.

  1. Sur l’absence d’audition des témoins E., P.G. et S.

33.  La Cour rappelle d’emblée qu’elle a déjà eu l’occasion de se pencher sur les particularités de la procédure abrégée prévue par le CPP italien. Elle a constaté que celle-ci entraîne des avantages indéniables pour l’accusé : en cas de condamnation, celui-ci bénéficie d’une importante réduction de peine et le parquet ne peut interjeter appel des jugements de condamnation qui ne modifient pas la qualification juridique de l’infraction. En revanche, la procédure abrégée est assortie d’un affaiblissement des garanties de procédure offertes par le droit interne, notamment en ce qui concerne la publicité des débats, la possibilité de demander la production d’éléments de preuve non contenus dans le dossier du parquet et celle d’obtenir la convocation des témoins (Kwiatkowska, décision précitée, Hermi, précité, § 78, Hany c. Italie (déc.), n° 17543/05, 6 novembre 2007, et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009). Lesdites garanties constituent des principes fondamentaux du droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. La Cour rappelle que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré de manière expresse ou tacite aux garanties d’un procès équitable. Toutefois, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et doit être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. De plus, cette renonciation ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Kwiatkowska, décision précitée, Hermi, précité, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 décembre 2018).

34.  La Cour observe par ailleurs que l’introduction de la procédure abrégée par le législateur italien vise à simplifier, et donc à accélérer, les procédures pénales (Hermi, précité, § 80). Elle observe à cet égard que la Recommandation n° Rec (87) 18 du Comité des Ministres concernant la simplification de la justice pénale préconise aux États membres, dans le respect des principes constitutionnels et des traditions juridiques propres à chaque État, la mise en place de procédures simplifiées et de procédures sommaires (ces dernières étant également désignées par les expressions « transactions pénales » ou « plea bargaining »), dans le but notamment de faire face aux problèmes posés par la durée de la procédure pénale (paragraphe 18 ci-dessus).

35.  Ainsi, en matière de transactions pénales, la Cour a déjà eu l’occasion d’observer que la possibilité pour un accusé d’obtenir une atténuation des charges ou une réduction de peine à condition qu’il reconnaisse sa culpabilité, ou qu’il renonce avant le procès à contester les faits ou encore qu’il coopère pleinement avec les autorités d’enquête, est chose courante dans les systèmes de justice pénale des États européens (voir l’étude de droit comparé dans l’affaire Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie, no 9043/05, §§ 62-75 et, CEDH 2014 (extraits)). Le fait de transiger sur un chef d’accusation ou sur une peine n’a rien de répréhensible en soi (ibidem, §§ 90-91), tout comme le fait de renoncer au droit d’appel (Litwin c. Allemagne, no 29090/06, § 47, 3 novembre 2011).

36.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour considère que, en sollicitant l’adoption de la procédure abrégée, les requérants, qui étaient assistés d’avocats, ont accepté de baser leur défense sur les pièces recueillies pendant les investigations préliminaires, dont ils avaient pris connaissance, et ont ainsi renoncé sans équivoque à leur droit à obtenir la convocation et l’audition de témoins au procès. Rien ne permet de douter que la renonciation des requérants à leur droit était consciente et éclairée. Les intéressés ont en outre accepté que les juges en charge de leur affaire utilisent, pour statuer sur le bien-fondé des accusations portées contre eux, les transcriptions des dépositions des « repentis » E., P. G. et S. versées au dossier du parquet. De plus, les requérants savaient ou auraient dû savoir qu’en cas d’acquittement en première instance la cour d’appel avait la faculté de rejuger l’affaire sur la base de ces mêmes éléments de preuve.

37.  La Cour en déduit que la demande des requérants d’être jugés selon la procédure abrégée a déterminé la renonciation aux preuves orales et a eu pour conséquence que leur procès soit fondé sur les preuves documentaires versées au dossier. Dès lors, les présentes affaires se distinguent des celles que la Cour a précédemment examinées dans lesquelles la juridiction de recours n’avait pas satisfait à l’obligation d’interroger directement des témoins qui avaient été auditionnés par le juge de première instance et dont elle s’apprêtait à interpréter les déclarations d’une manière défavorable à l’accusé et radicalement différente pour condamner celui-ci pour la première fois (voir, parmi d’autres, Dan, précité, Găitănaru c. Roumanie, n° 26082/05, 26 juin 2012, Lazu c. République de Moldova, n° 46182/08, 5 juillet 2016, Lorefice, précité, § 45, et Tondo c. Italie [comité], no 75037/14, 22 octobre 2020).

38.  La Cour rappelle avoir noté dans l’affaire Scoppola (précitée, § 139) que, s’il est vrai que les États contractants ne sont pas contraints par la Convention de prévoir des procédures simplifiées, il n’en demeure pas moins que, lorsque de telles procédures existent et sont adoptées, les principes du procès équitable commandent de ne pas priver arbitrairement un prévenu des avantages qui s’y rattachent. Il est contraire au principe de la sécurité juridique et à la protection de la confiance légitime des justiciables qu’un État puisse, de manière unilatérale, réduire les avantages découlant de la renonciation à certains droits inhérents à la notion de procès équitable. Aux yeux de la Cour, rien de semblable ne s’est produit en la présente affaire, où les requérants ont bénéficié de la réduction de peine découlant de l’adoption de la procédure abrégée. Il n’apparaît pas davantage que l’affaire ait soulevé des questions d’intérêt public s’opposant à une telle renonciation (Kwiatkowska, décision précitée).

39.  La Cour observe au passage que la Cour de cassation italienne a récemment interprété extensivement l’article 603 du CPP, faisant obligation aux juridictions d’appel d’ordonner même d’office l’audition de témoins décisifs pour la condamnation, aussi bien dans les procédures pénales ordinaires que dans les cas où la première instance s’est déroulée selon la procédure abrégée (paragraphe 16 ci-dessus). Elle souligne à cet égard que la Convention ne fait pas obstacle à ce que les États parties accordent aux droits et libertés qu’elle garantit une protection juridique plus étendue que celle qu’elle met en œuvre, que ce soit par le biais du droit interne, d’autres traités internationaux ou du droit de l’Union européenne. Comme elle a déjà eu l’occasion de le souligner, par son système de garantie collective des droits qu’elle consacre, la Convention vient renforcer, conformément au principe de subsidiarité, la protection qui en est offerte au niveau national. Rien n’interdit aux États contractants d’adopter une interprétation plus large garantissant une protection renforcée des droits et libertés en question dans leurs ordres juridiques internes respectifs (article 53 de la Convention) (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 28, Recueil 1998‑I, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, n° 36378/02, § 500, CEDH 2005‑III, Krombach c. France (déc.), n° 67521/14, § 39, 20 février 2018 et Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, § 93, 22 décembre 2020).

40.  En conclusion, compte tenu de ce qui précède, les requérants ne sauraient se plaindre d’une entrave à leur droit à un procès équitable dérivant de la non-audition par la cour d’appel des témoins E., P. G. et S.

  1. Sur l’absence d’audition de B.S.

41.  La Cour doit maintenant déterminer si la non-audition de B.S. a enfreint le droit des requérants à bénéficier d’un procès équitable. Elle observe que ce témoin a été convoqué d’office par le GUP, et a donc été interrogé en audience par celui-ci, contrairement aux autres témoins à charge.

42.  La Cour note d’emblée que la possibilité que le juge déroge aux conditions ordinaires de la procédure abrégée et se procure, même d’office, des éléments de preuve nécessaires à sa décision est expressément prévue par l’article 441 § 5 du CPP et ne saurait constituer en soi une atteinte aux principes du procès équitable (Campisi c. Italie (déc.), n° 10948/05, § 25, 12 février 2013). Il n’en reste pas moins qu’elle doit examiner si la manière dont cette exception a été appliquée en l’espèce a constitué une atteinte aux principes du procès équitable.

43.  La Cour observe que la condamnation des requérants a été fondée sur plusieurs éléments de preuve, parmi lesquels la note d’information des carabiniers de Naples, à laquelle la cour d’appel a accordé une importance déterminante (paragraphe 9 ci-dessus). Cet élément concernait notamment les activités criminelles du requérant et des membres de sa famille ainsi que son affiliation au clan mafieux D. A. S’y ajoutaient les déclarations de E., P. G. et S., d’anciens membres du clan « repentis », et les résultats de plusieurs écoutes téléphoniques et environnementales.

44.  La Cour relève que, dans ce contexte, le témoignage de B.S. n’a fait que confirmer les déclarations des autres témoins et corroborer l’ensemble des preuves à charge. En effet, ni le GUP ni la cour d’appel n’ont accordé un poids déterminant à ce témoignage, dans un sens ou dans un autre, dans leurs décisions relatives à la responsabilité pénale des requérants (voir, a contrario, Dan, précité, § 31, Lorefice, précité, § 37, et Tondo, précité, § 42). La Cour observe de plus que le GUP avait ordonné la convocation de B.S. estimant que son audition était déterminante pour juger de la position de P. C., l’un des coïnculpés des requérants.

45.  Eu égard à ce qui précède, et notamment à la valeur probante du témoignage en question, et rappelant qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A n° 235‑B), la Cour estime que l’on ne saurait considérer qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition de B.S. la cour d’appel a restreint les droits de la défense des requérants.

  1. Conclusion

Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que la procédure pénale visant les requérants, prise dans son ensemble, a été équitable.

47.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PANAGIS c. GRÈCE du 5 novembre 2020 Requête no 72165/13

Art 6 § 3 d : Les témoins entendus durant l'instruction doivent être réinterrogés si le prévenu le demande. L'absence des témoins doit être justifiée si un témoin présent dit le contraire de ce qu'il a dit à l'instruction. Il n'y a aucun élément compensateur.

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 d) • Procès équitable • Droits de la défense • Condamnation pénale sur la base de dépositions de témoins données au stade de l’instruction et absents au procès • Absence de volonté des juridictions d’examiner en profondeur le sérieux du motif justifiant l’absence des témoins • Rôle déterminant des dépositions • Refus de lecture et d’examen de la déclaration d’un des témoins revenant sur sa déposition • Absence d’autres éléments de preuve solides propres à corroborer ces dépositions.

  1. Appréciation de la Cour

a)      Principes généraux pertinents

38.  La Cour rappelle d’emblée que les principes concernant l’utilisation de déclarations faites par un témoin absent ont été dégagés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, CEDH 2011) et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, CEDH 2015 et Seton c. Royaume-Uni, no 55287/10, 12 septembre 2016).

39.  La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni précité, § 118). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili précité, § 100). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Schatschaschwili, précité, § 101). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (ibidem). La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Van Wesenbeeck c. Belgique, nos 67496/10 et 52936/12, §§ 65-66 et 88, 23 mai 2017).

40.  Elle rappelle aussi que l’article 6 § 3 d) de la Convention consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références qui y sont citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

41. La Cour rappelle avoir conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Néanmoins, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 146-147).

42. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, précité, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, §§ 111-131), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (ibidem, § 152). La Cour doit rechercher :

i.  s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii.  si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et

iii.  s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, § 147).

La Cour a, en outre, considéré que :

i.  L’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin, si elle ne peut en soi rendre un procès inéquitable, n’en demeure pas moins un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès ; pareil élément est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d).

ii.  Il convient de vérifier qu’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires dans lesquelles les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation du défendeur, mais aussi dans celles où les déclarations en question revêtaient un poids certain, et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent.

iii.  En règle générale, il sera pertinent d’examiner les trois étapes du critère Al-Khawaja dans l’ordre défini dans cet arrêt. Toutefois, les trois étapes du critère sont interdépendantes et, prises ensemble, servent à établir si la procédure pénale en cause a été globalement équitable. Il peut donc être approprié, dans une affaire donnée, d’examiner ces étapes dans un ordre différent, notamment lorsque l’une d’elles se révèle particulièrement probante pour déterminer si la procédure a été ou non équitable.

43.  La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 116).

b)     Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

  1. Motif sérieux justifiant la non-comparution des témoins

44.  La Cour rappelle qu’un motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin au procès et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition doit exister du point de vue du tribunal du fond, c’est‑à-dire que celui-ci doit avoir eu de bonnes raisons, factuelles ou juridiques, de ne pas assurer la comparution du témoin au procès. S’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin au sens ainsi défini, il s’ensuit qu’il existerait une raison valable ou une justification pour que le tribunal du fond admît à titre de preuve la déposition non vérifiée du témoin absent.

45.  En l’espèce, la Cour relève qu’au stade de l’instruction de l’affaire, P.L. a été entendue à deux reprises, le 25 février 2005, par les organes chargés de l’instructeur et P.C. aussi à quatre reprises les 24 et 25 février 2005. Les deux témoins ont désigné le requérant comme étant l’auteur du faux. Citées à comparaître à l’audience devant le tribunal de Corinthe et à celle devant la cour d’appel de Nauplie, P.L. et P.C ne se sont pas présentées. Le tribunal correctionnel n’a donné aucune explication quant à leur absence et procéda à entendre les trois autres témoins à charge et un témoin à décharge. En revanche, la cour d’appel, après avoir constaté que les deux témoins avaient été légalement citées à comparaître, a affirmé qu’elles n’ont pas pu être présentes car elles résidaient à l’étranger à une adresse inconnue. La cour d’appel a rajouté que compte tenu du fait que les efforts de l’autorité judiciaire ont été épuisés sans qu’il ait été possible de faire comparaître les témoins, il fallait considérer qu’il y avait impossibilité de comparution et d’examen de celles-ci et que la cour devait procéder à la lecture de leurs dépositions faites pendant l’instruction.

46.  Rappelant que la non-comparution d’un témoin à un procès peut s’expliquer par diverses raisons (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 120‑125 , Bobeş c. Roumanie, no 29752/05, §§ 39-40, 9 juillet 2013, Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 58, 18 juillet 2013, et Schatschaschwili, précité, § 119) et qu’il ne lui incombe pas de se substituer au juge national pour décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin, la Cour comprend que, aux yeux des juridictions nationales, l’interrogation des P.L. et de P.C. à l’audience n’était pas indispensable à l’établissement de la vérité. Toutefois, la Cour a déjà considéré que si les autorités de poursuite décident qu’une personne particulière est une source d’information importante et s’appuient sur sa déposition à l’audience, et si la déposition de ce témoin est utilisée par le tribunal pour fonder une décision de culpabilité, il devrait être présumé que la comparution personnelle et l’examen de ce témoin est nécessaire, sauf si sa déposition est manifestement non pertinente ou redondante (Cevat Soysal c. Turquie, no 17362/03, § 77, 23 septembre 2014).

47.  En premier lieu, la Cour relève qu’à l’audience de première instance, le tribunal correctionnel n’a fait aucune remarque quant à la non‑comparution des P.L. et P.C. et n’a pas répondu à la doléance du requérant selon laquelle les autorités n’avaient pris aucune mesure pour les faire comparaître (paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, aucune démarche n’a été entreprise non plus par la suite pour les retrouver en Roumanie et à l’audience du 2 octobre 2012, la cour d’appel, sur les motifs de laquelle la Cour de cassation s’est fondée, n’a fait que se référer au récépissé de notification de la citation qui constatait que les témoins étaient introuvables à leur adresse antérieure en Grèce.

48.  Toutefois, la Cour estime que cette absence de volonté des juridictions d’examiner plus en profondeur le sérieux du motif justifiant l’absence de ces deux témoins n’est pas à elle seule déterminante.

  1. Si les dépositions litigieuses constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation

49.  La Cour note aussi que dans son arrêt, la cour d’appel, sur les motifs de laquelle la Cour de cassation s’est fondée, a indiqué que les dépositions de P.L. et de P.C. ne constituaient pas l’unique moyen de preuve, mais elles étaient prises en considération simultanément avec les dépositions sous serment des trois autres témoins à charge, la déposition du témoin à décharge, ainsi que les documents inclus dans la liste des documents à lire et les autres documents produits par le requérant. La Cour rappelle à ce propos que pour déterminer le degré d’importance des témoins absents, et, en particulier, si ces dépositions ont constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour doit avoir égard avant tout à l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales (Schatschaschwili, précité, § 141).

50.  En l’espèce, la Cour observe que, si les dépositions de P.L. et de P.C. n’ont pas été l’unique élément à charge, les juridictions nationales n’ont pas indiqué clairement si elles les considéraient comme « déterminantes », au sens qu’elle a donné à ces termes dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery, c’est-à-dire comme une preuve dont l’importance est telle qu’elle est susceptible d’emporter la décision sur l’affaire (Schatschaschwili, précité, § 142). Bien que les juridictions nationales aient mentionné s’être fondées sur l’ensemble des preuves du dossier considérées comme un tout, aux yeux de la Cour, il est indéniable que les dépositions de P.L. et de P.C ont joué un rôle déterminant dans la condamnation du requérant (Kuchta c. Pologne, no 58683/08, § 58, 23 janvier 2018).

51.  En effet, la Cour relève que les deux témoins étaient les seules à avoir désigné le requérant comme étant l’auteur de l’infraction. Quant aux autres témoins à charge, lors de l’audience devant la cour d’appel, le premier témoin, K.M., a déclaré ne pas savoir si c’était le requérant qui avait commis l’infraction, le deuxième, A.G., qu’il n’était certain de rien et le troisième, P.P., que l’infraction pouvait avoir été commise par toute autre personne (paragraphe 13 ci-dessus). Les témoignages des témoins à charge lors de l’audience devant le tribunal correctionnel ne contenait rien de plus compromettant à l’encontre du requérant à part le fait qu’il était présent de temps en temps sur les lieux de la mairie. En outre, ni les juridictions, ni le Gouvernement n’indique si un ou plusieurs des documents lus à l’audience étai(en)t déterminant(s) pour fonder la culpabilité du requérant.

  1. Sur l’existence éventuelle d’éléments compensateurs

52.  Se tournant maintenant vers l’existence éventuelle d’éléments compensateurs, la Cour observe d’emblée que la cour d’appel refusa de lire à l’audience et d’apprécier la pertinence de la déclaration sous serment établie devant notaire par P.C. par laquelle celle-ci revenait sur sa première déposition concernant le requérant. Cette déclaration, qui était versée au dossier devant la cour d’appel, revêtait toute son importance pour le requérant dans les circonstances de la cause, car elle était de nature à ébranler la conviction que le requérant était l’auteur de l’infraction. Même si à la fin de la procédure la cour d’appel devait encore statuer de manière défavorable au requérant, elle aurait pu expliquer pour quel motif elle ne trouvait pas fiable la révocation par P.C. de sa première déposition faite pendant l’instruction. De l’avis de la Cour, la lecture et l’examen de cette déclaration constituaient des mesures qui auraient pu être de nature à compenser l’impossibilité d’interroger les deux témoins et qui auraient permis à la cour d’appel de s’éclairer davantage sur la crédibilité de celles-ci et sur la valeur probante de leur témoignages. La Cour souligne cependant qu’elle n’entend pas, par ce constat, se prononcer sur l’appréciation de ce moyen de preuve, laquelle appréciation est une prérogative des juridictions internes, mais relève que cette lecture et cet examen auraient pu constituer un élément compensateur et qu’aucun autre élément de cette nature n’existe en l’espèce.

  1. Appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble

53.  Compte tenu de ce qui précède et surtout de l’absence d’éléments compensateurs, la Cour ne peut que constater le caractère déterminant des dépositions faites par P.L. et P.C. dans le cadre de l’instruction et lus à l’audience devant la cour d’appel. En l’absence dans le dossier d’autres éléments de preuve solides propres à corroborer ces dépositions, l’équité de la procédure dans son ensemble a été compromise.

54.  Par conséquent, la Cour juge que les droits de la défense du requérant ont subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable. Il y a eu, dès lors, violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

GEORGE-LAVINIU GHIURĂU c. ROUMANIE du 16 juin 2020 requête n° 15549/16

Art 6 § 1 (pénal) • Tribunal impartial • Juge siégeant lors de la procédure d’appel malgré sa déclaration d’abstention, rejetée par une décision dûment motivée • Même juge siégeant dans la formation ayant examiné la demande d’abstention puis dans celle s’étant prononcée sur le fond • Doutes non objectivement justifiés

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 d) • Procès équitable • Interrogation des témoins • Absence d’un témoin lors des débats non justifiée par un motif sérieux • Déposition du témoin non déterminante mais revêtant un poids certain dans la condamnation • Possibilité d’avoir connaissance de la teneur de ses déclarations et de mettre en cause sa crédibilité grâce au test du détecteur de mensonges • Éléments compensateurs suffisants et de nature à contrebalancer les difficultés rencontrées par la défense

b)  Appréciation de la Cour

  1. Principes généraux

74.  La Cour se réfère aux principes pertinents en la matière concernant les critères d’appréciation des griefs formulés sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en ce qui concerne l’absence des témoins à l’audience, tels qu’exposés dans les arrêts Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni ([GC], nos 26766/05 et 22228/06, §§ 118-147, CEDH 2011) et Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, §§ 100-131, CEDH 2015).

75.  Dans son arrêt Schatschaschwili, la Cour a rappelé que, selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery (précité), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (Schatschaschwili, précité, § 107). Ainsi, la Cour doit rechercher :

i.  s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibid., §§ 119-122) ;

ii.  si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibid., §§ 123-124) ; et

iii.  s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibid., §§ 125-131).

76. Il y a lieu d’insister sur le fait que l’absence de motif sérieux justifiant la non‑comparution d’un témoin ne peut en soi rendre un procès inéquitable. Cela étant, le manque de tels motifs constitue un élément de poids s’agissant de l’appréciation de l’équité globale d’un procès : pareil élément est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention (ibid., § 113 in fine). De plus, le souci de la Cour étant de s’assurer que la procédure dans son ensemble était équitable, elle doit vérifier s’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires où les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation de l’accusé, mais aussi dans celles où elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (Seton c. Royaume-Uni, no 55287/10, § 59, 31 mars 2016).

77.  La Cour doit donc vérifier les trois étapes du critère Al-Khawaja et Tahery – dans l’ordre défini dans cet arrêt –, tout en gardant à l’esprit que ces étapes sont interdépendantes et, prises ensemble, servent à établir si la procédure pénale dans le cas d’espèce a été globalement équitable (Schatschaschwili, précité, § 118).

  1. Application au cas d’espèce

78. S’agissant de la question de savoir si l’absence du témoin K.I. était justifiée par un motif sérieux, la Cour note que tant le tribunal que la cour d’appel ont cité ce témoin à comparaître, mais que celui-ci ne s’est pas présenté devant les juridictions internes, malgré les mandats d’amener délivrés contre lui (paragraphes 11 et 20 ci-dessus). Il ressort des éléments présentés devant la Cour que ce témoin n’a pas pu être trouvé aux adresses indiquées par les parties ou identifiées au cours de la procédure (paragraphe 11 ci-dessus). Toutefois, la Cour doute que les juridictions internes aient entrepris des démarches suffisantes afin de localiser ce témoin. En effet, si le tribunal a demandé à l’autorité administrative compétente des informations sur le domicile dudit témoin et si les policiers ont été chargés d’exécuter les mandats d’amener, force est de constater que ces démarches n’ont pas abouti – l’intéressé ayant été déclaré sans domicile fixe par les policiers (paragraphe 11 ci-dessus) et les éléments obtenus n’ayant pas permis de le localiser – , alors que ce témoin avait été entendu pas moins de cinq fois au cours de l’enquête pénale (paragraphe 12 ci‑dessus). Dans ces circonstances, la Cour a des doutes quant à la question de savoir si les juridictions roumaines ont déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer la comparution de K.I.

79. S’agissant ensuite du poids qu’a revêtu la déposition de K.I. dans la condamnation du requérant, la Cour note que le tribunal, dans son jugement du 26 mars 2015, a jugé que les faits étaient établis par un ensemble d’éléments de preuve, dont des documents médicolégaux, les déclarations de la partie lésée et de deux témoins (parmi lesquels K.I.), les rapports sur le test du détecteur de mensonges passé par K.I. et par le requérant, ainsi que le procès-verbal de confrontation entre la personne lésée et l’inculpé (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour en déduit que la déposition du témoin K.I. n’a été ni le fondement unique ni l’élément déterminant pour décider la condamnation du requérant. Elle note toutefois que, devant le parquet, le témoin K.I. avait déclaré qu’il avait vu le requérant penché sur la victime et que celle-ci présentait des traces de violences (paragraphe 6 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est prête à admettre que, sans forcément constituer le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la déposition de K.I. revêtait un poids certain et que son administration a causé des difficultés à la défense (voir, mutatis mutandis, Valdhuter c. Roumanie, no 70792/10, § 49, 27 juin 2017).

80. La Cour doit ensuite examiner s’il existait des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense par l’impossibilité de contre-interroger K.I. À cet égard, elle prend note de l’argument du requérant selon lequel ni lui ni son avocat n’étaient présents lors des auditions de ce témoin au cours de l’enquête pénale (paragraphe 72 ci-dessus). Cela étant, elle observe que le requérant a demandé la soumission du témoin K.I. à un test du détecteur de mensonges, ainsi qu’à des confrontations avec d’autres témoins, dont son père, et que ses demandes ont été accueillies pendant l’enquête pénale (paragraphe 6 ci‑dessus). Elle en déduit que, même s’il n’était pas présent au moment des auditions du témoin, le requérant a pu avoir connaissance de la teneur des déclarations de K.I. et qu’il s’est vu offrir une occasion de mettre en cause la crédibilité de celui-ci par un moyen tel que le test du détecteur de mensonges.

81.  La Cour relève aussi que, si les juridictions internes n’ont pas entendu le témoin K.I., le tribunal a procédé à la lecture en audience publique des déclarations que celui-ci avait faites pendant l’enquête (paragraphe 12 ci-dessus). Elle estime qu’il s’agit d’un élément à prendre également en considération.

82.  La Cour observe de plus que les juridictions internes ont procédé à un examen rigoureux des éléments de preuve (paragraphes 14, 15 et 22 ci‑dessus). Le tribunal a notamment procédé à une analyse équilibrée de tous les éléments de preuve, a examiné leur valeur probante avec soin et a jugé que les faits étaient établis par l’ensemble des éléments de preuve, corroborés les uns par les autres (paragraphes 14 et 15 ci-dessus). En outre, le tribunal a donné des réponses détaillées à tous les arguments présentés par le requérant en sa défense et il a écarté les éléments de preuve proposés par celui-ci de manière motivée (paragraphe 15 ci-dessus)

83.  La Cour observe par ailleurs que le requérant n’a pas allégué s’être trouvé dans l’impossibilité de proposer d’autres éléments de preuve pour sa défense. En réalité, l’intéressé a eu la possibilité de donner sa propre version des faits et de mettre en doute la crédibilité du témoin absent K.I., en particulier en soulignant toute incohérence ou contradiction (Schatschaschwili, précité, § 131).

84.  La Cour constate donc que le requérant a pu bénéficier d’un nombre important d’éléments compensateurs.

85.  Pour conclure, la Cour note qu’il n’a pas été valablement démontré que l’absence du témoin K.I. était justifiée par un motif sérieux (paragraphe 78 ci-dessus). Elle rappelle que, même si cela constitue un élément de poids pour apprécier l’équité globale du procès, un défaut d’observation de la première étape du critère Al-Khawaja et Tahery, plus précisément l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin, n’est pas en soi décisif (voir la jurisprudence citée au paragraphe 76 ci-dessus, ainsi que, mutatis mutandis, Ben Moumen c. Italie, no 3977/13, § 52, 23 juin 2016, et Virgil Dan Vasile c. Roumanie, no 35517/11, § 67, 15 mai 2018). S’agissant des deux autres étapes du critère, il convient d’avoir égard aux éléments compensateurs présents en l’espèce (paragraphes 80- 84 ci-dessus), considérés dans leur globalité à la lumière de la conclusion de la Cour selon laquelle la déposition de K.I. n’a pas été déterminante pour la condamnation du requérant, mais a revêtu un poids certain à cette fin (paragraphe 79 ci-dessus). Compte tenu de la procédure prise dans son ensemble, la Cour estime que les éléments compensateurs dont a bénéficié le requérant étaient suffisants et de nature à contrebalancer les difficultés rencontrées par la défense.

86.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

PAPADOPOULOS c. GRÈCE du requête n° 78085/12

Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 (d) • Interrogation des témoins • Condamnation pour abus sexuels sur enfant de moins de dix ans • Admission comme preuve à charge d’une déposition de l’enfant devant le juge instructeur sans enregistrement audiovisuel ni présence d’un expert • Éléments compensateurs suffisants, dont la possibilité non utilisée de demander une audition complémentaire de l’enfant avec ces garanties offertes par la législation nouvelle • Équité globale préservée.

a)      Principes généraux

33.  La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux précédents, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101 et 161‑165, CEDH 2015, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 94 et 211‑216, 23 mars 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250, 274, 280‑294 et 301‑311, 13 septembre 2016, et Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, §§ 118, 120 et 160‑168, 4 avril 2018).

34.  Pour apprécier l’équité globale d’une procédure, la Cour prend en compte les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 qui représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition. En l’espèce, elle examinera donc le grief que le requérant tire de l’article 6 § 3 d) sous l’angle de ces deux dispositions combinées (voir Schatschaschwili, précité, § 100, Blokhin, précité, § 194, et Ibrahim et autres, précité, § 251).

35.  La Cour tient également compte des particularités des procédures pénales portant sur des infractions à caractère sexuel. Ce type de procédure est souvent vécu comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré à l’accusé. Ces aspects prennent d’autant plus de relief dans une affaire impliquant un mineur. Pour apprécier si un accusé a bénéficié ou non d’un procès équitable au cours d’une telle procédure, il faut tenir compte du droit de la victime présumée au respect de sa vie privée. Par conséquent, la Cour admet que dans le cadre de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, pourvu que ces mesures puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (S.N. c. Suède, no 34209/96, § 47, CEDH 2002-V, Bocos-Cuesta c. Pays-Bas, no 54789/00, § 69, 10 novembre 2005, Aigner c. Autriche, no 28328/03, § 37, 10 mai 2012).

36. Les principes généraux qui régissent l’examen de l’incidence sur l’équité globale du recours à des techniques spéciales d’investigation ont été rappelés dans l’arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, §§ 62-68, 23 mai 2017).

b)     Application au cas d’espèce

37.  La Cour note d’emblée qu’à la date à laquelle le fils du requérant a fait sa déposition devant le juge d’instruction l’article 226A du code de procédure pénale, qui prévoit une procédure spécifique pour les témoins mineurs et victimes d’abus sexuels, n’était pas encore entré en vigueur. La déposition en question a été recueillie conformément aux exigences des articles 221, 226 et 364 du même code, qui disposaient que les mineurs déposaient sans prêter serment et que les questions du juge d’instruction et les réponses du mineur étaient transcrites mot pour mot dans le procès-verbal d’audition, qui était ensuite lu à l’audience. En outre, l’article 183 du même code permettait à l’intéressé de demander, à toute étape de la procédure, la désignation d’un expert/pédopsychiatre pour qu’il examinât son fils. Par ailleurs, la Cour de cassation a rejeté le moyen tiré par le requérant d’une nullité de la lecture de la déposition en précisant que les dispositions de l’article 226A du code de procédure pénale ne pouvaient s’appliquer qu’à des dépositions qui avaient été faites postérieurement à l’entrée en vigueur de cet article, ce qui n’était pas le cas de la déposition en cause.

38.  La Cour rappelle qu’elle doit aussi examiner s’il y avait en l’espèce d’éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission des preuves déterminantes émanant des témoins absents. Les éléments suivants sont pertinents à cet égard : la façon dont le tribunal du fond a abordé les preuves non vérifiées, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, et les mesures procédurales prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement les deux témoins au procès (Schatschaschwili, précité, § 145).

La Cour relève à cet égard que la déposition de l’enfant faite le 13 juillet 2007 n’était pas le seul élément sur lequel les juridictions internes se sont fondées pour condamner le requérant. Dans son arrêt du 6 avril 2011, la cour d’appel, statuant comme juridiction de première instance, s’est fondée aussi sur les diverses dépositions des témoins qui déposèrent devant elle, les documents lus pendant l’audience, les plaidoiries des avocats de la défense, le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance et l’arrêt no 4725/2007 de la cour d’appel qui avaient modifié le droit de visite du père en interdisant que l’enfant passe la nuit chez son père, ainsi que le constat selon lequel l’ex-épouse du requérant n’était motivée par aucun sentiment de vengeance à l’égard de ce dernier. En outre, dans son arrêt du 19 décembre 2011, la cour d’appel, dans sa formation de juridiction d’appel, s’est fondée, pour confirmer la condamnation du requérant, sur la clarté de la déposition de l’enfant devant le juge instructeur et l’absence de toute contradiction dans celle-ci, sur un rapport social établi par une assistante sociale qui avait examiné l’enfant, et sur le jugement no 1629/2005 du tribunal de première instance.

39.  Par ailleurs, la Cour relève qu’en appel, si la cour d’appel en formation de cinq juges a estimé ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour condamner Th. G., elle a confirmé la condamnation du requérant. Elle note également que l’article 226A était entré en vigueur alors que les procédures de première instance et d’appel étaient encore pendantes et que son paragraphe 5 donnait la possibilité au requérant de demander une audition complémentaire de son fils à l’aide de moyens audiovisuels, ce qui n’était pas prévu à la date de la déposition en question. Quoi qu’il en soit, le requérant n’en a pas fait la demande.

40.  Les éléments qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que l’équité globale de la procédure dirigée contre le requérant a été assurée. Le requérant a notamment bénéficié de certains éléments compensateurs qui ont été de nature à lui permettre d’exercer de manière adéquate et effective ses droits de la défense.

41.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

Grande Chambre Murtazaliyeva c. Russie du 18 décembre 2018 requête n° 36658/05

Article 6-3 : Non-violation du droit à un procès équitable d’une femme condamnée pour des faits de terrorisme

La requérante se plaignait de sa condamnation pour des faits de terrorisme et soutenait que son procès n’avait pas été équitable car elle n’avait pas eu la possibilité de bien visionner une vidéo de surveillance policière projetée au prétoire ni d’interroger trois témoins à décharge que les juridictions internes avaient refusé de citer à comparaître.

La Cour estime qu’il n’a pas été possible de déterminer en quoi la requérante avait été empêchée de visionner la vidéo mais que cela n’a en tout état de cause eu aucune conséquence sur l’équité du procès puisque le but poursuivi par le visionnage était de vérifier l’exactitude de la transcription de l’enregistrement projeté et qu’il suffisait pour cela d’en écouter la bande audio.

Après avoir révisé sa jurisprudence sur la convocation et l’interrogation de témoins à décharge, la Cour juge en particulier que la défense n’a pas précisé en quoi les dépositions de ces témoins auraient renforcé sa position, que les juridictions internes ont suffisamment motivé leurs décisions et que l’absence d’audition de ces deux témoins au procès n’a pas nui à l’équité globale du procès. Enfin, la Cour, à la majorité, déclare irrecevable pour défaut de fondement un grief fondé sur l’article 6 §§ 1 et 3 d) concernant le défaut de comparution d’un autre témoin, un policier. La Cour conclut que la requérante a effectivement renoncé à son droit de l’interroger.

LA REQUERANTE EST CONSIDEREE COMME UNE TERRORISTE TCHETCHENE

En février 2004, Mme Murtazaliyeva emménagea dans un appartement grâce à l’aide de A., un policier lui aussi d’origine tchétchène dont elle avait fait la connaissance. Cet appartement, qu’elle partageait avec deux autres femmes, était situé dans un immeuble dortoir qui appartenait à la police. Il était doté de dispositifs cachés d’enregistrement vidéo et audio. La requérante avait été placée sous surveillance policière en vertu d’une décision judiciaire car elle était soupçonnée d’être en lien avec le mouvement d’insurrection tchétchène.

En mars de la même année, elle fut interpellée dans la rue par la police aux fins d’un contrôle d’identité et conduite dans un poste de police. Son sac fut fouillé et deux paquets contenant de l’explosif y furent découverts. Deux témoins instrumentaires, B. et K., assistèrent à la fouille. Mme Murtazaliyeva fut placée en état d’arrestation et une enquête pénale fut ouverte. L’intéressée rejeta toutes les accusations portées contre elle. La police perquisitionna son appartement et saisit plusieurs éléments qui démontraient, selon les policiers, que l’intéressée était en train de préparer un attentat dans un centre commercial. Une transcription des vidéos enregistrées dans l’appartement montrait qu’elle faisait du prosélytisme en faveur de l’islam auprès de ses deux colocataires et parlait de sa haine envers les Russes. En janvier 2005, Mme Murtazaliyeva fut reconnue coupable de préparation d’un acte terroriste à l’explosif, d’incitation – envers ses deux colocataires – à perpétrer un acte de terrorisme et de port d’explosifs. Elle fut condamnée à neuf ans d’emprisonnement. Sa condamnation reposait sur les dépositions de témoins à charge, dont ses deux colocataires, sur des pièces saisies dans son appartement (une note à caractère extrémiste et des photographies), sur des expertises de la police scientifique ainsi que sur les transcriptions des vidéos de surveillance enregistrées par la police. Mme Murtazaliyeva fit appel de sa condamnation. Elle argua, entre autres, que pour des raisons techniques elle n’avait pas pu signaler les incohérences existant entre les transcriptions et les enregistrements de conversations sur les vidéocassettes. Elle se plaignit également du rejet de deux de ses demandes de convocation de témoins : la première concernait le témoin A. qui, dans sa déposition préliminaire, avait déclaré avoir établi une relation avec l’intéressée sur ordre de ses supérieurs, et la deuxième avait pour objet l’interrogation des deux témoins instrumentaires, B. et K., qui avaient assisté à la fouille de son sac par la police. En mars 2005, la Cour suprême confirma sa condamnation et réduisit à huit ans et six mois la peine d’emprisonnement prononcée. Elle observa notamment qu’aucune objection n’avait été formulée devant le tribunal quant à la qualité des enregistrements ou quant aux modalités de leur projection. Elle estima que l’audition de A. n’avait pas été possible du fait de son absence pour mission professionnelle et constata qu’il avait été donné lecture de sa déposition préliminaire avec le consentement de la défense. Elle jugea enfin que la comparution des deux témoins instrumentaires n’était pas nécessaire puisque Mme Murtazaliyeva avait plaidé que les explosifs avaient été placés dans son sac avant leur arrivée.

CEDH

ARTICLE 6-1 SUR LA VIDÉO MAL VUE PAR L'ACCUSÉE A L'AUDIENCE

C. L’objet du litige devant la Grande Chambre

88. La Cour rappelle d’emblée que le contenu et l’objet de l’affaire renvoyée devant la Grande Chambre sont délimités par la décision de la chambre sur la recevabilité.Ainsi, la Grande Chambre ne peut se pencher sur l’affaire que dans la mesure où celle-ci a été déclarée recevable ; elle ne peut pas examiner les parties de la requête qui ont été déclarées irrecevables (voir, par exemple, Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 78, 21 juin 2016). Le grief en question a été déclaré recevable même s’il ne figurait pas dans la demande de renvoi formée par la requérante.

89. La Grande Chambre a donc compétence pour déterminer si la requérante, comme elle l’affirme, n’a pas pu effectivement assister à la projection de la vidéocassette à l’audience et si, dans l’affirmative, l’équité globale de son procès pénal s’en est trouvée atteinte, en violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention.

D. L’appréciation de la Cour

90. Les exigences de l’article 6 § 3 représentant des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour examinera le grief sous l’angle de ces deux dispositions combinées (Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 113, 12 mai 2017, voir aussi Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 43, série A no 238, et Vacher c. France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI).

91. Elle rappelle que l’article 6, lu comme un tout, reconnaît à l’accusé le droit d’être effectivement associé à son procès, ce qui inclut, entre autres, le droit non seulement d’y assister, mais aussi d’entendre et suivre les débats (Stanford c. Royaume-Uni, 23 février 1994, § 26, série A no 282-A). Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie, ainsi que de les commenter. La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Zahirović c. Croatie, no 58590/11, § 42, 25 avril 2013, et la jurisprudence y citée). Les facilités dont doit bénéficier tout accusé incluent la possibilité, afin de préparer sa défense, de prendre connaissance du résultat des investigations conduites tout au long de la procédure (C.G.P. c. Pays-Bas (déc.), no 29835/96, 15 janvier 1997, Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 84, 15 novembre 2007, Ibrahimov et autres c. Azerbaïdjan, nos 69234/11 et 2 autres, § 95, 11 février 2016, et la jurisprudence y citée).

92. Au vu des éléments du dossier, des arguments formulés par les parties et des principes exposés ci-dessus, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter des conclusions de la chambre.

93. Elle observe qu’une seule vidéo de surveillance a été projetée à l’audience, à la demande de la défense qui souhaitait visionner cette cassette précise de manière à vérifier l’exactitude de la transcription (paragraphe 50 ci-dessus). À aucun moment la défense n’a demandé à visionner les autres vidéocassettes dont il est incontesté qu’elles auraient pu être projetées au prétoire si l’une des parties en avait fait la demande. En outre, les transcriptions des conversations tirées de ces enregistrements ont été versées au dossier pénal et pouvaient être examinées.

94. Quant aux difficultés techniques que, selon ce qui était allégué en appel, la projection de la vidéocassette avait connues (paragraphe 63 ci‑dessus), la requérante n’a précisé ni devant les tribunaux internes ni devant la Cour en quoi elles consistaient. Par ailleurs, ni le procès-verbal d’audience ni les autres pièces du dossier n’indiquent qu’elle se serait plainte de la qualité de la bande audio de l’enregistrement. Aucune « conséquence » quant à un manque d’équité de la procédure ne peut être tirée du seul défaut de production par le Gouvernement des schémas du prétoire et du système de projection vidéo, que dénonce la requérante.

95. La Cour est convaincue que la requérante a pu effectivement assister à la projection de la vidéo dans des conditions qui lui ont permis de satisfaire ses besoins contentieux, à savoir vérifier l’exactitude de la transcription en la comparant à la bande audio de l’enregistrement. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention à cet égard.

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION RELATIVEMENT AU TÉMOIN A.

96. La requérante soutient qu’elle n’a pas pu faire comparaître et interroger le témoin A. à l’audience et que l’équité globale de son procès pénal s’en est trouvée atteinte.

114. La Cour note que le Gouvernement plaide que la requérante a renoncé à son droit d’interroger le témoin A. à l’audience. Elle considère qu’il faut voir dans cette thèse une exception préliminaire d’irrecevabilité du grief tiré de l’absence de ce témoin (voir, à cet égard, Palchik c. Ukraine, no 16980/06, §§ 36-38, 2 mars 2017, et Giurgiu c. Roumanie (déc.), no 26239/09, § 99, 3 octobre 2017).

115. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 4 in fine de la Convention, elle peut « rejet[er] toute requête qu’elle considère comme irrecevable (...) à tout stade de la procédure ». Dès lors, même au stade de l’examen au fond, sous réserve de ce que prévoit l’article 55 du règlement, la Grande Chambre peut revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable lorsqu’elle constate que celle-ci aurait dû être jugée irrecevable pour une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de l’article 35 de la Convention (Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 97, 19 septembre 2017, renvoyant à l’arrêt Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 56, 25 mars 2014, et la jurisprudence y citée).

116. La thèse avancée par le Gouvernement dans ses observations devant la chambre et la Grande Chambre est qu’en consentant à la lecture à l’audience de la déposition préliminaire de A., la requérante et ses avocats ont clairement et explicitement renoncé à leur droit de faire comparaître et interroger ce témoin.

117. Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable. Toutefois, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et doit être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. Elle n’a pas besoin d’être explicite mais elle doit être volontaire, consciente et éclairée. Avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement. De plus, cette renonciation ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Simeonovi, précité, § 115 et la jurisprudence y citée).

118. Il s’ensuit que la renonciation au droit d’interroger un témoin, qui figure parmi les droits fondamentaux énumérés à l’article 6 § 3 constitutifs de la notion de procès équitable, doit être strictement conforme aux exigences exposées ci-dessus.

119. En l’espèce, la Cour observe que, à l’audience du 13 janvier 2005, la requérante, assistée de ses avocats, a accepté qu’il soit donné lecture de la déposition préliminaire du témoin A. (paragraphe 52 ci-dessus). Il convient de relever que la requérante n’a ni contesté l’exactitude des procès-verbaux d’audience pertinents ni soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de conseils éclairés en la matière.

120. La Cour rappelle par ailleurs que dans plusieurs affaires antérieures portant sur des situations analogues, elle avait pris en considération divers éléments factuels et juridiques avant de conclure que les requérants avaient renoncé (voir, par exemple, Khametshin c. Russie, no 18487/03, § 41, 4 mars 2010, Poletan et Azirovik c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 26711/07 et 2 autres, § 87, 12 mai 2016, et Palchik, précité, § 36) ou non à leur droit d’interroger un témoin (voir, par exemple, Bocos‑Cuesta c. Pays-Bas, no 54789/00, § 66, 10 novembre 2005, Makeïev c. Russie, no 13769/04, § 37, 5 février 2009, et Gabrielyan c. Arménie, no 8088/05, § 85, 10 avril 2012).

121. La Cour doit maintenant rechercher si, au vu des circonstances de l’espèce, la requérante a renoncé à son droit d’interroger le témoin A. Elle note d’emblée que rien dans le dossier n’indique que les actions de la requérante n’aient pas été volontaires ni qu’elles se soient heurtées à un intérêt public important.

122. Il ressort du procès-verbal d’audience que la défense a consenti de manière non équivoque à la lecture de la déposition préliminaire de A. Le dernier jour de l’examen des éléments de preuve, Me S. a prié le tribunal de convoquer le témoin A. La présidente ayant ensuite informé les parties que ce témoin ne pouvait comparaître, la procureure a demandé la lecture à l’audience de la déposition préliminaire de A. Me U. ne s’y est pas opposée et Me S. l’a explicitement accepté (paragraphe 52 ci-dessus).

123. Avant de clore l’examen des éléments de preuve, la présidente a demandé ensuite aux parties si elles étaient prêtes à s’en tenir là en l’absence des témoins qui n’avaient pas comparu. La requérante n’a fait aucune objection et, en particulier, elle n’a pas réitéré sa demande tendant à l’audition du témoin A. (paragraphes 52-55 ci-dessus).

124. Or, le code de procédure pénale russe permettait à la requérante de s’opposer à la lecture de cette déposition, même sans en donner la raison. Si elle s’y était opposée en insistant pour que A. soit convoqué, le tribunal n’aurait pu donner lecture de la déposition préliminaire de ce témoin que dans les conditions particulières énumérées à l’article 281 § 2 du code de procédure pénale (paragraphe 71 ci-dessus). Au cas où ces conditions n’auraient pas été remplies, il aurait alors été possible d’ajourner l’audience et de convoquer une nouvelle fois le témoin A.

125. Devant la juridiction de jugement, la requérante était représentée par deux avocats professionnels de son choix. Aucun élément n’indique qu’ils ignoraient les conséquences de leur consentement à la lecture de la déposition de A., à savoir qu’ils perdraient ainsi la possibilité de faire entendre le témoin à l’audience et que le tribunal prendrait cette déposition en considération lorsqu’il se prononcerait sur les charges retenues contre la requérante.

126. Par ailleurs, rien dans le droit applicable ou dans la pratique judiciaire n’interdisait à la défense de déposer d’autres demandes tendant à la comparution de A. au cours de la procédure d’appel. Or, la requérante, toujours assistée de deux avocats, n’a pas non plus choisi d’user de cette possibilité. Il convient également d’observer qu’à aucun moment de la procédure, devant les juridictions internes comme devant la Cour, elle n’a qualifié d’inadéquates les prestations de ses avocats.

127. Les éléments ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que, en acceptant la lecture de la déposition préliminaire du témoin A. à l’audience et en ne réitérant pas sa demande tendant à faire citer ce dernier, la requérante a renoncé à son droit de l’interroger (Palchik, précité, § 36). Cette renonciation était entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. À cet égard, la Cour rappelle que la requérante était assistée de deux avocats et que la présidente lui a explicitement demandé si elle était prête à s’en tenir là en l’absence de ce témoin, ce à quoi la défense ne s’est pas opposée. Elle relève également que la requérante aurait pu commenter la déposition de A. mais qu’elle n’a formulé aucune objection matérielle au contenu de celle-ci (paragraphe 52 ci‑dessus). Par ailleurs, elle considère que l’affaire ne soulevait aucune question d’intérêt public s’opposant à la renonciation aux garanties de procédure susmentionnées (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 79, CEDH 2006‑XII). Rien ne permet de douter que la renonciation de la requérante à son droit était consciente et éclairée ni que celle-ci, assistée de ses deux avocats, aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement (Khametshin, précité, § 41, et Palchik, précité, § 36 ; a contrario, Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, §§ 91‑92, 2 novembre 2010).

128. En conséquence, la Cour accueille l’exception préliminaire du Gouvernement et rejette, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré par la requérante de l’absence du témoin A. à l’audience, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION RELATIVEMENT AUX TÉMOINS B. ET K.

129. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, la requérante soutient qu’elle n’a pas pu faire comparaître et entendre à l’audience les deux témoins instrumentaires B. et K. et que l’équité globale de son procès pénal s’en est trouvée atteinte.

136. La Cour observe que la législation régissant la procédure pénale russe contient des dispositions distinctes concernant les témoins matériels (свидетели) et les témoins instrumentaires (понятые) et elle emploie des termes différents pour les distinguer. Les témoins instrumentaires sont invités par un enquêteur à assister au déroulement d’une mesure d’instruction en qualité d’observateurs neutres. Ils ne sont considérés ni comme des témoins à charge ni comme des témoins à décharge parce que, à l’inverse des témoins matériels, ils ne sont pas censés avoir une quelconque connaissance de l’affaire et qu’ils ne témoignent pas au sujet des circonstances de celle-ci, ou de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Leur absence au procès pénal n’est contraire aux garanties de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention que pour autant que la déposition qu’ils pourraient livrer se limite au déroulement des mesures d’enquête et constitue, pour l’essentiel, un élément de preuve redondant (Shumeyev et autres, précité, § 37).

137. Il convient toutefois d’observer que les principes exposés ci-dessus se sont dégagés s’agissant de dépositions de témoins instrumentaires produites par l’accusation.

138. En l’espèce, c’est la défense qui entendait utiliser les déclarations des témoins instrumentaires B. et K. à l’appui de sa thèse selon laquelle les explosifs avaient été placés dans le sac à main de la requérante avant sa fouille. De ce point de vue, B. et K. n’auraient pas simplement témoigné sur les modalités de la fouille et sur les informations ensuite consignées dans les procès-verbaux de la police. Ils doivent donc être considérés comme des « témoins à décharge » au sens de l’article 6 § 3 d) de la Convention.

1. Principes généraux établis dans la jurisprudence en matière d’audition des témoins à décharge

139. La Cour rappelle que, sur le terrain de l’article 6 de la Convention, les règles d’admissibilité des preuves relèvent en premier chef du droit interne et que sa mission consiste non pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux autres précédents, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 50, Recueil 1997-III, et Perna, précité, § 29). L’article 6 § 3 d) de la Convention n’impose pas la comparution et l’interrogation de tout témoin à décharge, le but essentiel de cette disposition, comme l’indique l’expression « dans les mêmes conditions », étant de garantir une pleine « égalité des armes » en la matière (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 91, série A no 22, et Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235-B).

140. Dans l’arrêt rendu en l’affaire Perna (précité, § 29), abondamment cité par les parties et par la chambre, la Cour a exposé les principes applicables à la convocation et à l’interrogation des témoins à décharge. Premièrement, il revient en principe aux juridictions internes d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production. L’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité de citer tel ou tel témoin à comparaître. Deuxièmement, il ne suffit pas à l’accusé de se plaindre de ne pas avoir pu interroger certains témoins ; encore faut-il qu’il étaye sa demande d’audition de témoins en en précisant l’importance et que cette audition soit nécessaire à la manifestation de la vérité.

141. Le critère de l’arrêt Perna consiste essentiellement à se poser deux questions : premièrement, le requérant a-t-il étayé sa demande d’audition de témoin en en précisant l’importance aux fins de la « manifestation de la vérité » ? Deuxièmement, le refus par les juridictions internes d’auditionner le témoin a-t-il nui à l’équité globale du procès ? (Perna, précité, §§ 29, 32).

142. Il est utile d’examiner l’évolution du critère retenu par l’arrêt Perna dans la jurisprudence ultérieure et les difficultés nées de son application concrète.

143. La Cour a précisé à plusieurs reprises que l’audition d’un témoin à décharge, lorsqu’elle permet raisonnablement de confirmer l’alibi de l’accusé, est a priori considérée comme pertinente (voir, par exemple, Polyakov c. Russie, no 77018/01, § 34, 29 janvier 2009). Au contraire, dans une affaire où cette mesure était sollicitée afin d’établir des éléments sans objet au regard de l’accusation et n’était pas à même de prouver l’innocence de l’accusé, elle a jugé que l’absence du témoin n’avait pas compromis l’équité du procès pénal (Tymchenko c. Ukraine, no 47351/06, § 92, 13 octobre 2016). La Cour a également souligné que le juge national n’est pas tenu de donner suite aux demandes manifestement abusives d’audition de témoins à décharge (Dorokhov c. Russie, no 66802/01, § 72, 14 février 2008).

144. Le requérant satisfait aux exigences de l’article 6 § 3 d) s’il présente une demande suffisamment motivée, pertinente au regard de l’objet de l’accusation et raisonnablement susceptible de renforcer la position de la défense ou de conduire à l’acquittement (Dorokhov, précité, §§ 67-72, et Polyakov, précité, § 34). Il doit expliquer de manière suffisamment claire au juge interne en quoi l’audition d’un témoin donné s’impose (Miminoshvili c. Russie, no 20197/03, § 122, 28 juin 2011).

145. La valeur de la déposition d’un témoin à décharge s’apprécie à l’aune de sa capacité à influer sur l’issue d’un procès. Par exemple, il ne sera peut-être pas nécessaire de citer un témoin dont la déposition pourrait permettre d’étayer la thèse de l’accusé selon laquelle ses aveux lui avaient été extorqués au moyen d’un mauvais traitement si ceux-ci n’ont pas joué un rôle crucial dans le verdict de culpabilité (Tarasov c. Ukraine, no 17416/03, § 105, 31 octobre 2013). Dès lors que les autorités nationales elles-mêmes reconnaissent la pertinence de la déposition d’un témoin à décharge, par exemple en la citant dans l’acte d’accusation ou en faisant droit à plusieurs reprises à la demande tendant à la comparution de ce témoin, et que ce dernier n’est finalement pas convoqué pendant la suite de l’instance, la défense n’aura alors peut-être pas, devant le juge interne, à justifier cette audition par d’autres raisons (Pello c. Estonie, no 11423/03, § 33, 12 avril 2007).

146. Les juridictions internes ne peuvent rejeter que pour des raisons pertinentes la demande de la défense tendant à l’audition d’un témoin dont la déposition permettrait objectivement de renforcer la position de l’accusé voire de conduire à son acquittement, (Topić c. Croatie, no 51355/10, § 42, 10 octobre 2013). Il pourrait en pareil cas leur suffire de se référer à d’autres éléments de l’affaire indiquant pourquoi le témoin ne serait pas à même de fournir des informations nouvelles ou importantes (Sergey Afanasyev c. Ukraine, no 48057/06, § 70, 15 novembre 2012, et Janyr c. République tchèque, no 42937/08, §§ 81-82, 31 octobre 2013).

147. Aux yeux de la Cour, que les autorités internes aient accepté de faire entendre un témoin à décharge à un certain moment de l’instruction ou du procès et ne l’aient pas auditionné ultérieurement est un élément certes pertinent, mais non décisif à lui seul (comparer avec Popov c. Russie, no 26853/04, § 188, 13 juillet 2006, où l’absence du témoin a conduit à une violation de l’article 6 de la Convention, et Andrey Zakharov c. Ukraine, no 26581/06, §§ 61-62, 7 janvier 2016, où tel n’a pas été le cas). Toutefois, dès lors qu’il a admis, au moins en principe, que l’audition d’un certain témoin à décharge serait pertinente, le juge interne est tenu de prendre des mesures « effectives » aux fins d’assurer la comparution de ce témoin au procès, en lui adressant à tout le moins une citation (Polufakin et Chernyshev c. Russie, no 30997/02, § 207, 25 septembre 2008) ou en ordonnant à la police de le faire comparaître de force (Pello, précité, § 34).

148. Seules des circonstances exceptionnelles pourront amener la Cour à conclure que le défaut d’audition d’un témoin était incompatible avec l’article 6 de la Convention (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158). Le rejet non motivé d’une demande ou le « silence » du juge interne saisi d’une demande suffisamment motivée et pertinente tendant à la convocation d’un témoin à décharge ne conduira pas forcément à un constat de violation de l’article 6 (Dorokhov, précité, §§ 74‑75). L’équité globale du procès étant un principe primordial sur le terrain de l’article 6, le requérant doit démontrer non seulement que le témoin à décharge en question n’a pas été entendu, mais aussi que la convocation de celui-ci était nécessaire à la manifestation de la vérité et que le refus de l’interroger a nui aux droits de la défense (Guilloury c. France, no 62236/00, § 55, 22 juin 2006, et la jurisprudence y citée).

149. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010). Lorsqu’elle statue sur l’équité d’un procès, la Cour n’agit pas comme une juridiction de quatrième instance se prononçant sur la conformité au droit interne de l’obtention des éléments de preuve, sur leur admissibilité ou sur la culpabilité d’un requérant (voir, mutatis mutandis, Gäfgen, précité, § 162, Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 42, 22 novembre 2012, et Nikolitsas c. Grèce, no 63117/09, § 30, 3 juillet 2014). Selon le principe de subsidiarité, ces questions relèvent de la compétence des juridictions internes. Il ne revient pas à la Cour de statuer sur le point de savoir si les preuves produites sont suffisantes pour fonder la condamnation d’un requérant et de substituer ainsi sa propre appréciation des faits et des preuves à celle des juridictions internes. La seule tâche de la Cour consiste à déterminer si la procédure a été équitable et si, dans un litige déterminé, elle a été compatible avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010, et Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118).

2. Clarification des principes généraux

150. Dans ses observations devant la Grande Chambre, la requérante invite la Cour à revenir sur le critère établi dans l’arrêt Perna parce que, selon elle, les principes qui y sont formulés sont « mécaniques », ne prévoient aucun élément matériel et font peser une charge excessive sur la défense. Elle dit que les règles de droit international en matière d’audition de témoins ont évolué bien au-delà du critère établi dans l’arrêt Perna en ce qu’elles auraient allégé la charge pesant sur la défense de prouver la nécessité de l’audition d’un témoin et mettraient davantage l’accent sur l’examen, par la juridiction de jugement, des raisons de l’absence d’un témoin et des conséquences de celle-ci sur l’équité globale de la procédure. À l’appui de sa thèse, la requérante cite notamment la pratique de la Chambre d’appel du TPIY et celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (paragraphe 104 ci-dessus).

151. Après avoir attentivement examiné la pratique susmentionnée des autres juridictions internationales, la Cour ne discerne aucun élément susceptible d’étayer la thèse de la requérante. Au contraire, la jurisprudence de la Chambre d’appel du TPIY et celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme montrent que les principes généraux retenus par ces juridictions internationales aux fins de l’appréciation de l’équité globale du procès pénal sont comparables, voire identiques, à ceux établis par la Cour. Elle relève également que ces juridictions ont formulé leurs propres principes en s’appuyant abondamment sur sa jurisprudence (paragraphes 75 et 81 ci-dessus).

152. Cela étant, la Cour juge utile en l’espèce de clarifier les principes généraux régissant l’audition des témoins à décharge tels qu’ils sont formulés dans sa jurisprudence relative à l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

153. Le critère de l’arrêt Perna consiste à se poser deux questions : premièrement, le requérant a-t-il étayé sa demande d’audition de témoin en en précisant l’importance aux fins de la « manifestation de la vérité » ? Deuxièmement, le refus par les juridictions internes d’auditionner le témoin a-t-il nui à l’équité globale du procès ? (paragraphe 141 ci‑dessus).

154. Un examen attentif de la jurisprudence permet de voir toutefois que si la Cour suit généralement l’approche exposée ci-dessus, elle analyse aussi systématiquement la manière dont les juridictions internes se sont prononcées sur la demande d’audition de témoin en question. Dans la grande majorité des affaires antérieures et postérieures à l’arrêt Perna, la conduite et le processus décisionnel des juridictions ont fait l’objet d’un contrôle distinct et étaient des éléments de poids dans l’appréciation de la Cour (voir, entre autres, Bricmont, précité, § 89, Destrehem c. France, no 56651/00, §§ 41-45, 18 mai 2004, Asci c. Autriche (déc.), no 4483/02, 19 octobre 2006, Popov, précité, § 188, Polyakov, précité, § 35, Tarău c. Roumanie, no 3584/02, §§ 74-76, 24 février 2009, et Topić, précité, § 42). La minutie et la retenue dont la Cour fait preuve quand elle examine le raisonnement des juridictions internes sont conformes aux principes établis suivants : premièrement, celles-ci sont les mieux placées pour apprécier la pertinence et l’admissibilité des éléments de preuve et, deuxièmement, seules des circonstances exceptionnelles peuvent amener la Cour à conclure que le défaut d’audition d’une personne en qualité de témoin était incompatible avec l’article 6 de la Convention.

155. La question de savoir si les juridictions internes ont examiné la pertinence du témoignage en question et ont suffisamment motivé leur décision de ne pas auditionner le témoin est donc un élément indépendant et essentiel du critère retenu sur le terrain de l’article 6 § 3 d) de la Convention.

156. Il apparaît que l’appréciation judiciaire de la pertinence d’un témoignage et la motivation des juridictions internes dans leur réponse à la demande d’audition d’un témoin formulée par la défense sont le lien logique entre les deux éléments du critère de l’arrêt Perna et ont servi d’élément matériel implicite. Dans un souci de clarté et de cohérence de sa pratique, la Cour juge souhaitable d’en faire un élément explicite (voir, dans le même sens, Perez c. France [GC], no 47287/99, § 54-56, CEDH 2004‑I).

157. Une telle évolution apparaît conforme à la jurisprudence récente sur le terrain de l’article 6 de la Convention soulignant l’importance capitale de l’obligation faite aux tribunaux de se livrer à un examen minutieux des questions pertinentes dès lors que la défense en fait la demande de manière suffisamment motivée. Par exemple, dans l’arrêt de Grande Chambre en l’affaire Dvorski c. Croatie ([GC], no 25703/11, § 109, CEDH 2015), la Cour a estimé que lorsque les autorités internes sont saisies d’une contestation sur un point de droit susceptible d’influer sur l’équité globale du procès, elles doivent se livrer à un examen minutieux des questions s’y rapportant, prendre des mesures afin de faire la lumière sur les circonstances pertinentes et dûment motiver leurs décisions. De manière similaire, dans des affaires impliquant un agent provocateur, elle a dit que, dès lors qu’ils sont « saisis d’une allégation plausible, voire défendable », de guet-apens, les tribunaux « doivent tenir compte du point de savoir si le produit des achats tests était admissible en tant que preuve, et vérifier en particulier s’ils n’étaient pas entachés d’incitation » (Lagutin et autres c. Russie, nos 6228/09 et 4 autres, § 118, 24 avril 2014).

158. Dès lors que la demande d’audition de témoin à décharge est formulée conformément au droit interne, la Cour, eu égard aux considérations ci-dessus, retient le critère en trois branches qui suit :

1. La demande d’audition de témoin était-elle suffisamment motivée et pertinente au regard de l’objet de l’accusation ?

2. Les juridictions internes ont-elles examiné la pertinence que pouvait avoir la déposition et motivé par des raisons suffisantes leur décision de ne pas auditionner le témoin au procès ?

3. La décision des juridictions internes de ne pas auditionner le témoin a-t-elle nui à l’équité globale du procès ?

159. Si elle estime que la jurisprudence existante offre déjà une base solide aux fins de l’application de toutes les trois branches de ce critère, la Cour n’en juge pas moins bon d’apporter les indications qui suivent dans l’optique de l’examen des futures affaires.

a) La demande d’audition de témoin était-elle suffisamment motivée et pertinente au regard de l’objet de l’accusation ?

160. Pour ce qui est de la première branche, la Cour note qu’à l’aune du critère de l’arrêt Perna, la réponse apportée à la question de savoir si l’accusé a étayé sa demande d’audition de témoin à décharge dépend de la pertinence du témoignage aux fins de la « manifestation de la vérité ». Dans certaines affaires postérieures à l’arrêt Perna, la Cour a examiné si la déposition était pertinente aux fins de la « manifestation de la vérité », mais elle a recherché dans d’autres si la déposition était à même d’influer sur l’issue du procès (voir, par exemple, Tarasov, précité, § 105), de confirmer raisonnablement l’alibi de l’accusé (voir, par exemple, Polyakov, précité, § 34), de conduire objectivement à l’acquittement (Dorokhov, précité, § 72) ou de renforcer objectivement la position de la défense voire de permettre l’acquittement du requérant (Topić, précité, § 42). L’élément qui apparaît unir toutes les approches ci-dessus est la pertinence de la déposition au regard de l’objet de l’accusation et sa capacité à influer sur l’issue du procès. Au vu de l’évolution de sa jurisprudence relative à l’article 6 de la Convention, la Cour juge nécessaire de clarifier ce critère en englobant dans son champ d’application les demandes de la défense tendant à l’audition non seulement de témoins susceptibles d’influer sur l’issue du procès, mais aussi d’autres témoins dont on peut raisonnablement attendre qu’ils renforcent la position de la défense.

161. La pertinence d’une déposition est donc elle aussi déterminante pour ce qui est de savoir si le requérant a justifié par des « raisons suffisantes » sa demande d’audition de témoin, la qualité « suffisante » d’une motivation étant tributaire du rôle joué par le témoignage en question dans les circonstances de l’espèce (Pello, précité, § 33, qui retient dans une large mesure cette approche). Il est impossible d’apprécier dans l’abstrait si certaines raisons invoquées pour justifier l’audition d’un témoin peuvent être jugées suffisantes et pertinentes au regard de l’objet de l’accusation. Cette appréciation suppose nécessairement la prise en compte des circonstances de l’espèce, ce qui inclut les dispositions de droit interne applicables, le stade et l’état d’avancement de la procédure, les arguments et stratégies adoptés par les parties et leur comportement au cours de l’instance. Il est vrai que dans certains cas, la pertinence de la déposition d’un témoin à décharge pourrait être évidente au point qu’il suffirait que la défense ait avancé des motifs lacunaires pour répondre par l’affirmative à la première question tirée du critère (comparer avec Pello, précité, § 33).

b) Les juridictions internes ont-elles examiné la pertinence que pouvait avoir la déposition et motivé par des raisons suffisantes leur décision de ne pas auditionner le témoin au procès ?

162. La deuxième branche du critère impose aux juridictions internes d’examiner la pertinence de l’audition sollicitée par la défense et de motiver suffisamment leurs décisions sur ce point. Ces exigences sont bien établies dans la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, Popov, précité, § 188, et Topić, précité, § 42).

163. La Cour rappelle, d’une part, que l’admissibilité des preuves sous l’angle de l’article 6 de la Convention relève au premier chef des règles du droit interne et que les juridictions internes sont les mieux placées pour statuer sur ce point et, d’autre part, que l’article 6 § 3 d) de la Convention n’impose pas la comparution et l’interrogation de tout témoin à décharge mais vise à garantir l’« égalité des armes » en la matière. Dans ce cadre, il appartient aux juridictions internes, toujours au premier chef, d’examiner attentivement les questions pertinentes dès lors que la défense formule une demande suffisamment motivée tendant à l’audition d’un témoin.

164. Toute analyse de ce type suppose nécessairement la prise en compte des circonstances de l’espèce. Le raisonnement des juridictions doit correspondre aux motifs avancés par la défense, c’est-à-dire qu’il doit être aussi étoffé et détaillé qu’eux.

165. Étant donné que la Convention n’exige pas la convocation ou l’interrogation de tout témoin à décharge, les juridictions internes ne sont pas censées donner une réponse détaillée à chaque demande formulée en ce sens par la défense ; elles doivent toutefois motiver adéquatement leur décision (pour une logique similaire s’agissant de l’obligation faite aux juridictions internes de répondre aux moyens d’appel, Van de Hurk c. Pays‑Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288, et Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007).

166. En général, c’est de la pertinence de la déposition en question et du caractère suffisant des raisons avancées par la défense au vu des circonstances de l’espèce que dépendront la portée et la minutie de l’analyse à laquelle le juge interne devra se livrer pour apprécier la nécessité d’assurer la présence et l’audition du témoin. Dès lors, plus les arguments formulés par la défense seront solides et fondés, plus le juge interne devra opérer un contrôle minutieux et exposer un raisonnement convaincant s’il entend rejeter la demande de la défense tendant à l’audition d’un témoin.

c) La décision des juridictions internes de ne pas auditionner un témoin a‑t‑elle nui à l’équité globale du procès ?

167. La Cour juge indispensable, dans tous les cas de figure, d’examiner l’incidence d’un refus d’audition au procès d’un témoin à décharge sur l’équité de la procédure dans son ensemble (voir, dans des contextes différents, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250-252, 13 septembre 2016, Dvorski, précité, § 82, et Schatschaschwili, précité, § 101). Le respect des exigences du procès équitable s’apprécie au cas par cas, à l’aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l’examen isolé de tel ou tel point ou incident (Ibrahim et autres, précité, § 251).

168. Selon la Cour, préserver l’équité globale comme point de référence définitif dans l’analyse d’un procès permet d’empêcher que le critère en trois branches proposé ne devienne excessivement rigide et mécanique dans son application. Si les conclusions tirées au terme des deux premières branches seront généralement très révélatrices quant à savoir si la procédure a été équitable, il ne peut être exclu que dans certains cas, certes exceptionnels, des considérations d’équité pourront justifier une conclusion contraire.

3. Application de ces principes au cas d’espèce

a) La demande d’audition des témoins B. et K. était-elle suffisamment motivée et pertinente au regard de l’objet de l’accusation ?

169. Ainsi qu’il ressort du procès-verbal d’audience, les avocats de la requérante ont demandé au tribunal de convoquer B. et K. afin de faire la lumière sur les circonstances exactes de la fouille et ainsi d’établir si les explosifs avaient été placés sur la requérante. Pour sa part, cette dernière a déclaré « ne [pas tenir] absolument » à leur audition car elle soutenait que les explosifs avaient été placés par les policiers avant sa fouille. Elle s’est toutefois ralliée à la demande de ses avocats, qui estimaient nécessaire la comparution de B. et K. (paragraphe 52 ci-dessus).

170. Il convient de noter qu’au cours du procès, c’est l’accusation qui a interrogé de manière approfondie les policiers qui avaient participé à l’arrestation, à la fouille et à la prise des empreintes de la requérante (paragraphe 42 ci‑dessus). Tous ont déclaré que celle-ci avait gardé avec elle son sac à main jusqu’à sa fouille et que ses empreintes n’avaient été prises qu’une seule fois, après la fouille. Pour sa part, la défense est généralement restée passive pendant le contre-interrogatoire de ces témoins et elle ne leur a posé que deux questions visant à revenir de façon plus détaillée sur les événements exposés ci-dessus.

171. La Cour observe que la défense n’a donné guère plus qu’une brève indication de la pertinence des dépositions qu’auraient pu faire B. et K. Elle n’a toutefois formulé aucun argument de fait ou de droit particulier ni précisé en des termes concrets en quoi on aurait raisonnablement pu attendre que ces témoignages renforcent la position de la défense. Elle ne s’est pas non plus étendue sur ce sujet dans son appel (paragraphe 63 ci‑dessus). La requérante ayant elle-même affirmé que les explosifs avaient été placés avant l’arrivée des témoins instrumentaires (paragraphe 52 ci‑dessus), une motivation plus détaillée de la demande tendant à l’audition de ces témoins aurait été nécessaire.

b) Les juridictions internes ont-elles examiné la pertinence que pouvaient avoir les dépositions de B. et K. et motivé par des raisons suffisantes leur décision de ne pas auditionner ces témoins au procès ?

172. La Cour relève que le procès-verbal d’audience ne mentionne pas les raisons du rejet par le tribunal de la demande d’audition des témoins instrumentaires formulée par la défense (paragraphe 52 ci-dessus). La Cour suprême, siégeant en instance d’appel à la fois juge du fait et du droit, a toutefois considéré que la comparution personnelle de B. et K. n’avait pas été nécessaire puisque la requérante elle-même affirmait que les explosifs avaient été placés dans son sac avant sa fouille. Elle a par ailleurs relevé que la défense avait accepté d’en venir aux plaidoiries en conclusion et n’avait formulé aucune objection ni demande complémentaire concernant l’examen des éléments de preuve (paragraphe 67 ci-dessus).

173. Si les juridictions internes n’ont pas rejeté la demande de la requérante pour défaut de fondement ou de motivation, il apparaît clairement que, vu la manière dont la défense a plaidé et aux yeux de la juridiction de jugement, les dépositions que les témoins instrumentaires auraient pu faire n’étaient guère pertinentes au regard de l’objet de l’accusation.

174. Au vu de la passivité dont la défense a généralement fait preuve pendant l’interrogatoire des policiers quant aux circonstances du placement allégué des explosifs et de l’absence de tout argument précis de fait ou de droit quant à la nécessité d’interroger les témoins instrumentaires, la Cour conclut que la Cour suprême a suffisamment motivé sa décision de ne pas auditionner ces témoins au procès. Les motifs avancés étaient appropriés au regard des circonstances de l’espèce et correspondaient à la demande formulée par la défense, c’est-à-dire qu’ils étaient aussi étoffés et détaillés qu’elle.

c) La décision des juridictions internes de ne pas auditionner B. et K. a-t-elle nui à l’équité globale du procès ?

175. La Cour souligne que la requérante, assistée de deux avocats professionnels, a pu conduire effectivement sa défense, confronter et interroger les personnes qui avaient témoigné contre elle, commenter librement les pièces à charge, produire toute preuve qu’elle jugeait pertinente et exposer sa version des faits devant les juridictions internes. Sa condamnation pour préparation d’un acte de terrorisme et incitation au terrorisme reposait sur d’abondantes pièces à conviction, notamment les dépositions de nombreux témoins à charge, des pièces saisies dans son appartement (une note à caractère extrémiste et des photographies), des expertises de la police scientifique ainsi que les transcriptions des vidéos de surveillance enregistrées par la police.

176. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que la décision des juridictions internes de ne pas auditionner B. et K. au procès n’a pas nui à l’équité globale du procès.

d) Conclusion

177. Dès lors, consciente de son rôle tel que rappelé ci-dessus (paragraphe 149 ci-dessus), la Cour conclut à la non‑violation des droits de la requérante garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en ce qui concerne les témoins B. et K.

GUERNI c. BELGIQUE arrêt du 23 octobre 2018 requête n° 19291/07

Non violation des articles 6-1 et 6-3 : Il s'agit de l'infiltration dans un réseau de trafic de drogue. L'infiltration non prévue par la loi a respecté les droits de la défense. D'autres éléments de preuves ont été utilisés. Il n'est pas déraisonnable de refuser la confrontation entre le policier infiltré et le prévenu pour ne pas mettre la vie en danger du policier ou de sa famille.

CEDH

a) Rappel des principes généraux

49. Selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux précédents, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101 et 161‑165, CEDH 2015, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 94 et 211‑216, 23 mars 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250, 274, 280‑294 et 301‑311, 13 septembre 2016, et Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, §§ 118, 120 et 160‑168, 4 avril 2018).

50. Pour apprécier l’équité globale d’une procédure, la Cour prend en compte les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 qui représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition. Elle examinera donc le grief que le requérant tire de l’article 6 § 3 d) sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili, précité, § 100, Blokhin, précité, § 194, et Ibrahim et autres, précité, § 251).

51. Les principes généraux qui régissent l’examen de l’impact sur l’équité globale dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation ont été rappelés dans l’arrêt Van Wesenbeeck (précité, §§ 62‑68). Quant à ceux régissant l’équité du procès quand un accusé se plaint de ne pas avoir pu interroger certains témoins, ils ont été rappelés dans Kartvelishvili c. Géorgie (no 17716/08, §§ 59-61, 7 juin 2018 ; voir également Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235‑B, et Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 29, CEDH 2003‑V).

b) Application en l’espèce

I. L’utilisation de la méthode particulière de recherche de l’infiltration

52. La Cour rappelle que lorsque la procédure est examinée dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête sur l’équité globale du procès pénal, l’un des facteurs à prendre en compte est le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves au cours de cette phase, ainsi que le respect ou non de ce dispositif (Ibrahim et autres, précité, § 274, b)). Toutefois, si toute mesure ordonnée par une autorité policière ou judiciaire au cours de l’instruction doit, pour être compatible avec le principe de la primauté du droit, de manière générale être fondée sur une base légale suffisante, la Convention n’exige pas que les mesures de recherche policière ou judiciaire soient réglées en détail par une loi ou une autre disposition normative. En d’autres mots, le simple fait que les méthodes particulières de recherche n’étaient à l’époque pas réglées par une loi, ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu violation de l’article 6. En effet, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010).

53. En l’espèce, à l’époque des faits reprochés au requérant, les techniques particulières étaient régies par une circulaire ministérielle ; le recours à de telles mesures était autorisé par le ministère public et leur mise en œuvre placé sous le contrôle du parquet et du juge d’instruction (voir paragraphe 34, ci-dessus). Ainsi, conformément aux directives figurant dans la circulaire ministérielle, si l’infiltration du requérant a été autorisée par le ministère public, sa mise en œuvre a été placée sous le contrôle d’un juge, en l’occurrence le juge d’instruction, garantie à laquelle la Cour accorde une certaine importance (Paci c. Belgique, no 45597/09, § 93, 17 avril 2018, et références citées).

54. La Cour note que, lors du procès du requérant devant la cour d’appel, la loi du 6 janvier 2003, telle que modifiée par la loi du 27 décembre 2005, était en vigueur (voir paragraphes 37-38, ci-dessus). En vertu des articles 189ter et 235ter insérés dans le CIC par cette dernière loi, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel fut chargée du contrôle juridictionnel de l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration.

55. Devant la cour d’appel, le requérant demanda à bénéficier d’un tel contrôle afin de vérifier la crédibilité de l’agent infiltré et de l’informateur. Sa demande fut toutefois rejetée. La cour d’appel estima que l’investigation litigieuse ayant eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003, elle échappait au contrôle juridictionnel introduit par la loi du 27 décembre 2005 (voir paragraphe 24, ci-dessus). Son raisonnement fut confirmé par la Cour de cassation (voir paragraphe 30, ci-dessus).

56. Cela étant, la Cour note que, malgré le refus opposé par la cour d’appel de charger la chambre des mises en accusation du contrôle de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, et en particulier de la méthode de l’infiltration, le requérant a pu contester devant elle la régularité du recours à cette méthode. À cet égard, il a invoqué la provocation comme moyen de défense.

57. À l’issue d’un examen minutieux et circonstancié de l’impact de l’intervention de l’informateur et de l’agent infiltré sur la régularité et l’admissibilité des preuves, tant le tribunal de première instance que la cour d’appel ont répondu aux allégations du requérant. Ces juridictions ont conclu que l’absence de provocation pouvait être déduite d’éléments du dossier dont la fiabilité ne pouvait être mise en doute. Outre les déclarations du requérant, qui pour la cour d’appel ont même formé la source principale pour sa description des faits, les deux juridictions se sont basées sur les déclarations concordantes faites par d’autres prévenus et par des témoins extérieurs aux services de police pour conclure qu’il était établi avec certitude que l’intention d’importer des stupéfiants préexistait à l’entrée en jeu de l’informateur et de l’agent infiltré. Elles ont également établi que ces derniers n’avaient pas exercé de pressions indues allant au-delà de la création de la possibilité matérielle d’organiser le transport des stupéfiants, lequel aurait d’ailleurs pu être effectué sans l’intervention des services de police (voir paragraphe 18, ci-dessus).

58. La Cour relève par ailleurs que, devant elle, le requérant ne soulève pas, en tant que tel, de grief relatif à la provocation dont il dit avoir été victime. Elle n’a donc pas besoin en l’espèce d’entrer dans l’analyse des critères qu’elle a énoncés au fil de sa jurisprudence, pour distinguer entre une provocation portant atteinte à l’article 6 § 1 et une mise en œuvre légitime de techniques particulières d’investigation (ces principes, énoncés dans Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, § §§ 49-61, CEDH 2008, et Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 33-65, 4 novembre 2010, ont été précisés dans Matanović c. Croatie, no 2742/12, §§ 121-135, 4 avril 2017, Ramanauskas c. Lituanie (no 2), no 55146/14, §§ 52-62, 20 février 2018, et Virgil Dan Vasile c. Roumanie, no 35517/11, §§ 37-50, 15 mai 2018).

59. En outre, il ressort du jugement du tribunal de première instance que les rapports contenant les déclarations de l’informateur et ceux de l’agent infiltré ont été comparés par les enquêteurs avec le résultat, correspondant, des observations et des écoutes téléphoniques menées au cours de l’infiltration (voir paragraphe 10, ci-dessus). La circonstance que certains éléments de preuve recueillis sur la base des écoutes aient ensuite été écartés par la cour d’appel en raison de vices procéduraux ne change rien à ce constat.

60. Enfin, et cela est fondamental, il ressort de l’arrêt de la cour d’appel que l’établissement de la vérité et la condamnation du requérant reposaient sur d’autres éléments de preuve, à savoir les déclarations de ce dernier, des déclarations concordantes des autres prévenus ainsi que des témoignages apportés par des personnes extérieures aux services de police. Aussi, la cour d’appel l’a souligné, les déclarations de l’informateur et les rapports établis par l’agent infiltré étaient ainsi devenus d’une importance totalement secondaire sur le plan de la preuve (voir paragraphe 20, ci-dessus).

61. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le contrôle effectué par les juridictions de fond de la régularité de l’infiltration a constitué une garantie importante et que rien ne lui permet de considérer qu’il ait été porté atteinte aux droits de la défense du requérant d’une manière incompatible avec le droit à un procès équitable.

62. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du recours à la méthode de l’infiltration en l’absence d’un cadre légal.

II. Sur l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger l’informateur et l’agent infiltré

63. Le requérant se plaint en outre du fait que les juridictions n’ont pas accédé à sa demande d’interroger l’informateur ni l’agent infiltré alors qu’il s’agissait de la seule manière de contrôler leur fiabilité et de déterminer s’il y avait eu ou non provocation.

64. Comme elle l’a dit ci-dessus, la tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable (voir paragraphe 49, ci-dessus). Il ne suffit donc pas, au requérant qui allègue la violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention, de démontrer qu’il n’a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il qu’il ait étayé sa demande d’audition du témoin en en précisant l’importance et en expliquant pourquoi cette audition était nécessaire à la recherche de la vérité et pourquoi le refus de l’interroger causerait un préjudice aux droits de la défense (voir Perna [GC], précité, § 29, Guilloury c. France, no 62236/00, § 55, 22 juin 2006, et Kartvelishvili, précité, § 61).

65. En l’espèce, le requérant expliqua, notamment devant la cour d’appel, qu’il estimait qu’une audition de l’informateur était nécessaire pour apprécier la fiabilité de cette personne. Plus généralement, il plaida que l’audition de ce dernier ainsi que de l’agent infiltré était nécessaire pour apprécier s’il y avait eu ou non une provocation de la part de la police. La Cour admet que la demande du requérant était ainsi suffisamment motivée (voir Popov c. Russie, no 26853/04, § 188, 13 juillet 2006, Dorokhov c. Russie, no 66802/01, § 72, 14 février 2008, et Poliakov c. Russie, no 77018/01, § 34, 29 janvier 2009) pour appeler de la part de la juridiction de jugement des raisons suffisantes et pertinentes pour refuser la demande (Topić c. Croatie, no 51355/10, § 42, 10 octobre 2013, Poropat c. Slovénie, no 21668/12, § 42, 9 mai 2017, et Kartvelishvili, précité, § 61).

66. La Cour rappelle que le requérant a eu la possibilité d’invoquer devant les juridictions de jugement tous les moyens tirés de l’article 6 § 1 à l’encontre des méthodes de recherche utilisées, y compris ceux relatifs à la provocation. Dans ce cadre, il a notamment demandé que l’informateur et l’agent infiltré se fassent interroger. Le tribunal de première instance et la cour d’appel ont examiné cette demande de manière circonstanciée. Cela constitue, de l’avis de la Cour, une garantie procédurale importante de l’équité du procès (voir, dans le même sens, Van Wesenbeeck, précité, § 107).

67. Lesdites juridictions rejetèrent les demandes formulées par le requérant au motif que les témoignages de l’informateur et de l’agent infiltré n’étaient pas nécessaires à la recherche de la vérité dès lors qu’un ensemble d’éléments, dont la fiabilité ne pouvait pas être mise en doute, avait permis de conclure à l’absence de provocation policière (voir paragraphes 12 et 20, ci-dessus). La cour d’appel considéra également, en ce qui concernait l’établissement des faits, qu’au vu de la clarté de ces éléments, les déclarations de l’informateur et les rapports de l’agent infiltré étaient devenus d’une importance totalement secondaire sous l’angle de la preuve (voir paragraphe 20, ci-dessus). La Cour note que, pour arriver à ses conclusions quant aux faits, en particulier au rôle joué par chacun des protagonistes, la cour d’appel s’est effectivement fondée sur les déclarations du requérant et celles, estimées concordantes, des autres prévenus et des témoins directement impliqués dans les faits et sans lien avec les autorités policières, et non pas sur les déclarations de l’informateur et les rapports de l’agent infiltré (voir paragraphe 60, ci-dessus ; comparer Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 47, série A no 238).

68. Les juridictions de jugement ont aussi fait valoir qu’il fallait éviter de compromettre l’anonymat des intéressés pour préserver leur sécurité (voir paragraphes 12 et 21, ci-dessus).

69. La Cour estime que les refus des juridictions de jugement d’interroger l’informateur et l’agent infiltré reposaient ainsi sur des motifs sérieux se basant sur des éléments objectifs et concrets (voir, mutatis mutandis, Dorokhov, précité, § 74, et Van Wesenbeeck précité, §§ 99-101). En particulier, la Cour n’aperçoit rien d’arbitraire ou de manifestement déraisonnable dans la conclusion selon laquelle l’audition de l’informateur ou de l’agent infiltré était parfaitement inutile pour la manifestation de la vérité.

70. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’en l’espèce même si les juridictions de jugement ont refusé d’interroger l’informateur et l’agent infiltré, la défense a bénéficié de garanties procédurales suffisantes pour que l’équité globale de la procédure dirigée contre le requérant soit assurée.

71. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

DIMITROV ET MOMIN c. BULGARIE du 7 juin 2018 requête n° 35132/08

Article 6-1 et 6-3 d : Les deux requérants sont accusés de viol. Ils déclarent que la relation était consentie et qu'elle avait souhaité un trio. La dame mariée porte plainte et meurt en cour d'instruction. Les requérants sont condamnés pour viol avec violence et avec ingurgitation de sucre pour provoquer une hypoglycémie. Les requérants se plaignent de ne pas avoir été confrontés avec la plaignante.

La CEDH estime que le décès de S.D. s’analyse en une « raison sérieuse », au sens de sa jurisprudence, de ne pas entendre ce témoin au cours du procès et d’admettre la déposition qu’elle avait faite de son vivant pendant l’enquête pénale. Elle estime également qu’il y avait des raisons valables de ne pas procéder à la confrontation des deux requérants et de S.D. au cours de l’instruction préliminaire. Même si la condamnation subséquente des requérants a été fondée principalement sur la déposition de ce témoin, les tribunaux ont également retenu d’autres preuves corroborant celle-ci. De même, dans le cadre de la procédure pénale menée contre les requérants, ceux-ci ont disposé de garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les inconvénients découlant pour la défense de l’admission de la déposition de S.D. et pour permettre d’assurer l’équité de la procédure dans son ensemble : les requérants ont activement participé au procès et fait valoir les arguments militant en faveur de leur acquittement ; les tribunaux se sont livrés à un examen très minutieux de la crédibilité de la preuve principale à charge en prenant en compte et en rejetant de manière motivée les objections des requérants à cet égard ; enfin, les décisions des juridictions internes ont été amplement motivées et dépourvues d’arbitraire. La Cour estime donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en l’espèce.

CEDH

51. La Cour rappelle que les différentes exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition, dont il faut tenir compte pour apprécier l’équité de la procédure dans son ensemble (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 169, CEDH 2010, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 113, CEDH 2017).

52. L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, qui ne sont acceptables que sous réserve du respect des droits de la défense (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 118). En particulier, la Cour a dégagé dans sa jurisprudence les critères suivants permettant d’apprécier la compatibilité avec l’article 6 d’un procès pendant lequel un témoignage a été admis comme preuve malgré le fait que l’accusé n’ait pas eu la possibilité d’interroger ou faire interroger le témoin en question : elle doit d’abord s’assurer que l’absence du témoin pendant le procès se justifiait par un motif sérieux ; elle doit ensuite chercher à établir si la condamnation du requérant reposait exclusivement ou dans une mesure déterminante sur la déposition du témoin absent ; elle doit enfin déterminer s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les inconvénients découlant pour la défense de l’admission d’une telle preuve et pour permettre d’assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, §§ 119 et 147).

53. Par la suite, dans son arrêt Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, § 118, CEDH 2015), la Cour a précisé qu’il est en règle générale pertinent d’examiner les trois étapes susmentionnées dans l’ordre défini ci‑dessus, même si dans une affaire donnée, il peut être approprié d’examiner ces critères dans un ordre différent, notamment lorsque l’un d’eux se révèle particulièrement probant pour déterminer si la procédure a été ou non équitable. Elle a par ailleurs précisé quels sont les éléments à prendre en compte lors de l’analyse de la troisième étape mentionnée ci‑dessus, à savoir : la façon dont le tribunal du fond a abordé le témoignage en question, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, et les mesures procédurales prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement le témoin absent au procès (ibidem, §§ 125-131).

b) Application de ces principes à la présente espèce

i. Sur l’existence de « raisons sérieuses » de ne pas procéder à la confrontation des requérants avec le témoin en question

54. La Cour rappelle que, dans la présente espèce, les requérants se plaignent d’avoir été condamnés sur la base de la déposition de S.D., recueillie au stade de l’instruction préliminaire, et de n’avoir jamais eu l’occasion d’interroger ce témoin.

55. La Cour observe que S.D. n’a pas été entendue au cours du procès des requérants parce qu’elle est décédée avant l’ouverture de celui-ci (paragraphes 22 et 24 ci-dessus). Sa déposition recueillie au stade de l’instruction préliminaire a été lue en audience, comme le permettait le droit interne, et retenue comme preuve par les tribunaux pénaux (paragraphes 24, 26, 31 et 40 ci-dessus). La Cour considère que le décès de S.D. s’analyse en une « raison sérieuse », au sens de sa jurisprudence, de ne pas entendre ce témoin au cours du procès et d’admettre la déposition qu’elle a faite de son vivant (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 153).

56. Les deux requérants font grief aux autorités de l’enquête de ne pas leur avoir donné la possibilité d’une confrontation avec ce témoin pendant l’enquête pénale (paragraphe 45 ci-dessus). La Cour observe pour sa part que M. Dimitrov avait été informé de la date de l’interrogatoire de S.D. devant un juge, mais qu’il n’y a pas assisté (paragraphe 17 ci-dessus). Elle se doit de tenir compte de ce fait. Toutefois, elle observe que, à ce moment‑là, ce requérant ne disposait pas d’un avocat pouvant lui expliquer l’importance de cet interrogatoire pour la suite de la procédure (paragraphe 39 ci-dessus). Il en résulte, compte tenu de sa jurisprudence en la matière (Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 100, CEDH 2015, et Pishchalnikov c. Russie, no 7025/04, § 77, 24 septembre 2009), que la Cour ne saurait considérer cette absence comme une renonciation de la part de M. Dimitrov à son droit d’interroger ce témoin à un stade ultérieur de la procédure. Quant à M. Momin, à la date de l’interrogatoire en question, il ne se trouvait pas encore formellement mis en examen et le droit interne applicable n’obligeait pas les autorités à l’informer de cette mesure d’instruction (paragraphes 17, 20, 39 et 41 ci-dessus). La Cour estime que ce fait est également pertinent en l’espèce. Elle n’exclut pas que, au vu de la plainte pénale de S.D. (paragraphe 6 ci-dessus) et de l’interrogatoire de M. Momin du 18 mars 1998 (paragraphe 9 ci-dessus), et par référence aux critères rappelés dans l’arrêt Simeonovi (précité, §§ 110 et 111), ce requérant ait pu être considéré comme « accusé d’une infraction pénale » au sens autonome de l’article 6 de la Convention et bénéficier ainsi des garanties de cette disposition. Toutefois, il n’en résulterait pas que celui-ci, qui n’était pas formellement mis en examen à cette date, aurait dû être convoqué à l’interrogatoire de S.D. du 19 décembre 2000. À la lumière de ces circonstances, la Cour estime que l’absence des deux requérants lors de cet interrogatoire de S.D. ne saurait emporter à elle seule violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

57. Il est vrai que l’avocat des deux requérants a demandé par la suite aux autorités d’organiser une confrontation entre ses clients et S.D. Cette demande a été rejetée par le procureur au motif qu’il s’agissait d’une mesure d’instruction non obligatoire et non nécessaire pour l’établissement des faits (paragraphe 21 ci-dessus).

58. La Cour tient à souligner cependant que S.D. s’était plainte d’avoir été victime d’une agression sexuelle particulièrement grave, à savoir un viol accompagné de violences physiques. Dans le cadre des poursuites pénales pour viol, les victimes se trouvent souvent dans un état psychologique fragile. Les autorités d’enquête se doivent donc de leur prêter une attention particulière, surtout lorsqu’il s’agit de recueillir leur déposition et de procéder à leur confrontation avec leurs agresseurs présumés (Przydział c. Pologne, no 15487/08, § 48, 24 mai 2016). Cela était d’autant plus vrai dans la présente affaire, où la victime était, de surcroît, atteinte d’une maladie grave et avait subi au cours de l’enquête des pressions l’incitant à retirer sa plainte et à modifier sa déposition (paragraphes 19 et 30 ci‑dessus). Compte tenu de ces circonstances très particulières, la Cour ne saurait reprocher aux autorités de l’enquête de ne pas avoir procédé à la confrontation de S.D. avec les deux requérants au stade de l’instruction préliminaire.

59. Il est vrai que le décès de S.D. avant la fin de l’enquête (paragraphes 22 et 23 ci-dessus) a eu pour conséquence de priver les requérants de la possibilité d’être confrontés avec ce témoin pendant le procès. Les autorités de l’enquête étaient certes au courant, depuis le mois d’avril 2000, que S.D. était malade et qu’elle suivait un traitement de chimiothérapie (paragraphe 14 ci-dessus). Toutefois, rien dans le cas d’espèce n’indique que l’enquêteur ou le procureur savaient que l’état de santé de S.D. était tel que celle-ci risquait de ne pas pouvoir participer au procès. Force est de constater que, pendant son interrogatoire du 19 décembre 2000, S.D. avait expliqué en présence du procureur qu’elle était atteinte d’un cancer, mais qu’elle se sentait bien (paragraphe 19 in fine ci-dessus). La Cour observe que la présente espèce se distingue à cet égard de l’affaire Schatschaschwili (précitée, §§ 159 et 160), où les autorités savaient que les témoins clés ne seraient probablement pas entendus pendant le procès.

ii. Sur le point de savoir si la condamnation des requérants reposait exclusivement ou dans une mesure déterminante sur la déposition du témoin en question

60. Pour ce qui est de l’importance de la déposition de S.D. dans la motivation de la condamnation des requérants, la Cour observe que, dans son arrêt du 7 janvier 2008, la Cour suprême de cassation a souligné que c’était « un élément important, mais pas l’unique élément » dans l’établissement de la culpabilité de M. Dimitrov et qu’elle était « la preuve principale » dans l’établissement de la culpabilité de M. Momin (paragraphe 40 in fine ci-dessus). Les parties s’accordent sur ce point : les requérants soutiennent, et le Gouvernement reconnaît, que la déposition de S.D. était l’élément de preuve principal sur lequel reposait leur condamnation (paragraphes 45 in fine et 49 ci-dessus). Dans les circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de conclure différemment sur ce point. Elle considère donc que la déposition de S.D. était la preuve déterminante pour la condamnation des requérants.

61. La Cour observe cependant que la déposition de S.D. n’était pas la seule preuve à charge dans cette affaire pénale. En effet, le tribunal régional, qui a condamné les deux requérants et dont la décision a été entérinée par la Cour suprême de cassation, a disposé d’autres témoignages et d’autres preuves circonstancielles à charge qui venaient étayer la déposition faite par S.D. : les dépositions des policiers qui avaient accueilli la plainte de S.D., les résultats des examens et expertises médicaux, et les constats consignés dans le procès-verbal d’inspection des lieux (paragraphe 34 ci-dessus). La condamnation des requérants reposait donc sur un ensemble de preuves dans lequel la déposition en cause ne figurait pas comme un élément isolé.

iii. Sur l’existence d’éléments suffisamment compensateurs pour permettre d’assurer l’équité de la procédure pénale dans son ensemble

62. La Cour doit ensuite répondre à la question de savoir s’il existait en l’occurrence des éléments suffisamment compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, pour contrebalancer les inconvénients découlant pour la défense de l’admission de la déposition de S.D. et pour permettre d’assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (paragraphe 52 ci-dessus). Elle examinera à cet égard la façon dont les tribunaux du fond ont abordé le témoignage en question, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, et les mesures procédurales qu’ils ont prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement S.D. (paragraphe 53 ci-dessus).

63. Les deux tribunaux qui ont examiné l’affaire pénale sur le fond et la Cour suprême de cassation ont abordé les questions concernant la recevabilité et la fiabilité de la déposition de S.D. Le tribunal de première instance a rejeté la plus grande partie de cette déposition (paragraphe 26 ci‑dessus), tandis que le tribunal d’appel l’a retenue dans sa totalité et a ainsi condamné les deux requérants (paragraphe 32 ci-dessus). Cette dernière solution a été entérinée dans l’arrêt de cassation (paragraphes 38-40 ci‑dessus). La Cour estime donc opportun de concentrer son analyse sur la façon dont cette preuve a été abordée par le tribunal régional de Plovdiv et par la Cour suprême de cassation.

64. Le tribunal régional de Plovdiv a consacré une part importante des motifs de son jugement à la déposition de S.D. (paragraphe 32 ci-dessus). Il a cherché à vérifier sa fiabilité en répondant d’abord à la question de savoir si la jeune femme pouvait avoir un motif pour accuser sans fondement les deux requérants. Les quelques versions exposées par les requérants à cet égard ont été rejetées par le tribunal comme mal fondées (paragraphe 33 ci‑dessus).

65. Le tribunal a ensuite confronté cette déposition aux autres témoignages, aux résultats des examens et expertises médicaux, et aux constats consignés dans le procès-verbal d’inspection des lieux. Il a ainsi pu constater que la déposition de la victime était corroborée par ces preuves et qu’elle était donc fiable (paragraphe 34 ci-dessus).

66. En appréciant la véracité de cette déposition, le tribunal n’a pas omis de remarquer que ce témoignage avait été recueilli deux ans après les événements, mais a relevé que l’écoulement de ce laps de temps n’avait aucunement fait obstacle au caractère très circonstancié de la déposition en cause (paragraphe 35 ci-dessus).

67. La question concernant le changement de version de S.D. au cours de l’enquête a également été abordée par le tribunal. Celui-ci a estimé que le revirement en cause était dû aux pressions exercées sur ce témoin par les requérants et leurs proches (paragraphe 35 in fine ci-dessus).

68. Enfin, le tribunal a abordé et rejeté les arguments des requérants et de leurs proches, interrogés au cours de la procédure, qui visaient à décrédibiliser la victime en lui attribuant un comportement amoral. Pour ce faire, le tribunal a accordé du crédit à la déposition de l’époux de S.D., qui avait dressé de celle-ci un portrait positif (paragraphe 36 ci-dessus).

69. À la lumière de ces circonstances, la Cour estime que l’examen de la déposition de S.D. auquel s’est livré le tribunal régional était approfondi, objectif et exhaustif. Le tribunal a abordé toutes les questions pertinentes pour l’appréciation de la crédibilité de ce témoin et de la véracité de ses déclarations du 19 décembre 2000. Sa conclusion selon laquelle il fallait accorder du crédit à cette déposition dans sa totalité et sa décision subséquente de la retenir comme preuve principale contre les requérants ont donc été amplement motivées.

70. La Cour rappelle également que le tribunal régional disposait d’autres témoignages et d’autres preuves circonstancielles à charge qui venaient étayer la déposition faite par S.D. : les dépositions des policiers qui avaient accueilli la plainte de S.D. le lendemain des événements, les résultats des examens et expertises médicaux, et les constats contenus dans le procès-verbal d’inspection des lieux (paragraphes 34 et 61 ci-dessus). La condamnation des requérants reposait donc sur un ensemble de preuves dans lequel la déposition en cause ne figurait pas comme un élément isolé.

71. Dans ses observations, le Gouvernement a mis l’accent sur l’existence de plusieurs garanties procédurales qui auraient joué le rôle d’éléments compensateurs en l’espèce (paragraphe 50 ci-dessus). Les requérants ont contesté la position du Gouvernement (paragraphe 46 ci‑dessus).

72. La Cour constate que les requérants ont activement participé au procès mené à leur encontre : à l’aide de leurs avocats, ils ont contesté la recevabilité et la fiabilité de la déposition de la victime et ont invoqué des preuves à décharge (paragraphes 24 in fine et 28 in fine ci-dessus). Le tribunal régional et la Cour suprême de cassation ont abordé et rejeté leurs arguments dans des décisions amplement motivées et dépourvues d’arbitraire (paragraphes 29-36 et 38-40 ci-dessus). À cet égard, la Cour attache une importance particulière à l’analyse approfondie et exhaustive de la fiabilité de la déposition de la victime qui a été opérée par le tribunal régional dans un souci d’équité et de respect des droits de la défense (paragraphes 64-69 ci-dessus).

iv. Conclusion de la Cour

73. En résumé, la Cour estime que le décès de S.D. s’analyse en une « raison sérieuse », au sens de sa jurisprudence, de ne pas entendre ce témoin au cours du procès et d’admettre la déposition qu’elle avait faite de son vivant pendant l’enquête pénale. Elle estime également qu’il y avait des raisons valables de ne pas procéder à la confrontation des deux requérants et de S.D. au cours de l’instruction préliminaire. Même si la condamnation subséquente des requérants a été fondée principalement sur la déposition de ce témoin, les tribunaux ont également retenu d’autres preuves corroborant celle-ci. De même, dans le cadre de la procédure pénale menée contre les requérants, ceux-ci ont disposé de garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les inconvénients découlant pour la défense de l’admission de la déposition de S.D. et pour permettre d’assurer l’équité de la procédure dans son ensemble : les requérants ont activement participé au procès et fait valoir les arguments militant en faveur de leur acquittement ; les tribunaux se sont livrés à un examen très minutieux de la crédibilité de la preuve principale à charge en prenant en compte et en rejetant de manière motivée les objections des requérants à cet égard ; enfin, les décisions des juridictions internes ont été amplement motivées et dépourvues d’arbitraire.

74. La Cour estime donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention en l’espèce.

Ovidiu Cristian Stoica c. Roumanie du 24 avril 2018 requête n° 55116/12

Violation de l'article 6-1 : Une personne condamnée en deuxième degré pour diffusion d’images obscènes, sans audition des témoins, n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

CEDH

"45. De l’avis de la Cour, la Haute Cour s’est en l’espèce bel et bien livrée à une nouvelle interprétation des témoignages, et ce sans procéder à l’audition des témoins en question. Sans doute appartenait-il à la juridiction de recours d’apprécier les diverses données recueillies. Il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages que les premiers juges avaient estimé insuffisants pour le condamner du chef de diffusion de matériaux obscènes. Dans ces conditions, l’omission par la Haute Cour d’entendre ces témoins avant de déclarer l’intéressé coupable a sensiblement réduit les droits de la défense (voir, mutatis mutandis, Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004 ; Marcos Barrios c. Espagne, no 17122/07, §§ 40-41, 21 septembre 2010; et Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 49, 22 novembre 2011)."

Article 6 § 1 (droit à un procès équitable)

La Cour note que la compétence de la juridiction de recours n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, la procédure applicable suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, et la juridiction de recours pouvait soit confirmer l’acquittement prononcé par l’instance inférieure, soit déclarer l’intéressé coupable au terme d’une appréciation complète de sa culpabilité ou de son innocence, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve. En outre, les aspects que la Haute Cour a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité de M. Stoica avaient un caractère essentiellement factuel car il s’agissait d’apprécier si celui-ci avait bien déposé des photographies dans des boîtes aux lettres ou envoyé des messages électroniques. La Cour relève aussi que la relaxe initiale de M. Stoica par la cour d’appel a eu lieu après l’audition de plusieurs témoins, cette juridiction ayant considéré que les témoignages ainsi que les autres éléments de preuve figurant au dossier étaient insuffisants. Elle observe également que, pour substituer une condamnation à la relaxe prononcée par la cour d’appel, les juges de la Haute Cour ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et qu’ils se sont exclusivement fondés sur les pièces du dossier, y compris sur les témoignages faits devant le parquet et en première instance. En effet, c’est sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience de la juridiction de première instance relatant les déclarations des témoins que la Haute Cour a analysé les témoignages et conclu au caractère sincère et suffisant de certains d’entre eux pour fonder un verdict de culpabilité. De l’avis de la Cour, la Haute Cour s’est livrée à une nouvelle interprétation des témoignages sans procéder à l’audition des témoins en question. M. Stoica a donc été reconnu coupable sur la base des témoignages que les premiers juges avaient estimé insuffisants pour le condamner du chef de diffusion de matériaux obscènes. Dans ces conditions, l’omission par la Haute Cour d’entendre ces témoins avant de déclarer l’intéressé coupable a sensiblement réduit les droits de la défense. Par conséquent, la condamnation de M. Stoica pour diffusion de matériaux obscènes dans les boîtes aux lettres des voisins de la mère de Y, prononcée en l’absence d’une nouvelle audition des témoins, alors que la juridiction inférieure avait estimé que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas réunis, est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation.

Principaux faits

Le requérant, Ovidiu Cristian Stoica, est un ressortissant roumain né en 1977 et résidant à Bacău (Roumanie). En 2010, le parquet ouvrit une enquête à son encontre, à la suite de plaintes déposées par X (l’ancienne compagne de M. Stoica) et par la mère de Y (l’actuel compagnon de X), l’accusant d’avoir diffusé des photographies le montrant avoir des rapports sexuels avec X. Lesdites images avaient été envoyées par courrier électronique (à Y ainsi qu’aux collègues de travail de ce dernier et de X) et par courrier postal (à la mère de Y). Elles avaient également été déposées dans les boîtes aux lettres des habitants de l’immeuble de la mère de Y. Au cours de l’enquête, plusieurs témoins furent entendus par la police, notamment les locataires de l’immeuble de la mère de Y. En première instance, la cour d’appel de Bucarest relaxa M. Stoica, estimant qu’il ne ressortait pas avec certitude des éléments de preuve recueillis que M. Stoica s’était réellement rendu coupable des faits qui lui étaient reprochés. Sur recours formé par le parquet, la Haute Cour de cassation et de justice annula ce jugement et condamna M. Stoica du chef de diffusion de matériaux obscènes à une peine de six mois de prison avec sursis

À la suite de cette condamnation, M. Stoica fut rayé de l’ordre des notaires

Article 6 § 1 (droit à un procès équitable)

La Cour note que la compétence de la juridiction de recours n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, la procédure applicable suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, et la juridiction de recours pouvait soit confirmer l’acquittement prononcé par l’instance inférieure, soit déclarer l’intéressé coupable au terme d’une appréciation complète de sa culpabilité ou de son innocence, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve.

En outre, les aspects que la Haute Cour a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité de M. Stoica avaient un caractère essentiellement factuel car il s’agissait d’apprécier si celui-ci avait bien déposé des photographies dans des boîtes aux lettres ou envoyé des messages électroniques.

La Cour relève aussi que la relaxe initiale de M. Stoica par la cour d’appel a eu lieu après l’audition de plusieurs témoins, cette juridiction ayant considéré que les témoignages ainsi que les autres éléments de preuve figurant au dossier étaient insuffisants. Elle observe également que, pour substituer une condamnation à la relaxe prononcée par la cour d’appel, les juges de la Haute Cour ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et qu’ils se sont exclusivement fondés sur les pièces du dossier, y compris sur les témoignages faits devant le parquet et en première instance. En effet, c’est sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience de la juridiction de première instance relatant les déclarations des témoins que la Haute Cour a analysé les témoignages et conclu au caractère sincère et suffisant de certains d’entre eux pour fonder un verdict de culpabilité. De l’avis de la Cour, la Haute Cour s’est livrée à une nouvelle interprétation des témoignages sans procéder à l’audition des témoins en question. M. Stoica a donc été reconnu coupable sur la base des témoignages que les premiers juges avaient estimé insuffisants pour le condamner du chef de diffusion de matériaux obscènes. Dans ces conditions, l’omission par la Haute Cour d’entendre ces témoins avant de déclarer l’intéressé coupable a sensiblement réduit les droits de la défense. Par conséquent, la condamnation de M. Stoica pour diffusion de matériaux obscènes dans les boîtes aux lettres des voisins de la mère de Y, prononcée en l’absence d’une nouvelle audition des témoins, alors que la juridiction inférieure avait estimé que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas réunis, est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation.

CEDH

40. La Cour rappelle que l’admissibilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I), que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles et qu’elle-même a pour tâche, d’après la Convention, de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV).

41. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil 1996-I). En particulier, lorsqu’une instance de recours est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134 ; Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII ; Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004 ; Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 27, 10 mars 2009 ; voir également, a contrario, Kashlev c. Estonie, no 22574/08, §§ 48-50, 26 avril 2016), soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure et aux déclarations desquels elle souhaite donner une nouvelle interprétation (voir, par exemple, Dan c. Moldova, no 8999/07, §§ 30-35, 5 juillet 2011 ; Găitănaru, précité, §§ 29-36 ; et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, §§ 49-54, 29 octobre 2013). En effet, même s’il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin, des circonstances exceptionnelles peuvent conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la Convention de la non-audition d’une personne comme témoin (voir, parmi beaucoup d’autres, Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158, et Lazu c. Moldova, no 46182/08, § 34, 5 juillet 2016).

42. La Cour a également eu l’occasion de souligner que l’évaluation de la crédibilité d’un témoin est une tâche complexe, qui, normalement, ne peut pas être accomplie par le biais d’une simple lecture des déclarations de celui-ci contenues dans les procès-verbaux des auditions (Dan, précité, § 33, et Lazu, précité, § 40).

43. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que la compétence de la juridiction de recours n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, elle a observé dans des affaires similaires que la procédure applicable dans le cadre de l’exercice de cette voie de recours était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, et que la juridiction de recours pouvait soit confirmer l’acquittement prononcé par l’instance inférieure, soit déclarer l’intéressé coupable au terme d’une appréciation complète de sa culpabilité ou de son innocence, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve (Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 38, 8 mars 2007, et Găitănaru, précité, § 30). En outre, les aspects que la Haute Cour a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère essentiellement factuel, car il s’agissait d’apprécier si celui-ci avait bien déposé des photographies dans des boîtes aux lettres ou envoyé des messages électroniques (voir, mutatis mutandis, Găitănaru, précité, § 30, et, a contrario, Leş c. Roumanie (déc.) [comité], no 28841/09, § 20, 13 septembre 2016).

44. En l’espèce, la Cour note que la relaxe initiale du requérant par la cour d’appel a eu lieu après l’audition de plusieurs témoins. Elle relève que cette juridiction a considéré que les témoignages, parmi lesquels ceux de Y, de Z et des locataires de l’immeuble où habitait la mère de Y, ainsi que les autres éléments de preuve figurant au dossier, étaient insuffisants pour déterminer la culpabilité du requérant (paragraphe 23 ci-dessus). Elle observe que, pour substituer une condamnation à la relaxe prononcée par la cour d’appel, les juges de la Haute Cour ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et qu’ils se sont exclusivement fondés sur les pièces du dossier, y compris sur les témoignages faits devant le parquet et en première instance. En effet, c’est sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience de la juridiction de première instance relatant les déclarations des témoins que la Haute Cour a analysé les témoignages et conclu au caractère sincère et suffisant de certains d’entre eux pour fonder un verdict de culpabilité. La Cour note que la haute juridiction a, par exemple, écarté la déposition du témoin Z faite devant la cour d’appel et considéré que celle qu’il avait faite devant le parquet était crédible (paragraphe 28 ci-dessus). Elle observe de plus que la Haute Cour a considéré que les déclarations des certains témoins, qui avaient indiqué avoir trouvé des photographies obscènes dans leurs boîtes aux lettres le 14 avril 2010 (paragraphe 28 ci-dessus), étaient crédibles et utiles, alors que la première juridiction avait souligné le caractère contradictoire desdites déclarations (paragraphe 23 ci-dessus).

45. De l’avis de la Cour, la Haute Cour s’est en l’espèce bel et bien livrée à une nouvelle interprétation des témoignages, et ce sans procéder à l’audition des témoins en question. Sans doute appartenait-il à la juridiction de recours d’apprécier les diverses données recueillies. Il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages que les premiers juges avaient estimé insuffisants pour le condamner du chef de diffusion de matériaux obscènes. Dans ces conditions, l’omission par la Haute Cour d’entendre ces témoins avant de déclarer l’intéressé coupable a sensiblement réduit les droits de la défense (voir, mutatis mutandis, Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004 ; Marcos Barrios c. Espagne, no 17122/07, §§ 40-41, 21 septembre 2010; et Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 49, 22 novembre 2011).

46. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la condamnation du requérant pour diffusion de matériaux obscènes dans les boîtes aux lettres des voisins de la mère de Y, prononcée en l’absence d’une nouvelle audition des témoins, alors que la juridiction inférieure avait estimé que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas réunis, est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

47. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

KUCHTA c. POLOGNE du 23 janvier 2018, requête 58693/08

Article 6-1 et 6-3 de la Convention, le requérant n'a pas pu faire interroger le témoin, ni être confronté à lui, lors d'une audience publique. La condamnation pénale reposant sur l’unique déposition du témoin constitue une violation du droit à un procès équitable.

CEDH

a) Principes généraux pertinents

44. La Cour rappelle d’emblée que les principes concernant l’utilisation de déclarations faites par un témoin absent ont été dégagés dans l’arrêt Al‑Khawaja et Tahery (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, CEDH 2011) et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne ([GC], no 9154/10, CEDH 2015). Bien que ces affaires concernent les dépositions des témoins absents au procès, elle considère que les principes susmentionnés s’appliquent per analogiam au présent cas d’espèce qui porte sur les dépositions d’un coaccusé absent.

La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni précité, § 118). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili précité, § 100). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Schatschaschwili, précité, § 101). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (ibidem). La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Van Wesenbeeck c. Belgique, nos 67496/10 et 52936/12, §§ 65-66 et 88, 23 mai 2017).

45. Elle rappelle aussi que l’article 6 § 3 d) de la Convention consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références qui y sont citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

46. Toutefois, l’article 6 § 3 d) de la Convention ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (voir, parmi d’autres, Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158, S.N. c. Suède, no 34209/96, § 44, CEDH 2002‑V, et Przydział c. Pologne, no 15487/08, § 46, 24 mai 2016).

47. La Cour rappelle avoir conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Néanmoins, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (Al-Khawaja et Tahery, §§ 146-147).

48. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, précité, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, § 107), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 152). La Cour doit rechercher :

i. s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii. si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et

iii. s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, § 147).

49. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (ibidem, § 116).

b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

50. La Cour rappelle qu’un motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin au procès et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition doit exister du point de vue du tribunal du fond, c’est‑à-dire que celui-ci doit avoir eu de bonnes raisons, factuelles ou juridiques, de ne pas assurer la comparution du témoin au procès. S’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin au sens ainsi défini, il s’ensuit qu’il existerait une raison valable ou une justification pour que le tribunal du fond admît à titre de preuve la déposition non vérifiée du témoin absent.

51. En l’espèce, la Cour relève que P.N. a été entendu par les enquêteurs à deux occasions et il a demandé au tribunal de district d’Olsztyn de le dispenser de comparution au procès. Le tribunal statuant en application des dispositions pertinentes du CPP (paragraphe 25 ci‑dessus) avait fait droit à sa demande de dispense de comparution. En conséquence, les déclarations que P.N. avait faites pendant l’instruction ont été lues à l’audience. La Cour note que, en l’espèce, P.N. avait le statut d’accusé et qu’il a fait usage de ses droits garantis par le code de procédure pénale. Même à supposer qu’il eût été convoqué à l’audience, il aurait pu tout aussi bien exercer son droit au silence. Dans ces circonstances, l’éventuelle convocation de P.N. à l’audience n’aurait pas garanti la possibilité d’obtenir de lui au procès des informations supplémentaires à propos de l’affaire.

52. Il ressort des motifs du jugement du tribunal régional d’Olsztyn que la comparution de P.N. aux débats avait été jugée non indispensable à l’établissement de la vérité, compte tenu du caractère exhaustif, logique et convaincant de sa déposition effectuée pendant l’enquête préliminaire, de sa crédibilité non controversée aux yeux des tribunaux et de l’absence de doutes quant à la culpabilité du requérant (paragraphe 19 ci-dessus).

53. Rappelant que la non-comparution d’un témoin à un procès peut s’expliquer par diverses raisons (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 120-125, Bobeş c. Roumanie, no 29752/05, §§ 39-40, 9 juillet 2013, Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 58, 18 juillet 2013, et Schatschaschwili, précité, § 119) et qu’il ne lui incombe pas de se substituer au juge national pour décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (Van Wesenbeeck précité, § 97), la Cour comprend que, aux yeux des juridictions nationales, l’interrogation de P.N. à l’audience n’était pas indispensable à l’établissement de la vérité.

54. La Cour observe que dans l’affaire Riahi, les juridictions nationales ont invoqué le motif similaire pour rejeter la demande du requérant les priant de procéder à l’audition d’un témoin à charge (Riahi c. Belgique, no 65400/10, § 36, 14 juin 2016). Dans l’affaire en question elle-même n’a pas pris de position sur la question de savoir si le motif invoqué par les juridictions nationales pour justifier la non-comparution d’un témoin absent était « sérieux » au sens de la jurisprudence Al-Khawaja et Tahery. La Cour note toutefois que l’affaire Riahi se distingue du présent cas d’espèce en ce que le témoin absent a d’abord été entendu par la police, puis, par le juge d’instruction. En l’espèce, P.N. a été entendu seulement par les enquêteurs de police et non par un procureur ni par un juge (paragraphe 7 ci-dessus).

55. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la Cour rappelle que l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin ne peut en soi rendre le procès inéquitable. Cela étant, le manque de motif sérieux justifiant l’absence d’un témoin à charge constitue un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès ; pareil élément est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention (Schatschaschwili, précité, § 113).

56. En l’espèce, la Cour observe que les dépositions de P.N. ont joué un rôle dans la condamnation du requérant (paragraphe 17 ci-dessus). Elle se doit dès lors d’examiner plus avant le point de savoir si la non-comparution de P.N. à l’audience était compatible avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention (Van Wesenbeeck, précité, § 98).

57. La Cour rappelle que lorsque, comme en l’espèce, la déposition du coaccusé absent n’est pas la seule preuve à charge de l’accusé et est corroborée par d’autres éléments, l’appréciation de son caractère déterminant dépendra de la force probante de ces autres éléments : plus celle-ci sera importante, moins la déposition du témoin absent sera susceptible d’être considérée comme déterminante (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 131). Pour déterminer le degré d’importance des témoins absents, et, en particulier, si ces dépositions ont constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour doit avoir égard avant tout à l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales (Schatschaschwili, précité, § 141).

58. En l’espèce, la Cour observe que, si les dépositions de P.N. n’ont pas été l’unique élément à charge, les juridictions nationales n’ont pas indiqué clairement si elles les considéraient comme « déterminantes », au sens qu’elle a donné à ces termes dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, c’est-à-dire comme une preuve dont l’importance est telle qu’elle est susceptible d’emporter la décision sur l’affaire (Schatschaschwili, précité, § 142). Bien que les juridictions nationales aient mentionné s’être fondées sur l’ensemble des preuves du dossier considérées comme un tout (paragraphes 16-17 ci‑dessus), aux yeux de la Cour, il est indéniable que les dépositions de P.N. ont joué un rôle déterminant dans la condamnation du requérant.

59. La Cour note que, en l’espèce, la démonstration de la réalité de l’infraction imputée au requérant et celle du degré de sa culpabilité imposait aux juges d’établir l’existence de son intention criminelle et de sa conscience du caractère illicite des faits reprochés. La conclusion des juridictions nationales sur ce point était fondée principalement sur les dépositions de P.N. selon lesquelles les infractions reprochées aux coaccusés avaient été commises selon un procédé similaire, voire identique, et ces derniers étaient tous conscients des irrégularités de leurs contrats respectifs (paragraphe 7 ci‑dessus). Les juridictions nationales ont constaté que les dépositions de P.N. sur ce point étaient corroborées par les déclarations des coaccusés (paragraphe 17 ci-dessus).

60. Or, la Cour n’est pas convaincue par cet argument. Elle note que, si la coaccusée M.S. a déclaré aux autorités avoir bien été informée de l’irrégularité de son contrat, tel n’était pas le cas pour le requérant ni pour P.P., lequel était revenu sur ses aveux initiaux allant dans le même sens que la déposition de P.N. Les déclarations effectuées par les autres coaccusés sur ce point n’ont pas été univoques non plus. En particulier, il n’en ressort pas explicitement que tous les coaccusés aient agi en toute connaissance de cause et avec la même intention criminelle. P.N., unique témoin oculaire des faits reprochés, était en l’occurrence le seul à pouvoir élucider ces controverses.

61. La Cour observe que la facture de l’abonnement au service de téléphonie mobile que le requérant avait payée ne constituait pas un élément de preuve solide dans le cadre de la procédure diligentée contre lui. En effet, aucun des autres éléments de preuve retenus par les juridictions nationales ne pouvait guère trancher la question de l’intention criminelle du requérant (voir, par analogie, Kachan c. Pologne, no 11300/03, § 37, 3 novembre 2009 et, a contrario, Kostecki c. Pologne, no 14932/09, § 68, 4 juin 2013). Ceux‑ci ne faisaient qu’appuyer les déclarations de P.N., que le requérant n’avait pas eu l’occasion de faire interroger (Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 56, 22 novembre 2012).

62. Concernant la question de savoir si les garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les inconvénients liés à l’admission de la déposition de P.N. étaient présentes en l’espèce, la Cour rappelle avoir estimé que les éléments suivants étaient pertinents à cet égard : la façon dont le tribunal du fond a considéré les preuves non vérifiées, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, et les mesures procédurales prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement les deux témoins au procès (Schatschaschwili, précité, § 145). Elle rappelle en outre son observation faite au paragraphe 49 ci-dessus selon laquelle plus l’importance revêtue par les déclarations du témoin absent est grande, plus ces éléments devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable.

63. En l’espèce, la Cour observe que, si les juridictions nationales ont examiné la crédibilité desdites dépositions à la lumière des autres preuves disponibles, rien dans le dossier n’établit qu’elles y auraient attaché moins d’importance en raison de l’impossibilité pour le requérant de soumettre P.N. à un contre-interrogatoire ou du fait qu’elles ne l’avaient ni vu ni entendu (Van Wesenbeeck, précité, § 109). Or, compte tenu, notamment, de l’importance que revêtait la déposition du témoin absent, un examen de sa crédibilité à l’instar de celui effectué en l’espèce par les juridictions nationales ne saurait à lui seul compenser l’absence de son interrogation par la défense (Dagmir Sibgatullin c. Russie, no 1413/05, § 57, 24 avril 2012). En effet, aussi rigoureux soit-il, l’examen fait par le juge du fond constitue un instrument de contrôle imparfait dans la mesure où il ne permet pas de disposer des éléments pouvant ressortir d’une confrontation en audience publique entre l’accusé et son accusateur (Tseber, précité, § 65, et Riahi, précité, § 41).

64. La Cour observe que, en l’espèce, il ne ressort pas des motifs des jugements des juridictions nationales que la question de la portée de la comparution de P.N. à l’audience pour l’établissement de la vérité et celle des garanties susceptibles de compenser les inconvénients ayant résulté de son absence pour la défense du requérant aient fait l’objet d’un examen en profondeur de la part des juridictions en cause à la lumière des critères établis dans l’affaire Al-Khawaja et Tahery susmentionnée.

65. Elle note que, avant l’ouverture du procès, P.N. a été entendu par les enquêteurs de police et non par un procureur et qu’il n’a jamais comparu devant un juge. Ni un juge ni le requérant n’ont donc pu l’observer pendant l’interrogatoire pour apprécier sa crédibilité et la fiabilité de sa déposition (Tseber, précité, § 60).

66. Si le requérant a eu l’occasion de présenter sa propre version des faits, de contester les autres preuves à charge et de proposer l’examen de preuves complémentaires, aux yeux de la Cour, ces facteurs n’ont pas été de nature à contrebalancer les difficultés causées à sa défense par l’absence de P.N. La possibilité laissée au requérant de contester la déposition à charge en fournissant des preuves ou en faisant citer des témoins n’était pas apte à compenser les obstacles auxquels sa défense s’était trouvée confrontée, car à aucun stade de la procédure le requérant n’avait été en mesure de contester la sincérité et la fiabilité du témoin au moyen d’un contre-interrogatoire (Tseber, précité, § 63).

67. La Cour observe que les tribunaux, comme indiqué ci-dessus, ont disposé d’autres témoignages et d’autres preuves circonstancielles à charge qui venaient à l’appui des dépositions faites par P.N. Si ces autres éléments présentaient l’intérêt de corroborer les déclarations de P.N., elles ne pouvaient guère suffire à étayer la culpabilité du requérant.

68. La Cour est consciente du fait que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale conféraient à P.N. des droits spécifiques, dont celui de refuser de faire des déclarations ou de répondre à certaines questions sans devoir s’en expliquer. Si cette circonstance est certes importante concernant l’appréciation de l’équité globale de la procédure, elle n’est pas pour autant décisive dans ce contexte.

69. La Cour note enfin que si, pendant le procès en première instance, le requérant n’a pas demandé à pouvoir interroger P.N., il n’était pas, à ce stade de la procédure, assisté par un professionnel.

70. Prenant en compte les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour estime que le requérant n’a pas eu une occasion suffisante et adéquate de contester les déclarations de P.N., déclarations qui constituaient la preuve déterminante de sa condamnation pour complicité d’usage de faux. Eu égard à l’importance que revêt le respect des droits de la défense dans le procès pénal, la Cour estime que, en l’espèce, le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable.

71. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3d) de la Convention.

CAFAGNA c. ITALIE du 12 octobre 2017, requête 26073/13

Article 6-1 et 6-3 de la Convention, le requérant n'a pas pu faire interroger le témoin, ni être confronté à lui, lors d'une audience publique. La condamnation pénale reposant sur l’unique déposition d’un témoin en fuite constitue une violation du droit à un procès équitable.

CEDH

A. Sur la recevabilité

25. Le Gouvernement soutient que le requérant, en ayant omis de s’opposer pendant les débats à la lecture des déclarations litigieuses, ne s’est pas prévalu d’un remède accessible, adéquat et efficace offert en droit interne pour exclure ce matériel probatoire du dossier du juge.

26. Le requérant conteste cet argument et soutient que, même s’il s’était opposé à la lecture des déclarations de C.C., celles-ci auraient de toute manière été versées au dossier du juge.

27. S’agissant de la possibilité pour le requérant de s’opposer à la lecture des déclarations litigieuses, la Cour rappelle que, aux termes de sa jurisprudence, ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite, mais que pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A, et Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000).

28. En l’espèce, la Cour note que les déclarations litigieuses ont été utilisées conformément à la loi interne, à savoir l’article 512 du CPP, qui impose au juge d’ordonner la lecture et le versement au dossier des déclarations ne pouvant pas être réitérées en raison d’une impossibilité objective dûment prouvée. Elle estime donc qu’une éventuelle opposition du requérant au versement au dossier des procès-verbaux en question aurait eu peu de chances de succès. En tout état de cause, le fait de ne pas avoir soulevé d’exception formelle lors des débats ne saurait être interprété comme une renonciation tacite au droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (Craxi c. Italie, no 34896/97, 5 décembre 2002, Bracci c. Italie (déc.), no 36822/02, 2 décembre 2004, et Majadallah c. Italie (déc.), no 62094/00, 19 mai 2005).

29. Il s’ensuit que l’exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes ou d’une renonciation tacite au droit invoqué devant la Cour ne peut être accueillie favorablement.

30. Constatant que cette requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

31. Le requérant allègue avoir été condamné sur la base de la déposition faite aux carabiniers par C.C., le plaignant, en l’absence d’audition de ce dernier lors des débats. Il soutient qu’aucune recherche n’a été faite par les autorités pour retrouver C.C. ailleurs qu’à l’adresse du domicile de ses parents. Selon le requérant, eu égard à l’absence de ce dernier à la plupart des dates fixées pour la tenue d’une audience ad hoc, il était prévisible dès 1997 qu’il risquait de se soustraire aux débats.

32. Le requérant soutient encore que, contrairement aux arguments avancés par le Gouvernement quant au manque de caractère déterminant des déclarations de C.C., sa condamnation était bel et bien fondée exclusivement sur lesdites affirmations. Il ajoute s’être prévalu, pendant les débats, de la faculté de garder le silence.

33. Le Gouvernement considère que l’admission comme preuve des déclarations faites par C.C. aux carabiniers était reconnue en droit interne. Il estime que les dispositions en cause ont été interprétées par les juridictions internes de manière conforme à la Convention. Il cite en particulier un arrêt no 27918 rendu le 14 juillet 2011 par les sections réunies de la Cour de cassation, selon lequel les déclarations d’un témoin absent doivent être évaluées avec la prudence nécessaire, par le biais non seulement d’un examen de la crédibilité subjective et objective de celui-ci, mais aussi par celui de la confrontation de sa déposition avec les autres éléments présentés aux débats.

34. De l’avis du Gouvernement, la présente affaire est similaire à l’affaire Ben Moumen c. Italie (no 3977/13, 23 juin 2016), dans laquelle la Cour a conclu à la non-violation de l’article 6 de la Convention.

35. Le Gouvernement explique que, afin de valider la preuve principale à charge – à savoir le témoignage de C.C. –, le tribunal a pris en considération d’autres preuves, telles que les déclarations du carabinier L.R. ayant enregistré la plainte de C.C. et ayant effectué la procédure de reconnaissance photographique du requérant et de son coïnculpé.

36. Il argue que, dans les circonstances de la cause, on ne peut estimer que la déposition de C.C. a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant. Il précise que ce dernier a par ailleurs eu la possibilité d’interroger son coïnculpé, qu’il ne l’a pas fait et qu’il n’a pas non plus produit d’élément utile à sa défense. Il ajoute que les juridictions internes ont attentivement évalué l’existence d’éventuelles relations entre C.C. et le requérant. Il considère donc que l’admission de la déposition de C.C. a été contrebalancée par des garanties procédurales suffisantes.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

37. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres,Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis (Gäfgen c. Allemagne[GC], no 22978/05, § 175, CEDH 2010) et, si nécessaire, des droits des témoins (voir, parmi beaucoup d’autres, Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 70, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011). Elle rappelle également que, dans ce contexte, la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (Gäfgen, précité, § 162, et les arrêts qui y sont cités).

38. L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001-II, et Solakov c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 47023/99, § 57, CEDH 2001‑X).

39. Eu égard aux principes établis dans l’arrêt de Grande Chambre Al‑Khawaja et Tahery (précité), la Cour doit successivement examiner si l’impossibilité pour la défense d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge était justifiée par un motif sérieux ; si les dépositions du témoin absent ont constitué la preuve unique ou déterminante de la culpabilité du requérant; et, enfin, s’il existait des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de sa fiabilité (Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 57, 18 juillet 2013).

40. Ces principes ont été explicités dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne (no 9154/10, §§ 111-131, CEDH 2015), dans lequel la Grande Chambre a confirmé que l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin ne pouvait, en elle-même, rendre un procès inéquitable, que, cela étant, le manque de motif sérieux justifiant l’absence d’un témoin à charge constituait un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès, et que pareil élément était susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d). De plus, le souci de la Cour étant de s’assurer que la procédure dans son ensemble a été équitable, elle doit vérifier s’il existait des éléments compensateurs suffisants, non seulement dans les affaires où les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation de l’accusé, mais aussi dans celles où elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépend de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable.

b) Application de ces principes en l’espèce

i. Sur le point de savoir si l’absence de C.C. au procès se justifiait par un motif sérieux

41. La Cour observe que, en l’espèce, la non-comparution de C.C., qui a amené le tribunal à admettre ses déclarations à titre de preuve, s’expliquait par l’impossibilité pour les autorités d’entrer en contact avec lui. En effet, celles-ci avaient à plusieurs reprises et en vain essayé de lui notifier la citation à comparaître au domicile qu’il avait indiqué (celui de ses parents) et il ne s’était pas présenté ni aux audiences ad hoc, exception faite pour l’audience du 28 janvier 1997, qui n’eut pas lieu en raison de l’absence du procureur (voir paragraphe 9 ci-dessus), ni à l’audience du 27 mai 2003 qui devait être consacrée à son audition (paragraphe 12 ci-dessus).

42. La Cour rappelle que, lorsque l’absence du témoin s’explique par la raison évoquée en l’espèce, elle exige du tribunal du fond qu’il ait fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour assurer la comparution de l’intéressé (Gabrielyan c. Arménie, no 8088/05, § 78, 10 avril 2012, Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 48, 22 novembre 2012, et Kostecki c. Pologne, no 14932/09, §§ 65-66, 4 juin 2013). L’impossibilité pour les juridictions internes d’entrer en contact avec le témoin concerné ou le fait que celui-ci a quitté le territoire du pays dans lequel l’instance est conduite ont été jugés insuffisants en soi pour satisfaire à l’article 6 § 3 d), lequel exige des États contractants qu’ils prennent des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (Gabrielyan, précité, § 81, Tseber, précité, § 48, et Lučić c. Croatie, no 5699/11, § 79, 27 février 2014).

43. Pareilles mesures relèvent de la diligence que les États contractants doivent déployer pour assurer la jouissance effective des droits garantis par l’article 6 de la Convention (Gabrielyan, précité, § 81), faute de quoi l’absence du témoin est imputable aux autorités internes (Tseber, précité, § 48, Lučić, précité, § 79, et Schatschaschwili, précité, § 120).

44. Pour que les autorités soient considérées comme ayant déployé tous les efforts raisonnables pour assurer la comparution d’un témoin, il faut aussi que les tribunaux internes aient procédé à un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l’incapacité du témoin à assister au procès, en tenant compte de la situation particulière de l’intéressé (Nechto c. Russie, no 24893/05, § 127, 24 janvier 2012, Damir Sibgatullin c. Russie, no 1413/05, § 56, 24 avril 2012, Yevgeniy Ivanov c. Russie, no 27100/03, § 47, 25 avril 2013, et Schatschaschwili, précité, § 122).

45. Force est de constater que, en l’espèce, les tribunaux internes se sont bornés à indiquer que l’absence de C.C. n’était pas prévisible et que les recherches menées pour le retrouver avaient été vaines (paragraphes 10, 12 et 17 ci-dessus). Le tribunal a exclu la possibilité d’effectuer des recherches supplémentaires. En 1997 et en 1998, C.C. a été cité à comparaître en vue de la tenue d’une audience ad hoc destinée à recueillir son témoignage et à effectuer une reconnaissance du requérant. Il ne s’est présenté qu’à une seule audience ad hoc, laquelle a été reportée en raison de l’absence du substitut du procureur. Ensuite, à l’audience du 22 septembre 1997, le juge a indiqué que C.C., ne vivant plus au domicile de ses parents, n’avait pas reçu notification de la citation à comparaître. Au final, lors du procès en 2003, soit plus de six ans après les faits, les seules recherches effectuées par la police avaient été celles faites au domicile des parents de C.C.

46. Dans ces circonstances, et compte tenu également du long laps de temps écoulé entre les faits et le procès, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que les juridictions italiennes ont déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer la comparution de C.C. ( voir paragraphes 9 et 41 ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Rudnichenko, précité, §§ 105-109, où la Cour a conclu que la restriction apportée au droit du requérant de faire interroger un témoin absent ne reposait sur aucun motif, valable ou non, après avoir notamment observé qu’aucune mesure n’avait été prise pour faire en sorte que le témoin litigieux pût comparaître et être interrogé).

47. Cependant, comme observé plus haut (paragraphe 40 ci-dessus), même si elle constitue un élément de poids pour apprécier l’équité globale du procès, l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution de C.C. n’est pas en soi constitutive d’une violation de l’article 6 de la Convention. La Cour examinera donc si la déposition de C.C. constituait le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant et s’il existait des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés que l’impossibilité de contre-interroger ce témoin a causées à la défense.

ii. L’importance de la déposition de C.C. pour la condamnation du requérant

48. La Cour constate que les juges nationaux ont fondé la condamnation du requérant exclusivement ou du moins dans une mesure déterminante sur les déclarations faites par C.C. lors du dépôt de sa plainte en 1996.

49. S’il est vrai, comme le reconnait le Gouvernement, que le tribunal a pris en considération les déclarations du carabinier L.R. ayant enregistré la plainte de C.C. et ayant effectué la procédure de reconnaissance photographique du requérant et de son coïnculpé afin de valider la preuve principale, la Cour note toutefois qu’aucune confrontation directe n’a pu avoir lieu entre le requérant et son accusateur, ni pendant le procès ni au stade de l’enquête préliminaire. En particulier, au cours de celle-ci, C.C. ne s’est pas présenté à l’audience ad hoc qui s’est tenue devant le GIP en présence des avocats de la défense. La Cour réaffirme que le caractère unique de la preuve pèse lourd dans la balance et qu’il appelle des éléments suffisamment compensateurs des difficultés que son admission fait subir à la défense (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 161).

iii. Les garanties procédurales pour contrebalancer les difficultés causées à la défense

50. La Cour rappelle à nouveau que, dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec la déposition d’un témoin absent, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients que son admission fait subir à la défense, notamment des garanties procédurales solides permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité d’une telle preuve. L’examen de cette question permet de vérifier si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable, compte tenu de son importance dans la cause, pour qu’une condamnation puisse être prononcée (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 147).

51. La Cour rappelle aussi que, dans ce contexte, le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l’équité de la procédure, en ce que non seulement il vise l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par-là, du bien-fondé des chefs d’accusation (Tseber, précité, § 59, et Sică c. Roumanie, no 12036/05, § 69, 9 juillet 2013).

52. Dans la présente affaire, la Cour observe que C.C., plaignant et unique témoin, a été entendu par les carabiniers, mais qu’il n’a jamais comparu devant les juridictions du fond. Ni les juges du fond ni le requérant ou son représentant n’ont donc pu l’observer pendant son audition pour apprécier sa crédibilité et la fiabilité de sa déposition (Tseber, précité, § 60, Sică, précité, § 70, Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 65, 18 juillet 2013, et Rosin c. Estonie, no 26540/08, § 62, 19 décembre 2013).

53. La Cour relève ensuite que les juridictions internes se sont appuyées, en sus des déclarations litigieuses, sur le témoignage du carabinier L.R. qui avait relaté au tribunal, lors de l’audience du 6 décembre 2004, les modalités du déroulement de la reconnaissance photographique de l’intéressé et de son coïnculpé.

54. La Cour relève en outre que la cour d’appel a évalué avec soin la crédibilité de C.C., observant qu’il n’avait aucune raison d’accuser le requérant et que, avant les faits délictueux, il ne le connaissait pas. Ces éléments ont amené la cour d’appel à considérer que C.C. n’avait pas d’intérêt à déposer ainsi et que ses déclarations étaient donc suffisamment fiables.

55. Cela étant, la Cour se doit de rappeler qu’un tel examen ne saurait à lui seul compenser l’absence d’interrogation du témoin par la défense (Damir Sibgatullin c. Russie, no 1413/05, § 57, 24 avril 2012). En effet, aussi rigoureux soit-il, l’examen fait par le juge du fond constitue un instrument de contrôle imparfait dans la mesure où il ne permet pas de disposer des éléments pouvant ressortir d’une confrontation en audience publique entre l’accusé et son accusateur (Tseber, précité, § 65, et Riahi c. Belgique, no 65400/10, § 41, 14 juin 2016).

56. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le caractère déterminant des dépositions de C.C., en l’absence de confrontation avec le requérant en audience publique, emporte la conclusion que les juridictions internes, aussi rigoureux qu’ait été leur examen, n’ont pas pu apprécier correctement et équitablement la fiabilité de cette preuve.

57. Par conséquent, considérant l’équité de la procédure dans son ensemble, la Cour juge que les droits de la défense du requérant ont ainsi subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

LOREFICE c. ITALIE du 29 juin 2017 requête 63446/13

Article 6-1 : Le requérant est relaxé en première instance puis condamné en seconde instance sur la foi des déclarations lors de l'instruction, d'une victime et d'un témoin. La Cour d'Appel de Palerme, se devait de réinterroger le témoin et la victime, avant de condamner le requérant.

LA CEDH

36. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 60, CEDH 2006‑XII). Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve (Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000-VIII, Popovici c. Moldova, nos 289/04 et 41194/04, § 68, 27 novembre 2007, Marcos Barrios c. Espagne, no 17122/07, § 32, 21 septembre 2010, Dan, précité, § 30, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, Manoli c. République de Moldova, no 56875/11, § 32, 28 février 2017, et, a contrario, Kashlev c. Estonia, no 22574/08, §§ 48-50, 26 avril 2016).

37. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord que la cour d’appel de Palerme a condamné le requérant sur la base des déclarations de X, la victime présumée de certains des faits reprochés à l’intéressé, et de Y, un autre témoin, qui avaient déposé devant les juridictions de première instance (voir paragraphe 19 ci-dessus).

38. La Cour note que le tribunal de Sciacca, la juridiction de première instance qui a entendu X lors des débats (paragraphe 9 ci-dessus), a relaxé le requérant car il a estimé que la déposition de ce témoin n’était pas crédible. De l’avis du tribunal, les déclarations de ce dernier et celles de Y, interrogé lors d’une audience ad hoc devant le GIP (paragraphe 7 ci-dessus), étaient imprécises, illogiques et incohérentes. Le tribunal a ainsi considéré que, non seulement ces déclarations n’étaient pas corroborées par d’autres éléments, mais également qu’elles étaient fausses, ce qui l’a conduit à ordonner la transmission du dossier au parquet afin d’évaluer s’il était nécessaire d’ouvrir des poursuites pour faux témoignage contre X, Y et cinq autres témoins (paragraphes 13-14 ci-dessus).

39. La Cour relève ensuite que, de son côté, la cour d’appel de Palerme avait la possibilité, en tant qu’instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 15 février 2012. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant soit de déclarer celui-ci coupable, après s’être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé. Pour ce faire, la cour d’appel avait la possibilité d’ordonner d’office la réouverture de l’instruction, conformément à l’article 603 alinéa 3 du code de procédure pénale, et procéder à une nouvelle audition des témoins (paragraphe 26 ci‑dessus).

40. La Cour observe que la cour d’appel de Palerme a infirmé le jugement entrepris, s’écartant ainsi de l’avis du tribunal quant à l’interprétation des mêmes dépositions examinées par le juge a quo. La cour d’appel a considéré que les témoignages de X et Y étaient crédibles, précis et corroborés par plusieurs éléments. Elle a en outre estimé que Y avait donné des justifications pertinentes pour certaines inexactitudes et, quant à X, que sa réticence initiale s’expliquait par des craintes de représailles et qu’il n’y avait eu aucune manipulation des enregistrements produits par lui. La cour d’appel a également accordé un certain poids à la conduite du requérant, notant que celui-ci avait essayé d’entraver l’enquête, qu’il avait admis avoir reçu une somme d’argent de la part de X et qu’il avait progressivement adapté ses déclarations au fur et à mesure que des éléments à sa charge avaient été produits au cours du procès (paragraphes 19-20 ci‑dessus).

41. Force est de constater qu’en l’espèce la cour d’appel de Palerme ne s’est pas limitée à une nouvelle appréciation d’éléments de nature purement juridique, mais qu’elle s’est prononcée sur une question factuelle, à savoir la crédibilité des dépositions de X et Y, modifiant ainsi les faits retenus par le juge de première instance. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité du requérant (voir, mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 35, 10 mars 2009, Marcos Barrios, précité, § 40, et voir, a contrario, Leş c. Roumanie (déc.), no 28841/09, 13 septembre 2016).

42. À ce sujet, la Cour note que, pour parvenir à ces conclusions, la cour d’appel n’a pas procédé à une nouvelle audition de X et Y : cette juridiction s’est bornée à examiner les déclarations de ceux-ci telles qu’elles avaient été enregistrées dans les procès-verbaux versés au dossier (voir, mutatis mutandis, Dan, précité, § 32).

43. Compte tenu de ce qui était en jeu pour le requérant, la Cour n’est pas convaincue que les questions que la cour d’appel de Palerme avait à trancher avant de décider de condamner l’intéressé en infirmant le verdict d’acquittement du tribunal de Sciacca pouvaient, pour des motifs d’équité du procès, être examinées de manière appropriée sans appréciation directe des témoignages à charge. La Cour rappelle que ceux qui ont la responsabilité de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé doivent, en principe, entendre les témoins en personne et évaluer leur crédibilité (voir Manoli, precité, § 32 et, a contrario, Kashlev, précité, §§ 48‑50). L’évaluation de la crédibilité d’un témoin est une tâche complexe, qui, normalement, ne peut pas être accomplie par le biais d’une simple lecture du contenu des déclarations de celui-ci, telles que consacrées dans les procès-verbaux des auditions (Dan, précité, § 33).

44. Certes, il y a des cas où il s’avère impossible d’entendre un témoin en personne aux débats en appel, par exemple en raison de son décès (voir, entre autres, Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 52, Recueil 1996-III, et Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 153, CEDH 2011) ou afin de respecter son droit de garder le silence sur des circonstances qui pourraient conduire à son incrimination (voir, par exemple, Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, § 86, 5 décembre 2002). Cependant, il n’a pas été allégué que de tels empêchements existaient en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Dan, précité, § 33).

45. La Cour a examiné l’argument du Gouvernement selon lequel, en l’espèce, une nouvelle audition de X et Y n’était pas nécessaire au motif que la cour d’appel, loin de se borner à réévaluer leur crédibilité, avait effectué un contrôle approfondi de la motivation du jugement du tribunal de Sciacca en mettant en exergue ses carences à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve versés au dossier (paragraphe 35 ci-dessus). Cependant, la Cour ne voit pas en quoi cette circonstance pouvait exonérer la juridiction d’appel de l’obligation qui était la sienne d’entendre en personne les témoins dont les déclarations, qu’elle s’apprêtait à interpréter d’une manière défavorable à l’accusé et radicalement différente de celle dont le juge de première instance avait appréhendé l’affaire, constituaient le principal élément à charge.

46. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’omission de la cour d’appel de Palerme d’entendre à nouveau X, Y et/ou d’autres témoins avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont le requérant avait bénéficié en première instance a porté atteinte à l’équité du procès.

47. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

CHIPER c. ROUMANIE du 27 juin 2017 requête 22036/10

Article 6-1 et 6-3 de la convention, après un acquittement en première instance, la Haute Cour de cassation et de justice a condamné le requérant après avoir interrogé deux nouveaux témoins. Il n'a pas pu les faire contre interroger mais il avait la possibilité de faire citer d'autres témoins et de faire interroger tous les témoins qu'il veut. Pas de violation.

"69. Dans la présente affaire, puisque la juridiction de recours a entrepris des démarches pour interroger les témoins qu’elle estimait nécessaire d’entendre et qu’elle a donné au requérant l’opportunité de solliciter l’interrogatoire des témoins de son choix, la Cour ne saurait conclure que la procédure dans son ensemble n’a pas été équitable, et ce d’autant plus que la Haute Cour a expliqué pour quelles raisons elle avait été amenée à s’écarter des conclusions de la juridiction inférieure quant à l’appréciation de la crédibilité de certains témoignages."

LA CEDH

a) Principes applicables

50. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit : il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 60, CEDH 2006‑XII).

51. Les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). Elle doit examiner si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 39, 26 avril 2016).

52. La Cour rappelle encore que l’admissibilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). En particulier, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins ; il n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière (Destrehem c. France, no 56651/00, § 39, 18 mai 2004).

53. Cependant, même s’il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin, des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, série A no 158, § 89, et Destrehem, précité, § 41).

54. En outre, la Cour a déjà déclaré que, lorsqu’une juridiction d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans une appréciation directe des témoignages présentés en personne soit par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, parmi beaucoup d’autres, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII) soit par les témoins ayant déposé pendant la procédure (voir, par exemple, Găitănaru c. Roumanie, no 26082/05, §§ 32 et 35, 26 juin 2012, Flueraş c. Roumanie, no 17520/04, §§ 59 et 61, 9 avril 2013, et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, §§ 52 et 54, 29 octobre 2013). À cet égard, la Cour souligne que l’évaluation de la fiabilité d’un témoin est une tâche complexe qui ne peut généralement pas être menée à bien par la simple lecture des déclarations écrites (voir Dan c. Moldova, no 8999/07, § 33, 5 juillet 2011, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et, concernant l’audition de témoins dont la crédibilité est mise en cause, Destrehem, précité, § 45).

55. Certes, il existe des cas où il est impossible pour un tribunal de faire interroger un témoin, par exemple si l’intéressé est décédé ou lorsqu’il s’agit de respecter son droit de ne pas s’incriminer lui-même (Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, § 86, 5 décembre 2002, et Dan, précité, § 33).

56. La Cour rappelle enfin avoir déjà considéré dans des affaires similaires que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures pour entendre directement des témoins, nonobstant l’absence de sollicitation expresse du requérant (voir, par exemple, Sigurþór Arnarsson c. Islande, no 44671/98, § 38, 15 juillet 2003, Manolachi c. Roumanie, no 36605/04, § 50, 5 mars 2013 et, plus récemment, Lazu, précité, § 42).

b) Application de ces principes à la présente espèce

57. La Cour note que le requérant se plaint exclusivement que la Haute Cour, qui l’a condamné alors qu’il avait été acquitté en première instance, n’a pas procédé à un interrogatoire direct de tous les témoins. La Cour doit examiner si, dans ces conditions, la procédure dans son ensemble a été équitable.

58. La Cour rappelle avoir déjà constaté dans des affaires similaires que, dans le système judiciaire roumain tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, la compétence des juridictions saisies par la voie du recours n’était pas limitée aux seules questions de droit. En effet, la procédure applicable dans ce cadre était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, et la juridiction de recours pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant prononcé par la juridiction inférieure soit de déclarer celui-ci coupable au terme d’une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve (Moinescu c. Roumanie, no 16903/12, § 36, 15 septembre 2015).

59. En l’espèce, le requérant, assisté par un avocat, a pu participer à la procédure interne et il a été entendu tant par la juridiction de première instance que par la juridiction de recours. Par ailleurs, il n’est pas contesté devant la Cour que le requérant a eu la possibilité de poser des questions aux témoins lors de leur interrogatoire en première instance par la cour d’appel. Aucun grief n’a été formulé au sujet d’une éventuelle méconnaissance de l’article 6 §§ 1 et 3 d) lors de la procédure devant cette dernière (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 47). Partant, la Cour examinera le grief du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.

60. La Cour constate que, après avoir entendu les témoins et les trois plaignants, la cour d’appel a jugé que leurs déclarations ne prouvaient pas la responsabilité pénale du requérant et a prononcé son acquittement (paragraphes 17 à 20 ci-dessus). Elle souligne que la cour d’appel a écarté les déclarations des plaignants et des témoins L.A. et A.O., considérant que celles-ci avaient été effectuées pour les besoins de la cause (paragraphe 19 ci-dessus).

61. La Cour note que le jugement de la cour d’appel a fait l’objet d’un recours du parquet. Le requérant, assisté par un avocat, a été informé des moyens de ce recours (paragraphe 22 ci-dessus). Il était donc conscient que, en vertu des dispositions légales applicables (paragraphe 21 et 39 ci-dessus), la Haute Cour avait la possibilité d’infirmer le jugement contesté et de rejuger l’affaire.

62. La Cour observe que, en effet, la Haute Cour a procédé à un nouvel examen de la question de la culpabilité de l’intéressé (paragraphes 27 à 33 ci-dessus). Elle relève que cette juridiction a fondé son arrêt sur les preuves constituées par les déclarations des plaignants et des témoins (paragraphes 29 et 30 ci-dessus ; voir Lazu, précité, § 36 et, pour une situation différente, Ursu c. Roumanie (déc.), no 21949/04, § 40, 4 juin 2013). S’il est vrai que la Haute Cour a fait référence dans son arrêt à d’autres preuves – des écrits et un enregistrement de conversations – il n’en reste pas moins que, d’après le libellé de son arrêt, ces dernières preuves à elles seules ne pouvaient pas fonder la condamnation du requérant (paragraphe 33 ci-dessus).

63. Cela étant, la Cour constate que la présente affaire se distingue de celles qu’elle a précédemment examinées et dans lesquelles la juridiction de recours n’avait satisfait à l’obligation de prendre des mesures en vue d’un interrogatoire à l’égard d’aucun des témoins dont elle avait apprécié la crédibilité (voir, par exemple, Găitănaru, Flueraş, Moinescu, Kashlev, Lazu, précités). En effet, en l’espèce, la Haute Cour a fait des démarches pour interroger trois témoins, à savoir N.I., A.O. et L.A. À cet égard, la Cour se doit de rappeler que l’article 6 § 3 d) laisse, en principe, le soin aux juridictions nationales de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins (Destrehem, précité, § 39). Elle considère que, bien qu’il soit nécessaire pour la juridiction qui condamne pour la première fois un inculpé d’apprécier directement les preuves sur lesquelles elle fonde sa décision, il ne s’agit pas là d’une règle automatique qui rendrait un procès inéquitable pour la seule raison que la juridiction en cause n’a pas entendu tous les témoins mentionnés dans son arrêt et dont elle a dû apprécier la crédibilité. Il convient également de prendre en compte la valeur probante des témoignages en cause (voir, mutatis mutandis, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 131, CEDH 2011).

64. À ce sujet, la Cour remarque que, en l’occurrence, les trois témoins que la Haute Cour a souhaité interroger étaient les seuls, parmi l’ensemble des témoins interrogés dans l’affaire, à avoir participé directement à l’accomplissement des faits reprochés au requérant, soit en agissant comme intermédiaire, soit en sollicitant les services de l’intéressé. Elle remarque encore que ces trois témoins avaient également fait l’objet de poursuites pénales pour leur implication dans les faits reprochés au requérant (paragraphes 10 et 13 ci-dessus). En outre, la Cour note que la Haute Cour a établi les faits et interprété les autres preuves du dossier afin d’établir la responsabilité pénale de l’intéressé, en se référant toujours au contenu des déclarations des témoins N.I., A.O. et L.A et parfois à la déclaration même du requérant (paragraphes 28 et 29 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que les dépositions de ces trois témoins étaient susceptibles d’emporter la décision sur l’affaire.

65. La Cour note ensuite que, afin d’interroger les témoins N.I., A.O. et L.A. dans le cadre de la procédure de recours, la Haute Cour a appliqué des règles de procédure interne lui permettant d’examiner le fond de l’affaire et de procéder à une nouvelle administration des preuves (paragraphe 39 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Lazu, précité, § 38). Ainsi, elle a soumis au débat des parties la nécessité de faire interroger les témoins N.I., A.O. et L.A., et les parties ne s’y sont pas opposées (paragraphe 23 ci-dessus). Certes, A.O. n’a finalement pas été interrogée pendant la procédure de recours. Cela étant, il ne se dégage pas des renseignements dont dispose la Cour que les autorités internes n’aient pas été diligentes et n’aient pas entrepris les démarches utiles pour la faire comparaître au procès (paragraphe 26 ci-dessus ; voir, pour une situation différente, Ben Moumen c. Italie, no 3977/13, § 49, 23 juin 2016).

66. La Cour considère que, en prenant des mesures afin d’interroger des témoins, la Haute Cour n’a pas seulement permis aux parties de s’exprimer sur la nécessité d’interroger certains témoins qu’elle-même avait jugé utile d’entendre pour éclaircir l’affaire ; elle leur a également donné la possibilité de faire usage des dispositions légales applicables en vue de lui demander, si elles l’estimaient nécessaire, de faire interroger d’autres témoins (paragraphe 39 ci-dessus). Or le requérant, qui bénéficiait pourtant de l’assistance d’un avocat, n’a pas demandé à la Haute Cour l’audition d’autres témoins (paragraphes 23 ci-dessus ; voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 46, et Destrehem, précité, §§ 45-47). Par ailleurs, la Cour observe que, selon le droit interne, si le requérant avait formulé une demande de preuve, la Haute Cour aurait dû, le cas échéant, motiver une décision de rejet relativement à cette demande (paragraphe 39 ci-dessus).

67. Il est vrai que la Haute Cour a renversé l’arrêt de la cour d’appel après avoir réexaminé les déclarations des plaignants – auxquelles elle s’est référée dans son arrêt – et avoir apprécié leur crédibilité mais sans interroger les intéressés (paragraphes 29 et 31 ci-dessus). Toutefois, la Cour rappelle qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235‑B). La Cour n’a pas à s’ériger en juge de quatrième instance et les juridictions internes sont mieux placées pour apprécier la crédibilité des témoins et la pertinence des preuves dans une affaire donnée (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 48).

68. En outre, rien dans le dossier ne permet de conclure que la Haute Cour a agi de manière arbitraire dans l’appréciation de ces preuves. La Haute Cour a expliqué dans son arrêt les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la décision de la cour d’appel d’écarter les déclarations des témoins et des plaignants au motif qu’elles avaient été effectuées pour les besoins de la cause était, à son avis, erronée (paragraphe 31 à 33 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 150, CEDH 2015 et, pour une situation différente, Lazu, précité, § 39).

69. Dans la présente affaire, puisque la juridiction de recours a entrepris des démarches pour interroger les témoins qu’elle estimait nécessaire d’entendre et qu’elle a donné au requérant l’opportunité de solliciter l’interrogatoire des témoins de son choix, la Cour ne saurait conclure que la procédure dans son ensemble n’a pas été équitable, et ce d’autant plus que la Haute Cour a expliqué pour quelles raisons elle avait été amenée à s’écarter des conclusions de la juridiction inférieure quant à l’appréciation de la crédibilité de certains témoignages.

70. Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

VAN WESENBEECK c. BELGIQUE du 23 mai 2017 Requêtes nos 67496/10 et 52936/12

Non possibilité d'interroger les agents infiltrés dans un trafic de drogue : Les garanties procédurales ont protégé les droits du requérant alors que la vie des agents infiltrés et de leur famille doit être protégée.

CEDH

i. Principes généraux pertinents

88. La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili, précité, § 100). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (voir paragraphe 62, ci-dessus). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (ibidem). La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (voir paragraphes 65-66, ci-dessus).

89. Elle rappelle en outre que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

90. Toutefois, l’article 6 § 3 d) ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (voir, parmi d’autres, Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158, S.N. c. Suède, no 34209/96, § 44, CEDH 2002‑V, et Przydział c. Pologne, no 15487/08, § 46, 24 mai 2016).

91. En outre, dans son arrêt Al-Khawaja et Tahery, la Cour a conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent de celui-ci et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1. La Cour a précisé que, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (ibidem, §§ 146-147).

92. Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, § 107), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 152). La Cour doit rechercher :

i. s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii. si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et