DROIT A UN RECOURS

ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

rédigé par Frédéric Fabre docteur en droit.

Article 13 de la Convention

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles"

Cliquez sur un lien bleu pour accéder à la jurisprudence gratuite de la CEDH :

- article 13 combiné à l'article 6

- article 13 combiné à l'article 3

- la jurisprudence de la CEDH concernant les Etats francophones.

Nous pouvons analyser GRATUITEMENT et SANS AUCUN ENGAGEMENT vos griefs pour savoir s'ils sont susceptibles d'être recevables devant le parlement européen, la CEDH, le Haut Commissariat aux droits de l'homme, ou un autre organisme de règlement international de l'ONU. Contactez nous à fabre@fbls.net.

Si vos griefs semblent recevables, pour augmenter réellement et concrètement vos chances, vous pouvez nous demander de vous assister pour rédiger votre requête, votre pétition ou votre communication individuelle.

ARTICLE 13 ET ARTICLE 6

La jurisprudence de la Cour a été contrainte de préciser:

-dans quelle mesure un requérant peut ou non se plaindre d'une violation de l'article 13 de la Convention;

-dans quelle mesure l'examen d'une allégation pour violation de l'article 13 doit être examinée si l'Etat défendeur est déjà condamné pour une  violation de l'article 6§1 de la Convention.

Di Sarno et autres c. Italie requête n° 30765/08 du 10 janvier 2011

L’incapacité prolongée des autorités italiennes à régler la « crise des déchets » en Campanie a porté atteinte aux droits de l’homme des 18 requérants

En l’espèce,  de 2000 à 2008, le service de traitement et d’élimination des déchets a été confié à des sociétés de droit privé, alors que le service de collecte des déchets dans la commune de Somma Vesuviana a été assuré par plusieurs sociétés à capital public. La circonstance que les autorités italiennes aient confié à des organismes tiers la gestion d’un service public ne saurait cependant les dispenser des obligations de vigilance leur incombant en vertu de l’article 8 de la Convention (voir López Ostra, précité, §§ 44-58).

Les requérants sont 18 ressortissants italiens, dont 13 résident et 5 autres travaillent dans la commune de Somma Vesuviana (Campanie).

Du 11 février 1994 au 31 décembre 2009, le président du Conseil des ministres prononça l’état d’urgence pour la région Campanie en raison des graves problèmes d’élimination des déchets urbains. Dans un premier temps, la gestion de l’état d’urgence fut confiée à des « commissaires délégués ».

Le 9 juin 1997, le président de la région agissant en tant que commissaire délégué arrêta un plan régional d’élimination des déchets qui prévoyait la construction de cinq incinérateurs, de cinq décharges principales et de six autres décharges secondaires. Il lança un appel d’offres pour la concession décennale du service de traitement et d’élimination des déchets produits dans la province de Naples. En application du cahier des charges, le concessionnaire retenu devait assurer la réception régulière des déchets collectés, leur tri, leur transformation en combustible recyclé (le « CDR ») et leur incinération. A cette fin, il devait construire et gérer trois centres destinés au tri et à la production de combustible et réaliser une usine de production électrique par combustion de CDR, avant le 31 décembre 2000.

La concession fut confiée à un consortium de cinq entreprises qui s’engageaient à construire au total trois centres de production de CDR et une usine d’incinération.

Le 22 avril 1999, le même commissaire délégué lança un appel d’offres pour la concession du service d’élimination des déchets produits en Campanie. La procédure d’adjudication fut emportée par un consortium qui créa la société FIBE Campania S.p.A., laquelle s’engageait à construire et à gérer sept centres de production de CDR et deux usines d’incinération. Elle devait assurer la réception, le tri et le traitement des déchets produits dans la région de Campanie.

En janvier 2001, la fermeture de la décharge de Tufino entraîna la suspension provisoire de l’élimination des déchets dans la province de Naples. Les maires des autres communes de la province autorisèrent à titre provisoire leur stockage dans leurs décharges respectives.

Le 22 mai 2001, le service de ramassage, collecte et transport des déchets de la commune de Somma Vesuviana fut confié à un consortium de diverses entreprises, puis le 26 octobre 2004, la gestion de ce service fut attribuée à une société à capital public.

Une enquête pénale fut ouverte en 2003, par le parquet près le tribunal de Naples, sur la situation de la gestion du service d’élimination des déchets en Campanie. Le 31 juillet 2007, le parquet demanda le renvoi en jugement des administrateurs et de certains employés des sociétés concessionnaires, du commissaire délégué en exercice de 2000 à 2004 et de plusieurs fonctionnaires de son bureau pour avoir commis des délits de fraude, d’inexécution de contrats publics, d’escroquerie, d’interruption d’un service public, d’abus de fonctions, de faux idéologique dans l’exercice de fonctions publiques et d’opérations de gestion de déchets non autorisées.

Une nouvelle crise se produisit à la fin de l’année 2007, pendant laquelle des tonnes de déchets furent abandonnées dans les rues de Naples et de plusieurs villes de sa province. Le 11 janvier 2008, le président du Conseil des ministres nomma un haut fonctionnaire de police aux fonctions de commissaire délégué chargé d’ouvrir des décharges et de repérer de nouveaux sites de stockage et d’élimination des déchets.

Entre temps, une autre enquête pénale fut ouverte en 2006, sur les opérations d’élimination des déchets réalisées pendant la phase transitoire consécutive à la résiliation des premiers contrats de concession. Le 22 mai 2008, le juge ordonna l’assignation à résidence des prévenus : administrateurs, cadres, employés des sociétés chargées d’assurer l’élimination et le traitement des déchets, responsables de centres de tri de déchets, gérants de décharges, représentants de sociétés de transports et fonctionnaires du bureau du commissaire délégué. Ceux-ci furent accusés d’association de malfaiteurs en vue du trafic illégal de déchets et de la réalisation de faux en écritures publiques, d’escroquerie, de faux idéologique dans l’exercice de fonctions publiques et d’activités organisées pour le trafic illicite de déchets.

Décision de la Cour

I.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A.  Sur la qualité de « victimes » des requérants

78.  Le Gouvernement excipe d’abord du défaut de qualité de « victimes » des requérants, avançant qu’ils n’ont subi aucune atteinte à leurs droits au respect de la vie privée et familiale et du domicile, ni à leurs droits à la santé et à la vie. A la différence des requérants dans les affaires López Ostra c. Espagne (9 décembre 1994, série A no 303-C) et Guerra et autres c. Italie (19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), qui habitaient près d’usines polluantes, les requérants dans la présente affaire n’ont pas démontré qu’ils vivaient ou travaillaient à proximité de décharges ou de rues où l’abandon de déchets pourrait avoir causé un préjudice sérieux à leur santé ou à leur bien-être psychologique. La ville de Somma Vesuviana, dans laquelle les intéressés habitent ou travaillent, n’aurait même pas été touchée par la « crise des déchets ». Les requérants se plaindraient en réalité de la politique législative et administrative en matière de gestion de déchets, introduisant ainsi devant la Cour une actio popularis non admise dans le système de la Convention.

79.  Les requérants affirment que Somma Vesuviana a été l’une des communes les plus gravement frappées par la « crise des déchets ». Cela ressortirait d’un article paru le 4 mai 2008 dans le quotidien Corriere della Sera faisant état d’un incendie de plusieurs tonnes de déchets déclenché par les habitants de cette commune, ainsi que la mention de la « crise des déchets » à l’ordre du jour de deux réunions du conseil municipal de la ville. En outre, Somma Vesuviana se trouverait près de la commune de Marigliano, qui, selon une étude scientifique de 2004 (voir paragraphe 60 ci-dessus), ferait partie d’une zone à haute concentration de tumeurs qui seraient liées à la présence de déchets.

80.  La Cour rappelle que le mécanisme de contrôle de la Convention ne saurait admettre l’actio popularis (Perez c. France [GC], n47287/99, § 70, CEDH 2004-I ; Ada Rossi et autres c. Italie (déc.), no 55185/08, 55483/08, 55516/08, 55519/08, 56010/08, 56278/08, 58420/08 et 58424/08, CEDH 2008–...). Par ailleurs, ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne garantit spécifiquement une protection générale de l’environnement en tant que tel (Kyrtatos c. Grèce, no 41666/98, § 52, CEDH 2003-VI (extraits)). Selon la jurisprudence de la Cour, l’élément crucial qui permet de déterminer si, dans les circonstances d’une affaire, des atteintes à l’environnement ont emporté violation de l’un des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 8 est l’existence d’un effet néfaste sur la sphère privée ou familiale d’une personne, et non simplement la dégradation générale de l’environnement (Kyrtatos, précité, § 52 ; Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, § 68, ECHR 2005-IV).

81.  La Cour note que les requérants dénoncent une situation affectant l’ensemble de la population de la Campanie, à savoir l’atteinte à l’environnement provoquée par le mauvais fonctionnement du système de collecte, de traitement et d’élimination des déchets mis en place par les autorités publiques. Toutefois, elle relève qu’il ressort des documents fournis par les parties que Somma Vesuviana a été frappée par la « crise des déchets ». En particulier, une note de la présidence du Conseil des ministres du 16 novembre 2009 signale que, en raison du blocage d’un centre de production de CDR, les déchets de Somma Vesuviana n’ont pas pu y être transportés et que « les rues [...] ont été envahies par les déchets ». Les documents annexés aux observations du Gouvernement relatent que, de janvier 2008 à juillet 2009, 3 069 tonnes de déchets furent enlevées au cours de 94 opérations de ramassage auxquelles participa l’armée dans la commune de Somma Vesuviana et que, du 5 mai 2008 au 9 octobre 2009, les pompiers furent appelés pour éteindre trente-quatre incendies de déchets. Une note du service écologie et environnement de Somma Vesuviana indique que, « de novembre 2007 à février 2008, la crise était à son paroxysme » faute de moyens de transport suffisants pour déposer les déchets dans les décharges.

Dans ces conditions, la Cour estime que les dommages à l’environnement dénoncés par les requérants sont de nature à affecter directement leur propre bien-être (voir, a contrario, Kyrtatos, précité, § 53). Partant, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

B.  Sur le non-épuisement allégué des voies de recours internes

82.  Par ailleurs, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Les requérants auraient pu exercer une action indemnitaire contre les organismes gérant le service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets pour leur demander réparation des préjudices découlant du mauvais fonctionnement dudit service, comme l’auraient fait d’autres habitants de la Campanie. Il ressortirait de la note du 16 novembre 2009 de la présidence du Conseil des ministres (voir paragraphe 81 ci-dessus) que, au 31 décembre 2008, 1 294 affaires portant sur les mêmes faits et griefs que ceux à l’origine de la présente requête avaient été introduites devant les juges de paix de Campanie contre plusieurs municipalités de la région, y compris celle de Somma Vesuviana, contre le commissaire délégué et contre la région. Certaines d’entre elles auraient abouti à la condamnation des communes et/ou du commissaire et au dédommagement des intéressés. Quatre habitants de Somma Vesuviana auraient assigné la commune, le commissaire et la société chargée de la collecte des déchets (MITA) devant le juge de paix de Sant’Anastasia. D’autres actions en dommages-intérêts auraient été introduites devant des juridictions administratives ou de droit commun hors de la région.

83.  En outre, les requérants auraient pu demander au ministère de l’Environnement d’introduire, devant les juridictions civiles ou pénales, une action en réparation du préjudice environnemental au sens de l’article 18 de la loi no 349/86 contre ces mêmes autorités et les administrateurs des sociétés concessionnaires du service. Enfin, il aurait été loisible aux intéressés de se constituer parties civiles dans les procédures pénales diligentées contre le personnel des entreprises adjudicataires du service de collecte des déchets en Campanie et contre les fonctionnaires du bureau du commissaire délégué (voir paragraphes 49 et 51 ci-dessus). Les requérants n’ayant exercé aucun des recours internes susmentionnés, ils auraient failli à l’obligation qui leur incombe en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention.

84.  Pour leur part, les requérants estiment qu’ils ne disposaient d’aucune voie de recours utile et effective au sens des articles 35 et 13 de la Convention. Ils affirment que, bien que la « crise des déchets » perdure en Campanie depuis 1994, aucune décision judiciaire reconnaissant la responsabilité civile ou pénale des autorités publiques ou des entreprises adjudicataires du service n’a été rendue. Ils concèdent qu’une procédure pénale a été diligentée en 2003 par le parquet près le tribunal de Naples contre les responsables présumés, mais signalent qu’elle est toujours pendante. Ils en concluent que les recours prévus par le droit italien ne leur offraient aucune chance d’obtenir une décision judiciaire, ni, d’ailleurs, de solliciter une solution à la « crise des déchets ».

85.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes inscrite à l’article 35 § 1 de la Convention vise à ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que celles-ci ne lui soient soumises. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 51, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI).

86.  En outre, en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, étant entendu qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe et autres c. Italie, no 16041/02, § 63, 15 décembre 2005). De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes qui s’offrent à lui (Selmouni, précité, § 75).

87.  En ce qui concerne la possibilité pour les requérants d’exercer une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles, la Cour note, d’une part, qu’une telle démarche aurait théoriquement pu aboutir au dédommagement des intéressés mais non à l’enlèvement des déchets des voies et lieux publics. D’autre part, même à supposer qu’une réparation du préjudice constituât un redressement adéquat des violations alléguées de la Convention, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que les requérants auraient eu des chances de succès en exerçant cette voie de recours. Le Gouvernement s’est borné à fournir copie des assignations introduites devant le juge de paix par certains résidents de la Campanie contre les responsables de la gestion des déchets, et à indiquer que des affaires étaient pendantes devant les juridictions civiles et administratives. Aucune décision d’une juridiction civile accordant un dédommagement aux habitants des zones concernées par l’accumulation des déchets sur la voie publique n’a été fournie par le Gouvernement. Par ailleurs, la Cour de cassation a confirmé, en 2009, la compétence des juridictions administratives pour connaître des demandes d’indemnisation en rapport avec la « crise des déchets » (voir paragraphe 70 ci-dessus). Toutefois, le Gouvernement n’a pas non plus produit de décision juridictionnelle administrative octroyant une indemnité.

88.  De même, le Gouvernement n’a cité aucune jurisprudence établissant que les résidents des zones touchées par la mauvaise gestion des déchets avaient qualité pour se constituer parties civiles dans le cadre de procédures pénales visant à sanctionner des délits contre l’administration publique et l’environnement.

89.  Enfin, pour ce qui est de la possibilité de demander au ministère de l’Environnement d’exercer une action en réparation du préjudice environnemental au sens de l’article 18 de la loi no 349/86, la Cour note d’emblée que la disposition évoquée par le Gouvernement a été abrogée par l’article 318 du décret-loi no 152/06 et remplacée par l’article 311 dudit décret. Cette dernière disposition énonce, comme jadis l’article 18 de la loi no 349/86, que seul le ministère de l’Environnement peut demander réparation du préjudice environnemental et que les particuliers ne peuvent que l’inviter à saisir les autorités judiciaires. Il s’ensuit que les recours prévus par ces dispositions n’auraient pas permis aux requérants de se prévaloir du préjudice découlant des dommages à l’environnement. En conséquence, ces recours ne sauraient passer pour des recours utiles au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

90.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

C.  Sur l’observation du délai de six mois

91.  Le Gouvernement soutient que, en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, seuls des faits survenus dans les six mois précédant la date d’introduction de la requête – en l’occurrence le 9 janvier 2008 – peuvent être déférés à la Cour et que cette disposition interdit à celle-ci tout examen de la situation antérieure.

92.  Les requérants n’ont pas pris position sur ce point.

93.  La Cour relève que les requérants ne se plaignent pas d’un acte instantané mais d’une situation de crise dans la gestion du service de collecte, de transport, de traitement et d’élimination des déchets en Campanie. Elle rappelle que, lorsque la violation alléguée constitue, comme en l’espèce, une situation continue, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où cette situation continue a pris fin (voir parmi d’autres, (Çınar c. Turquie, no 17864/91, décision de la Commission du 5 septembre 1994 ; (Ülke c. Turquie (déc.), no 39437/98, 1er juin 2004). Dès lors, elle estime qu’il y lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

94.  Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, les requérants avancent que, en s’abstenant d’adopter les mesures requises pour garantir le fonctionnement du service public de collecte des déchets et en appliquant une politique législative et administrative inadaptée, l’Etat a nui gravement à l’environnement de leur région et mis en danger leur vie et leur santé ainsi que celles de l’ensemble de la population locale. Les autorités publiques auraient, en outre, omis d’informer les intéressés des risques liés au fait d’habiter dans un territoire pollué.

95.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

96.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres, précité, § 44), la Cour estime, au vu de sa jurisprudence en la matière (López Ostra, précité, § 51, Guerra et autres, précité, § 57 ; Moreno Gómez c. Espagne, n4143/02, 16 novembre 2004; Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], n36022/97, § 96, CEDH 2003-VIII), que les griefs des requérants doivent être examinés sous l’angle du droit au respect de la vie privée et du domicile garanti par l’article 8 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...), de son domicile (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

97.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Thèse du Gouvernement

98.  Le Gouvernement admet que « la gestion presque désastreuse du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets produits dans certaines zones de la province de Naples » a entraîné l’accumulation de déchets dans les rues de certaines villes ainsi que la création de décharges illégales. Toutefois, il avance que la phase aiguë de la crise n’a duré que cinq mois environ, à savoir de fin 2007 à mai 2008, et que, en tout état de cause, Somma Vesuviana n’a pas été touchée.

99.  Il soutient en outre que les difficultés rencontrées en Campanie sont imputables à des causes relevant de la force majeure telles que la présence de la criminalité organisée dans la région, l’inexécution par les entreprises adjudicataires du service de collecte des déchets des obligations qui leur incombaient en vertu des contrats de concession, le manque d’entreprises disposées à assurer la continuité du service et l’opposition de la population à la création de décharges et de centres de production de CDR. Il précise en outre que les incendies de déchets dans les rues ont été déclenchés par les citoyens, raison pour laquelle l’Etat ne saurait en être tenu pour responsable.

100.  Il souligne que, en tout état de cause, les autorités italiennes ont satisfait à leur devoir de vigilance et pris des mesures adéquates pour réagir à la « crise ». D’une part, elles auraient diligenté des poursuites pénales à l’encontre des responsables de la mauvaise gestion de la situation. D’autre part, elles auraient adopté plusieurs mesures législatives, dont le décret-loi no 90/08 par lequel aurait été mis en place un système efficace ayant abouti au ramassage des déchets, à l’élimination des décharges illégales et à la reprise du fonctionnement des usines de traitement et d’élimination des déchets (voir paragraphe 68 ci-dessus).

101.  Par ailleurs, elles auraient réalisé plusieurs études sur les causes et les effets de la « crise des déchets » en Campanie et fourni à la population des informations qui lui auraient permis d’évaluer son degré d’exposition aux risques associés à la collecte, au traitement et à l’élimination des déchets. Les causes de la crise des déchets en Campanie auraient été analysées par trois commissions parlementaires, dont les conclusions figureraient dans des rapports publics. Le ministère de la Santé et le service de la protection civile auraient commandé diverses études d’impact de la crise sur l’environnement et la santé humaine (voir paragraphes 62-64 ci-dessus). Ces études auraient démontré que « la crise des déchets » n’avait pas eu d’impact significatif sur l’environnement – exceptée une augmentation sporadique des niveaux de pollution de l’eau non directement imputable à la présence de déchets – ni de conséquences négatives sur la santé humaine. Leurs résultats auraient été diffusés à l’occasion de séminaires et de conférences publics. Enfin, un centre de documentation sur la santé et la pollution environnementale provoquée par les déchets, géré par le Centre national pour la prévention et le contrôle des maladies (CCM) et la région de Campanie, serait en cours de création.

b) Thèse des requérants

102.  Les requérants soutiennent que les carences des autorités publiques dans la gestion de la crise ont causé des dommages à l’environnement et mis en danger leur santé.

103.  L’Etat défendeur aurait aussi failli à l’obligation de fournir des informations permettant aux intéressés d’évaluer leur degré d’exposition aux risques associés à la collecte et à l’élimination des déchets faute d’avoir diffusé auprès du public les résultats de l’étude commandée par le service de la protection civile (paragraphe 62 ci-dessus). Par ailleurs, l’étude de l’ISS, présentée à la préfecture de Naples en janvier 2009 (paragraphe 63 ci-dessus), aurait mis en évidence un lien entre le taux de tumeurs et la présence de décharges dans la zone comprenant les communes d’Acerra, de Nola et de Marigliano (limitrophe de Somma Vesuviana).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

104.  La Cour rappelle que des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale (López Ostra, précité, § 51 ; Guerra et autres, précité, § 60).

105.  Par ailleurs, elle souligne que l’article 8 ne se borne pas à astreindre l’Etat à s’abstenir d’ingérences arbitraires : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. En tout état de cause, que l’on aborde la question sous l’angle de l’obligation positive de l’Etat d’adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu en vertu du premier paragraphe de l’article 8 ou sous celui d’une ingérence d’une autorité publique, à justifier selon le second paragraphe, les principes applicables sont assez voisins (López Ostra, précité, § 51, et Guerra, précité, § 58).

106.  Les Etats ont avant tout l’obligation positive, en particulier dans le cas d’une activité dangereuse, de mettre en place une réglementation adaptée aux spécificités de ladite activité, notamment au niveau du risque qui pourrait en résulter. Cette obligation doit régir l’autorisation, la mise en fonctionnement, l’exploitation, la sécurité et le contrôle de l’activité en question, ainsi qu’imposer à toute personne concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer la protection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine en cause (voir, mutatis mutandis, Oneryildiz c. Turquie, [GC], no 48939/99, § 90, CEDH 2004-XII).

107.  En ce qui concerne les obligations procédurales découlant de l’article 8, la Cour rappelle qu’elle attache une importance particulière à l’accès du public à des informations permettant d’évaluer le danger auquel il est exposé (Guerra, précité, § 60 ; Taşkin et autres c. Turquie no 46117/99, § 119, CEDH 2004-X ; Giacomelli c. Italie, no 59909/00, § 83, CEDH 2006-XII; Tătar c. Roumanie, no 67021/01, § 113, CEDH 2009-... (extraits)). Elle rappelle de surcroît que l’article 5 § 1 c) de la Convention d’Aarhus, ratifiée par l’Italie, prévoit que chaque Partie fait en sorte « qu’en cas de menace imminente pour la santé ou l’environnement, imputable à des activités humaines ou due à des causes naturelles, toutes les informations susceptibles de permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou limiter d’éventuels dommages qui sont en la possession d’une autorité publique soient diffusées immédiatement et sans retard aux personnes qui risquent d’être touchées » (paragraphe 76 ci-dessus).

b) Application des principes précités au cas d’espèce

108.  La Cour rappelle d’emblée qu’elle vient de constater (paragraphe 80 ci-dessus) que la commune de Somma Vesuviana, où les requérants habitent ou travaillent, a été frappée par la « crise des déchets ». Elle relève que la Campanie a connu l’état d’urgence du 11 février 1994 au 31 décembre 2009 et que les requérants ont été contraints de vivre dans un environnement pollué par les déchets abandonnés sur la voie publique au moins à compter de la fin de l’année 2007 jusqu’au mois de mai 2008. La Cour estime que cette situation a pu conduire à une détérioration de la qualité de vie des intéressés et, en particulier, nuire à leur droit au respect de la vie privée et du domicile. Dès lors, l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce. Par ailleurs, la Cour note que les requérants n’ont pas allégué être affectés par des pathologies liées à l’exposition aux déchets et que les études scientifiques fournies par les parties parviennent à des conclusions opposées quant à l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition aux déchets et l’augmentation du risque de développement de pathologies telles que des cancers ou des malformations congénitales. Dans ces conditions, bien que la Cour de justice de l’Union européenne, appelée à se prononcer sur la question de l’élimination des déchets en Campanie, ait estimé que l’accumulation de quantités importantes de déchets sur la voie publique et des aires de stockage temporaires était susceptible d’exposer à un danger la santé de la population résidente (voir l’arrêt C-297/08, précité, paragraphes 55 et 56 ci-dessus), la Cour ne saurait conclure que la vie et la santé des requérants ont été menacées. Cela étant, l’article 8 peut être invoqué même en l’absence de la preuve d’un grave danger pour la santé des intéressés (voir López Ostra, précité, § 51).

109.  La Cour considère que la présente affaire porte non sur une ingérence directe dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile des requérants qui se serait matérialisée par un acte des autorités publiques, mais sur le manquement allégué de celles-ci à prendre des mesures adéquates pour assurer le fonctionnement régulier du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets dans la commune de Somma Vesuviana. Elle estime donc approprié de se placer sur le terrain des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention (voir Guerra, précité, § 58).

110.  La collecte, le traitement et l’élimination des déchets constituent, à n’en pas douter, des activités dangereuses (voir, mutatis mutandis, Oneryildiz, précité, § 71). Dès lors, il pesait sur l’Etat l’obligation positive d’adopter des mesures raisonnables et adéquates capables de protéger les droits des intéressés au respect de leur vie privée et de leur domicile et, plus généralement, à la jouissance d’un environnement sain et protégé (voir T tar, précité, § 107). La Cour rappelle, par ailleurs, la marge d appréciation dont jouissent les Etats dans le choix des mesures concrètes à adopter pour s acquitter des obligations positives découlant de l article 8 de la Convention (voir Fadeïeva, précité, § 96).

111.  La Cour relève que l’Etat italien a adopté, à partir de mai 2008,  plusieurs mesures et pris des initiatives pour surmonter les difficultés rencontrées en Campanie et que l’état d’urgence, déclaré en Campanie le 11 février 1994, a été levé le 31 décembre 2009. Le gouvernement défendeur a, certes, admis l’existence d’un état de crise, mais il l’a qualifié de situation de force majeure. A ce propos, la Cour se borne à rappeler qu’aux termes de l’article 23 des Articles de la Commission de droit international des Nations Unies, sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, la « force majeure » consiste en « (...) une force irrésistible ou (...) un événement extérieur imprévu qui échappe au contrôle de l’Etat et fait qu’il est matériellement impossible, étant donné les circonstances, d’exécuter [une] obligation [internationale] » (paragraphe 77 ci-dessus). Eu égard aussi aux conclusions de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-297/08 précitée, la Cour estime que les circonstances invoquées par l’Etat italien ne sauraient relever de la force majeure.

112.  Selon la Cour, même si on considère, comme l’affirme le gouvernement, que la phase aiguë de la crise n’a duré que cinq mois – de fin 2007 à mai 2008 – et malgré la marge d’appréciation reconnue à l’Etat défendeur, force est de constater  que l’incapacité prolongée des autorités italiennes à assurer le fonctionnement régulier du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets a porté atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et de leur domicile, en violation de l’article 8 de la Convention sous son volet matériel.

113.   En revanche, en ce qui concerne le volet procédural de l’article 8 et le grief tiré du manque allégué de diffusion d’informations propres à permettre aux requérants d’évaluer le risque auquel ils étaient exposés, la Cour souligne que les études commandées par le service de la protection civile ont été rendues publiques en 2005 et 2008. Dès lors, elle estime que les autorités italiennes se sont acquittées de l’obligation d’informer les personnes concernées, y compris les requérants, quant aux risques potentiels auxquels elles s’exposaient en continuant à résider en Campanie. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention à cet égard.

III.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION

114.  Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants allèguent que les autorités italiennes n’ont pris aucune initiative visant à sauvegarder les droits des justiciables et reprochent à la justice d’avoir considérablement tardé à poursuivre pénalement les responsables de la « gestion » des déchets.

115.  En ce qui concerne le grief portant sur l’ouverture de poursuites pénales, la Cour rappelle que ni les articles 6 et 13 ni aucune autre disposition de la Convention ne garantissent à un requérant le droit de faire poursuivre et condamner des tiers ou le droit à la « vengeance privée » (voir Perez, précité, § 70 ; Oneryildiz, précité, § 147). Dès lors, la Cour estime qu’il y lieu de déclarer cette partie du grief irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens des articles 35 §§ 3 b) et 4.

116.  En revanche, pour autant que le grief des requérants porte sur l’absence, dans l’ordre juridique italien, de voies de recours effectives qui leur auraient permis d’obtenir réparation de leur préjudice, la Cour considère qu’il relève de l’article 13 de la Convention, qu’il est étroitement lié aux griefs examinés aux paragraphes 93-111 ci-dessus et qu’il doit donc être déclaré recevable.

117.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant à l’autorité nationale compétente de connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention (Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 108, CEDH 2001-V). L’objet de cet article est de fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d’avoir à mettre en œuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).

118.  Eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue quant à l’existence de voies de recours utiles et effectives permettant de soulever, devant les autorités nationales, des griefs ayant trait aux conséquences préjudiciables pour les requérants de la mauvaise gestion du service de collecte, de traitement et d’élimination des déchets (paragraphes 84-89 ci-dessus), la Cour estime qu’il y lieu de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention en l’espèce.

ANNEXE Liste des requérants

 

Nom

Prénom

Année de naissance

Lieu de résidence

1.

Di Sarno

Francesco

1954

Sant’Anastasia (NA)

2.

Di Lorenzo

Errico

1974

Somma Vesuviana (NA)

3.

Raiola

Luigi

1974

Somma Vesuviana (NA)

4.

De Falco

Lucio

1939

Somma Vesuviana (NA)

5.

Esposito

Marianna

1978

Somma Vesuviana (NA)

6.

Buonuomo

Armando

1948

Somma Vesuviana (NA)

7.

Di Lorenzo

Domenico

1977

Somma Vesuviana (NA)

8.

Di Lorenzo

Giuseppina

1974

Somma Vesuviana (NA)

9.

Izzo

Ulderico

1940

Somma Vesuviana (NA)

10.

Vesce

Anna

1942

Somma Vesuviana (NA)

11.

Rippa

Mariano

1944

Somma Vesuviana (NA)

12.

Di Lorenzo

Mariano

1944

Somma Vesuviana (NA)

13.

Rippa

Giuseppe

1947

Somma Vesuviana (NA)

14.

Aliperta

Maria

1946

Somma Vesuviana (NA)

15.

Coppola

Angelo

1967

Palma Campania (NA)

16.

Raiola

Gaetano

1950

S. Giorgio a Cremano (NA)

17.

Galise

Armando

1976

Acerra (NA)

18.

Raiola

Giovanna

1980

Acerra (NA)

 OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

Bien que je partage les préoccupations exprimées par mes collègues sur le fond, je regrette de devoir me dissocier d’eux en l’espèce car j’estime que la requête est irrecevable.

La Cour, dans son arrêt, rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Elle dit qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès. Selon la Cour, « aucune décision d’une juridiction civile accordant un dédommagement aux habitants des zones concernées par l’accumulation des déchets sur la voie publique n’a été fournie par le Gouvernement. » (paragraphe 87 de l’arrêt). Il n’a jamais été conclu que le régime de la responsabilité civile en Italie était lacunaire en tant que tel ; dans les circonstances de l’espèce, il était tout simplement impossible de démontrer l’existence d’un recours, étant donné que les requérants n’ont pas attendu l’issue de leur recours civil (apparemment certains des requérants et d’autres personnes dans des situations analogues ont engagé une telle action devant les juridictions internes). Il est impossible de prouver l’existence d’un recours dans le cas d’espèce si on ne laisse pas à la justice le temps de connaître de l’affaire. Les événements en cause se sont déroulés au moins à compter de la fin de l’année 2007 et jusqu’au mois de mai 2008 (paragraphe 108 de l’arrêt). La requête a été introduite le 9 janvier 2008 et le Gouvernement a soumis ses observations le 23 octobre 2009. Je ne vois pas comment l’ordre judiciaire italien aurait pu produire entre mai 2008 et le 23 octobre 2009 (voire la date de nos délibérations) un jugement définitif, qui aurait démontré le caractère effectif ou non du recours.

En outre, je ne suis pas convaincu que les personnes qui prétendent travailler dans le village de Somma Vesuviana mais n’y résident pas puissent se prétendre victimes puisqu’elles n’ont pas démontré que la présence des déchets avait des répercussions sur la jouissance de leur vie privée et de leur domicile au point qu’il en résulterait une ingérence dans leur vie privée, sous l’angle du « bien-être » (paragraphe 81 de l’arrêt) ni indiqué comment cette situation a pu conduire à une détérioration de la qualité de vie des intéressés qui travaillent à Somma Vesuviana et, en particulier, nuire à leur droit au respect de la vie privée et du domicile (italique ajouté par moi).

OBSERVATION DE FREDERIC FABRE

L'élimination des déchets parfois contrôlée par des associations de malfaiteurs, est un problème qui dure depuis une trentaine d'années en Italie sans qu'il ne soit résolu. Par conséquent il n'y a pas de recours efficace pour résoudre ce problème. Je ne peux qu'être d'accord avec la Cour sur ce point.

Pour la protection du domicile, effectivement la Cour vient de constater que la zone entre le domicile et le lieu de travail peut être un abord du domicile au sens de l'article 8 de la Convention.

GRANDE CHAMBRE Mc FARLANE c IRLANDE requête no 31333/06 du 10 septembre 2010

Le requérant, Brendan McFarlane, est un ressortissant irlandais né en 1951 et résidant à Belfast. L’affaire concerne le délai de plus de quatorze ans mis par les autorités irlandaises pour entamer des poursuites pénales contre lui pour des infractions qu’il aurait commises en 1983 et pour lesquelles il fut mis hors de cause en 2008.

En janvier 1998, M. McFarlane fut libéré sous condition après avoir purgé une peine d’emprisonnement en Irlande du Nord au motif qu’il avait participé dans les années 1970 à un attentat à la bombe dont l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army – « l’IRA ») fut jugée responsable. Quelques jours après sa libération, il fut arrêté et placé en détention par la police irlandaise, puis inculpé devant la Cour criminelle spéciale (Special Criminal Court – la « SCC ») de Dublin de séquestration arbitraire et de possession irrégulière d’armes à feu, infractions qu’il aurait commises en 1983 après s’être évadé de prison. Le 13 janvier 1998, il bénéficia d’une libération conditionnelle, assortie de certaines mesures de contrôle.

M. McFarlane engagea une procédure de contrôle juridictionnel pour faire cesser les poursuites pénales à son encontre au motif que le délai observé pour entamer celles-ci compromettait ses chances de bénéficier d’un procès équitable et que la non-conservation et la non-communication par les autorités de poursuite de certains éléments de preuve (tels que des empreintes digitales) avait réduit sa capacité à contester la nature et la force des éléments de preuve devant être utilisés lors de son procès. Ses griefs relatifs au retard dans l’ouverture des poursuites furent en fin de compte rejetés par la Cour suprême en 2006 ; celle-ci conclut qu’il appartenait manifestement aux autorités de poursuite de choisir le moment auquel les poursuites devaient être entamées. Quant à la perte des preuves, la Cour suprême conclut que le juge statuant sur l’affaire devrait établir s’il y avait eu une inéquité dont le ministère public pouvait être tenu pour responsable. Le requérant engagea une autre action en interdiction des poursuites pour retard, qui fut rejetée en janvier 2008. M. McFarlane dut se déplacer quarante fois à la SCC (un voyage de 320 km aller et retour) dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui. Il fut mis définitivement hors de cause en juin 2008.

Article 13

La Cour ne trouve effectif aucun des recours internes dont le gouvernement irlandais fait état.

En ce qui concerne le premier et principal recours invoqué – recours en indemnisation de la violation du droit constitutionnel à être jugé avec une diligence raisonnable – la Cour estime qu’il existe une incertitude importante quant à sa réalité.

Certes, le recours invoqué existe en théorie depuis près de vingt-cinq ans, mais il n’a jamais été utilisé. L’évolution et la disponibilité d’un recours que l’on invoque, y compris sa portée et son champ d’application, doivent être exposés avec clarté et confirmés ou complétés par la pratique ou la jurisprudence, et ce même dans le cadre d’un système juridique inspiré de la common law et doté d’une constitution écrite garantissant implicitement le droit à être jugé dans un délai raisonnable (comme c’est le cas de l’Irlande).

La Cour considère qu’il n’a pas été démontré que le recours constitutionnel en indemnisation puisse être valablement exercé dans le cas d’un délai mis par un juge pour rendre une décision. De plus, le recours constitutionnel invoqué ferait partie du contentieux civil de la High Court et de la Cour suprême, pour lequel aucune procédure particulière ou rationalisée n’a été élaborée. Le recours en question s’analyserait donc en un recours constitutionnel en indemnisation, juridiquement complexe, notamment sur le plan procédural, porté devant la High Court, puis probablement en appel devant la Cour suprême, qui, au moins au début, présenterait une certaine nouveauté juridique. La Cour estime qu’il en découle deux conséquences : la durée que pourrait avoir pareille procédure (éventuellement plusieurs années) et les frais et dépens potentiellement élevés susceptibles d’être engendrés par le recours.

Quant aux autres recours invoqués par le Gouvernement, la Cour juge ineffective une action en indemnisation au titre de la loi de 2003 sur la Convention européenne des droits de l’homme puisque, entre autres choses, il semble que des lenteurs imputables aux « tribunaux » ne pourraient être dénoncées en justice par ce biais et que la loi de 2003, entrée en vigueur le 31 décembre 2003 alors que la procédure engagée par le requérant était pendante depuis près de six ans, n’est pas rétroactive. Quant à la possibilité de solliciter une ordonnance d’interdiction pour préjudice et risque réel d’inéquité du procès à cause de la durée de la procédure, elle est substantiellement différente d’une action en indemnisation pour des délais fautifs et ne saurait constituer un recours effectif devant être utilisé pour dénoncer un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1.

La Cour considère donc que le Gouvernement n’a pas démontré que les recours qu’il invoque constituent des recours effectifs qui étaient disponibles en théorie et en pratique pour le requérant à l’époque des faits. Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1.

UN RECOURS INTERNE DOIT EXISTER POUR FAIRE EXAMINER UN GRIEF DEFENDABLE

La C.E.D.H doit successivement répondre à deux questions pour constater la violation ou non de l'article 13:

1/la violation alléguée de la Convention a-t-elle un caractère défendable ou non?

2/le requérant a-t-il la possibilité ou non d'un recours interne effectif réel et efficace pour corriger cette violation?

CASSE c. LUXEMBOURG du 27 AVRIL 2006 Requête no 40327/02

"66.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI) ; ce recours « doit être « effectif » en pratique comme en droit » (voir Kudła, précité, § 157).

La Cour a également décidé que « le recours indemnitaire invoqué par le Gouvernement ne constituant pas une « voie de droit spécifique au travers de laquelle le requérant aurait pu se plaindre de la durée de la procédure » (Kudła, précité, § 159), à défaut d’une jurisprudence interne démontrant l’efficacité de ce recours dans ce contexte précis, son effectivité « en pratique » et « en droit » ne serait pas établie » (Lutz c. France (no 1), n48215/99, § 20, 26 mars 2002).

A cet égard, la Cour, se rapportant à ses développements produits sous le paragraphe 38, rappelle que les décisions produites en premier lieu par le Gouvernement – dans lesquelles des magistrats prononcèrent, au vu de la durée de procédures pénales, une atténuation de la peine des prévenus concernés – ne sauraient raisonnablement être prises en considération en l’espèce.

Ensuite, dans la mesure où le Gouvernement renvoie à une décision du 18 mai 2004, dans laquelle les juges luxembourgeois analysèrent la question de savoir si les autorités judiciaires avaient instruit une plainte déposée contre la personne concernée dans un délai raisonnable, la Cour rappelle que ce jugement – émanant d’une juridiction de première instance et ne constituant pas un précédent jurisprudentiel qui aurait accueilli favorablement une demande en indemnisation présentée pour dépassement d’un délai raisonnable – est postérieur à la date d’introduction de la requête (voir paragraphe 39 ci-dessus). Or, c’est à cette date que l’« effectivité » du recours au sens de l’article 13 doit être appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités » (Kudła, précité, § 152 ; Lutz, précité, § 20).

67.  La Cour ne saurait raisonnablement spéculer sur la question de savoir si, à l’avenir, le recours mis en avant par le Gouvernement sera à considérer comme effectif au regard des critères posés par l’article 13 de la Convention. Toujours est-il que, pour conclure en l’espèce à la violation de l’article 13 de la Convention, il suffit à la Cour de constater qu’en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours invoqué par le Gouvernement n’était pas avérée.

68.  Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention."

PEREIRA HENRIQUES c. LUXEMBOURG du 9 mai 2006 Requête no 60255/00

"86.  La Cour réaffirme que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur (voir, parmi d’autres, Kaya c. Turquie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 329-330, § 106).

87.  Vu l’importance fondamentale du droit à la protection de la vie, l’article 13 impose, outre le versement d’une indemnité là où il convient, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables de la mort et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête (Kaya, précité, pp. 330-331, § 107).

88.  La Cour se doit d’observer que la présente affaire concerne un accident du travail impliquant un employeur privé. Aussi, dans sa décision du 26 août 2003, la Cour a-t-elle déclaré irrecevable le grief des requérants tiré de l’article 2 de la Convention, selon lequel l’Etat aurait manqué à son obligation positive d’assurer le droit à la vie de M. Coimbra Henriques. En conséquence, le grief des requérants ne saurait passer pour « défendable » aux fins de l’article 13 à cet égard.

89.  Par ailleurs, la Cour rappelle que le grief tiré de l’article 2 de la Convention qui fut déclaré recevable et qui amena à un constat de violation (voir paragraphes 58 à 63 ci-dessus) se limite à une allégation d’inefficacité de l’enquête sur les circonstances du décès de M. Coimbra Henriques. Par conséquent, dans la mesure où, dans le cadre du présent grief, les requérants dénoncent de manière analogue l’absence d’un mécanisme d’enquête efficace, la Cour estime que ce grief a déjà été traité dans le contexte de l’article 2. Il s’ensuit qu’aucune question séparée ne se pose, à cet égard, sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

90.  En revanche, se pose sous l’angle de l’article 13 la question, liée au grief déclaré recevable au titre de l’article 2, de savoir si le droit luxembourgeois prévoit un recours effectif pour se plaindre de l’inefficacité de l’enquête et obtenir un dédommagement à cet égard. La Cour estime que l’argument du Gouvernement, selon lequel les requérants auraient pu se constituer partie civile pour s’assurer de ce qu’une enquête effective soit menée, ne saurait raisonnablement être pris en compte. En effet, le simple fait que les autorités aient été informées du décès donnait ipso facto naissance à l’obligation, découlant de l’article 2, de mener une enquête efficace sur les circonstances dans lesquelles il s’était produit (voir, mutatis mutandis, les arrêts Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p. 1778, § 82 ; Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-IV, p. 2438, § 100, et Abdurrahman Orak c. Turquie, no 31889/96, § 82, 14 février 2002) sans nécessité pour les requérants d’entamer une quelconque démarche. En tout état de cause, la Cour a d’ores et déjà conclu que l’enquête n’avait pas été effective en l’espèce.

91.  Etant donné que le Gouvernement n’a pas établi que les requérants auraient disposé d’une voie de recours effective pour obtenir un dédommagement à l’issue de l’enquête inefficace, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à cet égard."

Arrêt Boyle et Ryce contre Royaume-Uni du 27/04/1988; Hudoc 31; requêtes 9658/82 et 9659/82;

Arrêt Powell et Rayner du 21/02/1990; Hudoc 206; requête 9310/81;

dans ce dernier arrêt la Cour précise:

"Elle (La Cour) a compétence pour connaître  de toute question de fait ou de droit relative aux griefs dont elle se trouve régulièrement saisie dans le contexte de l'article 13 y compris le caractère "défendable" ou non de chacune des allégations d'infractions aux clauses normatives ()

Pour trancher ce dernier point, il échet d'examiner les faits et la nature des questions de droit soulevé sur la recevabilité et de leur motivation ()

Un grief ne devient pas nécessairement défendable parce qu'avant  de le déclarer irrecevable la Commission y a consacré une étude attentive de même qu'aux faits l'ayant suscité"

Arrêt Camenzind contre Suisse du 16/12/1997; Hudoc 739; requête 21353/93

"Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 13  exige un "recours effectif devant une instance nationale" pour les plaintes que l'on peut estimer "défendables" au regard de la Convention ()

Bref, compte tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, le requérant n'a pas bénéficié d'un  "recours effectif devant une instance nationale"  pour exposer son grief tiré de l'article 8.

Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 8"

LA REGLE:

Nul besoin qu'un grief défendable ait abouti à une constatation de violation de la Convention.

Un grief défendable de violation d'un article de la Convention, a pour conséquence la violation de l'article 13, s'il n'existe aucune instance de droit interne pour l'examiner.

EXCEPTION: 

Lorsqu'une violation est définitivement constatée au sens de l'article 6§1 de la Convention, la Cour constate que le grief au sens de l'article 13 en est englobé ou absorbé.

Par conséquent, il y a nul besoin de l'examiner sous l'angle de l'article 13.

EXCEPTION A L'EXCEPTION POUR CONFIRMER LA REGLE:

Une condamnation pour délai non raisonnable d'une procédure au sens de l'article 6§1 n'empêche pas l'examen du grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention.

UN DELAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCEDURE CONSTATE AU SENS DE L'ARTICLE 6§1

NE S'OPPOSE PAS A UN EXAMEN AU SENS DE L'ARTICLE 13

Arrêt de principe Kudla contre Pologne du 26 octobre 2000; Hudoc 1996; requête 30210/96

"La Cour estime aujourd'hui que le temps est venu de revoir la jurisprudence, eu égard à l'introduction devant elle d'un nombre toujours plus important de requêtes dans lesquelles se trouve exclusivement ou principalement allégué un manquement à l'obligation d'entendre les causes dans un délai raisonnable au sens de l'article 6§1 ()

La fréquence croissante des constats de violation à cet égard a récemment amené la Cour à attirer l'attention sur "le danger important" que "la lenteur excessive de la justice" représente pour l'état de Droit dans les ordres juridiques nationaux () lorsque les justiciables ne disposent, à cet égard, d'aucune voie de recours interne ()

La Cour perçoit à présent la nécessité d'examiner le grief fondé par le requérant sur l'article 13 considéré isolément, nonobstant le fait qu'elle a déjà conclu à la violation de l'article 6§1 pour manquement à l'obligation d'assurer à l'intéressé un procès dans un délai raisonnable ()

L'objet de l'article 13 est de fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d'avoir à mettre en oeuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour.

Vu sous cet angle, le Droit de chacun à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable ne peut être que moins effectif s'il n'existe aucune possibilité de saisir d'abord une autorité nationale des griefs tirés de la Convention et les exigences de l'article 13 doivent être regardées comme renforçant celles de l'article 6§1 plutôt que comme étant absorbées par l'obligation générale, imposée par cet article de ne pas soumettre les justiciables à des procédures judiciaires anormalement longues ()

L'interprétation correcte de l'article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation imposée par l'article 6§1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable ()

Le recours exigé par l'article 13 doit être "effectif" en pratique comme en droit () "L'instance" dont parle cette disposition (art 13) n'a pas besoin  d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et ses garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant contre elle.

En outre, l'ensemble des recours offerts par ce droit interne peut remplir les exigences de l'article 13 ()

Il reste à la Cour à déterminer si les moyens dont le requérant disposait en droit polonais pour se plaindre de la durée de la procédure suivie dans sa cause étaient "effectifs" en ce sens qu'ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute violation s'étant déjà produite"

CONFIRMATION DE LA JURISPRUDENCE KUDLA CONTRE POLOGNE

Le caractère effectif d'un recours s'apprécie à la date du dépôt d'une requête et non pas au jour d'une décision de la Cour.

Les Etats francophones mirent un certain temps à changer leur jurisprudence et leur législation interne.

Par conséquent, la jurisprudence Kudla contre Pologne fut, quelques temps, confirmée:

Arrêt Stratégies et communications Dumoulin contre Belgique

du 15/07/2002 Hudoc 3810 requête 37370/97

"La Cour rappelle qu'opérant un revirement de jurisprudence à l'occasion de l'affaire Kudla, elle a estimé nécessaire d'examiner le grief fondé par le requérant sur l'article 13 considéré isolément, nonobstant le fait  qu'elle avait déjà conclu à la violation de l'article 6§1 pour manquement à l'obligation d'assurer à l'intéressé un procès dans un délai raisonnable.

Pour la Cour, l'article 13 garantit  un recours effectif devant une instance nationale permettant  de se plaindre  d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6§1, d'entendre  les causes dans un délai raisonnable.

La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Le recours exigé par l'article 13 doit être "effectif" en pratique comme en droit.

Toutefois "l'effectivité" d'un recours ne dépend pas de l'issue favorable  pour le requérant. De même "l'instance" dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle représente entre en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle.

En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (Kudla)"

En l'espèce, le législateur belge a édicté un nouvel article 136-2 dans le code d'instruction criminelle pour permettre de saisir la chambre d'instruction quand le délai de la procédure pénale est non raisonnable.

Le Gouvernement n'a pas pu présenter un arrêt d'application de cette trop nouvelle loi.

La violation de l'article 13 de la Convention est donc constatée. 

Arrêt Laidin contre France du 07/01/2003; Hudoc 4075; requête 39282/98

"C'est à la date d'introduction de la requête devant la Cour que " l'effectivité" du recours au sens de l'article 13 doit être appréciée, à l'instar des voies de recours interne à épuiser au sens de l'article 35§1 de la Convention, ces 2 dispositions présentant "d'étroites affinités" ()

Arrêt Dactylidi contre Grèce du 27/03/2003; Hudoc 4215; requête 52903/99

La Cour constate le délai non raisonnable d'une procédure administrative au sens de l'article 6§1 de la Convention.

Elle examine, ensuite, le grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention:

"§47: L'effectivité d'un "recours" au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. De même, "l'instance" dont parle cette disposition n'a pas besoin  d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle.

En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul"

Arrêt Loyen et autres contre France du 29/04/2003; Hudoc 4318; requête 55926/00

Le fait qu'il n'y ait pas de juridiction pour se plaindre de la durée non raisonnable d'un recours est une violation de l'article 6§1 mais aussi de l'article 13 de la Convention. 

Arrêt Favre contre France du 02/03/2004; Hudoc 4944; requête 72313/01

La Cour constate le délai non raisonnable d'une procédure administrative qui a duré 9 ans et 1 mois dont 5ans et plus de 10 mois devant le tribunal administratif.

Elle examine, ensuite, le grief sous l'angle de l'article 13 de la Convention:

"§34: Pour conclure en l'espèce à la violation de l'article 13 de la Convention, il suffit à la Cour de constater qu'en tout état de cause, à la date d'introduction de la requête, l'effectivité "en pratique" et "en droit " du recours invoqué par le Gouvernement n'était pas avérée"

Arrêt Mutimura contre France du 08/06/2004; Hudoc 5120; requête 46621/99

La Cour constate que le recours en droit interne en matière de délai non raisonnable d'une procédure d'accusation pénale n'était pas encore effectif au moment du dépôt de la requête. 

GOUGET ET AUTRES c.FRANCE du 27 janvier 2006 Requête no61059/00

"52.  La Cour relève que selon la jurisprudence de la Cour, l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła, précité, § 156), et que c’est à la date d’introduction de la requête que l’« effectivité » du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités » (Kudla, précité, § 152 ; Lutz c. France (no 1), no 48215/99, § 20, 26 mars 2002). Or, à la date d’introduction de la requête, le 4 mai 2002, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice n’était pas avérée (Lutz, précité, ibidem ; mutatis mutandis Broca et Texier-Micault c France, nos 27928/02 et 31694/02, §§ 21-23, 21 octobre 2003).

Partant, il y a eu violation de l’article 13, combiné à l’article 6 § 1 de la Convention."

BARILLON c. FRANCE du 9 FEVRIER 2006, Requête no 22897/02

"30.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000-XI) et que c’est à la date d’introduction de la requête que l’« effectivité » du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités » (cf. Kudla, précité, § 152 ; arrêt Lutz c. France (no 1), no 48215/99, § 20, 26 mars 2002).

31.  En conséquence, pour conclure en l’espèce à la violation de l’article 13, il suffit à la Cour de constater qu’en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours invoqué par le Gouvernement n’était pas avérée (Lutz, précité, ibidem, et, mutatis mutandis, Broca et Texier-Micault, précité, §§ 21-23).

Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention."

LA COUR LUTTE CONTRE LE DELAI NON RAISONNABLE DES PROCEDURES INTERNES

L'arrêt Kudla contre Pologne fut la conséquence de la résistance des Etats défendeurs à ne pas vouloir organiser leurs juridictions pour que les procès ne subissent plus de délai non raisonnable.

Le greffe de la C.E.D.H fut envahi de requêtes essentiellement fondées sur un délai non raisonnable d'une procédure au sens de l'article 6§1 de la Convention.

L'Etat défendeur francophone ou non, se voit alors condamné deux fois pour le même fait:

-une fois sous l'angle de l'article 6§1 de la Convention pour sanctionner un délai non raisonnable d'une procédure;

-une seconde fois au sens de l'article 13 pour constater l'absence de recours interne, destiné soit à mettre fin au délai non raisonnable de la procédure, soit à réparer le préjudice subi.

Quatre Etats francophones se décidèrent à corriger leur jurisprudence et leur législation pour offrir aux justiciables la possibilité d'obtenir en droit interne:

-soit une accélération de la procédure; solution adoptée par la Belgique et la Suisse;

-soit une réparation de leur préjudice; solution adoptée par la France et le Grand Duché du Luxembourg.

Le greffe de la C.E.D.H fut alors vidé des requêtes fondées sur le grief du délai non raisonnable d'une procédure.

POUR LES AUTRES VIOLATIONS CONSTATEES AU SENS DE L'ARTICLE 6§1,

LA CEDH CONSIDERE QUE L'ARTICLE 13 EST ENGLOBE OU ABSORBE

LA REGLE ET L'EXCEPTION: 

En matière de délai non raisonnable d'une procédure, les griefs de violation de l'article 13 sont différents d'une violation constatée de l'article 6§1 de la Convention; partant, la Cour doit les examiner sous l'angle de l'article 6§1 puis une seconde fois, au sens de l'article 13.

En toute autre matière, les griefs de violation de l'article 13 sont "ABSORBES" par la violation constatée de l'article 6§1 de la Convention, il n'y a donc pas lieu de les examiner au sens de l'article 13.

Ekin contre France du 17/07/2001; Hudoc 4139; requête 39288/98

"Eu égard à la conclusion formulée au paragraphe 73 ci dessus ainsi qu'au raisonnement exposé aux paragraphes 60-62 ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner ce grief séparément"

Cordova contre Italie du 30/01/2003 Hudoc 4139; requête 40877/98

Comme le droit d'accès à un tribunal et les autres griefs sont déjà vu sous l'angle de l'article 6§1 de la Convention; les griefs de l'article 13 en sont absorbés:

"Dès lors, la Cour  estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention"

Grisan contre Roumanie du 27/05/2003; Hudoc 4364; requête 42930/98

"Lorsque le droit revendiqué est un droit de caractère civil, l'article 6§1 constitue une "lex specialis" par rapport à l'article 13, dont les garanties se trouvent en principe absorbées par celle-ci.

Dès lors qu'elle a examiné le grief du requérant sur le terrain de l'article 6§1 précité, elle n'estime pas nécessaire en l'espèce de se placer de surcroît sur le terrain de l'article 13"

ARTICLE 13 COMBINE A L'ARTICLE 3

Barbotin c. France du 19 novembre 2020 requête no 25338/16

Article 3 combiné à l'article 13 : Détenu dans des conditions attentatoires à la dignité humaine, le requérant n’a pas bénéficié d’une réparation suffisante. Les frais d'expertise sont supérieure au montant de la réparation !

L’affaire concerne l’indemnisation octroyée par les juridictions internes au requérant au regard de ses conditions de détention dans la maison d’arrêt de Caen. Le requérant se plaint de l’ineffectivité du recours indemnitaire qu’il a engagé, compte tenu de l’insuffisance de la réparation obtenue et de la mise à sa charge des frais d’expertise engagés pour constater l’état des cellules qu’il a occupées. La Cour juge que le requérant a bénéficié d’un recours approprié lui permettant d’obtenir une indemnité en réparation du dommage subi. C’est la première fois que le recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif français à raison des conditions de détention indignes est reconnu effectif au regard de l’article 13 de la Convention. Toutefois, au cas d’espèce, les juridictions internes ont décidé de mettre les frais d’expertise à la charge du requérant au motif que la mesure d’expertise ordonnée en première instance avait été annulée en appel. Compte tenu de la modicité de la somme qui lui a été accordée en réparation du préjudice moral subi du fait de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine, le requérant s’est ainsi retrouvé, à l’issue de son recours indemnitaire, débiteur de l’État à hauteur de 273,57 EUR. La Cour considère que le résultat auquel a abouti l’action engagée par le requérant a privé le recours exercé de son effectivité.

Art 13+3 • Recours compensatoire inefficace, vu le faible montant alloué pour les conditions indignes de détention et la mise à la charge du détenu des frais d’expertise, le rendant débiteur de l’État • Recours efficace dans son principe au regard de la portée du contrôle juridictionnel exercé par les juridictions internes et du droit à une indemnisation des conditions indignes de détention • Montant de l’indemnité extrêmement modeste ne représentant qu’un faible pourcentage de celle pouvant être octroyée par la Cour, et inférieur à celui accordé par le Conseil d’État depuis décembre 2018 • Mise à la charge du requérant des frais d’expertise faisant peser sur lui un fardeau excessif alors que son action est fondée

FAITS

Par une ordonnance du 6 septembre 2010, le TA évalua les frais d’expertise à hauteur de 773,57 EUR. Ce montant fut mis à la charge de l’État, déclaré débiteur de l’avance au titre de l’aide juridictionnelle dont avait bénéficié le requérant. Parallèlement, la ministre de la Justice forma tierce opposition à l’ordonnance du 16 juin 2010, au motif que l’expertise ordonnée n’était pas utile, les conditions de détention à la maison d’arrêt de Caen ayant déjà fait l’objet d’un autre rapport d’expertise. Par une ordonnance du 28 juillet 2010, le juge des référés du TA de Caen rejeta la requête. La ministre de la Justice interjeta appel de cette ordonnance qui fut annulée par un arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 27 janvier 2011. Le 26 janvier 2012, le Conseil d’État rejeta le pourvoi en cassation du requérant. Le 31 août 2012, M. Barbotin forma un recours en responsabilité contre l’État aux fins d’obtenir réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Caen. Par un jugement du 28 mai 2013, le TA de Caen estima que, durant la période de détention du requérant, qui avait duré environ vingt-quatre mois, celui-ci avait subi durant un peu plus de quatre mois, du 27 janvier 2010 au 2 juin 2010, des conditions de détention ne permettant pas d’assurer le respect de la dignité humaine et condamna l’État à lui verser 500 EUR en réparation de son préjudice moral. Le TA mit également à la charge du requérant les frais de l’expertise de 773,57 EUR, dès lors que l’ordonnance du 16 juin 2010 ordonnant l’expertise avait été déclarée non avenue. Le 2 décembre 2015, le Conseil d’État rejeta le pourvoi principal formé par le requérant et le pourvoi incident présenté par la ministre de la Justice.

Article 13 combiné avec l’article 3

Il revient à la Cour d’examiner le régime de responsabilité mis en place et de se prononcer, pour la première fois, sur l’effectivité du recours compensatoire au regard de l’article 13 ainsi que de rechercher si le requérant a obtenu un redressement approprié. En premier lieu, la Cour constate que les juridictions administratives ont statué dans le respect des principes généraux consacrés par la jurisprudence du Conseil d’État. Il appartient à la Cour de vérifier si ces principes sont cohérents avec les exigences posées par sa propre jurisprudence. La Cour constate que le tribunal administratif s’est fondé sur le rappel (loi pénitentiaire du 22 novembre 2009), de l’obligation de respecter la dignité des personnes détenues. Le tribunal a relevé le caractère indigne des conditions de détention du requérant en tenant compte de l’état de surpeuplement de la maison d’arrêt et des problèmes liés au mauvais état d’une cellule de 16 m² où il avait été détenu pendant quatre mois avec trois ou quatre autres personnes. Le tribunal a engagé la responsabilité de l’État pour faute et l’a condamné à verser une indemnisation en réparation du préjudice moral subi. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État a exercé le contrôle du juge de cassation conformément aux lignes dégagées par sa jurisprudence. Au regard de l’article 3 de la Convention, il a jugé que ces critères avaient été correctement appliqués au cas d’espèce. Le Conseil d’État a également confirmé la solution retenue par les premiers juges en estimant que le requérant avait été détenu, pendant environ quatre mois, dans des conditions attentatoires à la dignité humaine. Il a rappelé que les conditions de détention indignes subies par le requérant ont révélé l’existence d’une faute de l’État et engendré par elles-mêmes un préjudice moral indemnisable. La Cour relève que, ce faisant, les juridictions internes ont statué selon des standards qui coïncident avec les siens en matière de conditions de détention et tiennent compte de la situation d’entière dépendance des détenus vis à vis de l’administration pénitentiaire. En deuxième lieu, la Cour note que le requérant a bénéficié d’un recours approprié lui permettant d’obtenir une indemnité en réparation du dommage subi. Elle constate toutefois que les juridictions internes ont décidé de mettre les frais d’expertise à la charge du requérant au motif que la mesure d’expertise ordonnée en première instance avait été, après avoir été effectuée, annulée en appel. Il convient en l’espèce de décompter de la somme de 500 EUR accordée au requérant, celle de 773,57 EUR mise à sa charge au titre des dépens. A l’issue du recours indemnitaire le requérant s’est donc retrouvé débiteur de l’État à hauteur de 273,57 EUR. La Cour relève également l’extrême modicité de la somme accordée au requérant, qui ne représente qu’un très faible pourcentage de celle qu’elle aurait pu octroyer dans des circonstances similaires. La Cour considère que le résultat auquel a abouti l’action engagée par le requérant – placé en situation de devoir à l’État une somme de 273,57 EUR après la reconnaissance d’un préjudice moral subi du fait de conditions de détention attentatoires à sa dignité – a privé le recours qu’il a exercé de son effectivité. La Cour ne perd pas de vue que le développement de la jurisprudence du juge administratif sur le recours indemnitaire s’inscrit dans un ensemble de réformes que l’État défendeur doit mettre en place pour faire face au problème de la surpopulation carcérale et pour résoudre les nombreuses affaires individuelles nées de ce problème, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention. La Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.

CEDH

(a)   Principes généraux

45.  Ainsi que la Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition implique l’existence d’un recours interne de nature à permettre l’examen au fond d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir au requérant le redressement approprié. Ce recours doit être « effectif » en pratique comme en droit, étant entendu que cette effectivité n’est pas subordonnée à la certitude qu’une issue favorable soit réservée à la requête (Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et 5 autres, § 180, 27 janvier 2015).

46.  Selon la jurisprudence de la Cour en matière de conditions de détention, les exigences combinées des articles 13 et 3 impliquent l’existence de remèdes préventifs et compensatoires qui doivent coexister de façon complémentaire (paragraphe 47 ci-dessous).

47.  En ce qui concerne le remède compensatoire, les principes relatifs au recours indemnitaire ont été précisés par la Cour dans l’arrêt Neshkov et autres précité (voir, également, récemment, Shmelev et autres contre Russie (déc.), nos 41743/17, §§ 89 à 96, 17 mars 2020) :

« (...) 181. La portée de l’obligation résultant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que la personne lésée fonde sur la Convention. Pour ce qui est des griefs tirés de conditions de détention inhumaines ou dégradantes contraires à l’article 3, deux types de redressement sont possibles : l’amélioration des conditions en cause ou la réparation de tout dommage subi du fait de ces conditions. Pour une personne détenue dans de telles conditions, un recours susceptible de mettre rapidement un terme à la violation en cours est donc des plus utiles, voire indispensable au regard de l’importance spéciale attachée au droit découlant de l’article 3. Dès lors que la situation incriminée a pris fin à raison de la libération de la personne concernée ou de son placement dans des conditions conformes aux exigences de l’article 3, celle-ci devrait toutefois avoir droit à réparation de toute violation qui a déjà eu lieu. En d’autres termes, dans ce domaine, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire pour être jugés effectifs (Ananyev et autres [c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08], §§ 96-98 et 214 [, 10 janvier 2012]).(...)

184. En ce qui concerne les recours compensatoires, qu’ils soient judiciaires ou administratifs, permettant de se plaindre de conditions de détention, la charge de la preuve incombant au plaignant ne doit pas être excessive. Si un détenu peut être tenu d’apporter un commencement de preuve et de produire des éléments qui sont facilement accessibles – par exemple, une description précise des conditions incriminées, des témoignages, des plaintes adressées aux autorités pénitentiaires ou organes de surveillance ou les réponses de ces autorités ou organes –, il appartient ensuite aux autorités de réfuter les allégations en question. En outre, les règles procédurales régissant l’examen des demandes d’indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 § 1 de la Convention, notamment à l’exigence du délai raisonnable, et les règles en matière de frais ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée. Enfin, les plaignants ne devraient pas être tenus d’établir que des agents déterminés ont adopté un comportement irrégulier. Les mauvaises conditions de détention ne sont pas nécessairement le fait de défaillances d’un agent en particulier, mais elles sont souvent le fruit d’un large éventail de facteurs Ananyev et autres<, précité, §§ 228‑229). (...)

187. Ainsi, pour qu’un recours interne permettant de se plaindre de conditions de détention soit effectif, l’autorité ou le tribunal chargé du dossier doit l’examiner conformément aux principes pertinents établis par la jurisprudence de la Cour sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Ces principes sont exposés de manière détaillée dans les paragraphes 225-243 ci-dessous. Dans la mesure où la réalité de la situation compte plus que les apparences, une simple référence à cette disposition dans les décisions des autorités internes n’est pas suffisante. L’affaire doit avoir été effectivement examinée conformément aux principes découlant de la jurisprudence de la Cour.

188. Si l’autorité ou le tribunal interne en charge de l’affaire constate, expressément ou en substance, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans lesquelles la personne concernée est ou a été détenue, il lui incombe d’ordonner le redressement approprié. (...)

190. Dans le contexte du recours compensatoire, une réparation pécuniaire devrait être accessible à toute personne incarcérée dans des conditions inhumaines ou dégradantes, ou qui l’a été, et qui a fait une demande dans ce sens. Un constat de non‑respect de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention subies provoque une présomption forte qu’un préjudice moral a été causé à l’intéressé. Le droit et la pratique internes sur la réparation doivent refléter l’existence de cette présomption plutôt que de rendre l’attribution de l’indemnisation subordonnée à la capacité du plaignant de prouver, par une preuve extrinsèque, l’existence de dégâts non pécuniaires sous forme de détresse émotionnelle (Ananyev et autres, précité, § 229 ; voir aussi Iovtchev [c. Bulgarie, no 41211/98], § 146[, 2 février 2006]). (...)

285. Dans les cas où une atteinte à l’article 3 de la Convention a déjà eu lieu, l’État doit être prêt à reconnaître cette violation et à y apporter une forme de réparation. L’introduction d’un recours seulement préventif ne suffirait pas en ce qu’un recours permettant de prévenir ou de faire cesser une violation de cette disposition ne saurait remédier aux traitements inhumains ou dégradants qui ont déjà été subis. L’État défendeur doit donc mettre en place une voie de recours permettant de remédier aux violations passées. Un tel recours est particulièrement important au regard du principe de subsidiarité, afin que les personnes lésées ne soient pas contraintes de saisir la Cour de griefs qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (Ananyev et autres, précité, § 221, et les références qui y sont citées).

288. Une autre forme de redressement – la seule option possible pour les personnes qui ne sont plus en détention – consiste en une réparation pécuniaire. Pareil redressement devrait pleinement respecter les exigences établies aux paragraphes 184‑188 et 190 ci-dessus. Par ailleurs, le montant des indemnités susceptibles d’être accordées au titre du dommage moral ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires au titre de la satisfaction équitable prévue à l’article 41 de la Convention. Les principes énoncés par la Cour au paragraphe 299 ci-dessous peuvent donner des indications sur ce point. Il convient de souligner à cet égard que le droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant revêt un caractère si fondamental que l’autorité ou le tribunal interne compétent devra avancer des raisons exceptionnellement impérieuses pour justifier une décision d’octroyer une indemnité inférieure ou de n’en accorder aucune au titre du dommage moral (Ananyev et autres, précité, §§ 228‑230). (...)

299. La Cour estime que la souffrance causée à un individu détenu dans des conditions si mauvaises qu’elles sont constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention ne peut être réparée par le simple constat d’une violation mais appelle le versement d’une indemnité. La durée pendant laquelle le requérant a été soumis à de telles conditions est un facteur important d’appréciation de l’ampleur du dommage moral subi par l’intéressé (Ananyev et autres, [précité,] § 172, et Torreggiani et autres [c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres], § 105 [, 8 janvier 2013]). Il est également établi qu’une période initiale d’adaptation à de mauvaises conditions de détention fait payer à la personne concernée un lourd tribut physique et moral (Ananyev et autres, précité, § 172). En revanche, un constat de violation peut en soi constituer une satisfaction équitable suffisante sur le terrain de l’article 13 de la Convention lorsque l’atteinte établie découle de l’absence de recours internes effectifs permettant de se plaindre de conditions de détention inadéquates (ibidem, § 173). »

48.  En matière de recours compensatoire, le montant de la réparation susceptible d’être accordée est un élément constitutif de l’effectivité du recours au sens de l’article 13 de la Convention (Neshkov et autres, précité, § 288, Angel Dimitrov Atanasov et Aleksandar Atanasov Apostolov c. Bulgarie (déc.), nos 65540/16 et 22368/17, § 64, 27 juin 2017 et Draniceru c. la République de Moldova (déc.), no 31975/15, §§ 32-34, 12 février 2019) et, dès lors, son insuffisance peut conduire à une violation de la règle de droit prévue par cette disposition (mutatis mutandis, Karim Rhazali et autres contre France (déc.), no 37568/09, 10 avril 2012).

49.  En ce qui concerne le montant de l’indemnisation, la Cour a jugé, que le fait que la demande de réparation du requérant n’ait été que partiellement satisfaite n’est pas suffisant en soi pour remettre en cause l’effectivité du recours compensatoire prévu par le droit estonien (Nikitin et autres c. Estonie, nos 23226/16 et 6 autres, § 216, 29 janvier 2019). Dans la décision Shmelev et autres précitée, elle a rappelé qu’en vertu du principe de subsidiarité, une large marge d’appréciation doit être laissée aux autorités nationales en ce qui concerne l’évaluation du montant de l’indemnisation. Elle a précisé que cette évaluation doit être effectuée de façon cohérente avec leur propre système juridique et traditions et compte tenu du niveau de vie du pays même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires (§§ 91 à 94).

(b)   Application de ces principes au cas d’espèce

50.  À titre liminaire, la Cour rappelle que l’action en responsabilité exercée par le requérant devant les juridictions administratives est une voie de recours indemnitaire qu’elle a qualifié de disponible et adéquate, c’est‑à‑dire comme présentant des perspectives raisonnables de succès, pour des requérants ayant subi des conditions de détention indignes (Lienhardt, précité, Karim Rhazali et autres, précité). Dans une telle hypothèse, elle exige en principe des requérants, une fois libérés ou transférés dans une autre cellule, qu’ils fassent usage de ce recours indemnitaire afin de satisfaire à la règle de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’article 35 § 1 de la Convention (idem, Yengo, précité, § 54, J.M.B. et autres, précité, §§ 134 et 158). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention - et avec lequel elle présente d’étroites affinités - que l’ordre interne offre un recours effectif permettant au requérant de faire valoir le bien-fondé de tout grief défendable et d’obtenir le redressement approprié (Ananyev et autres, précité, § 93).

51.  Au cas d’espèce, le requérant soutient qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif du fait de l’insuffisance de l’indemnisation qui lui a été allouée. Il revient à la Cour, d’une part, d’examiner le régime de responsabilité mis en place et de se prononcer, pour la première fois, sur l’effectivité du recours compensatoire au regard de l’article 13 et, d’autre part, de rechercher si, dans la présente affaire, le requérant dont les juridictions internes ont reconnu la qualité de victime d’une violation de l’article 3 a obtenu un redressement approprié.

52.  En premier lieu, la Cour constate qu’il ressort des décisions rendues dans la présente affaire que les juridictions administratives ont statué dans le respect des principes généraux consacrés par la jurisprudence du Conseil d’État s’agissant de la méconnaissance, à raison des conditions de détention, de l’article 3 de la Convention. Il revient à la Cour de vérifier si ces principes sont cohérents avec les exigences posées par sa propre jurisprudence en la matière. Elle observe que le tribunal administratif s’est fondé sur le rappel, par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (paragraphe 23 ci-dessus), de l’obligation de respecter la dignité des personnes détenues qui se traduit en particulier par l’interdiction de leur infliger des traitements inhumains ou dégradants. Il a relevé le caractère indigne des conditions de détention du requérant en tenant compte cumulativement de l’état de surpeuplement de la maison d’arrêt, notant qu’il avait été détenu dans une cellule de 16m2 avec trois ou quatre détenus pendant quatre mois, et des problèmes tenant au mauvais état général de cette cellule « tant au niveau des sols, murs, lavabos et plafonds », de sa faible luminosité et de l’absence d’aération. Il a en conséquence engagé la responsabilité de l’État pour faute et a condamné ce dernier à lui verser une indemnisation en réparation du préjudice moral subi de ce fait.

53.  Saisi d’un pourvoi contre le jugement rendu en premier et dernier ressort, le Conseil d’État a exercé le contrôle du juge de cassation conformément aux lignes dégagées par sa jurisprudence. Garant de l’application du droit, le juge de cassation contrôle, sous le timbre de l’erreur de droit, le respect, par les juges du fond, des critères retenus pour apprécier le caractère indigne ou non des conditions de détention (paragraphe 26 ci-dessus). Au visa de l’article 3 de la Convention, il a jugé que ces critères avaient été correctement appliqués au cas d’espèce. S’agissant de la caractérisation d’une violation de l’article 3, le juge de cassation exerce ensuite le contrôle de la qualification juridique des faits afin de garantir le plein respect des exigences attachées à l’article 3 de la Convention. Sur ce point, le Conseil d’État a également confirmé la solution retenue par les premiers juges en estimant que le requérant avait été détenu, pendant environ quatre mois, dans des conditions attentatoires à la dignité humaine. Il a ensuite rappelé que les conditions de détention indignes subies par le requérant ont révélé l’existence d’une faute de l’État et engendré par elles-mêmes un préjudice moral indemnisable dont il n’a pas à démontrer l’existence. La Cour relève que, ce faisant, les juridictions internes ont statué selon des standards qui coïncident avec les siens en matière de conditions de détention et tiennent compte de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, de leur vulnérabilité et des conditions matérielles de leur détention. Elle note en outre que, conformément à sa jurisprudence, les juridictions internes ont engagé la responsabilité de l’État dès lors qu’était caractérisé un manquement objectif aux obligations de l’administration pénitentiaire qui découlent du respect de l’article 3.

54.  En deuxième lieu, la Cour note que le jugement du tribunal administratif dont le dispositif octroie une somme au requérant en réparation du préjudice moral résultant de la violation de l’article 3 de la Convention, confirmé par le Conseil d’État, a été mis à exécution et que le requérant a été effectivement indemnisé. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que l’économie générale du recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif répond, en offrant la perspective d’une réparation adéquate du préjudice subi tant en ce qui concerne l’évaluation de l’indemnisation que le versement effectif des sommes allouées, aux exigences de l’article 13.

55.  Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, et compte tenu de la portée du contrôle juridictionnel exercé par les juridictions administratives respectivement sur les faits de l’espèce, le bien-fondé du « grief défendable » au regard de la Convention ainsi que du droit à une indemnisation des conditions de détention attentatoires à la dignité humaine, la Cour estime que le requérant a bénéficié d’un recours approprié lui permettant d’obtenir une décision exécutoire lui allouant une indemnité en réparation du dommage subi (mutatis mutandis, Nikitin et autres précité, § 214). Elle en déduit que le recours indemnitaire ouvert devant le juge administratif revêt, dans son principe, un caractère effectif. Il reste à la Cour à examiner, dans un second temps, l’effectivité de ce recours, au cas d’espèce, compte tenu du montant qui a été alloué au requérant.

56.  Le requérant soutient que le caractère effectif du recours indemnitaire qu’il a exercé a été affecté par la décision des juridictions internes de mettre à sa charge les frais d’expertise. La Cour relève, à la lumière des indications apportées par les parties (paragraphes 34 et 37 ci-dessus), que la somme de 773,57 EUR correspondant à ces frais d’expertise n’a pas fait l’objet d’un recouvrement. Pour autant, elle ne peut que constater que les juridictions internes, amenées à statuer sur la charge définitive des frais d’expertise dans le cadre du recours indemnitaire introduit par le requérant, ont décidé de les mettre à la charge de ce dernier au motif que la mesure d’expertise ordonnée en première instance avait été, après avoir été effectuée, annulée en appel. La Cour considère que l’effectivité du recours exercé par le requérant qu’il lui revient d’examiner, au regard de l’article 13, doit être appréciée, en l’espèce, compte tenu du montant net des sommes allouées par les juridictions internes. Il convient dès lors de soustraire de la somme de 500 EUR accordée au requérant en réparation du préjudice moral subi à raison des conditions de sa détention constitutives d’une atteinte à la dignité humaine celle de 773,57 EUR mise à sa charge au titre des dépens. La Cour constate, avec le requérant, qu’à l’issue du recours indemnitaire qu’il a introduit devant la juridiction administrative, il s’est retrouvé, alors même que la responsabilité de l’État avait été engagée pour réparer le préjudice moral dont il avait été reconnu victime, débiteur de l’État à hauteur de 273,57 EUR.

57.  Il résulte ce qui précède que la Cour doit apprécier l’effectivité du recours exercé au cas d’espèce en tenant compte à la fois du montant de la réparation accordée et de l’impact de la mise à la charge du requérant des frais d’expertise. S’agissant, d’une part, de l’indemnisation allouée au requérant en réparation du préjudice moral subi à raison de quatre mois de détention dans des conditions indignes, le tribunal administratif en a fixé le montant à 500 EUR. Compte tenu de la nature de son contrôle de cassation qui laisse, « en l’absence de dénaturation », cette question de fait à l’appréciation souveraine des juges du fond, le Conseil d’État n’a pas remis en cause le montant de l’indemnité fixé par le tribunal administratif qui, en dépit de sa faiblesse, ne s’éloignait pas suffisamment des standards d’indemnisation d’un préjudice moral alors en vigueur devant la juridiction administrative pour caractériser une dénaturation de nature à entraîner la cassation, sur ce point, du jugement de première instance. La Cour constate que ce montant se situe dans la moyenne de ce qu’octroyaient habituellement les juridictions administratives françaises à l’époque des faits (paragraphe 29 ci-dessus). Elle relève l’extrême modicité de cette somme, ainsi d’ailleurs que la rapporteure publique dans les conclusions devant le Conseil d’État (paragraphe 18 ci-dessus), qui est inférieure à celle qui serait accordée aujourd’hui dans le cadre du barème progressif consacré par la décision du Conseil d’État du 3 décembre 2018 (paragraphe 27 ci-dessus), et la circonstance qu’elle ne représente qu’un très faible pourcentage de celle qu’elle aurait pu octroyer dans des circonstances similaires. S’agissant, d’autre part, de la mise à la charge du requérant des frais d’expertise, la Cour rappelle le principe selon lequel les règles en matière de frais de procédure ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée (Neshkov et autres précité, § 184; Ulemek c. Croatie, no 21613/16, §§ 107‑108, 31 octobre 2019, Sukachov c. Ukraine, no 14057/17, § 115, 30 janvier 2020 et, par exemple, Slavtcho Kostov c. Bulgarie, no 28674/03, § 62, 27 novembre 2008) et considère que tel a été le cas en l’espèce. La Cour note à cet égard que, postérieurement à la décision du 2 décembre 2015, le Conseil d’État a jugé qu’il résulte de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article R.761-1 du code de justice administrative précités que, lorsque la partie perdante bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, ce qui était le cas du requérant, et hors le cas où le juge décide de faire usage de la faculté que lui ouvre l’article R.761-1 du code de justice administrative, en présence de circonstances particulières, de mettre les dépens à la charge d’une autre partie, les frais d’expertise incombent à l’État (paragraphe 22 ci-dessus).

58.  Dans ces conditions et alors même qu’au regard du principe de subsidiarité, les juridictions nationales sont les mieux placées pour apprécier concrètement les conditions de détention des personnes détenues et pour fixer le montant de l’indemnité octroyée pour réparer le préjudice moral résultant de conditions attentatoires à la dignité humaine (Shmelev et autres, précité, § 91 ; voir, également, mutatis mutandis, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no36813/97, § 189, CEDH 2006‑V), la Cour considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le résultat auquel a abouti l’action engagée par le requérant qui l’a placé en situation, compte tenu tant de la faiblesse du montant de l’indemnisation allouée que de la mise à sa charge des frais d’expertise, de devoir à l’État une somme de 273,57 EUR après qu’eut été caractérisée l’existence d’un préjudice moral subi du fait de conditions de détention attentatoires à sa dignité a privé le recours qu’il a exercé de son effectivité. Pour autant, la Cour ne perd pas de vue que le développement de la jurisprudence du juge administratif sur le recours indemnitaire s’inscrit dans un ensemble de réformes que l’État défendeur doit mettre en place pour faire face au problème de la surpopulation carcérale (J.M.B. et autres précité, § 315) et pour résoudre les nombreuses affaires individuelles nées de ce problème, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention (Stella et autres contre Italie, no 49169/09, §, 62, 16 septembre 2014).

59.  Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.

PILALIS ET AUTRES c. GRÈCE du 17 mai 2018 Requête n° 5574/16

Article 3 et 13 de la Convention : les requérants se plaignent de leur condition de leur détention. L'article 3 n'est pas retenu pour manque de preuve. L'article 13 est seul retenu.

A. Article 3

i. Principes généraux

51. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence et notamment à l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 96-141, CEDH 2016).

52. En outre, la Cour rappelle que, lorsqu’elle examine le caractère adéquat des soins médicaux en prison, elle se doit en principe de faire preuve d’une souplesse suffisante pour déterminer le standard requis pour ces soins. S’il doit satisfaire aux exigences légitimes de la détention, ce standard doit aussi être compatible avec la dignité humaine et permettre à l’État de s’acquitter de ses obligations positives. À cet égard, il appartient aux autorités nationales d’assurer que le diagnostic et les soins soient prompts et précis et que le suivi par un personnel médical compétent soit régulier et systématique et inclue une stratégie thérapeutique complète. Le simple fait que l’état de santé du requérant s’est détérioré – bien que cette circonstance puisse, dans un premier stade, amener à douter du caractère approprié du traitement reçu en prison – ne saurait suffire en lui-même pour conclure à une violation de l’obligation positive de l’État sous l’angle de l’article 3 de la Convention, surtout lorsqu’il est établi que les autorités ont administré à temps tous les soins raisonnablement disponibles dans un effort consciencieux fourni en vue d’empêcher l’évolution de la maladie en question (Kalandia c. Grèce, no 48684/15, § 69, 6 octobre 2016, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, CEDH 2016, Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, §§ 66-69, 22 septembre 2015, Fedosejevs c. Lettonie (déc.), no 37546/06, § 47, 19 novembre 2013, et Jashi c. Géorgie, no 10799/06, § 61, 8 janvier 2013).

ii. Application des principes en l’espèce

53. La Cour prend note des informations fournies par le Gouvernement selon lesquelles, dans la prison de Domokos, les requérants avaient été placés chacun avec deux codétenus dans des cellules mesurant 15 m² et équipées d’une fenêtre de 1,13 m x 1,15 m. Elle relève que les détenus pouvaient sortir de leurs cellules de 7 h 45 à 12 h 15 et de 15 h au coucher de soleil, que la superficie de la cour de chaque aile était de 500 m² et qu’il existait en outre une bibliothèque, une salle de sport, un petit terrain de football et un terrain de basketball.

54. Les requérants ne contestent pas ces informations. Leurs allégations selon lesquelles il était arrivé qu’ils partagent leur cellule avec trois autres détenus pendant certaines périodes ne sont pas étayées : la Cour relève en particulier qu’ils n’indiquent pas les dates de ces périodes. La plainte des requérants selon laquelle chaque cellule – dont ils ne contestent pas la superficie – était initialement conçue pour deux personnes et que les autorités y ont rajouté un troisième lit ne suffit pas à démontrer que les critères de la jurisprudence Muršić précitée ne sont pas respectés en l’espèce. Quant à l’alimentation, les requérants ne contestent pas l’exactitude des menus hebdomadaires produits à titre d’exemple par le Gouvernement et n’indiquent pas non plus s’ils recevaient des repas différents de ceux mentionnés dans ces menus.

55. De l’avis de la Cour, les conditions ainsi décrites ne semblent pas dépasser le niveau inévitable de la souffrance inhérent à la détention (Muršić, précité, §§ 99 et 101). La longue durée de la détention de certains des requérants, élément devant être pris également en considération, ne saurait changer un tel constat, eu surtout égard à la grande liberté de mouvement dont ces requérants disposaient pendant la journée en dehors de leur cellule.

56. La Cour note que les doléances des requérants relatives aux soins médicaux reçus en détention se fondent sur l’absence alléguée de traitement adéquat des diverses pathologies présentées par les intéressés. Elle tient à souligner qu’elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l’expertise médicale. Afin de déterminer si l’article 3 de la Convention a été respecté, elle ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré aux requérants un suivi médical approprié et mis en place un protocole thérapeutique adapté à la nature de leurs pathologies.

57. À ce sujet, la Cour constate que, d’après le dossier, pendant leur détention à la prison de Domokos, les requérants ont été transférés et examinés, notamment à l’hôpital de Lamia, à plusieurs reprises. À cet égard, elle prend note des certificats médicaux produits par le Gouvernement datés des 1er, 2 et 3 novembre 2010, 27 mars et 27 août 2011, 8 août 2012, 7 et 20 mars, 9 juin et 12 septembre 2013, 2 juin 2014, 6 octobre 2015 et 17 février 2016 concernant le premier requérant, ainsi que des copies des relevés de la tension artérielle et de la glycémie de l’intéressé effectués dans la prison en août 2012 et en janvier 2013. Quant au deuxième requérant, le Gouvernement fournit des certificats datés des 10 juillet 2014, 12 mars, 7 mai, 27 août et 9 décembre 2015 et des 23 février, 9 juin, 1er et 15 juillet 2016.

Pour autant que le premier requérant se plaint par ailleurs du fait qu’une balle n’a pas été extraite de son corps, la Cour relève que le refus d’opérer était justifié par des mesures de précaution, à savoir le risque qu’une telle extraction comportait pour des organes avoisinants (paragraphe 7 ci-dessus).

58. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d’assurer un suivi médical aux requérants et ont donc satisfait à leur obligation positive de fournir aux intéressés une assistance médicale adéquate.

59. En conclusion, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

B. Article 13

60. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent également d’une absence de recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention.

61. Le Gouvernement soutient à titre principal que les requérants n’ont pas de grief défendable sur le terrain de l’article 3 de la Convention pour que l’article 13 s’applique en l’espèce. À titre subsidiaire, il avance que les requérants avaient à leur disposition le recours prévu par l’article 6 du code pénitentiaire, à savoir la saisine du procureur superviseur de la prison et celle du conseil disciplinaire de la prison, mais qu’ils ne l’ont pas utilisé.

62. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

63. La Cour rappelle que le constat de violation d’une autre disposition de la Convention n’est pas une condition préalable pour l’application de l’article 13 (Sergey Denisov c. Russie, no 21566/13, § 88, 8 octobre 2015, et les références qui y sont citées). Dans la présente affaire, même si la Cour a finalement conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 59 ci-dessus), elle n’a pas estimé que le grief des requérants à cet égard était à première vue indéfendable (paragraphes 53 et suivants ci‑dessus). La Cour est parvenue à cette conclusion seulement après avoir examiné le bien-fondé de l’affaire. Elle considère dès lors que les requérants ont soulevé un grief défendable aux fins de l’article 13 de la Convention.

64. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (D.M. c. Grèce, no 44559/15, §§ 42-45, 16 février 2017, Singh et autres c. Grèce, no 60041/13, §§ 62-64, 19 janvier 2017, Konstantinopoulos et autres, précité, §§ 57-59, et Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014).

65. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé dans la présente affaire.

66. Partant, il convient de déclarer ledit grief recevable et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention.

YENKO C. FRANCE du 21 mai 2015 requête 50494/12<

Violation article 13 : Le requérant n'avait pas en droit interne de recours disponible pour faire cesser une détention contraire à l'article 3 de la CEDH

Épuisement des voies de recours internes et violation alléguée de l’article 13 de la Convention

a)  Rappel des principes généraux

58.  La Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’énoncés dans son arrêt Ananyev précité (§§ 93 à 98) et rappelés récemment dans l’arrêt Neshkov et autres c. Bulgarie (nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, §§ 177 à 191, 27 janvier 2015, non définitif), tant à propos de l’épuisement des voies de recours internes que de l’article 13 de la Convention.

59.  En particulier, elle rappelle qu’un recours préventif concernant des allégations de mauvaises conditions de détention doit permettre à la personne intéressée d’obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié, de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de lui permettre d’obtenir une amélioration de ses conditions matérielles de détention (Ananyev, §§ 96, 98 et 214 ; Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, §§ 107 et 116).

60.  Par ailleurs, l’« instance » dont parle l’article 13 peut ne pas être forcément, dans tous les cas, une institution judiciaire au sens strict. La Cour a déjà estimé que les recours devant une autorité administrative en vue de contester des conditions de détention pouvaient passer pour satisfaire aux exigences de cette disposition (Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 111, 22 octobre 2009; Orchowski c. Pologne, n  17885/04, § 107, 22 octobre 2009). Cependant, ses pouvoirs et les garanties procédurales qu’elle présente entrent en ligne de compte pour déterminer si le recours est effectif (Torreggiani et autres, précité, § 51).

61.  Par exemple, pour qu’un recours préventif contre des conditions de détention formé devant une instance administrative soit effectif, celle-ci doit a)  être indépendante des autorités chargées du système carcéral, b)  s’assurer de la participation effective des détenus à l’examen de leurs griefs, c)  veiller au traitement rapide et diligent desdits griefs, d)  disposer d’une large gamme d’instruments juridiques permettant de mettre fin aux problèmes à l’origine des griefs, e)  être capable de rendre des décisions contraignantes et exécutoires (Ananyev et autres, précité, §§ 214-16 et 219). Tout recours de ce type doit aussi permettre un redressement dans un délai raisonnable (Torreggiani et autres, précité, § 97).

62.  Pour qu’un recours interne contre des conditions de détention soit effectif, l’autorité ou juridiction saisie doit statuer conformément aux principes pertinents énoncés dans la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l’article 3 de la Convention. La réalité de la situation – et non les apparences – étant ce qui importe, la seule référence à cet article dans les décisions internes ne suffit pas : l’affaire doit avoir été effectivement examinée en conformité avec les normes découlant de la jurisprudence de la Cour (voir la jurisprudence citée dans Neshkov et autres, §§ 185 à 187). Si elle constate, expressément ou en substance, une violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans lesquelles l’intéressé est ou a été détenu, l’autorité ou la juridiction interne saisie doit accorder un redressement approprié (idem, § 188).

63.  S’agissant des recours préventifs, ce redressement peut, selon la nature du problème en cause, consister soit en des mesures ne touchant que le détenu concerné ou – lorsqu’il y a surpopulation – en des mesures plus générales propres à résoudre les problèmes de violations massives et simultanées de droits des détenus résultant de mauvaises conditions dans tel ou tel établissement pénitentiaire (Ananyev et autres, précité, § 219).

b)  Application en l’espèce

64.  La Cour considère, à la lecture des recommandations formulées en urgence par le CGLPL, autorité nationale indépendante en matière de contrôle des conditions de détention, que le requérant avait prima facie un grief défendable à faire valoir devant les juridictions nationales sous l’angle de l’article 3 de la Convention et que, par conséquent, l’article 13 s’applique.

65.  La Cour constate que le requérant se trouvait en détention provisoire et qu’il a, en vain, tenté d’obtenir par le biais d’une demande de mise en liberté, la cessation de ses conditions de détention. Le Gouvernement souligne que cette voie de recours n’avait pas à être exercée par le requérant au motif que les juridictions nationales n’avaient jamais décidé d’une mise en liberté sur le fondement de conditions de détention contraires à l’article 3 et qu’aucun autre élément pertinent ne laissait augurer une perspective raisonnable de succès d’un tel recours. La Cour prend acte de cette déclaration. Elle rappelle qu’une autre voie pénale avait déjà été exclue lors du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile pour des faits relatifs à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine pendant la détention (paragraphe 41 ci-dessus). Elle observe par ailleurs en l’espèce que c’est le requérant qui est à l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation qui se prononce pour la première fois sur un moyen tiré de conditions de détention contraires à l’article 3 pour demander une mise en liberté. À cette occasion, cette juridiction n’a pas exclu qu’une demande de mise en liberté puisse constituer une voie de recours permettant de mettre fin à une détention contraire à l’article 3. Elle a cependant conditionné cette possibilité à une mise en danger grave de la santé physique ou morale du prévenu, que les conclusions du CGLPL n’ont pas permis de prouver. Outre les difficultés pour le requérant d’apporter la preuve d’une souffrance personnelle, la Cour observe en tout état de cause qu’il était détenu, à compter de sa demande de mise en liberté, depuis cinq mois lorsque la Cour de cassation a rendu son arrêt le 29 février 2012. La demande de mise en liberté ne pouvait dès lors pas présenter les garanties de célérité requises pour être effective au sens de l’article 13 de la Convention (Torreggiani, précité, § 97). À supposer même d’ailleurs que la cassation de la décision attaquée eut été décidée, comme préconisé par l’avocat général, l’affaire aurait été renvoyée devant une cour d’appel chargée de se prononcer sur la violation alléguée de l’article 3, et pas sur les seules dispositions relatives à la détention provisoire, ce qui aurait finalement abouti à un recours accessible mais non effectif en pratique, compte tenu de l’exigence de célérité précitée.

66.  La Cour doit donc déterminer si, ainsi que le Gouvernement l’affirme, une réclamation auprès de l’administration pénitentiaire suivie d’un recours pour excès de pouvoir, et l’engagement d’une procédure de référé-liberté devant le juge administratif, constituaient les voies de recours effectives à la disposition du requérant pour empêcher la continuation de la violation alléguée.

67.  En ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir, la Cour estime que le Gouvernement n’apporte pas d’éléments déterminants pour la convaincre qu’il constitue une voie de recours permettant de remédier à une situation analogue à celle alléguée par le requérant. Le Gouvernement n’a pas fourni de jurisprudence sur ce point et l’état de surpeuplement de la prison concernée (paragraphe 22 ci-dessus), la seule sur le territoire de Nouvelle-Calédonie, ne permettait pas, en tout état de cause, d’envisager que l’administration pénitentiaire puisse réagir à une demande de changement de cellule ou de transfèrement de la part du requérant.

68.  S’agissant de la procédure de référé-liberté, la Cour relève avec intérêt l’évolution jurisprudentielle ayant conduit les juridictions administratives, y compris le Conseil d’État, à prononcer des injonctions sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention, en vue de faire cesser rapidement des conditions de détention attentatoires à la dignité (paragraphe 31 ci-dessus). Cela étant, elle constate que l’évolution favorable de cette procédure d’urgence est récente et postérieure aux faits de l’espèce. La Cour note que l’ordonnance du Conseil d’Etat du 22 décembre 2012, rendue à propos de la prison des Baumettes à Marseille (idem), indique pour la première fois que la voie du référé-liberté suggérée par le Gouvernement peut permettre au juge d’intervenir en temps utile en vue de faire cesser des conditions de détention jugées contraires à la dignité et à l’article 3 de la Convention par le CGLPL. La Cour n’exclut pas que le constat fait par celui-ci lors de sa visite du centre pénitentiaire de Nouméa en octobre 2011 aurait pu suffire à établir la condition d’urgence requise par l’article L. 521‑2 du CJA et déclencher l’intervention du juge des référés en l’espèce. Elle estime néanmoins que, au regard des circonstances de la présente requête, l’état du droit, à la date à laquelle le requérant a saisi la Cour, ne permettait pas encore de regarder le référé-liberté comme une voie de recours qu’il avait l’obligation d’épuiser. Ainsi, alors que le requérant avait déjà saisi plusieurs autorités pour faire valoir que le maintien en détention dans sa cellule était inhumain et dégradant (paragraphes 9, 11, 14 et 19 ci-dessus), le Gouvernement n’a pas démontré avec une certitude suffisante que l’usage de cette voie de recours aurait été de nature à remédier à la situation dénoncée par celui-ci.

69.  Eu égard à tout ce qui précède, la Cour considère que, à l’époque des faits, le droit français n’offrait au requérant aucun recours susceptible d’empêcher la continuation des conditions de détention qu’il subissait ou d’obtenir une amélioration de celles-ci. En conséquence, la Cour estime que l’exception tirée par le Gouvernement du non-épuisement des voies de recours internes doit être rejetée et conclut que le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif en violation de l’article 13 de la Convention.

GRANDE CHAMBRE STANEV C. BULGARIE Requête 36760/06 du 17 janvier 2012

a)  Principes généraux

201.  L’article 3 consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 90, CEDH 2000-XI, et Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, § 130, CEDH 2003-V).

202.  Pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła, précité, § 91, et Poltoratski, précité, § 131).

203.  La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles soit de vives souffrances physiques ou mentales (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV). Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale, ou à les conduire à agir contre leur volonté ou leur conscience (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX). A cet égard, la question de savoir si le but d’un traitement donné était d’humilier et d’avilir la victime est un facteur à prendre en considération, même si l’absence d’un tel but ne saurait exclure le constat de violation de l’article 3 (Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67, 68 et 74, CEDH 2001-III, et Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI).

204.  La souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. Toutefois, on ne saurait considérer qu’une privation de liberté pose en soi un problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention. Cette disposition impose cependant à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques d’une telle mesure, la santé de l’intéressé est assurée de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, §§ 92-94).

205.  Lorsqu’il s’agit d’évaluer les conditions d’une privation de liberté au regard de l’article 3 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs et la durée de la mesure (Kalachnikov, précité, §§ 95 et 102, Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, § 64, 18 janvier 2005, et Iovtchev c. Bulgarie, no 41211/98, § 127, 2 février 2006). A cet égard, un facteur important à prendre en compte, outre les conditions matérielles de détention, est le régime de détention. Pour apprécier si un régime restrictif peut soulever un problème au regard de l’article 3 dans une affaire donnée, il y a lieu d’avoir égard aux conditions particulières de l’espèce, à la sévérité du régime, à sa durée, à l’objectif qu’il poursuit et à ses effets sur la personne concernée (Kehayov, précité, § 65).

b)  Application de ces principes en l’espèce

206.  Dans la présente affaire, la Cour a déjà constaté que le placement du requérant dans le foyer de Pastra, dont les autorités internes doivent être tenues pour responsables, s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention (paragraphe 132 ci-dessus). Il s’ensuit que l’article 3 trouve à s’appliquer à la situation de l’intéressé. En effet, cette disposition interdit les traitements inhumains et dégradants des personnes qui se trouvent entre les mains des autorités. La Cour tient à souligner que l’interdiction des mauvais traitements faite par l’article 3 s’applique de la même manière à toutes les formes de privation de liberté, et notamment sans aucune différence fondée sur le but de la mesure incriminée ; en effet, peu importe qu’il s’agisse d’une détention ordonnée dans le cadre d’une procédure pénale ou d’un internement visant à protéger la vie ou la santé de l’intéressé.

207.  La Cour relève d’emblée que le Gouvernement a indiqué que depuis fin 2009 le bâtiment habité par le requérant avait été rénové, ce qui aurait entraîné une amélioration des conditions de vie de l’intéressé (paragraphe 200 ci-dessus) ; celui-ci ne conteste pas ces affirmations. Dès lors, la Cour estime que le grief du requérant doit être compris comme se référant à la période allant de 2002 à 2009. Le Gouvernement ne conteste pas que durant cette période les conditions de vie étaient celles décrites par le requérant et admet que, pour des raisons économiques, elles présentaient certaines déficiences (paragraphes 198-199 ci-dessus).

208.  La Cour observe que, bien qu’il partageât une chambre d’une surface de 16 m2 avec quatre autres pensionnaires, le requérant disposait d’une grande liberté de circulation à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement, ce qui est une circonstance de nature à limiter les effets négatifs d’un espace de nuit restreint (Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 103, CEDH 2001-VIII).

209.  Néanmoins, d’autres aspects des conditions matérielles de vie sont fort préoccupants. En particulier, il apparaît que la nourriture n’était pas suffisante et était de mauvaise qualité. Le bâtiment n’était pas suffisamment chauffé et, en hiver, le requérant devait se coucher avec son manteau. Il pouvait prendre une douche une fois par semaine dans une salle de bain insalubre et délabrée. Les toilettes étaient dans un état déplorable et de plus, il était dangereux d’y accéder selon les constats du CPT (paragraphes 21, 22, 23, 78 et 79 ci-dessus). Enfin, le foyer échangeait les habits entre les pensionnaires après lavage (paragraphe 21 ci-dessus), ce qui était de nature à créer un sentiment d’infériorité chez eux.

210.  La Cour ne peut rester insensible au fait que le requérant a été exposé à l’ensemble des conditions en question pendant une durée considérable d’environ sept ans. Elle ne peut non plus ignorer les conclusions du CPT qui, après avoir visité les lieux, a établi qu’à l’époque pertinente les conditions de vie au foyer pouvaient être décrites comme constituant un traitement inhumain et dégradant. Tout en ayant connaissance de ces conclusions, dans la période de 2002 à 2009, le Gouvernement n’a pas donné suite à son engagement de procéder à la fermeture de l’établissement (paragraphe 82 ci-dessus). La Cour considère que l’absence de ressources financières invoquée par le Gouvernement ne constitue pas un argument pertinent pour justifier le maintien du requérant dans les conditions de vie évoquées (Poltoratski, précité, § 148).

211.  Elle tient néanmoins à préciser que rien ne permet de penser que les autorités nationales avaient l’intention d’infliger des traitements dégradants. Cependant, comme souligné plus haut (paragraphe 203 ci-dessus), l’absence d’un tel but ne saurait exclure de manière définitive le constat de violation de l’article 3.

212.  En conclusion, tout en notant les améliorations qui ont, semble-t-il, été apportées au foyer de Pastra à partir de fin 2009, la Cour estime que, considérées dans leur ensemble, les conditions de vie auxquelles a été exposé le requérant pendant environ sept ans constituent un traitement dégradant.

213.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

C.  Sur le fond du grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3

217.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 13 garantit l’existence de recours internes permettant l’examen du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi d’un redressement approprié. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003-V).

218.  Lorsque, comme en l’espèce, la Cour a constaté une violation de l’article 3, une indemnisation pour le dommage moral découlant de cette violation doit en principe être possible et faire partie du régime de réparation mis en place (ibidem, § 63, et Iovtchev, précité, § 143).

219.  Dans le cas présent, la Cour relève qu’il est vrai que l’article 1, alinéa 1, de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat a été interprété par les juridictions internes comme étant applicable aux préjudices subis par des détenus en milieu carcéral en raison de mauvaises conditions de détention (paragraphes 63-64 ci-dessus). Toutefois, selon le Gouvernement, le placement du requérant au foyer de Pastra n’est pas considéré comme une détention en droit interne (paragraphes 108-111 ci-dessus). Dès lors, l’intéressé n’aurait pas pu obtenir réparation pour les mauvaises conditions de vie dans ce foyer. D’ailleurs, il n’existe aucune décision de justice selon laquelle cette disposition serait applicable aux allégations relatives à des mauvaises conditions dans des foyers sociaux (paragraphe 65 ci-dessus), et le Gouvernement n’a pas apporté d’arguments prouvant le contraire. Au vu de ces éléments, la Cour est d’avis que ces recours n’étaient pas effectifs au sens de l’article 13.

220.  Dans la mesure où le Gouvernement invoque la procédure de rétablissement de la capacité juridique (paragraphe 215 ci-dessus), la Cour observe qu’à supposer même que l’intéressé eût pu, grâce à ce recours, recouvrer sa capacité juridique et quitter le foyer, aucune réparation pour le traitement subi pendant la période de placement ne lui aurait été octroyée. Dès lors, un tel recours n’assurait pas un redressement approprié.

221.  Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.

ARRÊT DE LA GRANDE CHAMBRE M.S.S contre Grèce et Belgique

requête 30696/09 du 21 janvier 2011

Contre la Grèce

Il ne prête pas à controverse entre les parties que la situation en Afghanistan a posé et continue de poser un problème d’insécurité généralisée. Il appartient en premier lieu aux autorités grecques d’apprécier ces risques dans le cadre de l’examen de la demande de l’intéressé. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protégeaient le requérant contre un refoulement arbitraire.

La législation grecque contient un certain nombre de garanties visant à protéger les demandeurs d’asile contre un tel refoulement ; toutefois, depuis plusieurs années, le HCR, le Commissaire européen aux Droits de l’homme et de nombreuses organisations ont révélé, de manière répétée et concordante, qu’elle n’était pas appliquée en pratique et que la procédure d’asile était caractérisée par des défaillances structurelles importantes, parmi lesquelles l’information insuffisante des demandeurs d’asile sur les procédures à suivre, l’absence de système de communication fiable entre les autorités et les intéressés, le manque de formation du personnel responsable des entretiens individuels, une pénurie d’interprètes et un défaut d’assistance judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d’asile d’être accompagnés d’un avocat. En conséquence, les candidats à l’asile ont très peu de chances de voir leur demande examinée sérieusement. De fait, un rapport du HCR pour 2008 fait état d’un taux de reconnaissance en première instance de moins de 0,1%, contre un taux moyen de 36,2% dans cinq des six pays de l’UE qui, avec la Grèce, reçoivent le plus grand nombre de demandes. Les organisations tierces intervenantes ont régulièrement dénoncé les transferts forcés de demandeurs d’asile de la Grèce vers des pays à haut risque.

La Cour n’est pas convaincue par l’argument du gouvernement grec selon lequel l’inertie des autorités serait le fait du requérant, qui ne s’est pas rendu à la préfecture de police dans le délai de trois jours fixé dans l’avis qu’il avait reçu. Les rapports montrent que, comme lui, de nombreux autres demandeurs d’asile ont cru que le seul but de la convocation était de déclarer une adresse, ce qu’il ne pouvait pas faire, n’ayant pas de domicile. A ce jour, les autorités n’ont laissé au requérant aucune opportunité adéquate et réelle d’étayer sa demande.

En ce qui concerne la possibilité pour le requérant de former devant le Conseil d’Etat grec un recours en annulation d’une éventuelle décision de rejet de sa demande d’asile, la Cour considère que le manquement des autorités à assurer la communication avec l’intéressé et la difficulté qu’il y a à contacter une personne dont l’adresse n’est pas connue rendent fort aléatoire la possibilité pour le requérant de suivre le résultat de sa demande afin de ne pas laisser écouler le délai de recours. De plus, l’intéressé, qui ne dispose à l’évidence pas des moyens pour rémunérer un avocat, n’a pas reçu d’informations concernant l’accès aux organisations proposant des conseils juridiques. A cela s’ajoute la pénurie d’avocats inscrits sur la liste établie dans le système d’aide juridique, ce qui rend ledit système inefficace en pratique. De surcroît, il ressort des informations communiquées par le Commissaire aux Droits de l’homme – que le gouvernement grec n’a pas contestées – que la durée moyenne des recours en annulation devant le Conseil d’Etat est de plus de cinq ans, ce qui contribue à démontrer qu’un tel recours n’est pas suffisamment accessible et ne remédie pas au défaut de garanties de la procédure d’asile.

La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3. Vu cette conclusion, elle estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2.

Arrêt de la CEDH

294.  Pour déterminer si l'article 13 s'applique en l'espèce, la Cour doit donc rechercher si le requérant peut, de manière défendable, faire valoir que son éloignement vers l'Afghanistan porterait atteinte à l'article 2 ou à l'article 3 de la Convention.

295.  Elle note que, lors de l'introduction de sa requête, le requérant a produit, à l'appui de ses craintes en Afghanistan, une copie des certificats attestant de ses fonctions d'interprète (paragraphe 31 ci-dessus). Elle a également à sa disposition des informations générales sur la situation actuelle en Afghanistan ainsi que les lignes directrices sur l'appréciation des besoins de protection internationale des demandeurs d'asile en provenance d'Afghanistan publiées par le HCR et régulièrement mises à jour (paragraphes 197-202 ci-dessus).

296.  Pour la Cour, ces informations montrent que prima facie la situation en Afghanistan a posé et continue de poser un problème d'insécurité généralisée et que le requérant appartient à une catégorie de la population particulièrement exposée aux représailles de la part des forces anti-gouvernementales du fait de ses fonctions d'interprète auprès des forces aériennes internationales. Elle note au demeurant que la gravité de la situation en Afghanistan et les risques qu'elle engendre ne sont pas controversés devant la Cour. Au contraire, le Gouvernement grec a indiqué que sa politique actuelle consistait à ne pas renvoyer de force des demandeurs d'asile vers ce pays, précisément en raison de la situation à risque qui y régnait.

297.   La Cour estime dès lors que le requérant a un grief défendable sous l'angle de l'article 2 ou de l'article 3 de la Convention.

298.  Cela dit, dans la présente affaire, la Cour n'a pas à se prononcer sur la violation de ces dispositions si le requérant devait être expulsé. Il appartient en effet en premier lieu aux autorités grecques, responsables en matière d'asile, d'examiner elles-mêmes la demande du requérant ainsi que les documents produits par lui et d'évaluer les risques qu'il encourt en Afghanistan. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s'il existe en l'espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d'origine.

299.  La Cour note que la législation grecque, sur la base des normes de droit communautaire en matière de procédure d'asile, contient un certain nombre de garanties visant à protéger les demandeurs d'asile contre un refoulement vers le pays qu'ils ont fui sans un examen du bien-fondé de leurs craintes (paragraphes 99-121 ci-dessus). Elle note que le Gouvernement assure que la demande d'asile du requérant sera examinée conformément à la loi.

300.  La Cour observe toutefois que, depuis plusieurs années, le HCR et le Commissaire européen aux Droits de l'Homme ainsi que de nombreuses organisations internationales non gouvernementales ont mis à jour, de manière répétée et concordante, le fait que la législation grecque n'était pas appliquée en pratique, que la procédure d'asile était caractérisée par des défaillances structurelles d'une ampleur telle que les demandeurs d'asile ont fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés de la Convention sérieusement examinés par les autorités grecques et qu'en l'absence de recours effectif ils ne sont pas protégés in fine contre un renvoi arbitraire vers leur pays d'origine (paragraphes 160 et 173-195 ci-dessus).

301.  La Cour note d'abord les carences liées à l'accès aux procédures et à la procédure d'examen des demandes d'asile (paragraphes 173-188 ci-dessus). A cet égard, elle relève l'information insuffisante des demandeurs d'asile sur les procédures à suivre, les difficultés d'accès aux bâtiments de la préfecture de police de l'Attique, l'absence de système de communication fiable entre les autorités et les intéressés, la pénurie d'interprètes et le manque d'expertise du personnel pour mener les entretiens individuels, le défaut d'assistance judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d'asile d'être accompagnés d'un avocat ainsi que la longueur excessive des délais pour obtenir une décision. Ces carences affectent tant les demandeurs d'asile qui arrivent pour la première fois en Grèce que ceux qui sont renvoyés en application du règlement « Dublin ».

302.  La Cour trouve aussi préoccupants les résultats des différentes enquêtes menées par le HCR qui montrent que les décisions de première instance sont, dans la quasi-totalité des cas, négatives et rédigées de manière stéréotypée sans spécifier les éléments motivant la décision (paragraphe 184 ci-dessus). A cela s'ajoutent la suppression du rôle de sauvegarde que jouaient les commissions d'avis sur les réfugiés en deuxième instance et le retrait du HCR de la procédure d'asile (paragraphes 115 et 189 ci-dessus).

303.  Le Gouvernement soutient qu'en tout état de cause, les éventuelles défaillances de la procédure d'asile n'ont pas affecté la situation personnelle du requérant.

304.  La Cour constate à cet égard que le requérant affirme n'avoir reçu aucune information sur les procédures à suivre. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement quant au principe de la mise à disposition de la brochure d'information à l'aéroport, la Cour attache plus de poids à la version du requérant car elle est corroborée par de très nombreux témoignages recueillis par le Commissaire et le HCR ainsi que par des organisations non gouvernementales. Or, de l'avis de la Cour, le défaut d'accès aux informations relatives aux procédures à suivre est à l'évidence un obstacle majeur pour accéder à ces procédures.

305.  Le Gouvernement reproche également au requérant de ne pas avoir diligenté la procédure en ne se rendant pas, dans le délai imparti par l'avis de notification, à la préfecture de police de l'Attique.

306.  Sur ce point, la Cour constate tout d'abord que le délai de trois jours qui a été donné au requérant était très court si l'on tient compte des difficultés d'accès aux bâtiments de la préfecture de police.

307.  Ensuite, force est de constater, ici aussi, que la manière dont le requérant a compris la convocation est loin d'être isolée et que de nombreux demandeurs d'asile ne se rendent pas à la préfecture au motif qu'ils n'ont aucune adresse à déclarer.

308.  De plus, quand bien même le requérant aurait reçu la brochure d'information, la Cour partage l'avis de ce dernier selon lequel ce document est particulièrement ambigu sur l'objet de la convocation (paragraphe 112 ci-dessus) et qu'à aucun endroit il n'est précisé que les demandeurs d'asile ont la possibilité de déclarer à la préfecture de police de l'Attique qu'ils n'ont pas d'adresse en Grèce afin de recevoir les informations par un autre canal.

309.  Dans ces conditions, la Cour considère que le Gouvernement est mal venu de s'attacher au non-respect de cette formalité et qu'il lui appartenait d'assurer une voie de communication fiable avec le requérant afin qu'il puisse effectivement poursuive la procédure.

310.  La Cour constate ensuite que les parties s'accordent pour dire que la demande d'asile du requérant n'a pas encore fait l'objet d'un examen par les autorités grecques.

311.  D'après le Gouvernement, cette situation est, à ce jour, le fait du requérant qui ne s'est pas rendu le 2 juillet 2010 à l'entretien devant la commission d'avis sur les réfugiés. Le Gouvernement n'a pas éclairé la Cour quant aux conséquences de cette situation sur le déroulement de la procédure interne.  Quoi qu'il en soit, le requérant, par l'intermédiaire de son conseil, a informé la Cour que cette convocation lui a été remise en langue grecque à l'occasion du renouvellement de sa carte rose et que l'interprète n'a fait aucune mention d'une quelconque date pour un entretien. Sans être en mesure de vérifier l'exactitude des faits, la Cour accorde à nouveau plus de poids à la version du requérant qui reflète le sérieux manque d'information et de communication dont sont victimes les demandeurs d'asile.

312.  Dans ces conditions, la Cour ne partage pas le point de vue du Gouvernement selon lequel le requérant n'a pas donné, de son propre fait, l'occasion aux autorités nationales d'évaluer le bien-fondé de ses griefs ni qu'il n'a pas eu à pâtir des défaillances de la procédure d'asile.

313.  La Cour conclut qu'à ce jour, les autorités grecques n'ont encore pris aucune mesure visant à assurer la communication avec le requérant et n'ont adopté aucune décision à son égard, ne lui offrant aucune opportunité adéquate et réelle d'étayer sa demande. Qui plus est, la Cour prend note du taux extrêmement bas de reconnaissance par les autorités grecques du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, comparé aux autres pays de l'Union européenne (paragraphes 125-126 ci-dessus). Le poids à accorder aux statistiques varie certes en fonction des circonstances mais de l'avis de la Cour, en l'espèce, elles viennent renforcer l'argument du requérant tiré de la perte de confiance dans la procédure d'asile.

314.  La Cour n'est pas convaincue par les explications fournies par le Gouvernement grec sur la politique de retours organisés sur une base volontaire vers l'Afghanistan. Elle ne saurait en effet faire abstraction du fait que des retours forcés par la Grèce vers des pays à risque ont été régulièrement dénoncés par les tiers intervenants et plusieurs des rapports consultés par la Cour (paragraphes 160, 192 et 282).

315.  Au moins aussi préoccupants aux yeux de la Cour sont les risques que le requérant encourt de facto d'être refoulé avant toute décision sur le fond. Le requérant a certes échappé, par application du décret présidentiel no 90/2008, à une expulsion en août 2009 (paragraphes 43-48 et 120 ci-dessus). Toutefois, il explique avoir échappé de justesse à une deuxième tentative par la police de l'expulser vers la Turquie. Le fait que le requérant essayait dans les deux cas de fuir la Grèce ne saurait être retenu contre lui quand il s'agit d'apprécier la conduite des autorités grecques au regard de la Convention et alors qu'il tentait de mettre fin à une situation sans perspective que la Cour juge contraire à l'article 3 (paragraphes 263 et 264 ci-dessus).

316.  La Cour doit ensuite examiner si, comme le soutient le Gouvernement, le recours en annulation devant le Conseil d'Etat d'une éventuelle décision de rejet de la demande d'asile du requérant pourrait être considéré comme un filet de sécurité le protégeant contre un refoulement arbitraire.

317.  La Cour commence par observer que, comme le fait valoir le Gouvernement, si le recours en annulation de la décision de rejet de la demande d'asile n'a pas d'effet suspensif automatique, en revanche, le dépôt d'un recours contre l'arrêté d'expulsion pris à la suite d'une décision de rejet sursoit de plein droit à l'exécution de l'arrêté.

318.  Toutefois, la Cour réaffirme que l'accessibilité en pratique d'un recours est déterminante pour évaluer son effectivité. Or, la Cour a déjà relevé que les autorités grecques n'ont pas pris de disposition pour assurer la communication entre les autorités compétentes et le requérant. Cette situation, combinée avec les dysfonctionnements de la procédure de notification pour « les personnes de résidence inconnue », dénoncés par le Commissaire européen aux Droits de l'Homme et le HCR (paragraphe 187 ci-dessus), rend fort aléatoire la possibilité pour le requérant de suivre le résultat de sa demande afin de ne pas laisser expirer le délai de recours.

319.  De plus, le requérant, qui ne dispose à l'évidence pas des moyens pour rémunérer un avocat, n'a pas reçu d'information pour accéder à des organisations proposant des conseils et une orientation juridique. A cela s'ajoute la pénurie d'avocats inscrits sur la liste établie dans le cadre du système d'aide juridique (paragraphes 191 et 281 ci-dessus) qui rend ledit système inefficace en pratique. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la Cour estime que cette situation peut être un obstacle de fait de nature à entraver l'accès au recours et relève de l'article 13, en particulier dans le cas des demandeurs d'asile.

320.  Enfin, la Cour ne saurait pas non plus considérer, comme le Gouvernement le suggère, que la longueur des procédures devant le Conseil d'Etat n'entre pas en ligne de compte sous l'angle de l'article 13. Outre qu'elle a déjà affirmé l'importance de la célérité des procédures dans le cadre d'affaires concernant des mauvais traitements infligés par des agents de l'Etat (paragraphe 293 ci-dessus), la Cour estime que cette célérité s'impose à plus forte raison quand, comme en l'espèce, l'intéressé fait valoir un grief tiré de l'article 3 en cas d'expulsion, qu'il ne dispose d'aucune garantie procédurale de bénéficier en première instance d'un examen sérieux du bien-fondé de ce grief, qu'il n'a statistiquement pratiquement aucune chance de bénéficier d'une quelconque forme de protection et qu'il vit dans des conditions d'une précarité telles que la Cour les juge contraires à l'article 3. Elle considère donc que les informations fournies par le Commissaire européen aux Droits de l'Homme (paragraphe 190 ci-dessus), non contredites par le Gouvernement, relatives à la durée des procédures, contribuent à démontrer que le recours au Conseil d'Etat ne permet pas de pallier l'absence de garanties au niveau de l'examen au fond des demandes d'asile.

(c) Conclusion

321.  Au vu de ce qui précède, les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement grec (paragraphe 283 ci-dessus) ne sauraient être accueillies et la Cour conclut à une violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 en raison des défaillances dans l'examen par les autorités grecques de la demande d'asile du requérant et du risque encouru par celui-ci d'être refoulé directement ou indirectement vers son pays d'origine, sans un examen sérieux du bien-fondé de sa demande d'asile et sans avoir eu accès à un recours effectif.

322.Vu cette conclusion et les circonstances de l'affaire, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs de l'intéressé sous l'angle de l'article 13 combiné avec l'article 2.

Contre la Belgique

En ce qui concerne le grief tiré de l’absence, en droit belge, de recours effectif par lequel le requérant aurait pu contester l’ordre d’expulsion, le gouvernement belge faisait valoir qu’une demande de suspension pouvait être introduite « en extrême urgence » devant le Conseil du contentieux des étrangers, et que cette procédure suspendait l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à ce que le Conseil se prononce, c’est-à-dire pendant soixante-douze heures au plus.

La Cour juge que cette procédure ne répond pas aux critères établis dans sa jurisprudence, selon lesquels lorsqu’une personne allègue que son renvoi vers un pays tiers l’exposerait à des traitements prohibés par l’article 3, son grief doit faire l’objet d’un contrôle attentif et rigoureux, et l’organe compétent doit pouvoir examiner le contenu du grief et offrir le redressement approprié. Etant donné que l’examen réalisé par le Conseil du contentieux des étrangers consiste essentiellement à vérifier si les intéressés ont produit la preuve concrète du préjudice pouvant résulter de la violation potentielle alléguée de l’article 3, le requérant n’avait aucune chance de voir son recours aboutir. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3. La Cour estime par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2.

Arrêt de la CEDH

385.  La Cour a déjà conclu que l'expulsion du requérant vers la Grèce par les autorités belges s'analysait en une violation de l'article 3 de la Convention (paragraphes 359 et 360 ci-dessus). Les griefs soulevés par le requérant sur ce point sont dès lors « défendables » aux fins de l'article 13.

386.  La Cour constate tout d'abord qu'en droit belge le recours en annulation d'un ordre d'expulsion porté devant le Conseil du contentieux des étrangers ne suspend pas l'exécution de cette mesure. Toutefois, le Gouvernement fait valoir qu'une demande de suspension peut être introduite « en extrême urgence » devant la même juridiction et qu'à la différence de la procédure en extrême urgence qui existait antérieurement devant le Conseil d'Etat, la procédure instaurée devant le Conseil du contentieux des étrangers suspend de plein droit, en vertu de la loi, l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à ce que la juridiction se prononce, c'est-à-dire pendant soixante-douze heures au plus.

387.  Tout en reconnaissant qu'il s'agit là d'une évolution qui va dans le sens de l'arrêt Čonka précité (§§ 81-83, confirmé par l'arrêt Gebremedhin précité, §§ 66-67), la Cour rappelle qu'il ressort également de la jurisprudence (paragraphe 293 ci-dessus) que le grief d'une personne selon lequel son renvoi vers un pays tiers l'exposerait à des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention doit faire l'objet d'un contrôle attentif et rigoureux et que la conformité avec l'article 13 implique, sous réserve d'une certaine marge d'appréciation des Etats, que l'organe compétent puisse examiner le contenu du grief et offrir le redressement approprié.

388.  Selon la Cour, l'exigence résultant de l'article 13 de faire surseoir à l'exécution de la mesure litigieuse ne peut être envisagée de manière accessoire, c'est-à-dire en faisant abstraction de ces exigences quant à l'étendue du contrôle. Le contraire reviendrait en effet à reconnaître aux Etats la faculté de procéder à l'éloignement de l'intéressé sans avoir procédé à un examen aussi rigoureux que possible des griefs tirés de l'article 3.

389.  Or, la procédure en extrême urgence aboutit précisément à ce résultat. Le Gouvernement explique lui-même que cette procédure réduit à sa plus simple expression l'exercice des droits de la défense et l'instruction de la cause. Les arrêts dont la Cour a connaissance (paragraphes 144 et 148 ci-dessus) confirment que l'examen des griefs tirés de l'article 3 auquel procédaient certaines chambres du Conseil du contentieux des étrangers, à l'époque de l'expulsion du requérant, n'était pas complet. En effet, celles-ci limitaient leur examen à vérifier si les intéressés avaient produit la preuve concrète du caractère irréparable du préjudice pouvant résulter de la violation potentielle alléguée de l'article 3, alourdissant ainsi la charge de la preuve dans des proportions telles qu'elles faisaient obstacle à un examen au fond du risque de violation allégué. Qui plus est, quand bien même les intéressés tentaient, dans ce but, de compléter leur dossier postérieurement à l'entretien avec l'Office des étrangers, le Conseil du contentieux des étrangers ne prenait pas toujours ces éléments en compte. Les intéressés se retrouvaient ainsi empêchés d'établir le caractère défendable de leurs griefs tirés de l'article 3 de la Convention.

390.  La Cour en conclut que la procédure de suspension en extrême urgence ne remplit pas les exigences de l'article 13 de la Convention.

391.  La circonstance que quelques arrêts ont, contrairement à la jurisprudence établie à l'époque, suspendu les transferts vers la Grèce (paragraphe 150 ci-dessus) ne change rien à ce constat car ces suspensions faisaient suite, non pas à un examen au fond du risque de violation de l'article 3 mais au constat, par le Conseil du contentieux des étrangers, que l'Office des étrangers n'avait pas suffisamment motivé ses décisions.

392.  En outre, la Cour constate que le requérant a également fait face à plusieurs obstacles d'ordre pratique pour exercer les voies de recours invoquées par le Gouvernement. Elle relève que sa demande de suspension en extrême urgence a été rejetée pour un motif procédural, à savoir le défaut de comparution. Or, contrairement à ce qu'allègue le Gouvernement, la Cour estime que dans les circonstances de la cause, ce fait ne peut s'analyser comme la preuve d'un manque de diligence de la part du requérant. Elle ne voit en effet pas comment il aurait été matériellement possible pour son conseil de se rendre en temps voulu au siège du Conseil du contentieux des étrangers. S'agissant de la possibilité de faire appel à un service de permanence, la Cour relève en tout état de cause que le Gouvernement n'a fourni aucun élément attestant de l'existence d'un tel service en pratique.

393.  Quant à l'opportunité de poursuivre les recours en annulation de l'ordre de quitter le territoire une fois le requérant éloigné, la Cour constate que le seul exemple de jurisprudence donné par le Gouvernement sur ce point (paragraphes 151 et 382) confirme la thèse du requérant selon laquelle une fois l'intéressé éloigné, le Conseil du contentieux des étrangers déclare le recours irrecevable au motif qu'il n'a plus d'intérêt à poursuivre l'annulation de l'ordre de quitter le territoire. S'il est vrai que, dans cet arrêt, le Conseil du contentieux des étrangers a procédé à un examen des griefs sous l'angle de l'article 3 de la Convention, la Cour n'aperçoit pas comment, à défaut d'effet suspensif, la juridiction pouvait encore offrir au requérant un redressement approprié, quand bien même elle aurait conclu à une violation de l'article 3.

394.  Au surplus, la Cour note que les parties semblent s'accorder pour considérer que les recours en annulation du requérant n'avaient aucune chance de succès, eu égard à la jurisprudence constante, évoquée ci-dessus, du Conseil du contentieux des étrangers et du Conseil d'Etat et à l'impossibilité pour le requérant de démontrer in concreto le caractère irréparable du préjudice entraîné par la violation potentielle alléguée. La Cour rappelle que si l'effectivité d'un recours ne dépend certes pas de la certitude d'avoir une issue favorable, l'absence de toute perspective d'obtenir un redressement approprié pose problème sous l'angle de l'article 13 (Kudla précité, § 157).

395.  Enfin, la Cour souligne que les circonstances de la présente affaire la distinguent très nettement de l'affaire Quraishi invoquée par le Gouvernement. Dans cette dernière affaire dont les faits remontent à 2006 et la procédure devant le Conseil du contentieux des étrangers à 2007, soit quelques mois à peine après que celui-ci ait entamé ses activités, les requérants avaient bénéficié de l'intervention des juridictions judiciaires pour obtenir la suspension de leur expulsion. De plus, les requérants n'avaient pas été expulsés quand la Cour a été amenée à statuer et, surtout, la jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers n'était pas encore établie dans les affaires « Dublin ».

396.  La Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 3. Il s'ensuit qu'il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir correctement épuisé les voies de recours internes et que l'exception préliminaire de non-épuisement du Gouvernement belge (paragraphe 335 ci-dessus) ne saurait être accueillie.

397.  Vu cette conclusion et les circonstances de l'affaire, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs du requérant sous l'angle de l'article 13 combiné avec l'article 2.

PAYET contre FRANCE REQUÊTE 19606/08 DU 20 JANVIER 2011

La Cour examine si les moyens dont le requérant disposait en droit français pour se plaindre de ses conditions de détention en cellule disciplinaire étaient « effectifs » c'est-à-dire susceptibles d’empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée.

Elle observe que le recours prévu par le code de procédure pénale n’est pas suspensif, alors même que la mise en cellule disciplinaire est généralement immédiate et note que le tribunal administratif ne peut être saisi qu’après saisie du directeur interrégional des services pénitentiaires. En raison de cette procédure, le requérant n’était plus en cellule disciplinaire quand un juge était enfin en mesure de statuer sur sa demande.

Eu égard à l’importance des répercussions d’une détention en cellule disciplinaire, il est indispensable que le détenu bénéficie d’un recours effectif lui permettant de contester aussi bien la forme que le fond d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle. Le requérant n’ayant pas bénéficié d’un tel recours, la Cour conclut à la violation de l’article 13.

SCHEMKAMPER c. FRANCE du 18 octobre 2005 Requête no 75833/01:

"37.  Le requérant se plaint de n’avoir pas disposé d’un recours contre l’ordonnance lui refusant une permission de sortir en violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

38.  Le Gouvernement soutient qu’à supposer même que le grief précédent soit défendable, le requérant disposait devant le juge de l’application des peines d’un recours satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention. Il affirme que l’ingérence en l’espèce est la condamnation à une peine privative de liberté prononcée par la cour d’assises des Bouches du Rhône et considère à cet égard la demande de permission de sortir devant le juge de l’application des peines comme un recours pour atténuer les effets de l’ingérence. C’est ce recours qui doit être examiné au regard de l’article 13 de la Convention. La décision du juge de l’application des peines, si elle ne peut être considérée comme une décision judiciaire au sens strict du terme, est prise par un magistrat présentant les garanties d’indépendance et d’impartialité. Par ailleurs, les formes prescrites pour statuer sur une demande de permission de sortir fournissent des garanties supplémentaires et notamment celle de prendre l’avis de la commission consultative des peines. Le Gouvernement en conclut que le requérant a disposé et exercé un recours satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention.

39.  La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96,  § 157, CEDH 2000-XI).

40.  La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en fait comme en droit (par exemple, arrêt İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).

41.  L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors, si tel n’est pas le cas, ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).

42.  Il reste à la Cour à déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour se plaindre du refus litigieux de sortie exceptionnelle et si ces moyens étaient « effectifs » en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite.

43.  La Cour observe qu’à l’époque des faits, soit avant la juridictionnalisation complète des décisions du juge de l’application des peines opérée par la loi du 9 mars 2004 (paragraphe 18 ci-dessus), les ordonnances rendues par celui-ci en matière de permissions de sortir étaient qualifiées par la loi elle-même de mesures d’administration judiciaire et ne pouvaient faire l’objet d’un recours devant le tribunal correctionnel que de la part du Procureur de la République (paragraphe 17 ci-dessus).

44.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant de contester le refus de permission de sortir litigieux."

L'AFFAIRE DU TERRORISTE CARLOS

Ramirez Sanchez contre France du 27/01/2005; requête 59450/00:

La CEDH a sanctionné une erreur juridique commise par le Tribunal Administratif quand à l'appréciation de sa compétence. Cet arrêt a fait l'objet d'un appel devant la Grande Chambre qui a confirmé la présente décision dans un arrêt du 4 juillet 2006 exposé après le présent:  

127.  La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Kudla c. Pologne, précité, § 157).

  128.  La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en fait comme en droit (par exemple, arrêt İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).

  129.  L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors, si tel n’est pas le cas, ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145).

  130.  Il reste à la Cour à déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour se plaindre des prolongations de son maintien à l’isolement et d’irrégularités éventuellement commises à cette occasion et si ces moyens étaient « effectifs » en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite.

  131.  Le Gouvernement a convenu du fait que, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, les mises à l’isolement étaient assimilées à des mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours devant les juridictions administratives.

  132.  Le requérant a formé un recours devant le tribunal administratif le 14 septembre 1996 mais par jugement du 25 novembre 1998, le tribunal l’a rejeté en rappelant qu’il s’agissait d’une mesure intérieure non susceptible d’être déférée au juge administratif.

  133.  La Cour note sur ce point que cette décision était conforme à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat citée par le Gouvernement lui-même à l’époque des faits.

  134.  C’est par un arrêt du 30 juillet 2003 que le Conseil d’Etat a modifié sa jurisprudence et établi qu’une mesure de mise à l’isolement pouvait être déférée devant le juge administratif dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

  135.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant de contester les mesures de prolongation de mise à l’isolement.

Arrêt de la Grande Chambre

Ramirez Sanchez contre France du 04/07/2005; requête 59450/00

La violation de l'article 13 de la Convention est confirmée:

"157.  La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, Kudła, précité, § 157).

158.  La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en fait comme en droit (voir, par exemple, l’arrêt İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII).

159.  L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors, si tel n’est pas le cas, ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal, précité, § 145).

160.  Il reste à la Cour à déterminer si le requérant disposait en droit français de moyens pour se plaindre des prolongations de son maintien à l’isolement et d’irrégularités éventuellement commises à cette occasion et si ces moyens étaient « effectifs » en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou auraient pu fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite.

161.  Le Gouvernement a admis que, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat jusqu’au 30 juillet 2003, les mises à l’isolement étaient assimilées, à des mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours devant les juridictions administratives.

162.  Le requérant a formé un recours devant le tribunal administratif le 14 septembre 1996 mais par jugement du 25 novembre 1998, le tribunal l’a rejeté en rappelant qu’il s’agissait d’une mesure intérieure non susceptible d’être déférée au juge administratif.

163.  La Cour note sur ce point que cette décision était conforme à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat à l’époque des faits, citée par le Gouvernement lui-même.

164.  C’est par un arrêt du 30 juillet 2003 que le Conseil d’Etat a modifié sa jurisprudence et établi qu’une mesure de mise à l’isolement pouvait être déférée devant le juge administratif, et le cas échéant annulée, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

165.  La Cour relève que le requérant a saisi la juridiction administrative d’un seul recours depuis ce revirement de jurisprudence. Il est vrai qu’il a contesté uniquement la légalité formelle de la mesure prise à son encontre le 17 février 2005. Néanmoins, elle est d’avis que, compte tenu de l’importance des répercussions d’une mise à l’isolement prolongée pour un détenu, un recours effectif permettant à celui-ci de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle est indispensable. Le changement de jurisprudence mentionné ci-dessus, dont il serait souhaitable qu’il soit mieux connu, n’a en tout cas pas d’effet rétroactif et n’a pu avoir d’incidence sur la situation du requérant.

166.  Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant de contester les mesures de prolongation de mise à l’isolement prises entre le 15 août 1994 et le 17 octobre 2002."

KHIDER CONTRE FRANCE DU 9 JUILLET 2009 Requête n° 39364/05

L'arrêt Ramirez Carlos est confirmé pour les conditions de détentions de Khider jugées inhumaines et  dégradantes au sens de l'article 3 de la Convention.

"138.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement. La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit toujours être « effectif » en pratique comme en droit. L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Čonka c. Belgique du 5 février 2002, n51564/99, CEDH 2002-I, §§ 75-76, et Ramirez Sanchez précité, § 157-159).

139.  La Cour rappelle qu'elle a conclu que l'effet combiné des mesures telles que les transferts répétés, les placements à l'isolement et les fouilles corporelles dans le cas du requérant a entraîné la violation de l'article 3 de la Convention (paragraphe 127 ci-dessus). Les griefs de celui-ci constituent donc des « griefs défendables » au sens de l'article 13.

140.  En ce qui concerne les placements à l'isolement, la Cour rappelle que par un arrêt du 30 juillet 2003, le Conseil d'Etat a jugé que ces mesures étaient susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (paragraphe 56 ci-dessus). En l'espèce, le requérant a fait usage de cette possibilité et a aussi introduit de nombreux recours en référé. Si le juge de référé a rejeté ces derniers, en revanche, les 17 mars 2005 et 15 mars 2007, le tribunal administratif de Paris a annulé ces mesures. La Cour relève donc qu'en matière de mise à l'isolement, le requérant disposait d'un « recours effectif » au sens de l'article 13 de la Convention.

141.  Quant aux transfèrements répétés, la Cour rappelle que le 20 octobre 2003, le ministre de la Justice a adopté une note de service, intitulée « Note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt », instituant un régime de rotation de sécurité.

142.  Le requérant a fourni plusieurs décisions de juridictions administratives déboutant des détenus qui avaient contesté leurs transferts en cascade ou jugeant que ces transferts constituaient des mesures d'ordre intérieur : jugement du tribunal administratif de Dijon du 3 juin 2003 (Salem Azaiza c. ministre de la Justice), ordonnance de référé du tribunal administratif de Toulouse du 10 avril 2006 (Alboréo), ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 25 mai 2007 (Pascal Payet).

143.  La Cour considère que l'efficacité du recours cité par le Gouvernement dans le cas des transfèrements du requérant pendant la période de son incarcération n'est pas établie. En effet, c'est par un arrêt du 14 décembre 2007 que le Conseil d'Etat a admis qu'une décision soumettant un détenu à un régime de sécurité ne constituait pas une mesure d'ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir. De plus, ce n'est que le 29 février 2008 que le Conseil d'Etat a annulé la circulaire instituant le régime de sécurité.

144.  S'agissant des fouilles corporelles, la Cour note que le grief du requérant sous l'angle de l'article 13 concerne la fréquence des fouilles qu'il subissait. Le seul exemple jurisprudentiel cité par le Gouvernement est relatif à un placement fautif au quartier disciplinaire d'un détenu suite à une fouille intégrale en présence de codétenus que le tribunal administratif en 2006 a qualifié d'irrégulière et d'humiliante. En revanche, le requérant produit une ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes, en date du 18 juin 2008, aux termes de laquelle la décision de fouiller un détenu prise sur le fondement de l'article D.275 du code de procédure pénale ne présentait pas le caractère d'une décision susceptible de recours. Il n'est donc pas établi qu'il existait en droit interne un recours pour contester la décision de procéder à une fouille corporelle. Quant au déroulement de la fouille intégrale du 30 juin 2004, il disposait d'un recours qu'il a du reste utilisé : la plainte avec constitution de partie civile pour agression sexuelle.

145.  La Cour en déduit que le requérant n'a pas disposé des « recours effectifs » pour faire valoir ses griefs tirés de l'article 3 de la Convention, à savoir les transfèrements répétés et les fouilles corporelles fréquentes. Il y a donc eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec cette disposition."

Pour accéder gratuitement aux derniers arrêts remarquables de la CEDH, lisez l'actualité juridique sur FBLS CEDH.

Nous pouvons analyser GRATUITEMENT et SANS AUCUN ENGAGEMENT vos griefs pour savoir s'ils sont susceptibles d'être recevables devant le parlement européen, la CEDH, le Haut Commissariat aux droits de l'homme, ou un autre organisme de règlement international de l'ONU.

Si vos griefs semblent recevables, pour augmenter réellement et concrètement vos chances, vous pouvez nous demander de vous assister pour rédiger votre pétition, votre requête ou votre communication individuelle.

Cliquez pour nous poser vos questions, l'e mail permet de rester confidentiel.

fabre@fbls.net