AUDIENCE SOLENNELLE DE LA COUR DE CASSATION

DU 10 JANVIER 2022

Pour plus de sécurité, fbls cour de cassation 2022 est sur : https://www.fbls.net/cassation2022.htm

"Le discours de Madame la Présidente répond à l'affaire Sarah Halimi
et reproche au législateur de ne pas d'anticiper les évolutions sociétales
Monsieur le Procureur Général réclame des moyens trop insuffisants et
demande que le législateur suive les bons objectifs et non pas l'émotion."
Frédéric Fabre docteur en droit.

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- Discours de Madame la première présidente de la Cour de Cassation

- Discours de Monsieur le Procureur Général près la Cour de Cassation

- La vidéo de la rentrée solennelle sur You Tube

DISCOURS DE MADAME LA PREMIERE PRESIDENTE DE LA COUR DE CASSATION

Frédéric Fabre: Madame la première Présidente de la Cour de Cassation a raison d'insister sur l'émergence des évolutions sociétales auxquels le législateur ne sait pas anticiper. Le juge comme Isabelle Seurin prend alors cette évolution frontalement sans être armé psychologiquement et intellectuellement pour y répondre. La Cour de Cassation ne peut pas promettre une évolution de sa jurisprudence devant la CEDH et ne pas l'appliquer ensuite dans le droit interne.

Monsieur le Premier ministre,

La Cour de cassation vous remercie de votre présence à notre audience solennelle de rentrée, alors que la crise sanitaire, cette année encore, occupe nos esprits et bouleverse nos organisations. Nous restons cependant résolument confiants dans l’avenir, pour relever les défis, nombreux, de la nouvelle année qui s’ouvre.

Monsieur le Garde des Sceaux,

Soyez également remercié de votre présence aujourd’hui, dans le contexte si particulier que nous connaissons.

Notre juridiction, en dépit des inquiétudes qui demeurent, entend tenir ses engagements et vous accueillir dans les meilleures conditions possibles.

Madame la présidente de la commission des lois à l’Assemblée Nationale,

Monsieur le président de la commission des lois au Sénat,

Monsieur le président du Conseil Constitutionnel,

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat, la Cour de cassation salue votre nomination et vous adresse ses souhaits de pleine réussite dans vos nouvelles fonctions ; nul doute que les relations nourries et le dialogue fécond que la Cour de cassation entretient avec le Conseil d’Etat s’enrichiront encore à l’avenir ;

Monsieur le président de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation est heureuse et très honorée de vous accueillir en qualité d’invité d’honneur, particulièrement en ce début d’année 2022 qui marque le commencement de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. La Cour de cassation se félicite de la qualité du dialogue qui unit nos deux cours et entend poursuivre son action pour rappeler le rôle essentiel des juges nationaux dans la défense des droits fondamentaux et la préservation des valeurs essentielles de l’Etat de droit, aux côtés des deux cours européennes. Je me réjouis personnellement de votre prochaine participation à la Conférence que nous co-organisons avec le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel, qui réunira le 21 février l’ensemble des Cours suprêmes de l’Union européenne, conférence qui sera l’occasion de célébrer le 70ème  anniversaire de la Cour de justice de l’Union et d’échanger sur le rôle des juges dans la consolidation de l’Etat de droit.

Mesdames et Messieurs les premiers présidents, présidents et procureurs généraux des Cours suprêmes, je salue votre présence et vous remercie pour la richesse de nos échanges, nombreux malgré les difficultés induites par la crise sanitaire. J’attache une importance cruciale au dialogue des juges, plus encore dans le contexte actuel de montée des individualismes et des replis nationaux.

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’homme, votre présence à cette audience de rentrée atteste de la grande qualité des relations qu’entretiennent nos deux cours, à laquelle je suis très attachée comme vous le savez ;

Madame la Défenseure des droits,

Monsieur le premier président de la Cour des comptes,

Madame la procureure générale près la Cour des comptes,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Monsieur le président du Comité des états généraux de la justice,

Monsieur le Président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Mireille Delmas-Marty nous alerte sur le fait que le monde est pris dans un tourbillon de vents contraires qui sont autant de défis auxquels il nous faut faire face : terrorisme, mouvements migratoires, changements climatiques, révolution numérique, crises sociale, économique et financière, pandémie. 

Ces bouleversements, de nature et d’intensité variées, s’intensifient et s’accélèrent, fragilisant nos démocraties, toutes entières mobilisées à lutter pour ne pas être emportées par ce vortex.

Sensible à son analyse, je souhaite, à l’occasion de cette audience solennelle, formuler un vœu : celui de retrouver ensemble un but ; de redéfinir un horizon, de redonner sens et cohérence à nos actions, à nos responsabilités.

Il nous faut puiser dans notre créativité, « source vive de notre humanité », pour reprendre les mots de cette éminente juriste. Et comme les meilleurs marins : rester à l’écoute des vents et des courants, tout en gardant fermement la boussole à la main, pour emprunter la route la plus sûre et maintenir le cap.

Au cours de ces années, j’ai conduit avec enthousiasme des réformes d’ensemble pour permettre à la Cour de cassation de s’adapter aux évolutions de son environnement juridique, institutionnel et international, et lui donner les moyens de répondre aux enjeux qui sont les siens : assurer un égal accès à la Justice pour l’ensemble des citoyens, leur garantir une justice de qualité, renforcer l’ouverture de la Cour de cassation, et franchir un nouveau cap numérique.

L’activité de la Cour de cassation en 2021 a été particulièrement soutenue ainsi que l’illustre la plaquette mise à votre disposition.

Je tiens à dire combien l’intense participation de chacun aux nombreux groupes de travail mis en place et animés par la Cour de cassation, a été bénéfique à nos travaux. Je pense aux magistrats et fonctionnaires et à toutes les équipes de la Cour de cassation, aux magistrats des cours d’appel et des tribunaux judiciaires ; mais aussi aux avocats aux Conseils, que je salue chaleureusement. Tous ont contribué, par leur participation individuelle et collective, à redynamiser la vie de la Cour ; à la rendre plus visible, plus lisible et à instaurer une formidable synergie entre et avec l’ensemble des juridictions du fond.

Je souhaite encore saluer l’implication constante des présidents de chambre, des doyens et des magistrats de la Cour, aussi bien dans leur office premier, juridictionnel, que dans les projets transversaux, conduits par la Cour et dans lesquels ils se sont formidablement investis.  Je remercie enfin Monsieur le procureur général et l’ensemble des magistrats du parquet général, pour la haute qualité de nos échanges, toujours constructifs, et le travail fructueux entrepris ensemble, dans le respect de l‘office de chacun.

Permettez-moi un mot sur ces projets.

La Cour de cassation oriente désormais les pourvois vers trois circuits différenciés et un circuit de l’urgence, permettant ainsi d’accueillir l’ensemble des pourvois formés par les justiciables, tout en adaptant le temps de traitement de chaque affaire à la complexité des enjeux juridiques et sociétaux qu’elle soulève.

Parallèlement, et parce que des voies autres que strictement contentieuses doivent être offertes aux justiciables pour régler un litige, l’année 2021 aura aussi été celle de la consécration du recours à la médiation à hauteur de cassation. Les modifications réglementaires que nous avons formulées pour rendre la médiation à  la Cour plus lisible et structurée, devraient trouver une issue favorable. J’ai de bonnes raisons de croire, avec déjà une médiation réussie et une autre en cours, qu’elles trouveront prochainement une application concrète.

L’accessibilité et l’ouverture de la Cour en 2021 se sont traduites également par la mise à disposition du public des décisions de la Cour de cassation. Une première étape numérique vient d’être franchie. L’open data a vu le jour le 1er octobre 2021, grâce au nouveau moteur de recherche Judilibre, développé par de jeunes et brillants data scientists de la Cour de cassation. C’est ainsi que plus de 480 000 décisions anonymisées de la Cour sont accessibles en ligne. Une autre avancée majeure se prépare : les décisions civiles (sociales et commerciales) des 36 cours d’appel seront à leur tour mises à disposition du public en avril 2022. L’avènement de cet Open Justice est le fruit d’un travail très structuré qui a mobilisé de nombreux acteurs de la Cour de cassation, mais aussi de la Chancellerie, des cours d’appel et de nos différents partenaires institutionnels. Je leur renouvelle mes plus vifs remerciements pour le chemin parcouru en à peine quelques mois, et je sais pouvoir compter sur eux pour tout ce qui reste encore à accomplir.

L’accès ouvert aux décisions de justice, dans un contexte de numérisation des échanges, aura une influence considérable sur l’acte de juger et sur nos méthodes de travail. Il doit nous conduire à favoriser toujours plus la recherche de la qualité en utilisant les outils du XXIème siècle, sans renoncer aux débats juridiques à l’occasion d’audiences collégiales.

A cet égard, je souhaite évoquer les propositions formulées dans le très riche rapport de la Commission de réflexion prospective « Cour de cassation 2030 », chargée d’imaginer la Cour de cassation de demain.

La Commission a été guidée par un objectif : éclairer et consolider le rôle de la Cour de cassation, à la fois au cœur de l’institution judiciaire mais aussi dans une société respectueuse des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit. Je remercie à nouveau le Président André Potocki et les membres de la Commission pour leur engagement remarquable. Les 37 recommandations formulées continuent de nourrir nos réflexions et s’inscrivent pour certaines dans les réformes en cours.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, afin de renforcer la transversalité des méthodes de travail de la Cour, des conseillers peuvent désormais siéger dans une autre chambre à l’occasion d’un pourvoi soulevant des questions juridiques communes à plusieurs chambres.

De même, le dialogue de la Cour de cassation avec les cours d’appel, axe majeur de la politique que je conduis depuis 2019, a été consolidé. Je remercie vivement les premiers présidents qui ont répondu avec enthousiasme et conviction à nos propositions. Nous avons ainsi installé au sein de la Cour de cassation des magistrats référents dans chaque section de chambre, qui sont les interlocuteurs directs des magistrats référents que les premiers présidents ont, pour leur part, installé dans leur cour d’appel. Vecteur essentiel des échanges réciproques entre la Cour de cassation et les cours d’appel, ces magistrats permettent de renforcer nos liens dans l’objectif d’identifier les besoins méthodologiques des cours d’appel ou encore les contentieux émergents ou sériels auxquels il importe que la Cour de cassation puisse apporter une réponse ciblée. 

Ce renforcement des relations entre la Cour de cassation et les juridictions du fond, notamment en termes d’accompagnement méthodologique, ne saurait être efficient sans le soutien de l’Ecole nationale de la magistrature. Je salue ici la directrice de l’Ecole et l’ensemble des équipes pédagogiques pour l’excellence de l’enseignement dispensé aux auditeurs de justice et aux magistrats, mais également aux autres acteurs, nombreux, de l’institution judiciaire, que sont par exemple les magistrats exerçant à titre temporaire, les juges consulaires ou les conseillers prud’hommes.

D’autres recommandations de la Commission « Cour de cassation 2030 » font l’objet de riches discussions au sein de la Cour : je pense à la « procédure interactive ouverte » qui permettrait d’ouvrir un débat exceptionnel sur certaines « affaires phares » ; je pense encore à la création d’un observatoire des litiges judiciaires qui traduirait de grandes avancées pour les justiciables, dans le cadre de la mission séculaire de la Cour : garantir à chacun une égalité de traitement devant les juges.

Vous le constatez, à travers ces quelques illustrations non exhaustives, la Cour s’est déjà profondément réformée et cette dynamique se poursuit.

Avec ses réformes internes, ses nouvelles méthodes de travail, ses liens renforcés avec les juridictions du fond, la Cour de cassation s’inscrit résolument dans le mouvement qui doit lui permettre d’être dans son temps, à la hauteur des attentes des justiciables comme de la communauté des juristes.

Parce qu’il est important de faire mais aussi de faire savoir, la Cour de cassation s’attache aussi à mieux se faire connaitre.

La communication, la transparence et la clarté sont en effet essentielles pour restaurer la confiance des justiciables envers l’institution judiciaire. La communication de l’institution judiciaire doit être celle de son époque, des réseaux sociaux et des nouveaux supports d’information. Elle ne saurait se développer sans une éthique de très haut niveau et sans que l’information ne soit accompagnée d’une explication didactique.

La mise en place de porte-paroles auprès des chefs de cours et des tribunaux judiciaires du groupe I pourrait, à cet égard, être expérimentée.

C’est exactement dans ce sens que le CSM s’est prononcé dans son avis rendu au Président de la République en juin dernier. A cet égard, je tiens particulièrement à remercier l’ensemble de ses membres pour leur vigilance dans la sauvegarde de l’indépendance de la justice et leur implication dans la gestion active des ressources humaines des magistrats.

La Cour de cassation a développé de nouveaux outils : les lettres des chambres, qui proposent un focus pédagogique sur la jurisprudence récente ; un nouveau site internet plus intuitif et tourné vers le justiciable ; la traduction d’arrêts emblématiques pour faire rayonner notre jurisprudence au-delà des frontières, de courtes vidéos sur les métiers de la Cour, des podcasts sur la jurisprudence ; autant d’initiatives et de créations nouvelles qui participent d’une communication tout à la fois ciblée et élargie, exigeante et claire.

Il est également fondamental que la Cour de cassation communique avec ses homologues étrangers, afin de mieux faire connaitre sa jurisprudence et ses méthodes de travail et s’enrichisse des expériences d’autres pays. A l’occasion de nombreuses rencontres, j’ai pu constater qu’en dépit de systèmes juridiques différents, nos Cours suprêmes sont confrontées à des défis communs : perte de confiance des justiciables dans la justice, défis liés aux innovations technologiques, enjeux liés à la communication, à la déontologie ou encore à l’indépendance de la justice.

Par le dialogue et la mise en commun de nos expériences respectives, nous parvenons à améliorer nos pratiques, notre droit, dans l’intérêt des justiciables.

***

Cette rétrospective ne doit cependant pas nous faire oublier ce que j’évoquais au début de mon propos : puiser dans nos ressources et notre créativité pour retrouver un sens et une cohérence à nos actions.

Parce que la justice est au cœur de la société, au cœur de la vie des citoyens, connectée à tout ce qui l’entoure, elle est en prise directe avec les mutations profondes qui sont à l’œuvre, de sorte que le paysage judiciaire s’est lui aussi profondément métamorphosé en l’espace de quelques décennies.

En témoignent les changements de nature des actions en justice, non seulement dans le domaine économique et social, mais également pour les contentieux qui touchent à la vie quotidienne des citoyens. Ces contentieux sont soumis aux effets de la mondialisation, en raison de l’interdépendance des économies, des flux d’information et de données, à l’échelle mondiale, qu’elle induit. Ainsi, les mêmes causes produisant les mêmes effets, des litiges de même nature naissent partout dans le monde, concernant des plateformes de services ou encore des actions sanitaires ou environnementales.

Dans le même temps, la globalisation, favorisée par des mutations technologiques sans précédent et l’ouverture des marchés, a entraîné une évolution des rapports sociaux et économiques et modifié profondément le paysage juridique. Si les effets de la mondialisation sont souvent relayés, ceux de la globalisation, qui favorisent la concurrence dans le cadre d’une compétition active et conduisent au repli sur soi comme à la prévalence des intérêts personnels sur les intérêts collectifs, restent moins connus. Ce phénomène de globalisation conditionne les nouveaux rapports au droit et à la justice.

Aussi, la justice, sensible à tous ces vents, consciente de leur force mais aussi de leur faiblesse, car les vents tournent, doit s’adapter pour mieux les maîtriser.

Qui aurait imaginé en 2019 qu’un virus né dans une partie du monde se propage en un temps record à l’ensemble de la planète avec des conséquences exceptionnelles dans le domaine de la recherche bien sûr, mais également pour les économies, l’éducation, les loisirs et bien sûr la justice.

Cette pandémie a illustré la chaine des effets, au-delà des frontières et a démontré nos fortes capacités de résilience individuelles et collectives. Ce sursaut, dont certains ont pu douter, est porteur d’espoir. Il est la preuve que nous pouvons agir, avec courage et audace, afin de modifier le cours des choses et de redonner sens à nos missions, portés par notre engagement, nos valeurs et nos convictions, même si je mesure que des obstacles mal anticipés, peuvent freiner le mouvement de la transformation.

Je crois, en effet, que notre prise de conscience collective recèle un immense potentiel d’évolution, un trésor d'énergie dans lequel nous pouvons puiser à pleines mains pour construire la justice de demain.

Gardons à l’esprit les mots de Françoise Tulkens : « la justice est l’horizon du droit » et le droit est le socle de la vie démocratique de toute société.

En cette rentrée solennelle, alors que par la voix des plus jeunes acteurs de l’institution judiciaire, se sont exprimés des inquiétudes et un mal être profond, me revient à l’esprit un article d’un philosophe contemporain qui nous invitait à penser la justice comme un principe d’un système global qui règle la totalité d’une société. Or si cette société vit une crise de sa justice, que les citoyens comme les acteurs de la justice expriment un sentiment d’injustice alors il est urgent de construire une nouvelle théorie de la justice. Il nous faut entendre ce signal d’alarme, et surtout y répondre, en conscience.

Quel monde, quelle société, quelle justice, souhaitons-nous léguer à la jeunesse d’aujourd’hui et aux générations futures ? L’année dernière, j’en appelais au juge de demain.

Je m’adresse aujourd’hui tout particulièrement aux jeunes magistrats ainsi qu’aux jeunes greffiers qui feront vivre la justice de demain :

Vous avez choisi l’un des plus beaux métiers qui soit. Vous nous alertez sur la perte de sens d’une fonction que vous avez choisie, mais qui ne correspond plus à votre idéal de justice. Vous ne vous êtes pas trompés de voie.

Cicéron demandait quel emploi est plus noble et plus précieux pour l’Etat que celui de l’homme qui instruit la génération montante. Il me parait crucial de nous interroger sur la transmission des savoirs et le soutien que l’institution judiciaire apportera aux jeunes générations.  Il nous appartient à tous de ne plus avoir des approches sectorielles mais d’avoir une approche globale, une vision, le cap que j’évoquais, et savoir vers où aller en s’appuyant sur l’objectivation de nos besoins.

Une des difficultés récurrentes des réformes tient au fait que les mutations évoquées, en constante évolution, sont rarement anticipées, ou identifiées trop tardivement. Dès lors, nous les subissons plus que nous ne les accompagnons ou les dépassons.

Il faut pourtant engager une mutation en profondeur pour parvenir à une réforme d’ampleur du système judiciaire grâce à une véritable gouvernance sur le long terme : rôle attendu du juge et périmètre de son intervention, justice de proximité et justice spécialisée, place de l’humain dans nos organisations et dématérialisation, harmonisation des pratiques et prise en compte des spécificités, modernisation et sécurisation des systèmes d’information, transparence, lisibilité, clarté des décisions rendues, concentration autour des besoins des justiciables et de la recherche de l’excellence, délais raisonnables, autant d’objectifs connus et qu’il nous faut désormais et de toute urgence atteindre.

Nous pouvons trouver des solutions si, comme je le dis avec constance depuis de nombreuses années, nous en finissons avec le pointillisme des approches, si nous fédérons les énergies au service d’une vision globale, prospective et partagée de la justice de demain.

Je forme le vœu que les réflexions engagées dans le cadre des Etats généraux de la justice, dont je salue à nouveau le président du Comité, Monsieur Jean-Marc Sauvé, contribueront à forger les lignes directrices d’un projet d’ensemble pour la justice.

En 2019, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Paris, alors que je faisais déjà le constat d’un fossé qui ne cesse de s’accroître entre les juges et la société civile, je posais la question suivante : la justice est-elle si difficile à réformer ?

Je ne le crois pas. Je ne l’ai jamais cru. Et aujourd’hui encore je reste convaincue que nous avons les ressources pour y parvenir. « Ayons pour la justice une ambition maximale », préconisait il y a quelques années un professeur de droit, « car la justice est la condition de l’harmonie sociale ».

Ce que nous avons accompli à la Cour de cassation, tous ensemble, permettra de préparer son avenir, pour que notre institution occupe toute sa place, sa juste place, dans cet équilibre des pouvoirs, condition essentielle d’une démocratie harmonieuse et efficiente, telle que celle que nous souhaitons pour les générations futures.

Il nous faut aller plus loin. Car penser l’avenir, c’est déjà le construire.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole

(…)

Je remercie l’ensemble des participants de leur présence et leur souhaite une bonne et heureuse année 2022, espérant qu’elle offre à chacun toutes les satisfactions, personnelles et professionnelles.

Le contexte sanitaire nous empêche l’organisation d’un moment de convivialité et nous le regrettons sincèrement.

Je prie l’ensemble des participants de bien vouloir rester en place encore quelques instants afin de me permettre de raccompagner, avec Monsieur le procureur général, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le garde des Sceaux ainsi que M. et Mme les présidents des Commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée Nationale.

DISCOURS DE MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR DE CASSATION

Frédéric Fabre : Monsieur le Procureur Général a globalement raison. Malheureusement sur le terrain les actes ne suivent pas toujours ! D'un part, il oublie un cas qui n'est pas une exception. Lorsqu'un Président de chambre correctionnelle est en cours de nomination pour être membre du parquet, il ne peut pas juger un justiciable sereinement sans être tenté de chercher à plaire au ministre de la justice. D'autre part, trop de membres du parquet comme Monsieur  le Procureur du Tribunal Judiciaire de Nancy, ne connaissent pas le droit qu'ils doivent appliquer. Comment alors peuvent-ils être un soutien du juge du siège, dans la recherche d'une bonne décision de justice ?

Monsieur le premier ministre, cette année encore, vous avez bien voulu honorer cette audience de votre présence. Nous vous sommes reconnaissants de cette marque de considération.

Monsieur le garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les hautes personnalités, nous sommes très sensibles à votre présence à cette audience solennelle. Elle traduit l’intérêt que vous portez à la Justice et à ceux qui sont chargés de la faire vivre au quotidien.

Monsieur le président de la Cour de Justice de l’Union européenne, nous sommes très honorés de votre présence à cette audience qui marque l’importance du dialogue des juges dans l’application et l’interprétation du droit primaire et du droit dérivé constitué des règlements et directives européennes dans le respect des grands principes définis par la Cour de Justice de l’Union, dialogue dont le moteur doit être la confiance.

Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l’homme, je vous remercie pour votre présence : la fréquence de nos rencontres témoigne de la grande qualité de nos relations.

En cette audience solennelle de rentrée sous les ors de la Grand-chambre, nous avons une responsabilité particulière qui nous est donnée depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 par notre double qualité de première présidente et procureur général et de présidents des formations du siège et du parquet du conseil supérieur de la magistrature qui assiste le président de la République dans sa mission de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est cette même responsabilité qui nous avait conduits en juin dernier à alerter le président de la République sur la crise de la justice et sur l’état d’esprit des magistrats, partagés entre la lassitude et la désespérance.

J’aborderai donc successivement l’action du parquet général au cours de l’année écoulée puis la situation de notre Justice.

Dans le droit fil de son office de rendre des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun et d’éclairer la Cour sur la portée de la décision à intervenir, le parquet général s’est inscrit avec volontarisme dans la mise en œuvre des nouvelles méthodes de travail que vous avez instaurées au sein de la Cour, Madame la première présidente. Je voudrais à cette occasion saluer les initiatives et le travail que vous avez engagés au sein de cette Cour dans un esprit de responsabilité et de modernité, pour lui permettre de toujours mieux remplir ses missions. Je pense notamment à l’instauration de circuits différenciés de traitement des procédures et à la désignation en amont et concomitante du conseiller rapporteur et de l’avocat général pour les pourvois relevant du circuit approfondi. L’instauration dans ce circuit d’une séance d’instruction à laquelle ils participent leur permettra de contribuer pleinement aux travaux préparant le traitement des contentieux d’intérêt majeur.

Comme l’a si bien souligné la commission « Cour de cassation 2030 », la fonction d’avocat général exercée de façon approfondie et dans des conditions qui en permettent la pleine expression peut être d’un grand profit pour la Cour de cassation. L’avis de l’avocat général contribue en effet à renforcer la sécurité juridique de la décision et fournit un regard extérieur à la chambre incitant les conseillers, concentrés sur la jurisprudence, à prendre en compte des éléments extra-juridiques, notamment le point de vue des différents acteurs de la société, voire la jurisprudence étrangère.

Le parquet général a aussi développé au cours de l’année écoulée une politique de spécialisation en instituant, au sein du parquet général de chacune des chambres de la Cour, des référents qui développent une connaissance approfondie de certains contentieux émergents.

Le parquet général s’est attaché à assurer tous les deux mois la diffusion sous forme numérique d’un panorama d’une quarantaine d’arrêts rendus dans tous les contentieux pénaux, civils, sociaux et commerciaux qui intéressent le ministère public avec un bref commentaire sur les apports de la décision et l’évolution de la jurisprudence de la Cour.

Enfin, conscients de la qualité du travail accompli dans les services civils et commerciaux des parquets et des parquets généraux dont l’importance est primordiale et qui appartiennent au cœur de métier du ministère public, nous nous sommes attachés à venir à leur soutien en matière civile et de procédures collectives. J’ai ainsi initié, depuis le mois de septembre dernier au niveau inter-régional, avec une équipe de quatre avocats généraux, des rencontres d’une journée auxquelles sont conviés tous les magistrats en charge des parquets civils et commerciaux dans les cours d’appel et tribunaux judiciaires concernés. Ces rencontres permettent au parquet général de présenter et d’expliquer les principes et les étapes du contrôle de proportionnalité/conventionnalité et d’expliquer la jurisprudence de la Cour sur les contentieux de la filiation, de la PMA et de la GPA, de l’hospitalisation sous contrainte, des mineurs étrangers isolés et des procédures collectives. Ces rencontres permettent de mieux travailler avec les parquets et parquets généraux, de répondre à leurs interrogations, d’anticiper les questions que des pourvois à venir pourraient susciter et de mieux identifier les contentieux émergents. Nous avons déjà couvert 8 cours d’appel et l’ensemble des cours d’appel sera concerné avant la fin de l’année 2022.

Mais venons-en à la situation de notre Justice !

 A l’heure où telle une lame de fond, une tribune a recueilli plus de 7000 signatures de magistrats, de greffiers et d’avocats qui exigent une justice proche, humaine et qui se traduise par des décisions de qualité rendues dans des délais raisonnables, je voudrais rappeler que, juges ou procureurs, nous sommes magistrats et que nous exerçons un « métier passion ».

Un métier qui nous dépasse et nous incite en permanence au dépassement de nous-même.

Un métier qui nous conduit à juger ou requérir au nom de l’intérêt général en s’assurant que la loi est appliquée pour tous de la même manière.

Un métier qui nous conduit en permanence à décider, ce qui nécessite des qualités d’humanité, d’humilité et de courage.

Un métier qui nous conduit à être le gardien des libertés individuelles mais aussi le protecteur des plus fragiles et des plus vulnérables, un métier qui nous conduit à être en permanence au cœur de la cité, en prise avec tous les enjeux, les évolutions et les difficultés d’un monde à la complexité sans cesse croissante.

Un métier que nous avons choisi par passion de la justice et dans lequel nous voulons donner du sens à nos actions, au service de la justice et des justiciables.

Une passion pour la justice qui nous a, peut-être à tort, conduits à accepter trop longtemps ce qui ne devait pas l’être, c’est-à-dire l’insuffisance chronique et l’inadéquation des moyens qui nous sont donnés au quotidien pour remplir nos missions et qui n’ont pu en réalité être menées à bien que grâce au dévouement sans limite des magistrats et des fonctionnaires de justice.

La crise que nous vivons et que nul ne peut nier aujourd’hui est là : conditions de travail intenables dans les juridictions du fond, souffrance, perte de sens. La tribune, qui dénonce une Justice qui déshumanise et maltraite les justiciables ainsi que ceux qui œuvrent à son fonctionnement, rejoint en réalité le constat de nombreux Français qui estiment la justice trop lente et déshumanisée.

Cette situation, qui est au cœur du travail des Etats généraux qui se déroulent en ce moment, est en fait la conséquence de plusieurs facteurs qui sont connus depuis longtemps tout comme le sont les remèdes nécessaires.

Quels sont ces facteurs ?

Un manque de considération et de reconnaissance pour la Justice et celles et ceux qui la rendent. En forçant un peu le trait, on a parfois l’impression que les juges indiffèrent ou insupportent.

Une inflation législative (plus de 40 réformes de droit pénal et procédure pénale en 18 ans) et une « fait-diversification » du droit pénal avec des lois suscitées par l’émotion et dont la qualité, notamment en termes de cohérence du droit et de lisibilité de la norme, laisse parfois à désirer. 

Un accroissement exponentiel de l’activité des juges et des procureurs qui ne s’est pas accompagné d’une augmentation des moyens à la hauteur des tâches nouvelles à accomplir. Comme le souligne la Cour des comptes, « faute d’une capacité du ministère de la Justice à améliorer son organisation, le rythme de ces réformes contribue à l’augmentation des délais de traitement des affaires ».

Par ailleurs, la logique mise en œuvre avec la LOLF a souvent considéré la justice au même niveau que n’importe quelle administration. Or, la justice n’est pas un simple service public et elle ne peut être pensée par le seul prisme d’une logique budgétaire d’efficience. Elle doit certes se réformer, mais elle occupe une place particulière dans notre démocratie régie par deux principes fondamentaux : la hiérarchie des normes et la séparation des pouvoirs où pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire expriment chacun la souveraineté nationale sans qu’aucun ne puisse en revendiquer le monopole. Ces trois pouvoirs se complètent et se contrôlent. La Justice est rendue au nom du peuple français : c’est un pouvoir constitutionnel indépendant et impartial.

Dans la quête d’une justice à qui on demande toujours plus, ce manque de moyens s’est traduit par une logique productiviste dans laquelle la qualité est passée au second plan, derrière une logique de flux et de recherche constante d’un taux de couverture positif, c’est-à-dire d’une situation où, dans une juridiction, il y a plus d’affaires sorties que d’affaires entrées. C’est cela que refusent les jeunes magistrats et il faut leur rendre hommage d’avoir voulu rappeler les fondamentaux de notre métier et d’avoir dénoncé le décalage profond qui existe entre la noblesse et la hauteur de leur mission et la précarité des conditions dans lesquelles ils travaillent au quotidien. Ils ont eu le courage de tenir leur place et leur serment ; ils ont le droit d’en être fiers et il n’y a aucune honte, bien au contraire, à revendiquer les moyens à la hauteur de notre belle mission.

La conjugaison du manque de moyens et de cette logique productiviste a fait naître des tensions au sein des juridictions, et a conduit à une dégradation des conditions de travail et à des phénomènes de souffrance au travail qui ne sont pas traités à leur juste mesure. Combien de tribunaux n’ont pas de médecins de prévention ? Combien de comités médicaux saisis dysfonctionnent en ne rendant leurs avis qu’après de nombreux mois ? Le rapport d’activité de la médecine de prévention pour l’année 2020 souligne lui-même « un nombre important d’agents en difficulté et en souffrance avec des collectifs de travail dégradés ».

A travers les missions qu’il effectue régulièrement dans les Cours d’appel et tribunaux et à travers les affaires disciplinaires portées devant lui, le Conseil supérieur de la magistrature est régulièrement le témoin de ces dysfonctionnements.

Un manque structurel de moyens qui perdure même si ne peuvent être niés les efforts budgétaires consentis particulièrement ces dernières années (entre 2011 et 2021 plus 22 % de crédits votés en loi de finances initiale pour le programme justice judiciaire et recrutement depuis le début du quinquennat de 650 magistrats et de 850 greffiers). Mais ces efforts et notamment ceux consentis depuis un an à travers le recrutement de deux milliers de contractuels, outre qu’ils demeurent insuffisants, ne sont-ils pas en réalité la traduction d’un certain manque de confiance de l’Etat dans sa justice et dans sa capacité à se réorganiser. Si cette confiance existait, ce sont bien des ETP, donc des créations d’emplois pérennes de magistrats et de greffiers, qui seraient intervenus et ce sont ces sucres lents dont la Justice a besoin pour remplir ses missions.

Cette observation rejoint en réalité celles de la Cour des comptes qui pointe bien un problème de confiance dans notre institution quand elle dit depuis des années que la Justice a moins besoin d’être réformée que mieux gérée et quand elle explique que les remèdes aux faiblesses structurelles dont elle souffre passe par plusieurs voies. 

  1. La réforme de la carte des cours d’appel pour que la justice se dote de moyens de gestion plus performants

  2. La nécessité de disposer enfin d’outils d’évaluation de la charge de travail et de répartition des effectifs dans les juridictions, adaptés aux besoins, réforme d’autant plus nécessaire dans un contexte inédit d’augmentation des budgets du ministère de la justice, comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour des comptes

  3. La mise à niveau enfin du numérique et de l’outil informatique dont le confinement au cours de la crise sanitaire a une fois de plus montré toutes les limites.

Les Etats généraux de la Justice décidés par le président de la République doivent permettre d’avancer mais ils renverront en réalité à la volonté et au courage du politique à porter les bonnes solutions. Et sur ce point, il ne faut pas se tromper. Vous me permettrez d’aborder deux questions structurelles qui ont été posées à l’occasion de ces Etats généraux : celle du statut du parquet et celle de l’unité du corps, questions intimement liées.

Certains critiquent en effet le principe de l’unité du corps judiciaire gravé aujourd’hui dans le marbre de notre Constitution et de la jurisprudence du conseil constitutionnel, et soutiennent qu’il faudrait l’abandonner au profit de la séparation du siège et du parquet.

Cette analyse serait fondée sur le fait que, comme l’a souligné à plusieurs reprises la CEDH, le ministère public français n’est pas une autorité judiciaire qualifiée, qu’il est une autorité poursuivante et qu’il ne saurait être au sens de l’article 5 de la CEDH un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il est vrai que le procureur ne sera jamais un juge et restera toujours une autorité de poursuite. Mais il a pris, dans notre procédure pénale, des prérogatives de plus en plus importantes à travers notamment l’accroissement de ses pouvoirs d’enquête, et son avenir passe plus par le renforcement de ses garanties statutaires que par une dégradation de son statut, une vraie régression qui en ferait un fonctionnaire comme c’est le cas en Allemagne.

Parce qu’il s’agit de choisir l’orientation de la procédure et donc déjà de juger, le magistrat du parquet est un magistrat et doit le rester pour mieux protéger la liberté individuelle, en toute impartialité, une impartialité qui n’est pas celle du juge qui, lui seul, porte une appréciation sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale. Ce n’est pas le cas du ministère public qui quelque part est nécessairement partial en ce qu’il croit à la culpabilité de celui qu’il poursuit. L’impartialité du ministère public renvoie à une exigence différente : celle d’enquêter à charge et à décharge et de veiller à la proportionnalité des moyens employés au cours des enquêtes.

Tout est lié. C’est parce qu’il est magistrat et appartient à l’autorité judiciaire que, comme le souligne le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 22 juillet 2016 et 8 décembre 2017, le ministère public exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, son action devant les juridictions. Et c’est encore parce qu’il appartient à l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, qu’il a un pouvoir de direction et de contrôle direct et effectif de la police judiciaire, principe à valeur constitutionnelle comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars 2011.

Sans indépendance, il n’y a en effet pas d’impartialité et sans impartialité, il n’y a pas de justice. Il ne saurait donc y avoir de justice de qualité sans parquet indépendant et impartial. Pour le traitement des affaires pénales, les juges ont besoin d’un parquet fort, indépendant et impartial, et non de fonctionnaires aux ordres du gouvernement. Car c’est bien l’appartenance au même corps judiciaire et le fait qu’ils prêtent le même serment qui garantissent une éthique et une déontologie communes des magistrats du siège et du parquet.

L’unité du corps favorise enfin la qualité de la justice et la gestion des ressources humaines. Les missions des magistrats du siège et du parquet, tout aussi différentes soient-elles, sont très complémentaires et cette complémentarité transcende les différences fonctionnelles. Unité du corps ne signifie pas connivence et influences réciproques, mais bien au contraire enrichissement des réflexions, compréhension fine des logiques et positionnements respectifs et sentiment de travailler ensemble, chacun à sa place, à l’œuvre de justice.

S’il n’était pas mis fin à l’unité du corps, certains imaginent alors un cloisonnement des carrières, au bout d’un certain temps. Une telle solution serait aussi illogique que contre-productive. Elle serait d’abord en contradiction avec la stratégie de recrutement et d’ouverture du corps qui vise à l’élargir aux autres professionnels issus d’autres horizons. Ensuite, elle viendrait restreindre la mobilité interne qui est précisément une richesse de la magistrature et le gage d’une plus grande maîtrise des processus et des organisations.

Par contre, l’unité du corps ne fait pas obstacle à des mesures visant à éviter tout risque de confusion des apparences. Le Conseil supérieur de la magistrature applique ainsi depuis de nombreuses années la règle des cinq ans : pour prétendre exercer une fonction au parquet dans une juridiction au sein de laquelle le magistrat avait précédemment exercé au siège, ou inversement, celui-ci doit attendre l’expiration de ce délai avant de pouvoir être nommé dans cette juridiction.

Pourquoi ne pas sacraliser cette règle en l’inscrivant dans l’ordonnance statutaire ?

La seconde question structurelle est celle de la consolidation de l’indépendance du parquet par un renforcement de ses garanties statutaires, ce qui fait d’ailleurs perdre à la première question une grande partie de sa pertinence.

La nature du parquet français est hybride : soumis à l’autorité hiérarchique, il est chargé de mettre en œuvre la politique pénale déterminée par le gouvernement conformément à l’article 20 de notre Constitution. Mais il exerce librement l’action publique dans les affaires individuelles, cette liberté étant illustrée par quatre éléments particulièrement forts :

  1. La théorie des pouvoirs propres selon lequel tout acte du magistrat du parquet produit pleinement ses effets, quand bien même il serait en contradiction avec une instruction de son chef hiérarchique

  2. Le principe de la liberté de parole à l’audience

  3. L’interdiction faite au garde des sceaux de donner des instructions dans les affaires individuelles

  4. L’indépendance à l’égard des juridictions et des parties qui interdit les injonctions et les critiques de la juridiction au parquet, ainsi que sa récusation.

Ces quatre éléments forts sont bien la marque de l’authentique autorité de magistrat que lui confèrent les textes. La reconnaissance de ces prérogatives autonomes du parquet est donc bien une donnée inhérente au ministère public : comment en effet s’assurer, dans une société démocratique, que les responsables publics fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites pour les infractions qu’ils auraient commises sans la garantie d’un parquet indépendant dans l’exercice de ces prérogatives.

Il est donc nécessaire de mettre les modalités de gestion de sa carrière en accord avec ses prérogatives et ses responsabilités afin que l’on puisse avoir la certitude qu’elles sont exercées sans risque de pressions ou d’influences. Pour faire disparaître le venin de la suspicion, il est nécessaire de faire évoluer le statut du parquet dans le sens d’un alignement des deux régimes statutaires du siège et du parquet tant sur le plan des nominations que sur celui du régime disciplinaire.

Cette nécessaire évolution constitue un triple enjeu, un enjeu juridique, un enjeu de confiance des citoyens dans l’institution judiciaire, enfin un enjeu de crédibilité et de morale politique si l’on admet que celle-ci est fondée sur les notions de loyauté, de sincérité et de volonté. En effet, les nombreux engagements pris depuis 20 ans mais jamais tenus par des élus et candidats à la présidence de la République en vue d’un rapprochement des statuts, ont fait de cette réforme l’Arlésienne de la Vème République.

Je ne doute pas que, par leurs synthèses et leurs propositions, les Etats généraux de la Justice permettent d’objectiver ces constats. Mais ils renverront nécessairement à cette question que Mireille Delmas Marty posait déjà il y a dix ans, celle de « savoir si les responsables politiques sont réellement prêts à engager une réforme qui garantissent les deux qualités d’une bonne justice : l’impartialité et l’indépendance ».

Faut-il rappeler sous forme de supplique cette pensée de Confucius : « Quand on peut accomplir sa promesse sans manquer à la justice, il faut tenir sa parole ».

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