QPC JURISPRUDENCE 2023

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Publié par Frédéric Fabre docteur en droit.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, dans l'ordre chronologique.

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DEUX DECISIONS DU 19 JANVIER 2023

Décision n° 2022-1030 QPC du 19 janvier 2023

Ordre des avocats au barreau de Paris et autre Perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 octobre 2022 par le Conseil d’État (décision nos 463588 et 463683 du 18 octobre 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’ordre des avocats au barreau de Paris par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et pour l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine par la SARL Cabinet Briard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1030 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, et de l’article 56-1-2 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;

- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour l’ordre des avocats au barreau de Paris par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 9 novembre 2022 ;

- les observations présentées pour l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine par la SARL Cabinet Briard, enregistrées le même jour ;

- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour l’association « ACE - Avocats, ensemble » par la SCP Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour l’association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour l’association Conférence des bâtonniers de France par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour l’association Institut du droit pénal fiscal et financier par la SAS Hannotin avocats, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour le syndicat des avocats de France par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations présentées pour l’ordre des avocats au barreau de Paris par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 24 novembre 2022 ;

- les secondes observations présentées pour l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine par la SARL Cabinet Briard, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations en intervention présentées pour l’association « ACE - Avocats, ensemble » par la SCP Nicolas Boullez, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations en intervention présentées pour l’association Conférence des bâtonniers de France par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le même jour ;

- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’ordre des avocats au barreau de Paris, le Conseil national des barreaux et l’association Conférence des bâtonniers de France, Me Fabien Arakelian, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, pour l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, Me Romain Boulet, avocat au barreau de Paris, pour l’association des avocats pénalistes, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le syndicat des avocats de France, Me Florent Loyseau de Grandmaison, avocat au barreau de Paris, pour l’association Institut du droit pénal fiscal et financier, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 10 janvier 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention saisi par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l’objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Le contenu de cette décision est porté à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué dès le début de la perquisition par le magistrat effectuant celle-ci. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité.
« Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.
« Le bâtonnier ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l’objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. Si d’autres documents ou d’autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l’objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.
« Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée.
« À cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l’avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.
« S’il estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document ou l’objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.
« Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction.
« La décision du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures, formé par le procureur de la République, l’avocat ou le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l’instruction. Celui-ci statue dans les cinq jours suivant sa saisine, selon la procédure prévue au cinquième alinéa du présent article.
« Ce recours peut également être exercé par l’administration ou l’autorité administrative compétente.
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l’ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal judiciaire qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier.
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales, dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ou dans les locaux mentionnés à l’avant-dernier alinéa ».

2. L’article 56-1-2 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit :
« Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l’article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l’article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».

3. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le secret professionnel de la défense et du conseil de l’avocat, qu’ils invitent le Conseil constitutionnel à reconnaître comme une exigence constitutionnelle, ainsi que les droits de la défense, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, le droit à un procès équitable et le droit de ne pas s’auto-incriminer. À cet égard, ils reprochent au deuxième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale de permettre, à l’occasion de la perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, la saisie d’un document couvert par le secret professionnel du conseil lorsqu’il ne relève pas de l’exercice des droits de la défense. Ils reprochent également à l’article 56-1-2 du même code de prévoir que le secret professionnel du conseil ne peut être invoqué pour s’opposer à la saisie de certains documents même lorsqu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense.

4. L’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, rejoint par certaines parties intervenantes, fait en outre valoir que la condition tenant à l’existence de « raisons plausibles » de soupçonner l’avocat de la commission d’une infraction, exigée lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de ce dernier, serait trop imprécise. Par ailleurs, en cas de contestation de la régularité de la saisie soulevée par le bâtonnier au cours de la perquisition, le délai de cinq jours dans lequel le juge des libertés et de la détention est tenu de statuer serait trop bref. Il en résulterait une méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées.

5. L’ordre des avocats au barreau de Paris soutient enfin que, pour les mêmes motifs, les dispositions renvoyées seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « raisons plausibles » figurant à la cinquième phrase du premier alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale, sur les mots « relevant de l’exercice des droits de la défense » figurant au deuxième alinéa du même article et sur les mots « Dans les cinq jours » figurant au quatrième alinéa du même article, ainsi que sur l’article 56-1-2 du même code.

7. L’une des parties intervenantes fait par ailleurs valoir que les dispositions contestées de l’article 56-1 du code de procédure pénale méconnaîtraient l’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle soutient en outre que l’article 56-1-2 du même code serait contraire au principe d’égalité devant la loi.

- Sur les dispositions contestées de l’article 56-1 du code de procédure pénale :

8. L’article 56-1 du code de procédure pénale prévoit les conditions dans lesquelles une perquisition peut être réalisée dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ainsi que les modalités selon lesquelles les documents ou objets se trouvant sur les lieux peuvent être saisis.

9. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Si sont garantis par ces dispositions les droits de la défense, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats.

10. Les dispositions contestées du deuxième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale interdisent la saisie des documents couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus, dès lors qu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense.

11. Ainsi, ces dispositions n’ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789.

12. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de ces droits ne peut qu’être écarté.

13. En second lieu, il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, protégés par l’article 2 de la Déclaration de 1789.

14. Les dispositions contestées permettent la saisie de documents et objets se trouvant dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile.

15. Toutefois, d’une part, la perquisition ne peut, à peine de nullité, être réalisée qu’après avoir été autorisée par une décision motivée du juge des libertés et de la détention, qui indique la nature de l’infraction sur laquelle porte les investigations, les raisons justifiant cette mesure, son objet et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Lorsqu’une telle mesure est justifiée par la mise en cause de l’avocat, cette autorisation est subordonnée à la condition, qui n’est pas imprécise, tenant à l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe.

16. D’autre part, la perquisition ne peut pas conduire à la saisie de documents ou objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision autorisant cette mesure. Elle ne peut être effectuée que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, lequel peut s’opposer à la saisie s’il l’estime irrégulière. Dans ce cas, le juge des libertés et de la détention statue sur cette contestation, dans un délai de cinq jours, par ordonnance motivée et susceptible d’un recours suspensif devant le président de la chambre de l’instruction.

17. Dès lors, les dispositions contestées de l’article 56-1 du code de procédure pénale procèdent à une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

18. Par conséquent, ces dispositions, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

- Sur l’article 56-1-2 du code de procédure pénale :

19. Les dispositions contestées prévoient que, par exception à l’article 56-1 du code de procédure pénale, lorsqu’un document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel du conseil est découvert à l’occasion d’une perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat, à son domicile ou dans un autre lieu, ce secret n’est, sous certaines conditions, pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction relatives à certaines infractions. Ces dispositions sont ainsi susceptibles de porter atteinte aux droits de la défense.

20. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre la saisie de documents qui tendent à révéler une fraude fiscale ou la commission d’autres infractions. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de lutte contre la fraude fiscale.

21. En second lieu, d’une part, les dispositions contestées ne s’appliquent pas aux documents couverts par le secret professionnel de la défense. D’autre part, parmi les documents couverts par le secret professionnel du conseil, seuls sont susceptibles d’être saisis ceux qui ont été utilisés aux fins de commettre ou de faciliter la commission des infractions de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement d’une entreprise terroriste ou encore de blanchiment de ces délits. En outre, le bâtonnier, son délégué ou la personne chez laquelle il est procédé à la perquisition peuvent s’opposer à la saisie de ces documents dans les conditions prévues aux articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale.

22. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

23. Il en va de même, pour ces mêmes motifs et ceux énoncés aux paragraphes 15 et 16, des griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances.

24. Il résulte de tout ce qui précède que l’article 56-1-2 du code de procédure pénale, qui n’est pas entaché d’incompétence négative et qui ne méconnaît pas non plus le droit à un procès équitable, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser ou le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :
- les mots « raisons plausibles » figurant à la cinquième phrase du premier alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;
- les mots « relevant de l’exercice des droits de la défense » figurant au deuxième alinéa du même article, dans la même rédaction ;
- les mots « Dans les cinq jours » figurant au quatrième alinéa du même article, dans la même rédaction ;
- l’article 56-1-2 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi du 22 décembre 2021.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président,  Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2022-1031 QPC du 19 janvier 2023

M. François P. [Visite et saisie en matière fiscale au cabinet ou au domicile d’un avocat]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 octobre 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1449 du 25 octobre 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. François P. par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1031 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, et de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de procédure pénale ;

- le livre des procédures fiscales ;

- l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;

- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour le requérant par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, enregistrées le 9 novembre 2022 ;

- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour l’association « ACE-Avocats, ensemble » par la SCP Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

- les observations en intervention présentées pour la société Davidson Est et autres par Mes Pierre-Henri Durand et Ronan Vallerie, avocats au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 23 novembre 2022 ;

- les secondes observations en intervention présentées pour la société Davidson Est et autres par Mes Durand et Vallerie, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations présentées pour le requérant par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, enregistrées le 24 novembre 2022 ;

- les secondes observations en intervention présentées pour l’association « ACE-Avocats, ensemble » par la SCP Nicolas Boullez, enregistrées le même jour ;

- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Mes Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et Cédric Labrousse, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, Me Vallerie, pour la société Davidson Est et autres, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 10 janvier 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée pour la société Davidson Est et autres par Mes Durand et Vallerie, enregistrée le 10 janvier 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention saisi par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l’objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Le contenu de cette décision est porté à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué dès le début de la perquisition par le magistrat effectuant celle-ci. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité.
« Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.
« Le bâtonnier ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l’objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. Si d’autres documents ou d’autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l’objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.
« Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée.
« À cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l’avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.
« S’il estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document ou l’objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.
« Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction.
« La décision du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures, formé par le procureur de la République, l’avocat ou le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l’instruction. Celui-ci statue dans les cinq jours suivant sa saisine, selon la procédure prévue au cinquième alinéa du présent article.
« Ce recours peut également être exercé par l’administration ou l’autorité administrative compétente.
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l’ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal judiciaire qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier.
« Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales, dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ou dans les locaux mentionnés à l’avant-dernier alinéa ».

2. L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 18 septembre 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit : « I. - Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts, ayant au moins le grade d’inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.
« II. - Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.
« Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu’une visite simultanée doit être menée dans chacun d’eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l’un des juges des libertés et de la détention territorialement compétents.
« Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite.
« L’ordonnance comporte :
« a) L’adresse des lieux à visiter ;
« b) Le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite ;
« c) L’autorisation donnée au fonctionnaire qui procède aux opérations de visite de recueillir sur place, dans les conditions prévues au III bis, des renseignements et justifications auprès de l’occupant des lieux ou de son représentant et, s’il est présent, du contribuable mentionné au I, ainsi que l’autorisation de demander à ceux-ci de justifier pendant la visite de leur identité et de leur adresse, dans les mêmes conditions.
« d) La mention de la faculté pour le contribuable de faire appel à un conseil de son choix.
« L’exercice de cette faculté n’entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie.
« Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.
« Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent l’existence d’un coffre dans un établissement de crédit ou une société de financement dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces et documents se rapportant aux agissements visés au I sont susceptibles de se trouver, ils peuvent, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ce coffre. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au IV.
« Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent des éléments révélant l’existence en d’autres lieux de pièces et documents se rapportant aux agissements mentionnés au I, ils peuvent, en cas d’urgence, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ces lieux aux fins de saisie de ces pièces et documents. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au IV.
« La visite et la saisie de documents s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. À cette fin, il donne toutes instructions aux agents qui participent à ces opérations.
« Il désigne le chef du service qui nomme l’officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.
« Lorsqu’elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal judiciaire, il délivre une commission rogatoire, pour exercer le contrôle mentionné au treizième alinéa du présent II, au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s’effectue la visite.
« Le juge peut, s’il l’estime utile, se rendre dans les locaux pendant l’intervention.
« À tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite.
« L’ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute.
« L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite, à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au IV. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée, après la visite, par lettre recommandée avec avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis.
« À défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance par acte d’huissier de justice.
« Le délai et la voie de recours sont mentionnés dans l’ordonnance.
« L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
« Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, cet appel doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou, à compter du 1er janvier 2009, par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter soit de la remise, soit de la réception, soit de la signification de l’ordonnance. Cet appel n’est pas suspensif.
« Le greffe du tribunal judiciaire transmet sans délai le dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel où les parties peuvent le consulter.
« L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le code de procédure civile. Le délai du pourvoi en cassation est de quinze jours.
« III. - La visite, qui ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures, est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant ; en cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l’administration des impôts.
« Les agents de l’administration des impôts mentionnés au I peuvent être assistés d’autres agents des impôts habilités dans les mêmes conditions que les inspecteurs.
« Les agents des impôts habilités, l’occupant des lieux ou son représentant et l’officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie.
« L’officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale ; l’article 58 de ce code est applicable.
« III bis. - Au cours de la visite, les agents des impôts habilités peuvent recueillir, sur place, des renseignements et justifications concernant les agissements du contribuable mentionné au I auprès de l’occupant des lieux ou de son représentant et, s’il est présent, de ce contribuable, après les avoir informés que leur consentement est nécessaire. Ces renseignements et justifications sont consignés dans un compte rendu annexé au procès-verbal mentionné au IV et qui est établi par les agents des impôts et signé par ces agents, les personnes dont les renseignements et justifications ont été recueillis ainsi que l’officier de police judiciaire présent.
« Les agents des impôts peuvent demander à l’occupant des lieux ou à son représentant et au contribuable, s’ils y consentent, de justifier de leur identité et de leur adresse.
« Mention des consentements est portée au compte rendu ainsi que, le cas échéant, du refus de signer.
« IV. - Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l’opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l’administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s’il y a lieu. Le procès-verbal et l’inventaire sont signés par les agents de l’administration des impôts et par l’officier de police judiciaire ainsi que par les personnes mentionnées au premier alinéa du III ; en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal.
« Si l’inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés qui a lieu en présence de l’officier de police judiciaire ; l’inventaire est alors établi.
« IV bis. - Lorsque l’occupant des lieux ou son représentant fait obstacle à l’accès aux pièces ou documents présents sur un support informatique, à leur lecture ou à leur saisie, mention en est portée au procès-verbal.
« Les agents de l’administration des impôts peuvent alors procéder à la copie de ce support et saisir ce dernier, qui est placé sous scellés. Ils disposent de quinze jours à compter de la date de la visite pour accéder aux pièces ou documents présents sur le support informatique placé sous scellés, à leur lecture et à leur saisie, ainsi qu’à la restitution de ce dernier et de sa copie. Ce délai est prorogé sur autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention.
« À la seule fin de permettre la lecture des pièces ou documents présents sur le support informatique placé sous scellés, les agents de l’administration des impôts procèdent aux opérations nécessaires à leur accès ou à leur mise au clair. Ces opérations sont réalisées sur la copie du support.
« L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés, à la lecture et à la saisie des pièces et documents présents sur ce support informatique, qui ont lieu en présence de l’officier de police judiciaire.
« Un procès-verbal décrivant les opérations réalisées pour accéder à ces pièces et documents, à leur mise au clair et à leur lecture est dressé par les agents de l’administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé, s’il y a lieu.
« Le procès-verbal et l’inventaire sont signés par les agents de l’administration des impôts et par l’officier de police judiciaire ainsi que par l’occupant des lieux ou son représentant ; en son absence ou en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal.
« Il est procédé concomitamment à la restitution du support informatique et de sa copie. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’administration accomplit alors sans délai toutes diligences pour les restituer.
« V. - Les originaux du procès-verbal et de l’inventaire sont, dès qu’ils ont été établis, adressés au juge qui a autorisé la visite ; une copie de ces mêmes documents est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant. Une copie est également adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à l’auteur présumé des agissements mentionnés au I, nonobstant les dispositions de l’article L. 103.
« Les pièces et documents saisis sont restitués à l’occupant des locaux dans les six mois de la visite ; toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées, leur restitution est autorisée par l’autorité judiciaire compétente.
« Le procès-verbal et l’inventaire mentionnent le délai et la voie de recours.
« Le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
« Suivant les règles prévues par le code de procédure civile, ce recours doit être exclusivement formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou, à compter du 1er janvier 2009, par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception soit du procès-verbal, soit de l’inventaire, mentionnés au premier alinéa. Ce recours n’est pas suspensif.
« L’ordonnance du premier président de la cour d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure civile. Le délai du pourvoi en cassation est de quinze jours.
« VI. - L’administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies, y compris celles qui procèdent des traitements mentionnés au troisième alinéa, qu’après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en œuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 47.
« Toutefois, si, à l’expiration d’un délai de trente jours suivant la notification d’une mise en demeure adressée au contribuable, à laquelle est annexé un récapitulatif des diligences accomplies par l’administration pour la restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction, ceux-ci n’ont pu être restitués du fait du contribuable, les informations recueillies sont opposables à ce dernier après mise en œuvre des procédures de contrôle mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 47 et dans les conditions prévues à l’article L. 76 C.
« En présence d’une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés saisie dans les conditions prévues au présent article, l’administration communique au contribuable, au plus tard lors de l’envoi de la proposition de rectification prévue au premier alinéa de l’article L. 57 ou de la notification prévue à l’article L. 76, sous forme dématérialisée ou non au choix de ce dernier, la nature et le résultat des traitements informatiques réalisés sur cette saisie qui concourent à des rehaussements, sans que ces traitements ne constituent le début d’une procédure de vérification de comptabilité. Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui, et sous le contrôle desquels, les opérations sont réalisées ».

3. Selon le requérant, en donnant compétence au juge des libertés et de la détention pour statuer sur la contestation d’une saisie de documents ou d’objets opérée à l’occasion d’une perquisition dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’impartialité des juridictions dès lors que la perquisition doit elle-même être autorisée et, dans le cas où elle intervient à la demande de l’administration fiscale, effectuée par un juge des libertés et de la détention.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation » figurant au quatrième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale.

- Sur les interventions :

5. Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

6. Les parties intervenantes sont fondées à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où leur intervention porte sur les dispositions contestées. La société Davidson Est et autres, dont les griefs sont exclusivement dirigés contre certaines dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ne formule aucun grief à l’encontre des dispositions contestées. Par conséquent, son intervention n’est pas admise.

7. L’autre partie intervenante, qui justifie d’un intérêt spécial, développe le même grief que le requérant.

- Sur le fond :

8. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

9. L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales prévoit que le juge des libertés et de la détention peut autoriser les agents habilités de l’administration fiscale à effectuer des visites en tous lieux, même privés, où sont susceptibles d’être détenus des pièces et documents se rapportant à des agissements frauduleux en matière d’impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de taxes sur le chiffre d’affaires et à procéder à leur saisie. La visite et la saisie s’effectuent alors sous l’autorité et le contrôle de ce magistrat.

10. Il résulte de l’article 56-1 du code de procédure pénale que, lorsque ces opérations de visite et de saisie ont lieu dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, elles sont effectuées par un juge des libertés et de la détention en présence du bâtonnier ou de son délégué, qui peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. En vertu des dispositions contestées de cet article, il appartient à un juge des libertés et de la détention de statuer sur cette contestation par ordonnance motivée.

11.  Le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une perquisition statue sur la contestation d’une saisie effectuée à cette occasion par un autre juge des libertés et de la détention. En revanche, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître ce principe, être interprétées comme permettant qu’un même juge des libertés et de la détention effectue une saisie et statue sur sa contestation.

12. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions doit être écarté.

13. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous cette même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, les mots « le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation » figurant au quatrième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 27 JANVIER 2023

Décision n° 2022-1032 QPC du 27 janvier 2023

M. Osman B. [Recours contre l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France à l’occasion du refus d’autorisation de certains travaux]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 octobre 2022, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution et selon les modalités fixées par la dernière phrase du premier alinéa de l’article 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Osman B. par la SCP Marlange - de La Burgade, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1032 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I et III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Denis de La Burgade, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Max Boiron Bertrand, avocat au barreau de Lyon, pour la commune de Megève, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 17 janvier 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des paragraphes I et III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine dans sa rédaction résultant de la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus.

2. Les paragraphes I et III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, dans cette rédaction, prévoient : « I. - L’autorisation prévue à l’article L. 632-1 est, sous réserve de l’article L. 632-2-1, subordonnée à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France, le cas échéant assorti de prescriptions motivées. À ce titre, ce dernier s’assure du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il s’assure, le cas échéant, du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine. Tout avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France rendu dans le cadre de la procédure prévue au présent alinéa comporte une mention informative sur les possibilités de recours à son encontre et sur les modalités de ce recours.
« Le permis de construire, le permis de démolir, le permis d’aménager, l’absence d’opposition à déclaration préalable, l’autorisation environnementale prévue à l’article L. 181-1 du code de l’environnement ou l’autorisation prévue au titre des sites classés en application de l’article L. 341-10 du même code tient lieu de l’autorisation prévue à l’article L. 632-1 du présent code si l’architecte des Bâtiments de France a donné son accord, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I.
« En cas de silence de l’architecte des Bâtiments de France, cet accord est réputé donné.
« L’autorité compétente pour délivrer l’autorisation peut proposer un projet de décision à l’architecte des Bâtiments de France. Celui-ci émet un avis consultatif sur le projet de décision et peut proposer des modifications, le cas échéant après étude conjointe du dossier.
« L’autorisation délivrée énonce, le cas échéant, les prescriptions motivées auxquelles le demandeur doit se conformer.
« III. - Un recours peut être exercé par le demandeur à l’occasion du refus d’autorisation de travaux. Il est alors adressé à l’autorité administrative, qui statue. Dans le cadre de ce recours, le demandeur peut faire appel à un médiateur désigné par le président de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture parmi les membres de cette commission titulaires d’un mandat électif. Dans ce cas, l’autorité administrative statue après avis de ce médiateur. En cas de silence, l’autorité administrative est réputée avoir confirmé la décision de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation ».

3. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas préciser si le recours administratif prévu contre l’avis négatif de l’architecte des Bâtiments de France doit obligatoirement être exercé préalablement au recours contentieux contre le refus d’autorisation d’urbanisme faisant suite à cet avis. Ce faisant, ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions de nature à affecter le droit à un recours juridictionnel effectif. Elles méconnaîtraient également l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et de clarté de la loi.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux premières phrases du paragraphe III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine.

5. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

6. Il résulte toutefois des articles 34 et 37 de la Constitution que les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu’elles ne mettent pas en cause les règles ou les principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi.

7. En vertu des articles L. 621-32 et L. 632-1 du code du patrimoine, certains travaux aux abords d’un monument historique ou dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable sont soumis à autorisation. En application du paragraphe I de l’article L. 632-2 du même code, la délivrance de cette autorisation est subordonnée à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France.

8. Les dispositions contestées de l’article L. 632-2 prévoient qu’un recours administratif contre l’avis de l’architecte des Bâtiments de France peut être exercé par le demandeur à l’occasion du refus d’autorisation de travaux.

9. Ces dispositions sont relatives à la procédure administrative et ne mettent pas en cause l’exercice, par les administrés, du droit d’agir en justice. Ainsi, en ne déterminant pas lui-même les conséquences de l’absence d’exercice de ce recours administratif sur la recevabilité d’un recours contentieux, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence. Au demeurant, l’exigence d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité d’un recours contentieux, ne méconnaît pas le droit à un recours effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

10. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les deux premières phrases du paragraphe III de l’article L. 632-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023

M. Patrick R. [Exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 novembre 2022 par le Conseil d’État (décision n° 467518 du 16 novembre 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Patrick R. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1033 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 17 janvier 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2019 mentionnée ci-dessus, exonère partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités versées à un salarié à l’occasion de la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Son dernier alinéa prévoit : « Le présent 6 ° est applicable aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées en application des I et III de l’article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de limiter le bénéfice de l’exonération des indemnités perçues par les agents publics à raison de la rupture de la relation de travail aux seules indemnités de rupture conventionnelle. Elles institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée, d’une part, entre les agents publics, selon que la cessation de leurs fonctions résulte d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement et, d’autre part, entre les agents publics et les salariés qui bénéficient quant à eux d’une exonération de leurs indemnités de licenciement. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

3. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

4. Le 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts prévoit que l’indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable à l’impôt sur le revenu et fixe la liste des exceptions à cette règle.

5. Les dispositions contestées prévoient à ce titre que bénéficient d’une exonération partielle les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrat à durée indéterminée. En revanche, les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement ne bénéficient d’aucune exonération.

6. Il en résulte une différence de traitement, d’une part, entre les agents publics selon qu’ils perçoivent une indemnité de rupture conventionnelle ou de licenciement et, d’autre part, en cas de licenciement, entre les agents publics et les salariés dès lors que seules les indemnités perçues par ces derniers bénéficient d’une exonération partielle.

7. En premier lieu, en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé.

8. Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement.

9. Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

10. En second lieu, le législateur a défini les indemnités qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération. Les salariés du secteur privé et les agents publics étant, au regard des règles de licenciement, soumis à des régimes juridiques différents, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, réserver le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés.

11. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le dernier alinéa du 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Deux décisions du 10 février 2023

Décision n° 2022-1034 QPC du 10 février 2023

Syndicat de la magistrature et autres [Placement ou maintien en détention provisoire des mineurs et relevés signalétiques sous contrainte]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 novembre 2022 par le Conseil d’État (décision n° 464528 du 29 novembre 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et l’association Gisti par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1034 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d’une part, de l’article 397-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, et, d’autre part, du quatrième alinéa de l’article 55-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi, et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de cette loi.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants et les associations Avocats pour la défense des droits des étrangers et Informations sur les mineurs isolés étrangers, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association Ligue des droits de l’homme, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 31 janvier 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 3 février 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 397-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 24 janvier 2022 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« S’il lui apparaît que la personne présentée devant lui est mineure, le tribunal renvoie le dossier au procureur de la République.
« S’il s’agit d’un mineur âgé d’au moins treize ans, le tribunal statue au préalable, après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République et les observations du mineur et de son avocat, sur son placement ou son maintien en détention provisoire jusqu’à sa comparution soit devant le juge d’instruction spécialisé, soit devant le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention spécialisé, selon les modalités prévues aux articles L. 423-6 ou L. 423-9 du code de la justice pénale des mineurs. La décision est spécialement motivée au regard de la nécessité de garantir le maintien du mineur à la disposition de la justice. La comparution devant le juge compétent doit avoir lieu dans un délai de vingt-quatre heures, à défaut de quoi le mineur est remis en liberté d’office.
« Le présent article est également applicable devant le juge des libertés et de la détention statuant en application de l’article 396 du présent code ». 

2. L’article L. 413-16 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit :
« L’officier ou l’agent de police judiciaire qui envisage de procéder ou de faire procéder, en application du deuxième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale, à une opération de prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies d’un mineur entendu en application des articles L. 412-1 et L. 413-6 du présent code doit s’efforcer d’obtenir le consentement de ce mineur.
« Il informe le mineur, en présence de son avocat, des peines prévues au troisième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale s’il refuse de se soumettre à cette opération.
« Lorsque les conditions prévues à l’article L. 413-17 du présent code sont réunies, il l’informe également, en présence de son avocat, de la possibilité de procéder à cette opération sans son consentement, en application du même article L. 413-17 ». 

3. L’article L. 413-17 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit :
« L’opération de prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies peut être effectuée sans le consentement du mineur, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi par une demande motivée de l’officier de police judiciaire, lorsque les conditions ci-après sont réunies :
« 1 ° Cette opération constitue l’unique moyen d’identifier le mineur qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d’identité manifestement inexacts ;
« 2 ° Le mineur apparaît manifestement âgé d’au moins treize ans ;
« 3 ° L’infraction dont il est soupçonné constitue un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
« L’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte de manière strictement nécessaire et proportionnée, compte tenu de la situation particulière du mineur.
« L’avocat du mineur ainsi que, sauf impossibilité, ses représentants légaux ou, à défaut, l’adulte approprié mentionné à l’article L. 311-1 sont préalablement informés de cette opération.
« Cette opération fait l’objet d’un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l’unique moyen d’identifier la personne ainsi que le jour et l’heure auxquels il y est procédé.
« Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé ainsi qu’aux représentants légaux ou à l’adulte approprié ». 

4. Le quatrième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la même loi, prévoit :
« Sans préjudice de l’application du troisième alinéa, lorsque la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou d’une photographie constitue l’unique moyen d’identifier une personne qui est entendue en application des articles 61-1 ou 62-2 pour un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d’identité manifestement inexacts, cette opération peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. L’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée. Il tient compte, s’il y a lieu, de la vulnérabilité de la personne. Cette opération fait l’objet d’un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l’unique moyen d’identifier la personne ainsi que le jour et l’heure auxquels il y est procédé. Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé ». 

5. En premier lieu, les requérants, rejoints par les parties intervenantes, reprochent aux dispositions de l’article 397-2-1 du code de procédure pénale de permettre à la juridiction qui constate qu’un mineur a été présenté devant elle par erreur de le placer ou de le maintenir en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant une juridiction pour mineurs, quelle que soit la gravité de l’infraction qui lui est reprochée et alors même qu’elle n’est pas une juridiction spécialisée ni tenue de respecter une procédure appropriée. Il en résulterait une méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la présomption d’innocence. Par ailleurs, ces dispositions instaureraient, en méconnaissance du principe d’égalité devant la justice, une différence de traitement entre les mineurs, selon qu’ils sont directement renvoyés devant une juridiction spécialisée ou présentés devant une juridiction incompétente.

6. En second lieu, les requérants, rejoints par les parties intervenantes, reprochent aux dispositions renvoyées de l’article 55-1 du code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs d’autoriser le recours à la contrainte pour la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies d’une personne entendue sous le régime de la garde à vue ou de l’audition libre, alors que ces opérations ne seraient ni nécessaires à la manifestation de la vérité ni justifiées par la gravité et la complexité des infractions. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée. Ils font en outre valoir que l’application de ces dispositions aux mineurs « manifestement » âgés d’au moins treize ans serait susceptible de permettre leur mise en œuvre à l’égard de mineurs âgés de moins de treize ans, en méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, faute de prévoir la présence d’un avocat durant ces opérations, les dispositions renvoyées méconnaîtraient les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

7. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le dernier alinéa de l’article L. 413-16 du code de la justice pénale des mineurs, l’article L. 413-17 du même code, le quatrième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale et les deuxième et troisième alinéas de l’article 397-2-1 du même code.

- Sur les dispositions contestées de l’article 397-2-1 du code de procédure pénale :

8. Il résulte du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, notamment, la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. Toutefois, ces exigences n’excluent pas que, en cas de nécessité, soient prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention.

9. L’article L. 12-1 du code de la justice pénale des mineurs donne compétence à des juridictions et chambres spécialisées pour connaître des délits commis par les mineurs. En application du premier alinéa de l’article 397-2-1 du code de procédure pénale, lorsque le tribunal correctionnel, saisi selon la procédure de comparution immédiate ou de comparution à délai différé, ou le juge des libertés et de la détention, saisi sur le fondement de l’article 396 du même code, constate que la personne présentée devant lui est mineure, il se déclare incompétent et renvoie le dossier au procureur de la République.

10. Les dispositions contestées de l’article 397-2-1 du même code prévoient que, s’il s’agit d’un mineur âgé d’au moins treize ans, le tribunal ou le juge des libertés et de la détention doit préalablement statuer sur son placement ou son maintien en détention provisoire pour une durée maximale de vingt-quatre heures jusqu’à sa présentation devant la juridiction compétente.

11. En premier lieu, poursuivant l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, ces dispositions ont pour objet, dans le cas où il apparaît à la juridiction saisie que le prévenu est mineur, de le maintenir à la disposition de la justice afin de garantir sa comparution à bref délai devant une juridiction spécialisée, seule compétente pour décider des mesures, en particulier éducatives, adaptées à son âge.

12. En deuxième lieu, la juridiction, après avoir entendu ses observations et celles de son avocat, ne peut ordonner le placement ou le maintien en détention provisoire du mineur que si sa décision est spécialement motivée par la nécessité de garantir son maintien à la disposition de la justice. Afin d’assurer le respect des exigences constitutionnelles précitées, il lui appartient de vérifier que, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, son placement ou maintien en détention provisoire n’excède pas la rigueur nécessaire.

13. En dernier lieu, la comparution du mineur placé ou maintenu en détention devant la juridiction spécialisée, compétente pour prononcer les mesures éducatives ou les peines adaptées à son âge et à sa personnalité, doit intervenir dans un délai maximal de vingt-quatre heures. À défaut de comparution dans ce délai, le mineur est d’office remis en liberté. En outre, en vertu de l’article L. 124-1 du code de la justice pénale des mineurs, la détention doit nécessairement être effectuée soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé, soit dans un établissement garantissant la séparation entre détenus mineurs et majeurs.

14. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve mentionnée au paragraphe 12, le grief tiré de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs doit être écarté.

15. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, la présomption d’innocence ou le principe d’égalité devant la justice, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

- Sur les dispositions contestées de l’article 55-1 du code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs :

16. Il résulte des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789 le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.

17. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.

18. L’article 55-1 du code de procédure pénale permet aux officiers de police judiciaire de procéder ou faire procéder, dans le cadre d’une enquête de flagrance, aux opérations de prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police. Les articles L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs prévoient les conditions dans lesquelles ces opérations sont effectuées à l’égard des mineurs.

19. En application des dispositions contestées de ces articles, lorsqu’une personne majeure ou une personne mineure manifestement âgée d’au moins treize ans est entendue sous le régime de la garde à vue ou de l’audition libre, ces opérations de prise d’empreintes ou de photographies peuvent, sous certaines conditions, être effectuées sans son consentement.

20. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu faciliter l’identification des personnes mises en cause au cours d’une enquête pénale. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions.

21. En deuxième lieu, il ne peut être procédé à la prise d’empreintes ou de photographies sans le consentement de l’intéressé qu’avec l’autorisation écrite du procureur de la République, qui doit être saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. Cette autorisation ne peut être délivrée par ce magistrat que si ces opérations constituent l’unique moyen d’identifier une personne qui refuse de justifier de son identité ou fournit des éléments d’identité manifestement inexacts et à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement et, lorsqu’elle est mineure, d’au moins cinq ans d’emprisonnement. En outre, lorsqu’il s’agit d’une personne mineure, l’officier ou l’agent de police judiciaire doit préalablement s’efforcer d’obtenir son consentement et l’informer, en présence de son avocat, des peines encourues en cas de refus de se soumettre à ces opérations et de la possibilité d’y procéder sans son consentement.

22. En troisième lieu, l’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l’agent de police judiciaire ne peut recourir à la contrainte que dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée, en tenant compte, le cas échéant, de la vulnérabilité de la personne ainsi que de la situation particulière du mineur.

23. En revanche, d’une part, les opérations de prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement de la personne, qu’elle soit mineure ou majeure, ne sauraient, sans priver de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées, être effectuées hors la présence de son avocat, des représentants légaux ou de l’adulte approprié.

24. D’autre part, les dispositions contestées permettent de recourir à la contrainte dans le cadre du régime de l’audition libre alors que le respect des droits de la défense dans ce cadre exige que la personne intéressée soit entendue sans contrainte et en droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue. Dès lors, les mots « 61-1 ou » figurant au quatrième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées et les dispositions de l’article L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs ne sauraient être interprétées comme s’appliquant aux mineurs entendus sous le régime de l’audition libre.

25. Il résulte de tout ce qui précède que, à l’exception des mots « 61-1 ou » figurant au quatrième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale qui sont contraires à la Constitution, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée, l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou le droit à un procès équitable, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous les réserves énoncées aux paragraphes 23 et 24, être déclarées conformes à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

26. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

27. En l’espèce, d’une part, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. D’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « 61-1 ou » figurant au quatrième alinéa de l’article 55-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, sont contraires à la Constitution.
 
Article 2. -  Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution, les dispositions suivantes :

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 février 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2022-1035 QPC du 10 février 2023

Société Sony interactive entertainment France et autre [Procédure d’engagements devant l’Autorité de la concurrence]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 décembre 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 781 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Sony interactive entertainment France et Sony interactive entertainment Europe limited par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1035 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et Me Jérôme Philippe, avocat au barreau de Paris, pour les sociétés requérantes, Me Jean-Philippe Duhamel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’Autorité de la concurrence, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 31 janvier 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 9 mars 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit, à propos de l’Autorité de la concurrence :
« Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l’article L. 410-3 ». 

2. Les sociétés requérantes font valoir que, lorsque l’Autorité de la concurrence met en œuvre une procédure d’engagements visant à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, ses membres se forgeraient une opinion sur les pratiques en cause. Dès lors, en ne prévoyant pas que, en cas d’échec de cette procédure et d’ouverture d’une procédure de sanction, ces mêmes membres ne peuvent se prononcer sur les sanctions applicables à de telles pratiques, ces dispositions méconnaîtraient les principes d’indépendance et d’impartialité.

3. Selon les sociétés requérantes, faute de prévoir que les documents et déclarations présentés dans le cadre de la procédure d’engagements ne pourront être utilisés à l’encontre de l’entreprise mise en cause en cas de procédure de sanction, ces dispositions méconnaîtraient également les droits de la défense. Elles soutiennent en outre que l’absence de recours spécifique contre la décision de l’Autorité de la concurrence de refus d’acceptation des engagements proposés par l’entreprise méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif.

4. Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les mêmes exigences constitutionnelles.

5. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu’une autorité administrative ou publique indépendante ou une autorité administrative non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse prononcer des sanctions ayant le caractère d’une punition dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir respecte notamment le principe d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

6. Le paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce est relatif aux pouvoirs dont dispose l’Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles. À ce titre, elle peut notamment prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises qui ont commis de telles pratiques.

7. Les dispositions contestées prévoient que l’Autorité de la concurrence peut accepter les engagements proposés par une entreprise qui sont de nature à mettre un terme à des préoccupations de concurrence.

8. Ces dispositions se bornent à permettre à cette autorité, dans le cadre de sa mission tendant à garantir le bon fonctionnement de la concurrence sur les marchés, d’apprécier la suite à donner aux propositions d’engagements qui lui sont présentées pour remédier à des situations susceptibles d’être préjudiciables à la concurrence, sans qu’il soit établi que de telles situations constituent, en l’état, des pratiques prohibées.

9. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la procédure d’engagements n’a pas pour objet de prouver ou d’écarter la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner, mais uniquement de vérifier que les propositions d’engagements présentées par l’entreprise permettent de mettre fin aux préoccupations de concurrence identifiées par l’Autorité de la concurrence.

10. Dès lors, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire l’Autorité de la concurrence à préjuger la réalité et la qualification des faits qu’elle examine dans le cadre de la procédure d’engagements.

11. Ainsi, la circonstance qu’elle pourrait avoir à connaître de ces mêmes faits dans le cadre d’une procédure de sanction faisant suite à une décision de refus d’acceptation d’engagements ne porte pas atteinte au principe d’impartialité. Le grief tiré de la méconnaissance de ce principe doit donc être écarté.

12. En second lieu, il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

13. Au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour l’entreprise en cause le refus d’acceptation d’engagements, ce refus doit être regardé comme une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en application de l’article L. 464-8 du code de commerce.

14. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ne peut qu’être écarté.

15. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus les autres exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 février 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1036 QPC du 10 mars 2023

Consorts B. [Régime de responsabilité du producteur en cas de dommage causé par un élément du corps humain ou un produit issu de celui-ci]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 janvier 2023 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 91 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Christiane B., Mme Véronique B., M. Jérémy B. et M. Benjamin B., par la SARL Delvolvé - Trichet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1036 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 1386-12 du code civil.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Alexandre Comolet, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Laurent Stouffs, avocat au barreau de Paris, pour la société Les laboratoires Servier, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 21 février 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 1386-12 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 9 décembre 2004 mentionnée ci-dessus.

2. L’article 1386-12 du code civil, dans cette rédaction, prévoit :
« Le producteur ne peut invoquer la cause d’exonération prévue au 4 ° de l’article 1386-11 lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ».

3. Les requérants, rejoints par la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne, reprochent à ces dispositions de n’empêcher un producteur d’invoquer la cause d’exonération de responsabilité pour risque de développement que dans le cas où le dommage a été causé par un élément du corps humain ou un produit issu de celui-ci. Il en résulterait, selon eux, une différence de traitement injustifiée entre les victimes d’un tel dommage et les victimes de dommages causés par d’autres produits de santé, seules ces dernières pouvant se voir opposées cette cause d’exonération et être ainsi privées d’indemnisation.

- Sur le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel :

4. La société Les laboratoires Servier soutient qu’il n’y aurait pas lieu pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit, dans la mesure où, selon elle, les griefs des requérants seraient, en réalité, dirigés contre des dispositions qui, en instaurant la cause d’exonération de responsabilité pour risque de développement, se borneraient à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 25 juillet 1985 mentionnée ci-dessus.

5. En l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou des dispositions d’un règlement de l’Union européenne.

6. Si l’article 7 de la directive du 25 juillet 1985 prévoit notamment une cause d’exonération de responsabilité pour les producteurs pour risque de développement, son article 15 dispose que, par dérogation, les États membres peuvent l’exclure de leur législation.

7. Dès lors, en prévoyant qu’en cas de dommages causés par les éléments et produits issus du corps humain, le producteur ne pourra pas invoquer la cause d’exonération pour risque de développement, les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 25 juillet 1985. Le Conseil constitutionnel est donc compétent pour contrôler la conformité de l’article 1386-12 du code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit.

- Sur le fond :

8. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

9. En application du 4 ° de l’article 1386-11 du code civil, le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit à moins qu’il ne prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il l’a mis en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence de ce défaut.

10. Les dispositions contestées prévoient que le producteur ne peut pas invoquer cette cause d’exonération lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par un produit issu de celui-ci.

11. Il en résulte une différence de traitement dans l’engagement de la responsabilité du producteur selon que le dommage a été causé par un tel élément ou produit ou par tout autre produit défectueux.

12. Il ressort des travaux parlementaires que, afin de préserver la recherche et l’innovation, le législateur a entendu permettre à un producteur, responsable de plein de droit du fait d’un produit défectueux, de s’exonérer de cette responsabilité lorsque l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il l’a mis en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence de ce défaut.

13. Les éléments du corps humain et les produits issus de celui-ci sont définis par les dispositions du livre II de la première partie du code de la santé publique qui, avec les dispositions des articles 16 à 16-9 du code civil relatifs au respect du corps humain, en régissent le don ou l’utilisation. Ces éléments et produits emportent par eux-mêmes des risques spécifiques, indépendamment de tout processus de fabrication. Ainsi, eu égard à la nature et aux risques spécifiques que présentent les éléments du corps humain et produits issus de celui-ci, le législateur a pu prévoir que, en cas de dommages causés par ces derniers, le producteur ne peut pas se prévaloir de la cause d’exonération pour risque de développement.

14. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

15. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - L’article 1386-12 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1037 QPC du 17 mars 2023

M. Sylvain K. [Communication des pièces du dossier de la procédure d’instruction à un tiers]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 janvier 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 154 du 11 janvier 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sylvain K. par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1037 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant et le syndicat des avocats de France, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association des avocats pénalistes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 7 mars 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus.

2. Le sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit : « Seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense ».

3. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne permettre aux parties et à leurs avocats de communiquer à un tiers que les copies des rapports d’expertise. Or, selon lui, la communication d’autres pièces du dossier de la procédure d’instruction à un tiers, afin notamment de solliciter son avis technique, pourrait être nécessaire à l’exercice des droits de la défense. Il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense.

4. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.

5. En application de l’article 114 du code de procédure pénale, dans le cadre de l’instruction, les avocats des parties ou, si elles n’ont pas d’avocat, les parties elles-mêmes peuvent, après la première comparution ou la première audition, se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier de la procédure.

6. Les dispositions contestées prévoient que les parties ou leurs avocats ne peuvent communiquer à des tiers, pour les besoins de la défense, que les copies des rapports d’expertise. Il s’ensuit qu’aucune autre pièce du dossier ne peut leur être communiquée.

7. En interdisant la communication à des tiers des copies des pièces du dossier autres que les rapports d’expertise, le législateur a entendu préserver le secret de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celle-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.

8. En premier lieu, au cours de l’information judiciaire, les parties ont la faculté de saisir le juge d’instruction, auquel il revient de conduire l’instruction à charge et à décharge, d’une demande afin qu’il soit procédé à tous actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. En particulier, elles peuvent lui demander d’ordonner une expertise et, lorsqu’une telle mesure a été ordonnée, qu’il soit prescrit à l’expert d’effectuer certaines recherches ou d’entendre certaines personnes. En outre, une fois déposé, le rapport d’expertise est soumis à la discussion contradictoire des parties et celles-ci peuvent formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.

9. En second lieu, les parties et leurs avocats conservent la possibilité de communiquer aux tiers, dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, des informations sur le déroulement de l’instruction.

10. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 24 MARS 2023

Décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023

Mme Nacéra Z. [Procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 janvier 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468389 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Nacéra Z. par Me Matteo Bonaglia, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1038 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Bonaglia, pour la requérante ainsi que pour les parties intervenantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 14 mars 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 38 de la loi du 5 mars 2007 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.
« La décision de mise en demeure est prise par le préfet dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la demande. Seule la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa ou l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général peuvent amener le préfet à ne pas engager la mise en demeure. En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur.
« La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée à l’auteur de la demande.
« Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement, sauf opposition de l’auteur de la demande dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure ».

2. La requérante reproche à ces dispositions d’instituer une procédure administrative permettant l’expulsion de l’occupant d’un logement sans prévoir d’examen contradictoire de sa situation personnelle et familiale, ni de recours suspensif garantissant qu’un juge se prononce avant qu’il soit procédé à son évacuation forcée. Il en résulterait une méconnaissance du droit au recours juridictionnel effectif ainsi que du droit au respect de la vie privée et du droit à l’inviolabilité du domicile.

3. Elle critique par ailleurs la différence de traitement injustifiée entre les occupants d’un logement selon qu’ils font l’objet de la procédure d’expulsion prévue par ces dispositions ou de la procédure d’expulsion juridictionnelle de droit commun.

- Sur les interventions :

4. Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d’un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

5. Au regard de son objet statutaire, le syndicat de la magistrature ne justifie pas d’un tel intérêt spécial. Par conséquent, son intervention n’est pas admise.

6. Les autres parties intervenantes développent les mêmes griefs que la requérante.

- Sur le fond :

7.  Selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile.

8. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

9. Les dispositions contestées prévoient que la personne dont le domicile est occupé de manière illicite, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, peut, sous certaines conditions, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. En cas de refus de ce dernier, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement.

10. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’évacuation à bref délai des domiciles illicitement occupés. Ce faisant, il a cherché à protéger le principe de l’inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée et le droit de propriété des occupants réguliers.

11. En deuxième lieu, d’une part, la mise en demeure ne peut être demandée au préfet qu’en cas d’introduction et de maintien à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte dans un domicile. D’autre part, elle ne peut être mise en œuvre qu’après que le demandeur a déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile, et fait constater par un officier de police judiciaire cette occupation illicite. Dès lors, le préfet ne peut mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux que dans le cas où il est constaté que ce dernier s’est introduit et maintenu dans le domicile en usant lui-même de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte.

12. En troisième lieu, ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d’intérêt général. Toutefois, elles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée.

13. En quatrième lieu, le délai laissé à l’occupant pour déférer à la mise en demeure de quitter les lieux ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.

14. En dernier lieu, d’une part, les dispositions contestées ne privent pas l’occupant de la possibilité d’introduire un référé sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ou d’exercer un recours contre la mise en demeure devant le juge administratif qui, sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code, peut suspendre l’exécution de la mise en demeure ou ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. D’autre part, le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif. En outre, en cas d’illégalité de la décision administrative d’évacuation forcée de l’occupant, ce dernier peut exercer un recours indemnitaire devant le juge administratif.

15. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des garanties mentionnées précédemment et sous la réserve énoncée au paragraphe 12, les dispositions contestées ne peuvent pas être regardées comme méconnaissant le droit au respect de la vie privée ou le principe de l’inviolabilité du domicile. Elles ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif.

16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 12, l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023

Association Handi-social et autre [Financement des fonds départementaux de compensation et plafonnement des frais restant à la charge des personnes

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 janvier 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468567 du 20 janvier 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association Handi-social et Mme Odile M. par Me David Nabet-Martin, avocat au barreau de Toulouse. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1039 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième alinéas de l’article L. 146-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-220 du 6 mars 2020 visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 14 mars 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 146-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 mars 2020 mentionnée ci-dessus, prévoient :
« Dans la limite des financements du fonds départemental de compensation, les frais de compensation ne peuvent excéder 10 % des ressources personnelles nettes d’impôts des personnes handicapées mentionnées au premier alinéa du présent article, dans des conditions définies par décret.
« Le département, l’État, les autres collectivités territoriales, les organismes d’assurance maladie, les caisses d’allocations familiales, les organismes régis par le code de la mutualité, l’association mentionnée à l’article L. 323-8-3 du code du travail, le fonds prévu à l’article L. 323-8-6-1 du même code et les autres personnes morales concernées peuvent participer au financement du fonds. Une convention passée entre les membres de son comité de gestion prévoit ses modalités d’organisation et de fonctionnement ».
 

2. Les requérantes reprochent à ces dispositions, qui prévoient que les fonds départementaux de compensation du handicap sont chargés de verser des aides financières destinées à compenser les frais liés au handicap, de maintenir à la charge des personnes handicapées des frais pouvant représenter jusqu’à 10 % de leurs ressources personnelles. Elles font également valoir que ce plafond peut en outre ne pas être respecté dès lors que ces aides sont accordées dans la limite des financements disponibles et que les contributions à ces fonds ne sont pas obligatoires. Selon elles, il en résulterait une méconnaissance d’un « principe de solidarité et d’accessibilité de la société aux personnes handicapées », qu’elles demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître, ainsi que des principes de fraternité et de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, et des exigences découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

3. Il en résulterait, pour les mêmes motifs, des différences de traitement injustifiées entre les personnes handicapées selon le fonds départemental dont elles dépendent, entre les personnes handicapées et les bénéficiaires d’autres prestations sociales, et entre les personnes handicapées et les personnes qui ne sont pas en situation de handicap.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l’article L. 146-5 du code de l’action sociale et des familles et sur les mots « peuvent participer au financement du fonds » figurant au troisième alinéa du même article.

5. En premier lieu, aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

6. Les exigences constitutionnelles résultant de ces dispositions impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes handicapées. Il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à ces exigences, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées.

7. Selon l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles, les personnes handicapées ont droit à la compensation des conséquences de leur handicap quels que soient l’origine et la nature de leur déficience, leur âge ou leur mode de vie. À cette fin, elles peuvent bénéficier, sous certaines conditions, de la prestation de compensation du handicap prévue par l’article L. 245-1 du même code, qui constitue une prestation d’aide sociale reposant sur la solidarité nationale.

8. L’article L. 146-5 du même code confie aux maisons départementales des personnes handicapées la gestion d’un fonds départemental de compensation du handicap chargé d’accorder des aides financières aux personnes handicapées au titre des frais de compensation restant à leur charge, après déduction de la prestation de compensation du handicap.

9. Les dispositions contestées de cet article précisent que, dans la limite des financements dont disposent ces fonds départementaux, les frais de compensation ne peuvent excéder 10 % des ressources des personnes handicapées. Elles prévoient que les personnes morales qu’elles énumèrent peuvent participer au financement de ces fonds.

10. Il ressort des travaux parlementaires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu améliorer la prise en charge des conséquences du handicap en confiant aux fonds départementaux le versement d’aides facultatives, en complément des montants reçus au titre de la prestation de compensation.

11. Dans ce cadre, il était loisible au législateur de ne prévoir qu’un objectif non contraignant de réduction des frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées après qu’elles ont bénéficié de la prestation obligatoire due au titre de l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles et de ne pas imposer aux contributeurs des fonds départementaux un financement obligatoire.

12. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 doit être écarté.

13. En second lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

14. D’une part, les personnes handicapées qui bénéficient des aides financières versées par les fonds départementaux de compensation sont, au regard de l’objet des dispositions de l’article L. 146-5 du code de l’action sociale et des familles, placées dans une situation différente de celles des bénéficiaires d’aides sociales obligatoires reposant sur la solidarité nationale et des personnes qui ne sont pas en situation de handicap.

15. D’autre part, le législateur a pu permettre à ces fonds départementaux d’accorder des aides financières facultatives sans méconnaître le principe d’égalité.

16. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant loi doit donc être écarté.

17. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe de fraternité, ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le deuxième alinéa et les mots « peuvent participer au financement du fonds » figurant au troisième alinéa de l’article L. 146-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-220 du 6 mars 2020 visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

DEUX DECISIONS DU 31 MARS 2023

Décision n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023

M. Sami G. et autre [Notification des droits du patient faisant l’objet d’une mesure d’isolement ou de contention - Assistance ou représentation par un avocat dans le cadre du contrôle des mesures d’isolement ou de contention]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 janvier 2023 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 152 du 26 janvier 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sami G. par Me Valérie Castel-Pagès, avocate au barreau de Rennes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1040 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique.
Il a également été saisi le 27 janvier 2023 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 153 du 26 janvier 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Sarah O. par Me Yann Sarfati, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1041 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Clémence Hourdeaux, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Sarfati, pour la requérante, Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’ordre des avocats au barreau de Paris, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l’union syndicale de la psychiatrie, Me Lépinard, pour le Conseil national des barreaux, Me Mayet, pour l’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, Me Vaillant, pour l’association Avocats, droits et psychiatrie, Me Dekimpe, pour l’ordre des avocats au barreau de Seine-Saint-Denis, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 21 mars 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

2. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi, pour celles des dispositions dont la rédaction n’a pas été précisée, du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 22 janvier 2022 mentionnée ci-dessus.

3. L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans cette rédaction, prévoit :
« I.- L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical.
« La mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au premier alinéa du présent I, dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures, et fait l’objet de deux évaluations par vingt-quatre heures.
« La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de six heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée, dans les conditions et selon les modalités prévues au même premier alinéa, dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures, et fait l’objet de deux évaluations par douze heures.
« II.- À titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au-delà des durées totales prévues au I, les mesures d’isolement et de contention, dans le respect des conditions prévues au même I. Le directeur de l’établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention du renouvellement de ces mesures. Le juge des libertés et de la détention peut se saisir d’office pour y mettre fin. Le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical.
« Le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées.
« Le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme des durées prévues au deuxième alinéa du présent II.
« Si les conditions prévues au I ne sont plus réunies, il ordonne la mainlevée de la mesure. Dans ce cas, aucune nouvelle mesure ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures à compter de la mainlevée de la mesure, sauf survenance d’éléments nouveaux dans la situation du patient qui rendent impossibles d’autres modalités de prise en charge permettant d’assurer sa sécurité ou celle d’autrui. Le directeur de l’établissement informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la nouvelle mesure.
« Si les conditions prévues au même I sont toujours réunies, le juge des libertés et de la détention autorise le maintien de la mesure d’isolement ou de contention. Dans ce cas, le médecin peut la renouveler dans les conditions prévues audit I et aux deux premiers alinéas du présent II. Toutefois, si le renouvellement d’une mesure d’isolement est encore nécessaire après deux décisions de maintien prises par le juge des libertés et de la détention, celui-ci est saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter de sa précédente décision et le médecin informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical. Le juge des libertés et de la détention statue avant l’expiration de ce délai de sept jours. Le cas échéant, il est à nouveau saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration de chaque nouveau délai de sept jours et statue dans les mêmes conditions. Le médecin réitère l’information susmentionnée lors de chaque saisine du juge des libertés et de la détention.
« Pour l’application des deux premiers alinéas du présent II, lorsqu’une mesure d’isolement ou de contention est prise moins de quarante-huit heures après qu’une précédente mesure d’isolement ou de contention a pris fin, sa durée s’ajoute à celle des mesures d’isolement ou de contention qui la précèdent.
« Les mêmes deux premiers alinéas s’appliquent lorsque le médecin prend plusieurs mesures dont la durée cumulée sur une période de quinze jours atteint les durées prévues auxdits deux premiers alinéas.
« Les mesures d’isolement et de contention peuvent également faire l’objet d’un contrôle par le juge des libertés et de la détention en application du IV de l’article L. 3211-12-1.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent II.
« III.- Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d’hospitalisation, la date et l’heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.
« L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ». 

4. Le requérant, rejoint par certaines parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne pas prévoir, dès le début d’une mesure d’isolement ou de contention, la notification au patient de son droit de saisir le juge des libertés et de la détention d’une demande de mainlevée et de son droit à l’assistance d’un avocat. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense. Pour les mêmes motifs, ces dispositions méconnaîtraient en outre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et la liberté d’aller et de venir.

5. La requérante, rejointe par certaines parties intervenantes, fait grief à ces dispositions de ne pas prévoir que le patient faisant l’objet d’une mesure d’isolement ou de contention est systématiquement assisté par un avocat lors du contrôle de cette mesure par le juge. Elles méconnaîtraient ainsi les droits de la défense et la liberté individuelle. Elles seraient en outre, pour les mêmes motifs, entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces exigences constitutionnelles.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux premières phrases du paragraphe I de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique.

7. Certaines parties intervenantes font par ailleurs valoir que, faute de prévoir la notification immédiate au patient de ses droits, les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences de l’article 66 de la Constitution, le droit à un procès équitable et l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Elles seraient en outre entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces exigences constitutionnelles.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :

8. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

9. En application des dispositions contestées, un patient en hospitalisation complète sans consentement peut, sur décision motivée d’un psychiatre, faire l’objet d’une mesure d’isolement ou de contention, dont la durée initiale ne peut excéder, respectivement, douze heures ou six heures, pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour lui-même ou pour autrui. Ces dispositions ne prévoient pas que le patient soit alors informé de son droit de saisir un juge aux fins de mainlevée de cette mesure.

10. En premier lieu, conformément à l’article L. 3211-12 du code de la santé publique, le patient faisant l’objet d’une telle mesure ainsi que les personnes susceptibles d’agir dans son intérêt, mentionnées par cet article, peuvent saisir à tout moment le juge des libertés et de la détention d’une demande de mainlevée.

11. En deuxième lieu, d’une part, lorsque le médecin renouvelle ces mesures au-delà d’une durée totale de quarante-huit heures, pour l’isolement, ou de vingt-quatre heures, pour la contention, le directeur de l’établissement de soins en informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut à tout moment se saisir d’office pour y mettre fin. D’autre part, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de soixante-douze heures d’isolement ou de quarante-huit heures de contention, ce magistrat doit obligatoirement être saisi, avant l’expiration de ces délais, par le directeur de l’établissement.

12. En dernier lieu, le patient peut exercer une action en responsabilité devant les juridictions compétentes pour obtenir réparation du préjudice résultant d’un placement irrégulier en isolement ou sous contention ou des conditions dans lesquelles s’est déroulée cette mesure.

13. Par conséquent, en ne prévoyant pas que le patient doit immédiatement être informé de son droit de demander la mainlevée de la décision de placement en isolement ou sous contention dont il fait l’objet, les dispositions contestées ne méconnaissent pas, compte tenu de l’ensemble des voies de droit ouvertes et du contrôle exercé par le juge judiciaire, le droit à un recours juridictionnel effectif.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense :

14. L’article 16 de la Déclaration de 1789 garantit les droits de la défense.

15. D’une part, si les mesures d’isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d’une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté, de telles mesures ont uniquement pour objet de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui. Ainsi, elles ne relèvent pas d’une procédure de recherche d’auteurs d’infractions et ne constituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition. Dès lors, l’absence de notification au patient placé en isolement ou sous contention de son droit à l’assistance d’un avocat ne peut être contestée sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

16. D’autre part, les conditions dans lesquelles un patient est assisté ou représenté par un avocat devant le juge des libertés et de la détention saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure d’isolement ou de contention sont prévues par l’article L. 3211-12-2 du code de la santé publique, dont le Conseil constitutionnel n’est pas saisi. Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner l’argument tiré de ce que méconnaîtrait les droits de la défense le fait que le patient ne bénéficie pas obligatoirement d’une assistance ou d’une représentation par un avocat.

17. Le grief tiré d’une méconnaissance des droits de la défense ne peut donc qu’être écarté.

18. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité humaine, la liberté d’aller et venir, le droit à un procès équitable ou les exigences de l’article 66 de la Constitution, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les deux premières phrases du paragraphe I de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023

Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel [Pouvoirs de police des agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 janvier 2023 par le Conseil d’État (décision n° 466225 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel par la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1042 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- du paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l’Office national des forêts ;
- de la seconde phrase du second alinéa de l’article L. 161-7 du même code, dans sa rédaction résultant de la même ordonnance ;
- des mots « et ceux habilités à les constater, sans les rechercher, » figurant au paragraphe II de l’article L. 161-8 du même code, dans la même rédaction ;
- des mots « et les agents de l’Office national des forêts habilités à constater, sans les rechercher, des infractions » figurant à l’article L. 161-10 du même code, dans la même rédaction ;
- des mots « et au II » figurant au premier alinéa de l’article L. 161-12 du même code, dans la même rédaction ;
- de la seconde phrase du second alinéa de l’article L. 174-9 du même code, dans la même rédaction ;
- du 2 ° de l’article L. 222-6 du même code, dans la même rédaction ;
- des mots « ou au II » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 363-4 du même code, dans la même rédaction ;
- des mots « et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, » figurant au 2 ° de l’article L. 216-3 du code de l’environnement, au 3 ° de l’article L. 231-5 du même code, au 2 ° de ses articles L. 341-20 et L. 362-5, au 2 ° du paragraphe I de son article L. 415-1, au 2 ° de son article L. 428-20, au 2 ° du paragraphe I de son article L. 437-1 et au 6 ° de son article L. 541-44, dans la même rédaction ;
- de la seconde phrase du 2 ° de l’article L. 1324-1 du code de la santé publique, dans la même rédaction.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Olivier Coudray, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le syndicat requérant, Me Girard, pour l’Office national des forêts, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 21 mars 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 1er juin 2022 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sont habilités à constater, sans les rechercher, les infractions forestières, les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet.
« Ces agents peuvent constater d’autres infractions, dans les conditions prévues par les dispositions législatives les désignant à cet effet. Lorsqu’ils sont investis par le code de l’environnement de missions de constatation d’infractions, ils interviennent dans les conditions définies à l’article L. 172-7, au premier alinéa de l’article L. 172-8, au deuxième alinéa de l’article L. 172-10, aux articles L. 172-12 à L. 172-14 et à l’article L. 174-2 de ce code ». 

2. La seconde phrase du second alinéa de l’article L. 161-7 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Les agents mentionnés au II de l’article L. 161-4 peuvent constater, sans les rechercher, ces infractions dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété ». 

3. Le paragraphe II de l’article L. 161-8 du même code, dans la même rédaction, prévoit que, dans les bois et forêts relevant du régime forestier ou gérés contractuellement par l’Office national des forêts, exercent leurs compétences dans les mêmes conditions que les agents de l’État les agents de cet établissement habilités à rechercher et constater des infractions :
« et ceux habilités à les constater, sans les rechercher, ». 

4. L’article L. 161-10 du même code, dans la même rédaction, prévoit que sont assermentés, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, différentes catégories d’agents habilités à rechercher et constater des infractions :
« et les agents de l’Office national des forêts habilités à constater, sans les rechercher, des infractions ». 

5. Le premier alinéa de l’article L. 161-12 du même code, dans la même rédaction, prévoit que l’original du procès-verbal dressé pour constater des infractions forestières est transmis, dans les cinq jours ouvrés à dater de sa clôture, par les agents mentionnés aux 1 ° et 2 ° du paragraphe I de l’article L. 161-4 de ce code :
« et au II ». 

6. La seconde phrase du second alinéa de l’article L. 174-9 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Les agents mentionnés au II de l’article L. 161-4 peuvent constater, sans les rechercher, les infractions forestières dans tous les bois et forêts ». 

7. Le 2 ° de l’article L. 222-6 du même code, dans la même rédaction, prévoit que l’Office national des forêts emploie :
« Des agents contractuels de droit privé, régis par le code du travail, pour la réalisation de l’ensemble de ses missions, sous réserve des dispositions du II de l’article L. 161-4 du présent code ». 

8. Le premier alinéa de l’article L. 363-4 du même code, dans la même rédaction, prévoit que, lorsqu’un agent habilité constate par procès-verbal un défrichement réalisé en infraction aux dispositions de son livre III, ce procès-verbal peut ordonner l’interruption des travaux et la consignation des matériaux et du matériel de chantier. Cette disposition s’applique aux agents désignés aux 1 ° et 2 ° du paragraphe I de l’article L. 161-4 :
« ou au II ». 

9. Selon le 2 ° de l’article L. 216-3 du code de l’environnement, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions des chapitres Ier à VII du titre Ier du livre II de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

10. Selon le 3 ° de l’article L. 231-5 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre III du livre II de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

11. Selon le 2 ° de l’article L. 341-20 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre IV du livre III de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

12. Selon le 2 ° de l’article L. 362-5 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater notamment les infractions aux dispositions du titre VI du livre III de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

13. Selon le 2 ° du paragraphe I de l’article L. 415-1 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre Ier du livre IV de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

14. Selon le 2 ° de l’article L. 428-20 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre II du livre IV de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

15. Selon le 2 ° du paragraphe I de l’article L. 437-1 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre III du livre IV de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

16. Selon le 6 ° de l’article L. 541-44 du même code, dans la même rédaction, sont habilités à rechercher et constater les infractions aux dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre V de ce code les agents publics de l’Office national des forêts mentionnés au paragraphe I de l’article L. 161-4 du code forestier :
« et, pour leur seule constatation, les agents mentionnés au II du même article, ». 

17. La seconde phrase du 2 ° de l’article L. 1324-1 du code de la santé publique, dans la même rédaction, prévoit :
« Toutefois, les agents mentionnés au II de l’article L. 161-4 du code forestier, ne peuvent que constater ces infractions ». 

18. Le syndicat requérant reproche aux dispositions renvoyées de l’article L. 222-6 du code forestier de permettre à l’Office national des forêts d’employer des agents contractuels de droit privé en vue notamment de l’accomplissement de ses missions de police administrative. Ce faisant, elles auraient pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative, en méconnaissance de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

19. Il soutient par ailleurs que, en confiant à ces mêmes agents contractuels de droit privé le pouvoir de constater un grand nombre d’infractions, les autres dispositions renvoyées méconnaîtraient l’article 66 de la Constitution dont il résulte que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

20. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions suivantes :- le paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier ;

- Sur le 2 ° de l’article L. 222-6 du code forestier :

21. Selon l’article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.

22. L’article L. 222-6 du code forestier énumère les différentes catégories de personnel employées par l’Office national des forêts. À ce titre, les dispositions contestées de cet article prévoient que peuvent être recrutés des agents contractuels de droit privé, régis par le code du travail, pour la réalisation de l’ensemble de ses missions, y compris de police administrative.

23. Il résulte de l’article L. 221-1 du même code que l’Office national des forêts, établissement public national placé sous la tutelle de l’État, est une personne morale de droit public. En prévoyant que cet établissement public peut employer des agents contractuels de droit privé accomplissant pour son compte des missions de police administrative, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale.

24. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l’article 12 de la Déclaration de 1789 ne peut donc qu’être écarté.

25. Par conséquent, le 2 ° de l’article L. 222-6 du code forestier, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

- Sur les autres dispositions contestées :

26. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Il en résulte que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

. En ce qui concerne les pouvoirs confiés aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts en matière d’infractions forestières :

27. L’article L. 161-4 du code forestier habilite certaines catégories d’agents à rechercher et constater les infractions forestières. Les dispositions contestées du premier alinéa de son paragraphe II donnent compétence aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts pour constater ces infractions.

28. En application des dispositions contestées de l’article L. 161-7 du même code, ces agents peuvent procéder au constat des infractions forestières dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété. Les dispositions contestées de l’article L. 174-9 du même code rendent ces dispositions applicables à La Réunion.

29. En vertu des dispositions contestées de l’article L. 161-12 du même code, les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts transmettent les procès-verbaux d’infractions qu’ils établissent au représentant du ministère public.

30. Les dispositions contestées de l’article L. 363-4 du même code prévoient que, lorsque ces agents constatent par procès-verbal un défrichement réalisé en infraction aux dispositions du livre III du code forestier, ils peuvent ordonner l’interruption des travaux et la consignation des matériaux et du matériel de chantier.

31. D’une part, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts sont uniquement habilités à constater, sans les rechercher, les délits et contraventions prévus par le code forestier et, dans le cas où ils constatent un défrichement illicite, à ordonner des mesures conservatoires.

32. D’autre part, les agents contractuels de droit privé, qui doivent être commissionnés et assermentés pour procéder à ces constatations, sont tenus de transmettre, dans les cinq jours, l’original des procès-verbaux qu’ils dressent au procureur de la République ou au directeur régional de l’administration chargée des forêts, selon que l’infraction est constitutive d’un délit ou d’une contravention, et simultanément la copie de ces procès-verbaux à l’autorité qui n’est pas destinataire de l’original. Lorsqu’ils constatent un défrichement illicite pour lequel ils ordonnent une mesure conservatoire, la copie du procès-verbal est transmise sans délai au ministère public.

33. Dès lors, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces agents et de leurs modalités d’exercice, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire résultant de l’article 66 de la Constitution.

. En ce qui concerne les pouvoirs confiés aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts en matière d’infractions au code de l’environnement et au code de la santé publique :

34. En application des dispositions contestées de l’article L. 1324-1 du code de la santé publique, les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts sont compétents pour constater les infractions prévues au titre de la police des eaux potables et des eaux minérales naturelles.

35. Les dispositions contestées des articles L. 216-3, L. 231-5, L. 341-20, L. 362-5, L. 415-1, L. 428-20, L. 437-1 et L. 541-44 du code de l’environnement donnent compétence aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts pour constater les infractions prévues au titre des polices spéciales de l’eau, des milieux physiques, des sites naturels inscrits et classés, d’accès aux espaces naturels, de protection du patrimoine naturel, de la chasse, de la pêche en eau douce et de traitement des déchets. À cette fin, les dispositions contestées du second alinéa du paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier prévoient que ces agents peuvent retenir l’auteur de l’infraction en cas de refus ou d’impossibilité de justifier de son identité, recueillir les déclarations de toute personne, requérir directement la force publique, procéder à la saisie des objets ayant notamment servi à la commission de l’infraction ou qui en sont le produit, procéder ou faire procéder à la destruction des végétaux et des animaux morts ou non viables ou au placement des animaux et végétaux viables saisis, prélever ou faire prélever des échantillons placés sous scellés en vue d’analyse ou d’essai, ou encore procéder à des communications d’informations et documents détenus ou recueillis dans l’exercice de leurs mission.

36. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts sont uniquement habilités à constater, sans les rechercher, certaines infractions prévues par le code de l’environnement et le code de la santé publique.

37. En second lieu, d’une part, il résulte des articles L. 172-16 du code de l’environnement et L. 1324-2 du code de la santé publique que ces agents, qui doivent être commissionnés et assermentés pour procéder à ces constatations, sont tenus de transmettre au procureur de la République les procès-verbaux qu’ils dressent dans les cinq jours qui suivent leur clôture.

38. D’autre part, si, lorsqu’ils sont investis par le code de l’environnement d’une mission de constatation de certaines infractions, ces agents disposent des pouvoirs particuliers prévus au paragraphe II de l’article L. 161-4 du code forestier, ils ne peuvent les exercer que pour les besoins de cette mission et sous le contrôle, selon les cas, d’un officier de police judiciaire ou du procureur de la République. En particulier, ils ne peuvent retenir l’auteur d’une infraction que pendant le temps nécessaire à l’information et à la décision de l’officier de police judiciaire et doivent obtenir l’autorisation du procureur de la République pour pouvoir procéder au placement des animaux et végétaux viables saisis.

39. Dès lors, compte tenu des prérogatives ainsi confiées à ces agents et de leurs modalités d’exercice, ces dispositions ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution.

40. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution : 

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 13 AVRIL 2023

Décision n° 2023-1045 QPC du 21 avril 2023

Mme Elsa V. et autre [Responsabilité civile du parent chez lequel a été fixée la résidence habituelle de l’enfant mineur auteur d’un dommage]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 février 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 327 du 14 février 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Elsa V. et M. Hugo R. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023- 1045 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l’article 1242 du code civil, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Jean-Philippe Duhamel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Élodie Le Prado, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 11 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le quatrième alinéa de l’article 1242 du code civil, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 10 février 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

2. Les requérants reprochent à ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, de prévoir que, en cas de séparation ou de divorce, seul le parent au domicile duquel la résidence habituelle de l’enfant mineur a été fixée est responsable de plein droit des dommages causés par ce dernier, alors même que l’autre parent exerce conjointement l’autorité parentale et peut bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement. Elles institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre les parents, dès lors que seul le parent chez lequel la résidence de l’enfant est fixée est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit. Elles institueraient également une différence de traitement injustifiée entre les victimes, qui n’auraient pas la possibilité de rechercher la responsabilité de plein droit de l’autre parent.

3. Les requérants soutiennent en outre que ces dispositions inciteraient le parent chez lequel la résidence de l’enfant n’a pas été fixée à se désintéresser de son éducation. Elles méconnaîtraient ainsi l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit de mener une vie familiale normale.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « habitant avec eux » figurant au quatrième alinéa de l’article 1242 du code civil.

- Sur l’admission des interventions :

5. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

6. M. Thierry B. et la société Mutuelle assurance instituteur France, qui rejoignent les requérants au soutien des griefs qu’ils soulèvent, justifient d’un intérêt spécial. Les conclusions aux fins d’irrecevabilité de leurs interventions, présentées par la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, doivent donc être rejetées.

- Sur le fond :

7. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

8. En application du quatrième alinéa de l’article 1242 du code civil, les père et mère qui exercent en commun l’autorité parentale sont solidairement responsables de plein droit des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux.

9. Les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, prévoient que, en cas de divorce ou de séparation, cette responsabilité de plein droit incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant mineur a été fixée, quand bien même l’autre parent exercerait conjointement l’autorité parentale.

10. Il en résulte une différence de traitement entre le parent chez lequel la résidence de l’enfant a été fixée, qui est responsable de plein droit du dommage causé par ce dernier, et l’autre parent, qui ne peut être responsable qu’en cas de faute personnelle.                             

11. Les dispositions contestées ont pour objet de déterminer la personne tenue de répondre sans faute du dommage causé par un enfant mineur afin de garantir l’indemnisation du préjudice subi par la victime.

12. En cas de divorce ou de séparation, le juge peut, en vertu de l’article 373-2-9 du code civil, fixer la résidence de l’enfant soit en alternance au domicile de chacun des parents, soit au domicile de l’un d’eux. Ainsi, le parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée par le juge ne se trouve pas placé dans la même situation que l’autre parent.

13. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

14. Par ailleurs, ces dispositions n’instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les victimes d’un dommage causé par un enfant mineur.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.

16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie privée ou le droit de mener une vie familiale normale, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « habitant avec eux » figurant au quatrième alinéa de l’article 1242 du code civil, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 avril 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Décision n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023

M. Éric D. [Perquisitions réalisées dans les locaux d'un ministère]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 février 2023 par la Cour de cassation (assemblée plénière, arrêt n° 665 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Éric D. par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1046 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale, du premier alinéa de l’article 57 du même code et du quatrième alinéa de son article 96, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 11 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit, à propos de l’officier de police judiciaire : « Toutefois, sans préjudice de l’application des articles 56-1 à 56-5, il a l’obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense ». 

2. Le premier alinéa de l’article 57 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi, prévoit : « Sous réserve des articles 56-1 à 56-5 et du respect du secret professionnel et des droits de la défense mentionné à l’article 56, les opérations prescrites par ledit article sont faites en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu ». 

3. Le quatrième alinéa de l’article 96 du même code, dans la même rédaction, prévoit : « Les dispositions des articles 56 et 56-1 à 56-5 sont applicables aux perquisitions effectuées par le juge d’instruction ». 

4. Le requérant reproche à ces dispositions, qui autorisent les perquisitions et saisies, de ne pas prévoir de garanties protégeant les prérogatives du pouvoir exécutif dans le cas particulier où ces opérations sont réalisées dans les locaux d’un ministère à l’occasion d’une information visant un membre du Gouvernement. Selon lui, ces dispositions seraient ainsi entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le principe de séparation des pouvoirs.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le quatrième alinéa de l’article 96 du code de procédure pénale.

6. L’article 56 du code de procédure pénale détermine les conditions selon lesquelles les perquisitions et saisies peuvent être réalisées dans le cadre d’une enquête de flagrance. Les articles 56-1 à 56-5 du même code prévoient des garanties particulières encadrant ces opérations lorsqu’elles sont réalisées dans des lieux abritant des documents couverts par certains secrets.

7. Le quatrième alinéa de l’article 96 prévoit que ces dispositions sont applicables aux perquisitions effectuées par le juge d’instruction.

8. Aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

9. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de ces dispositions le principe de la séparation des pouvoirs qui s’applique notamment à l’égard du Gouvernement.

10. Ce principe peut être invoqué devant le Conseil constitutionnel saisi en application de l’article 61 de la Constitution. En revanche, sa méconnaissance ne peut être invoquée à l’appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

11. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l’étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant le principe de la séparation des pouvoirs ne peut qu’être écarté.

12. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le quatrième alinéa de l’article 96 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 avril 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS et MM. François PILLET et Michel PINAULT.

DEUX DECISIONS DU 4 MAI 2023

Décision n° 2023-1047 QPC du 4 mai 2023

M. Alexandre G. [Compétence de la juridiction correctionnelle d’appel pour statuer sur une demande de mise en liberté formée en cas de pourvoi en cassation]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 février 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 359 du 21 février 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Alexandre G. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1047 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ;

- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 17 mars 2023 ;

- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 3 avril 2023 ;

- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 18 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus.

2. Le troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :
« En cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond. Si le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d’assises, il est statué sur la détention par la chambre de l’instruction ».
 

3. Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas interdire aux magistrats de la chambre correctionnelle de la cour d’appel ayant prononcé la condamnation d’un prévenu à une peine d’emprisonnement, assortie d’un mandat de dépôt, de statuer ultérieurement sur sa demande de mise en liberté dans le cas où un pourvoi est formé contre l’arrêt qu’ils ont rendu. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale.

5. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles.

6. En application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, le prévenu qui est placé ou maintenu en détention provisoire peut demander sa mise en liberté en toute période de la procédure. Les dispositions contestées prévoient qu’en cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond.

7. Il s’ensuit que, dans le cas où un prévenu est détenu à la suite de sa condamnation par la chambre correctionnelle de la cour d’appel à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt et où un pourvoi a été formé contre cet arrêt, sa demande de mise en liberté est examinée par cette juridiction.

8. Il résulte de l’article 465 du code de procédure pénale que, lorsque la chambre des appels correctionnels déclare le prévenu coupable des faits et le condamne à une peine d’emprisonnement ferme, elle apprécie la nécessité de décerner à son encontre un mandat de dépôt au regard des éléments de l’espèce justifiant, au moment où elle se prononce, une mesure particulière de sûreté.

9. En revanche, lorsque la juridiction est ensuite saisie d’une demande de mise en liberté, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’objet de sa saisine est limité à la seule question de la nécessité de maintenir le prévenu en détention provisoire.

10. D’une part, la juridiction apprécie seulement si, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, le maintien en détention du prévenu constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale et que ceux-ci ne sauraient être atteints par son placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique.

11. D’autre part, pour apprécier si le maintien en détention se justifie toujours, la juridiction saisie d’une demande de mise en liberté formée postérieurement à l’arrêt de condamnation prend en compte les éléments de droit et de fait au jour où elle statue.

12. Dès lors, il ne saurait être considéré qu’un magistrat statuant sur une telle demande de mise en liberté aurait préjugé de la nécessité de maintenir le prévenu en détention au seul motif qu’il a siégé au sein de la formation de jugement l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt.

13. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité doit donc être écarté.

14. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La première phrase du troisième alinéa de l’article 148-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023

M. Jamal L. [Conditions de délivrance de la carte de résident permanent]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 février 2023 par le Conseil d’État (décision n° 468561 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jamal L. par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1048 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Isabelle Zribi, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Braun, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 18 avril 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 16 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident, sous réserve des mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de prévoir qu’un ressortissant étranger peut se voir refuser la délivrance d’une carte de résident permanent au motif que sa présence constituerait une simple menace pour l’ordre public, alors même qu’il réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. Ce faisant, ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article.

4. L’association intervenante soulève les mêmes griefs que le requérant et fait valoir, pour les mêmes motifs, que les dispositions contestées méconnaîtraient également le « droit des ressortissants étrangers au séjour » qu’elle demande au Conseil constitutionnel de reconnaître.

5. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. À cet égard, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques.

6. Le premier alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que les titulaires d’une carte de résident de dix ans, qui en font la demande, peuvent, à son expiration, se voir délivrer une carte de résident permanent, à durée indéterminée, à condition que leur présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public et qu’ils satisfassent à la condition d’intégration républicaine prévue à l’article L. 413-7 du même code.

7. Le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du même code prévoit que la délivrance de la carte de résident permanent est de droit dès le deuxième renouvellement d’une carte de résident. Selon les dispositions contestées, elle peut toutefois être refusée si la présence de la personne étrangère constitue une menace pour l’ordre public.

8. En premier lieu, en subordonnant à une telle condition la délivrance d’une carte de résident permanent, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

9. En second lieu, si la délivrance d’une carte de résident permanent peut être refusée à une personne étrangère établie régulièrement en France depuis plus de vingt ans et titulaire d’une carte de résident au motif que sa présence constitue une menace pour l’ordre public, cette seule circonstance est sans incidence sur le droit au séjour dont elle bénéficie. En effet, le renouvellement de sa carte de résident de dix ans est de droit sous réserve qu’elle n’ait pas quitté le territoire français depuis plus de trois ans, qu’elle ne se trouve pas en situation de polygamie et qu’elle n’ait pas été condamnée pour violences sur mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

10. Dès lors, les dispositions contestées ne procèdent pas à une conciliation déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent donc être écartés.

11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, aux mots « menace pour l’ordre public » figurant au premier alinéa du même article, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 26 MAI 2023

Décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023

Société Nexta 2022 [Exclusion des opérations portant sur les titres et contrats financiers du champ de la révision pour imprévision]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mars 2023 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 328 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Nexta 2022 par Me Renaud Thominette, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1049 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Thominette, pour la société requérante, Me Marielle Jéhannin, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les parties au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 16 mai 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« L’article 1195 du code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L. 211-1 du présent code ».

2. La société requérante reproche à ces dispositions d’exclure l’application de la révision pour imprévision pour les opérations portant sur l’ensemble des instruments financiers. D’une part, elle fait valoir qu’il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les cessions d’actions, pour lesquelles la révision pour imprévision ne peut pas être demandée, et les cessions de parts sociales et les contrats aléatoires, qui peuvent quant à eux faire l’objet d’une telle demande de révision. D’autre part, selon elle, au regard de l’objectif qu’elles poursuivent de protection des opérations réalisées sur les marchés financiers, ces dispositions auraient dû opérer une distinction entre les cessions d’actions sur ces marchés et les cessions de gré à gré. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

3. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

4. En application de l’article 1195 du code civil, lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion d’un contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, et si les parties ne s’accordent pas sur la résolution du contrat et ne demandent pas d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation, ce dernier peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin.

5. Par dérogation, les dispositions contestées prévoient que l’article 1195 du code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les contrats et titres financiers, au nombre desquels figurent les titres de capital émis par les sociétés par actions.

6. En premier lieu, il ressort des travaux parlementaires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer la sécurité juridique d’opérations qui, eu égard à la nature des instruments financiers, intègrent nécessairement un risque d’évolutions imprévisibles de leur valorisation.

7. Au regard de cet objet, la cession des titres de capital émis par les sociétés par actions, qui se caractérisent par leur négociabilité, se distingue de la cession des parts sociales des sociétés de personnes, qui ne peuvent être représentées par des titres négociables. Elle ne se confond pas non plus avec les contrats aléatoires, pour lesquels les parties font dépendre leurs effets d’un événement incertain.

8. Ainsi, le législateur a pu exclure du champ de la révision pour imprévision les obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers, sans prévoir une telle exclusion pour les cessions de parts sociales ou les contrats aléatoires.

9. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

10. En second lieu, ces dispositions s’appliquent à toutes les cessions d’actions. Il ne saurait être fait grief au législateur de ne pas avoir opéré de différence de traitement entre les cessions d’actions, selon qu’elles s’opèrent de gré à gré ou sur les marchés financiers.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.

12. Par conséquent, l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.

Décision n° 2023-1050 QPC du 26 mai 2023

Époux T. [Obligation de relogement en cas de délivrance d’un congé à un locataire âgé et disposant de faibles ressources]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 mars 2023 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 330 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Philippe T. et Mme Thi Hoai T. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1050 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 16 mai 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus.

2. Le paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans cette rédaction, prévoit : « Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l’égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l’arrêté précité.
« Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa.
« L’âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d’échéance du contrat ;  le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé ». 

3. Les requérants reprochent à ces dispositions de priver le bailleur du droit de reprendre son logement dans le cas où l’état du marché locatif le placerait dans l’impossibilité de proposer à son locataire un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités et situé dans un périmètre géographique déterminé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989.

- Sur la recevabilité :

5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

6. Dans sa décision du 20 mars 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 et les mots « soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.

7. Toutefois, la présente question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015,  que le Conseil constitutionnel n’a pas déclarés conformes à la Constitution. Dès lors, il y a lieu de procéder à l’examen des dispositions contestées, sans qu’il soit besoin de justifier d’un changement des circonstances.

- Sur le fond :

8. Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

9. Selon l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement soit renouvelé. L’article 15 de cette même loi permet toutefois au bailleur de s’opposer à son renouvellement en donnant congé au locataire, dès lors qu’il justifie ce congé soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, telle l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant.

10. Lorsque le locataire remplit certaines conditions d’âge et de ressources, les dispositions contestées prévoient que le bailleur ne peut donner congé à son locataire, quel qu’en soit le motif, que s’il lui propose une offre de relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique déterminé.

11. En limitant le droit du bailleur de donner congé à son locataire à l’expiration du contrat, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.

12. En premier lieu, le législateur a entendu protéger les locataires âgés et disposant de faibles ressources contre le risque de devoir quitter leur résidence principale et d’avoir à se reloger en l’absence de renouvellement du bail. Les dispositions contestées mettent ainsi en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.

13. En deuxième lieu, ces dispositions ne sont applicables que lorsque le locataire est âgé de plus de soixante-cinq ans et que ses ressources annuelles sont inférieures à un certain plafond.

14. En troisième lieu, conformément à l’article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 mentionnée ci-dessus, si les lieux loués se trouvent dans une commune divisée en arrondissements, le logement offert au locataire peut être situé aussi bien dans le même arrondissement que dans les arrondissements ou les communes limitrophes de l’arrondissement. Lorsque la commune est divisée en cantons, ce logement peut être situé aussi bien dans le même canton que celui où se trouvent les lieux loués que dans les cantons limitrophes de la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton. Dans les autres cas, il peut être situé sur le territoire de la même commune mais aussi d’une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres.

15. Les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans ce périmètre n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées.

16. En quatrième lieu, cette obligation n’est pas applicable lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires.

17. En dernier lieu, le bailleur, qui conserve évidemment la possibilité de vendre son bien ou d’en percevoir un loyer, dispose, en outre, en cas de manquement du locataire à ses obligations, de la faculté de l’assigner en résiliation du bail et en expulsion.

18. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté.

19. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Décision n° 2023-1051 QPC du 1er juin 2023

Mme Catherine R. et autre [Droits de mutation par décès et indemnité de réduction en valeur des libéralités excessives]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 avril 2023 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 384 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mmes Catherine R. et Jocelyne R. par Mes Jérôme Chapus et Laure Géniteau, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1051 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 724 du code civil ainsi que des articles 641 et 1701 du code général des impôts.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Chapus, pour les requérantes, Me Claire Leduc, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 23 mai 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l’article 724 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 3 décembre 2001 mentionnée ci-dessus, de l’article 641 du code général des impôts dans sa rédaction issue du décret du 4 juillet 1972 mentionné ci-dessus et de l’article 1701 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1969 mentionnée ci-dessus.

2. Le premier alinéa de l’article 724 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 décembre 2001, prévoit :
« Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ».

3. L’article 641 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du décret du 4 juillet 1972, prévoit :
« Les délais pour l’enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès sont :
« De six mois, à compter du jour du décès, lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine ;
« D’une année, dans tous les autres cas ».

4. L’article 1701 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 2 décembre 1969, prévoit :
« Les droits des actes et ceux des mutations par décès sont payés avant l’exécution de l’enregistrement, de la publicité foncière ou de la formalité fusionnée, aux taux et quotités réglés par le présent code.
« Nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s’il y a lieu.
« À défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé ».

5. Les requérantes, rejointes par la partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, reprochent à ces dispositions d’obliger les héritiers réservataires à s’acquitter de droits de succession alors même qu’ils n’auraient pas encore perçu les sommes imposables, en méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques. Au soutien de ce grief, elles font valoir que, dans le cas où un légataire universel du défunt a également la qualité d’héritier légal et est ainsi tenu de verser aux héritiers réservataires une indemnité correspondant à la portion du legs excédant leur réserve, le versement de cette somme dépend de la seule diligence du légataire universel. Ainsi, les héritiers réservataires ne seraient pas toujours en mesure d’en disposer au moment où ils doivent s’acquitter des droits de succession.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « les héritiers » figurant au premier alinéa de l’article 641 du code général des impôts.

7. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

8. L’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S’il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.

9. Selon l’article 912 du code civil, la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent. En application de l’article 924 du même code, lorsque les libéralités consenties par le défunt excèdent la quotité disponible, les héritiers réservataires doivent être indemnisés par le gratifié à concurrence de la portion excessive de la libéralité.

10. Il résulte de ces dispositions et du premier alinéa de l’article 724 du code civil que, en présence d’un légataire universel ayant également la qualité d’héritier, ce dernier est seul saisi de plein droit de l’ensemble de la succession et doit indemniser les héritiers réservataires.

11. En application des dispositions contestées de l’article 641 du code général des impôts, ces héritiers réservataires sont tenus de s’acquitter des droits de mutation par décès dans un délai déterminé, indépendamment du paiement effectif de cette indemnité.

12. En premier lieu, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle résulte de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que l’héritier réservataire dispose, en vertu de la loi, d’une créance à l’égard du légataire universel qui consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve.

13. Ainsi, dès l’ouverture de la succession, l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel.

14. En second lieu, la circonstance que, dans certains cas, le versement effectif de l’indemnité à l’héritier réservataire pourrait être retardé du fait du comportement du légataire universel est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier à raison de l’actif que constitue cette créance, qui est certaine.

15. Au demeurant, les héritiers, qui disposent d’un délai de six mois à compter du jour du décès pour déclarer la succession et payer les droits de mutation, ont la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance. Ils ont en outre la possibilité, en vertu de l’article 813-1 du code civil, de demander au juge la désignation d’un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale.

16. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant les charges publiques.

17. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « les héritiers » figurant au premier alinéa de l’article 641 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du décret n° 72-685 du 4 juillet 1972 mettant en harmonie le code général des impôts avec les dispositions de la loi n° 69-1168 du 26 décembre 1969 portant simplifications fiscales et incorporant à ce code diverses dispositions d’ordre financier, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 9 JUIN 2023

Décision n° 2023-1052 QPC du 9 juin 2023

M. Frédéric L. [Accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l’identité des tiers donneurs]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467467 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Frédéric L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1052 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Pauline Rémy-Corlay, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Bézie, pour l’association PMAnonyme, Me Mariama Soiby, avocate au barreau de l’Essonne, pour Mme Audrey F. et l’association Origines, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 30 mai 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur est placée auprès du ministre chargé de la santé. Elle est chargée :
« 1 ° De faire droit aux demandes d’accès à des données non identifiantes relatives aux tiers donneurs conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État pris en application du 3 ° de l’article L. 2143-9 ;
« 2 ° De faire droit aux demandes d’accès à l’identité des tiers donneurs conformes aux modalités définies par le décret en Conseil d’État pris en application du même 3 ° ;
« 3 ° De demander à l’Agence de la biomédecine la communication des données non identifiantes et de l’identité des tiers donneurs ;
« 4 ° De se prononcer, à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données préalablement à leur transmission au responsable du traitement de données mentionné à l’article L. 2143-4 ;
« 5 ° De recueillir et d’enregistrer l’accord des tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don pour autoriser l’accès à leurs données non identifiantes et à leur identité ainsi que la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine, qui les conserve conformément au même article L. 2143-4 ;
« 6 ° De contacter les tiers donneurs qui n’étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu’elle est saisie de demandes au titre de l’article L. 2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu’à la transmission de ces données à l’Agence de la biomédecine. Afin d’assurer cette mission, la commission peut utiliser le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques et consulter ce répertoire. Les conditions de cette utilisation et de cette consultation sont fixées par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La commission est également autorisée à consulter le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie afin d’obtenir, par l’intermédiaire des organismes servant les prestations d’assurance maladie, l’adresse des tiers donneurs susmentionnés ;
« 7 ° D’informer et d’accompagner les demandeurs et les tiers donneurs.
« Les données relatives aux demandes mentionnées à l’article L. 2143-5 sont conservées par la commission dans un traitement de données dont elle est responsable, dans des conditions garantissant strictement leur sécurité, leur intégrité et leur confidentialité, pour une durée limitée et adéquate tenant compte des nécessités résultant de l’usage auquel ces données sont destinées, fixée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui ne peut être supérieure à cent vingt ans ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de prévoir qu’un tiers donneur, ayant effectué un don de gamètes ou d’embryons à une époque où la loi garantissait son anonymat, peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur afin de recueillir son consentement à la communication de ces données, sans lui permettre de refuser préventivement d’être contacté ni garantir qu’il ne soit pas exposé à des demandes répétées. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du 6 ° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique.

4. Le Conseil constitutionnel a relevé d’office le grief tiré de ce que, en remettant en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs, ces dispositions méconnaîtraient la garantie des droits.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits :

5. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

6. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire de textes antérieurs.

7. Avant la loi du 2 août 2021, les articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique faisaient obstacle à toute communication des informations permettant d’identifier le tiers donneur en cas d’assistance médicale à la procréation.

8. L’article L. 2143-6 du code de la santé publique, créé par la loi du 2 août 2021, prévoit désormais qu’une personne majeure née à la suite d’un don de gamètes ou d’embryons réalisé avant une date fixée par décret au 1er septembre 2022 peut saisir la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur d’une demande d’accès à ces informations.

9. Les dispositions contestées de cet article prévoient que, dans ce cas, la commission contacte le tiers donneur afin de solliciter et de recueillir son consentement à la communication de ses données non identifiantes et de son identité ainsi qu’à la transmission de ces informations à l’Agence de la biomédecine.

10. Si ces dispositions permettent ainsi à la personne issue du don d’obtenir communication des données non identifiantes et de l’identité du tiers donneur, cette communication est subordonnée au consentement de ce dernier.

11. Dès lors, elles ne remettent pas en cause la préservation de l’anonymat qui pouvait légitimement être attendue par le tiers donneur ayant effectué un don sous le régime antérieur à la loi du 2 août 2021.

12. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée :

13. Selon l’article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

14. En premier lieu, les dispositions contestées se bornent à prévoir que le tiers donneur peut être contacté par la commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur en vue de recueillir son consentement à la communication de ces informations. Elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles est donné le consentement et ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus, de soumettre le tiers donneur à des demandes répétées émanant d’une même personne.

15. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer le respect de la vie privée du donneur, tout en ménageant, dans la mesure du possible et par des mesures appropriées, l’accès de la personne issue du don à la connaissance de ses origines personnelles. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts du tiers donneur et ceux de la personne née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

16. Sous la réserve mentionnée au paragraphe 14, le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée doit donc être écarté.

17. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sous la réserve mentionnée au paragraphe 14, la première phrase du 6 ° de l’article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, est déclarée conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1053 QPC du 9 juin 2023

M. Frédéric L. [Interdiction de la filiation entre l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation et le tiers donneur]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467776 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Frédéric L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1053 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Pauline Rémy-Corlay, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Soiby, pour les parties intervenantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 30 mai 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation.
« Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de faire obstacle à l’établissement de toute filiation, y compris adoptive, entre l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation et le tiers donneur. Il en résulterait une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article 342-9 du code civil.

4. En vertu de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … L’état et la capacité des personnes ». À ce titre, il appartient au législateur de déterminer les règles relatives à l’établissement des liens de filiation, notamment en cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit.

5. Le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

6. Le code civil comprend, au sein de son livre Ier, un titre VII relatif à la filiation et un titre VIII relatif à la filiation adoptive. Le chapitre V du titre VII fixe les règles relatives à la filiation en cas de recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, qui a pour objet, en application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, de permettre à des couples ou à une femme non mariée de réaliser un projet parental.

7. À ce titre, les dispositions contestées de l’article 342-9 du code civil prévoient qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre le tiers donneur et l’enfant issu de son don.

8. En premier lieu, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit, pour le tiers donneur, à l’établissement, selon l’un des modes prévus au titre VII du livre Ier du code civil, d’un lien de filiation avec l’enfant issu de son don.

9.  Ainsi, le législateur, qui a entendu préserver la filiation entre l’enfant et le couple ou la femme qui a eu recours à l’assistance médicale à la procréation, a pu interdire l’établissement d’un tel lien entre cet enfant et le tiers donneur.

10.  En second lieu, si le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité.

11. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de mener une vie familiale normale.

13. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le premier alinéa de l’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

DEUX DECISIONS DU 16 JUIN 2023

Décision n° 2023-1054 QPC du 16 juin 2023

Société Angelini Filliat [Pénalités pour facture inexacte ou incomplète]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 470761 du 14 avril 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Angelini Filliat par Mes Lionel Weller et Alexandre Noirot, avocats au barreau d’Aix-en-Provence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1054 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Weller, pour la société requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 6 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l’application d’une amende de 15 €. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné ». 

2. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. Au soutien de ce grief, elle fait valoir que l’amende de 15 euros réprimant toute omission ou inexactitude constatée dans une facture peut, en l’absence de plafond annuel et dans le cas où une même omission ou inexactitude affecte un grand nombre de factures, s’appliquer de manière cumulative, alors même que le manquement ne serait pas intentionnel et qu’il n’en résulterait aucun préjudice financier pour le Trésor public. En outre, pour les factures d’un montant individuel inférieur à 60 euros, le plafonnement de l’amende au quart de leur montant conduirait à l’application d’une sanction d’une particulière sévérité et dont l’assiette n’aurait aucun lien avec la nature de l’infraction.

3. Selon l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

4. Selon l’article 289 du code général des impôts, tout assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de s’assurer qu’une facture est émise pour les opérations qu’il énumère. Cette facture doit comporter certaines mentions portant sur les éléments d’identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus, et celles relatives à la détermination de la taxe. Pour les prestations de services comprenant l’exécution de travaux immobiliers fournie à des particuliers, l’article 290 quinquies du même code prévoit qu’elles font l’objet d’une note qui mentionne le nom et l’adresse des parties, la nature et la date de l’opération effectuée ainsi que le montant de son prix et celui de la taxe.

5. Les dispositions contestées sanctionnent d’une amende fiscale chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture ou un document en tenant lieu dont l’établissement est exigé par les articles 289 et 290 quinquies du code général des impôts.

6. En premier lieu, en sanctionnant d’une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d’une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l’acquéreur d’un produit ou d’une prestation de services et, d’autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

7. En second lieu, d’une part, les dispositions contestées punissent d’une amende forfaitaire d’un montant de 15 euros chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture et prévoient, en cas de pluralité d’omissions ou inexactitudes affectant la même facture, un plafonnement du montant total des amendes égal à 25 % du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné. L’assiette du plafond est en lien avec la nature de l’infraction. Le législateur a, ce faisant, instauré une sanction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements qu’il a entendu réprimer.

8. D’autre part, si, dans le cas où la facture inexacte ou incomplète est d’un montant individuel inférieur à 60 euros, l’amende encourue est nécessairement égale à 25 % du montant de cette facture, l’assiette de la sanction est en lien avec la nature de l’infraction et le taux retenu n’est pas manifestement disproportionné au regard de la gravité du manquement réprimé.

9. Il résulte de ce qui précède que, même en cas de cumul d’amendes sanctionnant des manquements affectant plusieurs factures, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de proportionnalité des peines.

10. Le grief tiré de la méconnaissance de ce principe doit donc être écarté.

11. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le paragraphe II de l’article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1055 QPC du 16 juin 2023

Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais [Interdiction d’étiquetage des fruits et légumes]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 466929 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association interprofessionnelle des fruits et légumes frais par Mes Yelena Trifounovitch, Arthur Helfer et Guillaume Léonard, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1055 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Mes Helfer et Léonard, pour l’association requérante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 6 juin 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 9 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 80 de la loi du 10 février 2020 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Au plus tard le 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition d’étiquettes directement sur les fruits ou les légumes, à l’exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées ».
 

2. L’association requérante reproche à ces dispositions de limiter la faculté pour tout opérateur économique d’apposer des étiquettes sur les fruits et légumes aux seules fins de faciliter le compostage domestique, alors qu’existeraient d’autres moyens moins contraignants pour y parvenir. Elles porteraient ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

3. Elle leur reproche également d’instituer une double différence de traitement injustifiée, d’une part, entre opérateurs selon que les fruits et légumes sont produits en France ou importés et, d’autre part, entre les exportateurs français et leurs concurrents à l’étranger. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

4. En outre, faute de définir en des termes suffisamment clairs et précis l’interdiction édictée, alors que sa méconnaissance serait punie d’une amende contraventionnelle, ces dispositions seraient contraires au principe de légalité des délits et des peines.

5. Ces dispositions seraient enfin entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées, et méconnaîtraient l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

6. En premier lieu, il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

7. Les dispositions contestées prévoient que, au plus tard au 1er janvier 2022, il est mis fin à l’apposition de certaines étiquettes sur les fruits ou les légumes.

8. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, l’interdiction de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables.

9. D’une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu favoriser le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.

10. D’autre part, l’interdiction édictée par ces dispositions porte sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées. En déterminant ainsi la portée de cette interdiction, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

11. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre doit être écarté.

12. En deuxième lieu, les dispositions contestées, qui interdisent de mettre en vente en France des fruits et légumes sur lesquels sont apposées des étiquettes non compostables, n’instituent aucune différence de traitement selon qu’ils sont produits en France ou importés. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

13. En dernier lieu, les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction. La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet.

14. Il appartient au demeurant au pouvoir réglementaire, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes, de définir les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis.

15. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant.

16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - L’article 80 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Décision n° 2023-1058 QPC du 21 juillet 2023

M. Roméo N. [Incrimination et répression du viol sur mineur de quinze ans]

Note de frederic Fabre : le Conseil constitutionnela écarté la bonne question pour ne pas y répondr. Nous sommes dans une paradir de justice avec ce conseil constitutionnel formé de politiques ou magistrats politisés

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 797 du 24 mai 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Roméo N. par la SAS Hannotin avocats, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1058 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et de l’article 222-23-3 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Mes Heloun et Ory, pour le requérant, Me Gravelin-Rodriguez, pour M. Pierre-Ange M., et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 4 juillet 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 21 avril 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ». 

2. L’article 222-23-3 du code pénal, dans la même rédaction, prévoit :
« Les viols définis aux articles 222-23-1 et 222-23-2 sont punis de vingt ans de réclusion criminelle ». 

3. Le requérant fait tout d’abord valoir que, en instituant une infraction de viol sur mineur de quinze ans punissable sans que soit rapportée la preuve que l’acte sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ces dispositions, qui ne font ainsi pas de l’absence de consentement du mineur un des éléments constitutifs de l’infraction, institueraient une présomption irréfragable de culpabilité contraire au principe de la présomption d’innocence et aux droits de la défense.

4. Il soutient également, d’une part, que la culpabilité de l’auteur résulterait du simple constat de la matérialité des faits, sans qu’il soit besoin pour l’autorité de poursuite de rapporter la preuve de l’intention du majeur d’imposer un acte sexuel au mineur, et, d’autre part, que la minorité de quinze ans de la victime serait à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante de l’infraction. Il en résulterait une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

5. Le requérant fait ensuite valoir que les seuils d’âge prévus par ces dispositions conduiraient à traiter différemment des personnes pourtant placées, selon lui, dans des situations comparables. Il en résulterait une méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines ainsi que du principe d’égalité devant la loi.

6. Il fait enfin valoir que, en réprimant d’une même peine de vingt ans de réclusion criminelle des actes sexuels entre un majeur et un mineur de quinze ans, qu’ils soient ou non commis avec violence, menace, contrainte ou surprise, ces dispositions méconnaîtraient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

7. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et la référence « 222-23-1 » figurant à l’article 222-23-3 du même code.

- Sur l’intervention :

8. Il résulte du deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus qu’une personne justifiant d’un intérêt spécial doit adresser au secrétariat général du Conseil constitutionnel ses observations en intervention avant la date fixée pour la présentation des premières observations des parties et autorités mentionnées à l’article 1er de ce règlement.

9. Le troisième alinéa de ce même article 6 dispose toutefois que « Le dépassement du délai échu à cette date n’est pas opposable à une partie qui a posé devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, devant le Conseil d’État ou devant la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause une disposition législative dont le Conseil constitutionnel est déjà saisi lorsque, pour cette raison, cette question n’a pas été renvoyée ou transmise ».

10. En l’espèce, M. Pierre-Ange M. a adressé ses observations en intervention au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 juin 2023, soit après la date de présentation des premières observations fixée au 9 juin 2023.

11. Or, M. Pierre-Ange M., qui aurait posé devant la chambre de l’instruction une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions contestées, ne justifie pas que cette juridiction aurait refusé de transmettre cette question à la Cour de cassation au motif que le Conseil constitutionnel était déjà saisi de ces dispositions.

12. Par conséquent, son intervention n’est pas admise.

- Sur le fond :

13. En premier lieu, en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.

14. Aux termes de l’article 222-23 du code pénal, tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Ce crime est puni de quinze ans de réclusion et, conformément au 2 ° de l’article 222-24 du même code, de vingt ans de réclusion lorsqu’il est commis sur un mineur de quinze ans.

15. Les dispositions contestées instituent une nouvelle infraction afin de punir de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans.

16. En adoptant ces dispositions, le législateur a interdit tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans. D’une part, cette incrimination, dont la caractérisation n’exige pas que ces actes soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ne repose pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. D’autre part, il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs.

17. Dès lors, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer une présomption de culpabilité. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence doit donc être écarté. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de celui tiré de la méconnaissance des droits de la défense.

18. En deuxième lieu, le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.

19. D’une part, les dispositions contestées n’ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a pas de crime sans intention de le commettre, la seule imputabilité matérielle des actes réprimés ne suffisant pas à caractériser l’infraction.

20. D’autre part, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la minorité de quinze ans de la victime, qui est un élément constitutif de l’infraction, n’est pas, dans le même temps, une circonstance aggravante de cette même infraction.

21. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit donc être écarté.

22. En troisième lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente.

23. Si les faits réprimés par les dispositions contestées sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du crime de viol aggravé commis sur un mineur de quinze ans, prévu aux articles 222-23 et 222-24 du code pénal, ils sont punis, à la différence de ceux réprimés par cette dernière infraction, même lorsqu’ils sont commis sans violence, contrainte, menace ou surprise et supposent qu’il existe entre l’auteur majeur et la victime mineure une différence d’âge d’au moins cinq ans.

24. Il en résulte que ces deux infractions punissent des agissements de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale doit donc être écarté.

25. En dernier lieu, l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

26. En réprimant d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans, le législateur, qui a entendu renforcer la protection de ces mineurs victimes d’infractions sexuelles, n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée.

27. En outre, les modalités de répression de cette infraction n’ont ni pour objet ni pour effet de déroger au principe de l’individualisation des peines confiée au juge conformément à l’article 8 de la Déclaration de 1789.

28. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doit être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et la référence « 222-23-1 » figurant à l’article 222-23-3 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

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