LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE S'INSTALLE

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"La Troisième République sait imposer les lois sociales mais les scandales l'affaiblissent"
Frédéric Fabre docteur en droit

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- LES LOIS SOCIALES ET LE COLONIALISME

- L'AVENTURE DU BOULANGISME

- LE SCANDALE DU CANAL DE PANAMA ET LES ATTENTATS ANARCHISTES

- LES TÉMOIGNAGES DANS LA LITTÉRATURE, LA CHANSON ET LES FILMS

- LE TRAITE DE REASSURANCE SIGNE A BERLIN, LE 18 JUIN 1887

- L'ENCYCLIQUE RERUM NOVARUM

- DECLARATION INTERDITE DE RAVACHOL A SON PROCES

- LES LIENS EXTERNES

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LES LOIS SOCIALES ET LE COLONIALISME

1879

4 février:  Jules Grévy est élu par 563 voix parlementaires sur 713 votants. Sa sagesse et sa prévoyance éviteront la guerre avec Bismarck qui s'inquiète de la remontée en puissance de la France et installera définitivement la troisième République qui ne fait plus peur à personne. William Waddington devient président du Conseil. Jules Ferry est nommé ministre de l'Instruction publique.

1er juin: Le prince impérial, fils de Napoléon III, engagé dans l'armée anglaise est tué par des zoulous lors d'une embuscade au Zoulouland. Il est mort dans un campement bien mal choisi car entouré de hautes herbes. Le lieutenant Carey responsable de ce choix s'est enfui laissant le prince impérial seul face aux sagaies des zoulous. Cette mort curieuse écarte le danger impérial.

21 juin: Lors de la première révision constitutionnelle, le palais Bourbon devient le siège de la Chambre des députés et le palais du Luxembourg celui du Sénat. Les chambres reviennent à Paris.

13 juillet : La loi remaniant le Conseil d'État est votée.

9 août: La loi relative à l'établissement des écoles normales primaires dite "Paul Bert" organise les écoles normales chargées de former les enseignants de la République. Elle est adoptée le 1er aout et promulguée le 9 août.
 
20 octobre: Le Congrès socialiste se réunit à Marseille.
 
26 décembre:  Waddington démissionne.
 
28 décembre: Jules Grévy nomme son ministre préféré Charles de Freycinet.
Jules Ferry est nommé ministre de l'instruction public. Il finance la deuxième expédition de Pierre Savorgnan de Brazza  sur le fleuve Congo qui durera jusque 1882.
 
1880

7 février : La loi sur le Conseil supérieur de l'instruction publique est votée. Les ecclésiastiques sont exclus. Elle est promulguée le 27 février 1880.

9 mars: Le Sénat rejette l'article 7 d'une loi qui voulait interdire l'enseignement aux congrégations religieuses mais accepte l'exclusion de l'enseignement catholique dans les jurys universitaires. La loi relative à la liberté de l'enseignement supérieure est promulguée le 18 mars 1880.

29-30 mars: Le gouvernement édicte alors des décrets contre les congrégations non autorisées. La dissolution de la Compagnie de Jésus et l'expulsion des jésuites, maristes, dominicains et assomptionnistes de leurs établissements est prononcée. Les jésuites sont à l'époque les principaux propriétaires des écoles, collèges et lycées. Ce que la loi ne veut  pas, le règlement peut le faire ! La leçon sera retenue par les constituants de la cinquième république.
 
Juin: Les décrets sur l'enseignement sont publiés.
 
11 juillet: L'Amnistie des communards est définitivement votée. Les exilés comme  Henri Rochefort, Benoît Malon, Jules Vallès ou Louise Michel peuvent rentrer en métropole.
 
12 juillet: La loi supprimant l'obligation du repos dominical est votée.
 
13 juillet: L'école normale supérieure pour jeunes filles est fondée à Fontenay. 
 
14 juillet: L'anniversaire de la prise de la Bastille sert de première célébration de la fête nationale.
 
23 septembre: Jules Ferry devient président du conseil.
 
20 Octobre: Ferdinand de Lesseps fonde la compagnie du canal de Panama.
 
16-22 novembre: Au congrès du Havre, Jules Guesde et Paul Lafarge fondent et présentent le programme du Parti Ouvrier de France.
 
21 décembre: La loi sur l'enseignement secondaire des jeunes filles dite "Camille Sée" prévoit la création des lycées de jeunes filles.
 
1881

29 mars: Les lois de liberté municipale sont votées.

4 avril: Jules Ferry décide d'envoyer une expédition en Tunisie.

12 mai: Le Traité du Bardo signé entre le bey de Tunis et le Gouvernement français établit le protectorat français en Tunisie.

30 mai: La loi sur la liberté de réunion est votée.  

16 juin: La loi sur la gratuité de l'enseignement primaire, est votée et promulguée. La loi sur la capacité pour enseigner à l'école primaire est aussi promulguée.

30 juin: La loi sur la liberté des réunions publiques, est votée.

26 juillet: L'école normales supérieure de Sèvres est créée.

29 juillet: La loi sur la liberté de la presse est votée.

21 août - 4 septembre: Élections législatives: l'Union Républicaine a 204 sièges, la Gauche républicaine a 168 sièges, l'extrême gauche a  46 sièges, le centre gauche a 39 sièges et les conservateurs n'ont que 88 sièges.

Septembre: Le Conflit franco-chinois à propos de l'Annam éclate.

9 septembre: Les nationalistes en Égypte se soulèvent. Ce pays est disputé entre les français et les anglais.

28 octobre: Kairouan en Tunisie est prise.

9 novembre: Le traité du Bardo est ratifié.

10 novembre: Jules Ferry est contraint de démissionner à cause du conflit avec la chine. La France rurale majoritaire au parlement ne veut pas la guerre !

14 novembre: Le Grand Ministère Gambetta est formé.

1882

7 janvier: Une note commune franco-anglaise au khédive d'Égypte est signée.

26 janvier: Le grand ministère Gambetta tombe.

28 janvier: Le Krach de l'Union générale est un scandale financier qui entraîne une série de faillites. La crise économique est due essentiellement à des problèmes de surchauffe liés à l’essor rapide consécutif aux politiques de grands travaux.

30 janvier: L'ami fidèle du président de la République Freycinet forme un nouveau gouvernement. Jules Ferry est ministre de l'Instruction publique. Le libéral Léon Say a les finances. Il reçoit Pierre Savorgnan de Brazza de retour en France avec un  traité de protectorat français signé au bord du fleuve Congo, par le roi des Tékés, Illoy 1er Makoko de Mbe. Un établissement français est créé à Nkuna. 

12 février: La Convocation d'un congrès pour traiter de la question d'Égypte est lancée.

4 mars: Une loi municipale confie l'élection des maires aux conseils municipaux.

28 mars: Ferry fait voter une Loi sur l'enseignement primaire obligatoire et laïque de 6 à 13 ans. Le dernier pas de l'enseignement républicain est franchi.

25 avril: Le capitaine de vaisseau Rivière prend Hanoi.

12 mai: Paul Déroulègue crée la ligue des patriotes pour insuffler un esprit de revanche et reprendre l'Alsace Lorraine.

11 juin: Alexandrie en Égypte subit des émeutes.

14 juillet: Waldeck-Rousseau dénonce les grands monopoles dans un discours à la chambre des députés.

29 juillet: Le cabinet Freycinet chute sur la question égyptienne. La France rurale refuse la guerre.

2 août: L'armée anglaise débarque en Égypte, la France renonce à l'accompagner puisque la Chambre a refusé de voter les crédits demandés par Freycinet.

7 août: Eugène Duclerc forme un gouvernement.

Septembre: Le Congrès socialiste se réunit à Saint-Étienne. Benoît Malon revenu d'exil de Suisse, le préside.  Il se range du coté des réformistes contre les guesdistes. Il deviendra le premier président de La Revue Socialiste à partir de 1885 et publiera en 1891 un livre important: Le socialisme intégral.

30 décembre: L'école normale supérieure de garçons de Saint Cloud est créée.

31 décembre: Léon Gambetta meurt prématurément à 44 ans. Sa maîtresse Léonine Leblanc aussi amie de Clemenceau et du Duc d'Aumale le blesse à la main avec un pistolet. Il contracte alors une septicémie. Ses amis préparent sa légende.

 1883

29 janvier: Armand Fallières forme son gouvernement.
 
17 février: Armand Fallière démissionne mécontent que son projet de loi anti-monarchiste soit amendé.
 
21 février: Le Second ministère Jules Ferry durera jusque 1885.
 
19 mai: Le commandant Henri Rivière est décapité par les Pavillons-Noirs.
 
8  juin: La Convention de La Marsa institue le protectorat français en Tunisie dans tous les domaines politiques et économiques. En réalité la convention vide le traité du Bardo de son contenu et dépouille le bey du reste de son autorité et instaure l'administration directe.
 
24 août: La Mort du comte de Chambord marque l'extinction de la branche aînée de la monarchie française. Ses souvenirs sont exposés au Château de Chambord. Son épouse et veuve, Marie Thérèse de Modène présentait une malformation utérine, due à l'avancée d'une travée osseuse de son bassin qui barrait de long en large l'entrée de son utérus. Elle ne pouvait ni enfanter ni avoir de rapports sexuels. Elle mourra le 25 avril 1886 au palais Lanthieri à Gorizia, en Italie.
 
25 août: Le traité de Huet prévoit le protectorat sur l'Annam actuel Viêt Nam et du Tonkin actuel Cambodge.
 
30 août: La loi de réforme judiciaire prévoit la suppression de l'inamovibilité des juges pour purger le corps magistral des monarchistes.
 
Octobre: Le Conseil Supérieur des Colonies est créé. La France s'installe en Cote d'Ivoire. 
 
17 décembre: L'amiral Courbet prend Son-Tây au Viêt Nam.

  1884

14 février: Le livret de famille est créé pour suppléer les actes d'état civil des individus.

21 mars: La loi Waldeck Rousseau réforme la loi le Chapelier et autorise la création des syndicats professionnels.

5 avril: La loi municipale rend publiques les séances des conseils municipaux, interdit les ministres du culte à être conseiller municipal et impose aux communes de louer ou acquérir une mairie.

11 mai: Premier traité franco-chinois de T'ien-tsin où la Chine reconnaît le protectorat sur l'Annam.

27 juillet: La loi Naquet rétablit le divorce pour faute mais continue à interdire le divorce par consentement mutuel.

14 août: La Révision constitutionnelle devient une "révisionnette". Les 75 sénateurs inamovibles ne sont plus remplacés à leur décès. Les collèges électoraux sont modifiés au profit des zones urbaines. Les membres des familles ayant régné sont inéligibles à la présidence de la République. ils ne peuvent pas non plus s'engager dans l'armée française. La forme républicaine du gouvernement ne peut pas faire l'objet d'une proposition de révision.

23-25 août: L'amiral Courbet détruit l'arsenal de Fou-tcheou et la flotte chinoise.
 
15 novembre: Sur l'initiative de Bismarck, la Conférence de Berlin instaure des règles entre les États européens pour la prise de possession du continent africain.  
 
21 décembre: Le commandant Dominé défend Tûyên Quang.

1885

13 février: Le général de Négrier occupe Lian-Song.
 
25 mars: Le scrutin de liste est adopté.
 
28 mars: L'évacuation de Lian-Song par le colonel Herbinger est considéré par les parlementaires comme un mini Sedan. Jules Ferry est alors  dédaigneusement appelé "le tonkinois".

30 mars: Jules Ferry chute suite à une séance violente à la Chambre pendant laquelle Clemenceau accuse Ferry de trahir la France. Il reproche la politique coloniale, substitut qui fait oublier les véritables territoires à conquérir: L'Alsace et la Lorraine. Le monde rural est en émois contre tout ce qui vient de l'étranger. Le phylloxéra parasite venu d’Amérique, a détruit les deux tiers du vignoble.

6 avril:  Brisson forme son ministère.

22 mai: Victor Hugo meurt.  Le gouvernement et le président du Conseil Brisson décident de réserver des funérailles nationales à ce grand républicain, symbole d'une république qui devient crédible et qui s'enracine.

Pour rendre hommage à un homme qui adore les femmes, la nuit suivant son décès, les prostituées de Paris travaillent gratuitement.

1er juin: Une foule immense rend hommage à Victor Hugo mort en criant  "Vive Victor Hugo".

Trois millions de personnes se sont déplacées. Seul, Anatole France aura des funérailles aussi grandioses. Ses dernières volontés sont en partie exécutées: «Je donne cinquante mille francs aux pauvres et je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l'oraison de toutes les Églises. Je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu». Il est bien transporté dans le «corbillard des pauvres» mais son corps est déposé au Panthéon et non au cimetière du Père Lachaise.

9 juin: Le Second traité franco-chinois de T'ien-tsin est signé pour mettre fin à la guerre.
 
6 juillet: Louis Pasteur vaccine pour la première fois contre la rage un petit berger alsacien de 9 ans prénommé Joseph Meister.
 
28 juillet: Jules Ferry fait un discours sur les nécessités de l'expansion coloniale.
 

4-18 octobre: Les Élections législatives divise la chambre en trois groupes qui s'opposent. Les Républicains ont 383 sièges, l'Union des droites a 201 sièges et l'Extrême gauche a 100 sièges.

17 décembre: Le Traité de protectorat sur Madagascar est signé.

28 décembre: Réélection de Jules Grévy à la présidence. Le vieillard empêche par sa candidature de faire élire Jules Ferry.

L'AVENTURE DU BOULANGISME

1886

7 janvier: Grévy demande à son ami Freycinet de former son troisième ministère. Le poste de ministre de la guerre reste vacant car les officiers de premier rang le refuse. Sur la recommandation de Georges Clemenceau qui veut pousser l'un des membres de son parti, le général Georges Boulanger devient ministre de la guerre.

26 Janvier: Lors de la grève des mineurs à Decazeville, Boulanger fait envoyer la troupe. Le travail reprend le 29.

Janvier: Paul Bert devient le premier résident général de France en Indochine.

25 février: La grève à Decazeville est reprise. Elle prend fin le 14 juin. Le général Boulanger déclare: "À l'heure qu'il est, chaque soldat partage avec un mineur sa soupe et sa ration de pain". Cette citation donne un caractère social au boulangisme.

8 mars: La loi institue les lundis de Paques et de Pentecôte comme férié.

29 mars: Le Comte Albert le Mun fonde l'Association catholique de la jeunesse française.

Avril: Édouard Drumont publie La France Juive pour prétendre que tous les maux que subit la France sont causés par les juifs. Le livre atteindra 150 éditions pour flatter un antisémitisme qui explosera dans l'affaire Dreyfus.

22 juin: La loi interdisant aux chefs de famille royale ou impériale ayant régné en France de séjourner sur le territoire français est votée. Les républicains les craignent alors que le danger provient du césarisme de leur propre rang.

La Loi n°50-728 du 24 juin 1950 porte abrogation de la loi du 22 juin 1886 relative aux membres des familles ayant régné en France.

L'Article 196 de la LOI n° 2011-525 du 17 mai 2011 abroge définitivement les réserves émises dans la Loi n°50-728 du 24 juin 1950 en cas de "sédition" contre la République.

12 juillet: Le Duc d'Aumale est expulsé.

14 juillet: Revue militaire de Longchamp, la foule hurle "Vive Boulanger !" La famille de l'empereur est exilée, il en devient le faible substitut.

17 septembre: Le général Boulanger prononce à Libourne un discours qui inquiète Bismarck: «Nous pouvons enfin renoncer à la triste politique défensive; la France doit désormais suivre hautement la politique offensive». Il construit des baraquements militaires à Belfort, interdit l'exportation de chevaux et fait interdire les représentations de Lohengrin. Il représente alors en France, l'image du « Général Revanche ». Bismarck rappelle 70 000 réservistes.

11-16 octobre: Le premier congrès de la Fédération des syndicats se réunit à Lyon.

30 octobre: La loi sur l'organisation de l'enseignement primaire dite "Goblet" institue la laïcisation du personnel des écoles publiques.

11 décembre: Freycinet chute sur un amendement qui prévoit la suppression des sous préfets. Goblet forme son ministère. Boulanger reste ministre de la guerre. Il a amélioré notablement l'organisation de l'armée, les conditions de vie du soldat et dote toute l'armée du fusil Lebel. Il est l'égérie de chansons de cabaret dont "En revenant d'la Revue" de Paulus.

La foule chante: "C'est Boulange, Boulange, Boulange, c'est Boulanger qu'il nous faut". Ferry jugera "C'est un Saint Arnaud de café concert !"

1887

 
Janvier: Paris se prépare à fêter le centenaire de la révolution française. La construction de la tour Eiffel débute.
 
20-30 avril: L'Affaire Schnaebelé risque de conduire la France à la guerre contre Bismarck. Le commissaire de Police de Pagny-sur-Moselle, Guillaume Schnaebelé, est appréhendé par des gendarmes allemands à la frontière. Il est emprisonné à Metz sous l'inculpation d'espionnage. Après l'intervention de l'ambassadeur de France et de Jules Grévy qui utilise toute sa prudence de juriste pour ne pas laisser prise à la diplomatie allemande, Bismarck consent à le relâcher. Encore une fois, la prudence et l'habilité de Grévy sauve la République. Boulanger reproche une attitude trop conciliante avec l'Allemagne.
 
18 mai: Le ministère Goblet chute sur une question du budget.
 
30 mai: Rouvier forme son Ministère. Le général Ferron remplace Boulanger au ministère de la Guerre.
 
18 juin 1887: Un traité secret de « réassurance » entre l’Allemagne et la Russie est signé. Il prendra fin en 1890, après le départ du pouvoir, du chancelier Bismarck.
Ce traité assure à Bismarck la neutralité russe en cas d’attaque française contre l’Allemagne. En échange, le chancelier promet son appui diplomatique dans la question bulgare et dans l’affaire des Détroits. Mais en novembre, lors du réveil de la question Bulgare, Bismarck met fin aux facilités financières accordées par la Reichsbank aux Russes.
L'affaire de Clichy peut se résumer ainsi : Le 1er mai 1891, drapeau rouge en tête, une trentaine de manifestants improvisent un défilé allant de Levallois - Perret à Clichy contre la fusillade de Fourmies. Un peu avant trois heures, alors que le drapeau est roulé et que les manifestants se dispersent, le commissaire Labussière donne l'ordre de s'emparer de l'emblème. C'est l'incident, des coups de feu sont échangés et des agents de police légèrement blessés. Trois anarchistes sont aussitôt arrêtés, dont Louis Leveillé, lui-même blessé par balle. Dès leur arrivée au poste, ils subissent un violent passage à tabac, ce qui révolte les anarchistes. Lors de leur procès du 28 août 1891, l'avocat général Bulot requiert la peine de mort contre l'un des prévenus. Le verdict est sévère : Henri Louis Decamps est condamné à cinq ans de prison, Charles Auguste Dardare à trois ans, Louis Leveillé est acquitté.
27 mars: Ravachol fait exploser l'immeuble où réside l'avocat général Bulot qui avait demandé la peine de mort, aux assises lors de l'affaire de Clichy.
 
30 mars: Ravachol est arrêté dans un restaurant Véry, au 24 boulevard Magenta à Paris, grâce à une dénonciation d'un serveur. A la veille de sa comparution aux assises de Montbrison, les anarchistes font sauter le restaurant.  
 
3 mai: Léon XIII écrit aux cardinaux français pour les engager au ralliement à la République.
 
11 juillet: Ravachol est guillotiné pour trois meurtres dont deux ne semblent pas être commis par lui à Montbrison.
Il laisse des mémoires à ses gardiens, dans la soirée du 30 mars 1892. Il n'aura pas le droit de dire une dernière déclaration à son procès.
Sur l'échafaud à Montbrison, Ravachol chante sur l'air de la Carmagnole :

I

Dans la grand’ville de Paris (bis), Il y a des bourgeois bien nourris (bis), Il y a les miséreux, Qui ont le ventre creux : Ceux-là ont les dents longues, Vive le son, Vive le son, Ceux-là ont les dents longues, Vive le son des explosions !

Refrain :

Dansons la Ravachole, Vive le son, vive le son, Dansons la Ravachole, Vive le son De l’explosion ! Ah, ça ira, ça ira, ça ira, Tous les bourgeois on les saut’ra... On les saut’ra !

II

Il y a les magistrats vendus (bis), Il y a les financiers ventrus (bis), Il y a les argousins, Mais pour tous ces coquins, Il y a d’la dynamite, Vive le son, Vive le son, Il y a d’la dynamite, Vive le son De l’explosion ! (Au refrain)

III

Il y a les sénateurs gâteux (bis), Il y a les députés véreux (bis), Il y a les généraux, Assassins et bourreaux, Bouchers en uniforme, Vive le son, Vive le son, Bouchers en uniforme, Vive le son De l’explosion ! (Au refrain)

IV

Il y a les hôtels des richards (bis), Tandis que les pauvres déchards (bis), A demi morts de froid, Et soufflant dans leurs doigts, Refilent la comète, Vive le son, vive le son, Refilent la comète, Vive le son De l’explosion ! (Au refrain)

V

Ah ! nom de dieu, faut en finir ! (bis) Assez longtemps peindre et souffrir ! (bis) Pas de guerre à moitié ! Plus de lâche pitié ! Mort à la bourgeoisie, Vive le son, Vive le son, Mort à la bourgeoisie, Vive le son D’l’explosion ! (Au refrain)

17 août: La Convention militaire franco-russe stipule que les deux pays devaient se soutenir mutuellement s’ils étaient attaqués par un des pays de la Triple Alliance formée par l' Allemagne, l'Autriche et l'Italie.
 
2 novembre: Le corps de l'inspections du travail est créé pour faire respecter la limitation de la durée du travail pour les mineurs: pas de travail avant 13 ans, journée de 10h pour les moins 16 ans, 11h pour les moins 18 ans et les femmes et interdiction du travail de nuit. Le corps est aussi chargé de faire respecter les règles de sécurité et d’hygiène pour tous les salariés.
 
19 novembre: Les autorités sont contraints d'enquêter sur la corruption des élus lors de la validation de la société du canal de Panama. Dans son journal "La Libre Parole", Édouard Drumont célèbre pour la publication en 1885 de son livre "La France juive" dénonce le scandale de Panama et la corruption du système. Jacques de Reinach intermédiaire financier et banquier dans l'affaire de Panama se suicide pour ne pas être contraint de parler à l'audience du tribunal correctionnel du 21 novembre.
 
21 novembre: Le député nationaliste Jules Delahaye monte à la tribune de la Chambre pour dénoncer le scandale politico-financier de Panama. Il met en cause sans preuve et sans donner de nom, une centaine de parlementaires qui ont reçu en 1888 de l’argent pour faire passer à la Chambre le vote d’un emprunt destiné à renflouer la Compagnie de Panama. La revanche des boulangistes a sonné !
 
Novembre: Le colonel Dodds fait une expédition contre le royaume du Dahomet.
 
6 décembre: Alexandre Ribot forme son ministère.

1893

Janvier: Les administrateurs de la Compagnie de Panama subissent leur procès. Les de Lesseps, père et fils, sont condamnés à 5 ans de prison et Eiffel, Cottu et Fontane à 2 ans. En appel, tout le monde est relaxé pour vice de forme.
 
11 janvier: Le ministère Ribot chute suite à la démission du ministre des finances Maurice Rouvier alors au coeur du scandale de Panama. Il reforme immédiatement un second ministère sans Rouvier.
 
Mars: Fondation de la droite républicaine en prévision des élections législatives.
 
Le Procès des parlementaires impliqués dans l'affaire de Panama s'ouvre. Tout le monde est relaxé sauf un parlementaire qui a "oublié" de nier. Mais leur carrière politique, principalement celle de Clemenceau s'arrête net. La principale conséquence du Scandale de Panama est le renouvellement des générations en politique.
 
17 mars: Jules Ferry meurt.
 
30 mars: Le ministère Ribot chute.
 
4 avril: Charles Dupuy forme son ministère.
 
20 août - 3 septembre: Les Élections législatives confirment le changement de personnel politique: 317 sièges sont donnés à la droite modérée contre 93 pour la droite classique et ses ralliés. Les socialistes font leur apparition à la Chambre avec 33 représentants dont Jaurès qui est élu pour la première fois. Les radicaux indépendants ont 122 sièges et les radicaux socialistes ont 16 sièges. Clemenceau perd les élections dans le Var. Il est contraint de se tourner vers le journalisme. Causé par le scandale, le taux d'abstention formés des non votants et des bulletins nuls, est de 34%.   
 
3 octobre: Le Traité franco-siamois reconnaît le protectorat français sur le Laos.
 
13-29 octobre: La flotte russe se présente à Toulon pour être visitée.
 
3 décembre: Casimir-Perier forme son ministère.
 
9 décembre: Auguste Vaillant fait exploser une bombe à la Chambre des députés pour venger Ravachol.
 
12 décembre: La loi sur la presse punit l'apologie ou la provocation aux crimes qu'il soit direct ou indirect. Le juge peut ordonner toute saisie préventive. Cette première "loi scélérate" limite la liberté de la presse. 

18 décembre: La deuxième "loi scélérate" punit la fabrication d'explosifs. Elle ne fait aucune différence entre les auteurs et les simples sympathisants qui sont punis sans faire aucune distinction.

La loi ouvre aussi des crédits supplémentaires à la police et encourage la délation: « Les personnes qui se seront rendues coupables du crime, mentionné dans le présent article seront exemptes de peine si, avant toute poursuite, elles ont révélé aux autorités constituées l’entente établie ou fait connaître l’existence de l’association.»

27 décembre: La convention militaire franco-russe est ratifiée.

1894

5 février: L'anarchiste Vaillant est guillotiné après que le Président de la République Sadi Carnot refuse sa grâce.
 
12 février: L'Attentat de l'hôtel Terminus à Paris fait plusieurs morts.
 
3 mars: Le ministre Spuller sur la demande de Casimir Perier, fait un discours à la chambre des députés, pour préconiser un "esprit nouveau" fait de tolérance en matière religieuse. La droite républicaine s'installe sur les fondations des orléanistes.
 
22 mai: Le ministère Casimir-Perier chute.
 
30 mai: Dupuy forme son deuxième ministère.
 
24 juin: Le président Sadi Carnot qui a refusé sa grâce, est assassiné à Lyon par un jeune ouvrier boulanger italien, Santo Caserio.
 
27 juin: Jean Casimir Perier est élu à la présidence de la République.
 
1er juillet: Charles Dupuy forme son troisième ministère. Sadi Carnot a le droit à des funérailles nationales.
 
3 juillet: Casimir-Perier affirme dans un message aux Chambres qu'il a l'intention de "ne laisser ni méconnaître ni prescrire les droits que la Constitution lui conférait".
 
22 juillet: Lors de la première course automobile entre Paris et Rouen, le marquis Albert de Dion atteint le recors de vitesse de 22 kilomètres heures.
 
28 juillet: La loi de sûreté générale, dernière des "lois scélérates" est votée pour lutter contre les anarchistes. Elle les vise directement en les nommant et en leur interdisant tout type de propagande. De nombreux journaux anarchistes comme le Père Peinard sont interdits. C'est une atteinte directe à la liberté de la presse.

16 août: Caserio est guillotiné.

TÉMOIGNAGES DANS LA LITTÉRATURE ET LA CHANSON

Les Lois sociales et le colonialisme :

LIVRES :

Eric Fromant, Jules Ferry cet inconnu, chez l'Harmattan

Jean Michel Gaillard, Jules Ferry, chez Fayard

Jérôme Grévy, La République des opportunistes, chez Perrin

Gilles Manceron, Le tournant colonial de la République, La Découverte

Marie-Joëlle Redor, De l'État légal à l'État de droit l'évolution des conceptions de la doctrine publiciste française (1879-1914) revue internationale de droit comparé

DOCUMENTAIRES :

L'école de Jules Ferry à voir sur You Tube

Le Boulangisme :

LIVRES :

F. Pisani-Ferry, Le coup d'État manqué du 16 mai 1877, Rober Laffont

Jean Garrigues, le boulangisme, PUF collection Que sais - je ?

Adrien Dansette, le boulangisme, Arthème Fayard

Braibant Charles, Le secret d'Anatole France de boulangisme au Panama, Denoël

CHANSON :

En r'venant d'la revue chantée par Jean Péheu à écouter sur You Tube

En r'venant d'la revue chantée par Bourvil à écouter sur You Tube

DOCUMENTAIRE :

Le Général Boulanger, ni gauche ni droite, à voir sur YOU TUBE

Les attentats anarchistes

LIVRES :

Pierre Truche : L'anarchiste et son juge chez Fayard

Jean Maitron : Ravachol et les anarchistes chez Julliard

Henri Varennes : De Ravachol à Caserio chez Garnir frères

La construction de la tour Eiffel

LIVRES :

Frédéric Seitz : Le triomphe de l'ingénieur chez Armand Collin

DOCUMENTAIRE :

La construction de la Tour Eiffel, à voir sur You Tube

Le Scandale de Panama

LIVRES :

Jean - Yves Mollier : Le Scandale de Panama chez Fayard

DOCUMENTAIRE :

Le Canal de Panama (1879 -1914) à voir sur You Tube

Traité de réassurance signé à Berlin, le 18 juin 1887

À la fin du XIXe siècle, à la suite de la crise amorcée par les troubles en Herzégovine en 1875, circonscrite et achevée par le Congrès de Berlin, en 1878, les Puissances centrales forment un réseau d'alliances pour « assurer le maintien de l'ordre social et politique dans leurs États respectifs ».
L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie concluent d'abord, le 7 octobre 1879, une solide alliance, la Duplice, dirigée contre la Russie et la France, qui les lie jusqu'en 1914. Les deux pays forment ensuite la Triple Alliance ou Triplice avec l'Italie, le 20 mai 1882, alors que l'Italie craint un conflit avec la France en Afrique du Nord. Cet accord conclu initialement pour cinq ans est confirmé en 1887, avec un traité italo-autrichien relatif à une action concertée dans les Balkans et la mer Égée, et un traité italo-allemand dirigé contre la France.

Mais en 1887,  tandis que l'Autriche s'entend avec l'Italie et la Grande-Bretagne (mars et décembre 1887) pour l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman et le statu quo en Méditerranée, le traité de réassurance ne lie que l'Allemagne et la Russie. Les ambitions opposées de l'Autriche, de la Russie et bientôt de l'Italie dans les Balkans ruinent ainsi l'édifice de la diplomatie allemande : Après la démission de Bismarck en 1890, le nouvel empereur, Guillaume II, choisit définitivement l'Autriche et tente de se rapprocher de la Grande-Bretagne. La Russie, isolée, se tourne alors vers la France.

Traité de réassurance, signé à Berlin, le 18 juin 1887, entre l'Allemagne et la Russie.
Les ratifications ont été échangées le 25 juin 1887.

Les Cours impériales d'Allemagne et de Russie animées d'un égal désir de consolider la paix générale par une entente destinée à assurer la position défensive de Leurs États respectifs, ont résolu de consacre par un arrangement spécial l'accord établi entre Elles en vue de l'expiration, à la date du 15/27 Juin1887, de la validité du traité et du protocole secrets, signés en 1881 et renouvelés en 1884 par les trois Cours d'Allemagne, de Russie
et d'Autriche-Hongrie.
A cet effet les deux Cours ont nommé comme Plénipotentiaires :
Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne, Roi de Prusse : le Sieur Herbert, Comte de Bismarck-Schoenhausen, Son Secrétaire d'État au département des affaires étrangères ;
Sa Majesté l'Empereur de Toutes les Russies : le Sieur Paul Comte Schouvaloff, Son Ambassadeur Extraordinaire
et Plénipotentiaire près Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne, Roi de Prusse.
Lesquels munis de pleins-pouvoirs, qui ont été trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Article I.

Dans le cas où l'une des hautes Parties contractantes se trouverait en guerre avec une troisième Grande Puissance, l'autre maintiendrait à son égard une neutralité bienveillante et vouerait ses soins à la localisation du conflit. Cette disposition ne s'appliquerait pas à une guerre contre l'Autriche ou la France dans le cas, où cette guerre résulterait d'une attaque dirigée contre l'une de ces deux dernières Puissances, par l'une des hautes Parties contractantes.

Article II.

L'Allemagne reconnaît les droits historiquement acquis à la Russie dans la presqu'île Balkanique et particulièrement
la légitimité de son influence prépondérante et décisive en Bulgarie et en Roumélie Orientale. Les deux Cours s'engagent à n'admettre aucune modification du statu quo territorial de la dite Péninsule sans un accord préalable entre Elles, et à s'opposer éventuellement à toute tentative de porter atteinte à ce statu quo, ou de le modifier sans leur consentement.

Article III.

Les deux Cours reconnaissent le caractère Européen et mutuellement obligatoire du principe de la fermeture des détroits du Bosphore et des Dardanelles, fondé sur le droit des gens, confirmé par les traités et résumé dans la déclaration du Second Plénipotentiaire de Russie à la séance du 12 Juillet du Congrès de Berlin (protocole 19).
Elles veilleront en commun à ce que la Turquie ne fasse pas d'exception à cette règle en faveur des intérêts d'un Gouvernement quelconque en prêtant à des opérations guerrières d'une Puissance belligérante la partie de Son Empire que forment les détroits. En cas d'infraction, ou pour la prévenir si une pareille infraction était à prévoir, les deux Cours avertiront la Turquie qu'elles la considéreraient, le cas échéant, comme s'étant mise en état de guerre vis-à-vis de la partie lésée et comme s'étant privée dès lors des bénéfices de sécurité assurés par le traité de Berlin à son statu quo territorial.

Article IV.

Le présent traité sera en vigueur pendant l'espace de trois ans à dater du jour de l'échange des ratifications.

Article V.

Les hautes Parties contractantes se promettent mutuellement le secret sur le contenu et sur l'existence du présent traité et du protocole y annexé.

Article VI.

Le présent traité sera ratifié et les Ratifications en seront échangées à Berlin dans l'espace de quinze jours ou plus tôt si faire se peut.
En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs ont signé le présent traité et y ont apposé le sceau de leurs armes.
Fait à Berlin, le dix-huitième jour du mois de Juin mil huit cent quatre-vingt-sept.
(L. S.) Comte Bismarck.
(L. S.) Comte Paul Schouvaloff.

Protocole additionnel et très secret

Afin de compléter les stipulations des Articles II et III du traité secret conclu à cette même date, les deux Cours sont tombées d'accord sur les points suivants :
1. L'Allemagne prêtera, comme par le passé, Son concours à la Russie afin de rétablir en Bulgarie un Gouvernement
régulier et légal. — Elle promet de ne donner en aucun cas Son consentement à la restauration du Prince de Battenberg.
2. Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur de Russie Se verrait dans la nécessité d'assumer Lui-même la tâche de défendre l'entrée de la Mer Noire pour sauvegarder les intérêts de la Russie, l'Allemagne s'engage à accorder Sa neutralité bienveillante et Son appui moral et diplomatique aux mesures que Sa Majesté jugerait nécessaire de prendre pour garder la clef de Son Empire.
3. Le présent protocole fait partie intégrante du traité secret signé en ce jour à Berlin et aura même force et valeur.

En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont signé et y ont apposé le sceau de leurs armes.

Fait à Berlin, le dix-huitième jour du mois de juin mil huit cent quatre-vingt-sept.
(L. S.) Comte Bismarck.
(L. S.) Comte Paul Schouvaloff.

RERUM NOVARUM

RERUM NOVARUM

LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII

A tous Nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

La soif d'innovations (1) qui depuis longtemps s'est emparée des sociétés et les tient dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard, passer des régions de la politique dans la sphère voisine de l'économie sociale. En effet, l'industrie s'est développée et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et la multitude a été laissée dans l'indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus haute d'eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime. Tous ces faits, sans parler de la corruption des moeurs, ont eu pour résultat un redoutable conflit.
 

Partout, les esprits sont en suspens et dans une anxieuse attente, ce qui seul suffit à prouver combien de graves intérêts sont ici engagés. Cette situation préoccupe à la fois le génie des savants, la prudence des sages, les délibérations des réunions populaires, la perspicacité des législateurs et les conseils des gouvernants. En ce moment, il n'est pas de question qui tourmente davantage l'esprit humain.
 

C'est pourquoi, Vénérables Frères, ce que, pour le bien de l'Eglise et le salut commun des hommes, Nous avons fait ailleurs par Nos Lettres sur la Souveraineté politique (2), la Liberté humaine (3), la Constitution chrétienne des Etats (4), et sur d'autres sujets analogues, afin de réfuter selon qu'il Nous semblait opportun les opinions erronées et fallacieuses, Nous jugeons devoir le réitérer aujourd'hui et pour les mêmes motifs en vous entretenant de la Condition des ouvriers. Ce sujet, Nous l'avons, suivant l'occasion, effleuré plusieurs fois. Mais la conscience de Notre charge apostolique Nous fait un devoir de le traiter dans cette encyclique plus explicitement et avec plus d'ampleur, afin de mettre en évidence les principes d'une solution conforme à la vérité et à l'équité.
 

Le problème n'est pas aisé à résoudre, ni exempt de péril. Il est difficile, en effet, de préciser avec justesse les droits et les devoirs qui règlent les relations des riches et des prolétaires, des capitalistes et des travailleurs. D'autre part, le problème n'est pas sans danger, parce que trop souvent d'habiles agitateurs cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour exciter les multitudes et fomenter les troubles.
 

Quoi qu'il en soit, Nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritées.
 

Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes qui étaient pour eux une protection. Les sentiments religieux du passé ont disparu des lois et des institutions publiques et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrer à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter la concentration entre les mains de quelques-uns de l'industrie et du commerce devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires.
 

Les socialistes, pour guérir ce mal, poussent à la haine jalouse des pauvres contre les riches. Ils prétendent que toute propriété de biens privés doit être supprimée, que les biens d'un chacun doivent être communs à tous, et que leur administration doit revenir aux municipalités ou à l'Etat. Moyennant ce transfert des propriétés et cette égale répartition entre les citoyens des richesses et de leurs avantages, ils se flattent de porter un remède efficace aux maux présents.
 

Mais pareille théorie, loin d'être capable de mettre fin au conflit, ferait tort à la classe ouvrière elle-même, si elle était mise en pratique. D'ailleurs, elle est souverainement injuste en ce qu'elle viole les droits légitimes des propriétaires, qu'elle dénature les fonctions de l'Etat et tend à bouleverser de fond en comble l'édifice social. De fait, comme il est facile de le comprendre, la raison intrinsèque du travail entrepris par quiconque exerce un métier, le but immédiat visé par le travailleur, c'est d'acquérir un bien qu'il possédera en propre et comme lui appartenant.
 

Car s'il met à la disposition d'autrui ses forces et son énergie, ce n'est évidemment que pour obtenir de quoi pourvoir à son entretien et aux besoins de la vie. Il attend de son travail le droit strict et rigoureux, non seulement de recevoir son salaire, mais encore d'en user comme bon lui semblera.
 

Si donc, en réduisant ses dépenses, il est arrivé à faire quelques épargnes et si, pour s'en assurer la conservation, il les a par exemple réalisées dans un champ, ce champ n'est assurément que du salaire transformé. Le fonds acquis ainsi sera la propriété de l'ouvrier, au même titre que la rémunération même de son travail. Or, il est évident qu'en cela consiste précisément le droit de propriété mobilière et immobilière.
 

Ainsi, cette conversion de la propriété privée en propriété collective, préconisée par le socialisme, n'aurait d'autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant, par le fait même, tout espoir et toute possibilité d'agrandir leur patrimoine et d'améliorer leur situation.
 

Mais, et ceci paraît plus grave encore, le remède proposé est en opposition flagrante avec h justice, car la propriété privée et personnelle est pour l'homme de droit naturel.
 

Il y a en effet, sous ce rapport, une très grande différence entre l'homme et les animaux sans raison. Ceux-ci ne se gouvernent pas eux-mêmes; ils sont dirigés et gouvernés par la nature, moyennant un double instinct qui, d'une part, tient leur activité constamment en éveil et en développe les forces, de l'autre, provoque tout à la fois et circonscrit chacun de leurs mouvements. Un premier instinct les porte à la conservation et à la défense de leur vie propre, un second à la propagation de l'espèce. Les animaux obtiennent aisément ce double résultat par l'usage des choses présentes, mises à leur portée. Ils seraient d'ailleurs incapables de tendre au-delà, puisqu'ils ne sont mus que par les sens et par chaque objet particulier que les sens perçoivent. Bien autre est la nature humaine. En l'homme d'abord se trouvent en leur perfection les facultés de l'animal. Dès lors, il lui revient, comme à l'animal, de jouir des objets matériels. Mais ces facultés, même possédées dans leur plénitude, bien loin de constituer toute la nature humaine, lui sont bien inférieures et sont faites pour lui obéir et lui être assujetties. Ce qui excelle en nous, qui nous fait hommes et nous distingue essentiellement de la bête, c'est l'esprit ou la raison. En vertu de cette prérogative, il faut reconnaître à l'homme, non seulement la faculté générale d'user des choses extérieures à la façon des animaux, mais en plus le droit stable et perpétuel de les posséder, tant celles qui se consomment par l'usage que celles qui demeurent après nous avoir servi.
 

Une considération plus profonde de la nature humaine va faire ressortir mieux encore cette vérité. L'homme embrasse par son intelligence une infinité d'objets; aux choses présentes, il ajoute et rattache les choses futures; il est le maître de ses actions. Aussi, sous la direction de la loi éternelle et sous le gouvernement universel de la Providence divine, est-il en quelque sorte à lui-même, et sa loi, et sa providence. C'est pourquoi il a le droit de choisir les choses qu'il estime les plus aptes à pourvoir, non seulement au présent, mais encore au futur. Il doit donc avoir sous sa domination, non seulement les produits de la terre, mais encore la terre elle-même qu'il voit appelée à être, par sa fécondité, la pourvoyeuse de son avenir. Les nécessités de l'homme ont pour ainsi dire de perpétuels retours: satisfaites aujourd'hui, elles renaissent demain avec de nouvelles exigences. Il a donc fallu, pour qu'il pût y faire droit en tout temps, que la nature naît à sa disposition un élément stable et permanent, capable de lui en fournir perpétuellement les moyens. Or, cette perpétuité de ressources ne pouvait être fournie que par la terre avec ses richesses inépuisables.
 

Et qu'on n'en appelle pas à la providence de l'Etat, car l'Etat est postérieur à l'homme. Avant qu'il pût se former, l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre et de protéger son existence.
 

Qu'on n'oppose pas non plus à la légitimité de la propriété privée le fait que Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu'il l'utilise et en jouisse. Si l'on dit que Dieu l'a donnée en commun aux hommes, cela signifie non pas qu'ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n'a assigné de part à aucun homme en particulier.
 

Il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples. Au reste, quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu'il n'est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des champs. Qui en manque y supplée par le travail. C'est pourquoi l'on peut affirmer en toute vérité que le travail est le moyen universel de pourvoir aux besoins de la vie, soit qu'on l'exerce sur sa propre terre ou dans quelque métier dont la rémunération se tire seulement des produits de la terre et s'échange avec eux.
 

De tout cela, il ressort une fois de plus que la propriété privée est pleinement conforme à la nature. La terre, sans doute, fournit à l'homme avec abondance les choses nécessaires à la conservation de sa vie et, plus encore, à son perfectionnement, mais elle ne le pourrait d'elle-même sans la culture et les soins de l'homme.
 

Or, celui-ci, consacrant son génie et ses forces à l'utilisation de ces biens de la nature, s'attribue par le fait même cette part de la nature matérielle qu'il a cultivée et où il a laissé comme une certaine empreinte de sa personne, si bien qu'en toute justice il en devient le propriétaire et qu'il n'est permis d'aucune manière de violer son droit.
 

La force de ces raisonnements est d'une évidence telle qu'il est permis de s'étonner que certains tenants d'opinions surannées puissent encore y contredire, en accordant sans doute il l'individu l'usage du sol et les fruits des champs, mais en lui refusant le droit de posséder en qualité de propriétaire ce sol où il a bâti, cette portion de terre qu'il a cultivée. Ils ne voient donc pas qu'ils dépouillent par là cet homme du fruit de son labeur. Ce champ travaillé par la main du cultivateur a changé complètement d'aspect: il était sauvage, le voilà défriché; d'infécond, il est devenu fertile. Ce qui l'a rendu meilleur est inhérent au sol et se confond tellement avec lui, qu'il serait en grande partie impossible de l'en séparer. Or, la justice tolérerait-elle qu'un étranger vînt alors s'attribuer et utiliser cette terre arrosée des sueurs de celui qui l'a cultivée ? De même que l'effet suit la cause, ainsi est-il juste que le fruit du travail soit au travailleur.
 

C'est donc avec raison que l'universalité du genre humain, sans s'émouvoir des opinions contraires d'un petit groupe, reconnaît, en considérant attentivement la nature, que dans ses lois réside le premier fondement de la répartition des biens et des propriétés privées. C'est avec raison que la coutume de tous les siècles a sanctionné une situation si conforme à la nature de l'homme et à la vie calme et paisible des sociétés. De leur côté, les lois civiles qui tirent leur valeur, quand elles sont justes, de la loi naturelle, confirment ce même droit et le protègent par la force. Enfin, l'autorité des lois divines vient y apposer son sceau en défendant, sous une peine très grave, jusqu'au désir même du bien d'autrui. "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni son champ, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien de ce qui est à lui" (5).
 

Cependant, ces droits qui sont innés à chaque homme pris isolément apparaissent plus rigoureux encore quand on les considère dans leurs relations et leur connexité avec les devoirs de la vie domestique. Nul doute que, dans le choix d'un genre de vie, il ne soit loisible à chacun, ou de suivre le conseil de Jésus-Christ sur la virginité, ou de contracter mariage. Aucune loi humaine ne saurait enlever d'aucune façon le droit naturel et primordial de tout homme au mariage, ni écarter la fin principale pour laquelle il a été établi par Dieu dès l'origine : "Croissez et multipliez-vous" (6) Voilà donc constituée la famille, c'est-à-dire la société domestique, société très petite sans doute, mais réelle et antérieure à toute société civile à laquelle, dès lors, il faudra de toute nécessité attribuer certains droits et certains devoirs absolument indépendants de l'Etat.
 

Ce droit de propriété que Nous avons, au nom même de la nature, revendiqué pour l'individu, doit être maintenant transféré à l'homme, chef de famille. Bien plus, en passant dans la société domestique, il y acquiert d'autant plus de force que la personne humaine y reçoit plus d'extension. La nature impose au père de famille le devoir sacré de nourrir et d'entretenir ses enfants. De plus, comme les enfants reflètent la physionomie de leur père et sont une sorte de prolongement de sa personne, la nature lui inspire de se préoccuper de leur avenir et de leur créer un patrimoine qui les aide à se défendre honnêtement dans les vicissitudes de la vie, contre les surprises de la mauvaise fortune. Or, il ne pourra leur créer ce patrimoine sans posséder des biens productifs qu'il puisse leur transmettre par voie d'héritage.
 

Aussi bien que la société civile, la famille, comme Nous l'avons dit plus haut, est une société proprement dite, avec son autorité propre qui est l'autorité paternelle. C'est pourquoi, toujours sans doute dans la sphère que lui détermine sa fin immédiate, elle jouit, pour le choix et l'usage de tout ce qu'exigent sa conservation et l'exercice d'une juste indépendance, de droits au moins égaux à ceux de la société civile. Au moins égaux, disons-Nous, car la société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle, auxquelles participent nécessairement ses droits et ses devoirs. Si les citoyens, si les familles entrant dans la société humaine y trouvaient, au lieu d'un soutien, un obstacle, au lieu d'une protection, une diminution de leurs droits, la société serait plutôt à rejeter qu'à rechercher.
 

C'est une erreur grave et funeste de vouloir que le pouvoir civil pénètre à sa guise jusque dans le sanctuaire de la famille. Assurément, s'il arrive qu'une famille se trouve dans une situation matérielle critique et que, privée de ressources, elle ne puisse d'aucune manière en sortir par elle-même, il est juste que, dans de telles extrémités, le pouvoir public vienne à son secours, car chaque famille est un membre de la société. De même, si un foyer domestique est quelque part le théâtre de graves violations des droits mutuels, il faut que le pouvoir public y rétablisse le droit de chacun. Ce n'est point là empiéter sur les droits des citoyens, mais leur assurer une défense et une protection réclamées par la justice. Là toutefois doivent s'arrêter ceux qui détiennent les pouvoirs publics' la nature leur interdit de dépasser ces limites.
 

L'autorité paternelle ne saurait être abolie ni absorbée par l'Etat, car elle a sa source là où la vie humaine prend la sienne. " Les fils sont quelque chose de leur père. " Ils sont en quelque sorte une extension de sa personne. Pour parler exactement, ce n'est pas immédiatement par eux-mêmes qu'ils s'agrègent et s'incorporent à la société civile, mais par l'intermédiaire de la société familiale dans laquelle ils sont nés. De ce que " les fils sont naturellement quelque chose de leur père, ils doivent rester sous la tutelle des parents jusqu'à ce qu'ils aient acquis l'usage du libre arbitre. " (7) Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l'Etat, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille.
 

Mais on ne voit que trop les funestes conséquences de leur système: ce serait la confusion et le bouleversement de toutes les classes de la société, l'asservissement tyrannique et odieux des citoyens. La porte serait grande ouverte à l'envie réciproque, aux manoeuvres diffamatoires, à la discorde. Le talent et l'esprit d'initiative personnels étant privés de leurs stimulants, la richesse, par une conséquence nécessaire, serait tarie dans sa source même. Enfin le mythe tant caressé de l'égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu'un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité.
 

De tout ce que Nous venons de dire, il résulte que la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier comme préjudiciable à ceux-là mêmes qu'on veut secourir, contraire aux droits naturels des individus, comme dénaturant les fonctions de l'Etat et troublant la tranquillité publique. Que ceci soit donc bien établi : le premier principe sur lequel doit se baser le relèvement des classes inférieures est l'inviolabilité de la propriété privée.
 

A l'aide de ces données, Nous allons montrer où l'on peut trouver le remède que l'on cherche. C'est avec assurance que Nous abordons ce sujet, et dans toute la plénitude de Notre droit. La question qui s'agite est d'une nature telle, qu'à moins de faire appel à la religion et à l'Eglise, il est impossible de lui trouver jamais une solution. Or, comme c'est à Nous principalement qu'ont été confiées la sauvegarde de la religion et la dispensation de ce qui est du domaine de l'Eglise, Nous taire serait aux yeux de tous négliger Notre devoir.
 

Assurément, une question de cette gravité demande encore à d'autres agents leur part d'activité et d'efforts. Nous voulons parler des chefs d'État, des patrons et des riches, des ouvriers eux-mêmes dont le sort est ici en jeu. Mais ce que Nous affirmons sans hésitation, c'est l'inanité de leur action en dehors de celle de l'Eglise. C'est l'Eglise, en effet, qui puise dans l'Evangile des doctrines capables, soit de mettre fin au conflit, soit au moins de l'adoucir en lui enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur; l'Eglise, qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de ses enseignements, mais s'efforce encore de régler en conséquence la vie et les moeurs de chacun; l'Eglise qui, par une foule d'institutions éminemment bienfaisantes, tend à améliorer le sort des classes pauvres; l'Eglise qui veut et désire ardemment que toutes les classes mettent en commun leurs lumières et leurs forces, pour donner à la question ouvrir la meilleure solution possible; l'Eglise enfin qui estime que les lois et l'autorité publique doivent, avec mesure et avec sagesse sans doute, apporter à cette solution leur part de concours.
 

Le premier principe à mettre en avant, c'est que l'homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l'élévation de tous au même niveau. Sans doute, c'est là ce que poursuivent les socialistes. Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C'est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes; différences d'intelligence, de talent, de santé, de force; différences nécessaires d'où naît spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité d'ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme des individus. La vie sociale requiert dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses, et le meilleur stimulant à assumer ces fonctions est, pour les hommes, la différence de leurs conditions respectives.
 

Pour ce qui regarde le travail en particulier, même dans l'état d'innocence, l'homme n'était nullement destiné à vivre dans l'oisiveté. Mais ce que la volonté eût embrassé librement comme un exercice agréable est devenu, après le péché, une nécessité imposée comme une expiation et accompagnée de souffrance. "La terre est maudite à cause de toi. C'est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie" (8).
 

De même, toutes les autres calamités qui ont fondu sur l'homme n'auront pas ici-bas de fin ni de trêve, parce que les funestes conséquences du péché sont dures à supporter, amères, pénibles, et qu'elles se font sentir à l'homme, sans qu'il puisse y échapper, jusqu'à la fin de sa vie. Oui, la douleur et la souffrance sont l'apanage de l'humanité, et les hommes auront beau tout essayer, tout tenter pour les bannir, ils n'y réussiront jamais, quelques ressources, qu'ils déploient et quelques forces qu'ils mettent en jeu. S'il en est qui s'en attribuent le pouvoir, s'il en est qui promettent au pauvre une vie exempte de souffrances et de peines, tout adonnée au repos et à de perpétuelles jouissances, ceux-là certainement trompent le peuple et le bercent d'illusions d'où sortiront un jour des maux plus grands que ceux du présent. Il vaut mieux voir les choses telles qu'elles sont et, comme Nous l'avons dit, chercher ailleurs un remède capable de soulager nos maux.
 

L'erreur capitale, dans la question présente, c'est de croire que les deux classes sont ennemies-nées l'une de l'autre, comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné. C'est là une affirmation à ce point déraisonnable et fausse que la vérité se trouve dans une doctrine absolument opposée.
 

Dans le corps humain, les membres malgré leur diversité s'adaptent merveilleusement l'un à l'autre, de façon à former un tout exactement proportionné et que l'on pourrait appeler symétrique. Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s'unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l'une de l'autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l'ordre et la beauté. Au contraire, d'un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion des luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés.
 

Et d'abord tout l'ensemble des vérités religieuses, dont l'Eglise est la gardienne et l'interprète, est de nature à rapprocher et à réconcilier les riches et les pauvres, en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels et, avant tous les autres, ceux qui dérivent de la justice.
 

Parmi ces devoirs, voici ceux qui regardent le pauvre et l'ouvrier. Il doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat libre et conforme à l'équité. Il ne doit point léser son patron, ni dans ses biens, ni dans sa personne. Ses revendications mêmes doivent être exemptes de violences et ne jamais revêtir la forme de séditions. Il doit fuir les hommes pervers qui, dans des discours mensongers, lui suggèrent des espérances exagérées et lui font de grandes promesses qui n'aboutissent qu'à de stériles regrets et à la ruine des fortunes.
 

Quant aux riches et aux patrons, ils ne doivent point traiter l'ouvrier en esclave; il est juste qu'ils respectent en lui la dignité de l'homme, relevée encore par celle du chrétien. Le travail du corps, au témoignage commun de la raison et de la philosophie chrétienne, loin d'être un sujet de honte, fait honneur à l'homme, parce qu'il lui fournit un noble moyen de sustenter sa vie. Ce qui est honteux et inhumain, c'est d'user de l'homme comme d'un vil instrument de lucre, de ne restituer qu'en proportion de la vigueur de ses bras. Le christianisme, en outre, prescrit qu'il soit tenu compte des intérêts spirituels de l'ouvrier et du bien de son âme. Aux patrons, il revient de veiller à ce que l'ouvrier ait un temps suffisant à consacrer à la piété; qu'il ne soit point livré à la séduction et aux sollicitations corruptrices; que rien ne vienne affaiblir en lui l'esprit de famille, ni les habitudes d'économie. Il est encore défendu aux patrons d'imposer à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe.
 

Mais, parmi les devoirs principaux du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient. Assurément, pour fixer la juste mesure du salaire, il y a de nombreux points de vue à considérer. Mais d'une manière générale, que le riche et le patron se souviennent qu'exploiter la pauvreté et la misère, et spéculer sur l'indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines. Ce serait un crime à crier vengeance au ciel, que de frustrer quelqu'un du prix de ses labeurs. "Voilà que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et que leur clameur est montée jusqu'aux oreilles du Dieu des armées". (9)
 

Enfin, les riches doivent s'interdire religieusement tout acte violent, toute fraude, toute manoeuvre usuraire qui serait de nature à porter atteinte à l'épargne du pauvre, d'autant plus que celui-ci est moins apte à se défendre, et que son avoir est plus sacré parce que plus modique.
 

L'obéissance à ces lois, Nous le demandons, ne suffirait-elle pas à elle seule pour faire cesser tout antagonisme et en supprimer les causes ? L'Eglise, toutefois, instruite et dirigée par Jésus-Christ, porte ses vues encore plus haut. Elle propose un ensemble de préceptes plus complet, parce qu'elle ambitionne de resserrer l'union des deux classes jusqu'à les unir l'une à l'autre par les liens d'une véritable amitié.
 

Nul ne saurait avoir une intelligence vraie de la vie mortelle, ni l'estimer à sa juste valeur, s'il ne s'élève jusqu'à la considération de cette autre vie qui est immortelle. Celle-ci supprimée, toute espèce et toute vraie notion de bien disparaît. Bien plus, l'univers entier devient un impénétrable mystère. Quand nous aurons quitté cette vie, alors seulement nous commencerons à vivre. Cette vérité qui nous est enseignée par la nature elle-même est un dogme chrétien. Sur lui repose, comme sur son premier fondement, tout l'ensemble de la religion. Non, Dieu ne nous a point faits pour ces choses fragiles et caduques, mais pour les choses célestes et éternelles. Il nous a donné cette terre, non point comme une demeure fixe, mais comme un lieu d'exil.
 

Que vous abondiez en richesses et en tout ce qui est réputé biens de la fortune, ou que vous en soyez privé, cela n'importe nullement à l'éternelle béatitude. Ce qui importe, c'est l'usage que vous en faites. Malgré la plénitude de la rédemption qu'il nous apporte, Jésus-Christ n'a point supprimé les afflictions qui forment presque toute la trame de la vie mortelle ; il en a fait des stimulants de la vertu et des sources de mérite, en sorte qu'il n'est point d'homme qui puisse prétendre aux récompenses s'il ne marche sur les traces sanglantes de Jésus-Christ. "Si nous souffrons avec lui, nous régnerons avec lui" (10).
 

D'ailleurs, en choisissant de plein gré la croix et les tourments, il en a singulièrement adouci la force et l'amertume. Afin de nous rendre la souffrance encore plus supportable, à l'exemple il a ajouté sa grâce et la promesse d'une récompense sans fin: "Car le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une gloire souveraine et incomparable" (11).
 

Ainsi, les fortunés de ce monde sont avertis que les richesses ne les mettent pas à couvert de la douleur, qu'elles ne sont d'aucune utilité pour la vie éternelle, mais plutôt un obstacle (12), qu'ils doivent trembler devant les menaces insolites que Jésus-Christ profère contre les riches (13) ; qu'enfin il viendra un jour où ils devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l'usage qu'ils auront fait de leur fortune.
 

Sur l'usage des richesses, voici l'enseignement d'une excellence et d'une importance extrême que la philosophie a pu ébaucher, mais qu'il appartenait à l'Eglise de nous donner dans sa perfection et de faire passer de la théorie à la pratique. Le fondement de cette doctrine est dans la distinction entre la juste possession des richesses et leur usage légitime. La propriété privée, Nous l'avons vu plus haut, est pour l'homme de droit naturel. L'exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire. " Il est permis à l'homme de posséder en propre et c'est même nécessaire à la vie humaine. " (14) Mais si l'on demande en quoi il faut faire consister l'usage des biens, l'Eglise répond sans hésitation : " Sous ce rapport, l'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C'est pourquoi l'Apôtre a dit : " Ordonne aux riches de ce siècle... de donner facilement, de communiquer leurs richesses (15)". "(16)
 

Nul assurément n'est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou la bienséance imposent à sa personne : " Nul, en effet, ne doit vivre contrairement aux convenances. " (17)
 

Mais dès qu'on a accordé ce qu'il faut à la nécessité, à la bienséance, c'est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. "Ce qui reste, donnez-le en aumône" (18). C'est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d'extrême nécessité, mais de charité chrétienne, un devoir par conséquent dont on ne peut poursuivre l'accomplissement par l'action de la loi.
 

Mais au-dessus des jugements de l'homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus-Christ, notre Dieu, qui nous persuade de toutes manières de faire habituellement l'aumône. "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir" (19), dit-il. Le Seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l'aumône qu'on aura faite ou refusée aux pauvres. "Chaque fois que vous avez fait l'aura ne à l'un des moindres de mes frères que vous voyez, c'est à moi que vous l'avez faite" (20).

Du reste, voici en quelques mots le résumé de cette doctrine. Quiconque a reçu de la divine Bonté une plus grande abondance, soit des biens extérieurs et du corps, soit des biens de l'âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement et également, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. C'est pourquoi " quelqu'un a-t-il le talent de la parole, qu'il prenne garde de se taire; une surabondance de biens, qu'il ne laisse pas la miséricorde s'engourdir au fond de son cœur; l'art de gouverner, qu'il s'applique avec soin à en partager avec son frère et l'exercice et les bienfaits. " (21)
 

Quant aux déshérités de la fortune, ils apprennent de l'Eglise que, selon le jugement de Dieu lui-même, la pauvreté n'est pas un opprobre et qu'il ne faut pas rougir de devoir gagner son pain à la sueur de son front. C'est ce que Jésus-Christ Notre Seigneur a confirmé par son exemple, lui qui, "tout riche qu'il était, s'est fait indigent" (22) pour le salut des hommes; qui, fils de Dieu et Dieu lui-même, a voulu passer aux yeux du monde pour le fils d'un ouvrier; qui est allé jusqu'à consumer une grande partie de sa vie dans un travail mercenaire. "N'est-ce pas le charpentier, fils de Marie ?" (23)
 

Quiconque tiendra sous son regard le Modèle divin comprendra plus facilement ce que Nous allons dire: la vraie dignité de l'homme et son excellence résident dans ses moeurs, c'est-à-dire dans sa vertu; la vertu est le patrimoine commun des mortels, à la portée de tous, des petits et des grands, des pauvres et des riches; seuls la vertu et les mérites, partout où on les rencontre, obtiendront la récompense de l'éternelle béatitude. Bien plus, c'est vers les classes infortunées que le coeur de Dieu semble s'incliner davantage. Jésus-Christ appelle les pauvres des bienheureux (24), il invite avec amour à venir à lui, afin qu'il les console, tous ceux qui souffrent et qui pleurent (25) il embrasse avec une charité plus tendre les petits et les opprimés. Ces doctrines sont bien faites certainement pour humilier l'âme hautaine du riche et le rendre plus condescendant, pour relever le courage de ceux qui souffrent et leur inspirer de la résignation. Avec elle, se trouverait diminuée cette distance que l'orgueil se plaît à maintenir; on obtiendrait sans peine que des deux côtés on se donnât la main et que les volontés s'unissent dans une même amitié.
 

Mais c'est encore trop peu de la simple amitié : si l'on obéit aux préceptes du christianisme, c'est dans l'amour fraternel que s'opérera l'union. De part et d'autre, on saura et l'on comprendra que les hommes sont tous absolument issus de Dieu, leur Père commun; que Dieu est leur unique et commune fin, et que lui seul est capable de communiquer aux anges et aux hommes une félicité parfaite et absolue; que tous ils ont été également rachetés par Jésus-Christ et rétablis par lui dans leur dignité d'enfants de Dieu, et qu'ainsi un véritable lien de fraternité les unit, soit entre eux, soit au Christ leur Seigneur qui est le "premier-né parmi un grand nombre de frères". (26) Ils sauront enfin que tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce appartiennent en commun et indistinctement à tout le genre humain, et qu'il n'y a que les indignes qui soient déshérités des biens célestes. "Si vous êtes fils, vous êtes aussi héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ" (27).
 

Tel est l'ensemble des droits et des devoirs qu'enseigne la philosophie chrétienne. Ne verrait-on pas l'apaisement se faire à bref délai, si ces enseignements pouvaient prévaloir dans les sociétés ?
 

Cependant, l'Eglise ne se contente pas d'indiquer où se trouve le remède, elle l'applique au mal de sa propre main. Elle est tout occupée à instruire et à élever les hommes d'après ses principes et sa doctrine. Elle a soin d'en répandre les eaux vivifiantes aussi loin et aussi largement qu'il lui est possible, par le ministère des évêques et du clergé. Puis, elle s'efforce de pénétrer dans les âmes et d'obtenir des volontés qu'elles se laissent conduire et gouverner par la règle des préceptes divins. Sur ce point capital et de très grande importance, parce qu'il renferme comme le résumé de tous les intérêts en cause, l'action de l'Eglise est souveraine. Les instruments dont elle dispose pour toucher les âmes lui ont été donnés à cette fin par Jésus-Christ et ils portent en eux une efficacité divine. Ils sont les seuls aptes à pénétrer jusque dans les profondeurs du coeur humain, les seuls capables d'amener l'homme à obéir aux injonctions du devoir, à maîtriser ses passions, à aimer Dieu et son prochain d'une charité sans mesure, à briser courageusement tous les obstacles qui entravent sa marche dans la voie de la vertu.
 

Il suffit de passer rapidement en revue par la pensée les exemples de l'antiquité. Les choses et les faits que Nous allons rappeler sont hors de toute controverse. Ainsi, il n'est pas douteux que la société civile des hommes ait été foncièrement renouvelée par les institutions chrétiennes ; que cette rénovation a eu pour effet de relever le niveau du genre humain ou, pour mieux dire, de le rappeler de la mort à la vie et de le porter à un si haut degré de perfection qu'on n'en vît de supérieur ni avant ni après, et qu'on n'en verra jamais dans tout le cours des siècles; qu'enfin c'est Jésus-Christ qui a été le principe de ces bienfaits et qui en doit être la fin ; car de même que tout est parti de lui, ainsi tout doit lui être rapporté. Quand donc l'Evangile eut rayonné dans le monde, quand les peuples eurent appris le grand mystère de l'Incarnation du Verbe et de la Rédemption des hommes, la vie de Jésus-Christ, Dieu et homme, envahit les sociétés et les imprégna tout entières de sa foi, de ses maximes et de ses lois. C'est pourquoi, si la société humaine doit être guérie, elle ne le sera que par le retour à la vie et aux institutions du christianisme.
 

A qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d'où est née la société. Aussi, s'écarter de la fin, c'est aller à la mort ; y revenir, c'est reprendre vie.
 

Ce que Nous disons du corps social tout entier s'applique également à cette classe de citoyens qui vivent de leur travail et qui forment la très grande majorité.
 

Qu'on ne pense pas que l'Eglise se laisse tellement absorber par le soin des âmes qu'elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et mortelle. Pour ce qui est en particulier de la classe des travailleurs, elle veut les arracher à la misère et leur procurer un sort meilleur, et elle fait tous ses efforts pour obtenir ce résultat.
 

Et certes, elle apporte à cette oeuvre un très utile concours, par le seul fait de travailler en paroles et en actes à ramener les hommes à la vertu. Dès que les moeurs chrétiennes sont en honneur, elles exercent naturellement sur la prospérité temporelle leur part de bienfaisante influence. En effet, elles attirent la faveur de Dieu, principe et source de tout bien; elles compriment le désir excessif des richesses et la soif des voluptés, ces deux fléaux qui trop souvent jettent l'amertume et le dégoût dans le sein même de l'opulence;(28) elles se contentent enfin d'une vie et d'une nourriture frugales, et suppléent par l'économie à la modicité du revenu, écartant ces vices qui consument non seulement les petites, mais les plus grandes fortunes, et dissipent les plus gros patrimoines.
 

L'Eglise en outre pourvoit encore directement au bonheur des classes déshéritées par la fondation et le soutien d'institutions qu'elle estime propres à soulager leur misère. En ce genre de bienfaits, elle a même tellement excellé que ses propres ennemis ont fait son éloge.
 

Ainsi, chez les premiers chrétiens, telle était la force de la charité mutuelle, qu'il n'était point rare de voir les plus riches se dépouiller de leur patrimoine en faveur des pauvres. Aussi "l'indigence n'était-elle point connue parmi eux" (29).
 

Les Apôtres avaient confié la distribution quotidienne des aumônes aux diacres dont l'ordre avait été spécialement institué à cette fin. Saint Paul lui-même, quoique absorbé par une sollicitude qui embrassait toutes les Eglises, n'hésitait pas à entreprendre de pénibles voyages pour aller en personne porter des secours aux chrétiens indigents. Des secours du même genre étaient spontanément offerts par les fidèles dans chacune de leurs assemblées. Tertullien les appelle les dépôts de la piété, parce qu'on les employait " à entretenir et à inhumer les personnes indigentes, les orphelins pauvres des deux sexes, les domestiques âgés, les victimes du naufrage. " (30)
 

Voilà comment peu à peu s'est formé ce patrimoine que l'Eglise a toujours gardé avec un soin religieux comme le bien propre de la famille des pauvres. Elle est allée jusqu'à assurer des secours aux malheureux, en leur épargnant l'humiliation de tendre la main. Cette commune Mère des riches et des pauvres, profitant des merveilleux élans de charité qu'elle avait partout provoqués, fonda des sociétés religieuses et une foule d'autres institutions utiles qui ne devaient laisser sans soulagement à peu près aucun genre de misère. Il est sans doute un certain nombre d'hommes aujourd'hui qui, fidèles échos des païens d'autrefois, en viennent jusqu'à se faire même, d'une charité aussi merveilleuse, une arme pour attaquer l'Eglise. On a vu une bienfaisance établie par les lois civiles se substituer à la charité chrétienne. Mais cette charité chrétienne, qui se voue tout entière et sans arrière-pensée à l'utilité du prochain, ne peut être suppléée par aucune organisation humaine. L'Église seule possède cette vertu, parce qu'on ne la puise que dans le Coeur sacré de Jésus-Christ, et que c'est errer loin de Jésus-Christ que d'être éloigné de son Eglise.
 

Toutefois, pour obtenir le résultat voulu, il faut sans aucun doute recourir de plus aux moyens humains. Tous ceux que la question regarde doivent donc viser au même but et travailler de concert, chacun dans sa sphère. Il y a là comme une image de la Providence gouvernant le monde ; car nous voyons d'ordinaire que les faits et les événements qui dépendent de causes diverses sont la résultante de leur action commune.
 

Or, que sommes-nous en droit d'attendre de l'Etat pour remédier à la situation ? Disons d'abord que, par Etat, Nous entendons ici, non point tel gouvernement établi chez tel peuple en particulier, mais tout gouvernement qui répond aux préceptes de la raison naturelle et des enseignements divins, enseignements que Nous avons exposés Nous-même, spécialement dans Notre lettre encyclique sur la constitution chrétienne des sociétés (31).
 

Les chefs d'État doivent d'abord apporter un concours d'ordre général par tout l'ensemble des lois et des institutions. Nous voulons dire qu'ils doivent agir en sorte que la constitution et l'administration de la société fassent fleurir naturellement la prospérité, tant publique que privée.
 

Tel est, en effet, l'office de la prudence civile et le devoir propre de tous ceux qui gouvernera. Or, ce qui fait une nation prospère, c'est la probité des moeurs, l'ordre et la moralité comme bases de la famille, la pratique de la religion et le respect de la justice, c'est un taux modéré et une répartition équitable des impôts, le progrès de l'industrie et du commerce, une agriculture florissante et autres éléments du même genre, s'il en est que l'on ne peut développer sans augmenter d'autant le bien-être et le bonheur des citoyens.
 

De même donc que, par tous ces moyens, l'Etat peut se rendre utile aux autres classes, de même il peut grandement améliorer le sort de la classe ouvrière. Il le fera dans toute la rigueur de son droit et sans avoir à redouter le reproche d'ingérence; car en vertu même de son office, l'Etat doit servir l'intérêt commun. Il est évident que plus se multiplieront les avantages résultant de cette action d'ordre général, et moins on aura besoin de recourir à d'autres expédients pour remédier à la condition des travailleurs.
 

Mais voici une autre considération qui atteint plus profondément encore Notre sujet. La raison d'être de toute société est une et commune à tous ses membres, grands et petits. Les pauvres au même titre que les riches sont, de par le droit naturel, des citoyens, c'est-à-dire du nombre des parties vivantes dont se compose, par l'intermédiaire des familles, le corps entier de la nation. A parler exactement, en toutes les cités, ils sont le grand nombre. Comme il serait déraisonnable de pourvoir à une classe de citoyens et de négliger l'autre, il est donc évident que l'autorité publique doit aussi prendre les mesures voulues pour sauvegarder la vie et les intérêts de la classe ouvrière. Si elle y manque, elle viole la stricte justice qui veut qu'on rende à chacun son dû. A ce sujet, saint Thomas dit fort sagement : " De même que la partie et le tout sont, en quelque manière, une même chose, ainsi ce qui appartient au tout est en quelque sorte à chaque partie. " (32)
 

C'est pourquoi, parmi les graves et nombreux devoirs des gouvernants qui veulent pourvoir comme il convient au bien public, celui qui domine tous les autres consiste à avoir soin également de toutes les classes de citoyens, en observant rigoureusement les lois de la justice dite distributive.
 

Tous les citoyens sans exception doivent apporter leur part à la masse des biens communs qui, du reste, par un retour naturel, se répartissent de nouveau entre les individus. Néanmoins, les apports respectifs ne peuvent être ni les mêmes, ni d'égale mesure. Quelles que soient les vicissitudes par lesquelles les formes de gouvernement sont appelées à passer, il y aura toujours entre les citoyens ces inégalités de conditions sans lesquelles une société ne peut ni exister, ni être conçue. A tout prix, il faut des hommes qui gouvernent, qui fassent des lois, qui rendent la justice, qui enfin de conseil ou d'autorité administrent les affaires de la paix et les choses de la guerre. A n'en pas douter, ces hommes doivent avoir la prééminence dans toute société et y tenir le premier rang, puisqu'ils travaillent directement au bien commun et d'une manière si excellente. Ceux au contraire qui s'appliquent aux choses de l'industrie ne peuvent concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes voies.
 

Eux aussi cependant, quoique d'une manière moins directe, servent grandement les intérêts de la société. Sans nul doute, le bien commun dont. l'acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes est principalement un bien moral. Mais, dans une société bien constituée, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens extérieurs " dont l'usage est requis à l'exercice de la vertu " (33).

Or, tous ces biens, c'est le travail de l'ouvrier, travail des champs ou de l'usine, qui en est surtout la source féconde et nécessaire. Bien plus, dans cet ordre de choses, le travail a une telle fécondité et une telle efficacité, que l'on peut affamer sans crainte de se tromper que, seul, il donne aux nations la prospérité. L'équité demande donc que l'Etat se préoccupe des travailleurs. Il doit faire en sorte qu'ils reçoivent une part convenable des biens qu'ils procurent à la société, comme l'habitation et le vêtement, et qu'ils puissent vivre au prix de moins de peines et de privations. Ainsi, l'Etat doit favoriser tout ce qui, de près ou de loin, paraît de nature à améliorer leur sort. Cette sollicitude, bien loin de préjudicier à personne, tournera au contraire au profit de tous, car il importe souverainement à la nation que des hommes, qui sont pour elle le principe de biens aussi indispensables, ne se trouvent point de tous côtés aux prises avec la misère.
 

Il est dans l'ordre, avons-Nous dit, que ni l'individu, ni la famille ne soient absorbés par l'Etat. Il est juste que l'un et l'autre aient la faculté d'agir avec liberté, aussi longtemps que cela n'atteint pas le bien général et ne fait tort à personne. Cependant, aux gouvernants il appartient de prendre soin de la communauté et de ses parties; la communauté, parce que la nature en a confié la conservation au pouvoir souverain, de telle sorte que le salut public n'est pas seulement ici la loi suprême, mais la cause même et la raison d'être du pouvoir civil; les parties, parce que, de droit naturel, le gouvernement ne doit pas viser l'intérêt de ceux qui ont le pouvoir entre les mains, mais le bien de ceux qui leur sont soumis.
 

Tel est l'enseignement de la philosophie et de la foi chrétienne. D'ailleurs, toute autorité vient de Dieu et est une participation de son autorité suprême. Dès lors, ceux qui en sont les dépositaires doivent l'exercer à l'exemple de Dieu dont la paternelle sollicitude ne s'étend pas moins à chacune des créatures en particulier qu'à tout leur ensemble. Si donc les intérêts généraux ou l'intérêt d'une classe en particulier se trouvent lésés ou simplement menacés, et s'il est impossible d'y remédier ou d'y obvier autrement, il faut de toute nécessité recourir à l'autorité publique.
 

Or, il importe au salut public et privé que l'ordre et la paix règnent partout ; que toute l'économie de la vie familiale soit réglée d'après les commandements de Dieu et les principes de la loi naturelle; que la religion soit honorée et observée; que l'on voie fleurir les moeurs privées et publiques; que la justice soit religieusement gardée et que jamais une classe ne puisse opprimer l'autre impunément; qu'il croisse de robustes générations capables d'être le soutien et, s'il le faut, le rempart de la patrie. C'est pourquoi, s'il arrive que les ouvriers, abandonnant le travail ou le suspendant par les grèves, menacent la tranquillité publique; que les liens naturels de la famille se relâchent parmi les travailleurs ; qu'on foule aux pieds la religion des ouvriers en ne leur facilitant point l'accomplissement de leurs devoirs envers Dieu; que la promiscuité des sexes ou d'autres excitations au vice constituent, dans les usines, un péril pour la moralité; que les patrons écrasent les travailleurs sous le poids de fardeaux iniques ou déshonorent en eux la personne humaine par des conditions indignes et dégradantes; qu'ils attentent à leur santé par un travail excessif et hors de proportion avec leur âge et leur sexe; dans tous les cas, il faut absolument appliquer dans de certaines limites la force et l'autorité des lois. La raison qui motive l'intervention des lois en détermine les limites: c'est-à-dire que celles-ci ne doivent pas s'avancer ni rien entreprendre au delà de ce qui est nécessaire pour remédier aux maux et écarter les dangers.
 

Les droits doivent partout être religieusement respectés. L'Etat doit les protéger chez tous les citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dans la protection des droits privés, il doit se préoccuper d'une manière spéciale des faibles et des indigents. La classe riche se fait comme un rempart de ses richesses et a moins besoin de la tutelle publique. La classe indigente, au contraire, sans richesses pour la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur la protection de l'Etat. L'État doit donc entourer de soin et d'une sollicitude toute particulière les travailleurs qui appartiennent à la classe pauvre en général.
 

Mais il est bon de traiter à part certains points de la plus grande importance. En premier lieu, il faut que les lois publiques soient pour les propriétés privées une protection et une sauvegarde. Ce qui importe par-dessus tout, au milieu de tant de cupidités en effervescence, c'est de contenir les masses dans le devoir. Il est permis de tendre vers de meilleures destinées dans les limites de la justice. Mais enlever de force le bien d'autrui, envahir les propriétés étrangères sous prétexte d'une absurde égalité, sont choses que la justice condamne et que l'intérêt commun lui-même répudie. Assurément, les ouvriers qui veulent améliorer leur sort par un travail honnête et en dehors de toute injustice forment la très grande majorité. Mais on en compte beaucoup qui, imbus de fausses doctrines et ambitieux de nouveautés, mettent tout en oeuvre pour exciter des tumultes et entraîner les autres à la violence. L'autorité publique doit alors intervenir. Mettant un frein aux excitations des meneurs, elle protégera les moeurs des ouvriers contre les artifices de la corruption et les légitimes propriétés contre le péril de la rapine.
 

Il n'est pas rare qu'un travail trop prolongé ou trop pénible, et un salaire jugé trop faible, donnent lieu à ces chômages voulus et concertés qu'on appelle des grèves. A cette maladie si commune et en même temps si dangereuse, il appartient au pouvoir public de porter un remède. Ces chômages en effet, non seulement tournent au détriment des patrons et des ouvriers eux-mêmes, mais ils entravent le commerce et nuisent aux intérêts généraux de la société. Comme ils dégénèrent facilement en violences et en tumultes, la tranquillité publique s'en trouve souvent compromise.
 

Mais ici il est plus efficace et plus salutaire que l'autorité des lois prévienne le mal et l'empêche de se produire, en écartant avec sagesse les causes qui paraissent de nature à exciter des conflits entre ouvriers et patrons.
 

Chez l'ouvrier pareillement, il est des intérêts nombreux qui réclament la protection de l'Etat. Vient en première ligne ce qui regarde le bien de son âme.
 

La vie du corps en effet, quelque précieuse et désirable qu'elle soit, n'est pas le but dernier de notre existence. Elle est une voie et un moyen pour arriver, par la connaissance du vrai et l'amour du bien, à la perfection de la vie de l'âme.
 

C'est l'âme qui porte gravée en elle-même l'image et la ressemblance de Dieu. C'est en elle que réside cette souveraineté dont l'homme fut investi quand il reçut l'ordre de s'assujettir la nature inférieure et de mettre à son service les terres et les mers. "Remplissez la terre et l'assujettissez ; dominez sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur les animaux qui se meuvent sur la terre" (34).
 

A ce point de vue, tous les hommes sont égaux ; point de différences entre riches et pauvres, maîtres et serviteurs, princes et sujets : Ils n'ont tous qu'un même Seigneur (35). Il n'est permis à personne de violer impunément cette dignité de l'homme que Dieu lui-même traite avec un grand respect, ni d'entraver la marche de l'homme vers cette perfection qui correspond à la vie éternelle et céleste. Bien plus, il n'est même pas loisible à l'homme, sous ce rapport, de déroger spontanément à la dignité de sa nature, ou de vouloir l'asservissement de son âme. Il ne s'agit pas en effet de droit dont il ait la libre disposition, mais de devoirs envers Dieu qu'il doit religieusement remplir.
 

C'est de là que découle la nécessité du repos et de la cessation du travail aux jours du Seigneur. Le repos d'ailleurs ne doit pas être entendu comme une plus large part faite à une stérile oisiveté, ou encore moins, suivant le désir d'un grand nombre, comme un chômage fauteur des vices et dissipateur des salaires, mais bien comme un repos sanctifié par la religion. Ainsi allié avec la religion, le repos retire l'homme des labeurs et des soucis de la vie quotidienne. Il l'élève aux grandes pensées du ciel et l'invite à rendre à son Dieu le tribut d'adoration qu'il lui doit. Tel est surtout le caractère et la raison de ce repos du septième jour dont Dieu avait fait même déjà dans l'Ancien Testament un des principaux articles de la loi : "Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat" (36), et dont il avait lui-même donné l'exemple par ce mystérieux repos pris aussitôt après qu'il eût créé l'homme: "Il se reposa le septième jour de tout le travail qu'il avait fait" (37).

Pour ce qui est des intérêts physiques et corporels, l'autorité publique doit tout d'abord les sauvegarder en arrachant les malheureux ouvriers des mains de ces spéculateurs qui, ne faisant point de différence entre un homme et une machine, abusent sans mesure de leurs personnes pour satisfaire d'insatiables cupidités. Exiger une somme de travail qui, en émoussant toutes les facultés de l'âme, écrase le corps et en consume les forces jusqu'à épuisement, c'est une conduite que ne peuvent tolérer ni la justice ni l'humanité. L'activité de l'homme, bornée comme sa nature, a des limites qu'elle ne peut franchir. Elle s'accroît sans doute par l'exercice et l'habitude, mais à condition qu'on lui donne des relâches et des intervalles de repos. Ainsi, le nombre d'heures d'une journée de travail ne doit pas excéder la mesure des forces des travailleurs, et les intervalles de repos doivent être proportionnés à la nature du travail et à la santé de l'ouvrier, et réglés d'après les circonstances des temps et des lieux. L'ouvrier qui arrache à la terre ce qu'elle a de plus caché, la pierre, le fer et l'airain, a un labeur dont la brièveté devra compenser la fatigue, ainsi que le dommage qu'il cause à la santé. Il est juste, en outre, qu'on considère les époques de l'année. Tel travail sera souvent aisé dans une saison, et deviendra intolérable ou très pénible dans une autre.
 

Enfin, ce que peut réaliser un homme valide et dans la force de l'âge ne peut être équitablement demandé à une femme ou à un enfant. L'enfant en particulier - et ceci demande à être observé strictement - ne doit entrer à l'usine qu'après que l'âge aura suffisamment développé en lui les forces physiques, intellectuelles et morales. Sinon, comme une herbe encore tendre, il se verra flétri par un travail trop précoce et c'en sera fait de son éducation. De même, il est des travaux moins adaptés à la femme que la nature destine plutôt aux ouvrages domestiques; ouvrages d'ailleurs qui sauvegardent admirablement l'honneur de son sexe et répondent mieux, par nature, à ce que demandent la bonne éducation des enfants et la prospérité de la famille.
 

En général, la durée du repos doit se mesurer d'après la dépense des forces qu'il doit restaurer. Le droit au repos de chaque jour ainsi que la cessation du travail le jour du Seigneur doivent être la condition expresse ou tacite de tout contrat passé entre patrons et ouvriers. Là où cette condition n'entrerait pas, le contrat ne serait pas honnête, car nul ne peut exiger ou permettre la violation des devoirs de l'homme envers Dieu et envers lui-même.
 

Nous passons à présent à un autre point de la question, d'une très grande importance, qui, pour éviter toute exagération, demande à être défini avec justesse. Nous voulons parler de la fixation du salaire.
 

On prétend que le salaire, une fois librement consenti de part et d'autre, le patron en le payant remplit tous ses engagements et n'est plus tenu à rien. La justice se trouverait seulement lésée, si le patron refusait de tout solder, ou si l'ouvrier refusait d'achever tout son travail et de satisfaire à ses engagements. Dans ces cas, à l'exclusion de tout autre, le pouvoir public aurait à intervenir pour protéger le droit de chacun.
 

Pareil raisonnement ne trouvera pas de juge équitable qui consente à y adhérer sans réserve. Il n'envisage pas tous les côtés de la question et il en omet un, fort sérieux. Travailler, c'est exercer son activité dans le but de se procurer ce qui est requis pour les divers besoins de la vie, mais surtout pour l'entretien de la vie elle-même. "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front" (38). C'est pourquoi le travail a reçu de la nature comme une double empreinte. Il est personnel parce que la force active est inhérente à la personne et qu'elle est la propriété de celui qui l'exerce et qui l'a reçue pour son utilité. Il est nécessaire parce que l'homme a besoin du fruit de son travail pour conserver son existence, et qu'il doit la conserver pour obéir aux ordres irréfragables de la nature. Or, si l'on ne regarde le travail que par le côté où il est personnel, nul doute qu'il ne soit au pouvoir de l'ouvrier de restreindre à son gré le taux du salaire. La même volonté qui donne le travail peut se contenter d'une faible rémunération ou même n'en exiger aucune. Mais il en va tout autrement si, au caractère de personnalité, on joint celui de nécessité dont la pensée peut bien faire abstraction, mais qui n'en est pas séparable en réalité. En effet, conserver l'existence est un devoir imposé à tous les hommes et auquel ils ne peuvent se soustraire sans crime. De ce devoir découle nécessairement le droit de se procurer les choses nécessaires à la subsistance que le pauvre ne se procure que moyennant le salaire de son travail.
 

Que le patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notamment sur le chiffre du salaire. Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête. Si, contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d'un mal plus grand, l'ouvrier accepte des conditions dures, que d'ailleurs il ne peut refuser parce qu'elles lui sont imposées par le patron ou par celui qui fait l'offre du travail, il subit une violence contre laquelle la justice proteste.
 

Mais dans ces cas et autres analogues, comme en ce qui concerne la journée de travail et les soins de la santé des ouvriers dans les usines, les pouvoirs publics pourraient intervenir inopportunément, vu surtout la variété des circonstances des temps et des lieux. Il sera donc préférable d'en réserver en principe la solution aux corporations ou syndicats dont Nous parlerons plus loin, ou de recourir à quelque autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers et d'en appeler même, en cas de besoin, à la protection et à l'appui de l'Etat.
 

L'ouvrier qui percevra un salaire assez fort pour parer aisément à ses besoins et à ceux de sa famille s'appliquera, s'il est sage, à être économe. Suivant le conseil que semble lui donner la nature elle-même, il visera par de prudentes épargnes à se ménager un petit superflu qui lui permette de parvenir un jour à l'acquisition d'un modeste patrimoine. Nous avons vu, en effet, que la question présente ne pouvait recevoir de solution vraiment efficace si l'on ne commençait par poser comme principe fondamental l'inviolabilité de la propriété privée. Il importe donc que les lois favorisent l'esprit de propriété, le réveillent et le développent autant qu'il est possible dans les masses populaires.
 

Ce résultat une fois obtenu serait la source des plus précieux avantages. Et d'abord, la répartition des biens serait certainement plus équitable. La violence des bouleversements sociaux a divisé le corps social en deux classes et a creusé entre elles un immense abîme. D'une part, une faction toute-puissante par sa richesse. Maîtresse absolue de l'industrie et du commerce, elle détourne le cours des richesses et en fait affluer vers elle toutes les sources. Elle tient d'ailleurs en sa main plus d'un ressort de l'administration publique. De l'autre, une multitude indigente et faible, l'âme ulcérée, toujours prête au désordre. Eh bien, si l'on stimule l'industrieuse activité du peuple par la perspective d'une participation à la propriété du sol, l'on verra se combler peu à peu l'abîme qui sépare l'opulence de la misère et s'opérer le rapprochement des deux classes.
 

En outre, la terre produira toute chose en plus grande abondance. Car l'homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application. Il en vient même jusqu'à mettre tout son coeur dans une terre qu'il a cultivée lui-même, qui lui promet, à lui et aux siens, non seulement le strict nécessaire, mais encore une certaine aisance. Tous voient sans peine les heureux effets de ce redoublement d'activité sur la fécondité de la terre et sur la richesse des nations.
 

Un troisième avantage sera l'arrêt dans le mouvement d'émigration. Personne, en effet, ne consentirait à échanger contre une région étrangère sa patrie et sa terre natale, s'il y trouvait les moyens de mener une vie plus tolérable.
 

Mais il y a une condition indispensable pour que tous ces avantages deviennent des réalités. Il ne faut pas que la propriété privée soit épuisée par un excès de charges et d'impôts. Ce n'est pas des lois humaines, mais de la nature qu'émane le droit de propriété individuelle. L'autorité publique ne peut donc l'abolir. Elle peut seulement en tempérer l'usage et le concilier avec le bien commun. Elle agit donc contre la justice et l'humanité quand, sous le nom d'impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers.
 

En dernier lieu, les patrons et les ouvriers eux-mêmes peuvent singulièrement aider à la solution de la question par toutes les oeuvres propres à soulager efficacement l'indigence et à opérer un rapprochement entre les deux classes.
 

De ce nombre sont les sociétés de secours mutuels ; les institutions diverses dues à l'initiative privée qui ont pour but de secourir les ouvriers, ainsi que leurs veuves et leurs orphelins, en cas de mort, d'accidents ou d'infirmités ; les patronages qui exercent une protection bienfaisante sur les enfants des deux sexes, sur les adolescents et sur les hommes faits.
 

Mais la première place appartient aux corporations ouvrières qui, en soi, embrassent à peu près toutes les oeuvres. Nos ancêtres éprouvèrent longtemps la bienfaisante influence de ces corporations. Elles ont d'abord assuré aux ouvriers des avantages manifestes. De plus, ainsi qu'une foule de monuments le proclament, elles ont été une source de gloire et de progrès pour les arts eux-mêmes. Aujourd'hui, les générations sont plus cultivées, les moeurs plus policées, les exigences de la vie quotidienne plus nombreuses. Il n'est donc pas douteux qu'il faille adapter les corporations à ces conditions nouvelles. Aussi, Nous voyons avec plaisir se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons. Il est à désirer qu'elles accroissent leur nombre et l'efficacité de leur action.
 

Bien que Nous Nous en soyons occupé plus d'une fois, Nous voulons exposer ici leur opportunité et leur droit à l'existence, et indiquer comment elles doivent s'organiser et quel doit être leur programme d'action.
 

L'expérience que fait l'homme de l'exiguïté de ses forces l'engage et le pousse à s'adjoindre une coopération étrangère. C'est dans les Saintes Ecritures qu'on lit cette maxime : "Mieux vaut vivre à deux que solitaire; il y a pour les deux un bon salaire dans leur travail; car s'ils tombent, l'un peut relever son compagnon. Malheur à celui qui est seul et qui tombe sans avoir un second pour le relever !" (39) Et cet autre : "Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte" (40) De cette tendance naturelle, comme d'un même germe, naissent la société civile d'abord, puis au sein même de celle-ci, d'autres sociétés qui, pour être restreintes et imparfaites, n'en sont pas moins des sociétés véritables.
 

Entre ces petites sociétés et la grande, il y a de profondes différences qui résultent de leur fin prochaine. La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c'est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. C'est pourquoi on l'appelle publique, parce qu'elle réunit les hommes pour en former une nation. (41) Au contraire, les sociétés qui se constituent dans son sein sont tenues pour privées. Elles le sont, en effet, car leur raison d'être immédiate est l'utilité particulière exclusive de leurs membres.
 

La société privée est celle qui se forme dans un but privé, comme lorsque deux ou trois s'associent pour exercer ensemble le négoce. (42)
 

Les sociétés privées n'ont d'existence qu'au sein de la société civile dont elles sont comme autant de parties. Il ne s'ensuit pas cependant, à ne parler qu'en général et à ne considérer que leur nature, qu'il soit au pouvoir de l'Etat de leur dénier l'existence. Le droit à l'existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l'anéantir. C'est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s'attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, firent leur origine d'un même principe: la naturelle sociabilité de l'homme.
 

Assurément, il y a des cas qui autorisent les lois à s'opposer à la formation de sociétés de ce genre. Si une société, en vertu même de ses statuts, poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l'Etat, les pouvoirs publics auraient le droit d'en empêcher la formation et, si elle était formée, de la dissoudre. Mais encore faut-il qu'en tout cela ils n'agissent qu'avec une très grande circonspection.
 

Il faut éviter d'empiéter sur les droits des citoyens et de prendre, sous couleur d'utilité publique, une décision qui serait désavouée par la raison. Car une loi ne mérite obéissance qu'autant qu'elle est conforme à la droite raison et, ainsi, à la loi éternelle de Dieu (43).
 

Ici se présentent à Notre esprit les confréries, les congrégations et les ordres religieux de tout genre, auxquels l'autorité de l'Eglise et la piété des fidèles avaient donné naissance. L'histoire jusqu'à notre époque nous dit assez quels en furent les fruits de salut pour le genre humain. Considérées simplement par la raison, ces sociétés apparaissent comme fondées dans un but honnête et, conséquemment, comme établies sur le droit naturel. Du côté où elles touchent à la religion, elles ne relèvent que de l'Eglise. Les pouvoirs publics ne peuvent donc légitimement prétendre à aucun droit sur elles, ni s'en attribuer l'administration. Leur devoir est plutôt de les respecter, de les protéger et, s'il en est besoin, de les défendre.
 

Or, c'est justement tout l'opposé que Nous avons vu, surtout en ces derniers temps. Dans beaucoup de pays, l'Etat a porté la main sur ces sociétés et a accumulé à leur égard les injustices: assujettissement aux lois civiles, privation du droit légitime de personnalité morale, spoliation des biens. Sur ces biens, l'Eglise avait pourtant ses droits ; chacun des membres avait les siens; les donateurs qui leur avaient fixé une destination, ceux enfin qui en retiraient des secours et du soulagement avaient les leurs. Aussi ne pouvons-Nous Nous empêcher de déplorer amèrement des spoliations si iniques et si funestes; d'autant plus qu'on frappe de proscription les sociétés catholiques dans le temps même où l'on affirme la légalité des sociétés privées, et que ce que l'on refuse à des hommes paisibles et préoccupés seulement de l'intérêt public, on l'accorde, et certes très largement, à des hommes qui agitent dans leur esprit des desseins funestes tout à la fois à la religion et à l'Etat.
 

Jamais assurément à aucune époque, on ne vit une si grande multiplicité d'associations de tout genre, surtout d'associations ouvrières. Ce n'est pas le lieu de chercher ici d'où viennent beaucoup d'entre elles, quel est leur but et comment elles y tendent. Mais c'est une opinion confirmée par de nombreux indices qu'elles sont ordinairement gouvernées par des chefs occultes et qu'elles obéissent à un mot d'ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations; qu'après avoir accaparé toutes les entreprises, s'il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère. Dans cet état de choses, les ouvriers chrétiens n'ont plus qu'à choisir entre ces deux partis' ou de donner leur nom à des sociétés dont la religion a tout à craindre, ou de s'organiser eux-mêmes et de joindre leurs forces pour pouvoir secouer hardiment un joug si injuste et à intolérable. Y a-t-il des hommes ayant vraiment à coeur d'arracher le souverain bien de l'humanité à un péril imminent qui puissent douter qu'il faille opter pour ce dernier parti ?
 

Aussi, il faut louer hautement le zèle d'un grand nombre des nôtres qui, se rendant parfaitement compte des besoins de l'heure présente, sondent soigneusement le terrain pour y découvrir une voie honnête qui conduise au relèvement de la classe ouvrière. S'étant constitués les protecteurs des personnes vouées au travail, ils s'étudient à accroître leur prospérité, tant familiale qu'individuelle, à régler avec équité les relations réciproques des patrons et des ouvriers, à. entretenir et à affermir dans les uns et les autres le souvenir de leurs devoirs et l'observation des préceptes évangéliques; préceptes qui, en ramenant l'homme à la modération et condamnant tous les excès, maintiennent dans les nations et parmi les éléments si divers de personnes et de choses la concorde et l'harmonie la plus parfaite. Sous l'inspiration des mêmes pensées, des hommes de grand mérite se réunissent fréquemment en congrès pour se communiquer leurs vues, unir leurs forces, arrêter des programmes d'action.
 

D'autres s'occupent de fonder des corporations assorties aux divers métiers et d'y faire entrer les ouvriers; ils aident ces derniers de leurs conseils et de leur fortune et pourvoient à ce qu'ils ne manquent jamais d'un travail honnête et fructueux.
 

Les évêques, de leur côté, encouragent ces efforts et les mettent sous leur haut patronage. Par leur autorité et sous leurs auspices, des membres du clergé tant séculier que régulier se dévouent en grand nombre aux intérêts spirituels des associés.
 

Enfin, il ne manque pas de catholiques qui, pourvus d'abondantes richesses, mais devenus en quelque sorte compagnons volontaires des travailleurs, ne regardent à aucune dépense pour fonder et étendre au loin des sociétés où ceux-ci peuvent trouver, avec une certaine aisance pour le présent, le gage d'un repos honorable pour l'avenir.
 

Des efforts, si variés et si empressés ont déjà réalisé parmi les peuples un bien très considérable et trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en parler en détail. Il est à Nos yeux d'un heureux augure pour l'avenir. Nous Nous promettons de ces corporations les plus heureux fruits, pourvu qu'elles continuent à se développer et que la prudence préside toujours à leur organisation. Que l'Etat protège ces sociétés fondées selon le droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts intimes qui leur donnent la vie; car le mouvement vital procède essentiellement d'un principe intérieur et s'éteint très facilement sous l'action d'une cause externe.
 

A ces corporations, il faut évidemment, pour qu'il y ait unité d'action et accord des volontés, une organisation et une discipline sage et prudente. Si donc, comme il est certain, les citoyens sont libres de s'associer, ils doivent l'être également de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu'ils poursuivent. Nous ne croyons pas qu'on puisse donner de règles certaines et précises pour déterminer le détail de ces statuts et règlements. Tout dépend du génie de chaque nation, des essais tentés et de l'expérience acquise, du genre de travail, de l'extension du commerce, et d'autres circonstances de choses et de temps qu'il faut peser avec maturité.
 

Tout ce qu'on peut dire en général, c'est qu'on doit prendre pour règle universelle et constante d'organiser et de gouverner les corporations, de façon qu'elles fournissent à chacun de leurs membres les moyens propres à lui faire atteindre, par la voie la plus commode et la plus courte, le but qu'il se propose. Ce but consiste dans l'accroissement le plus grand possible, pour chacun, des biens du corps, de l'esprit et de la fortune.
 

Mais il est évident qu'il faut viser avant tout à l'objet principal qui est le perfectionnement moral et religieux. C'est surtout cette fin qui doit régler l'économie sociale. Autrement, ces sociétés dégénéreraient bien vite et tomberaient, ou peu s'en faut, au rang des sociétés où la religion ne tient aucune place. Aussi bien, que servirait à l'ouvrier d'avoir trouvé au sein de la corporation l'abondance matérielle, si la disette d'aliments spirituels mettait en péril le salut de son âme ? "Que sert à l'homme de gagner l'univers entier, s'il vient à perdre son âme ?" (44) Voici le caractère auquel Notre Seigneur Jésus-Christ veut qu'on distingue le chrétien d'avec le païen. "Les païens recherchent toutes ces choses... cherchez d'abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront ajoutées par surcroît". (45)
 

Ainsi donc, après avoir pris Dieu comme point de départ, qu'on donne une large place à l'instruction religieuse, afin que tous connaissent leurs devoirs envers lui. Ce qu'il faut croire, ce qu'il faut espérer, ce qu'il faut faire en vue du salut éternel, tout cela doit leur être soigneusement inculqué. Qu'on les prémunisse avec une sollicitude particulière contre les opinions erronées et toutes les variétés du vice. Qu'on porte l'ouvrier au culte de Dieu, qu'on excite en lui l'esprit de piété, qu'on le rende surtout fidèle à l'observation des dimanches et des jours de fête. Qu'il apprenne à respecter et à aimer l'Eglise, la commune Mère de tous les chrétiens; à obéir à ses préceptes, à fréquenter ses sacrements qui sont des sources divines où l'âme se purifie de ses taches et puise la sainteté.
 

La religion ainsi constituée comme fondement de toutes les lois sociales, il n'est pas difficile de déterminer les relations mutuelles à établir entre les membres pour obtenir la paix et la prospérité de la société.
 

Les diverses fonctions doivent être réparties de la manière la plus favorable aux intérêts communs et de telle sorte que l'inégalité ne nuise point à la concorde. Il importe grandement que les charges soient distribuées avec intelligence et clairement définies, afin que personne n'ait à souffrir d'injustice. Que la masse commune soit administrée avec intégrité et qu'on détermine d'avance, par le degré d'indigence de chacun des membres, la mesure de secours à lui accorder.
 

Que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers.
 

Pour le cas où l'une ou l'autre classe se croirait lésée en quelque façon, il serait très désirable que les statuts mêmes chargeassent des hommes prudents et intègres, tirés de son sein, de régler le litige en qualité d'arbitres.
 

Il faut encore pourvoir d'une manière toute spéciale à ce qu'en aucun temps l'ouvrier ne manque de travail, et qu'il y ait un fonds de réserve destiné à faire face, non seulement aux accidents soudains et fortuits inséparables du travail industriel, mais encore à la maladie, à la vieillesse et aux coups de la mauvaise fortune.
 

Ces lois, pourvu qu'elles soient acceptées de bon coeur, suffisent pour assurer aux faibles la subsistance et un certain bien-être. Mais les corporations des catholiques sont appelées encore à apporter leur bonne part à la prospérité générale. Par le passé, nous pouvons juger sans témérité de l'avenir. Un âge fait place à un autre, mais le cours des choses présente de merveilleuses similitudes ménagées par cette Providence qui règle et dirige tout vers la fin que Dieu s'est proposée en créant l'humanité.
 

Nous savons que, dans les premiers âges de l'Eglise, on lui faisait un crime de l'indigence de ses membres condamnés à vivre d'aumônes ou de travail. Mais dénués comme ils étaient de richesses et de puissance, ils surent se concilier la faveur des riches et la protection des puissants. On pouvait les voir, diligents, laborieux, pacifiques, modèles de justice et surtout de charité. Au spectacle d'une vie si parfaite et de moeurs si pures, tous les préjugés se dissipèrent, le sarcasme malveillant se tut, et les fictions d'une superstition invétérée s'évanouirent peu à peu devant la vérité chrétienne.
 

La question qui s'agite aujourd'hui est le sort de la classe ouvrière: elle sera résolue par la raison ou sans elle. La solution prise est de la plus grande importance pour les nations. Or, les ouvriers chrétiens la résoudront facilement par la raison si, unis en sociétés et conduits par une direction prudente, ils entrent dans la voie où leurs pères et leurs ancêtres trouvèrent leur salut et celui des peuples. Quelle que soit, dans les hommes, la force des préjugés et des passions, si une volonté perverse n'a pas entièrement étouffé le sentiment du juste et de l'honnête, il faudra que tôt ou tard la bienveillance publique se tourne vers ces ouvriers qu'on aura vus actifs et modestes, mettant l'équité avant le gain et préférant à tout la religion du devoir.
 

Il résultera de là cet autre avantage, que l'espoir et la possibilité d'une vie saine et normale seront abondamment offerts aux ouvriers qui vivent dans le mépris de la foi chrétienne ou dans les habitudes qu'elle réprouve. Ils comprennent d'ordinaire qu'ils ont été le jouet d'espérances trompeuses et d'apparences mensongères. Ils sentent, par les traitements inhumains qu'ils reçoivent de leurs maîtres, qu'ils ne sont guère estimés qu'au poids de l'or produit par leur travail. Quant aux sociétés qui les ont circonvenus, ils voient bien qu'à la place de la charité et de l'amour, ils n'y trouvent que les discordes intestines, ces compagnes inséparables de la pauvreté insolente et incrédule. L'âme brisée, le corps exténué, combien qui voudraient secouer un joug si humiliant ! Mais soit respect humain, soit crainte de l'indigence, ils ne l'osent pas. Eh bien, à tous ces ouvriers, les corporations des catholiques peuvent être d'une merveilleuse utilité, si, hésitants, elles les invitent à venir chercher dans leur sein un remède à tous leurs maux, si, repentants, elles les accueillent avec empressement et leur assurent sauvegarde et protection.
 

Vous voyez, Vénérables Frères, par qui et par quels moyens cette question si difficile demande à être traitée et résolue. Que chacun se mette sans délai à la part qui lui incombe, de peur qu'en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà si grave. Que les gouvernants utilisent l'autorité protectrice des lois et des institutions; que les riches et les patrons se rappellent leurs devoirs; que les ouvriers dont le sort est en jeu poursuivent leurs intérêts par des voies légitimes. Puisque la religion seule, comme Nous l'avons dit dès le début, est capable de détruire le mal dans sa racine, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c'est la restauration des moeurs chrétiennes. Sans elles, même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu propres à produire de salutaires résultats.
 

Quant à l'Eglise, son action ne fera jamais défaut en aucune manière et sera d'autant plus féconde qu'elle aura pu se développer avec plus de liberté. Nous désirons que ceci soit compris surtout par ceux dont la mission est de veiller au bien public. Que les ministres sacrés déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle, et que, sous l'autorité de vos paroles et de vos exemples, Vénérables Frères, ils ne cessent d'inculquer aux hommes de toutes les classes les règles évangéliques de la vie chrétienne; qu'ils travaillent de tout leur pouvoir au salut des peuples, et par-dessus tout qu'ils s'appliquent à nourrir en eux-mêmes et à faire naître dans les autres, depuis les plus élevés jusqu'aux plus humbles, la charité reine et maîtresse de toutes les vertus.
 

C'est en effet d'une abondante effusion de charité qu'il faut principalement attendre le salut. Nous parlons de la charité chrétienne qui résume tout l'Evangile et qui, toujours prête à se dévouer au soulagement du prochain, est un remède très assuré contre l'arrogance du siècle et l'amour immodéré de soi-même. C'est la vertu dont l'apôtre saint Paul a décrit la fonction et le caractère divin dans ces paroles : "La charité est patiente; elle est bonne; elle ne cherche pas ses propres intérêts; elle souffre tout; elle supporte tout" (46).
 

Comme gage des faveurs divines et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons de tout coeur, à chacun de vous, Vénérables Frères, à votre clergé et à vos fidèles, la bénédiction apostolique dans le Seigneur.
 

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 mai 1891, l'an XIV de Notre Pontificat.

LÉON XIII    


NOTES

1. A.S.S. XXIII (1890-1891), pp. 641-670. Trad. française dans Actes de Léon XIII, B.P., t. III, pp. 18-71.

2. Léon XIII, Lettre encyclique Diuturnum illud, 29 juin 1881, AAS XIV (1881-1882), pp. 3-14, CH pp. 448-463.

3. Léon XIII Lettre encyclique Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, AAS XX (1888), pp. 593-613, CH pp. 37-65.

4. Léon XIII, Lettre encyclique lmmortale Dei, 1er novembre 1885, AAS XVIII (1885), pp. 161-180, CH pp. 465-489.

5. Deutéronome, v. 21.

6. Genèse 1, 28

7. Saint Thomas, Sum. Theol. II-II q. 10 a. 12.

8. Genèse 3, 17.

9. Saint Jacques, v. 4.

10. Saint Paul, 2 Tim. 2, 12.

11. Saint Paul, 2 Cor 4, 17.

12. Cf. saint Matthieu, 19, 25-24.

13. Cf. saint Luc, 6,24-25.

14. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.66 a.2

15. Saint Paul, 1 Tim 6,18.

16. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.65 a.2.

17. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.32 a.6.

18. saint Luc, 11,41.

19. Actes, 20,35.

20. Saint Matthieu, 25,40.

21. Saint Grégoire le Grand, In Evang., lib. I, hom. 9, n.7, PL LXXVI 1109.

22. Saint Paul, 2 Cor 8,9.

23. Saint Marc 6,3.

24. Cf. saint Matthieu 5,5.

25. Cf. saint Matthieu 11,28.

26. Saint Paul, Rom. 8,29.

27. Saint Paul, Rom. 8,17.

28. Cf. saint Paul, 1 Tim 6,10.

29. Actes 4,34.

30. Tertullien, Apologeticum, II, 39, PL I 467.

31. Léon XIII, Lettre encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885, AAS XVIII (1885), pp. 161-180, CH pp. 465- 489.

32. Saint Thomas, Sum. theol., II-II q.61 a.1 ad 2.

33. Saint Thomas, De regimine principum I,15.

34. Genèse 1,28.

35. Saint Paul, Rom. 10,12.

36. Exode 20,8.

37. Genèse 2,2.

38. Genèse 3,19.

39. Ecclésiaste 4, 9-12.

40. Proverbes 18,19.

41. Saint Thomas, Contra impugnantes Dei cultum et religionem, 2.

42. Saint Thomas, ibidem.

43. Cf. saint Thomas, Sum. theol. I-II q. 13 a.3.

44. Saint Matthieu 16, 26.

45. Saint Matthieu 6, 32-33.

46. Saint Paul, 1 Cor. 13, 4-7.

DECLARATION INTERDITE DE RAVACHOL A SON PROCES

Le texte a été écrit par François Claudius Kœnigstein alias Ravachol (nom de sa mère) pour être prononcé lors de son procès, le 21 juin 1892. Cela lui a semble-t-il été interdit. Voici ce que rapporte Emile Pouget dans un article intitulé “Ravachol” paru dans Le Père Peinard n°172 du 3-10 juillet 1892 : « Ravachol avait une sacrée envie de coller son grain de sel dans la défense, non pour se défendre, mais pour s’expliquer. Y a pas eu mèche, nom de dieu ! A la quatrième parole, le chef du comptoir lui a coupé le sifflet. Sa déclaration n’est pas perdue, nom d’une pipe ! ».

RAVACHOL

Si je prends la parole, ce n’est pas pour me défendre des actes dont on m’accuse, car seule la société, qui par son organisation met les hommes en lutte continuelle les uns contre les autres, est responsable. En effet, ne voit-on pas aujourd’hui dans toutes les classes et dans toutes les fonctions des personnes qui désirent, je ne dirai pas la mort, parce que cela sonne mal à l’oreille, mais le malheur de leurs semblables, si cela peut leur procurer des avantages. Exemple : un patron ne fait-il pas des vœux pour voir un concurrent disparaître ; tous les commerçants en général ne voudraient-ils pas, et cela réciproquement, être seuls à jouir des avantages que peut rapporter ce genre d’occupations ? L’ouvrier sans emploi ne souhaite-t-il pas, pour obtenir du travail, que pour un motif quelconque celui qui est occupé soit rejeté de l’atelier ? Eh bien, dans une société où de pareils faits se produisent on n’a pas à être surpris des actes dans le genre de ceux qu’on me reproche, qui ne sont que la conséquence logique de la lutte pour l’existence que se font les hommes qui, pour vivre, sont obligés d’employer toute espèce de moyen. Et, puisque chacun est pour soi, celui qui est dans la nécessité n’en est-il pas réduit a penser :

Eh bien, puisqu’il en est ainsi, je n’ai pas à hésiter, lorsque j’ai faim, à employer les moyens qui sont à ma disposition, au risque de faire des victimes ! Les patrons, lorsqu’ils renvoient des ouvriers, s’inquiètent-ils s’ils vont mourir de faim ? Tous ceux qui ont du superflu s’occupent-ils s’il y a des gens qui manquent des choses nécessaires ?

Il y en a bien quelques-uns qui donnent des secours, mais ils sont impuissants à soulager tous ceux qui sont dans la nécessité et qui mourront prématurément par suite des privations de toutes sortes, ou volontairement par les suicides de tous genres pour mettre fin à une existence misérable et ne pas avoir à supporter les rigueurs de la faim, les hontes et les humiliations sans nombre, et sans espoir de les voir finir. Ainsi ils ont la famille Hayem et le femme Souhain qui a donné la mort à ses enfants pour ne pas les voir plus longtemps souffrir, et toutes les femmes qui, dans la crainte de ne pas pouvoir nourrir un enfant, n’hésitent pas à compromettre leur santé et leur vie en détruisant dans leur sein le fruit de leurs amours. Et toutes ces choses se passent au milieu de l’abondance de toutes espèces de produits ! On comprendrait que cela ait lieu dans un pays où les produits sont rares, où il y a la famine.

Mais en France, où règne l’abondance, où les boucheries sont bondées de viande, les boulangeries de pain, où les vêtements, la chaussure sont entassés dans les magasins, où il y a des logements inoccupés !

Comment admettre que tout est bien dans la société, quand le contraire se voit d’une façon aussi claire ?

Il y a bien des gens qui plaindront toutes ces victimes, mais qui vous diront qu’ils n’y peuvent rien.

Que chacun se débrouille comme il peut !

Que peut-il faire celui qui manque du nécessaire en travaillant, s’il vient a chômer ? Il n’a qu’à se laisser mourir de faim. Alors on jettera quelques paroles de pitié sur son cadavre. C’est ce que j’ai voulu laisser à d’autres. J’ai préféré me faire contrebandier, faux monnayeur, voleur, meurtrier et assassin. J’aurais pu mendier : c’est dégradant et lâche et c’est même puni par vos lois qui font un délit de la misère. Si tous les nécessiteux, au lieu d’attendre, prenaient où il y a et par n’importe quel moyen, les satisfaits comprendraient peut-être plus vite qu’il y a danger à vouloir consacrer l’état social actuel, où l’inquiétude est permanente et la vie menacée à chaque instant.

On finira sans doute plus vite par comprendre que les anarchistes ont raison lorsqu’ils disent que pour avoir la tranquillité morale et physique, il faut détruire les causes qui engendrent les crimes et les criminels : ce n’est pas en supprimant celui qui, plutôt que de mourir d’une mort lente par suite des privations qu’il a eues et aurait à supporter, sans espoir de les voir finir, préfère, s’il a un peu d’énergie, prendre violemment ce qui peut lui assurer le bien-être, même au risque de sa mort qui ne peut être qu’un terme à ses souffrances. Voilà pourquoi j’ai commis les actes que l’on me reproche et qui ne sont que la conséquence logique de l’état barbare d’une société qui ne fait qu’augmenter le nombre de ses victimes par la rigueur de ses lois qui sévissent contre les effets sans jamais toucher aux causes ; on dit qu’il faut être cruel pour donner la mort à son semblable, mais ceux qui parlent ainsi ne voient pas qu’on ne s’y résout que pour l’éviter soi-même.

De même, vous, messieurs les jurés, qui, sans doute, allez me condamner à la peine de mort, parce que vous croirez que c’est une nécessité et que ma disparition sera une satisfaction pour vous qui avez horreur de voir couler le sang humain, mais qui, lorsque vous croirez qu’il sera utile de le verser pour assurer la sécurité de votre existence, n’hésiterez pas plus que moi à le faire, avec cette différence que vous le ferez sans courir aucun danger, tandis que, au contraire, moi j’agissais aux risque et péril de ma liberté et de ma vie.

Eh bien, messieurs, il n’y a plus de criminels à juger, mais les causes du crime a détruire. En créant les articles du Code, les législateurs ont oublié qu’ils n’attaquaient pas les causes mais simplement les effets, et qu’alors ils ne détruisaient aucunement le crime ; en vérité, les causes existant, toujours les effets en découleront. Toujours il y aura des criminels, car aujourd’hui vous en détruisez un, demain il y en aura dix qui naîtront. Que faut-il alors ? Détruire la misère, ce germe de crime, en assurant à chacun la satisfaction de tous les besoins ! Et combien cela est facile à réaliser ! Il suffirait d’établir la société sur de nouvelles bases où tout serait en commun, et où chacun, produisant selon ses aptitudes et ses forces, pourrait consommer selon ses besoins.

Alors on ne verra plus des gens comme l’ermite de Notre-Dame-de-Grâce et autres mendier un métal dont ils deviennent les esclaves et les victimes ! On ne verra plus les femmes céder leurs appas, comme une vulgaire marchandise, en échange de ce même métal qui nous empêche bien souvent de reconnaître si l’affection est vraiment sincère. On ne verra plus des hommes comme Pranzini, Prado, Berland, Anastay et autres qui, toujours pour avoir de ce métal, en arrivent à donner la mort ! Cela démontre clairement que la cause de tous les crimes est toujours la même et qu’il faut vraiment être insensé pour ne pas la voir.

Oui, je le répète : c’est la société qui fait les criminels, et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre justice qui s’amoindrit à punir les effets.

Je ne suis qu’un ouvrier sans instruction ; mais parce que j’ai vécu l’existence des miséreux, je sens mieux qu’un riche bourgeois l’iniquité de vos lois répressives. Où prenez-vous le droit de tuer ou d’enfermer un homme qui, mis sur terre avec la nécessité de vivre, s’est vu dans la nécessité de prendre ce dont il manquait pour se nourrir ? J’ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n’avons pas trop souffert, je suis resté ce que vous appelez honnête. Puis le travail a manqué, et avec le chômage est venue la faim. C’est alors que cette grande loi de la nature, cette voix impérieuse qui n’admet pas de réplique, l’instinct de la conservation, me poussa à commettre certains des crimes et délits que vous me reprochez et dont je reconnais être l’auteur.

Jugez-moi, messieurs les jurés, mais si vous m’avez compris, en me jugeant jugez tous les malheureux dont la misère, alliée à la fierté naturelle, a fait des criminels, et dont la richesse, dont l’aisance même aurait fait des honnêtes gens ! Une société intelligente en aurait fait des gens comme tout le monde !

LIENS EXTERNES

LA RÉPUBLIQUE S'INSTALLE

Le château de Chambord: http://www.chambord.org/index.htm

LE VACCIN DE PASTEUR CONTRE LA RAGE

La maison Pasteur à Dole: http://www.musee-pasteur.com/

LA POLITIQUE COLONIALE

La politique coloniale de Ferry:  http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Ferry1885.asp

La colonisation de la tunisie: http://tunisiecoloniale.blogspot.com/

La conquête du Dahomey:  http://www.cosmovisions.com/ChronoDahomey.htm

Le Tonkin: http://pionnierstonkin.canalblog.com/

Histoire du Tonkin et de l'Indochine: http://belleindochine.free.fr/sommaire.htm

LA RÉPUBLIQUE ET L'ÉGLISE CATHOLIQUE

Léon XIII accepte la République: http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/index_fr.htm

LE BOULANGISME

Le site de Clermont Ferrand: http://www.clermont-ferrand.fr/Le-General-Boulanger-Rebelle-et.html

LA TOUR EIFFEL

La Tour Eiffel: http://www.pariseiffel.com

Le site officiel: http://www.tour-eiffel.fr/index.html

LE CANAL DE PANAMA

Les titre de la Compagnie de Lesseps: http://www.scripophilie.com/temoignages/canal_panama.htm

L'Histoire du canal de Panama expliqué par les financiers: http://www.edubourse.com/guide/guide.php?fiche=panama-scandale-financier

Photos du Canal de Panama aujourd'hui: http://www.pancanal.com/

Cette lettre est partie de Poitiers le 18 juin 1887 pour arriver le 19 juin 1887, à Charroux dans la Vienne. Cette lettre est affranchie du 15 c type Sage qui représente la Paix à gauche tenant la main au Commerce à droite, au dessus du Monde. Le 15 centimes bleu type Sage a été tiré à 600 millions d'exemplaires entre 1877 et 1880. Il a été retiré de la vente en 1881. Il servait à affranchir les lettres du 1er échelon de poids suivant le tarif du 1er mai 1878 qui a duré jusqu'au 15 avril 1906.

A Poitiers, le 14 août 1887, est inaugurée la statue du couronnement de Sainte Radegonde. Charroux dans la Vienne, est une commune connue pour son abbaye Saint Sauveur qui, au Moyen-Âge, a revendiqué être en possession du Saint prépuce (celui de Jésus) et d'une relique de la vraie croix. Par conséquent, l'Abbaye de Saint Sauveur de Charroux fut une étape sur la route de Saint Jacques de Compostelle.

Cette lettre n'a pas voyagé par les chemins de fer. Pourtant, Charroux a obtenu une gare sur la ligne Saint-Saviol / Lussac-les-Châteaux. Cette voie unique était longue de 64 km. Elle fut construite en deux étapes par la Compagnie PO (Paris-Orléans). La première étape, la section Saint-Saviol-Civray-Charroux, longue de 17 km a été inaugurée le 15 novembre 1886, soit huit mois avant la présente lettre du 18 juin 1887. La deuxième portion, Charroux-Le Vigeant-Lussac-les-Châteaux, longue de 47 km, fut mise en service cinq ans plus tard soit le 10 août 1891.

 
8 juillet: Henri Rochefort présente Boulanger aux élections partielles de la Seine. Il se fait élire sans être candidat alors que son appartenance à l'armée le rend inéligible. Le Gouvernement décide de l'éloigner. Il est nommé commandant du 13e corps d'armée à Clermont-Ferrand. Il n'a même pas l'idée de réclamer un départ digne de sa popularité. La population parisienne l'attend pour scander son nom à la gare de Lyon. Il pourrait conduire la foule à l'Élysée et prendre le pouvoir. Il n'y pense pas. Il est seulement un militaire ennuyé de ne pas pouvoir rejoindre sa garnison. Un policier subtil, Lépine s'en aperçoit et l'emmène vers une voie détournée pour lui faire prendre le train. C'est le premier concours à la République de Lépine qui aura une carrière administrative exceptionnelle.
 
Septembre novembre: Scandale des décorations: Wilson, député et gendre du Président de la République entretenait son train de vie en vendant la distribution de  décorations dont la légion d'honneur. Une action judiciaire est engagée contre lui. Il est condamné à deux de prison en première instance. Il fait appel et est relaxé. Il sera réélu député.
 
14 octobre: La gloire du général Boulanger profite du scandale des décorations. Il se rapproche des conservateurs.
 
24 novembre: La Convention franco-anglaise du canal de Suez est signée.
 
2 décembre: Sous la pression de l'opinion publique, Jules Grévy est contraint de démissionner.
 
3 décembre: Sadi Carnot est élu à la présidence de la République. Il est le descendant de la famille prestigieuse Carnot et il ne gêne pas puisqu'il n'a pas de personnalité exceptionnelle. Le général Boulanger a soutenu sa candidature. Pourtant, le président de la République, choisit Tirard contre Boulanger.
 
1888

15 mars: Le Gouvernement signe la mise en non-activité du général Boulanger.

27 mars: Le Gouvernement signe la mise à la retraite du général Boulanger. Il est dehors de l'armée mais plus dangereux car il peut se faire élire.

30 mars: Le ministère Tirard chute.

3 avril: Floquet forme son Ministère.

8 et 15 avril: Boulanger est élu en Dordogne et dans le Nord.

12 juillet: Une foule accueille Boulanger à la chambre des députés. Boulanger pourrait la conduire où il veut. Il ne le fait pas. Floquet qui a peur, l'insulte.

13 juillet: Charles Floquet et Boulanger se battent en duel. C'est le militaire à la retraite qui est blessé alors que son adversaire a 60 ans!

19 août: Boulanger est élu dans la Somme, la Charente Inférieure et le Nord. Il a les financements de la duchesse d'Uzès au nom du prince d'Orléans et du prince Napoléon appelé "Plon Plon". Le boulangisme est un mouvement contradictoire. Des hommes de gauches veulent renforcer la République et reconquérir le territoire de la France. Les conservateurs veulent tout simplement renverser le régime pour instaurer la monarchie.

  1889

 
janvier: Boulanger se présente à Paris. Son programme se décline en trois points: «Dissolution, Révision, Constituante». Il est élu et célèbre la victoire au café Durand, place de la Madeleine en présence de 50 000 personnes. Certains interpellent Boulanger pour prendre l'Élysée. Boulanger ne le fait pas, ses militants sont déçus et les craintes de ses adversaires attisées.
 
4 février: Suite au refus des chambres d'accorder à la compagnie du canal de Panama une prorogation, celle-ci est dissoute et liquidée. Plus de 870 000 souscripteurs, en majorité des petits épargnants français, perdent leurs versements et sont ruinés. Nombre d'entre eux se suicident.
 
13 février: Le scrutin uninominal à deux tours est rétabli.
 
22 février: Tirard forme son deuxième ministère.
 
31 mars: La Tour Eiffel est inaugurée.

1er avril: Le ministre de l'Intérieur, Ernest Constant, s'ingénie à inquiéter Boulanger. D'abord il poursuit et dissout la Ligue des Patriotes de Déroulède, l'un de ses soutiens, en vertu d'une loi sur les sociétés secrètes. Il fait ensuite savoir à Boulanger qu'un ordre d'arrestation doit être porté contre lui le 1er avril et que le même jour le ministre de l'Intérieur demandera à la Chambre la levée de son immunité parlementaire. Inquiété, Boulanger s'enfuit à Bruxelles.

6 mai: La tour Eiffel alors le plus haut édifice du monde avec ses 303 mètres et l'Exposition universelle qui dure jusqu'au 5 novembre, sont inaugurés.
 
14 juillet: La seconde internationale est fondée à Paris. Réunie à l’initiative des sociaux-démocrates allemands, la nouvelle Internationale, qui reconnaît l’autonomie des partis, se refuse à intervenir dans les affaires intérieures des partis. Il lui faudra plus de dix ans pour se doter d’institutions permanentes.
 
15 juillet: La loi militaire fixe le service pour tout le monde, étudiants et ecclésiastiques compris. Elle sera appelée "loi des curés sac à dos" Toutefois un tirage au sort fixe la durée à un ou trois ans.
 
17 juillet: La loi interdisant les candidatures multiples, est votée.
 
4 août: Pour fêter la nuit du 4 août, la dépouille du grand père du Président de la République, Lazare Carnot est transférée au Panthéon avec Condorcet, la Tour d'Auvergne et le général Marceau.
 
1er août: La première carte postale illustrée représentant la Tour Eiffel est vendue à l'exposition universelle.
 
14 août: Boulanger, Henri Rochefort et le Comte Dillon sont condamnés à «la déportation dans une enceinte fortifiée» par la haute Cour. Boulanger, accompagné de sa maîtresse Madame de Bonnemains, vit en exil en Belgique.
 
22 septembre - 6 octobre: Les Élections législatives donnent  366 sièges aux Républicains et  210 sièges aux Conservateurs.

1890

13 mars: Le ministère Tirard chute.
 
17 mars: Freycinet forme son quatrième ministère qui chutera en 1892 sur le scandale du Canal de Panama.
 
Avril: Le Colonel Louis Archinard prend Ségou au Mali.
 
1er mai: La journée du 1er mai devient officiellement celle des travailleurs qui répondent à l'appel des socialistes pour manifester illégalement. Elle a été choisie comme symbole de la lutte des travailleurs d'Europe et d'Amérique à la suite des manifestations américaines sanglantes des 1er mai 1886 et 1887.
 
5 août: La Convention franco-anglaise sur le Soudan, est signée.
 
Octobre: Les "allemanistes" gagne au congrès socialiste de Châtellerault. Le parti socialiste ouvrier révolutionnaire (PSOR) se réclame de la commune et de Bakounine et fait du syndicalisme révolutionnaire l’arme de la lutte anticapitaliste.
 
12 novembre:  Le "Toast d'Alger" du cardinal Lavigerie signe le ralliement des catholiques à la République

1891

 
1er janvier: Le Colonel Louis Archinard prend Nioro au Mali.
 
17 mars: Le prince Jérôme Napoléon dit "Plon Plon" meurt.
 
1er mai: A Fourmies, les soldats tirent sur quelques centaines de manifestants qui tentent d'obtenir la libération de grévistes interpellés dans la matinée et emprisonnés dans la mairie. Il y a 9 morts dont des femmes et des enfants.
 
A Clichy, lors d'un défilé d'anarchistes, la police provoque les manifestants. Une fusillade blesse des policiers et trois anarchistes arrêtés, conduits au commissariat de Clichy et torturés pour les faire avouer n'importe quoi. Deux d'entre eux sont condamnés à de la prison et le troisième est relaxé.
 
15 mai: Le pape Léon XIII (1878-1903) promulgue l'encyclique Rerum Novarum soit Les Choses Nouvelles sur la question sociale. Cet encyclique fonde le mouvement catholique social, père de la démocratie chrétienne.  
 
15 juillet: Madame de Bonnemains meurt de maladie. Boulanger est désemparé.
 
23 juillet: La flotte française est présentée au tsar russe à Cronstadt pour obtenir un accord diplomatique contre l'Allemagne.
 
27 août: L'Accord diplomatique franco-russe est signé par échange de lettres secrètes. La France obtient seulement une promesse de concertation commune en cas de conflit européen.
 
30 septembre: Le général Boulanger se suicide en Belgique sur la tombe de sa maîtresse au cimetière d'Ixelles. Clémenceau apprenant sa mort dira: « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant ».

LE SCANDALE DU CANAL DE PANAMA

ET LES ATTENTATS ANARCHISTES

Pour les anarchistes, le scandale de Panama justifie leurs attentats pour que la terreur renverse le régime corrompu.

1892

11 janvier: La fédérations des bourses du travail est fondée au congrès de Saint Etienne.

Méline instaure des tarifs douaniers protectionnistes. Les accords douanier antérieurs sont dénoncés et remplacés par des conventions bilatérales. Les droits d’entrée augmentent d’environ 40%.
 
16 janvier: Les cardinaux français condamnent le gouvernement de la République qui envoie les curés à la guerre.
 
18 février:  Le ministère Freycinet chute.
 
20 février: Dans son Encyclique "Au milieu des sollicitudes", le Pape Léon XIII déclare: "L'Église n'est liée à aucune forme de gouvernement; accepter la république n'est pas accepter une législation hostile à la religion".
 
27 février: Loubet forme son Ministère.
 
11 mars: Ravachol, né le 14 octobre 1859 à Saint-Chamond, fait exploser la demeure du conseiller Benoit, président des assises lors de l'affaire de Clichy.

Croisière accélérée sur le Canal: http://www.koreus.com/video/canal-panama.html

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